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CHEZ DIANE
Richard et Diane, chacun dans une méridienne, lisent côte à côte.
Incapable de se concentrer sur son journal, Richard, dont les yeux rêvent, sourit en regardant en l’air.
Diane le remarque.
DIANE. Que se passe-t-il ?
RICHARD. Rien.
DIANE. Allons, je ne vois pas là-haut ce qui te fait sourire comme ça… Explique-moi ce que mon plafond a de si parfaitement hilarant.
RICHARD. Je pensais…
DIANE. À quoi ?
RICHARD (corrigeant). À qui ?
DIANE (docile). À qui ?
RICHARD. À ton avis ?
Diane se referme. Cela amuse Richard. Par provocation, il murmure le nom de celle à laquelle il songe :
RICHARD. Élina…
DIANE. Ah, Élina… Encore… (Perplexe.) J’avoue que je ne sais si je dois dire « encore » ou « déjà ». Je te trouve tout à fait fou.
RICHARD. Ah bon ? Tu ne m’as jamais vu amoureux ?
DIANE. D’une autre, non.
Un temps. On perçoit qu’il y a entre eux un jeu cruel, subtil, consistant à agacer le partenaire pour le contraindre à avouer ses sentiments.
DIANE. C’est ce qui se passe ?
RICHARD. Je ne sais pas.
Il se lève et marque un mouvement d’arrêt sous le coup de la douleur, se retient à une commode afin de ne pas tomber.
DIANE. Toujours mal au dos ?
RICHARD. Oui. Non. Enfin, ça dépend des jours.
Il se touche les reins, inspire puis se détend. Diane sourit de manière compréhensive. Richard se débarrasse du sujet en badinant :
RICHARD. On est injuste avec ce pauvre corps : on ne le félicite pas quand il fonctionne, on ne le remarque qu’aux instants où il grippe, et c’est quand il a mal qu’on lui en veut.
Diane approuve, préoccupée, puis prend un ton posé :
DIANE. As-tu revu Élina ?
RICHARD. Son dragon de mère refuse désormais mes cadeaux et me ferme sa porte.
DIANE. Normal : elle est fière.
RICHARD. Fierté mal placée.
DIANE (ambiguë). Où va se loger la fierté ? Y a-t-il de bons endroits ? (Un temps.) Tu ne vois plus Élina ?
RICHARD (radieux). Si.
DIANE. Ah ?
RICHARD. En cachette. Elle me rejoint au jardin public. Nous marchons ensemble.
DIANE (un peu moqueuse). Comme c’est joli…
RICHARD. Je sens qu’elle m’aime. Ou qu’elle serait prête à m’aimer. Seulement…
DIANE (s’amusant avec cruauté de la situation). Seulement, ça ne va pas plus loin que la promenade…
RICHARD (avec humour)… et l’échange de poèmes ! Musset, Verlaine, Baudelaire, je n’en peux plus ! (Se blottissant contre Diane.) Que dois-je faire ?
DIANE (choquée). Si je comprends bien, tu me réclames des conseils ?
RICHARD. Enfin, Diane, es-tu mon amie, oui ou non ?
DIANE. Ton amie…
RICHARD. C’est ce que tu as souhaité, que nous restions amis, non ?
DIANE. Mon conseil ? Laisse tomber.
RICHARD. Pourquoi ?
Il s’approche, escomptant de la jalousie, cherchant une réaction passionnée de sa part.
DIANE (se dégageant). Je suis l’amie d’Élina et de Rodica aussi. C’est pour elles que je refuse.
RICHARD. Je te demande pardon ?
DIANE (forçant la note). Je ne veux pas qu’Élina s’embarque dans une liaison avec toi. Je te connais trop : l’amour te corrompt, Richard, tu pourrais accomplir de grandes choses au nom de l’amour, tu n’en commets que d’avilissantes.
L’atmosphère s’électrise. Richard se met face à Diane et la contemple avec perplexité. On dirait deux duellistes qui se préparent au combat.
RICHARD. Abstinence, voilà ton conseil ?
DIANE. Abstinence, tel est mon conseil !
RICHARD (d’une voix sourde). Attention, Diane, tu fonces vers le couvent : tu idolâtres la vertu en ce moment. N’oublie pas que tu es jeune, belle, et que tu disposes de plusieurs bonnes années pour accomplir des milliers de bêtises. Tu m’inquiètes. Serait-ce l’effet de notre rupture ?
DIANE. Qui sait ?
RICHARD. Ou alors, est-ce un concours entre nous deux ? Après notre séparation, qui mettra le plus de temps à refaire sa vie ? Qui sera l’ingrat qui cicatrisera vite, le fidèle qui n’oubliera pas ? Qui, de toi ou de moi, demeurera le veuf inconsolable de notre amour ? Qui vaut mieux que l’autre ?
DIANE. J’ai peur de posséder la réponse.
Il éclate d’un rire agressif.
RICHARD. C’est toi, naturellement ?
Elle répond avec beaucoup de sérieux :
DIANE. Non, toi.
RICHARD (surpris). Moi ?
DIANE. Oui, toi. (Elle s’approche de lui.) Tes envies ont un fond simple, enfantin, égoïste ; en un mot, elles sont très saines. Tu ne dissimules rien de pervers ni de tortueux. Tu ne recherches que ce qui te donne du plaisir.
RICHARD. Tandis que toi…
DIANE (violente). Moi ? Personne ne sait de quoi je suis capable.
Il la regarde, un moment impressionné. Puis il secoue la tête en riant.
RICHARD. Quelle comédienne ! J’ai failli te croire…
Elle rit à son tour.
DIANE. Ah bon ?
La tension s’est relâchée.
RICHARD. Soyons sérieux maintenant, revenons à Élina. Que dois-je faire ?
DIANE. Oublie-la. Oublie-les toutes les deux.
RICHARD (fatigué par ses constantes ambiguïtés). Tu me dis ça pour elles ou pour toi ?
DIANE. Pour toi. Tu perds ton temps. Ces femmes-là, la pauvreté et le malheur les ont hissées à un niveau de vertu où tu ne peux plus les atteindre.
RICHARD. Si.
Diane se lève, excédée.
DIANE. N’y songe pas, Richard.
RICHARD. Si ! J’y arriverai. Je pense que je lui plais. Je l’aurai !
DIANE. Même pas en rêve !
RICHARD. Tu ne me connais pas !
DIANE. Si, je te connais…
RICHARD. Lorsque je veux une femme, je l’ai !
Un malaise s’installe entre eux.