Dans les pommes.
En croyant à peine ses oreilles, Emma raccrocha et se précipita dans la chambre de sa maîtresse. Frannie Halcyon était totalement endormie et ronflait, l'un de ses bras pendant sans grâce sur le côté du lit à baldaquin.
- Miss Frances, chuchota la bonne en se penchant. Réveillez-vous, Miss Frances !
Aucune réaction.
- Allons, Miss Frances, réveillez-vous à présent !
Emma l'empoigna par les épaules et la secoua doucement.
- Il arrive, Miss Frances... Jim Jones arrive !
Toujours pas de réaction.
- Seigneur ! murmura Emma.
Elle se rendit compte que ces cochonneries de pilules avaient bien fait leur boulot.
Elle alla chercher un verre d'eau dans la salle de bains et en jeta la moitié au visage de la dormeuse. Frannie Halcyon fit une grimace. Puis elle émit un vague grognement et se retourna à plat ventre.
- Je vous en prie... O Seigneur, s'il Vous plaît, Miss Frances... Il faut vous réveiller ! Jim Jones arrive !
Arrachant les couvertures, Emma fit rouler la matriarche sur le dos et lui tira les pieds hors du lit. Puis elle la souleva pour la faire asseoir.
La tête de Frannie ballottait. Elle marmonna quelque chose d'inintelligible.
- Vous m'entendez ? demanda Emma.
Elle n'obtint pour toute réponse que des borborygmes.
- Restez assise là, reprit Emma, haletante. Je vais vous faire sortir.
Elle se précipita vers l'armoire et chercha frénétiquement le long manteau de vison noir. L'ayant enfin trouvé, elle retourna au lit et entreprit de l'enfiler à Frannie.
- Allons... Allons, Miss Frances... Il faut marcher. Vous voulez bien être gentille avec Emma ? Allons...
Elle se plaça devant sa maîtresse, glissa les mains sous ses aisselles et la souleva de toutes ses forces.
Frannie gémissait.
- Aidez-moi, Miss Frances... Vous pouvez le faire. Mettez-vous debout sur vos pieds, faites ça pour moi...
Pendant un moment, celle à qui elle s'adressait si désespérément sembla bien se mettre debout.
- C'est parfait, dit Emma. Parfait. Maintenant, commencez à marcher. Bravo ! Emma vous tient.
Deux secondes plus tard, Frannie piquait du nez comme un ours frappé d'une balle et entraînait Emma dans sa chute sur le tapis chinois. La bonne parvint péniblement à s'extirper de dessous sa patronne.
- Miss Frances ! se lamenta-t-elle. Que Dieu nous vienne en aide !
Elle regarda Mme Halcyon avec désarroi, avant de prendre un oreiller du lit et de le glisser sous sa tête. La malheureuse inconsciente ronfla bruyamment et roula sur le côté.
Emma alla directement dans la salle de bains et prit la bouteille de rhum que sa maîtresse cachait dans la chasse d'eau. Elle en prit deux gorgées brûlantes, puis elle la remit dans sa cachette.
C'était la première fois qu'elle faisait cela, mais elle savait ce que les circonstances exigeraient bientôt d'elle.
Le seul revolver de la maison était rangé dans le tiroir du bas de la table de nuit. C'était une acquisition récente, Emma le savait : il n'avait été acheté que quelques jours après que Nancy Reagan avait déclaré à la presse qu'elle possédait un "tout petit pistolet".
La bonne le prit maladroitement par le canon et sortit silencieusement de la chambre en refermant la porte derrière elle.
Puis elle passa de pièce en pièce et descendit tout en éteignant les lumières.
Elle vérifia que la porte d'entrée était bien fermée. Puis celle de la cuisine.
Puis celle de la terrasse.
Alors qu'elle parcourait la terrasse pour entrer dans le salon, elle entendit un bruit dans le jardin.
Elle se tapit derrière un grand fauteuil en osier et jeta subrepticement un regard par-dessus pour apercevoir un homme qui sortait des buissons et traversait la pelouse.
Il resta au milieu du gazon et regarda la maison de gauche à droite.
Emma fila vers la cuisine puis passa dans le garage. Comme la porte en était encore ouverte, elle se glissa dans l'obscurité et longea l'allée de côté jusqu'au moment où elle aperçut de nouveau l'intrus.
Cette fois, elle était derrière lui.
L'homme s'approcha de la maison.
Puis il essaya d'ouvrir la porte-fenêtre.
- Toi ! cria Emma. Jim Jones !
L'intrus fit volte-face et son regard plongea dans celui de la vieille femme décharnée qui braquait un revolver sur lui. Il leva les bras d'un geste suppliant et prononça ses dernières paroles d'un ton étonnamment calme.
- Ma soeur... lança-t-il.
Ce fut alors qu'Emma lui tira une balle juste entre les deux yeux.