Potes.

 

Brian et Michael passèrent leur samedi matin à faire du roller dans Golden Gate Park, une entreprise plutôt périlleuse, malgré les élégants patins d'allure très pro que Mme Madrigal leur avait offerts lors de la dernière fête de Noël.

- Tu t'es entraîné! cria Brian à Michael d'un ton accusateur alors qu'ils passaient en vacillant devant le De Young Museum. C'est contre le règlement, tu sais !

- Qui t'a dit ça ?

- Mary Ann. Elle m'a dit que tu étais allé faire du roller mardi, avec ton copain le flic.

- C'était en terrain couvert. Ça ne compte pas.

- Où êtes-vous allés ?

- Sur la piste d'El Sobrante. C'est rempli de sous-Farrah Fawcett, laquées comme des dingues...

- Des filles?

- Tu parles ! Des tantes, oui ! C'est ahurissant à voir. Il faudra que je vous emmène un jour, Mary Ann et toi. On pourra prendre le bus.

- Il y a un bus spécial ?

- Oui. Il fait le tour d'une demi-douzaine de bars et il dépose tout le monde à El Sobrante. C'est super-marrant. Tu peux te faire quelqu'un dans le bus de retour.

Brian esquissa un sourire nostalgique.

- Ça me rappelle des choses, murmura-t-il.

- À moi aussi. Sauf que je ne l'ai jamais fait à l'époque du lycée. Je ne l'avais jamais fait jusqu'à mardi dernier. Je me souviens, cependant. Tous ces mômes qui écoutaient Bread et qui se pelotaient dans le noir au fond du car quand on revenait de matches de football en extérieur...

Brian leva la main pour arrêter Michael à un carrefour.

- Attention, dit-il. Ne te laisse pas emporter par les souvenirs. C'est mortel, ici, le week-end !

- Oui, mais essaie de réaliser : il a fallu que j'attende d'avoir trente et un ans avant d'embrasser quelqu'un dans les transports publics. Je considère que c'est une étape capitale de ma vie.

- C'était plus que ça, le taquina Brian. Certaines personnes n'arrivent jamais à embrasser un flic, et encore moins dans un bus. Parce que c'était le flic, je me trompe ?

- Bien sûr que oui ! fit Michael avec une indignation feinte.

- Comment veux-tu qu'un pauvre éleveur de mioches le sache ?

- Où as-tu pris cette expression-là, toi ? demanda Michael avec un petit sourire.

Le feu changea. Ils s'élancèrent sans grâce et prudemment sur le macadam inégal.

- C'est celle d'un mec de chez Perry, répondit Brian. Il m'a affirmé que c'est comme ça que les homos nous appellent.

- Pas ton homo préféré, répliqua Michael.

- Je sais.

Brian se tourna vers lui et faillit perdre l'équilibre.

- Attention, du calme, fit Michael en le rattrapant par le bras.

- De toute façon, conclut Brian en se redressant, ça ne peut même pas s'appliquer à moi. J'ai trente-six ans et je n'ai jamais rien élevé de plus qu'un malheureux poisson rouge.

Quand ils arrivèrent sur le trottoir d'en face, Michael se dirigea vers un banc et s'assit. Brian vint s'affaler à côté de lui en expirant bruyamment.

- Tu voudrais ? lui demanda Michael.

- Quoi ?

- Avoir des enfants.

- Bien sûr. Mais pas Mary Ann. Pas tout de suite, en tout cas. Elle a sa carrière à gérer, ajouta-t-il avec un petit sourire. Au cas où tu n'aurais pas remarqué.

- Où est-elle, au fait ? s'enquit Michael en délaçant ses rollers.

- Elle déjeune. Sur la péninsule.

- Mince ! Mais pour quoi faire ?

- Question... professionnelle.

Ils restèrent assis sans rien dire pendant un moment, pieds nus, à regarder le paysage.

- Je trouve que vous devriez vous marier, tous les deux, déclara finalement Michael.

- Tu trouves, toi ?

- Mmm, mmm.

- Tu lui as dit ?

- Pas aussi explicitement.

- Moi non plus, reconnut Brian.

- Et pourquoi ?

Brian se baissa et arracha une touffe d'herbe.

- Oh... Parce que je crois que je sais quelle serait sa réponse... avoua-t-il. Et je ne veux pas l'entendre en ce moment. D'ailleurs, il y a des tas d'avantages à la vie de célibataire.

- Trouve-m'en un, le défia Michael.

Brian réfléchit un instant.

- On peut pisser dans le lavabo.

- Tu fais ça aussi ? dit Michael en éclatant de rire.

Brusquement, il agrippa le bras de Brian.

- Tiens, regarde-moi ça !

- Quoi ?

- Là-bas... Près de la serre. La blonde très habillée qui monte dans sa limousine.

- Ouais ?

- C'est Prue Giroux.

- Qui ça ?

- Mais si, tu sais... cette connasse mondaine qui écrit pour Western Gentry.

- Jamais entendu parler.

- Elle sourit comme le chat du Cheshire, remarqua Michael. Qu'est-ce qu'elle peut bien venir foutre ici, à ton avis ?

 

 

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