Bons baisers de Russie.
Mary Ann trouva la proposition d'Andy Omiak extrêmement téméraire, et elle en fit part à DeDe dès qu'elles furent seules.
- Quel autre choix avons-nous ? argua DeDe.
- Eh bien... Nous pourrions avertir la police du continent et c'est elle qui dirigerait les recherches.
- En débarquant avec armes et bagages comme pour la chasse à l'ours ? Si on leur dit de qui il s'agit, la vie de mes enfants sera la dernière chose dont ils se soucieront.
- Alors on ne leur dira pas. On dira seulement... Eh bien, on pourrait leur raconter la vérité.
- Quelle vérité ?
- Qu'un passager du bateau a enlevé vos enfants à Sitka... et que nous pensons qu'il les a emmenés ici.
- Et tu crois sérieusement que lui pensera que c'est ce que nous avons dit à la police ?... Écoute... Tu n'as aucune raison de m'accompagner, je t'assure. Il y aura Andy avec son arme. Il n'est pas normal que je te demande...
- Laisse tomber. Je viens.
- Je m'en voudrais affreusement si...
- Non. Ma décision est prise.
DeDe lui saisit une main.
- Merci.
- Et puis, ajouta Mary Ann, je ne suis jamais allée en Russie.
Elles firent une longue sieste jusqu'au retour d'Andy.
- Vous avez eu le temps de réfléchir ? demanda-t-il.
- On est prêtes, annonça DeDe.
Mary Ann acquiesça.
- OK, dit Andy. On devrait partir d'ici une heure.
- En plein jour ? fit Mary Ann en grimaçant.
- C'est tout ce qu'on a en cette saison, s'excusa l'Eskimo.
- Ah... bon.
- De toute façon, continua Andy, ce sera presque aussi sûr qu'en pleine nuit. Entre huit et dix, toute la ville est à l'école.
- Tout le monde ? demanda DeDe.
- Les quatre-vingt-deux habitants, précisa-t-il.
- Ils prennent des cours ?
- Non, on reçoit un film du continent une fois par semaine.
- Ah.
- Ce soir, c'est Superman II. Je crois qu'on ne court aucun risque.
- Du moins en ce qui concerne Ingaluk.
- Que voulez-vous dire ? demanda Andy.
- Les Russes, expliqua DeDe. Ne me dites pas qu'ils regardent un film aussi ?
- Oh, fit Andy. Vous inquiétez pas pour eux.
Comme prévu, Ingaluk ressemblait à une ville fantôme lorsque le trio quitta le quai dans la barque à moteur d'Andy. Mary Ann leva les yeux, impressionnée par les sombres falaises qui dominaient le village et les cercueils blanchis qui constellaient les rochers comme des chiures de mouettes. Puis elle se tourna vers l'île russe qui n'était qu'à trois kilomètres de là.
- Et la sentinelle ? demanda-t-elle. Elle ne nous verra pas traverser le détroit ?
Elle regarde généralement ailleurs, précisa Andy. Toutes les semaines, à cette heure-ci !
- Je ne comprends pas.
- Mon supérieur non plus ne comprendrait pas, plaisanta Andy. C'est pour ça que je serais content que vous gardiez ça pour vous.
- Bien sûr.
- Je connais quelqu'un sur la Grande Diomède.
- Je vois.
- En fait, c'est ma copine.
DeDe et Mary Ann échangèrent un regard. C'est Mary Ann qui demanda des précisions :
- Vous voulez dire qu'elle... ?
- C'est une technicienne radar. Le type qui fait le guet est son beau-frère. Tout est un peu familial, par ici. Si votre kidnappeur est arrivé à la Grande Diomède, Jane le saura.
Une demi-heure plus tard, Andy accostait de l'autre côté de l'île, hors de vue de la Petite Diomède.
- Attendez ici, lança-t-il aux deux femmes. Vous ne risquez rien. Si j'apprends quelque chose, vous pourrez venir à terre avec moi plus tard.
Il sauta du bateau et remonta la jetée vers le rivage.
Un instant plus tard, une silhouette de femme apparut sur les rochers au-dessus du port, sautant de pierre en pierre jusqu'au sable. Puis Andy et Jane s'enlacèrent en tournoyant comme un couple dans une publicité ringarde.
Mary Ann éprouva une curieuse sympathie pour eux en les voyant. Elle avait l'impression de jouer le rôle de Deborah Kerr dans Le Roi et moi.
Serrez-vous l'un contre l'autre, ce soir. Moi aussi, j'ai connu l'amour. Comme vous.
Bien sûr, Brian était toujours là quand elle avait besoin de lui, lové douillettement dans son coeur.
Les deux Eskimos parlèrent pendant quelques minutes, mais ils étaient trop loin pour que Mary Ann et DeDe pussent les entendre. Quand Andy revint, il faisait une mine qui en disait long.
- Je suis désolé, annonça-t-il à DeDe.
- Rien ?
- Je crois bien que non. Ils ne sont tout simplement pas venus ici.
- Elle pourrait nous avertir, si... ?
- Bien sûr. Elle ouvrira l'oeil.
Il y eut un long et pénible silence. Puis Mary Ann se tourna vers DeDe.
- Qu'est-ce qu'on fait, alors ?
Une larme coula sur la joue de DeDe.
- Je veux rentrer à la maison.
- Alors on rentre, décida Mary Ann.
Elle prit un Kleenex dans une poche de son coupe-vent et le tendit à DeDe.
- On ne va pas abandonner, DeDe. Je te promets qu'on les retrouvera.
Alors qu'ils quittaient le port, Mary Ann jeta un dernier regard aux rivages de l'Union soviétique.
Jane était toujours au même endroit. En voyant Mary Ann, elle sourit timidement, puis elle leva la main et leur fit un petit signe.
Bien sûr, Mary Ann en fit autant.