CHAPITRE XV
Mma Ramotswe et Mr. J.LB. Matekoni dînent dans leur maison
de Zebra Drive
Mr. J.L.B. Matekoni arriva en retard pour le dîner ce soir-là. D’ordinaire, il rentrait vers six heures, soit environ une heure après Mma Ramotswe. Elle-même quittait le bureau à cinq heures, voire un peu plus tard, mais elle pouvait aussi partir plus tôt. S’il ne se passait rien de particulier à l’agence, elle se tournait vers Mma Makutsi et lui demandait si une raison quelconque les obligeait à rester au bureau. Parfois, elle n’avait même pas besoin de dire quoi que ce fût. Elle se contentait de lancer à son employée un coup d’œil qui signifiait : « J’en ai assez ; il fait chaud et nous serions beaucoup mieux chez nous. » Alors, Mma Makutsi lui adressait un regard qui disait : « Vous avez raison, Mma Ramotswe. Comme toujours. » Après cet échange silencieux, Mma Ramotswe saisissait son sac et fermait la fenêtre donnant sur le côté du garage. Puis elle accompagnait Mma Makutsi en ville ou chez elle, dans le quartier d’Extension Two, avant de regagner Zebra Drive.
Rentrer tôt offrait entre autres l’avantage d’être là pour accueillir les enfants à leur retour de l’école. Motholeli arrivait toujours après Puso, car il fallait pousser son fauteuil roulant sur tout le trajet. Les filles de sa classe avaient mis au point un système de rotation et, à tour de rôle, elles se chargeaient de ramener leur camarade chez elle. Au départ, les garçons y participaient eux aussi, se disputant pour avoir le privilège de pousser le fauteuil, mais on avait rapidement jugé leurs services insatisfaisants. Certains – et même la plupart – ne pouvaient résister à la tentation de pousser le fauteuil trop vite et il y avait eu un malheureux accident lorsque l’un d’eux en avait perdu le contrôle. Motholeli avait été propulsée à toute vitesse dans le fossé et était tombée du fauteuil. Elle ne s’était pas fait mal, mais le garçon, effrayé, s’était enfui à toutes jambes et un passant, un cuisinier qui travaillait dans une grande maison de Nyerere Drive, était venu à son secours. Il l’avait aidée à se rasseoir dans le fauteuil et l’avait raccompagnée, à vitesse raisonnable, jusque chez elle.
— Ce garçon est un imbécile, avait-il dit.
— D’habitude, il est gentil, avait protesté Motholeli. Mais là, il a eu peur. Il a dû croire que j’étais morte ou quelque chose comme ça.
— Il n’aurait pas dû se sauver, avait répondu le cuisinier. On appelle ça un délit de fuite. Ce n’est pas bien du tout.
Puso, pour sa part, était trop jeune pour qu’on le charge de ramener sa sœur. Certes, il parvenait à pousser le fauteuil roulant, mais il avait tendance à la distraction. On ne pouvait compter sur lui pour aller chercher Motholeli dans sa classe à l’heure dite et il serait capable de perdre tout intérêt pour sa mission au beau milieu du trajet et de courir après un lézard ou un autre animal qui aurait capté son attention. Il était rêveur, lunatique même, et il était souvent difficile de savoir à quoi il pensait.
— Il pense autrement, disait Mma Ramotswe.
Par délicatesse, elle n’ajoutait pas que la raison évidente de cette différence – dans son esprit et dans celui de la plupart des gens, sans doute – était que dans les veines de Puso coulait une bonne mesure de sang bushman. À cet égard, les gens étaient curieux. Certains se montraient hostiles à ce peuple, mais, de l’avis de Mma Ramotswe, il ne devait pas en être ainsi. « Il y a dans nos cœurs assez de place pour tous les peuples du pays, disait-elle, et les Bushmen sont nos frères et sœurs comme les autres. C’est leur pays aussi bien que le nôtre. » Cela lui semblait évident et elle n’avait pas de temps à consacrer à ceux qui avaient froncé les sourcils en apprenant l’adoption des deux enfants de la ferme des orphelins. Il existait des familles chez lesquelles une telle initiative n’eût jamais été prise, sous prétexte que les deux orphelins n’étaient pas de pur sang tswana, mais ce n’était pas le cas de cette maison de Zebra Drive.
Pourtant, Mma Ramotswe devait reconnaître que le comportement de Puso présentait certains aspects que l’on pouvait montrer du doigt en disant : « Eh bien, voilà ! Ça, c’est parce qu’il pense toute la journée au Kalahari et qu’il rêve de retourner là-bas, dans la savane ! Vous n’y pouvez rien, son cœur est fait comme ça ! » Soit, pensait Mma Ramotswe, peut-être était-ce vrai. Peut-être y avait-il chez cet étrange petit garçon des aspirations très anciennes qui lui venaient de ses ancêtres. Toutefois, même si tel était le cas, quelle différence cela faisait-il ? Il avait droit au bonheur et cela seul importait. Il était heureux à sa façon. Il ne serait jamais mécanicien, il ne reprendrait pas le garage de Mr. J.L.B. Matekoni, mais après tout, quelle importance ? Sa sœur, à la surprise générale, avait manifesté un immense intérêt pour les machines et affirmé son intention d’apprendre le métier de mécanicien. Cela laissait donc à Puso la liberté de se lancer dans une tout autre carrière, même s’il était encore difficile, pour le moment, de se faire une idée de ce que celle-ci pourrait être. Il aimait chasser les lézards et s’asseoir sous les arbres pour observer les oiseaux. Il aimait aussi constituer de petits tas de cailloux – il y en avait partout dans le jardin – sur lesquels Rose, la femme de ménage de Mma Ramotswe, butait régulièrement en allant étendre le linge. Quel métier pouvait-on envisager pour un tel enfant, une fois qu’il serait adulte ? Quels indices fournissaient ces occupations sur son avenir ?
— Il y a des postes au ministère de la Nature, avait un jour souligné Mr. J.L.B. Matekoni. Dans les réserves, on a besoin de gens pour localiser les animaux. Peut-être sera-t-il heureux là-bas, dans la savane, à traquer des girafes ou des choses comme ça. Pour certaines personnes, il n’existe pas de plus beau métier…
Ce soir-là, après la terrible rencontre avec Note Mokoti, les enfants avaient vite remarqué que quelque chose n’allait pas chez Mma Ramotswe. Puso avait posé une question à laquelle elle avait commencé à répondre, baissant peu à peu la voix pour sombrer finalement dans le silence, comme si ses pensées s’échappaient. L’enfant avait répété sa question, mais, cette fois, elle n’avait rien dit et il était reparti, perplexe. Motholeli, qui l’avait trouvée debout devant la fenêtre de la cuisine, le regard perdu dans le lointain, avait proposé de l’aider à préparer le dîner, mais elle avait reçu une réponse non moins distraite. Elle avait attendu que Mma Ramotswe dise autre chose, puis, voyant que rien ne venait, elle lui avait demandé si tout allait bien.
— Je réfléchis, dit Mma Ramotswe. Je suis désolée de ne pas t’écouter. Je pense à une chose qui s’est produite aujourd’hui.
— Une chose mauvaise ? demanda Motholeli.
— Oui, répondit Mma Ramotswe. Mais je ne peux pas en parler maintenant. Excuse-moi. Je suis triste et je n’ai pas envie de discuter.
Les enfants l’avaient donc laissée seule. Les adultes avaient parfois des comportements étranges – tous les enfants savaient cela – et, dans ces circonstances, la meilleure chose à faire consistait à les laisser tranquilles. Des problèmes les tourmentaient, des problèmes auxquels les enfants ne pouvaient être mêlés, et quand on avait du tact, on comprenait cela très bien.
Cependant, lorsque Mr. J.L.B. Matekoni rentra ce soir-là et qu’il leur apparut tout aussi soucieux et distant, ils surent qu’il se passait quelque chose de grave.
— Il doit y avoir de gros problèmes au garage, chuchota Motholeli à son frère. Ils sont très malheureux, tous les deux.
Il la regarda avec angoisse.
— Tu crois que nous allons devoir retourner à la ferme des orphelins ? interrogea-t-il.
— J’espère que non, répondit-elle. Je suis bien contente d’habiter ici, à Zebra Drive. Ils vont sûrement réussir à s’en sortir.
Elle tentait de paraître confiante, mais c’était difficile. Son optimisme la déserta totalement lorsqu’ils se mirent à table pour le dîner et que Mma Ramotswe oublia même de dire le bénédicité et garda le silence presque tout au long du repas. Ce soir-là, Motholeli guida son fauteuil roulant jusqu’à la chambre de Puso, qu’elle découvrit effondré sur son lit. Elle lui expliqua que, quoi qu’il arrivât, il ne devait pas avoir peur de se retrouver seul.
— Même si nous retournons chez Mma Potokwane, lui dit-elle, elle s’arrangera pour que nous restions ensemble. Elle a toujours fait ça.
Puso redressa la tête, désespéré.
— Mais je ne veux pas partir ! Je suis très bien ici, dans cette maison. Je n’ai jamais aussi bien mangé de ma vie !
— Et nous n’avons jamais rencontré de gens aussi gentils, renchérit Motholeli. Il n’y a personne au Botswana, personne, qui soit aussi bon et aussi gentil que Mma Ramotswe et Mr. J.L.B. Matekoni. Personne.
Le petit garçon hocha vigoureusement la tête.
— Je sais, dit-il. Tu crois qu’ils viendront nous voir, à la ferme des orphelins ?
— Évidemment… si nous sommes obligés d’y retourner…
Toutefois, ces paroles de réconfort n’empêchèrent pas les larmes de Puso de jaillir, des larmes versées pour tous les malheurs endurés, pour la perte de cette mère dont il ne se souvenait pas, pour l’idée que, dans ce monde vaste et inquiétant, il n’y avait personne, en dehors de sa sœur, sur qui il pût s’appuyer et que l’on ne pût pas lui enlever.
Lorsque les enfants se furent retirés dans leurs chambres pour la nuit, Mma Ramotswe se prépara une tasse de thé rouge et gagna la véranda. Elle avait pensé que Mr. J.L.B. Matekoni se trouvait dans le salon, car la radio était allumée dans cette pièce, et elle l’avait imaginé installé dans son fauteuil favori, en train de réfléchir à ce problème de mécanique qui l’avait rendu si taciturne ce soir-là. À son sens, il ne pouvait s’agir que d’un problème de mécanique, dans la mesure où c’était la seule chose susceptible d’émouvoir Mr. J.L.B. Matekoni à ce point. Et de tels problèmes trouvaient tôt ou tard leur solution.
— Tu es très silencieux ce soir, déclara-t-elle en le découvrant sous la véranda.
Il leva les yeux vers elle.
— Toi aussi, répondit-il.
— Oui, reconnut-elle. Nous sommes tous les deux silencieux.
Elle s’assit près de lui et posa la tasse en équilibre sur son genou. En faisant cela, elle jeta un bref regard à Mr. J.L.B. Matekoni ; l’idée qu’il était peut-être déprimé – une idée très alarmante – venait de l’effleurer, mais elle la rejeta aussitôt. À l’époque de sa dépression, Mr. J.L.B. Matekoni se comportait de façon tout à fait différente, indolente et vague. Là, en revanche, il semblait réfléchir à un sujet précis.
Elle scruta le jardin et la nuit. Il faisait doux et la lune presque pleine lançait des ombres sous l’acacia, le mopipi et les arbustes qui n’avaient pas de nom. Mma Ramotswe aimait se promener dans son jardin la nuit, en prenant soin d’avancer avec lenteur et d’un pas ferme. Ceux qui se faufilaient sans bruit dans l’obscurité couraient le risque de marcher sur un serpent, car les reptiles ne fuient que s’ils sentent le sol vibrer. Une personne légère – une personne qui n’était pas de constitution traditionnelle, par exemple – risquait bien plus de se faire mordre par un serpent pour cette raison même. C’était là un argument supplémentaire, bien sûr, en faveur de la constitution traditionnelle : le problème des serpents et de la sécurité.
Mma Ramotswe avait pleine conscience des difficultés que rencontraient désormais les personnes de constitution traditionnelle, surtout les femmes. On avait connu au Botswana un temps où personne ne prêtait attention aux gens minces. Parfois, on ne les voyait même pas du tout, puisque le regard pouvait facilement passer à côté. Quand une personne mince se tenait devant un paysage constitué d’herbe et d’acacias, ne se fondait-elle pas dans le décor et ne pouvait-on pas la prendre pour un morceau de bois, ou même une ombre ? Les individus de constitution traditionnelle ne couraient pas ce danger : ils se détachaient dans le décor avec la même distinction et la même autorité que les baobabs.
Dans l’esprit de Mma Ramotswe, il ne faisait aucun doute que le Botswana devait revenir à ces anciennes valeurs, qui avaient toujours nourri le pays et fait de lui la meilleure nation d’Afrique. Ces valeurs-là étaient nombreuses, et parmi elles figurait le respect du grand âge – en particulier des grand-mères, qui connaissaient beaucoup de choses et avaient été témoins de maintes souffrances – et des personnes de constitution traditionnelle. C’était bien beau d’être une société moderne, mais la prospérité et la croissance des villes constituaient une coupe empoisonnée qu’il fallait boire avec mille précautions. On disposait certes de tous les bienfaits qu’offrait le monde moderne, mais à quoi servaient ceux-ci s’ils détruisaient tout ce qui vous avait donné la force, le courage et la fierté vis-à-vis de vous-mêmes et du pays ? Mma Ramotswe était horrifiée, par exemple, de lire dans les journaux des articles présentant les gens comme des consommateurs. C’était là un terme épouvantable, épouvantable. Non, les gens n’étaient pas des consommateurs gloutons qui agrippaient tout ce qui leur passait à portée de main ; ils étaient des Batswana, ils étaient des êtres humains !
Ce n’était cependant pas sur ces questions, si graves fussent-elles, que méditait Mma Ramotswe. Elle ne pouvait songer qu’à sa rencontre avec Note et à la menace que celui-ci avait proférée. Il viendrait chercher l’argent dans deux ou trois jours, avait-il affirmé, et c’était la perspective de cette visite, plutôt que l’idée de devoir le payer, qui l’horrifiait. Elle avait pu réunir la somme – tout juste –, mais elle redoutait de voir Note se présenter chez elle. Cela lui apparaissait comme une sorte de souillure. La maison de Zebra Drive était un lieu de lumière et de bonheur et elle ne voulait en aucun cas l’associer à cet homme. À vrai dire, elle avait déjà pris sa décision et réfléchissait aux moyens de la mettre en pratique. Elle avait rédigé le chèque l’après-midi même et elle le lui porterait le plus tôt possible.
Mr. J.L.B. Matekoni but une gorgée de thé.
— Tu as l’air très soucieuse, dit-il avec douceur. Tu ne veux pas me confier ce qui te tracasse ?
Mma Ramotswe ne répondit pas. Comment lui expliquer ce que Note avait dit ? Comment lui avouer qu’en fait ils n’étaient pas mariés, que la cérémonie célébrée par le révérend Trevor Mwamba n’avait aucune valeur légale et qu’en outre elle constituait une violation de la loi, dont Mma Ramotswe était responsable ? S’il existait des mots pour dire tout cela, elle ne pouvait se résoudre à les prononcer.
Le silence qui planait entre eux fut brisé par Mr. J.L.B. Matekoni.
— Un monsieur est venu te voir, n’est-ce pas ?
Mma Ramotswe serra sa tasse. Mma Makutsi avait dû lui raconter, à moins que ce ne fût Mr. Polopetsi. Cela n’avait rien de surprenant : il ne pouvait guère exister de secrets dans une entreprise aussi petite.
— Oui, soupira-t-elle. Il est venu me demander de l’argent. Je vais le lui donner… pour me débarrasser de lui.
Mr. J.L.B. Matekoni hocha la tête.
— Cela arrive souvent avec ces gens, affirma-t-il. Ils reviennent. Il faut faire attention. Quand on leur donne de l’argent, ils en redemandent sans arrêt.
Mma Ramotswe savait qu’il disait vrai. Elle expliquerait à Note qu’il n’aurait rien de plus et que la prochaine fois, s’il revenait la voir, elle refuserait. Mais le ferait-elle vraiment ? Comment réagirait-elle s’il menaçait de nouveau d’aller voir la police ? Elle ferait tout, sans doute, pour éviter la honte.
— Je vais lui donner l’argent et lui dire de ne plus revenir, affirma-t-elle. Je ne veux plus le voir.
— D’accord, répondit Mr. J.L.B. Matekoni. Mais sois prudente.
Elle le regarda. Ils n’avaient pas beaucoup parlé et elle ne lui avait pas révélé le fond du problème, pourtant, elle se sentait mieux. À présent, elle pouvait le questionner à son tour.
— Et toi ? s’enquit-elle.
Mr. J.L.B. Matekoni émit un grognement.
— Oh, moi… répondit-il. Je suis dans un sacré pétrin. J’ai découvert quelque chose à propos de ma maison.
Mma Ramotswe fronça les sourcils. Elle savait que l’on courait toujours des risques avec les locataires. Ils traitaient le mobilier sans le moindre respect, faisaient des trous dans le sol ou au bord des tables avec leurs cigarettes. Elle avait même entendu parler d’une ferme proche de la ville louée par des contrebandiers qui faisaient commerce de pythons. Quelques serpents s’étaient échappés et avaient élu domicile dans le toit une fois les locataires expulsés. L’un d’eux avait failli dévorer le bébé des propriétaires. En entrant dans la chambre où dormait l’enfant, le père avait découvert le serpent étendu sur le bébé, mâchoires grandes ouvertes autour du petit pied. Il était parvenu à sauver son enfant, mais l’un et l’autre avaient été gravement mordus par les crochets acérés comme des aiguilles.
Il était peu probable que Mr. J.L.B. Matekoni ait trouvé des pythons dans sa maison, bien sûr, mais quelque chose le troublait. Elle l’interrogea du regard.
— Ils l’ont transformée en shebeen, lâcha-t-il. Je n’en savais rien. Je ne l’aurais jamais permis. Mais c’est bel et bien un bar clandestin.
Mma Ramotswe s’esclaffa.
— Ta maison ? Un shebeen ?
Mr. J.L.B. Matekoni lui lança un regard chargé de reproches.
— Je ne crois pas que ce soit drôle, protesta-t-il.
Elle se reprit aussitôt.
— Non, bien sûr. Il faut que tu fasses quelque chose, ajouta-t-elle d’une voix grave.
Elle s’interrompit. Pauvre Mr. J.L.B. Matekoni ! Il était bien trop doux, trop gentil ! Il ne serait pas de taille à affronter une reine de shebeen. Elle devrait donc régler elle-même le problème : les reines de shebeen ne lui faisaient pas peur.
— Veux-tu que je m’en occupe ? s’enquit-elle. Je peux te débarrasser de ces gens. C’est une mission facile pour une agence de détectives.
La gratitude s’afficha sur le visage de Mr. J.L.B. Matekoni.
— Ce serait très gentil, répondit-il. Ce problème me concerne, mais, en vérité, je ne suis pas très doué pour ce genre de chose. J’aime m’occuper des voitures, mais les gens…
— Tu es un grand mécanicien, déclara Mma Ramotswe en lui tapotant le bras. C’est déjà beaucoup pour une personne.
— Et toi, tu es une grande détective, rétorqua Mr. J.L.B. Matekoni.
C’était vrai, bien sûr, et ce compliment était sincère, mais insuffisant. Non seulement Mma Ramotswe était une grande détective, mais elle pouvait également être qualifiée de grande cuisinière, de formidable épouse, et de formidable mère adoptive pour les enfants. Il n’existait rien que Mma Ramotswe ne sût faire – de son point de vue à lui, du moins. Elle pourrait gouverner le Botswana, si on lui en donnait l’occasion.
Mma Ramotswe termina sa tasse de thé, se leva et consulta sa montre. Il n’était que huit heures. Elle partirait à la recherche de Note, lui remettrait le chèque et se libérerait de ce problème avant d’aller se coucher. Sa conversation avec Mr. J.L.B. Matekoni lui avait insufflé une résolution nouvelle. Attendre ne servait à rien. Elle avait une idée de l’endroit où Note séjournait : sa famille vivait dans un petit village situé à une quinzaine de kilomètres au sud. Il faudrait tout au plus une demi-heure à Mma Ramotswe pour s’y rendre, le payer et le chasser de sa vie. Ensuite, elle rentrerait à Zebra Drive et s’endormirait sans plus de craintes. Il ne viendrait pas ici.