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CHEZ RICHARD

La même Marche nuptiale, mais langoureuse, cajolante, traitée de façon jazzy.

Richard apparaît en robe de chambre, heureux, décoiffé, les yeux brillants et lourds, le corps épuisé par la meilleure des fatigues, celle qui succède à une longue nuit ardente.

Il est dix heures du matin.

Richard prépare un plateau de petit déjeuner à l’intention d’Élina, en commençant par déposer une fleur dans un verre.

Soudain, on sonne à la porte. Il jette un œil sur l’écran de contrôle et constate qu’il s’agit de Diane.

Stupéfait, il actionne néanmoins le bouton d’entrée.

Pendant qu’elle arrive, il continue à se comporter en amoureux qui confectionne un plateau pour sa femme restée au lit. Diane le rejoint.

 

RICHARD. Diane… je… je suis surpris…

DIANE. Je te dérange ?

RICHARD (riant). C’est le matin de ma nuit de noces !

DIANE. Je le sais.

RICHARD. Que se passe-t-il ?

DIANE. Ça, justement. Je viens te demander comment s’est déroulée ta nuit de noces.

RICHARD. Mais… mais… (Riant.) Tu es venue pour ça ?

DIANE. Oui.

RICHARD. Rien que pour ça ?

DIANE. Oui.

RICHARD (soufflé). Tu es incroyable… (Répondant à la question.) Bien, très bien. Magnifique.

 

Gêné, il préfère continuer à préparer son plateau.

Diane se perche sur le rebord d’un siège.

 

DIANE. Comment était Élina ?

RICHARD. Diane !…

DIANE. Très timide ? Très amoureuse ? Très sensuelle ? Très réservée ?

RICHARD (éclatant de rire afin de masquer sa gêne). Un peu de tout cela. (Se reprenant.) Excuse-moi, c’est… c’est ma vie privée…

 

Diane frémit à cette expression.

 

RICHARD. C’est… c’est intime… et ta curiosité me déconcerte…

DIANE (avec brusquerie). A-t-elle saigné ?

RICHARD (choqué). Pardon ?

DIANE. Tu m’as entendue, Richard : je te demande si elle a saigné.

RICHARD. Mais… (embarrassé)… oui, naturellement.

 

Du coup, interrompant sa préparation, il engloutit un verre d’eau pour se remettre de cet étrange interrogatoire.

Après avoir bu, il se sent plus réveillé et la regarde avec inquiétude.

 

DIANE. Au fond, tant mieux.

RICHARD. Diane, tu deviens folle.

DIANE. Non, je vérifie qu’Élina, en toute circonstance, se comporte d’une manière professionnelle.

RICHARD. Que dis-tu ?

DIANE. Rusée jusque dans les moindres détails.

RICHARD. Diane, tu ne m’amuses plus !

DIANE. Je m’en doute. Je suis là pour ça, justement.

RICHARD. De quoi parles-tu ?

DIANE. Je parle de l’ancien métier de ta femme.

 

Elle extrait de son sac un classeur qu’elle lui tend.

 

DIANE. J’aimerais que tu lises ça.

RICHARD. Qu’est-ce ?

DIANE. Un dossier. Constitué par quelqu’un de mon cabinet. Qui montre clairement qu’avant de te connaître, Élina se prostituait.

RICHARD. Pardon ?

DIANE. Lis.

 

Elle lui fourgue le document dans les mains. Il le refuse.

 

RICHARD. Non.

DIANE. Toutes les preuves sont réunies.

 

Elle ouvre le document, lui en inflige la vue et en détaille les éléments.

 

DIANE. Des photos. Elle a été arrêtée de nombreuses fois pour racolage. Plusieurs amendes aussi. Une professionnelle.

RICHARD. Non, non !

 

Il repousse le dossier, tremblant, choqué.

 

RICHARD. Je… je ne peux pas y croire.

DIANE (le corrigeant). Tu ne veux pas y croire.

 

Pourtant ces documents sont formels. On me les a remis ce matin. Trop tard.

Il ressaisit les feuilles, les écarte, les reprend, puis soudain se laisse tomber sur les genoux, à même le sol, en gémissant.

 

RICHARD. Qu’est-ce que j’ai fait ? Mon Dieu, qu’est-ce que j’ai fait ?

 

Diane le contemple avec satisfaction. Il échoue à formuler son trouble.

 

RICHARD. Comment ai-je pu ne pas m’en douter ? Aller aussi loin ?

DIANE. L’aveuglement.

RICHARD. C’est la plus grande erreur de ma vie.

DIANE (cinglante). Je ne crois pas.

 

Il redresse la tête vers elle, désemparé.

 

DIANE. La plus grande erreur a été de m’abandonner, moi.

RICHARD. Oui… sans cela, rien ne serait arrivé.

DIANE. Exactement : rien ne serait arrivé. (Elle se lève et le toise.) Si tu ne m’avais pas abandonnée, je n’aurais pas été obligée d’aller chercher cette grue sur les trottoirs, de l’installer dans un appartement et d’inventer cette histoire d’étudiante pauvre, surveillée par sa digne mère ruinée. Une farce pathétique !

 

Elle tire un deuxième classeur de son sac.

 

DIANE. Tiens, le dossier de Rodica. Une pute elle aussi. Et pas plus la mère d’Élina que moi celle du pape.

 

Elle propulse le document devant lui. Richard, balbutiant, ne comprend plus rien… Incapable de se contrôler, Diane libère soudain la colère qui bouillonnait en elle depuis des mois.

 

DIANE. Un jour, tu m’as annoncé que tu ne m’aimais plus. Figure-toi que je m’en doutais, ou plutôt que je le craignais. Cependant, pour sauver la face, j’ai prétendu glisser sur la même pente descendante que toi. Soulagé, tu m’as promis ton amitié. Ton amitié ! Je n’en voulais pas de ton amitié ! C’était ton amour ou rien. J’ai donc décidé de me venger. (Avec rage.) C’est moi ! C’est moi qui ai organisé cette mascarade, dans laquelle, je dois te rendre hommage, tu as plongé à pieds joints ! J’aurais pu te le cacher mais ma volupté, ma délectation, c’est de te le dire.

RICHARD. Pourquoi ? Pourquoi ?

DIANE. Tout simplement parce que je te hais.

 

Il se relève, violent lui aussi. On a l’impression qu’il va la frapper.

Ils se font face, ils se toisent, elle lui tient tête.

 

RICHARD. Moi aussi je te hais.

DIANE. Enfin !

 

Il est démangé par l’envie de la frapper mais il se maîtrise.

La tension entre eux est intenable.

 

RICHARD. Je n’aime pas ma haine.

DIANE. Moi aussi, je me déteste de te haïr mais je ne parviens pas à m’en empêcher ; alors, je me suis arrangée.

RICHARD (avec douleur). Diane, tu es une salope !

DIANE. Qui m’a rendue méchante ?

 

Elle fonce vers la porte puis s’arrête sur le palier.

 

DIANE. Déteste-moi. Déteste-moi bien, s’il te plaît. Bienvenue au royaume des abusés, Richard. Je t’y attendais, toute seule dans l’ombre, depuis des mois. Je suis ravie de t’y accueillir. J’espère que tu y souffriras autant que moi, sinon davantage.

 

Elle disparaît.

Richard demeure comme hébété. Quelques secondes plus tard, Élina surgit, en robe de nuit, légère, soyeuse, amoureuse.

 

ÉLINA. Richard… tu es déjà levé…

 

Il ne répond pas. Elle le rejoint.

 

ÉLINA. Mon chéri, à qui parlais-tu ?

 

Elle veut se blottir contre lui. Étrangement, il la laisse approcher. Mieux, il la saisit entre ses bras, l’embrasse avec force sur la bouche. Un long baiser. Un baiser plein de passion. Un baiser qui surprend même Élina tant il est intense.

Puis, cette étreinte achevée, il la repousse avec douceur.

 

RICHARD. Voilà, c’était la dernière fois.

 

Elle veut revenir contre lui. Il refuse.

 

ÉLINA. Richard…

RICHARD (d’une voix brisée). C’est fini.

 

Il parcourt la pièce en quelques enjambées désordonnées. Dès qu’elle va à sa rencontre, il lui fait signe de reculer, cherchant un endroit où se réfugier.

 

ÉLINA. Richard, que se passe-t-il ?

 

Il secoue la tête, incapable de répondre.

 

ÉLINA. Je ne te plais plus ?

RICHARD (les larmes aux yeux). Si…

ÉLINA. Ce n’était pas bien, cette nuit ?

RICHARD (encore plus perturbé). Si…

 

Elle l’enlace. Il l’évite, comme effrayé par elle.

 

ÉLINA. Qu’ai-je fait ?

RICHARD. Tu… je…

 

Il promène les yeux autour de lui et achève d’une voix mal assurée :

 

RICHARD. Ce n’est pas toi qui pars, c’est moi.

ÉLINA. Richard…

RICHARD. Oui, tu garderas cet appartement. Je ne l’ai jamais apprécié mais, depuis cette nuit, j’y ai un trop bon souvenir.

 

Richard tremble. Ses yeux se remplissent de larmes. Il est devenu un enfant qui subit une colossale injustice : il aime Élina et il doit la quitter.

 

RICHARD. Adieu, Élina. Tu recevras les papiers du divorce.

ÉLINA. Richard ! Richard !

 

Lorsqu’elle se jette vers lui, il l’arrête, lui désigne, d’une main qui vacille, les documents qui jonchent le sol.

À terre, elle découvre les dossiers apportés par Diane ; d’un regard, elle comprend.

Elle s’affaisse et lance un cri de détresse :

 

ÉLINA. Non !