Croit-il vraiment que la flatterie soit un
argument budgétaire ? Après tout, peut-être l'est-elle.
Samedi 28 juillet
1984
Ouverture à Los Angeles des Jeux Olympiques.
L'URSS et treize autres pays les boycottent. La guerre froide est à
son comble. Nous vivons dans un monde coupé en deux, même pour le
sport.
Mardi 31 juillet
1984
L'Assemblée adopte le nouveau statut de la
Nouvelle-Calédonie, qui prévoit un référendum dans cinq ans.
Laurent Fabius s'est incliné : le schéma
budgétaire permet l'achèvement du Conservatoire en 1986, et celui
de l'Opéra-Bastille en 1989. La réalisation de la Tête Défense
reste pleine d'inconnues : le projet n'est pas encore arrêté, même
s'il est décidé d'y installer le ministère de l'Urbanisme et du
Logement.
Mercredi
1er
août 1984
Daniel Lebègue succède au Trésor à M. Camdessus,
qui prendra la Banque de France au départ prochain de La
Genière.
Revenant d'un déjeuner en région parisienne,
François Mitterrand dicte une note :
« Je m'intéresse au tracé
dans les Yvelines du futur TGV-Ouest, tracé qui se moque de la
tranquillité de plusieurs villages, alors qu'au début de la plaine
de Beauee il y a toute la place qu'on veut. Que Jean Auroux soit
saisi au plus tôt et me propose une solution conforme à mes vœux.
Je vous en donnerai le détail. »
La forêt de Saint-Germain fera bientôt l'objet
de la même sollicitude entêtée. Salvatrice.
Un Airbus d'Air France est « pris en otage » par des « gardiens de la
Révolution » sur l'aéroport de Téhéran. Il y a 60 passagers à bord.
Les terroristes réclament la libération d'Anis Naccache et menacent
d'exécuter un Français toutes les heures jusqu'à sa libération. Une
opération du GIGN pour les libérer est envisagée. Claude Cheysson
est en Yougoslavie. Roland Dumas fait savoir aux Iraniens, par
Genscher, que Naccache « peut être
gracié ».
Jack Lang revient à la charge contre la
décentralisation qui le prive d'une partie du budget de son
ministère au profit des régions :
« Lors de notre dernière
visite au château de Cormatin [ce château bourguignon rénové par
quatre jeunes Parisiens enthousiastes, que le Président visite rituellement chaque année, le lundi de
Pentecôte], vous aviez eu la gentillesse de me dire que, le moment
venu, vous m'apporteriez votre soutien pour la remise en cause du
fameux Fonds spécial de développement culturel (transfert
automatique de 150 millions aux régions). Depuis deux ans déjà, ce
Fonds aurait dû disparaître. Malheureusement, Gaston Defferre a
résisté à vos instructions. Au moment où je dois procéder à des
redéploiements intérieurs difficiles, je souhaite recouvrer la
liberté d'utilisation de ces 150 millions. J'ai besoin de votre
appui pour obtenir cette autorisation. Ainsi que vous l'aviez
vous-même admirablement expliqué devant le Conseil des ministres,
les crédits culturels doivent être non pas automatiques, mais
incitatifs et sélectifs. A ce seul prix peut exister, surtout en
période de rigueur, une politique nationale de la Culture.
»
François Mitterrand : « Oui, mais en souplesse, car la loi est là. Récupérer le
plus de fonds possible pour l'État me paraît nécessaire. Agir
cependant avec prudence. »
Robert Badinter pense que François Mitterrand
souhaite voir l'Assemblée apporter au projet de loi sur le
référendum certains amendements pour mettre le Sénat en porte à
faux. Il en rédige le texte. François Mitterrand : « Mais non, pas d'amendements ! C'est tout ou rien. »
Il préfère rien, évidemment.
Jeudi 2 août
1984
Conseil interministériel sur le renforcement du
contrôle de l'immigration.
Réunion sur l'Opéra-Bastille : on fera la grande
salle, mais pas la salle modulable. Et surtout pas la même
convention collective avec le personnel !
Les « gardiens de la Révolution » iraniens
relâchent les otages et font sauter le poste de pilotage de
l'Airbus. Quelqu'un, quelque part, a cru que la parole de la France
était donnée de libérer Naccache.
Le nouveau ministre de l'Éducation nationale,
Jean-Pierre Chevènement, reçoit le chanoine Guiberteau et Pierre
Daniel. Il leur annonce un projet de loi tout simple abrogeant la
loi Guermeur, sauf pour la formation des maîtres. Ils sont
soulagés.
Vendredi 3 août
1984
Il faut maintenant en finir avec le texte sur le
référendum. Et le faire voter au plus vite.
François Mitterrand, à son bureau. En face,
Laurent Fabius et moi.
« Le référendum exerce un
effet dissuasif sur les deux camps. Il faut déposer les deux lois
avant le 28 août. Le Sénat aurait voulu me pousser à violer la
Constitution en faisant le référendum sur l'école sans réforme
constitutionnelle; je n'ai pas voulu. Il faut tout régler en août,
en enterrant le projet, et entretenir le regret d'un référendum sur
l'école. Il ne faut pas, dans le texte de projet de loi sur le
référendum, de pétition de principe. Aucun exposé des motifs.
L'objectif est d'en sortir pendant cette session extraordinaire, ou
au plus tard le 15 octobre. Il faut éliminer après les problèmes
des contrats simples, des maternelles et des maîtres. Ensuite, il
faudra faire des gestes politiques en direction de la classe
ouvrière. Il me faut des propositions sur l'emploi avant un mois.
»
Le franc est attaqué. Une nouvelle dévaluation
semble inévitable. On s'y prépare. Le flottement n'est plus
envisagé.
L'arrêt d'extradition touchant sept séparatistes
basques incarcérés à Fresnes a été rendu par la Cour de Pau. Les
Basques ont alors entamé une grève de la faim pour obtenir le
statut de « prisonniers politiques » et l'asile politique. C'est
Madrid qui avait demandé leur extradition. Les faits reprochés aux
sept Basques sont évidemment de nature politique, et leur
extradition paraît à beaucoup violer le droit d'asile. La France
avait, en 1979, déjà refusé une telle demande d'extradition pour
des séparatistes basques. Mais le gouvernement de Felipe Gonzalez
n'est plus celui du Caudillo, les libertés individuelles sont
maintenant sauvegardées en Espagne. Et trois des sept détenus sont
accusés de crimes graves (assassinat de plusieurs personnes).
Mercredi 8 août
1984
Le Sénat repousse le projet de réforme
constitutionnelle de « référendum sur le
référendum » en votant la question préalable. Ouf !
Vu Cheysson. Il rêve maintenant d'aller à
Bruxelles, même comme simple commissaire.
Après Fontainebleau, il faut poursuivre sous
présidence irlandaise. François Mitterrand écrit à Fitzgerald à
propos du mandat des deux comités créés au Conseil européen de
Fontainebleau, l'un sur les questions institutionnelles, l'autre
sur l'Europe des citoyens. Sur le premier :
« Le Comité devrait,
conformément à nos délibérations de Fontainebleau, faire des
suggestions sur l'organisation institutionnelle de la construction
européenne, et notamment étudier les conditions dans lesquelles il
pourrait être envisagé de mettre progressivement en place une Union
européenne entre États membres. J'ai eu l'occasion à plusieurs
reprises d'avancer quelques propositions en ce sens, que mon
représentant au Comité pourra développer. Il me paraît essentiel
que le Comité se réunisse dans des délais courts et se fixe pour
objectif de présenter des conclusions dans un avenir très proche...
»
Jeudi 9 août
1984
Michel Delebarre s'intéresse à son ministère,
bon gré mal gré. Il propose au Président de décider que tout
chômeur sera obligé de se former à temps plein. François Mitterrand
ne s'y oppose pas : « Faites-le. Il s'agit de
s'y prendre bien. » Laurent Fabius s'insurge : « Le coût politique serait fort, car la contrainte sera
mal ressentie. » Dommage.
Étrange proposition de Kadhafi. Il suggère
d'abandonner tout soutien à Goukouni Oueddeï si la France fait de
même avec Hissène Habré et si un accord peut être trouvé sur un
nouveau président du Tchad. François Mitterrand : « C'est un début, mais il faudra que Kadhafi renonce à
cette exigence pour que la négociation puisse réellement commencer.
» Cela est-il le produit de son union avec le Maroc ?
Celle-ci doit entrer dans les faits à la fin du mois.
Vendredi 10 août
1984
Dans vingt jours, le Président sera au Maroc.
Mais l'union du Maroc avec la Libye brouille les cartes. S'agit-il
d'un accord à trois dont l'Algérie se serait retirée ? Que pensera
l'Algérie d'un tel voyage ? Au surplus, le Roi décide d'organiser
le référendum sur l'indépendance du Sahara le jeudi 30. Comme par
hasard, pendant le séjour du Président ! Furieux, François
Mitterrand décide d'aller, ce jour-là, dîner au Portugal et de
revenir le lendemain au Maroc...
La chambre d'accusation de la Cour d'Appel de
Paris rend un avis favorable à l'extradition de quatre réfugiés
basques espagnols (coupables de « crimes de sang » : ils ont
assassiné des gardes civils.) Ils ont cinq jours pour se pourvoir
en Cassation, le pourvoi étant suspensif. Le décret d'extradition
peut être attaqué devant le Conseil d'État. Des manifestations de
nationalistes basques sont organisées à Saint-Jean-de-Luz et
Irún.
Le Roi du Maroc me propose de dîner à
Casablanca, par le truchement de Reda Guedira, son conseiller et
confident. J'accepte. « Le Roi vous verra, me
dit-il. Restez demain. »
Samedi 11 août
1984
Nouveau dîner avec Guedira. Le Roi veut me voir
demain « en secret » pour m'expliquer
« tout cela ». Je n'aime pas les
secrets de ce genre. J'en informe le Président.
Dimanche 12 août
1984
En début d'après-midi, j'arrive au Palais ; on
me fait entrer par une porte dérobée, je me retrouve dans le
garage. Là, un homme attend, assis au volant d'une Rolls blanche
décapotable à l'intérieur de cuir rouge. D'un geste, il m'invite à
le rejoindre. J'hésite. Il ouvre la portière : c'est le Roi. «
Alors, Attali, toujours aussi timide ? On y
va. »
Après avoir traversé la ville, longeant les
plages bondées de monde, précédés de deux motards, le Roi me parle,
de manière très aimable et fort détendue, de sa prochaine rencontre
avec le Président, qu'il se prépare à recevoir fastueusement. Il me
donne les détails de son accord prochain avec Kadhafi. L'idée de
cet accord est de lui. Kadhafi avait écrit il y a plus d'un mois à
sept chefs d'État arabes pour plaider une nouvelle fois en faveur
de l'union entre leurs pays. Six dirigeants lui ont répondu par une
banale formule de politesse. Mais lui, Hassan II, l'a pris au mot,
lui demandant d'envoyer des émissaires pour concrétiser cette idée.
Il a alors proposé une « union entre les deux
États », première étape de la future union de tous les
peuples arabes, « une union qui ne serait pas
fumeuse, mais exclusivement consacrée aux rapports bilatéraux entre
les deux Etats ». Après deux va-et-vient d'émissaires, le
projet de traité, préparé par Guedira, a été accepté par
Kadhafi.
Celui-ci a alors proposé que la signature ait
lieu à Malte. Le Roi a proposé la France. Kadhafi a décliné l'idée,
disant que les relations avec Paris « n'étaient pas encore assez
bonnes ». Le Libyen a alors proposé Oujda, au Maroc, à la
frontière algérienne. Le Roi a accepté et prévenu les Algériens de
la signature, qui doit avoir lieu demain. Ils en ont été furieux.
Ce n'est pas un « traité subjectif, mais un
vrai traité de droit international dont la Cour de La Haye
vérifiera l'application ». Il vise à permettre des
réalisations concrètes. Il permettra par exemple aux Libyens
d'acheter des Airbus, malgré l'interdiction américaine, en
organisant la fusion ouverte et transparente des deux compagnies
aériennes. Ainsi Hassan espère « entraîner peu
à peu les Libyens dans le camp des dirigeants arabes
raisonnables ». Mais il a besoin de l'appui de la France
auprès des Américains et des Africains, en particulier du Président
Houphouët-Boigny, « pour leur faire comprendre
qu'il ne s'agit pas, de sa part, d'une radicalisation
».
Ainsi cet accord n'est peut-être pas, comme on
l'a cru au départ, le résidu d'une opération ratée avec l'Algérie,
mais le résultat d'une opération improvisée avec la Libye, par un
chef d'État habitué à obéir à ses intuitions et qui a voulu prendre
Kadhafi au mot. Si cela réussit, le coup aura été génial. Mais,
selon le Roi, cet accord risque de faire capoter un autre projet en
cours, auquel il attache aussi la plus grande importance : une
confédération avec l'Algérie.
Je demande au Roi son sentiment sur l'attitude
de Kadhafi à propos du Tchad. Kadhafi lui a dit : « Le Tchad, je ne sais pas qui c'est et je ne sais pas où
c'est ». Tiens ? Va-t-il renoncer ? Le Roi se lance dans une
violente diatribe contre Hissène Habré : «
J'ai été le seul à l'aider et maintenant, il est entre les mains de
l'Algérie et tient des propos insultants à mon égard sur l'affaire
du Sahara occidental. C'est d'ailleurs aussi le point de vue de
Kadhafi. » Pour autant, le Roi n'est pas dupe de son nouvel
allié.
Lundi 13 août
1984
Le Maroc et la Libye signent leur traité
d'union. François Mitterrand peste : « A
quinze jours de mon voyage ! Dois-je maintenir ? » Ne pas
reculer. Il envoie Cheysson à Alger annoncer qu'il maintient son
voyage « privé » et qu'il s'arrêtera à
Alger en décembre, en partant pour l'Afrique.
Mardi 21 août
1984
Les accrochages entre Joxe et Mauroy étaient
déjà intolérables. Voilà que cela recommence entre Fabius et
Jospin. En pire : c'est toujours pire entre deux hommes qui se
ressemblent.
Mercredi 22 août
1984
L'Assemblée nationale adopte le texte de réforme
constitutionnelle.
La crise financière actuelle touche de nombreux
pays en voie de développement. Il faut agir vite pour obtenir à
l'assemblée du FMI, en septembre, l'accord sur une allocation de 20
millions de DTS, comme le principe en a été arrêté au Sommet de
Londres. Cette nouvelle allocation aurait une très grande portée.
Les sommes permettraient de réduire significativement la charge de
la dette des pays les plus pauvres et, par là, des banques. Mais
cet accord se heurte à l'opposition des Etats-Unis, qui n'est
peut-être pas insurmontable, le gouvernement américain ayant
conscience de la nécessité de faire « quelque
chose » pour les pays en développement les plus endettés, en
particulier pour les pays d'Amérique latine, au bord de déposer
leur bilan. Le Président écrit donc à Ronald Reagan à ce propos. Il
veut que j'aille porter moi-même cette lettre et rencontrer les
ministres américains pour tenter de les convaincre :
« De nombreux pays, dont la
France, attachent une importance particulière à ce que puisse être
décidée lors de cette réunion une nouvelle allocation de Droits de
Tirages Spéciaux.
L'évolution au regard de
l'économie mondiale des liquidités internationales justifie une
telle allocation. Il serait en outre opportun que les pays
industriels acceptent de prêter aux pays en développement qui
poursuivent, sous l'égide du Fonds monétaire international, des
efforts d'ajustement, tout ou partie de leur propre attribution
dans cette allocation : les charges financières des pays en
développement, aujourd'hui très lourdes, en seraient
allégées.
Pour avoir sa pleine portée
politique et économique, cette allocation de DTS devrait intervenir
rapidement et porter sur un montant minimal de 20 milliards de
DTS.
Je souhaite que votre pays
accepte de se prononcer favorablement sur ce projet d'allocation de
droits de tirages spéciaux lors des réunions de Washington, en
septembre prochain. Je suis en effet convaincu qu'une telle
initiative serait particulièrement bien accueillie par la
communauté internationale et contribuerait grandement à resserrer
les liens entre pays industriels et pays en développement, objectif
auquel vous êtes, je le sais, attaché comme moi-même.
»
Jeudi 23 août
1984
Le gouvernement autorise 1950 des 2 417
licenciements demandés par Citroën
Le Roi me fait savoir qu'il ne sera sans doute
pas au Maroc quand le Président arrivera. Il doit se rendre à
Tripoli. (« Tant mieux », dit François
Mitterrand).
Michel Rocard vient me voir pour proposer deux
mesures en faveur des entreprises : une baisse de l'impôt pour les
sociétés exportatrices, et un emprunt de 20 millions de francs pour
financer des économies d'énergie.
Commentaire de Georges Fillioud :
« Il est aujourd'hui
impossible de réaliser un accord entre les différentes chaînes pour
qu'elles fassent un seul programme de télévision du matin. Si on
choisit de le faire faire à TF1 seule,
ou à TF1 couplée à l'INA, cela sera
ressenti comme un choix politique. La seule solution raisonnable
est de laisser Antenne 2 et TF1 se
lancer toutes les deux sur ce marché étroit.
... Le projet du satellite
Coronet est abandonné par les Luxembourgeois ; un accord est en vue
et sera signé dans moins d'un mois avec les Luxembourgeois sur
l'attribution à la CLT de deux canaux de télévision (sur les
quatre) du satellite franco-allemand ; l'un servira à créer une
chaîne de télévision commerciale en français (financée à 60 % par
la CLT et à 40 % par la Sofirad), l'autre sera consacré à une
chaîne en langue allemande (où la CLT aura 60 % des actions, les
autres 40 % seraient détenus par le grand éditeur allemand
Bertelsmann). Si ce projet se met en place, la CLT deviendra la
première entreprise européenne de communication de radio et
télévision, et son administrateur deviendra l'homme de presse le
plus puissant d'Europe.
Un troisième canal de ce
satellite (dont le coût d'exploitation est de l'ordre de 150 à 200
millions) pourrait être consacré à la rediffusion des meilleures
émissions d'Antenne 2 et de TF1 des
jours précédents, et à un programme réellement autonome en matière
d'information. Le quatrième canal reste ouvert à la négociation
pour la création éventuelle de la chaîne européenne que vous avez
proposée à Strasbourg. Ce satellite de télévision sera opérationnel
dans les derniers jours de 1985. »
Vendredi 24 août
1984
Déjeuner avec Robert Badinter. La réforme du
Code pénal est sa principale ambition.
Après le vote de la loi fixant les limites d'âge
à 65 ans, toute une série de nominations s'annoncent à
l'horizon.
Canal Plus ouvrira l'antenne début novembre.
André Rousselet est aujourd'hui très inquiet devant le très faible
taux d'abonnement. Son ambition n'est plus de 500 000, mais de 200
000 abonnés en un an. Et encore, on est loin du compte. Il faut
l'aider, ou bien passer la chaîne en clair et renoncer au cryptage.
En tout cas, il faut qu'il puisse diffuser les films nouveaux bien
avant les autres chaînes de télévision ; sinon, le concept est
mort. Quant à Fabius, il n'est pas prêt à grand-chose pour l'aider,
pour dire le moins. Depuis l'exonération des œuvres d'art de
l'impôt sur les grandes fortunes, en 1981, les deux hommes ne
s'aiment guère. Aucun ne perd une occasion de dire ce qu'il pense
de l'autre au Président qui écoute en silence.
Mardi 28 août
1984
Le petit déjeuner s'installe dans une routine
nouvelle. Le Président, Fabius, Jospin, Bianco et moi : quatre
énarques, bien différents les uns des autres, et le Président.
C'est le dernier point de contact de François Mitterrand avec le
PS. Le déjeuner du mercredi disparaît, après le petit-déjeuner du
jeudi, supprimé en juin 1982. La moitié du temps est consacrée au
Conseil du lendemain. L'autre, à la politique et aux nominations
futures.
François Mitterrand : « Il
va manquer six mois pour que l'opinion soit convaincue que le
gouvernement fait du bon travail. On perdra les élections. Même la
représentation proportionnelle n'y changerait rien. D'ailleurs, je
suis contre ce mode de scrutin, mais j'y serai contraint par les
socialistes. De toute façon, le mode de scrutin doit être changé de
temps en temps. »
François Mitterrand demande à Laurent Fabius de
faire en sorte que Jacques Pomonti remplace Jacques Rigaud à la
tête de la CLT, selon la suggestion de Jean Riboud.
Il faut encore trouver 4 milliards d'économies
d'ici le 12 septembre, date à laquelle le Budget 1985 figurera à
l'ordre du jour du Conseil des ministres. Difficile bataille, ligne
à ligne, avec arbitrages remontant au Président. Jamais les
ministres n'ont autant écrit de lettres manuscrites à François
Mitterrand.
Mercredi 29 août
1984
François Mitterrand est à Ifrane, au Maroc. A
son grand dam, le Roi a renoncé à se rendre à Tripoli et ne le
quitte pas de la journée. Il sera aussi là demain, jour du
référendum sur le Sahara...
Jeudi 30 août
1984
Comme prévu, pour ne pas se trouver au Maroc le
jour du référendum, François Mitterrand part pour Lisbonne... dîner
avec Soares.
Vendredi 31 août
1984
Le responsable CGT de l'usine Citroën
d'Aulnay-sous-Bois, Akka Ghazi, est blessé lors d'incidents avec la
police.
François Mitterrand, de retour au Maroc,
rencontre Hassan II à Fès.
Nouvelle concession de Kadhafi pour le Tchad :
il abandonne brusquement son idée de « troisième homme » et
accepte, fait-il savoir par l'ambassadeur de France, Graeff, de
parler du retrait des troupes. Sans s'en ouvrir à personne,
Cheysson décide de demander à l'ambassadeur Georgy d'aller voir si
Kadhafi est prêt à venir à Paris annoncer le retrait de ses troupes
du Tchad.
Samedi 1er septembre 1984
Rentrant du Maroc, le Président trouve une
lettre de Defferre : « Créons dix écoles
d'informatique. » Il lui répond, agacé : « Commencez par en créer une ! » Le « Centre Mondial
» est loin.
Dimanche 2 septembre
1984
François Mitterrand : « Demandez donc à Éric Rouleau, qui doit interviewer demain
Kadhafi pour TF1, de savoir ce qu'il
veut », dit-il à Roland Dumas.
Lundi 3 septembre
1984
Rouleau confirme : Kadhafi est prêt à annoncer
le retrait des forces libyennes du Tchad.
Mardi 4 septembre
1984
La même proposition de Kadhafi nous revient par
Kreisky, de Vienne, et par un messager de Kadhafi, de Madrid. Le
Colonel veut venir à Paris après le
retrait de ses troupes. Il est plus sage que Cheysson ! Dumas ira
négocier cela avec Kadhafi.
Discussion, au petit déjeuner, sur le chômage.
Il y a aujourd'hui 2 325 000 chômeurs ; il y en aura 2 450 000 à la
fin de 1984. Le risque, en 1985, est de 200 000 de plus. Que faire
? Personne n'a d'idée.
Quelques années plus tard, François Mitterrand à
Elie Wiesel : « Je me comporte à l'égard du
peuple juif comme je crois qu'il est utile, honnête et juste de se
conduire. C'est quand même une histoire qui s'impose à nous. Là où
j'étais, là où je suis, j'ai contribué à rendre justice, mais pas
plus que cela. Je n'exagère pas mon rôle. L'histoire juive a
inspiré le type de civilisation dans laquelle je vis moi-même. Quel
est l'homme qui n'aime pas remonter à ses sources ? Le peuple juif,
de tous les peuples de l'Antiquité, est le seul à avoir survécu à
l'Antiquité. Peut-être parce que c'était une petite minorité. Cela
doit être plus facile qu'aux grands empires ou qu'aux ensembles qui
ne reposent sur aucune véritable identité. Les méthodes employées
par les inspirateurs, ceux qui ont le mieux exprimé l âme de ce
peuple, ont été réalistes, précises. Quand ce ne serait que la
Bible, sorte de livre de raison d'un peuple, et non pas simplement
d'un individu ou d'une famille. Ce peuple a vécu autour d'une
religion qui, elle-même, a inspiré des religions monothéistes qui
sont encore inscrites dans notre présent. Ce type d'enseignement
s'est perpétué avec beaucoup de minutie dans les familles juives,
avec peut-être beaucoup plus de force encore parce qu'il y a eu la
Diaspora et que c'était une façon de se raccrocher à son passé.
Bien entendu, un croyant dans le Dieu d'Israël ajoutera : c'est le
peuple élu, c'est pour cela que Dieu y a veillé. »
Mercredi 5 septembre
1984
Le Sénat rejette une seconde fois le projet de
réforme constitutionnelle, qui est cette fois définitivement
enterré. François Mitterrand : « C'est
conforme à mes prévisions. »
La commission d'enquête de
l'Assemblée nationale créée à ce propos demande à entendre Valéry
Giscard d'Estaing sur les « avions renifleurs ». « Inadmissible !
» s'exclame le Président qui demande à Louis Mermaz de
rappeler à la commission d'enquête que l'Article 68 de la
Constitution stipule que le Président de la République n'est pas
responsable (sauf cas de haute trahison) des actes accomplis dans
l'exercice de ses fonctions. Ni pendant son septennat, ni
après.
Au Conseil des ministres, des nominations. On a
dénombré 1 350 candidats pour les 40 postes de conseillers
économiques et sociaux que le Conseil des ministres désigne
aujourd'hui. Que d'intrigues dans cette sélection !
Puis le tour de table habituel sur la politique
étrangère. François Mitterrand : « Une
extraordinaire sérénade a fait suite à mon voyage au Maroc. A lire
la presse, il y aurait diplomatie secrète dès lors que les
journalistes ne sont pas présents à un entretien entre deux chefs
d'État ! J'estime devoir avertir le pays si je change de politique,
mais pas lorsque je persévère dans la même politique, ce qui est en
l'occurrence le cas. C'est la deuxième fois que je vais au Maroc.
Je suis allé quatre fois en Algérie. Je ne vais tout de même pas
rompre avec l'un pour faire plaisir à l'autre. On a dit que j'avais
approuvé l'accord maroco-libyen. Qu'est-ce qui permet de dire cela
? L'invitation du Roi du Maroc était fixée à cette date depuis
longtemps. Elle avait été confirmée. J'ai dit que j'irais, mais que
je ne serais pas là au moment du référendum. C'est pourquoi une
journée et demie, sur les trois et demie de mon déplacement, a été
consacrée au Portugal. Quoi de plus normal que d'avoir maintenu ma
visite ? Au Maroc, j'ai répété nos positions de toujours : nous
avons besoin de l'équilibre en Afrique du Nord. »
Après le Conseil, François Mitterrand demande à
Pierre Joxe d'étudier divers systèmes dérivés de la proportionnelle
pour les prochaines élections législatives. Le Président : «
Ce n'est pas moi qui ai décidé d'utiliser la
proportionnelle pour les européennes. C'est ce qui a fait entrer le
Front national. Élire quelques députés du FN de plus n'est pas le
problème. Il y a déjà de nombreux députés d'extrême droite au RPR
et au Parti républicain. »
François Mitterrand à Laurent Fabius : «
Il ne faut pas laisser la droite parler
de "nouvelle pauvreté". La misère n'a rien de nouveau. Et
elle est pire en Angleterre. »
Ce soir, à « L'Heure de Vérité », Fabius : «
Lui, c'est lui, et moi, c'est moi. » Le
Président ne s'en offusque pas. Il s'étonne auprès de ceux qui lui
en parlent : « Vous trouvez cela important,
vous ? »
Jeudi 6 septembre
1984
Roland Leroy déclare que les communistes «
ne sont plus dans la majorité ».
François Mitterrand est en Savoie, à Montmélian
et à Chambéry. Michel Barnier, charmant. Le Président annonce qu'il
est mis im au processus de révision constitutionnelle. Cela ne fera
pas trois lignes dans les comptes rendus du voyage.
Je m'arrête à New York, en route pour la Maison
Blanche où je vais plaider pour l'émission de DTS. Je suis reçu par
le président de la Banque Fédérale de Réserve de New York. Les
banques américaines se trouvent dans la même situation, toutes
proportions gardées, que les pays du Tiers Monde, car le coût de
leurs emprunts auprès des épargnants augmente avec les taux
d'intérêt des prêts qu'elles consentent. Mon interlocuteur va même
jusqu'à dire que la faillite de l'une ou l'autre de ces banques
privées mettrait en cause la fiabilité financière de certaines
banques centrales européennes. Il parle à ce propos de
l'Angleterre, et non de la France, en raison du caractère privé des
banques britanniques. Tout cela confirme nos thèses sur l'urgence
d'une remise en ordre du système monétaire international.
Perez de Cuellar est très inquiet de l'accord
maroco-libyen qui risque, selon lui, d'être source de troubles dans
le Maghreb.
A Washington, dîner avec McFarlane à la Maison
Blanche. On parle d'abord de l'Amérique latine. Inquiet de la
réunion entre la CEE et l'Amérique centrale à San José, il a peur
qu'elle ne dérape dans l'anti-américanisme. Il m'annonce que si les
négociations avec le Nicaragua échouent, comme c'est probable, les
États-Unis ne pourront « tolérer un second
Cuba en Amérique centrale, et organiseront avant la fin de l'année
l'embargo et le blocus de Cuba, fournisseur d'armes du
Nicaragua ». Il me dit qu'il y a des Soviétiques au
Nicaragua. J'en doute. Il me promet de m'envoyer les preuves.
Il est furieux de l'accord maroco-libyen. Il
m'annonce la prochaine rencontre entre Reagan et Gromyko. Il
réfléchit longuement, à voix haute, devant moi, sur les trois
thèmes qui constitueront, selon lui, les priorités de la politique
étrangère américaine pour les quatre ans à venir, après la
réélection probable de Reagan : la coopération avec l'Europe de
l'Est, l'organisation militaire du Bassin du Pacifique, la
recherche de points de rencontre avec les Soviétiques. Bien
vu.
Je plaide en faveur de la concrétisation de
l'accord du Sommet de Londres sur l'augmentation des DTS, en
insistant sur le fait qu'il ne s'agirait que d'un petit ballon
d'oxygène pour les pays du Tiers Monde, sans aucun coût budgétaire,
et qu'il constitue le seul signe politique de la bonne volonté de
l'Occident possible à court terme. McFarlane me dit en être tout à
fait convaincu et me promet qu'il plaidera en ce sens auprès du
Président. Il m'explique que George Shultz et lui-même ont, depuis
un mois, enlevé au ministre des Finances, Don Regan, le suivi
politique de ces affaires, trouvant le Trésor trop « dogmatique et réactionnaire ».
Quel changement ! Enfin un conseiller à la
Sécurité intelligent, ouvert, donnant de l'Amérique sa meilleure
image ! Celle que j'aime, en tout cas.
Vendredi 7 septembre
1984
Petit déjeuner chez Shultz avec Don Regan. Les
Américains reconnaissent que « le monde manque
de liquidités » et qu'il faut certes donner un signal
politique en ce sens. Sceptique comme tout banquier, Donald Regan
fait peser la menace de monnayer l'augmentation des DTS contre une
réduction des autorisations d'emprunt des pays très endettés auprès
du Fonds monétaire (ce qui serait évidemment catastrophique pour
des pays comme la Côte d'Ivoire). Je lui remontre qu'un tel échange
serait pour nous inacceptable. Ils me promettent d'examiner cette
question très rapidement.
Shultz et Regan se montrent très durs vis-à-vis
du président de la Banque mondiale, Clausen. Celui-ci a estimé le
manque de ressources de l'aide à l'Afrique, pour 1985, à 3
milliards de dollars. Et les a promis, en vain. Ce manque pèsera
lourd sur la balance de pays comme la Côte d'Ivoire ou le Nigeria
qui se sont endettés parce qu'ils ont cru Clausen. A la demande des
USA, Clausen a dû renoncer à ce que le programme spécial de la
Banque pour l'Afrique contienne la promesse de ressources
nouvelles.
Ils se montrent très inquiets sur l'évolution de
l'Argentine. Selon Shultz, « la meilleure
solution consisterait à isoler l'Argentine pour éviter que ne joue
la théorie des dominos ». Don Regan me dit, lui, qu'une
telle situation ne sera gérable que si la Banque mondiale ou les
banques centrales des principaux pays occidentaux donnent leur
garantie aux prêts des banques privées argentines. « Rien ne sera fait, ajoute-t-il, l'année prochaine, pour
réduire le déficit budgétaire américain. Lorsque cette hypothèse
deviendra certitude, à une date que nul ne veut s'engager à
prévoir, le dollar baissera et les taux d'intérêt monteront, car
les capitaux flottants cesseront de s'investir aux États-Unis et il
sera plus difficile encore de financer le déficit budgétaire
américain. Alors commencera une période de récession et d'inflation
aux Etats-Unis, dont les banques et les pays du Tiers Monde
subiront les conséquences ».
Comment le ministre des Finances américain
peut-il s'exprimer ainsi ? A moins qu'il ne sache que, bientôt, il
ne le sera plus...
Volker, que je vois ensuite, estime que les taux
d'intérêt américains vont probablement baisser. L'ampleur du
déficit budgétaire demeure excessive. Il est sceptique sur les
chances de voir une nouvelle administration Reagan proposer l'an
prochain un programme de redressement substantiel (économies sur
les budgets civils, réduction des dépenses militaires et relèvement
des impôts). Les positions récemment prises par le candidat Reagan
ne vont pas dans ce sens. Et les chances de voir le Congrès adopter
spontanément un programme de redressement sont très faibles. Volker
craint une baisse trop rapide du dollar : on ne peut financer
indéfiniment des déficits commerciaux massifs. Il s'inquiète : si
les Européens maintenaient des taux d'intérêt élevés, cela
contraindrait les États-Unis à relever très fortement les leurs,
avec de graves conséquences pour leur économie et pour le Tiers
Monde, dont le coût de l'endettement deviendrait
insupportable.
La situation est néanmoins meilleure, dit-il,
qu'il y a quelques mois : Mexique, Brésil, Venezuela, Pérou et
Nigeria sont en train de s'en tirer. La négociation entre les
banques et le Mexique a donné l'exemple de ce qu'il faut faire. Les
solutions d'avenir passent par l'ajustement et le rééchelonnement
de la dette sur plusieurs années. En revanche, les limitations de
taux d'intérêt sous des formes variées, que la France suggère, et
dont les banques privées ne veulent pas, ne sont sans doute pas
nécessaires. Volker est favorable à une rencontre informelle entre
pays créditeurs et débiteurs pour réfléchir à la meilleure façon de
promouvoir des solutions ordonnées. Mais il considère que l'annonce
d'une telle rencontre, ou sa divulgation, aurait en pratique des
effets désastreux. Il n'existe qu'un problème sérieux :
l'Argentine, au comportement imprévisible. Si l'Argentine adopte un
comportement extrémiste, son exemple pourrait être suivi par des
pays jusqu'à présent raisonnables. Il estime qu'il faudra dégager
dans l'année qui vient environ de 3 à 4 milliards de dollars de
financement net au profit de l'Argentine. Mais pas du privé. C'est
à la Banque mondiale qu'il appartiendra d'intervenir, selon des
procédures novatrices.
Jacques de Larosière, au Fonds monétaire, me dit
au contraire, avec la plus grande assurance, qu'il sera possible de
réaliser un accord entre l'Argentine et les grandes banques
privées, permettant d'obtenir les 4 milliards de dollars
nécessaires.
Mardi 11 septembre
1984
Au petit déjeuner, Laurent Fabius considère que
la lutte contre l'inflation n'est plus prioritaire et refuse de
fixer un objectif de hausse des prix inférieur à 5 %. François
Mitterrand doit l'imposer.
Chassez le naturel...
Mercredi 12 septembre
1984
Au Conseil des ministres, Bérégovoy présente le
projet de loi de finances pour 1985. Les prélèvements obligatoires
passent de 44,7 % à 43,7 %. (En réalité, ils ne baisseront que de
0,25 %.) La hausse de l'essence et du téléphone finance l'essentiel
de la baisse !
Ce qui confirme François Mitterrand dans l'idée
qu'il n'y a rien de nouveau sous le soleil, que les technocrates
n'ont rien à dire et que les vieilles recettes sont toujours les
meilleures : « Moins d'impôts, plus de taxes
! »
Le Président me dit encore : « Nous avons eu tort. Nous aurions dû être léninistes, bien
plus radicaux, et ne pas faire de compromis avec nos adversaires.
Mais, naturellement, c'est impossible ; il faudra alors se
contenter de nos résultats. »
Jeudi 13 septembre
1984
Grande victoire ! La Pan Am acquiert 44
Airbus.
Kadhafi confirme officiellement ce qu'il avait
laissé entendre : il va retirer ses troupes du Tchad. Notre
ambassadeur à Tripoli, Graeff, est convoqué par un membre du Comité
populaire des liaisons extérieures, M. Hafiana, qui lui demande de
transmettre le message suivant : « A la suite
des entretiens de M. Georgy avec le Dr Triki, ministre libyen des
Affaires étrangères, et le commandant Jalloud, le commandement
libyen constate qu'il existe des intentions favorables des deux
côtés et une disposition commune à entamer des pourparlers sur
l'amélioration des relations entre les deux pays, par le retrait
des forces déployées au Tchad. La partie libyenne se déclare prête
à entrer en négociation immédiate avec l'émissaire que désignera le
gouvernement français pour amorcer les discussions sur un retrait
total et concomitant des forces libyennes et françaises. Toutes les
portes sont ouvertes pour prendre sans délai des dispositions
pratiques à cet effet. »
M. Hafiana ajoute qu'« une
nouvelle visite de Claude Cheysson est espérée ici depuis plusieurs
mois. Pour sortir le dialogue du carcan où il a été enserré, la
venue du ministre, si longtemps attendue, serait un acte positif
qui porterait des fruits certains, et la rencontre prévue le 28
septembre à New York avec le Dr Triki ne pourrait en aucune façon
avoir le même impact que la présence de M. Cheysson à
Tripoli. »
Kadhafi propose de négocier... et pousse la
complaisance jusqu'à choisir lui-même le négociateur français
!
Vendredi 14 septembre
1984
Quatre réfugiés basques (dont trois menacés
d'extradition) font la grève de la faim, à Fresnes. On recherche un
pays d'accueil pour les expulser (mais la menace d'extradition
demeure). Le garde des Sceaux considère que le problème des
garanties à obtenir du gouvernement espagnol est essentiel. Contact
est pris avec Madrid.
Cheysson est à Alger. Il y porte une lettre du
Président à Chadli, pour panser les plaies du voyage au Maroc
:
« Je souhaite que nous ayons
une conversation directe et personnelle, comme souvent déjà dans le
passé. Puisque, par l'intermédiaire de mon ministre des Relations
extérieures, vous avez bien voulu accepter de me recevoir, je me
réjouirai de toute date qui permettra cet entretien dans les
semaines qui viennent. Vous savez le prix que j'attache aux
relations confiantes entre nos deux pays et combien je désire que
tout malentendu de circonstance soit dénoué. D'autant plus que nous
avons à mettre en œuvre ensemble les objectifs déjà définis.
Certes, je dois vous dire ma surprise devant les interprétations
infondées qui ont suivi mon récent voyage au Maroc et qui ont
trouvé un large écho, particulièrement au Maghreb. La politique de
la France n'est pas soumise au gré des vents. Elle repose sur des
données simples : la paix et l'équilibre, dans cette région du
monde comme ailleurs, ce qui doit conduire à toujours préférer la
négociation aux affrontements et à éviter toute initiative pouvant
créer la suspicion. Je ne saurais trop insister sur le droit à
l'autodétermination des peuples, notamment du peuple sahraoui.
C'est la raison pour laquelle nous avons applaudi à la résolution
de l'OUA prise à Nairobi, décidant un référendum qui demeure à nos
yeux la seule issue raisonnable et légale au différend
actuel.
Nous espérons que viendra le
jour où les pays du Maghreb pourront s'exprimer d'une seule voix en
face du reste du monde. C'est dire que nous déplorons les
divergences de vues entre eux, lorsqu'elles se manifestent,
puisqu'elles retardent le moment de cette nécessaire
entente.
Cela n'enlève rien à la
valeur spécifique de la relation de la France avec chacun d'entre
les pays d'Afrique du Nord. Vous savez, puisque cela a été exprimé
maintes fois, combien nous sommes fiers et heureux de la relation
de qualité exceptionnelle, et qui doit le rester, entre la France
et l'Algérie.
J'ai donc du mal à
comprendre comment et pourquoi la position de mon pays peut être
mise en doute, mise en cause, même. Les hasards du calendrier
existent. Vous reconnaîtrez avec moi qu'ils ont peu de
signification au regard des grands principes d'une politique,
maintes fois affirmés et répétés après avoir été mûrement
réfléchis.
C'est en raison des
interrogations que suscitent les indications trop nombreuses d'une
diminution de la confiance existant entre nos pays que j'ai cru bon
de m'adresser ainsi à vous, de manière toute personnelle, et dans
l'attente de conversations que nous ne manquerons pas d'avoir dans
un proche avenir. »
Chadli reçoit cette lettre sans un mot, visage
fermé.
De retour à l'ambassade de France, Claude
Cheysson reçoit copie du télégramme de Tripoli, avec la réponse de
Kadhafi. Il décide de se rendre lui-même à Tripoli dès demain, sans
demander l'autorisation à personne, puisque Kadhafi l'invite.
Jusqu'ici, il disait au Président qu'il ne fallait surtout pas
bouger avant la réunion de l'OUA à Brazzaville...
Samedi 15 septembre
1984
Cheysson est donc à Tripoli. Lorsque le
Président l'apprend, il n'en croit pas ses oreilles.
A Cheysson, Kadhafi confirme qu'il accepte le
retrait de ses troupes, surveillé par des observateurs béninois, et
propose une rencontre en Grèce avec le Président, avant le début du
retrait. Le Dr Triki est au Bénin pour obtenir que les Béninois
garantissent l'évacuation des troupes. Kérékou, le Président
béninois étant absent de Cotonou, Triki rencontre son
vice-président, qui donnera la réponse de Kérékou ce soir. Elle est
positive. Cheysson prend contact, de Tripoli, avec Hissène Habré,
et propose que les Béninois soient les observateurs. Il téléphone à
Papandréou, tout à fait d'accord pour organiser cette
entrevue.
Il faut prendre la décision d'extrader les
Basques. Badinter et Joxe sont contre. Dumas, pour. Fabius hésite.
François Mitterrand, comme souvent, garde un silence de sphinx. Son
choix est fait depuis le 20 décembre 1983, jour où il s'est engagé
auprès de Felipe Gonzalez, qu'il recevait à dîner, sur le principe
de cette extradition.
Les trois Basques accusés d'assassinats sont
expulsés.
Dimanche 16 septembre
1984
Cheysson est revenu à Paris pour informer
François Mitterrand, rue de Bièvre, de ce que lui a dit Kadhafi. Il
suggère qu'un de ses collaborateurs se mette en rapport avec ceux
de Papandréou pour définir le prétexte du voyage, la date de la
rencontre et les modalités pratiques du rendez-vous avec Kadhafi,
qui suivra. François Mitterrand n'est pas d'accord : il veut un
retrait libyen avant la rencontre, non
après ! Cheysson repart pour Tripoli et revoit Kadhafi sur la
plage, sous une tente. Ils s'entendent sur l'« évacuation totale et simultanée du Tchad des forces
françaises et des éléments d'appui libyens du GUNT ainsi que de la
totalité de leurs armements et de leurs équipements respectifs
». Le retrait doit commencer le 23 septembre et s'achever le
9 novembre.
Pour la rencontre entre François Mitterrand et
Kadhafi, Cheysson avance la date du 2 novembre. Encore trop tôt !
Le Président n'en veut pas. Il envoie Hernu à N'Djamena pour
rassurer Hissène Habré.
Lundi 17 septembre
1984
L'accord franco-libyen est rendu public. Hissène
Habré est furieux. Chadli aussi : « C'est la
seconde fois en un mois que la France décide quelque chose sans
nous prévenir. Après le Maroc, le Tchad ! » Il ne peut
croire que Cheysson n'en savait rien lorsqu'il se trouvait à Alger
il y a trois jours.
Déjeuner à l'Élysée, devenu rituel, avec divers
observateurs et économistes : Alain Minc, Anton Brender, Michel
Aglietta, Michel Albert, Alain Lipietz, Jacques Julliard. Le franc
se stabilise.
Brian Mulroney devient Premier ministre du
Canada. L'homme se révélera remarquable, amical, ouvert et d'une
grande rigueur. Sa vision est européenne. Cet Irlandais québécois
saura apaiser — sans l'humilier — le rêve francophone.
Un journaliste d'Antenne 2, Jacques Abouchar, est arrêté en
Afghanistan.
Devant le Comité central du PCF, Georges
Marchais enterre l'Union de la Gauche.
Mardi 18 septembre
1984
François Mitterrand confirme : « Il est triste d'extrader, mais c'est le respect du droit
et de la jeune démocratie espagnole. »
Mercredi 19 septembre
1984
Le retrait libyen du Tchad va commencer. La
France fera de même. Au Conseil des ministres, François Mitterrand
explique : « A court terme, Hissène Habré ne
peut qu'être mécontent, mais il se fera une raison. Cet accord
prouve que son pouvoir est désormais bien assis. Nous ne le
laisserons pas tomber, et il disposera de nouveaux crédits au titre
de la Coopération. Et puis, la conférence de réconciliation
nationale qui doit bientôt s'ouvrir devrait permettre de régler les
problèmes entre les seuls Tchadiens. J'applique intégralement
l'accord de 1976, et c'est aussi ce que je ferais s'il n'y en avait
pas. »
Jeudi 20 septembre
1984
En Nouvelle-Calédonie, création d'un Front de
libération nationale kanak et socialiste (FLNKS), mené par Éloi
Machoro et Jean-Marie Tjibaou, qui appellent à « la lutte de libération nationale » en vue d'obtenir l'indépendance et
annoncent la formation d'un « gouvernement
provisoire de Kanaky » présidé par Tjibaou.
Ils veulent faire obstacle au scrutin du 18
novembre pour les élections à l'Assemblée territoriale. Ils
souhaitent que la composition des listes électorales soit révisée
de manière à donner la majorité à la population mélanésienne.
L'accord secret est confirmé avec les Allemands
: ils appuieront le choix de Strasbourg pour l'installation de
l'accélérateur européen et, en échange, la France soutiendra la
candidature d'une ville allemande pour la construction d'une
soufflerie cryogénique européenne.
François Mitterrand écrit à Hissène Habré et lui
explique le retrait des forces françaises du Tchad.
Robert Badinter adresse au Président une lettre
manuscrite :
« L'extradition sera
ressentie très durement à gauche. Nous aurons beau expliquer,
montrer la gravité des crimes et les garanties indiscutables
offertes par la justice espagnole ; rien n'y fera, parce que nous
sommes là dans l'irrationnel... La décision que vous allez prendre
est de celles qui comptent beaucoup pour l'idée d'un Président dans
l'Histoire. »
François Mitterrand maintient.
Vendredi 21 septembre
1984
Après ma visite à Washington, Ronald Reagan
écrit à François Mitterrand ; il refuse l'augmentation des DTS
:
« Les États-Unis partagent
vos préoccupations en ce qui concerne les difficultés économiques
auxquelles de nombreux pays moins développés ont dû récemment faire
face. Nous sommes également d'accord avec le fait que ces pays qui
appliquent des programmes d'ajustement économique difficiles
méritent que nous les aidions. Toutefois, nous ne pensons pas
qu'une attribution de DTS constituerait un moyen approprié ou
efficace pour apporter un soutien à ces pays ou les aider à faire
face à leurs difficultés économiques...
... Nous faisons
actuellement de grands progrès pour trouver une solution au
problème de la dette en combinant une reprise économique forte dans
de nombreux pays industrialisés, un ajustement économique efficace
de la part des débiteurs et un financement officiel et privé
approprié. Je suis persuadé que l'approche que nous avons adoptée,
et qui a été approuvée au Sommet de Londres, nous permettra de
réussir. Vous pouvez être assuré que les États-Unis continueront à
travailler étroitement avec la France dans la poursuite de cet
effort. »
Le sujet est enterré. Encore une fois,
l'Administration Reagan a fait de son mieux pour freiner le
développement des institutions internationales.
Samedi 22 septembre
1984
A l'initiative du Chancelier, François
Mitterrand et Helmut Kohl se retrouvent pour la huitième fois de
l'année. Cette fois, devant un catafalque recouvert des deux
drapeaux, dans l'Ossuaire de la Grande Guerre, à Verdun. François
Mitterrand, sans que cela ait été prévu, prend alors la main de
Kohl. L'image résumera, mieux que toute autre, l'effort d'une
décennie. Nul besoin de conseillers en communication quand un vrai
message est à transmettre.
François Mitterrand confirme sa décision, contre
l'avis de Fabius et de Badinter : on extrade les trois Basques vers
l'Espagne.
Le Président souhaite que Jean-Claude Héberlé
prenne la présidence d'Antenne 2 lors
du départ à la retraite de Pierre Desgraupes. Michèle Cotta, qui
préside la Haute Autorité, n'est pas enthousiaste.
Dimanche 23 septembre
1984
Giscard est élu au premier tour d'une élection
législative partielle dans le Puy-de-Dôme : 63,24 % des voix, 34 %
des électeurs inscrits.
Le décret d'extradition des trois nationalistes
basques espagnols est signé par Laurent Fabius et Robert Badinter.
Mais la mise à exécution ne sera faite qu'après examen des cas par
le Conseil d'État (dans un délai de trois à quatre jours).
Roland Dumas, ministre des Affaires étrangères
et porte-parole du gouvernement, déclare à RTL : « Les faits reprochés sont extrêmement graves : trois des
extradés ont du sang sur les mains. Le gouvernement espagnol a
donné des garanties : remise directe aux juges, libre choix d'un
défenseur, observateurs étrangers au procès. Toutes les voies de
recours ont été utilisées. Naguère, les socialistes avaient dénoncé
des extraditions faites en fraude de la loi, parfois
expéditives. »
Mardi 25 septembre
1984
Au petit déjeuner, François Mitterrand :
« Les Basques n'ont pas le statut de réfugiés
politiques. Ils n'ont pas demandé l'asile politique. S'ils
l'avaient demandé, ils l'auraient obtenu, mais en échange de leur
silence. Leurs actes criminels ont été accomplis à partir de la
France. La France ne peut être une base de déploiement pour le
terrorisme. Celui-ci a une logique impitoyable. On ne peut faire de
compromis avec lui. Un jour, il se venge. En 1981, par l'ambassade
de France à La Haye, puis par Gaston Defferre, Carlos m'a fait
demander de libérer Kraupf et Bréguet ; sinon, il faisait sauter un
train. J'ai refusé. Le train a sauté dans la gare Saint-Charles.
C'est la règle. »
Au Tchad, le retrait simultané des troupes
libyennes et françaises semble bien se passer. Hissène Habré répond
à François Mitterrand : il accepte ce retrait.
Hussein et Moubarak nous préviennent que les
relations diplomatiques égypto-jordaniennes, rompues après Camp
David, vont être rétablies.
Pour tenir la promesse faite lors de notre dîner
à Washington, Bud McFarlane m'envoie une longue note dressant le
bilan de tout ce que les services secrets américains savent (ou
veulent nous faire savoir) sur le rôle du Nicaragua comme
plate-forme de subversion en Amérique centrale. J'en tire la
conclusion qu'il n'y a là aucune preuve ni aucun indice d'une
présence soviétique, contrairement à ce que McFarlane me déclarait
à ce dîner. Il reconnaît que « la résistance
antisandiniste, au nord comme au sud, constitue le seul espoir
d'amener à une conduite raisonnable ceux qui dirigent à
Managua », aveu explicite du soutien apporté par Washington
à cette résistance. Il m'écrit :
«... Nous sommes
particulièrement préoccupés par des rapports concernant une
livraison par bateau d'équipements libyens au Nicaragua et à
différents groupes de rebelles latino-américains. Selon une source
sérieuse, la guérilla salvadorienne doit recevoir plus de 800
fusils, 10 000 grenades et plus de 130 000 boîtes de munitions qui
seront débarqués au Nicaragua, en transit vers d'autres
groupes.
Nous estimons pour le moment
qu'environ trois quarts des besoins de la guérilla salvadorienne
sont couverts par des fournitures extérieures et qu'un tiers ou
plus de leurs besoins en armes de poing réussit à leur
parvenir.
La quasi-totalité de leurs
livraisons transite par le Nicaragua. Tous les rapports des
services secrets le confirment. Quatre des cinq groupes de la
guérilla salvadorienne ont leur siège central au Nicaragua, en
particulier les deux plus importants : l'ERP et le
FPL.
Le soutien à la subversion
en Amérique centrale continue d'être géré à un haut niveau au sein
de la direction nicaraguayenne...
... Le soutien nicaraguayen
à l'effort des rebelles salvadoriens est si visible que les
officiels nicaraguayens, dans des conversations privées, ne cachent
plus l'engagement direct de Managua, même s'ils essaient d'en
minimiser l'ampleur...
Les Nicaraguayens continuent
de soutenir les rebelles marxistes au Honduras et au Costa Rica,
bien qu'à des niveaux inférieurs à ce qu'ils font pour le
Salvador...
Vous êtes déjà au courant de
nos préoccupations concernant les discussions en cours entre le
Nicaragua et le Costa Rica. Tout ce que vous pourrez faire pour que
cette négociation ne se termine pas par un accord au seul bénéfice
du Nicaragua servira aussi nos intérêts. Nous sommes convaincus que
les sandinistes manœuvrent pour éliminer la résistance armée qui
constitue une menace pour leur pouvoir dans la région.
Si, au terme de cette
discussion, un accord aboutit à la création d'une force
internationale sur la frontière, cela ne pourra qu'affaiblir la
résistance sans la pression de laquelle, au nord comme au sud, nous
n'avons que peu d'espoir d'amener à une conduite raisonnable ceux
qui gouvernent à Managua. »
Je réponds à Bud McFarlane :
« Je suis très sensible au
souci que vous avez eu de m'informer... Puis-je vous rappeler que
ma perplexité, lors de notre dîner à Washington, portait
principalement sur la présence et le rôle des Soviétiques ou des
Cubains au Nicaragua ? Or, sur ce point, je n'ai pas le sentiment
que les informations que vous me communiquez apportent des éléments
particuliers. »
Mercredi 26 septembre
1984
Signature de l'accord Chine/Grande-Bretagne sur
le retour de Hong Kong à la Chine en 1997.
Au Conseil des ministres, création des TUC,
emplois d'utilité collective à temps partiel, dont l'idée vient de
Suède. Remède quelque peu magique, censé mettre au travail des
centaines de milliers de jeunes. On en espère la résorption du
chômage.
Propos du Président en Conseil : « Dans l'affaire des Basques, on se trouve en présence d'une
ignorance crasse. Il ne s'agit pas d'un problème d'asile politique.
Il n'y a pas eu de demande d'asile. Il y a un certain nombre de
gens armés qui ont pénétré en France. Le gouvernement précédent
avait refusé la qualité de réfugié politique. L'asile politique,
ils ne l'ont demandé qu'au cours des dernières
semaines.
L'asile politique est un
contrat. Ce contrat comporte normalement l'obligation de cesser des
activités politiques. Certes, nous savons bien que cet arrêt n'est
jamais total. Il y a des rencontres, des conversations, des coups
de téléphone, des papiers, des tracts. Nous ne chassons pas les
étrangers qui se livrent à ces activités. Mais nous ne tolérons pas
une action violente en direction du pays dont ils viennent. Ce
n'est pas la première fois, d'ailleurs, que l'on renvoie des
étrangers qui se trouvent dans ce cas. On en a renvoyé déjà
beaucoup. C'est la moindre des choses.
Le problème tel qu'il est
posé dans certains organes de presse est horriblement mal posé. Les
Espagnols en question sont à quelques kilomètres de la frontière.
Le passage est facile. Ils peuvent en une demi-heure aller en
Espagne et revenir, et se réunir ensuite dans un café de la région
pour préparer leur prochain coup.
Il est vrai que Croissant a
été défendu par la gauche. Mais il n'a été défendu que parce qu'il
prétendait n'avoir pas participé à un crime de sang. Il était dans
la situation de ceux que nous expulsons aujourd'hui. Non pas dans
la situation de ceux que nous extradons. Je suis déterminé à ne
rien accepter dans ce domaine. Aucun terroriste ne trouvera le
moindre accès sur le territoire français.
Bien entendu, ce n'est pas
le cas des Chiliens, compte tenu de la nature du régime qui existe
au Chili. Mais quiconque a la possibilité d'agir dans son pays doit
s'abstenir de venir le faire chez nous. Nous ne sommes pas juges de
la démocratie des autres.
L'émotion qui existe dans
certains milieux repose sur des ambiguïtés ou sur une faiblesse
auxquelles je ne peux m'associer. Je dirai cela au Pays Basque dans
dix jours. Chacun doit prendre ses risques. Je manifesterai ma
solidarité avec ceux qui se battent pour la démocratie et mon refus
du mensonge.
Ce n'est un secret pour
personne que de dire que le garde des Sceaux n'était pas chaud pour
ces mesures. Mais il a pris connaissance des dossiers. C'est parce
qu'il a pris connaissance de ces dossiers qu'il est encore là.
Quand on tue quelqu'un en déposant à côté de lui des lunettes
piégées qui risquent de tuer à son tour celui — peut-être un proche
— qui tentera de lui porter secours, on commet un acte qui n'est
pas justifiable.
Je prends la pleine
responsabilité de la décision prise. Certes, il est vrai que ceux
qui ont été frappés sont des opposants politiques. Mais nous ne
pouvons admettre les méthodes qu'ils ont utilisées. Nous ne pouvons
accueillir en France toutes les fractions en lutte armée contre
leur souveraineté nationale.
M. le Premier ministre, je
vous demande de pratiquer l'intransigeance. On ne gagne une guerre
que s'il y a un général en chef. Ensuite, certes, il faut qu'il
rentre dans le rang. Mais pendant le bref instant où il l'est, il
doit véritablement exercer ses responsabilités. Ce qui est vrai
pour l'emploi est vrai en toute matière. »
Après le Conseil, on agite, au déjeuner
réunissant le Président et quelques amis, des idées nouvelles :
création de chaînes de télévision privées ; allocation du parent au
foyer ; créer une « prémajorité » à 16 ans pour le permis de
conduire, le permis moto, la gestion des associations ; porter à 18
ans l'obligation scolaire ; étendre jusqu'à 24 ans l'obligation de
formation ou de TUC, et rendre obligatoire leur acceptation par les
jeunes chômeurs.
Le Conseil d'État rejette le recours des trois
séparatistes basques.
Le Togo accepte de recevoir d'autres Espagnols,
ceux-là expulsés. Le Président a eu un contact personnel avec le
général Eyadema.
Avant de recevoir le ministre des Affaires
étrangères soviétique, Andreï Gromyko, Ronald Reagan adresse aux
dirigeants européens une de ces circulaires exaspérantes dont il
nous gratifie régulièrement. Pourtant, le texte envoyé à François
Mitterrand est un peu plus « personnalisé ». Bud McFarlane est
manifestement passé par là :
« Par nos fréquentes
discussions, je connais bien l'intérêt que vous portez aux
relations Est/Ouest. J'ai également en mémoire les efforts que vous
avez déployés pour me tenir informé de votre voyage à Moscou, et
j'aimerais vous mettre au courant de ce que nous pensons, avant ma
rencontre avec le ministre des Affaires étrangères, M.
Gromyko.
Lors de la rencontre de
vendredi, mon but sera de faire comprendre au gouvernement
soviétique que je désire sincèrement amener nos relations sur une
voie plus positive et que je m'engage en particulier à négocier des
accords pour réduire les niveaux d'armement d'une façon juste,
équilibrée et contrôlable. Je ferai clairement comprendre que nos
propositions de contrôle des armements sont souples et que, dans
les négociations, je suis totalement disposé à prendre en compte
les légitimes inquiétudes des Soviétiques en matière de sécurité.
Je suis cependant persuadé qu'il ne serait pas prudent de prendre
l'initiative de faire des concessions, et me garderai d'en
faire.
Je sens impérieusement que
nous avons besoin d'un meilleur fonctionnement des consultations
avec le gouvernement soviétique à la fois sur le contrôle des
armements et sur les questions régionales, et je ferai quelques
suggestions concrètes pour instituer des réunions régulières à un
haut niveau. Mon objectif serait d'engager les Soviétiques dans un
vaste dialogue qui convergerait sur l'interconnexion des systèmes
offensif et défensif et tendrait à trouver des moyens de réduire le
niveau d'armement de façon substantielle et de restreindre les
développements technologiques déstabilisants. En ce qui concerne
les questions régionales, mon but est de réduire les potentialités
d'affrontement direct entre les États-Unis et l'Union
soviétique.
Je vous tiendrai, bien sûr,
pleinement au courant des résultats de cette rencontre et resterai
en contact avec vous, puisque nous projetons diverses consultations
ultérieures qui pourraient en résulter.
Si vous avez quelque
commentaire que ce soit à faire à la démarche que j'entends adopter
avec Gromyko, ou des suggestions spécifiques concernant cette
rencontre, je les apprécierai vivement. »
Au cours d'une de ces promenades dans Paris
qu'il affectionne, François Mitterrand me parle de ses ambitions de
jeunesse : « Pas le pouvoir politique, mais
l'aventure. J'étais, d'une certaine manière, tenté de devenir un
homme de pouvoir, et j'étais aussi tenté de suivre la voie des
écrivains de l'époque. Ces désirs s'entrecroisaient. Je n'étais pas
bavard, mais toujours renfermé. On disait que j'étais distrait,
dans la lune, fermé. J'avais du mal à communiquer. C'était le
portrait que faisaient de moi les autres. Je n'avais pas (et je
n'ai jamais eu) tendance à me confier. Quand les autres relevaient
ce trait de façon ironique, cela me blessait. La jeunesse est une
force, et je sentais que rien ne pouvait résister à une volonté. Je
m'étais fait à cette philosophie-là... »
Après décision du Conseil d'État, trois sur sept
des Basques espagnols revendiqués par Madrid sont remis aux
autorités espagnoles. Pour le Conseil d'État, les crimes reprochés
aux séparatistes basques sont ceux d'assassinats, même s'ils ont
été commis par un groupe armé (ce qui induit la dimension politique
du crime). Un crime « grave » ne peut
être considéré comme un crime politique. Le statut de réfugié
politique ne peut être accordé à qui a commis auparavant un «
crime grave de droit commun ». La
France ne pouvait tolérer qu'une partie de son territoire devînt le
refuge de terroristes recherchant l'effondrement d'un régime
qu'elle soutient au nom de la solidarité des démocraties.
Jeudi 27 septembre
1984
Hissène Habré, en rage d'avoir dû accepter
l'accord franco-libyen, ameute l'Afrique. Pour le calmer, François
Mitterrand convoque pour le 5 octobre un mini-sommet
franco-africain à Paris.
Jean-Pierre Chevènement présente les grands axes
de sa politique universitaire devant la conférence des présidents
d'universités.
Après sa visite au Maroc, le Président autorise
la société Dassault à ouvrir des conversations avec les Marocains
pour la vente de 24 Mirage 2000. Le Maroc n'a plus aucune capacité
de paiement extérieur ; sa dette extérieure est égale à 100 % de
son produit intérieur. Sur les trois dernières années, le manque à
gagner avec le Maroc, pour notre balance des paiements, se monte à
plus de 8 milliards de francs, auxquels s'ajoute chaque année un
milliard et demi de francs de nouveaux crédits sur protocole.
Nous faisons aussi savoir aux Algériens que,
s'ils sont intéressés par cet avion, nous accepterions d'en parler
avec eux.
Vendredi 28 septembre
1984
Les journées parlementaires de l'UDF s'achèvent,
celles du RPR commencent. Les uns comme les autres ne parlent déjà
que de la future « cohabitation ». Comme le pouvoir leur manque, et
comme ils le dissimulent mal !
Lundi 1er octobre 1984
Les troupes libyennes semblent ralentir leur
retrait. François Mitterrand s'en inquiète : mais qu'a donc négocié
Cheysson avec Kadhafi ? Y a-t-il vraiment retrait ? Il demande à
Roland Dumas de prendre l'affaire en main et de préparer avec le
conseiller diplomatique de Papandréou, Makeritsas, un week-end en
Grèce, autour du 1er novembre. Au cas où
le retrait serait achevé, Kadhafi y serait convié.
Mardi 2 octobre
1984
La Haute Autorité nomme Jean-Claude Héberlé
président d'Antenne 2. Michèle Cotta
fait savoir qu'elle s'est abstenue. Sans démissionner : les
habitudes des politiques ont vite fait de s'apprendre.
Crise chez Renault. Bernard Hanon annonce la
nécessité de 10 000 licenciements. Le vrai coupable est Bernard
Vernier-Pallez, l'ancien président, qui a mal choisi les modèles
aujourd'hui sur le marché. Edith Cresson veut la tête de Hanon.
Fabius hésite.
Mercredi 3 octobre
1984
Au retour d'une tournée en Nouvelle-Calédonie,
Georges Lemoine fait en Conseil des ministres un exposé très sombre
sur la situation :
« La situation actuelle
comporte des points positifs - les positions de l'Église
protestante et des chefs coutumiers — et des handicaps — la frange
dure, représentée par le FNLKS. Nous savons que certains de ses
leaders sont allés en Libye, qu'ils y ont reçu de l'argent, que 18
jeunes Kanaks sont partis pour quatre semaines dans ce pays. Pour
la France, quoi qu'il arrive, ilfaut permettre une évolution vers
plus de justice. »
Il cite l'exemple du lycée La Pérouse de Nouméa
où, « sur 1 350 élèves, il y a seulement 100
Kanaks et, sur 102 professeurs, 2 Kanaks. Dans l'administration, 10
Kanaks au total occupent des postes importants. Il n'y a qu'un seul
officier kanak, qu'un seul médecin kanak et qu'un seul juge kanak
dans tout l'archipel. »
François Mitterrand l'interrompt : «
Qu'a-t-on fait depuis 1981 pour commencer de
mettre un terme à cette situation intolérable qui constitue une
offense à tout ce que représente la France ? Il faut agir tout de
suite. Si j'étais kanak, j'irais moi aussi en Libye. Il faut en
finir tout de suite ! Prendre des mesures dans les jours qui
viennent, car le statut ne signifie rien si l'on ne peut modifier
ce rapport de forces. Les deux populations s'équivalent presque
numériquement, et une telle disproportion est inadmissible ! Quel
espoir ont les populations locales pour l'avenir de leurs enfants ?
Les bonnes âmes s'interrogent sur les raisons de leur
intransigeance ? Eh bien, on les comprend aisément en prenant
connaissance de vos chiffres ! »
Si la France avait, à population égale, le même
déficit que les États-Unis, notre déficit budgétaire serait de 375
milliards de francs (au lieu de 140), et notre solde commercial
négatif de 230 milliards de francs (au lieu de 30) !
Lettre d'André Labarrère, député-maire de Pau,
au Président : « La décision d'extradition est
très bien vue, de façon générale, dans le département.
»
Jeudi 4 octobre
1984
Le retrait des Libyens est de plus en plus lent.
Inquiétant. Et le mini-sommet sur le Tchad a lieu demain à l'Élysée
!
Vendredi 5 octobre
1984
A l'Élysée, mini-Sommet franco-africain.
Houphouët-Boigny, Mobutu, Bongo, Hissène Habré s'inquiètent tous de
l'accord avec Kadhafi et de son non-respect.
François Mitterrand :
J'ai accepté des observateurs. Je me fie à la
parole donnée et les armées se retirent, en tout cas la nôtre. Si
vous n'êtes pas contents, envoyez vos propres troupes.
Hissène Habré :
Je connais bien le terrain au Nord, je serais
un bon observateur ! J'accepte des observateurs, mais je ne veux
pas des Béninois comme observateurs !
François Mitterrand :
C'est la loi de la réciprocité. Vous avez vos
observateurs. Ils doivent avoir les leurs. Vous préféreriez que les
observateurs soient libyens ?
Hissène Habré (à la
surprise générale) : On peut y
réfléchir.
François Mitterrand :
L'accord avec les Libyens — y compris le fait que les Béninois soient
observateurs — n'est plus négociable. En Afrique, nous ne faisons
qu'assister nos alliés lorsqu'ils sont menacés par l'étranger. Mais
quand l'armée étrangère s'en va, nous partons. C'est le texte de
nos accords avec le Tchad. Si la Libye manque à l'accord, nous
reviendrons. D'où l'importance des observateurs qui peuvent le
dire.
Hissène Habré :
La Libye ne contournera pas directement
l'accord. Elle le fera indirectement par la Légion islamique et
l'armement qu'elle va laisser. D'où l'importance de ce que vous
nous laisserez comme armement en partant.
Cheysson :
Oui, c'est ça, vous avez déjà arrêté la Libye.
Vous saurez le faire une seconde fois, si nécessaire !
François Mitterrand s'agite sur sa chaise.
Hissène Habré :
Moi, je ne suis pas dupe des Libyens, c'est
vous qui l'êtes. Et je ne suis pas sûr que, par ailleurs, il n'y a
pas d'accord franco-libyen pour un retour ultérieur des
Libyens.
François Mitterrand :
Vous nous parlez en connaissance de cause. Un
jour, vous les avez appelés à venir au Tchad, pas moi
!
Hissène Habré :
Ce n'est pas moi qui les ai appelés ; à ce
moment-là, j'étais dans le maquis.
François Mitterrand :
Non. Pas dans le maquis. Vous étiez en
Libye...
Lourd silence... Puis on parle du lionceau
apprivoisé d'Habré.
Les négociations débutent pour préparer la
réunion de Rome de l'Agence spatiale européenne. Aucun de nos
partenaires ne veut entendre parler de la station spatiale
européenne ; tous sont résignés à se contenter du strapontin offert
dans Colombus par les Américains.
Samedi 6 octobre
1984
Je reçois M. Bedjaoui, juge à la Cour
internationale de Justice de La Haye, ambassadeur d'Algérie en
France pendant neuf ans. Il a rencontré Chadli. Celui-ci éprouve un
sentiment d'insécurité provoqué par la politique d'« encerclement » dont l'Algérie se dit victime. Il
interprète l'accord d'Oujda entre le Maroc et la Libye comme
essentiellement dirigé contre l'Algérie. Il en éprouve une grande
inquiétude et s'interroge sur la teneur des conversations d'Ifrane.
« Il croit savoir qu'il a été question du
Sahara occidental, et demande quelles sont les intentions de la
France à ce sujet. » Le Roi du Maroc a-t-il l'idée
d'entreprendre une action quelconque contre la Mauritanie ? La
France soutiendra-t-elle le Maroc dans cette éventualité ?
Les Algériens font aussi un lien entre l'accord
d'Oujda, la visite à Ifrane et le départ des Libyens du Tchad. Ils
voient dans ces trois événements une modification de la politique
française en Afrique du Nord. Le retrait des troupes françaises du
Tchad mérite d'être expliqué. Ils auraient souhaité être tenus au
courant — comme d'autres, disent-ils — des négociations. Ils
imaginent que le gouvernement libyen profitera de ce qu'il n'est
plus empêtré au Tchad pour chercher querelle aux Algériens sur
leurs frontières. Aussi Chadli envisage-t-il de prendre des
initiatives au Tchad. S'agira-t-il d'une action diplomatique ?
D'une initiative militaire ? La question est restée ouverte.
Sa suggestion est que Cheysson se rende à Alger
avant la visite du Président, le 19 octobre, « pour prendre langue avec les dirigeants algériens et
contribuer ainsi à assainir l'atmosphère avant votre séjour en
Algérie ».
Dimanche 7 octobre
1984
Barre déclare que la cohabitation serait une
« trahison du principe de la
Ve
République ». A l'inverse, pour Chirac,
le refus de la cohabitation pourrait conduire à une « crise de régime ».
Lundi 8 octobre
1984
François Mitterrand est d'une humeur
massacrante, très critique à l'égard « des
gens qui sont chargés de mettre en œuvre ses décisions ». Il
pense au Tchad, mais cite aussi la difficulté qu'il a à imposer le
relogement de soixante-dix familles qui végètent encore dans les
cités de transit, malgré les ordres qu'il a donnés.
L'accord des Dix sur la nomination de Jacques
Delors à la présidence de la Commission à Bruxelles est réalisé. Il
faudra l'officialiser à Dublin.
Le projet de Jean-Pierre Chevènement sur l'école
privée est voté par l'Assemblée. L'année prochaine, l'ensemble des
crédits destinés à l'école publique augmentera de 6,4 %, contre 8,1
% pour le privé.
Richard Burt, directeur politique au State
Department, rend compte à ses collègues directeurs politiques des
Trois (France, RFA, Grande-Bretagne) de la visite d'Andreï Gromyko
à Washington, vendredi dernier : « M. Gromyko
a mis l'accent sur l'Allemagne et le Japon d'une manière qui
manifestait une certaine sénilité : il ne parvient apparemment plus
à assimiler correctement des concepts nouveaux. Ainsi, lorsqu'il
s'est agi de la militarisation de l'espace, ses propos montraient
qu'il la concevait comme l'installation d'armes nucléaires dans
l'espace ! M. Shultz a dû lui répéter que les États-Unis n'avaient
pas l'intention de déployer des armes nucléaires dans l'espace. Par
ailleurs, il est apparu obsédé par la pérennité du règlement de la
Seconde Guerre mondiale, et a cherché des assurances sur ce point.,
Il a accueilli avec une satisfaction visible la garantie donnée par
le secrétaire d'État que les États-Unis n'entendaient pas remettre
en question les accords conclus depuis 1945. M. Gromyko a dit à
plusieurs reprises que c'était très important. Il a également
ressassé les thèmes habituels de la propagande soviétique sur le
revanchisme, le réarmement japonais. Ses idées fixes paraissent
correspondre aux obsessions profondes de cette génération de
dirigeants soviétiques. M. Shultz avait presque le sentiment de lui
parler d'un monde différent de celui qu'il se représentait. Ainsi,
s'agissant de l'Asie, M. Shultz a souligné le dynamisme de ce
continent, son développement technologique, la concurrence qu'il
faisait aux États-Unis, il a cité les regroupements qui s'opéraient
en son sein, notamment avec l'ASEAN, et suggéré que les Soviétiques
devraient s'intéresser à ces aspects des choses. M. Gromyko n'a pas
donné l'impression d'être très sensible à ce genre de
considérations. »
Les Américains se rassurent un peu vite en
mettant au compte de la personnalité de Gromyko et de son âge des
préoccupations qui resteront essentielles pour l'Union soviétique,
même avec des dirigeants plus jeunes.
Mardi 9 octobre
1984
Au petit déjeuner, François Mitterrand critique
le Parti socialiste, « son incapacité à se
manifester. Tout ce que fait le gouvernement tourne en ridicule, en
burlesque, parce que nul ne sait le mettre en valeur. L'incapacité
du Parti à désigner autre chose que ses plus mauvais éléments comme
candidats : le processus de SFIO-isation a recommencé. Il faudrait
presque tout recommencer à partir de clubs, pour que les meilleurs
candidats soient désignés. Il faut maintenant redémarrer une
attaque forte, avec une campagne ferme, jour après jour ; un comité
de cinq personnes doit se réunir tous les jours, sous la direction
du Premier ministre, et une fois par
semaine sous ma direction, pour contrer de façon rapide et incisive
les déclarations de l'opposition ». Louis Mermaz, Pierre
Joxe, Jean Poperen doivent en être. Sur le problème de
l'immigration, qui vient demain en Conseil des ministres, le
Président pense qu'il ne faut pas que le gouvernement s'éloigne de
sa ligne, mais qu'il doit préserver ses valeurs. Il faut prendre
les mesures difficiles sans le dire.
Dans l'après-midi, il reçoit Pierre Bérégovoy
qui lui dit : « Au fond, en 1986, il y aura un
gouvernement de centre droit ou de centre gauche. Si c'est un
gouvernement de centre droit, le PS l'appuiera ; si c'est un
gouvernement de centre gauche, le PS le dirigera. »
Le Président lui répond : « Vous avez tort, c'est exactement le contraire.
»
Le Président reparle de la réforme électorale :
« Peut-être faut-il aussi réfléchir au scrutin
majoritaire à un tour ? »
Mercredi 10 octobre
1984
Conseil des ministres consacré en grande partie
aux immigrés. Atmosphère tendue. Les propositions du ministre de
l'Intérieur sont inacceptables pour un gouvernement de gauche :
interdire aux « nouveaux immigrés » de
faire venir en France leur famille, expulser des jeunes immigrés
(nés Français, mais ayant jusqu'à leur majorité la double
nationalité) coupables de délits... Le Président est indigné.
Badinter : « Où va-t-on ? Vers l'intégration
pure et simple des immigrés légaux, ou
leur départ forcé après quelques années de travail en France
? »
Par ailleurs, Fabius souhaite limiter davantage
encore le système des permissions accordées aux prisonniers.
Badinter est contre. Le Président : « Il faut
chercher un accord entre le droit et la morale. Notre trésor, ce
sont les valeurs pour lesquelles nous avons toujours lutté. Il ne
peut être question d'y renoncer, même si elles sont combattues par
une partie de l'opinion. Il convient de les maintenir et de les
faire comprendre. »
Charles Hernu annonce qu'il doit se rendre dans
dix jours à Mururoa, à l'occasion d'une nouvelle série de tirs
nucléaires souterrains. Il doit être accompagné de Claude Cheysson
et de Georges Lemoine, secrétaire d'État aux Dom-Tom. François
Mitterrand interdit à Cheysson et à Lemoine d'y aller à l'heure où
l'Australie et la Nouvelle-Zélande critiquent les essais nucléaires
de la France dans le Pacifique.
Jeudi 11 octobre
1984
Vu Félix Rohatyn, associé de Lazard-New York, et
Raymond Lévy, président d'Usinor. On parle de la dette du Tiers
Monde, de celle de Renault et du rapprochement
Usinor/Sacilor.
Vendredi 12 octobre
1984
Louis Mermaz a eu gain de cause. Le synchrotron
ne sera pas implanté à Strasbourg, mais à Grenoble. Quand on
l'apprendra, cela fera du bruit.
Attentat de l'IRA contre un hôtel de Brighton où
se tient le congrès du Parti conservateur. Le Premier ministre
britannique était visé. Quatre morts.
François Mitterrand est à Bayonne, puis à
Saint-Jean-de-Luz. Il s'affiche à la terrasse d'un café et se
promène à pied dans la vieille ville pour narguer les
terroristes.
Il répète : « Le droit
d'asile est un contrat. Dès 1979, les Basques espagnols n'étaient
plus considérés comme réfugiés politiques. » Il justifie
l'extradition : « Le droit d'asile est un
contrat. Il n'y avait pas de pacte entre nous et les Basques
espagnols ; le crime ne peut avoir la France pour complice.
»
Mardi 16 octobre
1984
Le Prix Nobel de la paix est décerné à l'évêque
sud-africain Desmond Tutu.
Mercredi 17 octobre
1984
Laurent Fabius inaugure sur TF1 l'émission «
Parlons France ». C'est Jean Lanzi, directeur de l'information, qui
l'interroge. La rédaction proteste. La Haute Autorité décide
d'accorder des droits de réponse aux autres formations
politiques.
François Mitterrand : « Le
libéralisme, ce n'est qu'un alignement de mots. La réalité a
toujours été différente ; le discours libéral, c'est le discours du
maître. »
Deux des trois personnes dont on a obtenu de
Moscou qu'il leur soit délivré un visa de sortie sont en instance
de départ. La troisième a un problème : elle souhaite partir avec
la totalité des archives personnelles de Boris Pasternak, dont elle
était la maîtresse, archives qui sont sa propriété privée, ce que
contestent les autorités soviétiques.
Le Grand Rabbin de France invite le Président à
déjeuner chez lui mercredi prochain. Le Président accepte. C'est la
première fois en deux siècles qu'un chef d'État français se rend à
l'invitation à déjeuner d'un Grand Rabbin de France. Celui-ci
aimerait beaucoup que ce déjeuner ne soit pas considéré comme
confidentiel, même s'il doit conserver un caractère privé.
Jeudi 18 octobre
1984
Le Premier ministre écrit au ministre de la
Recherche pour lui annoncer que le synchrotron franco-allemand, qui
devait être installé en Alsace, le sera en définitive à Grenoble.
Louis Mermaz l'annonce dans l'après-midi. Les Alsaciens sont
furieux. Fabius fait étudier par Hubert Curien un ensemble de
mesures de compensation que le Président pourrait annoncer au cours
de son prochain voyage en Alsace, qui s'annonce mal.
Bérégovoy apprend que le gouvernement, sur ordre
de Fabius, soutiendra l'amendement communiste modifiant le régime
fiscal de l'emprunt Giscard. Il est contre.
Vendredi 19 octobre
1984
Partant pour l'Afrique, François Mitterrand
rencontre Chadli à Alger. L'entrevue est chaleureuse. Longue
promenade à pied des deux hommes dans la résidence de Chadli.
L'Assemblée vote l'amendement supprimant les
avantages fiscaux liés à l'« emprunt Giscard » de 1973. Barre,
Giscard et Chirac s'indignent, dans un communiqué commun, et
annoncent qu'à leur retour au pouvoir, ils rétabliront
l'exonération fiscale de cet emprunt.
En Pologne, le confesseur de Walesa, le père
Jerzy Popieluszko, est assassiné. Les dirigeants polonais ne
pouvaient supporter que soient décrites chaque dimanche les choses
« dans leur vérité
» : corruption, police politique, refus réel de tout
dialogue avec les forces sociales. Les propos du père Popieluszko
étaient enregistrés et se répandaient très largement. Le prêtre
était directement encouragé par le Pape à persévérer. Les
dirigeants polonais n'ont sans doute pas voulu le tuer, mais, au
minimum, le terroriser et le faire taire. Deux exécutants médiocres
ont appliqué ces instructions. Bavure ? C'est en tout cas le point
de vue de notre ambassadeur à Varsovie, Jean-Bernard Raimond.
Samedi 20 octobre
1984
A Kaboul, Jacques Abouchar est condamné à
dix-huit ans de prison.
Dimanche 21 octobre
1984
Mort de François Truffaut. La jeunesse de son
regard laisse comme une amertume.
Lundi 22 octobre
1984
George Shultz écrit à Claude Cheysson pour
protester contre des crédits accordés à l'URSS par la France.
Éternelle rengaine...
Mardi 23 octobre
1984
Visite d'État en Angleterre. Nous logeons à
Buckingham. Déjeuner avec Margaret Thatcher.
Mme Thatcher : « Sur
l'élargissement, quel accord aura-t-on à Dublin ? Le Portugal sans
l'Espagne, c'est difficile. Peut-on s'arranger avec l'Espagne, qui
va faire un gros chantage, comme l'Italie, sur le vin ? Sur
l'Europe à venir, les deux comités ont des idées tout à fait
absurdes. Cela affaiblirait l'Europe. L'Assemblée européenne ne
peut avoir de pouvoir de décision. Il faut mettre par écrit que
l'intérêt national est un obstacle au vote majoritaire. Sur
l'Est/Ouest, je suis inquiète de voir Reagan se laisser entraîner à
faire des concessions aux Soviétiques... » Elle insiste
beaucoup pour être soutenue à l'ONU sur les Malouines. Elle demande
qu'on laisse entrer plus facilement sur le continent les citoyens
britanniques dépourvus de carte d'identité, «
pour se plier à leurs coutumes » ; le Président lui répond
qu'il en est d'accord.
Un peu plus tard, de retour à Buckingham,
j'admire les quinze sortes de cakes servis à 17 heures précises
avec le thé.
François Mitterrand apprend que la police
anglaise a trouvé des pains de plastic apportés par les policiers
français pour « tester » les chiens antimines anglais. Énorme
incident. Celui-ci le fait revenir sur son point de vue : « Il
n'y a pas de raisons que nos fonctionnaires de
police soient obligés de présenter leurs papiers pour se rendre en
Grande-Bretagne et que les touristes britanniques soient, eux,
dispensés de respecter nos traditions... »
Au dîner, Margaret Thatcher
déclare dans son toast : « Je vous
remercie de m'avoir cédé à Fontainebleau, car cela a permis de
débloquer l'Europe. » François Mitterrand lui réplique :
« Je ne voudrais pas polémiquer avec vous sur
le mot "céder". L'essentiel est que vous le croyiez. »
Margaret Thatcher : « C'est un fait
indiscutable. Moi, je suis rationnelle, même en politique. »
François Mitterrand : C'est bien, mais la vie,
elle, ne l'est pas. » Il vaut mieux, ce soir, être de la
délégation française.
Alain Calmat annonce la création d'un Loto
sportif.
François-Xavier Ortoli prendra la présidence de
la CFP. Les espoirs de plusieurs anciens ministres
s'envolent.
Promulgation de la loi sur la presse
écrite.
A Kaboul, l'ambassadeur de France se préoccupe
de l'état de santé de Jacques Abouchar. Sa demande d'un examen
médical et d'une visite hebdomadaire est rejetée. On lui répond
qu'Abouchar « s'est associé avec des ennemis
de l'État afghan. Les contre-révolutionnaires, de leur côté, sont
sans pitié. Il devait savoir qu'il courait des risques, il aurait
pu être tué lui-même. Il y a eu combat : qui va indemniser les
blessés ? S'il est un vrai journaliste, pourquoi ne pas venir
légalement ? Il aurait constaté que le peuple afghan aime ses
dirigeants et son Parti ». En ce qui concerne l'état du prisonnier,
« il est normal que le choc de la sentence l'ait affecté, mais il
est bien soigné et c'est douter de la compétence des médecins des
services de sécurité que de demander dès maintenant une
contre-visite ». L'ambassadeur est pessimiste...
Cheysson décide d'aller de nouveau à Alger, le
1er novembre, pour s'excuser de ne pas
avoir informé les Algériens, la dernière fois, qu'il se rendait à
Tripoli. Le 1er novembre : la date est
mal choisie, mais il est trop tard pour reculer.
Mercredi 24 octobre
1984
Déjeuner du Président chez René Sirat. La
conversation tourne autour de la fête de Soucoth. François
Mitterrand étonne ses hôtes par ses connaissances :
« La Bible, telle qu'on la
connaît, est quand même un mélange très complexe où il est
difficile, quand on n'est pas spécialiste, de reconnaître le texte
original et les extrapolations. Est-ce que ceci ou cela a été
rajouté au dernier siècle avant Jésus-Christ, ou bien est-ce que
cela a été rajouté beaucoup plus tard par des docteurs de la Loi
? »
Jeudi 25 octobre
1984
Jacques Abouchar est gracié.
Après l'incident de Londres, et face à
l'agressivité des journaux, le Président dit son ahurissement de
voir une presse qui ne retient jamais que le mauvais côté des
choses. « Cela finira mal pour la démocratie.
C'est insupportable à vivre. J'en ai assez, je remplirai mon
contrat, mais rien de plus. C'est trop dur ! »
Vendredi 26 octobre
1984
Signature d'un protocole d'accord
franco-luxembourgeois sur les satellites de télédiffusion. La
candidature de Jacques Pomonti à la direction de la CLT est très
bien reçue par les Luxembourgeois. Albert Frère n'est pas contre, à
condition que Gaston Thorn prenne la présidence. Le Premier
ministre luxembourgeois ne peut accepter : il a promis le poste à
Werner, son prédécesseur.
Samedi 27 octobre
1984
Devant le Comité central du RPR, Bernard Pons
appelle à l'union de l'opposition que « le pouvoir » menacerait et
jure que le RPR sera « un partenaire
exemplaire ». Et il se dépêche d'ajouter que « l'union n'est ni l'uniformité de pensée, ni l'unité
systématique de candidature ». On avait bien compris.
Dimanche 28 octobre
1984
Moubarak vient déjeuner à l'Élysée. Il nous
prévient que la prochaine réunion de l'OUA sera un échec, à cause
de la position d'Hassan II sur le Sahara. Il est convaincu qu'il
existe une coalition secrète entre les diplomaties de la Syrie et
d'Israël. Son conseiller, El Baz, me dit qu'à son avis, Arafat va
défier les Syriens en tenant le Conseil palestinien à Amman, et que
les Syriens vont laisser faire. Moubarak ajoute qu'il est très fier
de renouer des relations avec les Russes et de ne pas en laisser le
monopole à Assad.
Au Tchad, le bilan est catastrophique : un tiers
seulement des troupes libyennes sont parties. Claude Cheysson n'est
pas du tout inquiet. Il évoque les « difficultés logistiques des Libyens », François
Mitterrand se méfie de plus en plus de Cheysson : « Mais qu'a-t-il donc négocié ? » Il fait savoir à
Kadhafi, par Roland Dumas, que la rencontre prévue pour le
1er novembre est reportée sine die.
Dumas appelle Papandréou qui propose Héraklion
pour une rencontre « dont la date sera fixée
quand tous les Libyens seront partis ». Au même moment,
Cheysson, sans l'autorisation du Président et sans informer Dumas,
contacte Kadhafi et fixe la rencontre des deux Présidents au 15
novembre. Formidable désordre !
Lundi 29 octobre
1984
Le Sommet franco-allemand a lieu à Bad
Kreuznach. Avant la réunion, le conseiller diplomatique, Horst
Teltschik, qui a éliminé tous les autres collaborateurs du
Chancelier, m'apparaît très pessimiste, convaincu que Kohl va
bientôt démissionner pour laisser la place à son ministre des
Finances, Stoltenberg : « L'avenir de
l'Allemagne se jouera, dit-il, sur le point de savoir s'il y aura
accord entre le SPD et les Verts. » Le Président et le
Chancelier parlent d'abord de l'Europe (accélérer l'adhésion de
l'Espagne), de la Turquie (Kohl insiste pour que des liens soient
tissés), de la Pologne (Kohl rappelle qu'il considère que
Jaruzelski « est le moins mauvais possible
»), des pacifistes (il estime qu'« il
s'agit de la même chose que la vague écologiste, et je tiendrai le
coup »). Le reste porte essentiellement sur la coopération
militaire en Europe, rendue encore plus urgente par le retrait
américain dont le Chancelier se dit « certain
à terme ».
François Mitterrand :
Il faut faire ensemble tout ce qui ne vous est
pas interdit, c'est-à-dire l'espace, les armes chimiques, le laser.
Si on ne le fait pas ensemble, il faudra le faire séparément avec
les Etats-Unis, et l'Europe sera perdue. C'est aussi votre intérêt,
car les États-Unis sont très hostiles à la réunification de
l'Allemagne. Vous devez pousser à l'unité dans l'Europe. Je suis
très hostile au projet de la navette spatiale Colombus,
car nous n'avons pas les moyens de participer
à la navette américaine et de faire aussi la navette européenne. Je
suis leur allié sincère, mais je ne veux pas que nous devenions
leur colonie. Il faut donc lancer ensemble des projets européens,
ce qui créera l'irréversible.
Helmut Kohl :
Je suis d'accord avec vous. On ne sait pas qui
sera Président des États-Unis en 1993 et 1997, et celui-là aura
peut-être envie de nous laisser tomber. Ils s'intéressent de plus
en plus au Pacifique et ne connaissent plus l'Europe. Il faut
commencer à deux, entre la France et l'Allemagne. Je suis très
sceptique sur ce qu'on pourra faire à Douze ou même à Six. Je ne
veux en aucun cas ouvrir de discussion en Allemagne sur notre droit
éventuel à disposer de l'arme nucléaire. Mais nous devons
développer toutes les technologies nécessaires pour devenir partie
prenante au dialogue mondial.
De cette conversation résultera la reprise de ce
qu'on pouvait croire enterré : le satellite européen (que les
Français avaient très mal négocié avant, en essayant de vendre aux
Allemands une technologie dépassée) et la coopération militaire
franco-allemande.
Mercredi 31 octobre
1984
Réunion de travail des principaux dirigeants
socialistes sur la campagne à venir, autour de Laurent Fabius. «
Sans faire preuve d'optimisme invétéré,
déclare le Premier ministre, 1986 peut
être gagné. Encore faut-il s'en donner les moyens politiques, et
d'abord idéologiques et programmatiques : nous ne sommes pas assez
fiers de notre bilan. Nous n'expliquons pas les risques, pour la
France, de la mise en œuvre du programme de la droite. Nous ne
donnons pas de projet à long terme. Nous n'avons pas défini les
avancées nouvelles à proposer lors des élections de 1986. Or il
faut, bien avant l'été prochain, que tout cela soit clair pour
l'opinion. Après, il sera trop tard. Il nous faut donc, dans ces
quatre domaines, disposer de documents de fond, de slogans simples
et d'argumentaires quotidiennement mis au point pour les débats
contradictoires. »
Fabius se voit déjà en chef de campagne. A sa
mine, on peut comprendre que Lionel Jospin, premier secrétaire du
PS, ne l'entend pas ainsi.
Assassinat d'Indira Gandhi. Elle savait depuis
toujours que son destin serait tragique. Sans doute est-ce là
l'explication de cette tristesse qui conférait de la grandeur à
toutes ses utopies. La rumeur d'« un coup de
la CIA » circule à New Delhi.
Jeudi 1er novembre 1984
Typique exemple du pouvoir des bureaucrates.
Michel Serres essaie d'obtenir le bénéfice de l'année sabbatique,
réforme imposée il y a un an par le Président à Savary, pour les
professeurs d'université. En vain : les cabinets du ministre et du
secrétaire d'État ont « oublié » de
rédiger les décrets d'application et l'Administration a ainsi
décidé, seule, de reporter à 1986 ou 1987 l'application de cette
mesure !
Averti, Jean-Pierre Chevènement veut maintenant
que tout soit prêt à temps pour que des années sabbatiques puissent
être attribuées dès le second semestre de l'année universitaire.
Mais on doit, selon la loi, consulter tous les présidents
d'universités et de grandes écoles !...
A Alger, après la revue militaire à laquelle
assiste Cheysson, Bourguiba félicite Chadli : « Tout cela, c'est du matériel soviétique ? » — et
comme Chadli acquiesce, il ajoute : « En
somme, vous êtes entre les mains de Moscou ? Ce n'est pas bon. Il
faut diversifier vos armements. » Et Chadli de répondre :
« C'est ce que
nous comptons faire ! — Qu'importe, conclut Bourguiba, c'est bien
que vous ayez cette armée puissante. Elle pourrait nous aider
contre Kadhafi. Tant que je suis là, il ne peut rien, mais
après... »
Aux obsèques de Mme Gandhi, auxquelles assiste
Laurent Fabius, peu de chefs d'État. Rajiv Gandhi paraît à la
plupart presque trop sympathique pour « faire le poids ». Au cas
assez probable où il se maintiendrait, parient les diplomates, il
s'éloignera de l'URSS : l'homme est plus « occidentalisé » que sa
mère, tout en paraissant plus sensible aux inégalités sociales de
son pays.
Dimanche 4 novembre
1984
A 8 heures du matin, début des émissions de
Canal Plus. Il faut 500 000 abonnés
pour que l'affaire s'équilibre. Rousselet y croit. Le Président
aussi. Fabius ricane.
Lundi 5 novembre
1984
François Mitterrand bat tous les records
d'impopularité de tous les présidents de la Ve République. Jacques Pilhan entre en scène.
André Rousselet : « Jespère
que vous n'allez pas faire l'erreur de créer une cinquième
chaîne ! Vous tueriez Canal-Plus. »
Fillioud, Lang et la presse de province sont contre. Fabius est
pour.
Cheysson m'explique qu'il est prêt à remplacer
Pisani à Bruxelles. Il a réduit ses ambitions. Mais il veut le même
portefeuille que Pisani, c'est-à-dire le Développement. Il a vu
aussi Delors et lui en a parlé. Mais celui-ci lui a répondu qu'il
ne voulait pas qu'un pays considère un portefeuille comme sa
propriété, et lui a proposé l'Industrie. Cheysson est furieux :
« Je suis concerné personnellement par le
choix et les attributions des futurs commissaires à Bruxelles. Ceci
peut affecter mon objectivité. L'expérience que j'ai acquise à la
Commission m'oblige cependant à mettre en garde contre la politique
des nationalités proposée par le futur président de la Commission.
Je m'en suis entretenu avec lui. Il ne veut pas en
démordre.
Je sais que le Président
reçoit Jacques Delors mardi en huit. Si tu le crois convenable,
peux-tu lui remettre auparavant ma note ? Sinon, fais état de mes
arguments.
L'affaire est sérieuse pour
nous, et va au-delà du seul portefeuille dont nous avions parlé
ensemble. »
Fabius confirme ce matin la suppression du
prélèvement du 1 % sur les retenus pour la Sécurité sociale. Il
reste mécontent que le sabotage du ministère des Finances ait rendu
impossible la suppression de la taxe professionnelle. Il faudrait
au moins une clause limitant le droit des communes à augmenter cet
impôt.
François Mitterrand approuve.
Mardi 6 novembre
1984
Reagan est réélu Président des États-Unis contre
Mondale. Pas une surprise.
Au petit déjeuner, François Mitterrand : «
Il est très important de faire savoir que 1986
ne doit pas être un moment d'inflexion de la politique économique
et sociale, parce que nos actions sont engagées sur plusieurs
années et doivent se poursuivre. Il faut donc mettre en route
quelques actions simples et claires qui s'étaleront sur trois ans
(1985, 1986 et 1987). »
On atteint les 2,5 millions de chômeurs, dont
près de 900 000 ne sont pas indemnisés. Trois millions de personnes
vivent avec moins de 37 francs par jour.
Je propose au Président de créer un salaire
étudiant de 1000 francs par mois, s'élevant progressivement aux
deux tiers du SMIC. Cela permettrait aussi de régler le problème
des chômeurs de longue durée en leur accordant une rémunération
lorsqu'ils sont en formation. Dans les premières années du siècle a
été admise l'idée que l'homme au travail méritait un salaire
décent, et cela a donné le salaire minimum. Puis, au coeur de la
Grande Crise, on a admis que le fait d'avoir des enfants était une
activité socialement utile, et cela a donné les allocations
familiales. Aujourd'hui, c'est la formation qui devient un travail
socialement utile, et qu'il convient donc de rémunérer. J'y vois
plusieurs raisons : il est absurde de considérer que chaque homme
est formé à 25 ans, alors que les technologies changent tant et si
vite. Il faut que le statut de chômeur de longue durée ne soit plus
un signe d'échec, mais en faire au contraire un moment utile dans
la vie. Les jeunes sont seuls beaucoup plus tôt, en raison de
l'instabilité croissante des familles, et doivent gagner leur vie.
S'ils en avaient les moyens, ils seraient les principaux
consommateurs des biens de consommation de l'avenir (ordinateurs,
biens culturels, médias et autres). En conclusion, je proposerais
que « toute formation mérite salaire
».
Le Président en convient et me demande d'agir,
mais rien n'en sortira : « Trop compliqué », dira Fabius.
De l'Elysée, rien de plus n'est possible, sauf à
discréditer les ministres.
Mercredi 7 novembre
1984
Brigitte Bardot vient voir le Président pour
plaider la cause des animaux. J'ai un choc : l'idole n'est plus
l'idole.
Les observateurs béninois témoignent que les
Libyens se sont entièrement retirés. Que vaut le témoignage ?
Vendredi 9 novembre
1984
Le désordre s'aggrave dans les radios privées.
Depuis que la Haute Autorité a publié, il y a plus de dix-huit
mois, la liste des radios locales privées autorisées à émettre en
région parisienne sur la bande FM, elle ne peut arriver à faire
cesser d'émettre les radios non autorisées, ni obtenir le respect
du cahier des charges de celles qui sont autorisées. Cela constitue
une gêne permanente pour le fonctionnement d'autres services
publics, un danger très grave pour la navigation aérienne, et se
traduit par de multiples plaintes de particuliers qui ne peuvent
recevoir correctement France Musique ou France
Culture. Radio France dépose des plaintes auprès des
tribunaux.
Deux communiqués, l'un à Paris, l'autre à
Tripoli, annoncent que le retrait des troupes du Tchad est
accompli.
En sortant d'une réunion consacrée au Tchad,
Cheysson saisit le Président d'une étrange demande : Genscher
souhaiterait que François Mitterrand convainque le Chancelier sur
une question à propos de laquelle lui-même a échoué à le persuader.
Cheysson : « A Delhi, puis à l'occasion de la
visite de Weiszacher, H.D. Genscher m'a demandé si vous pouviez
appuyer de votre intervention la recommandation de l'adhésion de
l'Allemagne à la Convention sur le Droit de la Mer... Genscher et
les milieux économiques allemands en sont convaincus (d'où les deux
conversations avec moi). H. Kohl est gêné par la ferme hostilité
américaine et les interventions de Washington, mais serait
impressionné par votre intervention très rapide. L'argumentaire
joint me semble pertinent. Puis-je vous proposer, dès ce soir, un
télégramme à Kohl lui transmettant cet argumentaire ?
»
On ne le fera pas. François Mitterrand :
« Pourquoi me mêler de politique intérieure
allemande ? »
Samedi 10 novembre
1984
Catastrophe : les troupes libyennes parties du
Tchad commencent à y revenir ! On note de 1 500 à 2 000 retours,
avec un armement défensif. « Pour empêcher
Hissène Habré de remonter vers le nord », entend-on. Et la
rencontre en Crète, avec Kadhafi, qui est prévue pour la semaine
prochaine !
Dimanche 11 novembre
1984
Au cours de l'une de ses inspections-surprises
qui l'amusent tant, au commissariat de police du Grand-Palais, Joxe
découvre des vestiaires et des lavabos installés dans des caves. Il
s'indigne et fait monter deux baraquements en préfabriqué en pleine
place Clemenceau. Jack Lang proteste : « Pas
de ça devant le Grand Palais ! »
Promenade parisienne avec François Mitterrand
qui me parle de son enfance : « J'étais très
lié à la nature. La tête pleine de musique naturelle, le vent qui
claque sec, la rivière... Chaque heure a son odeur. Une vie
sensorielle. Le monde était contenu dans le petit horizon que je
voyais. Je crois que de cela j'ai tiré, pour une vie future, une
ambition de conquête. Je ne savais laquelle. Parler, s'exprimer,
entraîner ? Je ne savais... Ce n'était pas fixé dans mon esprit. A
travers mon microcosme, je voyais l'univers. Un peu d'égocentrisme,
sans doute. Mon enfance a été épargnée par la guerre. Tout
m'intéressait au collège. J'avais déjà la perception du
déchirement, mais pas de problème d'existence. J'étais dans un
monde qui n'avait pas changé depuis plusieurs siècles. Ce qui me
brisait le plus le cœur, c'était de penser que ça changerait, mais
je n'en avais pas une conscience très précise.
Ce qui est enfant en moi
détermine mes impressions et mes jugements. Pas mes façons de
faire. Ce qui est précieux — dont la vie — est utile, et doit être
constant.
Je n'ai jamais renié mon
enfance. Ma mère est morte, j'avais dix-neuf ans. J'avais eu dès
quatorze ans la tentation de la nostalgie. Mais je n'étais plus
pareil à quinze ans : j'avais mûri. A partir du moment où je suis
arrivé, étudiant, à Paris, une autre phase a commencé. Pour un
enfant qui vit à la campagne, il est plus facile de vieillir. Il y
a des gestes immémoriaux, des rythmes : les saisons, les semailles.
Cela paraissait immuable. Le grand changement, ça a été la guerre.
A partir de là, j'ai fait l'apprentissage de la foule, de la masse,
de la misère, de la saleté, de la violence. »
Mardi 13 novembre
1984
Le Président voit longuement Jacques Delors à
propos de la composition de la Commission. Pour éviter que les
Anglais ne conservent à nouveau le portefeuille du Budget grâce
auquel ils ont pu mener toute la bataille sur leur remboursement,
Delors a prévenu Mme Thatcher qu'aucun pays ne garderait son poste.
Il dit à François Mitterrand : « Je ne peux
plus faire machine arrière sans paralyser totalement la Commission,
et je suis prêt à démissionner. Après la signature des accords de
Lomé, le poste du Développement aura perdu son importance, alors
que celui de l'Industrie et de la Recherche, que je veux proposer à
Cheysson, sera le plus important pour la construction de l'Europe
telle que vous-même la concevez. Enfin, je proposerai aussi le
poste industriel à Pisani, s'il est reconduit. Le commissaire
italien, qui est aujourd'hui à l'Élargissement, veut l'Agriculture
ou le Développement, je ne l'ai pas encore prévenu que je vais lui
proposer le Développement. Cheysson s'est couché devant les
Anglais. Et je n'ai absolument pas l'intention de bouleverser les
directions générales, contrairement à ce que dit Cheysson ! Dumas
m'a demandé hier de chercher une solution de compromis pour sauver
la face à Cheysson, alors que je propose de le nommer au
Développement pour deux ans. Natali, pendant cette période,
garderait l'Élargissement, qui n'est pas fini. Je prendrai
l'Industrie en direct. Dans deux ans, Cheysson prendra l'Industrie,
Natali le Développement, et un directeur français sera nommé à la
Direction générale du Développement pour tenir l'administration en
notre nom. »
Il donne également au Président la liste de la
Commission telle qu'il la voit : aux Relations extérieures,
Declercq ou Andriessen ; au Budget, Christophersen ; aux Relations
avec le Parlement, Narjes ; au Marché intérieur, Lord Cockfield ; à
l'Économie, Pfeiffer ; à l'Industrie et à la Recherche, un Français
; au Développement, Natali ; à l'Agriculture, Sutherland.
Mercredi 14 novembre
1984
Le congé parental rémunéré, demandé par François
Mitterrand dans sa lettre de juillet à Fabius, vient enfin
aujourd'hui en Conseil des ministres.
Les Américains, qui savent certainement que
François Mitterrand va rencontrer Kadhafi demain en Crète,
annoncent à la presse que d'importantes troupes libyennes se
trouvent à nouveau dans les oasis du Nord tchadien.
Cheysson au Conseil des ministres : «
Il y a un retrait certain des éléments
libyens. Ce retrait est-il total ? Probablement pas. Nous pouvons
reprendre avec la Libye des relations normales, y compris sur le
plan des discussions politiques à tous les niveaux. Cela signifie,
compte tenu de la place qu'occupe le Colonel Kadhafi dans les
institutions libyennes, la possibilité de relations avec
lui. »
Le Président lit son courrier. Roland Dumas me
fait un clin d'œil. Fabius boude.
François Mitterrand, l'après-midi, hésite
encore, puis décide d'y aller. Il n'a pu résister au plaisir de
compléter sa galerie de portraits. Et il faut tenter d'en finir.
Pour dire à Kadhafi que si ses troupes continuent de revenir au
Tchad, ce sera la guerre entre la France et la Libye, sur le
territoire libyen. On annonce donc son voyage de demain. Tonnerre
de réactions.
Jeudi 15 novembre
1984
François Mitterrand part pour la Crète. Il
n'emmène que Charasse. Le Président et Kadhafi se mettent d'accord
sur le retrait des troupes et la non-intervention dans les affaires
intérieures tchadiennes, sauf si une puissance tierce intervient.
Kadhafi propose même de signer une alliance franco-libyenne pour
protéger et défendre le Tchad ! C'est un peu beaucoup...
A son retour, le Président, très irrité par les
réactions contre son voyage : « Ce n'est pas
moi qui ai reçu Kadhafi à l'Elysée, c'est Pompidou en 1973.
Jalloud, c'est Giscard... »
Devant la presse, il reconnaît l'évidence : il y
a encore des Libyens au Tchad. Mais, en privé, il semble confiant :
la rencontre entraînera le retrait.
Vendredi 16 novembre
1984
Edmond Maire critique la notion d'« élitisme républicain » à l'école, prônée hier par
Jean-Pierre Chevènement.
L'INSEE annonce que, fin octobre, le nombre de
chômeurs a dépassé 2,5 millions.
Cheysson poursuit sa campagne pour obtenir le
poste de Pisani. Il m'explique : « Le ministre
belge des Affaires étrangères, Tindemans, après d'autres, vient de
me dire qu'il souhaitait beaucoup que la France conserve le poste
du Développement, et qu'il s'inquiétait du désordre qui résulterait
d'une remise en cause systématique de l'équilibre des nationalités
au niveau des Commissions et des Directions générales. Fitzgerald,
hier soir, m'a abordé lui aussi pour me dire qu'il n'approuvait pas
ce changement systématique de toutes les nationalités. Certes, il
aurait aimé voir son compatriote prendre le Développement, mais il
préférerait que le portefeuille reste français, et tenait à nous le
faire savoir. L'Irlande tient à cette politique communautaire. Si
celui qui est actuellement pressenti prend le poste, le Premier
ministre irlandais est convaincu que c'en est fini. »
Dimanche 18 novembre
1984
Élections à l'Assemblée territoriale de
Nouvelle-Calédonie. Le FNLKS boycotte: abstention de 50 %,
manifestations indépendantistes, 18 gendarmes blessés, Machoro
cassant une urne à la hache... Le Président est d'une très rare
violence contre les Caldoches. « Ces gens-là
ont beaucoup d'argent... en Australie ! » Mais il sait que
« décider de l'indépendance canaque
provoquerait la création d'une Rhodésie
française ».
Jacques Toubon (43 ans) devient secrétaire
général du RPR à la place de Bernard Pons (58 ans). Le RPR parle de
relève de générations.
Lundi 19 novembre
1984
A l'Élysée, dîner avec Helmut Kohl, de plus en
plus inquiet de l'évolution de l'opinion allemande, tentée par le
pacifisme.
Helmut Kohl :
Je suis obligé de manifester de la fermeté et
d'allonger la durée du service militaire. Beaucoup de choses
dépendent de la taille de l'armée. Et le Bundestag se délite. C'est
une menace pour la démocratie. Les services secrets de l'Est ont
joué un rôle dans cette affaire.
François Mitterrand :
Il y a donc une vraie crise psychologique en
RFA ?
Helmut Kohl :
Oui. Et il y a beaucoup de raisons à cela.
D'abord, les médias passent de plus en plus aux Verts. Et les
Soviétiques ont chez nous une vraie stratégie
d'influence.
François Mitterrand :
Les Soviétiques veulent de meilleures
relations avec l'Europe, avant d'aborder le problème américain,
pour ne pas se poser en demandeurs vis-à-vis de Washington. Ils ont
une véritable direction collective où Tchernenko joue un grand
rôle. Nous souhaitons, vous et moi, un accord entre les États-Unis
et l'URSS. Mais nous devons nous méfier de ces accords qui ne
seront pas forcément dans notre intérêt.
Helmut Kohl :
Oui ! Qui sera Président des États-Unis après
1988 ? L'Amérique demeure imprévisible.
Puis la conversation reprend sur la « cuisine »
bruxelloise :
François Mitterrand :
Je suis inquiet de la répartition actuelle des
postes de commissaires à Bruxelles.
Helmut Kohl :
Moi aussi.
On n'en dira pas plus. Kohl n'a jamais aimé
Cheysson. Celui-ci est trop ami de Genscher...
Le Sommet de Bujumbura se prépare. Houphouët et
quelques autres, furieux du retrait de la France du Tchad, ne
viendront sans doute pas.
Mardi 20 novembre
1984
Situation insurrectionnelle en
Nouvelle-Calédonie. Éloi Machoro occupe la gendarmerie de Thio et
tient les deux tiers de l'île.
Dans une note au Président, Pierre Bérégovoy
s'oppose à tout crédit au Maroc pour la vente de Mirage et demande
l'arrêt des négociations si les Marocains ne peuvent payer
comptant. Le Président acquiesce.
Jean Riboud continue d'exercer une influence
considérable sur Laurent Fabius, pour les médias, et sur Pierre
Bérégovoy, pour l'économie ; cette lettre du nouveau ministre des
Finances au Président, qui plaide pour la relance, le montre assez
:
« Il me paraît possible
d'atteindre le double objectif de 5 % d'inflation et 2 millions de
chômeurs à la fin de 1985 à condition d'en prendre les moyens,
rapidement et surtout résolument, tout en évitant la politique de
l'indice, qui se retourne toujours contre ses auteurs, et le
traitement "social" du chômage (préretraites ou autres, au coût
trop élevé).
Vous trouverez ci-après
quelques propositions allant dans ce sens. Je suis convaincu, comme
Jean Riboud, que la désinflation et le redémarrage d'une croissance
saine, tirée par l'investissement et l'exportation, vont de pair.
Je suis même convaincu que le maintien d'un rythme d'inflation trop
élevé nuit à la croissance, en pesant sur nos exportations, donc
sur notre équilibre du commerce extérieur, que nous sommes forcés
de compenser par une réduction de la demande interne pour faire
baisser la consommation, ce qui accroît finalement le
chômage...
Riboud propose diverses
mesures de relance de l'investissement. Ce programme est ambitieux
: les mesures sont économiques (contrairement aux différents
programmes pour l'emploi qui ont souvent consisté en un simple
"arrosage" de mesures sociales) et leur effet cumulé permettrait
d'espérer la création de 200 000 à 300 000 emplois, sans
répercussion inflationniste sensible ni dégradation trop importante
de notre commerce extérieur. Pour être efficaces, elles devraient
être mises en œuvre sans délai, c'est-à-dire avant la fin de
l'année 1984. »
C'est la dernière lettre de Pierre Bérégovoy
favorable à la relance. Quelques semaines de plus, et les Finances
l'auront totalement conquis. Ambiguïté du mot : l'auront-elles
séduit ou se le seront-elles
approprié ?
Mercredi 21 novembre
1984
En Nouvelle-Calédonie, l'émeute gagne. Le préfet
des îles Loyauté est retenu à Lifou par les indépendantistes.
Giscard et tous les anciens Premiers ministres
de la Ve République (sauf, évidemment,
Pierre Mauroy...) publient un texte commun : «
L'insistance sur la seule solution de l'indépendance revient à
priver les habitants de la Nouvelle-Calédonie de la possibilité de
choisir ». Pour eux, les troubles actuels sont dus à
« la politique équivoque » du
gouvernement. Pas un mot, bien sûr, sur les inégalités et
l'injustice socio-économique qui règnent dans les îles.
En Conseil des ministres, François Mitterrand,
avec un large sourire, à propos de la Nouvelle-Calédonie et du
Tchad : « La France poursuivra sa politique
et, quant à moi-même, même si les sondages descendent jusqu'à zéro,
je continuerai. » Tranquille certitude de servir la
France.
Jeudi 22 novembre
1984
Le Président est en Alsace où la réception est
plutôt fraîche après l'affaire du synchrotron. A part Joseph Klifa,
maire de Mulhouse, toute l'opposition boycotte le voyage
présidentiel. « Le choix qui a été
fait, plaide François Mitterrand, a été
fait dans des conditions dont je ne suis pas juge. »
Le Président demande à Fabius de faire remplacer
Jacques Roynette à Nouméa par Edgard Pisani, encore Commissaire à
Bruxelles pour un mois. Le poste est libre pour Cheysson, et celui
de Cheysson pour Dumas. Cheysson a compris. Il me téléphone : «
Dis, je sais que le Président veut que je
parte. Mais pas maintenant, j'ai encore des choses à faire ! Et
puis, je m'entends si bien avec Roland Je peux rester encore six
mois... »
Lettre récapitulative de Hissène Habré au
Président. Le fossé se creuse :
« Comme vous le savez, le 17
septembre dernier, nous apprenions la conclusion d'un accord entre
la France et la Libye en vue de leur désengagement du
Tchad.
Par ma lettre en date du 25
septembre, je vous faisais part de notre approbation du principe du
retrait concomitant des forces armées françaises et des Forces
armées libyennes et assimilées, ce, malgré les doutes que nous
avions exprimés quant à un retrait réel et effectif du côté
libyen.
A l'heure actuelle, soit
deux semaines après la fin des opérations de désengagement, la
présence militaire libyenne dans le nord du Tchad est aussi
importante que celle d'avant l'accord franco-libyen.
Aujourd'hui, notre
inquiétude est d'autant plus grande que les Libyens, loin de se
cantonner dans leurs positions, survolent régulièrement la zone
tenue par les Forces armées nationales tchadiennes (FANT). C'est
ainsi que le 20 novembre, des hélicoptères libyens ont mitraillé
une patrouille des FANT dans la zone de Kalaït-Oum Chalouba, au
nord-est du pays.
Aussi, suite aux entretiens
que j'ai eus, le 19 novembre, avec votre ministre de la Défense, M.
Charles Hernu, et le chef d'état-major général des armées
françaises, le général Lacaze, nous demandons que la France mette
en place au Tchad une force suffisamment crédible et dissuasive
pour, à la fois, contrer les intentions belliqueuses de la Libye et
amener cette dernière à retirer la totalité de ses troupes,
conformément à l'accord franco-libyen.
A cet effet, il est
important que le gouvernement tchadien soit tenu informé à temps de
l'importance, des délais et la zone de déploiement des forces
françaises.
Me référant aux entretiens
très positifs que nous avons eus à Paris le 5 octobre dernier, je
puis vous réaffirmer, Monsieur le Président, notre ferme volonté de
conjuguer nos efforts avec ceux de votre pays ami en vue de
parvenir à l'objectif recherché par nous tous, à savoir la fin de
l'occupation illégale du nord du Tchad par la Libye. »
Vendredi 23 novembre
1984
Le Président décide d'une accélération du
processus d'autodétermination en Nouvelle-Calédonie.
Jacques Delors persiste à penser qu'il lui est
impossible de confier le Développement à un Français car, dans ce
cas, il serait obligé de confier l'Agriculture à l'Italien auquel
il destine le Développement. Et il n'en veut à aucun prix. Il
propose donc de créer, pour Cheysson, un nouveau « portefeuille »,
en charge de toutes les relations avec les pays méditerranéens,
l'Asie et l'Amérique latine (c'est-à-dire le Tiers Monde sauf
l'Afrique noire). En échange, il s'engage à nommer un Français
comme directeur de l'administration du Développement. Roland Dumas
y est très favorable. Cela présenterait l'avantage, pour Claude
Cheysson, de conserver une partie (valorisante) de ses fonctions
actuelles et, pour la France, de conserver une partie (faible) du
poste de Commissaire au Développement. La France y perdrait certes
le contrôle politique du suivi des dossiers africains. Mais le
poste proposé à Cheysson peut aussi présenter un autre intérêt :
dans dix ans, le Maghreb comptera cent millions d'habitants, et
l'islam sera la religion la plus pratiquée en France. Les relations
de l'Europe et du Maghreb conditionnent donc notre avenir. Il y a
là un défi, peut-être même le défi essentiel.
Néanmoins, le poste de Commissaire à l'Industrie
est à son sens encore plus important que celui-là. L'enjeu, pour
l'Europe, réside dans son industrie. Jacques Delors envisage
d'ailleurs maintenant de la confier à un Allemand (refusant à la
RFA, comme à nous, la conservation de son poste traditionnel, le
Marché intérieur).
François Mitterrand : « Essayez de convaincre Cheysson de prendre l'Industrie.
Sinon, qu'il prenne la Méditerranée ! »
Cheysson choisira la Méditerranée.
Laurent Fabius hésite à dire au Maroc qu'on ne
lui prêtera rien. Le Roi vient mercredi prochain.
Lundi 26 novembre
1984
Le Président part pour deux jours en Syrie. Ses
entretiens en tête à tête avec Assad dureront six heures. J'en
retranscris ici l'essentiel, car on y trouve la meilleure synthèse
de la situation du moment au Moyen-Orient.
Assad : Je ne peux que m'appuyer sur l'URSS. C'est une condition
de survie face à Israël, porte-avions américain. Si les États-Unis
modifient leur politique, je modifie la mienne.
François Mitterrand :
Je vous comprends. C'est la thèse que
j'explique à l'Europe. En ce moment, je prends beaucoup de risques,
mais maintenant, je ne suis plus à un risque près.
De bonnes relations
existent entre la France et un grand nombre de pays du Proche et du
Moyen-Orient, dont Israël. A chaque fois que j'ai procédé à
l'examen de la situation avec les responsables de ces pays, une
évidence s'est imposée : sans la Syrie, rien n'est possible et
aucune solution durable pour la paix et l'équilibre de la région ne
peut être trouvée. Il m'est indifférent qu'un pays se range dans la
catégorie des alliés et amis des États-Unis ou de l'Union
soviétique, je suis surtout intéressé par la capacité qu'ont les
pays de parler pour eux-mêmes et de décider librement de leur
action.
Assad : Toute relation entre deux pays qui se fait au détriment de
la liberté de décision de l'un d'eux n'est pas une bonne
relation.
François Mitterrand :
Les relations entre la France et la Syrie ont
été autrefois meilleures qu'elles ne le sont aujourd'hui. Mais je
suis quand même le premier chef d'État français à se rendre en
Syrie. La France est un pays libre et doit comprendre que la Syrie
occupe une situation éminente au Proche et au
Moyen-Orient.
Le Président passe ensuite aux questions du
Proche et Moyen-Orient : C'est la même
conception de l'équilibre qu'il faut généraliser à l'ensemble des
problèmes du monde. La France a beaucoup d'intérêts au
Moyen-Orient, mais n'est pas un pays de la région. Elle pense donc
que c'est aux responsables des pays de la région de prendre des
décisions et de trouver une solution à leurs problèmes. La France
est, bien sûr, prête à encourager et aider toute initiative dans ce
sens. La France est membre de l'Alliance atlantique, mais cette
alliance avec les États-Unis ne concerne que l'Atlantique et, par
conséquent, ne concerne pas le Proche-Orient. De plus, la France
tient à préserver ses bonnes relations avec l'Union soviétique. La
France comprend également que les pays du Proche-Orient aient leurs
alliances, leurs amitiés, leurs intérêts. La France a aussi de
bonnes relations avec Israël, ce qui ne veut pas dire qu'elle
approuve toutes les actions entreprises par ce pays. Elle n'a pas
approuvé l'invasion du Sud-Liban. Je recevrai très prochainement M.
Shimon Pérès et je lui tiendrai le même langage. La situation
délicate créée par le conflit Iran/Irak menace l'équilibre et la
paix au Proche-Orient, alors que cet équilibre est essentiel pour
le monde.
Assad : Je suis d'accord sur la nécessité, pour chaque pays, de
préserver sa liberté de décision, quelles que soient ses alliances
et ses amitiés. C'est la politique que suit la Syrie depuis 1970.
Un autre axe essentiel de la politique syrienne est celui du
non-alignement, au sens international, entre les deux blocs. Les
alliances et les relations nécessitées par les intérêts nationaux
ne veulent pas dire que la Syrie se soit écartée du principe du
non-alignement dans son acception internationale. Mais l'intérêt
national doit être toujours présent à l'esprit et la Syrie ne peut
mettre sur un pied d'égalité les deux grandes puissances, puisque
l'Union soviétique soutient la cause arabe alors que les Etats-Unis
sont totalement acquis à la cause d'Israël. Cependant, nous sommes
membre, et même l'un des membres fondateurs du non-alignement, et
nous œuvrons, au sein de ce groupe, pour l'adoption et la mise en
œuvre de toute idée susceptible d'éviter l'aggravation de la
situation internationale et la guerre. Je cite, à titre d'exemple,
la conférence de la Paix à Genève, quand, après la guerre de 1973,
les Etats-Unis, l'URSS, Israël, l'Egypte et la Jordanie y étaient
favorables. La Syrie avait une position différente, non parce
qu'elle était opposée au principe d'une conférence pour la paix,
mais parce qu'il existait une tentative de division du monde arabe
entreprise par l'administration américaine. M. Kissinger voulait un
accord avec l'Egypte. J'ai toujours été très franc avec les
responsables américains. Dans cette même salle, je me suis
entretenu longtemps avec M. Kissinger. Je m'étais mis d'accord avec
le Président Sadate sur un certain nombre de points dont
l'application devait constituer un préalable à la tenue de la
conférence de Genève. Sadate était supposé en avoir discuté avec le
secrétaire d'Etat qui arrivait du Caire, et m'avait même assuré
l'avoir fait. Or, M. Kissinger ne semblait pas être au courant de
ces points. Il était surtout préoccupé par la nécessité de fixer
une date à la réunion de Genève, et j'ai choisi l'une des deux
dates qu'il me proposait. Mais, à la fin de l'entretien, il fut
étonné de constater que je refusais de me rendre à Genève, et je
lui ai dit que le choix de la date ne signifiait pas forcément que
j'étais d'accord sur le contenu. Il en parle lui-même dans ses
mémoires. L'entrée des troupes syriennes au Liban s'est faite à la
demande des autorités libanaises de l'époque, en 1976. La Syrie a
pris librement cette décision malgré la désapprobation américaine
et soviétique, car l'intérêt du Liban et de la Syrie, ainsi que des
autres pays arabes, commandait de répondre à la demande du
Président de la République libanaise.
L'entretien doit s'arrêter là pour permettre aux
deux Présidents de se rendre au dîner officiel qui a déjà été
retardé.
Mardi 27 novembre
1984
Nouvel entretien. Le Président Assad commence
par rendre hommage à la coopération archéologique entre la France
et la Syrie, et évoque l'alphabet découvert à Ouggarit, le plus
ancien et le plus complet au monde, plus ancien que celui de Jbel,
au Liban. Il parle également des fouilles dans la région de
Lattaquié.
François Mitterrand :
Dans les tablettes d'Edla, qui remontent à
1500 ans avant Moïse, on trouve déjà le même message que celui
délivré plus tard par Dieu à Moïse sur les Tables de la
Loi.
Assad : Cela sera un problème non seulement pour les juifs, mais
aussi pour les chrétiens et les musulmans puisque la Bible, les
Evangiles et le Coran ont repris la même interprétation. Mais ils
trouveront bien une explication ! Ces tablettes contiennent le nom
d'Israël qui, selon la Bible, aurait été appliqué pour la première
fois par Jacob au peuple juif. Dans un de vos livres, vous parlez
de la conception de Begin du rôle de I Ancien Testament pour régler
les conflits politiques contemporains...
François Mitterrand :
En effet, Begin est très croyant. Il fonde sa
croyance sur l'Ancien Testament et, selon son interprétation, ces
territoires auraient été créés pour le peuple juif et
appartiendraient à Dieu. D'où Begin en concluait qu'il ne pouvait
rendre des territoires qui ne lui appartenaient pas, puisqu'ils
sont à Dieu. C'est ce qu'on appelle la casuistique...
Assad : Pourtant, Dieu est à tout le monde, et il ne devrait donc
pas y avoir de problème. Mais, en fait, Israël a une conception
selon laquelle toute terre sur laquelle les Juifs ont vécu, même il
y a très longtemps, leur appartient. Ils peuvent revendiquer toutes
les localités où ils ont été. Ils pourraient dire cela aussi en
France. Quand le général Dayan s'est rendu dans le Sinaï en 1967,
il a dit : "Nous avions fait l'Israël de 1948. Nous venons de faire
l'Israël de 1967. A vous, soldats, il appartiendra de faire le
Grand Israël. "
Voulez-vous maintenant que
nous abordions les sujets de notre conversation d'aujourd'hui ?
Hier, nous avons parlé du rôle de divers Etats dans le monde, de
l'importance qu'ils soient maîtres de leurs décisions, de
l'importance, pour la même raison, du non-alignement. Nous sommes
pour la réduction des armements, naturellement. Nous ne sommes pas
un pays nucléaire et, d'ailleurs, nous fabriquons très peu d'armes.
Nous les importons en majorité des pays de l'Est. C'est une
tradition depuis longtemps.
Mais le problème du
désarmement ne concerne pas que les puissances nucléaires. Dans nos
discussions — qui ne sont pas très nombreuses — avec les pays de
l'Est, nous avons toujours ressenti leur désir de ne pas faire la
guerre. C'est une réalité pour l'URSS. En 1956, j'étais en URSS
pour un stage de six mois comme aviateur...
Assad parle alors longuement des conversations
qu'il a eues, durant son séjour, avec des Russes rencontrés au
hasard : « Ils ont tous été profondément
marqués par la guerre et se montrent très anxieux de pouvoir vivre
en paix. »
François Mitterrand :
J'ai été en URSS beaucoup plus tard que vous,
pour la première fois en 1975. Brejnev m'a paru très préoccupé par
ces questions et ne parlait que de paix. On pouvait croire que
c'était uniquement par habileté, mais, en fait, je crois que cela
révélait aussi un sentiment profond.
Assad : Tout à fait,
et si j'ai pris l'exemple de réactions
de Russes ordinaires rencontrés par hasard, c'est parce que je pense que ce sentiment populaire
n'est pas une simple habileté diplomatique.
François Mitterrand : Certes, mais les
dirigeants soviétiques entretiennent une psychose d'agression dans la
jeunesse et, du coup, cela a créé dans
l'armée, à la longue, un état d'esprit
qui pourrait ne pas être celui de la paix. Mais il faut bien voir
que même si c'est sur la base de
sentiments purement défensifs, il y a
une sorte d'échelle de perroquet, chaque Grand essayant de dépasser
l'autre à son
tour. Cela dit, j'ai toujours pensé
qu'il n'était pas dans la nature russe, en tout cas depuis
Pierre le Grand, de faire des guerres de conquête. Ils ont
commis une faute majeure en Afghanistan en entrant dans un pays du
Tiers Monde, un pays musulman de surcroît, alors que Lénine avait
réussi à donner un prestige à l'Union
soviétique dans le Tiers Monde. L'URSS s'en est trouvée isolée. En Europe, c'est tout à fait
différent. La progression de l'URSS
a été due aux
circonstances de la guerre. En Afghanistan, l'intervention
soviétique n'était pas nécessaire, et je pense
que l'URSS a eu tort de ne pas saisir les occasions, comme
celles que lui fournissent par exemple les efforts de M.
Perez de Cuellar, pour se désengager de l'Afghanistan.
En ce qui concerne l'Europe, je souhaite qu'elle échappe au partage dit "de Yalta",
c'est-à-dire en deux empires. Je comprends la prudence de l'URSS
mais, en Europe, même si elle n'a pas l'intention d'attaquer, je dois penser aux rapports de forces.
Mais il est très important de négocier et, si
possible, d'aboutir à un retrait, de
part et d'autre, des armes les plus offensives. Et il faut aussi engager une négociation sur l'espace.
Au moins, là, on peut prévoir, on peut parler avant, ce qui est utile, au
lieu de parler après!
Assad : Je croyais que
l'URSS avait proposé de retirer même
ses SS 20 ?
François Mitterrand : C'est vrai, mais elle faisait une sorte de calcul
visant à contrebalancer les forces françaises et britanniques. Or
j'ai toujours dit qu'on ne pouvait
comparer que ce qui est comparable, et que ce sont là les seules
forces nucléaires des Britanniques et des Français, alors que derrière les SS 20, les Russes disposent
encore d'une dizaine de milliers d'ogives nucléaires. Ce
n'est donc pas comparable.
Assad : Mais qu'au moins, même si on n'arrive pas à diminuer, l'on
s'arrête!
François Mitterrand :
Nous ne sommes pas hostiles à une discussion à ce propos entre les
États-Unis et l'URSS, mais j'ai posé des conditions.
Assad : Avec ces
armes de plus en plus modernes, il y
a des risques d'erreurs
techniques.
François Mitterrand : Nous pouvons faire la
bombe à neutrons, mais je n'ai pas
donné jusqu'ici l'ordre de la
fabriquer, car sa mise en œuvre dépendrait d'un échelon trop bas dans la
hiérarchie militaire, et le temps serait insuffisant pour
consulter le pouvoir politique.
Assad : Les Américains, je crois, ont donné à
cette bombe le nom de "bombe propre ".
François Mitterrand : Vous en connaissez, vous,
des bombes qui ne soient pas sales ? En
tout cas, il n'est pas possible de
laisser décider des échelons militaires
d'exécution. Mais je pense que des progrès technologiques
permettront bientôt de remédier à cet inconvénient. De toute façon,
il vaut mieux désarmer que surarmer, et même les grandes puissances
doivent tenir compte de l'opinion publique. C'est un domaine où la Syrie et la France peuvent avoir une
influence commune.
Déjà, les Soviétiques commencent à ne plus
employer le même langage. J'ai demandé,
lorsque je suis allé à l'ONU, que les
cinq grandes puissances économisent sur leurs dépenses d'armement pour constituer une sorte de caisse pour
le développement. Ce projet, bien sûr, peut paraître utopique, mais je l'ai étudié attentivement et, de toute
façon, les hommes marchent avec
des idées. Cela rejoint d'ailleurs les idées anciennes émises soit par les Soviétiques, soit par
les Américains, mais jamais en même temps, et cela va tout à fait dans le sens des orientations
de l'ONU vers le développement.
La conversation reprend sur le Liban :
Assad : Il y
a deux dimensions à ce conflit : une dimension religieuse (encore que
certains pourraient en contester la réalité) et une autre dimension, essentielle à mes yeux, sociale.
Sans ces problèmes sociaux, il n'y aurait
jamais eu de guerre civile. Les germes de révolution étaient
très perceptibles longtemps avant.
Pour toutes ces raisons, les paysans musulmans
redoutent de ne pas être reconnus dans tous leurs droits si le Président est un chrétien. Mais
c'est la réforme sociale qui est
avant tout nécessaire. Au Liban, les dirigeants ont
longtemps dit devant n'importe
quelles revendications sociales: c'est
du communisme. C'est vraiment faire un cadeau
au communisme! On dit aux paysans qui revendiquent: vous
demandez le communisme. Aussitôt, ils adoptent le communisme,
qui leur paraît une très bonne
chose.
Les problèmes politiques ne recoupent pas exactement les
problèmes confessionnels. D'ailleurs, tous les partis, sauf les Phalanges,
voient coexister en leur sein plusieurs confessions. La seule voie, c'est l'entente entre eux, et le
dialogue. Je l'avais dit avec
insistance à Sarkis: "Nous ne resterons
pas au Liban. Nous avons, nous, mis un terme à la guerre civile. Vous
devez, vous, faire la paix entre vous. "
Notre insistance a
permis que reprennent les négociations à
Genève et à Lausanne. Puis l'accord du 17 mai
a été abrogé. Je ne sais pas si vous avez lu attentivement
l'accord du 17 mai 1983 et ses clauses connexes, mais c'est
un document vraiment sans équivalent dans la vie internationale
d'aujourd'hui. Il faisait du
Liban un véritable protectorat
israélien. Je l'ai dit au ministre des Affaires étrangères libanais qui
était alors M.E. Salem. Il m'a répondu: "C'est vrai, mais c'est un
accord qui nous a été imposé par les États-Unis. " Quant à Shultz, il m'a déclaré:
"Oui, nous avons servi de témoins dans
cette affaire. " Mais il m'a presque laissé
entendre que cet accord lui
avait aussi été imposé, à lui-même. C'est bien le problème: les Américains arrivent
toujours avec des propositions qu'ils nous présentent comme
émanant d'eux mais qui viennent, en
fait, des Israéliens. Ils en ont changé
le ton, mais le fond reste le même. Qu'au moins les Américains viennent nous voir
avec leurs propres propositions !
François Mitterrand :
Je n'ai jamais approuvé cet accord
J'ai même téléphoné à Amine
Gemayel pour lui dire que c'était une
erreur. Le Président Gemayel voulait venir me
voir, je lui ai répondu: "Avant de venir, finissez-en avec
l'accord du 17 mai qui est une faute grave. " Je lui
ai même dit: "Je ne vois pas une seule raison d'avoir signé cet accord."
Assad : Je ne connais
pas ces échanges. Le Président Gemayel ne m'a pas parlé de ses contacts avec vous.
François Mitterrand :
C'est là une faute américaine. D'ailleurs, Cheysson me l'a dit avec raison :
George Shultz ne connaît pas grand-chose au Proche-Orient. (Le Président syrien rit.)
Assad : S'il connaît
aussi peu l'Occident et s'il y procède
de la même façon, c'est une catastrophe
!
François Mitterrand :
Je connais naturellement votre lutte avec
Israël. Nous, vous le savez, nous n'avons pas de conflit avec Israël, que cela soit très clair. J'ai pensé, je pense encore que si le Liban allait dans cette direction-là, celle de l'accord du 17 mai, il se perdrait.
Assad : Certainement. Mais cet accord a montré jusqu'où, en réalité, voulait en venir
Israël.
François Mitterrand : Justement, avant la guerre du Liban,
j'avais reçu une lettre de Begin
et il ne me parlait que des 40 kilomètres dont il
avait besoin pour assurer la sécurité de ses frontières. J'ai répété et je répéterai encore à Shimon
Pérès : "Au Liban,
il faut partir". S'il me parle alors de la sécurité
des frontières, je lui dis: "Mais
c'est un problème que vous pouvez
régler par la négociation ! "
Assad : Pour nous, que
la conférence de Genève ait pu être
réunie était déjà un succès en soi.
C'est ce dialogue qui a permis de parvenir au
gouvernement d'union nationale tel qu'il est aujourd'hui constitué. Ce qui ne veut pas dire que tous les problèmes soient
réglés.
François Mitterrand : Pour ce qui concerne leurs
affrontements... Après la mort des soldats
français à Beyrouth, je suis arrivé sur
place le matin; en bout de piste, on entendait tomber des obus, on en a entendu
exploser toute la matinée. J'ai demandé qui tirait. On ne
savait pas bien. Sur qui on tirait? On
ne savait pas. C'était un grand
désordre...
Assad : Au
Liban, actuellement, il y a déjà un accord sur
la façon dont devrait être composé le
Parlement libanais. Il peut y avoir un
accord sur l'armée et sur un conseil militaire qui devrait
permettre de reconstituer des brigades...
François Mitterrand : Il y
a à Beyrouth à l'heure
actuelle quatre-vingts observateurs
français mais qui servent sous les ordres de responsables libanais
et qui doivent être appréciés,
puisqu'on en demande d'autres; et il y
a dans la FINUL
1200 soldats français.
Assad : Les responsables libanais pensent à
donner un rôle important aux forces de
l'ONU. En fait, les nouvelles unités libanaises devraient être dans
le Sud et assumer la plus grande partie
de la sécurité. Elles devraient être complétées par les forces de
l'ONU pour assurer la sécurité que veut
Israël dans la bande frontière. Il
n'est pas question, bien sûr, que la
FINUL ait des attributions administratives. Partout ailleurs dans le Sud, l'armée libanaise doit être seule responsable. Et,
contrairement à ce qu'on dit, elle y
est apte. Les propositions israéliennes
concernant des arrangements de sécurité
ne sont donc pas logiques, elles sont
même impensables. Ils ont un groupe d'agents,
l'armée du Sud-Liban, à qui ils veulent confier un rôle clé,
mais cela signifierait en fait que le Liban
abdique purement et simplement dans cette région.
François Mitterrand : C'est très clair : il ne
faut discuter qu'avec le
gouvernement, pas avec des fractions.
Assad : Mais
c'est au sein de la commission
militaire qu'ils posent cette condition. Ils veulent établir des bastions et des
remparts, trois remparts successifs : l'armée du Sud-Liban,
la FINUL, l'armée libanaise. Les
États-Unis, eux, voudraient même que
l'armée syrienne empêche les
infiltrations palestiniennes ! A quand la même
demande faite à la Turquie ?
François Mitterrand : Vous savez, je crois
qu'en fait, ils ne comptent pas beaucoup sur la Syrie !
Assad : Je
l'ai déclaré à l'envoyé américain Murphy : je ne veux pas traiter en détail. Les Libanais nous
ont dit: nous devons passer des
accords avec les Israéliens. Eh bien, nous serons d'accord avec ce que les Libanais accepteront. Mais les États-Unis ne viennent nous
voir, je vous l'ai dit, qu'avec des propositions
israéliennes.
Il faut exploiter les
capacités de la FINUL et de l'armée libanaise...
François Mitterrand : C'est une vision raisonnable.
Assad : En plus, on
nous dit que la Syrie ne devrait pas
occuper la zone évacuée. Mais le Liban
et nous sommes deux pays arabes, c'est
à nous deux d'organiser les relations entre nous. Amine Gemayel m'a téléphoné pour me dire que les
États-Unis et Israël lui demandaient d'agir pour arrêter un
bataillon syrien qui faisait mouvement vers le sud du Liban. Nous
sommes à l'intérieur du territoire libanais, c'est normal que
nous nous y déplacions. Mais j'ai dit à Amine
Gemayel: vous êtes le maître,
vous êtes chez vous, si vous voulez que ce bataillon s'arrête, j'en donne l'ordre. Cependant, je me
rappelle que nous avions évacué
Saïda un an
avant l'invasion israélienne ; si nous avions deviné cette invasion, nous n'aurions pas évacué.
A l'époque de Sarkis, c'est
lui-même qui m'avait demandé de retirer la Force arabe de
dissuasion, mais c'était paradoxal: c'était au moment où Beyrouth
était entourée par des troupes israéliennes qui bombardaient la
ville. En fait, les mouvements de nos troupes sont dictés par les
besoins libanais. Et pourquoi voudrions-nous faire la guerre à
travers la frontière libanaise ? S'il doit y avoir guerre, nous
avons une frontière commune, les Israéliens et nous !
En réalité, au Sud-Liban,
nous n'avons observé aucune différence entre le Likoud et les
travaillistes.
François Mitterrand : On va
voir. D'une certaine façon, je dois dire que je comprends la
logique des Israéliens. Ils sont obligés de tenir compte du fait
que la seule force dans la région, c'est la Syrie.
Assad : Ils veulent que la Syrie n'intervienne pas dans des
régions où nous sommes depuis huit ans ! Il y a des endroits où la
frontière entre le Liban et la Syrie n'est pas claire: cela remonte
d'ailleurs au général Gouraud. [François Mitterrand :
C'était un bon général!] Cependant, entre les Libanais et nous, nous sommes bien
d'accord. Si le général Gouraud employait l'expression de "Grand
Liban", c'est bien parce que le Liban historique, c'est la montagne
libanaise. Les Israéliens aussi ont des exigences excessives, ils
veulent voir la FINUL sur la frontière
syrienne...
François Mitterrand : Je
n'en ai jamais entendu parler.
Assad : Les liens sont très profonds entre la Syrie et le Liban.
En 1976, par exemple, il y avait un demi-million de Libanais en
Syrie, des chrétiens comme des musulmans. Il y a beaucoup de
familles communes.
Le Président syrien fait le geste d'ouvrir un
paquet de cigarettes et de le tendre. François Mitterrand lui dit:
«N'allez pas plus loin... » Assad
sourit et remise le paquet.
Assad : Toujours grâce au général Gouraud, les frontières sont en
certains points à 24 kilomètres de Damas, et naturellement il y a
là des troupes israéliennes. Ils voudraient mettre la FINUL dans
tous les territoires d'où ils se retireront ; nous le refusons,
même si la FINUL est neutre. Par rapport à notre dispositif
militaire, nous n'avons pas de difficultés d'approvisionnement, ni
de difficultés logistiques, et le fait qu'ils soient proches de
Damas ne nous inquiète pas. Nous avons des troupes qui sont
disposées entre la frontière et Damas, et derrière ces troupes, il
y a tout un peuple qui est prêt à repousser une invasion
israélienne. Quant à l'avance technologique dont ils disposent,
dont ils ont toujours disposé, elle ne change rien. Avec notre
artillerie, nos fusées, nous sommes capables de déverser sur les
villes israéliennes autant de bombes que ce qu'ils seraient
capables d'envoyer sur Damas. Bref, il n'y a aucune raison que nous
allions leur faire la guerre à travers le territoire libanais. Aux
points frontaliers entre la Syrie et le Liban, il doit y avoir des
forces libanaises.
François Mitterrand :
Vous savez que nous sommes participants à la
FINUL. Je n'ai pas encore été saisi d'un nouveau projet
d'implantation de celle-ci, mais je suis plus optimiste que vous.
Je crois qu'avec ce gouvernement israélien, il peut y avoir
retrait. Mais il négociera le plus durement possible pour obtenir
des contrôles. Je ne vois pas pourquoi il ferait obstacle à ce que
ce soit l'armée libanaise qui occupe le territoire. Je serais
étonné que la revendication dont vous me parlez persiste très
longtemps.
Assad : Ce que j'ai dit est conforme à ce qui se dit dans la
commission militaire et à ce que m'ont dit les messagers
américains. Lorsque j'étais en convalescence, j'avais eu une
discussion avec l'envoyé américain de l'époque qui était Rumsfeld.
Il me parlait de l'interposition de la FINUL ; je lui avais dit :
"Que les Israéliens quittent le territoire libanais, et la
séparation sera faite. " Évidemment, ce serait pour nous la
facilité de partir et de laisser la FINUL s'installer. Mais nous
devons aider les Libanais à assumer leurs
responsabilités.
François Mitterrand : J'entends bien. C'est une donnée importante de plus. J'ai
déjà usé de l'influence que peut avoir la France sur Israël dans le
sens de l'évacuation en leur disant: "Il ne doit pas y avoir de
demi-mesure. " Une présence combinée de la FINUL et de l'armée
nationale libanaise me paraît compatible avec cette théorie. Bien
sûr, les Israéliens essaieront d'avoir le maximum, mais la France
ne se laisse pas entraîner sur ce terrain-là. Si l'armée
syrienne restait là, ce serait un risque supplémentaire de
division, voire de partition. Si c'est l'armée
libanaise, il n'y a rien à objecter, ils sont dans leur pays. En
tout cas, notre position est simple.
Assad : Pouvons-nous aborder
maintenant le conflit Irak/Iran ?
François Mitterrand : Certainement.
Assad : Vous connaissez l'état des relations entre la Syrie et l'Irak ?
François Mitterrand : Oui. Et je dois vous dire que ce sont des relations qui
n'ont pas bonne réputation.
Assad : Nous sommes issus du même Parti, mais
ils ont quitté ce Parti. En fait, non, c'est nous qui avons tout fait pour qu'ils partent.
François Mitterrand : Évidemment, avec cette guerre, les dissensions prennent une
nouvelle dimension.
Assad : Avant cette
guerre, nous avions pris une décision
d'amélioration de nos relations, et nous avions eu de longues heures de discussion
avec le général El
Bakr, alors Président de la République, et avec Saddam Hussein,
afin de parvenir à la constitution d'un nouvel État à créer. Nous
étions convenus d'une nouvelle constitution. Peu après, j'apprends
la démission du Président El Bakr, le 16 juillet 1979. Et, dans la
lettre par laquelle il me prévenait de sa démission pour raisons de
santé, il me disait que Saddam Hussein continuerait les efforts que
nous avions entrepris pour l'union des deux pays. Or, le 21 août,
j'apprends que les Irakiens annoncent avoir découvert un complot de
la Syrie contre l'Irak, complot dans lequel auraient été impliqués
vingt et un membres de la direction du Parti Baas irakien. Vingt et
un membres ! Comment croire à cela? Même si nous avions voulu le
faire, comment aurions-nous pu en quatre jours contacter toutes ces
personnes? J'ai donc envoyé un émissaire à Bagdad, M. Khaddam. On
lui a parlé d'un attaché militaire syrien qui aurait joué un rôle,
mais dont ni le nom ni la photo ne nous étaient connus. L'émissaire
a dit en mon nom que s'il y avait complot, c'était aussi un complot
contre la Syrie, puisque les deux États voulaient s'unir et que
nous avions des intérêts communs. Nous avons donc proposé une
commission d'enquête commune. Il n'y a pas eu de réponse, mais, au
contraire, ils ont expulsé nos diplomates avec des moyens brutaux,
après être entrés par la force dans l'ambassade de Syrie à Bagdad
et après y avoir placé des paquets d'explosifs. Les relations, à ce
moment-là, ont donc empiré ; c'était deux mois avant la guerre.
Cette guerre qui allait nous affecter très directement, puisque
vous savez que l'on dit de Damas qu ' "elle est le cœur battant de
l'arabité ".
Dès que cette guerre a
commencé, je suis entré en contact avec les différents rois de la
péninsule arabique afin de trouver une issue quelconque. J'ai
notamment trouvé chez le roi Khaled une préoccupation tout à fait
semblable à la mienne. L'avez-vous connu ?
François Mitterrand :
Khaled ? Oui, je l'ai connu, c'est même le
premier chef d'État que j'ai
reçu.
Assad : Quant à Hussein de
Jordanie, il avait éprouvé une certaine joie à voir que la guerre
se déclarait. Je lui ai dit: "Vous avez tort, car en Iran, c'est
une véritable révolution, et cela sera très difficile à vaincre. La
pénétration de l'armée irakienne sur le territoire iranien n'y
suffira pas. " A cette époque, il régnait un grand désordre dans la
révolution iranienne, qui permettait aux uns et aux autres de
spéculer. Après, dans le déroulement de cette guerre, sont apparues
des difficultés croissantes qui justifiaient notre jugement. La
Syrie le savait, elle a l'habitude des guerres longues! Mais
Hussein voulait que nous apportions un soutien total à
l'Irak.
A Fès, le Roi Hassan II
avait organisé un déjeuner avec Saddam Hussein, moi-même, le
Président Chadli, le roi d'Arabie et le roi Hussein. Je n'ai pas
soutenu l'Irak, parce que j'ai pensé que les résultats de cette
guerre ne seraient pas dans les intérêts du peuple irakien. Nous
avons condamné l'invasion de l'Iran alors même que tout le monde
pensait que l'Irak serait vainqueur. Nous étions sur ces positions
dans l'intérêt même des peuples d'Irak et d'Iran. Ensuite, nous
avons été favorables à toute initiative, par exemple aux tentatives
de médiation du Koweit et de l'Algérie. Mais l'Irak s'est déclaré
opposé à toute médiation, considérant que tout Arabe entreprenant
une médiation serait un traître à la nation arabe. Depuis, ça a été
le silence. Arafat, assis dans cette même salle où vous êtes, m'a
dit que Saddam Hussein lui avait répété la même chose : tout
médiateur arabe serait un traître.
De toute façon, maintenant,
il n'y aurait plus en Iran de réponse à une médiation, du fait du
très grand nombre de familles qui ont perdu des fils. Que peuvent
dire les Iraniens à leur peuple? Ils ont été agressés et ce serait
à eux de faire des concessions ? (...)
François Mitterrand : Nous
sommes amis de l'Irak et pourtant je ne connais pas Saddam Hussein
et je n'ai jamais mis les pieds dans ce pays. Mais, vous savez, la
plupart des pays arabes sont plutôt contents de notre politique. De
l'autre côté, on soupçonne Israël d'avoir aidé l'Iran. Notre
politique se résume à ceci : poursuivre sur la lancée avec l'Irak,
ne pas faire de provocations, et nous serons bien contents si la
guerre s'arrête.
Les États-Unis commencent à
s'intéresser à l'Irak. Ils ne vont pas arranger les choses! La
période où j'étais le plus malheureux, c'est quand nous étions
ensemble au Liban. Mais je m'en suis dégagé le jour venu. (Le
Président Assad opine.) Nous sommes dans l'Alliance atlantique,
mais elle correspond à une zone géographique bien déterminée. Nous
sommes amis, mais un peu comme chat et chien dans une même maison.
En revanche, nous redoutons les conséquences d'une
éventuelle victoire iranienne. (...)
Assad : Est-ce que nous pouvons parler
maintenant du Tchad ?
François Mitterrand : Naturellement.
Assad : Vous savez que les
relations sont bonnes entre la Syrie et la Libye. La Libye est pour
nous un partenaire généralement honnête. Mais nous avons des
inquiétudes : vous savez que, pour eux, le Tchad est un problème de
sécurité.
François Mitterrand :
Nous avons signé avec le Colonel Kadhafi un
accord de retrait simultané le 17 septembre. (...) L'accord devait
parvenir à échéance le 10 novembre. Le 25, nous avons pensé que
l'évacuation était terminée. C'est ce que nous avait dit la Libye,
et c'est également ce que nous avons observé. Nous sommes
partis.
Vers le 8 novembre, ils
sont réapparus : 1500 à 2 000 hommes. Ce n'est pas par le satellite
américain que je l'ai su, mais par mes propres moyens
d'observation. Donc, 2 000 hommes avec un armement défensif. J'ai
pensé qu'ils avaient voulu en garder assez pour empêcher Hissène
Habré de remonter jusqu'aux frontières du Nord, mais pas assez pour
ramener l'armée française. D'ailleurs, il n'y a plus d'armée
française au Tchad, même si chacun sait qu'elle pourrait y revenir
en 24 heures.
Je n'ai pas donné cet
ordre. J'aurais pu le faire. Je savais qu'il y avait encore 2 000
Libyens environ, en contradiction avec l'accord. Quand j'ai parlé
avec Kadhafi, je lui ai dit que la
première chose à faire, c'était de retirer ces hommes ; il ne m'a
pas contredit. La base de notre conversation a été : il ne doit
plus y avoir un seul soldat français, plus un seul soldat libyen au
Tchad. S'il aide Goukouni en lui fournissant des armes (ce qu'il a
bien dû commencer à faire), cela ne me gêne pas, je n'ai rien
contre Goukouni. Quand il était au pouvoir, j'ai collaboré très
bien avec lui. Je n'ai pas aidé Hissène Habré à reconquérir le
pouvoir. Il est d'ailleurs revenu à N'Djamena en m'insultant. Il
faut cependant constater que Goukouni n'a pas pu créer un État, une
administration, et que, sur ce plan-là, Hissène Habré est plus
capable que lui.
J'aurais pu ne pas aller en
Crète, mais j'ai voulu discuter sur la base de ces principes : plus
un soldat de part et d'autre. La guerre civile, les problèmes
intérieurs, cela regarde les Tchadiens.
Si une puissance tierce
envahit le Tchad, la Libye retrouvera sa liberté
d'action.
A ce moment-là, Kadhafi m'a
même proposé de conclure une alliance franco-libyenne
!
Voilà donc les trois
principes à partir desquels nous avons parlé, mais Kadhafi est
déraisonnable. Moi, j'ai exécuté mon contrat. En plus, il a créé
une situation dangereuse, car la France ne peut pas accepter cet
affront. Je suis patient, mais je ne serai pas patient très
longtemps. C'est regrettable, nous avions un bon accord, et la
France a été le premier pays occidental à lui tendre la main. Tout
cela, dans une situation qui est difficile pour lui — au large de
Tripoli, il a la flotte américaine ; à l'est, l'Égypte avec
laquelle il est en conflit ; au sud-est, le Soudan qu'il combat;
Hissène Habré, enfin, qui veut le combattre, encouragé par les
États-Unis. Et puisque nous nous parlons franchement, vous savez
bien qu'il n'est plus en bons termes avec l'Algérie. Il y aura un
jour un accident.
Oui, la France est le seul
pays à avoir voulu comprendre qu'il fallait avoir une main tendue
vers lui. Ce qu'il fait n'est pas correct et est dangereux. Si
j'envoie des avions, dans toute la région, vous savez, on
m'approuvera !
Mais je ne donnerai pas
d'armes sophistiquées à Hissène Habré.
Assad : Au cours des derniers contacts que nous avons eus avec
les Libyens, ils nous ont dit qu'ils étaient en voie d'exécuter
l'accord, mais qu'ils voulaient surtout, après, donner un essor
tout à fait nouveau à leurs relations avec vous.
François Mitterrand
: J'y suis prêt. J'ai même invité Kadhafi à
venir à Paris. Mais il me place dans une situation politique
très difficile.
Assad : Il va y avoir bientôt un contact téléphonique entre nous
deux. Cette nuit même, en fait, je dois avoir un appel téléphonique
de Kadhafi.
François Mitterrand
: Je suis patient. Je n'écoute pas les
États-Unis. Mes renseignements sont d'origine française, mais
j'arrive au point limite ; sinon, je perds la face. Papandréou me
dit qu'il est très attaqué en Grèce, lui aussi. Je n'aiderai pas
Hissène Habré à remonter vers le Nord. Je serais même ennuyé qu'il
le fasse. Cette région est une chaudière sur le point d'exploser.
Il faut la laisser refroidir. Je ne veux rien faire de mal à la
Libye, mais un accord est un accord! Si on arrange cela, il
pourrait y avoir une bonne entente pour l'avenir.
(Les deux Présidents se lèvent pour gagner la
salle où doivent avoir lieu les entretiens élargis.)
Assad : Je voulais vous
dire que nous ne sommes pas responsables de certains malentendus
passés. Des choses ont été dites sur la Syrie, des choses erronées.
Si c'était vrai, je le dirais maintenant, car nous commençons une
nouvelle ère dans nos relations. Mais je vous le dis: c'est
faux.
François Mitterrand : Je me
suis effectivement posé des questions à ce sujet. Je me suis
renseigné, et la réponse à cela est contenue dans le fait que je
suis venu vous voir.
(Cet entretien en tête à tête s'est prolongé de
17 h 30 à 22 heures).
Le Président rencontre la mère d'un jeune
Syrien, Ahmed Nael Koudsi, mêlé à un complot intégriste. Il possède
la double nationalité française et syrienne. Il a été condamné en
1980 à six ans de prison. Le Président Assad promet sa libération
immédiate.
Il accepte également le départ pour la France
d'une douzaine de jeunes filles juives, à condition qu'elles
n'aillent pas en Israël.
Jamais un dirigeant occidental ne s'est
publiquement exprimé à Damas sur les droits d'Israël comme François
Mitterrand le fait en présence du Président Assad durant la
conférence de presse.
Mercredi 28 novembre 1984
François Mitterrand me confie: « La période pendant laquelle le peuple juif a été réuni
dans des structures étatiques n'a pas été d'une durée telle... Il y
a d'abord eu la première période de l'installation... sur une terre
étrangère désignée. Puis, plus tard, il y a eu un État, et même
deux royaumes, mais l'un de ces deux royaumes disparaît assez vite.
Et l'autre sera très vite placé en état de sujétion vis-à-vis de la
Syrie. Mais les Juifs sont restés, quoiqu'ils aient été souvent
déportés, chassés, dispersés. Une faculté de résistance rudement
éprouvée a forgé l'âme de ce peuple... »
Cheysson se plaint auprès de moi: «Je suis prêt à aller à Bruxelles, mais Delors ne veut pas
de moi. »
Le Roi du Maroc est à Paris.
Jeudi 29 novembre 1984
Chadli fait escale à Tunis et se rend au chevet
de Bourguiba, malade. Celui-ci lui reparle de l'armée algérienne,
qui l'a impressionné : « Vous vous souvenez de
ce que je vous ai dit à Alger? demande-t-il à Chadli.
Si je meurs, je vous confie la sécurité de la
Tunisie.»
Vendredi 30 novembre
1984
Le Commandant Jalloud a prononcé hier un
discours à l'occasion d'un «meeting national » organisé à Tripoli
pour commémorer la journée de solidarité avec le peuple
palestinien. Il a consacré une partie de son intervention au Tchad.
Le gouvernement français, selon le numéro deux libyen, «
n'a malheureusement pas fait ce qu'il aurait
pu faire, après le retrait des forces françaises et des éléments
d'appui libyens au GRUNT, à savoir encourager les parties
tchadiennes, le gouvernement national et le rebelle Habré, à
trouver une solution politique... Nous sommes également
surpris, a-t-il poursuivi, par les
déclarations françaises selon lesquelles les éléments d'appui
libyens ne se seraient pas retirés, alors que nous savons tous
qu'un communiqué franco-libyen a été publié conformément à l'accord
conclu précédemment. Nous ne comprenons donc pas pourquoi ce sujet
est à nouveau mis sur le tapis ». Après le retrait, affirme
le Commandant Jalloud, «nous aurions dû, ainsi
que la France, déployer nos efforts en vue d'instaurer la paix au
Tchad, car le problème est politique. A présent, des voix s'élèvent
en France qui affirment que les éléments d'appui libyens ne se sont
pas retirés, afin de justifier le retour des forces françaises. Et
la France, sous la pression de l'Amérique, des forces de la droite
française, et du rebelle Habré..., a effectivement commencé à
violer l'accord et à revenir... Nous affirmons que nous nous sommes
retirés et que nous sommes prêts à collaborer avec la France pour
trouver une solution politique, a-t-il conclu, mais avant tout, nous sommes prêts à combattre au Nord, à
l'Est et au Sud ! »
Affrontement armé en Nouvelle-Calédonie. La
situation est intenable. Pisani doit y aller — et vite.
Le franc se renforce. Nos réserves de change
sont maintenant de 450 milliards de francs, dont 260 milliards en
or, le reste en diverses devises. Pendant les trois premiers
trimestres de 1984, la France a emprunté à l'étranger moitié moins
qu'elle ne l'avait fait en 1983 pendant la même période.
S'endetter, dans ces limites, est sain pour une
nation comme pour une entreprise. Cela permet de financer l'avenir
et ne freine en rien notre croissance, qui ne dépend que de notre
capacité d'investir et de la croissance économique
internationale.
Samedi 1er décembre 1984
Ce matin, François Mitterrand proteste:
«Je souhaite avoir à midi le texte des accords
franco-tchadiens de 1987. J'ai demandé à Joxe et Lemoine de me
fournir, à mon retour de Syrie, une note juridique et historique
(depuis 1956) sur la Nouvelle-Calédonie. Je n'ai rien vu. Il y a
urgence! J'attends donc cette note pour cet après-midi à 17 heures.
»
A 10 heures, François Mitterrand reçoit Edgard
Pisani et lui propose d'aller à Nouméa. Il accepte, et demande à
emmener avec lui Christian Blanc, préfet à Tarbes, qui fut
directeur de cabinet de Rocard, puis le sien à Bruxelles.
Un Conseil des ministres exceptionnel le nomme.
On prévient le président de la Commission européenne, Gaston Thorn,
encore là pour un mois, qui fait signer à Pisani sa démission à
l'escale de Bruxelles de l'appareil qui l'emmène en
Nouvelle-Calédonie. L'autre commissaire français, François-Xavier
Ortoli, ayant déjà quitté Bruxelles pour prendre la présidence de
la Compagnie française des Pétroles, il n'y a plus aucun
représentant de la France à la Commission jusqu'au 31
décembre.
Manifestation contre le racisme à Paris,
organisée par SOS-Racisme.
Lundi 3 décembre
1984
Le Sommet européen commence à Dublin. L'adhésion
espagnole et portugaise est confirmée. La Grèce, comme toujours,
veut son pourboire pour donner son accord. Ce seront les PIM
(programmes intégrés méditerranéens). La seule question à trancher
par le Conseil européen est celle du vin de table (déclenchement de
la distillation dans la Communauté, répartition entre pays de cette
distillation).
A Bastia, un CRS est tué par des membres de
l'ex-FNLC.
A Bhopal, en Inde, une fuite de gaz toxique tue
plus de 2 500 personnes, et en atteint plus de 100 000. La
responsabilité de l'usine, américaine, semble plus
qu'engagée.
Après en avoir discuté avec certains chefs
d'État francophones à Lomé, Houphouët-Boigny demande le report du
Sommet de Bujumbura. « L'affaire du Tchad
exigerait, dit-il, pour être utilement discutée à Bujumbura, une
préparation soigneuse. Les éléments d'information sont pour le
moment épars et ne permettent sans doute pas, à ce stade, d'engager
une réflexion approfondie. Le cadre de Bujumbura, avec des chefs
d'État et de délégation venus de trop nombreux horizons, n'est pas
propice à une libre expression des amis les plus proches de la
France, qui ne pourront que se tenir sur la réserve devant un tel
auditoire. »
Les Africains francophones n'aiment pas cette
extension aux non-francophones. La conférence perd son sens à leurs
yeux. Il ne faut pas discuter du Tchad devant des
non-francophones.
A Dublin, dans la soirée, nous apprenons que la
Haute Autorité de l'Audiovisuel a décidé de mesures de suspension à
l'encontre de certaines radios privées, dont une contre NRJ. Tout
est prêt pour saisir le matériel dans la nuit. Le Président pense
qu'il vaut mieux régler la question par la négociation. J'appelle
Georges Fillioud pour faire annuler l'opération. Georges en est
furieux. Mais, comme toujours, il en prendra publiquement la
responsabilité. Il faudra décidément faire quelque chose pour la
musique. Peut-être une chaîne musicale à la télévision, la
cinquième ?...
Mardi 4 décembre 1984
Comme lors de chaque Sommet européen, François
Mitterrand et Helmut Kohl prennent ensemble le petit déjeuner.
Germe l'idée de confédération européenne.
Kohl défend âprement les privilèges du vin de
Moselle dont on a parlé hier à propos de la distillation. On passe
ensuite à la préparation du prochain Sommet des Sept à Bonn, qui
inquiète beaucoup le Chancelier :
Helmut Kohl: Le 8 mai
1985 sera une journée déprimante pour
les Allemands. C'est l'heure zéro de notre histoire, la fin de la
barbarie hitlérienne. Il y aura un
discours dans les églises et de grands défilés en Europe de l'Est. J'espère qu'il n'y
aura pas de défilé conjoint des Alliés à Berlin ?
François Mitterrand : Non. Je suis contre.
La France estime qu'il ne faut pas en
rajouter. Je ne veux pas de manifestation d'envergure. En 1985, on
célébrera la victoire contre une autre
Allemagne. J'ai une idée : je
veux que les deux Europes se
rencontrent, mais sans les Américains. C'est l'Europe qui se
construit !
Helmut Kohl : Oui. Les
États-Unis ne seraient pas très
utiles.
François Mitterrand : Il
faut une rencontre autour de la
réalité européenne. Au moins, peut-être, une rencontre France/Allemagne/URSS.
Helmut Kohl : Oui,
absolument.
Dans la matinée, le Comité présidé par le
sénateur Doodge remet son rapport, préparé pour l'essentiel par la
France et le Quai d'Orsay, sous l'égide de Maurice Faure. Il
propose une réforme institutionnelle et des modalités de
convocation d'une conférence interétatique au printemps prochain.
Il est décidé de ne pas convoquer de conférence au printemps et de
demander au Comité Doodge de préparer d'ici mars un avant-projet de
traité pour la négociation interétatique à venir, dans le cadre du
prochain Sommet de Milan, en juin.
A Nouméa, Pisani négocie avec Tjibaou la fin des
émeutes. Tjibaou donne sa parole à Christian Blanc de faire lever
les barrages demain.
Réponse cinglante de François Mitterrand à
Hissène Habré, aussi détaillée que la lettre de celui-ci. Elle
constitue le meilleur récapitulatif de la position française sur le
Tchad au cours de ces semaines-charnières.
« J'ai pris
connaissance avec intérêt de votre
lettre du 22 novembre dont je vous remercie. Votre envoyé, M.
Togoï, a dû vous faire connaître
ma façon de penser sur les appréciations de plusieurs de vos ministres mettant
en cause le concours apporté au Tchad
par la France.
Je rappellerai en effet que, depuis octobre 1975, la France n'est
plus liée au Tchad, à la demande de ce
dernier, par un traité de défense. Les accords du 6 mars 1976 comportent, certes, des
dispositions de coopération militaire, mais l'Article 4 du premier de ces
accords exclut toute participation directe française
à des opérations dans votre pays, et l'Article
21 abroge formellement l'accord de 1960. En dépit de cette
interdiction et répondant à votre
pressant appel en août 1983, j'ai décidé
d'intervenir militairement pour arrêter
les forces libyennes qui avaient
pénétré au Tchad et marchaient sur
votre capitale. Il me paraissait essentiel d'apporter la démonstration claire du soutien de la
France au Tchad et de confirmer
aussi à tous les
autres pays amis d'Afrique que mon pays ne laisserait pas une armée
étrangère envahir leur territoire. J'ai pris mes responsabilités et
les soldats de "Manta " ont risqué leurs vies. Mais, vous le
savez et l'Afrique l'a su, l'invasion
a été arrêtée
: depuis l'arrivée de nos
troupes, les Libyens n'ont plus avancé
et le Tchad, dans ses œuvres vives, a
été protégé et maintenu sous la seule
responsabilité de l'autorité légale. Les mois se sont
ensuite écoulés avant que les Libyens
comprennent et acceptent qu'ils ne pourraient pas pénétrer dans
la partie de votre pays couverte par
"Manta " et qu'ils ne parviendraient pas à déstabiliser le Tchad.
C'est alors qu'il
nous a été possible de négocier et de
conclure, le 17 septembre, avec eux, à Tripoli, un
accord par lequel les deux parties
s'engageaient au retrait de
leurs forces. Les nôtres ont quitté le
Tchad (à l'exception des éléments qui
coopèrent avec votre armée dans le cadre de
l'accord de 1976). Certaines des leurs, en violation inacceptable
de l'engagement formel qui avait été pris, sont restées au
Nord-Tchad ou sont revenues.
Du point de vue militaire, cependant, le départ de «Manta» et la réduction simultanée du dispositif
libyen confirment la situation
antérieure: le gouvernement français
vous avait fait savoir que le
16e parallèle ne serait pas franchi par
l'armée libyenne. Il ne l'a pas été. Pour l'avenir, vous savez que les Libyens ne disposent
pas au nord du Tchad de l'équipement et
des forces qui leur permettraient de passer ce parallèle. S'ils s'en dotaient — ce que nos propres
sources d'information détecteraient aussitôt —, leur menace provoquerait notre riposte,
si le gouvernement du Tchad nous le demandait, avec les armes et les
moyens appropriés.
Vous vous souviendrez, par ailleurs, qu'à aucun
moment la France n'avait envisagé de participer militairement
au dégagement de la partie du Tchad
située au nord du 16e parallèle. Vous admettrez dès lors avec moi que la
situation s'est singulièrement améliorée, grâce à l'effort considérable représenté
par « Manta », et qu'à cause de cela les critiques émises à
N'Djamena sur notre action sont injustes et déplacées.
Je saisis enfin l'occasion de cette lettre pour
exprimer mon inquiétude à la lecture
des rapports et dépêches relatant la situation dans le sud de votre
pays.
Des menaces y pèsent sur mes compatriotes.
Indépendamment des conséquences psychologiques
qu'auraient en France des atteintes à leurs personnes et à
leurs biens, je me dois d'obtenir de vous, pour eux, les
garanties nécessaires.
Il serait grave également que nous semblions, de
quelque manière que ce fût, associés à
des excès commis par des troupes régulières tchadiennes que nous
équipons et dont nous entraînons des cadres. Les rumeurs qui
courent à ce sujet sont de plus en plus
précises; les témoignages se
multiplient, dénonçant le comportement de certaines unités. Au-delà
même du souci que nous devons avoir du
respect des droits de l'homme, vous
connaissez la volonté de la France de ne pas être mêlée
aux conflits intérieurs du Tchad.
Je ne mésestime certes pas l'effort considérable
que requiert pour vous-même, votre
gouvernement, votre armée, la mise en place de structures
nationales durables, et j'attache une grande importance aux relations historiques et toujours actuelles qui unissent nos deux pays.
La France
a pris les risques que j'ai évoqués plus haut alors
qu'aucune obligation contractuelle ne
l'y contraignait. Elle contribue au relèvement des dommages de la
guerre civile. Mon gouvernement souhaite poursuivre son aide au
Tchad, peut-être déterminante dans la période terrible que
traverse votre pays, frappé par la sécheresse et menacé par la
famine. J'aurais attendu de ce fait une
autre attitude des responsables qui,
agissant sous votre autorité, ont tenu des propos compromettant la
bonne qualité — à laquelle j'attache
beaucoup d'importance — de nos
rapports. Je ne puis qu'espérer à cette fin le
changement d'un comportement dont les raisons me restent peu
claires. Je suis convaincu que, dans l'esprit de nos récentes
conversations à Paris, vous souhaiterez également faire prévaloir
un climat de respect mutuel et de confiance. »
Mercredi 5 décembre 1984
Tragédie: tombés dans une véritable embuscade,
deux frères de Tjibaou sont massacrés dans des conditions atroces à
Hienghène. Malgré cela, et en dépit de la responsabilité évidente
d'extrémistes caldoches, Tjibaou respecte sa parole donnée la
veille à Christian Blanc et lève les barrages. Là bascule le destin
de la Nouvelle-Calédonie. Eût-il choisi la vengeance, tout eût été
différent. Cet homme est, de tous ceux que j'ai rencontrés, l'un de
ceux qui m'a laissé la plus forte impression de sérénité. Un Juste,
comme Issam Sartaoui, Indira Gandhi, Anouar El Sadate. Tous
assassinés...
Le Président fixe un objectif d'inflation de 4,5
% pour 1985, contre l'avis de Laurent Fabius qui le juge
inaccessible.
Le Président déjeune avec la reine du Danemark,
et moi avec Henri Atlan, le grand biologiste qui nous a servi
d'interprète à Jérusalem.
Jeudi 6 décembre 1984
Les prévisions pour 1985 laissent espérer une
quasi-stabilisation du chômage à 2,4 millions, grâce à 100 000 TUC.
Pour ramener le nombre des chômeurs à 2 millions, Delebarre propose
la généralisation du congé de conversion, l'ouverture de la
préretraite pour tous les chômeurs de plus de 55 ans, et
l'augmentation de la formation: cela coûterait 6 milliards. Il faut
des décisions avant la fin de l'année.
Vendredi 7 décembre 1984
Le Président a tranché : Cheysson ira à
Bruxelles, Dumas devient ministre des Relations extérieures, Dufoix
prend en plus le poste de porte-parole. Max Gallo quitte le
gouvernement. On me dit qu'il en est très amer.
Jacques Delors va me manquer. Sa clarté
d'esprit, sa lucidité, sa conviction, sa culture en font le vrai
responsable du succès d'une rigueur qui n'a pas renoncé aux
réformes. Un ministre des Finances nous quitte; un homme d'État
s'annonce.
Samedi 8 décembre 1984
François Mitterrand est au Zaïre. Chaos,
corruption. Quelque chose comme Blade
Runner, sans l'espérance.
Jacques Rigaud est prévenu par Jean Drucker
qu'il risque d'être remplacé au prochain conseil d'administration
de la CLT par Jacques Pomonti.
Lundi 10 décembre 1984
Le Président est au Rwanda.
Mardi 11 décembre 1984
Dans l'avion, le Président travaille à son
interview au Nouvel Observateur sur les grands projets. Il me dit:
« Les grands projets, ce sont aussi les
réalisations de portée nationale hors de Paris. Parmi celles-ci, je
relève: la construction du Conservatoire supérieur de musique de Lyon ; le Centre
national de la bande dessinée d'Angoulême ; l'École nationale de la
photographie d'Arles ; l'École supérieure de la danse à
Marseille ; le Musée archéologique d'Arles ; un Centre national
d'art contemporain à Grenoble ; le Musée des plans-reliefs à Lille ;
l'Institut Louis-Lumière à Lyon ; le premier Centre national d'archives industrielles à Roubaix ; dix Zénith;
l'École de l'Opéra de Nanterre ;
l'École nationale du cirque ; le Centre national de la mer
à Boulogne ; le Site national de
Bibracte ; le nouveau Musée national de
la préhistoire aux Eyzies... »
Arrivée à Bujumbura pour le Sommet.
Très bon discours de Diouf. J'essaie de mettre
sur pied avec son ministre des Affaires étrangères, Ibrahim Fall,
une réunion Nord/Sud sur la dette avant le Sommet de Bonn.
Impossible : personne n'en voudra parmi les Sept.
Première discussion tendue sur le Tchad. Habré
est austère et réservé. Il montre qu'il n'est pas d'accord avec le
retrait des troupes françaises. Bongo lâche : « N'en parlons plus. »
Sassou N'Guesso : «
Je suis surpris. Je ne savais
pas qu'il n'y avait pas d'accord entre la France et le Tchad sur le retrait des
troupes. »
François Mitterrand parle une heure durant:
« La question du 16e parallèle relève de la
même problématique que celle de la dissuasion: la frontière
française doit être défendue et son franchissement implique riposte
; par contre, l'entrée en Allemagne de troupes ennemies n'implique
pas une réaction automatique. Il nous appartient alors d'apprécier
si les intérêts vitaux de la France sont ici en cause. Le
franchissement du 16e parallèle constitue
une attaque directe de l'Afrique noire impliquant réaction immédiate.
La présence au Tchad du Nord, elle, entre dans la catégorie
d'offensive où je suis seul juge de
la menace pesant sur les intérêts
vitaux de l'Afrique noire, et n'implique pas
de réaction automatique. Ainsi notre politique au Tchad et en Afrique s'apparente-t-elle à la dissuasion. Il est donc
normal qu'il n'y ait pas réaction
offensive. (...) Si vous voulez que j'aille
au Nord, il faut que
l'Afrique me le demande. Et
allez-y les premiers !... Non ? Pas de volontaires ? »
François Mitterrand reçoit ensuite Habré
longuement en tête à tête. A la sortie, le Président me dit d'un
air goguenard : « Ne vous en faites
pas, maintenant il se tiendra tranquille.
»
Mercredi 12 décembre 1984
Cheysson est Commissaire aux Relations
extérieures, mais ne s'occupera que des rapports Nord/Sud et des
pays méditerranéens. Il a refusé l'Industrie. Dommage pour lui et
pour la France.
Discussion sur le projet américain IDS, dit de «
guerre des étoiles ». Hubert Védrine envoie note sur note. Le
projet a d'ores et déjà pour objectif stratégique de restaurer la
dissuasion en rendant incertaine une première frappe soviétique
grâce à une combinaison de la dissuasion nucléaire et d'armes
nouvelles, au sol ou éventuellement dans l'espace. Et comme but
technologique de redonner le plus d'avance possible aux États-Unis
sur le Japon, l'URSS ou l'Europe.
François Mitterrand: « Le Président Reagan
va essayer de défendre jusqu'au bout son rêve. Il aura ainsi tous les mérites:
celui d'avoir essayé de dépasser le nucléaire, et celui d'avoir en
pratique renforcé la capacité de dissuasion en stimulant la
technologie américaine. Il voudra conclure avec
Gorbatchev, avant 1988, un accord du type "élévation du nombre des ABM
au sol autorisés de part et d'autre, plus moratoire sur le déploiement des
systèmes spatiaux", tout cela devant être facilité par les limites
scientifiques et financières
rencontrées par l'IDS. »
A Bangui, rencontre du colonel Mancion. Une
sorte de Lawrence à la française. Il a été l'homme des
Nouvelles-Hébrides, il est aujourd'hui le vrai patron de la
République centrafricaine. Au ministre des Affaires étrangères
centrafricain qui l'interroge sur le protocole, il lance:
« Vous ne trouvez pas qu'on perd notre
temps, avec vos foutaises ? u Et à moi: «Je serai content quand vous serez partis. »
Dîner en plein air dans le palais désert de
Bokassa. Le Président danse avec Mme Kolingba. Irréalité...
Vendredi 14 décembre 1984
Yasser Arafat me fait savoir qu'il s'inquiète du
Sommet de Dublin et de la visite de Shimon Pérès à Paris.
Passation de pouvoirs entre Cheysson et Dumas.
Ambiance fraîche.
Au total, cette année, les Américains ont
déployé 72 Pershing II en RFA, et 48 missiles de croisière en
Grande-Bretagne et en Italie. L'objectif de l'OTAN reste d'arriver
en 1988 à 108 Pershing II en RFA et 464 missiles de croisière en
Grande-Bretagne, Italie, Belgique et Pays-Bas, face aux 243 SS 20 à
trois têtes capables d'atteindre l'Europe. L'URSS a réagi par
l'implantation de 64 SS 21 en RDA en plus des 36 existants. Il y a
aussi 54 SS 22 en RDA et en Tchécoslovaquie. L'URSS peut donc
maintenant proposer, « en échange » d'un gel, de retirer les seuls
SS 21 et 22. Il lui restera toujours ses SS 20.
Un communiqué des ministres des Affaires
étrangères de l'Alliance, à Bruxelles, dit ce matin: «Les alliés concernés sont disposés à inverser,
arrêter ou modifier le déploiement des
missiles à longue portée — et notamment à démonter et retirer les
missiles déjà en place — dès la conclusion d'un accord équilibré, équitable et vérifiable
prescrivant de telles mesures. Faute d'obtenir par la négociation un résultat concret rendant les
déploiements inutiles, les alliés concernés
soulignent leur détermination à poursuivre le déploiement de
missiles des Forces nucléaires intermédiaires à longue portée, comme prévu. »
Samedi 15 décembre 1984
Le numéro deux soviétique, Gorbatchev, est en
Grande-Bretagne. Il fait partie de ces jeunes du Politburo en qui
Mme Thatcher croit beaucoup. Pourtant, Tchernenko va sans doute
tout faire pour l'éliminer. Comme Aliev et les autres hommes
d'Andropov.
A l'initiative de la France, l'assemblée de
l'UEO adopte une recommandation invitant les Sept gouvernements
membres à « relever le défi spatial »
et « à promouvoir une politique
européenne unifiée dans le domaine de l'utilisation militaire de
l'espace », reprenant la proposition faite à La Haye par François
Mitterrand de créer une « communauté européenne de l'espace en vue
de construire une station spatiale européenne
»
Dimanche 16 décembre 1984
Les négociations sur la flexibilité de l'emploi,
qui ont débuté le 28 mai, débouchent sur un accord de
négociation.
La CGT, FO, la CFTC et la CFDT refuseront en
fait de le parapher.
François Mitterrand se déclare encore une fois
contre l'IDS, « une militarisation de l'espace
qui conduit au surarmement ».
Lundi 17 décembre 1984
Réunion de Rousselet avec les dirigeants de la
CLT à l'aéroport de Luxembourg. Les Belges se rangent derrière les
Luxembourgeois: pas Pomonti, pour ne pas avoir Wemer. Finalement,
Jacques Rigaud est maintenu.
Jeudi 20 décembre 1984
En troisième lecture, l'Assemblée adopte les
mesures Chevènement sur l'école privée et le projet de Budget 1985.
Les communistes votent contre.
Pisani est venu à Paris voir François Mitterrand
et Laurent Fabius. « Il faut
annuler le statut Lemoine et discuter de
l'indépendance, ou au moins de la souveraineté. » Le
Président est pour. Fabius se montre sceptique.
Vendredi 21 décembre 1984
Roland Dumas presente aujourd'hui notre candidat
à la Direction agricole à Bruxelles, Legras. Delors se rallie. Si
on n'y va pas, les Allemands mettront en avant la candidature d'un
homme de qualité.
Après leur refus de nommer Pomonti à la tête de
la CLT, la crise avec les Luxembourgeois s'installe. Annulation de
la réunion franco-luxembourgeoise qui devait préciser le protocole
d'accord du 26 octobre sur les satellites de télédiffusion.
Des officiers français se trouvent à Tripoli «
en attente d'une mission d'observation » et partiront peut-être pour le Nord
du pays, avec des observateurs grecs. Goukouni Oueddeï, dans le
maquis, s'oppose néanmoins à la présence d'observateurs français
dans cette région.
Mercredi 26 décembre 1984
François Mitterrand téléphone comme tous les
jours à Pisani, pour le soutenir. Il est 16 heures, heure de Paris,
et 3 heures du matin à Nouméa. « Ça va
bien, Pisani, n'est-ce pas ? »
Fabius, lui, n'appelle jamais.
Lafleur est incapable de dialoguer avec Pisani.
Dommage. C'est un homme remarquable; il saura vouloir la
paix.
Conversation ultérieure avec François Mitterrand
et Elie Wiesel. Le Président: « On parle de mystère juif.
L'existence juive n'est pas un mystère, c'est une exception, un
exemple d'extraordinaire vitalité dans l'Histoire. Je ne vois pas où est le mystère. C'est
une petite tribu qui est sortie du monde mésopotamien grâce à
la rencontre d'un homme à l'esprit
puissant, Abraham, et du Dieu auquel il
a cru, qui l'a inspiré. Et puis ça
dure encore, depuis 4 000 ans. Ce
n'est pas mal. Si on s'en tient à
l'explication directe de la Bible, Dieu a autant besoin du peuple
juif que le peuple juif de Dieu. Donc, si le peuple juif
disparaissait, il aurait joué un drôle de mauvais tour à son Dieu.
Il le tient, en somme, il tient Dieu. »
Jacques Pomonti, éconduit de la CLT, se voit
confier une mission d'étude du satellite TDF 1, qu'on juge pouvoir
être opérationnel dans deux ans. Quels programmes y mettre?
Conversion de Pierre Bérégovoy à l'orthodoxie
monétaire. Le Président reçoit copie d'une lettre de lui à Laurent
Fabius montrant que le ministre des Finances est maintenant devenu
le tenant le plus ferme du monétarisme:
« Comme je vous
l'ai indiqué récemment, il me paraît
essentiel que l'action du gouvernement dans les prochains mois vise prioritairement
deux objectifs dans le domaine économique :
— obtenir un taux d'inflation de moins de 5 % à la fin de
1985 ;
— assurer une décrue
du chômage dès les premiers mois de 1985.
A mon sens, celle-ci ne doit pas reposer sur un
traitement social du chômage dont
le coût budgétaire est considérable et aboutit
finalement à une réduction de l'activité économique,
génératrice de chômeurs nouveaux.
... La condition première de
la désinflation, avant même le contrôle direct des indices
de prix, est donc le strict respect des chiffres prévus dans notre
tableau de financement de l'économie
pour 1985 au titre des déficits
publics : le déficit budgétaire doit
être strictement limité à 140 milliards
de francs ; la Sécurité Sociale doit
voir son équilibre confirmé ; le besoin de
financement des entreprises nationales doit être limité à 40
milliards de francs. Sur ces trois
points, il nous faut être intransigeants.
... Financièrement, les
mesures "sociales" de traitement du chômage sont contre-productives
: pour financer un milliard de francs de préretraites, il
faut opérer un prélèvement sur les actifs d'un
milliard de francs ; cela veut dire qu'il faut supprimer
l'équivalent d'un milliard de francs d'emplois actifs pour financer le même montant de
préretraités.
... En outre, la
substitution de cent mille préretraités à cent mille emplois actifs
a un effet inflationniste majeur:
alors que la demande reste constante (pouvoir d'achat quasiment maintenu), l'offre disparaît. Cette substitution induit donc un
déséquilibre croissant entre une demande constante et une offre qui
se resserre.
La mise en
œuvre de mesures supplémentaires de
traitement social du chômage
ne pourrait que retarder la modernisation de
notre économie, et en réalité augmenter encore le chômage: car ces
mesures supprimeraient plus d'emplois du côté de leur financement
qu'elles n'en créeraient (ou n'en sortiraient des statistiques) du
côté de leur affectation.
Il me paraît donc
préférable d'aborder le problème du
chômage sous l'angle de l'activité
économique... »
François Mitterrand relit cette lettre et
l'annote en marge: «Je refuse de croire
que Pierre Bérégovoy ait rédigé
lui-même la lettre qu'il a signée.
»
C'est exactement là le problème: pour se faire
respecter, un ministre doit-il s'imposer à son administration ou en
devenir le porte-voix?
Samedi 29 décembre 1984
Robert Badinter s'inquiète: d'après ce qu'il
croit savoir, le Conseil constitutionnel va réduire en miettes le
budget de 1985. Le secrétaire général du gouvernement, Jacques
Fournier, renonce à ses vacances. Finalement, quelques minutes
seulement avant 19 heures, le Conseil avalise la loi de Finances et
n'en annule que deux dispositions secondaires.
Lundi 31 décembre 1984
Nuit bleue anti-indépendantiste à Nouméa.
Il y a un an, les experts des instituts privés
prévoyaient pour 1984 une quatrième dévaluation, un taux de
croissance proche de zéro, des investissements industriels en
baisse, 500 000 chômeurs de plus, un déficit des paiements de près
de 20 milliards, et une inflation supérieure à 7 %.
Vœux du Président: «
Patrie, solidarité, tolérance, courage, effort » - et : « Le grand
projet, c'est l'Europe. »