Un petit coup de sifflet.
Vuitton descendit en bondissant la pente qui lui était familière et aboya joyeusement devant la porte de la cabane. Luke en sortit presque aussitôt et accueillit son ancien compagnon :
- Whitey, mon bonhomme... Eh bien, mais regarde qui revoilà !
Il jeta un coup d'oeil à Prue qui se trouva vaguement gênée de troubler des retrouvailles si intimes.
- Il me manquait, ce petit bonhomme !
- On dirait que vous lui manquiez aussi, remarqua-t-elle avec un sourire embarrassé.
- Joyeux Memorial Day ! lui souhaita Luke.
- À vous aussi.
- Le café est prêt, si...
- J'en serais ravie, se réjouit Prue.
Voilà qu'elle se sentait presque privilégiée qu'on l'invite, maintenant ! Comme une petite fille de conte de fées qui est parvenue à gagner la confiance du troll qui habite sous le pont du village.
Cependant, Luke n'avait rien d'un troll. Si on laissait de côté ses vêtements miteux et son misérable logis, il était tout à fait séduisant, vraiment. Sa peau ambrée et ses pommettes saillantes trahissaient... quoi ?... Du sang indien, peut-être ?
Elle le suivit dans la cabane et s'assit sur le gros morceau de mousse. Vuitton resta dehors à pourchasser des bestioles dans les buissons. Lorsque Prue l'appela, Luke l'en dissuada :
- Il connaît le coin. Ne vous inquiétez pas pour lui. Il reviendra quand vous voudrez.
Il tendit à la chroniqueuse mondaine une tasse de café fumant et croisa son regard.
- Il est chez lui, à présent.
Prue eut un moment d'hésitation, puis elle baissa les yeux vers son café :
- Il sent merveilleusement bon.
- Tant mieux. Je suis content qu'il vous plaise.
- Au fait, Luke... Euh... Vous n'auriez pas trouvé un petit sifflet en argent, par hasard ?
En souriant, il ouvrit sur l'étagère, au-dessus du feu, une boîte à cigares, et il lui tendit le sifflet Tiffany.
- Dieu merci ! rayonna Prue. Je tiens tellement à ce petit machin idiot. Mon mari me l'a offert lorsque nous avons divorcé.
- Vous l'aviez perdu sur les rochers. Je l'ai mis de côté pour vous.
- Je suis si contente ! Merci beaucoup.
Il y avait quelque chose de gamin et d'adorable dans le regard qu'il eut alors pour elle.
- C'est utile, pour une femme, quand elle veut se protéger. J'étais embêté que vous l'ayez perdu, il y a tellement de cinglés, de nos jours !
Il sourit en découvrant des dents étonnamment blanches et régulières.
- J'imagine que des tas de gens me prendraient pour un fou, non ?
- Pas moi, fit Prue.
- Mais la première fois, si ! insista Luke sans méchanceté. C'est normal. On juge les gens d'après la maison où ils vivent et les vêtements qu'ils portent. Cela prend un petit peu de temps pour voir ce qu'ils ont au fond du coeur, n'est-ce pas ?
- Oui, concéda Prue, c'est sûrement vrai.
Elle baissa les yeux, souffla sur son café, touchée et gênée par une analyse aussi pertinente de leur première rencontre.
- Vous savez qui me fait confiance ? demanda Luke.
- Luke, excusez-moi, murmura-t-elle, rougissante. Je vous fais confiance. J'étais simplement...
Elle leva les bras au ciel, incapable d'achever. Luke eut un sourire indulgent :
- En dehors de vous, je veux dire.
Elle secoua la tête.
- Regardez, fit Luke en s'asseyant au bord de son lit.
Il se baissa et tambourina des doigts sur la terre battue.
- Chipper, Jack, Dusty...
Immédiatement, trois petits écureuils rayés sortirent de dessous le lit en trottinant et grimpèrent sur la main de Luke. Il les souleva à la hauteur de son visage et les caressa du bout de son nez.
- Ils me font confiance, eux. Le bison qui vit au bout du chemin me fait confiance. Tout comme les ratons laveurs qui logent au-dessus de la cascade.
Il reposa les petits rongeurs sur le sol.
- Je suis bon avec les humains, aussi, mais je n'ai pas autant de succès avec eux. Le tout, c'est de savoir quels talents on a, j'imagine.
Prue était fascinée. Elle se baissa pour caresser les écureuils, mais ils filèrent aussitôt sous le lit.
- Je comprends ce que vous voulez dire, fit-elle.
- Avant, j'avais tout un troupeau d'êtres humains, continua Luke.
- C'est-à-dire ?
- Une congrégation, précisa-t-il.
- Vous étiez prêtre ?
Luke acquiesça :
- L'amour des hommes est le chemin le plus difficile pour trouver Dieu, cependant. C'est plus facile ici avec les bêtes... et la beauté. Parfois, il y a tant de beauté autour de soi qu'on en pleurerait presque.
Ses dents blanches étincelèrent de nouveau.
- Vous comprenez ? Non : c'est insensé, ce que je raconte.
- Je ne trouve pas ça insensé, affirma Prue. Qu'est-il arrivé à votre congrégation ?
- Ils m'ont abandonné, répondit Luke en haussant les épaules. Ils ont perdu la foi. Plus personne ne veut trouver Dieu, maintenant.
Prue le fixa, les larmes aux yeux :
- Luke... Si je... Cela vous ennuierait si je... si je vous aidais à raconter votre histoire ?
- À qui ?
- Aux gens... Au public.
- Vous êtes journaliste ?
- Non, pas exactement. Juste chroniqueuse. Vous pouvez me faire confiance, Luke, je vous le promets.
Il la considéra pendant un long moment, puis il leva un gros doigt calleux et essuya la larme qu'elle avait au coin de l'oeil.
- Vous êtes remplie de l'amour de Dieu, annonça-t-il.