8
SCOOPS
Extrait de : OurWorld International News Hour, 21 juin 2036.
Kate Manzoni (s’adressant à la caméra) : La possibilité bien réelle, révélée ici en exclusivité, d’un conflit armé entre l’Écosse et l’Angleterre, et impliquant, bien entendu, les États-Unis tout entiers, constitue la péripétie la plus significative de ce qui est en train de devenir le thème central du siècle : la bataille de l’eau.
Les chiffres sont éloquents. Moins de un pour cent des réserves d’eau de la planète sont accessibles et propres à la consommation humaine. À mesure que les cités prennent de l’extension et que les terres agricoles s’amenuisent, les besoins en eau augmentent de façon dramatique. Dans certaines parties de l’Asie, du Moyen-Orient et de l’Afrique, les eaux de surface disponibles ont déjà été complètement utilisées, et le niveau des eaux souterraines est en baisse depuis des décennies.
Au début du siècle, dix pour cent de la population manquaient d’eau potable. Aujourd’hui, ce chiffre a triplé, et on s’attend avec inquiétude à ce qu’il grimpe jusqu’à soixante-dix pour cent en 2050.
Nous sommes désormais habitués à voir surgir des conflits sanglants avec l’eau pour enjeu. On peut citer la Chine, les eaux du Nil, l’Euphrate, le Gange ou l’Amazone. Dans toutes ces régions du globe, les ressources naturelles en diminution doivent être partagées entre plusieurs nations, qui soupçonnent leurs voisins, à tort ou à raison, d’avoir plus que la part qui leur revient. Dans notre pays, des voix se sont déjà élevées au Congrès, demandant au gouvernement d’accentuer la pression sur nos voisins canadiens et québécois pour qu’ils fassent passer plus d’eau aux États-Unis, particulièrement dans les régions en voie de désertification du Middle West.
Néanmoins, l’idée que de tels conflits puissent s’étendre au monde occidental industrialisé – témoin notre information exclusive selon laquelle le gouvernement anglais envisagerait une incursion armée sur le territoire écossais pour s’emparer de certaines réserves d’eau – fait froid dans le dos.
Angel McKie (voix off) : C’est la nuit, rien ne bouge.
Cette petite île, sertie comme un joyau dans la mer des Philippines, n’a que cinq cents mètres de large. Et cependant, jusqu’à hier encore, plus de mille personnes vivaient ici, entassées dans des cabanes croulantes qui couvraient la plaine jusqu’à la limite de la marée. Hier encore, des enfants jouaient sur la plage que vous voyez là. Aujourd’hui, il ne reste plus personne. Pas même les corps des enfants.
L’ouragan Antony, le tout dernier produit de la tempête El Niño qui continue de ravager la ceinture du Pacifique, n’a fait qu’un bref passage ici, mais suffisant pour détruire ce que des générations d’habitants avaient patiemment édifié.
Le soleil ne s’est pas encore levé sur ce spectacle de désolation. Même les équipes de sauvetage ne sont pas encore arrivées. Ces images vous sont offertes en exclusivité par OurWorld, dont le système de capture à distance de l’actualité a, une fois de plus, devancé tous ses concurrents.
Nous reviendrons sur les lieux lorsque les premiers hélicoptères de secours arriveront du continent. Ce n’est plus qu’une question de minutes, à présent. En attendant, nous vous proposons une petite promenade sous-marine sur les bancs de corail environnants, vestiges de la grande barrière de corail qui bordait le détroit de Tanon et la côte sud de l’île Negros et a depuis longtemps été détruite par la pêche intensive à la dynamite. Aujourd’hui, même ces derniers vestiges, protégés depuis une génération par des experts dévoués, ont été dévastés…
Willoughby Cott (voix off) : Et on revoit le but, de l’épaule de Staedler, avec le dispositif OurWorld exclusif : l’Œil-du-Sportif.
Vous apercevez la ligne des défenseurs devant Staedler tandis qu’il fonce, apparemment, pour faire une passe qui laissera Cramer démarqué. Mais non, il oblique vers le milieu du terrain, feinte un premier défenseur, puis un deuxième. Le gardien de but ne sait plus d’où viendra l’attaque, Staedler ou Cramer… et vous voyez maintenant le trou repéré par Staedler, au ras du poteau ; il accélère soudain et… shoote !
À présent, grâce à la technologie OurWorld exclusive qui vous permet d’avoir des images au cœur de l’action, nous volons avec le ballon qui, implacablement, dessine sa trajectoire vers l’angle du filet, tandis que la foule de Beijing hurle d’extase…
Simon Alcala (voix off) : Dans un instant, nous allons vous offrir en exclusivité de nouvelles images sur la vie privée de la tsarine russe Irina en visite dans une boutique de luxe de Johannesbourg… Et savez-vous ce que la fille de Madonna a fait faire à son nez dans une clinique privée de chirurgie esthétique de Los Angeles ?
Les paparazzi de OurWorld vous font entrer dans l’intimité des grands de ce monde, que ça leur plaise ou non !
Mais, pour commencer, il y a une certaine assemblée générale sur laquelle nous aimerions en savoir plus ! Hier à l’heure du déjeuner, la secrétaire générale des Nations unies Halliwell a quitté pour quelques instants la conférence de l’Unesco sur l’hydrologie mondiale qui se tient à Cuba. Elle pensait être à l’abri des regards indiscrets dans ce jardin aménagé sur la terrasse de sa résidence, et elle avait raison – ou presque. La terrasse en question est protégée par un toit-miroir unidirectionnel, qui laisse passer les rayons bienfaisants du soleil mais stoppe les regards indiscrets. Tous sauf le nôtre !
Descendons par le toit. Oui, à travers le toit. Ah ! La voilà ! Elle fait plaisir à voir en train de se délecter en tenue d’Ève des rayons à peine filtrés du soleil des Caraïbes. Malgré son toit-miroir, on dirait qu’elle se méfie. Voyez comme elle se couvre au passage d’un petit avion au-dessus de l’immeuble ! Mais elle devrait savoir qu’elle ne peut rien cacher à la caméra de OurWorld !
Comme vous pouvez le constater, madame Gravité a été indulgente envers la secrétaire générale. Halliwell a les mêmes avantages que lorsqu’elle se trémoussait sur les scènes du monde entier il y a quarante ans. On peut toutefois se demander s’il s’agit du modèle d’origine, ou si elle a bénéficié d’un léger coup de pouce.