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JARDIN PUBLIC

Élina attend sur un banc, au milieu d’un parc vert, fleuri, résonnant de cris d’enfants. Richard apparaît.

Émus de se revoir, ils se scrutent avec gêne et restent debout, à distance respectueuse.

 

RICHARD. Que deviens-tu ?

ÉLINA. Je travaille dans une boulangerie.

 

Un temps.

Elle ose à peine le regarder.

 

ÉLINA. Et toi ? Tu étais parti…

RICHARD. Oui. Je rentre de voyage. L’Afrique.

ÉLINA. L’Afrique ? Encore l’Afrique ! Ça ne t’a pas trop fatigué ?

RICHARD. Non. Reposé.

ÉLINA. Tu te sens bien ?

RICHARD. Physiquement ?

ÉLINA. Oui ?

RICHARD. Oui.

 

Élina enregistre l’information avec soin.

 

ÉLINA. Et ton dos ?

RICHARD. Élina, tu me demandes des nouvelles comme le ferait une infirmière : tu me crois malade ?

ÉLINA. Pas du tout. Excuse-moi.

 

Richard la contemple, presque reconnaissant du soin avec lequel elle a menti.

 

RICHARD. Sais-tu pourquoi j’ai voulu te revoir ?

ÉLINA (frissonnant). Non.

RICHARD. Parce que je n’ai pas écouté tes explications.

 

Élina se décompose.

 

RICHARD (avec douceur). Comment te justifies-tu à tes yeux ? Car je suppose que tu ne t’estimes pas coupable…

ÉLINA. Si.

RICHARD. Non.

ÉLINA. Si.

RICHARD. L’être humain est si merveilleusement constitué qu’il rejette ses fautes sur les autres ; sinon, il se trouve des circonstances atténuantes.

ÉLINA. Pas moi.

RICHARD. Élina, je souhaiterais apprendre comment tu te racontes notre histoire.

 

Elle le dévisage avec inquiétude et bluffe.

 

ÉLINA. Comme toi !

RICHARD (avec douceur). Tu me mens.

 

Élina baisse la tête, comme vaincue, sans démentir.

 

RICHARD. Selon toi, m’as-tu trahi ?

ÉLINA. J’ai été sincère. Tout le temps. Alors que je devais simuler, je suis tombée amoureuse de toi. Et j’ai voulu que tu sois heureux, Richard, de tout mon cœur. Il y a même des moments où j’oubliais ce que j’avais été. (Elle se tourne vers lui.) Je n’en avais pas le droit, je sais, et mon tort a été de te le cacher, mais en dehors de ça, j’étais sincère. Oh, si tu pouvais me croire…

RICHARD. Pourtant, tu te doutais que la vérité surgirait un jour ? (Elle se tait.) Non ?

ÉLINA. Je te l’aurais cachée aussi longtemps que possible.

RICHARD. Jusqu’à ma mort ?

ÉLINA (corrigeant avec angoisse). Jusqu’à ma mort !

 

Il la scrute. Elle l’évite. Attendri par le mensonge maladroit d’Élina, il se détend.

 

RICHARD. Élina, j’ai deux choses à te dire.

 

Élina baisse les yeux.

 

RICHARD. La première, c’est que j’ai appris le secret concernant mon… état de santé.

 

Élina panique.

 

ÉLINA. Quoi ? Tu sais ?

 

Il opine du chef.

 

ÉLINA. Comment ? Parce que tu as mal ? Tu souffres ?

RICHARD. Rodica me l’a avoué.

ÉLINA. Quelle idiote ! Non, elle n’en avait pas le droit !

 

Richard prend sa respiration et lui annonce avec calme :

 

RICHARD. Élina, je viens de subir de nouveaux examens, j’ai vérifié : je suis en parfaite santé. Voici les analyses.

 

Élina compulse les papiers.

 

RICHARD. Comme tu le vois, je n’ai pas de cancer.

ÉLINA. Mais… mais y a-t-il bien tout ? Je veux dire… est-ce qu’on ne pourrait pas te dissimuler un élément ?

RICHARD. Lis la conclusion signée du Professeur Martin, spécialiste émérite, certifiant qu’il n’y a aucune trace de métastase en moi.

 

Élina saisit la lettre, la déchiffre, et, presque malgré elle, l’embrasse en la portant contre son cœur.

Richard est renversé par ce geste spontané.

 

RICHARD. Élina, tu… m’aimes vraiment ?

 

Il s’approche, la prend dans ses bras bien qu’elle tremble de tout son corps. Ils joignent leurs lèvres.