CHAPITRE VI

Ils le dominaient de toute leur hauteur, attendant qu’il se relevât. Coley ricanait toujours, et son visage lunaire avait une expression presque heureuse. Il adressa un clin d’œil à Ozzie. Mais le poids coq pinça les lèvres et le coin de sa bouche frémit. Les yeux brillants, il se balança de droite à gauche, surveillant la rue.

Allez, grouille-toi, dit-il à Coley d’une voix maussade. On l’embarque.

Tout de suite ? Demanda l’autre.

Non, dit Ozzie fermant les yeux, l’air écœuré. Ça peut attendre. Quand il y aura un attroupement, ça sera plus commode !

T’as raison, on va l’embarquer tout de suite, dit Coley en passant sa main énorme sur ses lèvres épaisses.

Son sourire jovial avait disparu et son menton s’était abaissé vers Rif.

Allez, debout ! Commanda-t-il rudement.

De quoi ? Marmonna Rif. T’es miro ou quoi ? Tu vois pas que je suis dans les pommes ?

Coley et Ozzie échangèrent un coup d’œil.

C’est mes côtes, gémit Rif.

Mais son point de côté s’atténuait déjà. La douleur s’apaisait et ses muscles se détendaient.

Ils l’examinèrent de plus près.

« Ils se figurent que j’ai un truc grave, songeait Rif. Tant mieux. C’est peut-être un bon filon. On va toujours essayer. »

Il laissa échapper un grognement lamentable et grinça des dents dans un accès de souffrance feinte.

Coley se rapprocha et se pencha sur lui. Les yeux fermés, Rif grogna encore.

T’as très mal ? Demanda Coley.

C’est comme si j’avais reçu un coup de barre dans le caisson, gémit Rif. Et j’ai la tête qui tourne. Je crois que je vais m’évanouir.

Le gros homme se tourna vers Ozzie :.

Il dit qu’il va s’évanouir, annonça-t-il.

J’ai entendu, fit Ozzie qui scruta de nouveau la rue d’un coup d’œil inquiet. N’empêche qu’on peut pas passer la nuit ici. Ça grouille de flics, dans le quartier. Alors, faut l’emmener dans le camion ou le laisser là.

Coley regarda Rif qui geignait sur le trottoir.

Il a l’air drôlement mal en point, déclara-t-il d’une voix lente. Tu crois qu’il est transportable ?

Transporte-le quand même, va ! Dit Ozzie d’une voix suave. Ramasse-le et monte-le dans la cabine.

Bon, bon, grogna Coley.

Il empoigna Rif qui laissa échapper un grognement sourd et se tordit comme un ver pour échapper aux mains de Coley. Celui-ci fronça le sourcil, et lança un regard suppliant à Ozzie.

Tu vois bien qu’il est fadé … On peut quand même pas …

Rif se releva d’un bond et partit au galop vers le milieu de la chaussée, cherchant à atteindre une impasse qui s’ouvrait de l’autre côté de la rue. Il avait déjà repéré un passage entre le camion et la ruelle.

Ah, la vache ! Fit Coley, stupéfait.

Ozzie, lui, n’avait rien dit, mais Rif, tout en contournant le camion, se souvint du talent de société cultivé par l’ancien poids coq. Il fit un brusque crochet à la seconde précise où le projectile allait l’atteindre. Le projectile était un couteau à cran d’arrêt, long de quinze centimètres, qui avait manqué son jarret. En l’entendant sonner sur le pavé, Rif comprit qu’il l’avait esquivé de justesse. Il avait déjà atteint le milieu de la rue quand il entendit la voix douce d’Ozzie :

J’en ai un autre à ton service !

Rif s’arrêta en dérapant sur la chaussée. Il se retourna, regarda Ozzie, et vit le second couteau dans sa main.

C’est ça que tu veux ? Lui cria Ozzie.

Ses bras pendaient mollement, mais sa main droite était prolongée par une lame, pointée vers le sol. Il la tenait entre le pouce et l’index, le petit doigt délicatement relevé. Rif se refusa à tenter le sort. Haussant les épaules, il revint vers les deux hommes.

Voyez-moi ça ! Ça veut chiquer ! Grommela rageusement Coley entre ses lèvres pincées. Ça fait semblant d’être arrangé …

Il serrait le poignet de Rif entre ses gros doigts comme dans un étau.

De son autre main, Coley fouilla rapidement dans la poche de sa canadienne. Sa main en ressortit, armée d’un coup-de-poing américain.

Pas ici, ordonna Ozzie. Plus tard.

Les lèvres toujours pincées, Coley semblait impatient de passer à l’action.

De quoi qu’on a l’air ? Grinça-t-il. Il me fait croire qu’il est à moitié dans le cirage, et voilà le travail ! Dès qu’on est un peu chouette avec c’t’engeance-là, ils cherchent à vous posséder.

T’es trop bon, voilà ! Renchérit Ozzie.

Il descendit du trottoir pour récupérer son couteau sur la chaussée, et se retourna vers eux.

Qu’est-ce que t’attends ? Demanda-t-il à Coley. Qu’on vienne te prendre en photo, ou quoi ? Embarque-le dans le camion, bon sang !

Serrant le poignet de Rif, Coley le tira vers le camion.

Hé ! Là, doucement ! Protesta Rif.

Allez ! Grimpe, macaque ! Gronda Coley. Et ferme ta gueule si tu ne veux pas que je te la fende en deux !

Comme ils montaient dans la cabine, Ozzie y pénétra de l’autre côté. Il s’installa au volant, mit rapidement le moteur en marche, desserra le frein et passa en première. Le camion était en train de décrocher du trottoir quand un double faisceau de phares apparut au carrefour.

Planque-toi ! Ordonna Ozzie à son prisonnier. Baisse la tête.

Les phares se rapprochaient. Ils décrivirent une large courbe, et la voiture s’arrêta de biais, de manière à barrer la route au camion. Ozzie bloqua ses freins.

Bouge pas, et boucle-la, dit-il à Rif. Et surtout, te monte pas le ciboulot, ça serait malsain !

Rif était à moitié couché sur la banquette, dont le bord lui sciait la colonne vertébrale. Il pensait vaguement à relever la tête et à pousser un hurlement, mais vit la main d’Ozzie se glisser furtivement dans la poche de sa canadienne.

« C’est pile ou face », se dit Rif. Il calculait mentalement ses chances : Ozzie allait-il se dégonfler ? Allait-il mettre sa menace à exécution ? 

Peut-être qu’Ozzie se fichait-il pas mal du danger. Ce devait être un de ces types au sang glacé qui sont capables de faire n’importe quoi sans envisager les conséquences. Comment savoir avec certitude ? Les phares de la voiture de police éclairaient la cabine à travers le pare-brise et le visage d’Ozzie n’exprimait strictement rien. Rif jugea préférable de ne pas relever la tête. Son épaule était maintenant appuyée contre le genou de Coley dont il sentait les muscles bandés comme des ressorts.

Deux policiers s’approchaient du camion.

Comme ils arrivaient à sa hauteur, Ozzie ouvrit la vitre et passa la tête dehors. Il les regarda un moment avant de se retourner vers Coley.

Y a pas de pet, dit-il. Je le connais. C’est Pete Gaither. On a le condé !

Et l’autre ? Fit Coley.

Celui-là, je l’ai encore jamais vu. Il m’a l’air jeunot … Ça doit être un bleu.

Manque de pot ! Dit Coley.

Pourquoi ? Pete se démerdera toujours.

Les policiers s’arrêtèrent près du camion. Ils étaient tous deux assez grands, mais ils furent néanmoins forcés de lever la tête pour voir le chauffeur. L’un d’eux, âgé d’environ vingt-cinq ans, avait une certaine raideur d’attitude indiquant qu’il n’était pas encore bien habitué à son uniforme. L’autre avait une cinquantaine d’années, et l’on apercevait les tempes grisonnantes sous sa casquette. Dans son visage creusé de rides profondes, les coins de la bouche s’abaissaient en une grimace maussade, comme si son travail l’ennuyait profondément. Il laissa son jeune collègue entamer l’interrogatoire.

Le jeune policier hésita : il jeta un coup d’œil rapide et inquiet vers son collègue puis, se croisant les bras d’un geste important, dévisagea Ozzie :

Vos papiers, s’il vous plaît.

Ozzie sortit son portefeuille, en retira quelques cartes et les tendit, par la portière, au policier. Le jeune flic n’avait pas décroisé les bras et, pendant un instant, personne ne bougea. Son collègue s’avança pour prendre les papiers et, au même instant, le bleu fit le même geste. Leurs mains se heurtèrent comme Ozzie lâchait les cartes. Elles tombèrent à terre, mais furent aussitôt soulevées par le vent qui les emporta. Le jeune flic battit des paupières en suivant l’envol des documents.

L’autre poussa un soupir excédé.

Va les chercher, dit-il à son jeune collègue qui semblait pétrifié. Grouille-toi ! Tu vois bien que ça s’envole.

Le jeune déglutit et partit en courant vers l’extrémité de la rue. Les cartes redescendaient en vol plané vers le caniveau.

Ozzie éclata de rire.

C’est ça, la jeune promotion ? Fit-il.

Le vieux policier ne répondit pas. Le dos tourné au camion, il suivait des yeux son collègue.

La police est à court d’effectifs, ma parole ! Remarqua Ozzie.

Oh ! C’est pas tant ça, fit le vieux sans se retourner. Mais le métier n’attire plus grand monde.

Pourquoi ?

Ça paie pas assez.

Allons, vous ne vous en tirez pas si mal quand même, remarqua Ozzie.

Le policier garda le silence.

Vous n’avez pas à vous plaindre, insista Ozzie. Toi, par exemple, t’es en train d’arrondir ta pelote.

C’est pas la question, dit le policier. Je ne parlais pas de ça. Je parle de ce que la municipalité nous paie.

Et alors ? Quelle différence ? Ce que vous ne touchez pas d’un côté, vous le touchez de l’autre.

Oui, de l’autre …, répéta en écho le policier d’un ton morne.

Il hocha lentement la tête, suivant toujours des yeux le jeune flic qui courait après les papiers. Il se retourna vers Ozzie qui souriait toujours.

J’aimerais mieux …, commea-t-il.

Mais il s’interrompit et baissa la tête.

Le bleu avait enfin récupéré les papiers et il revenait au pas gymnastique vers le camion. Sa course l’avait essoufflé. Il termina le trajet sans se presser et tendit les papiers à son collègue.

Celui-ci fit mine de ne pas voir son geste.

Puisque tu les as, dit-il, t’as qu’à vérifier toi – même.

D’accord, dit le bleu.

Il passa devant le camion pour déchiffrer les papiers à la lueur des phares. Puis il alla regarder la plaque d’immatriculation à l’arrière. Enfin il revint près de la portière.

Votre nom ? Dit-il à Ozzie.

C’est marqué sur mon permis, répliqua celui-ci.

Le jeune agent se croisa de nouveau les bras gardant les papiers bien serrés contre sa veste. Un éclair glacé avait brillé dans ses yeux. La mâchoire légèrement crispée, le novice sans expérience parut tout à coup prendre une autorité nouvelle.

Je l’ai vu, votre permis. Mais je vous pose une question : votre nom ?

Ozzie.

Je ne vous demande pas votre sobriquet, mais votre nom !

Kates … Oswald Kates.

Le jeune policier désigna Coley de l’index.

Et lui ?

C’est mon assistant, dit Ozzie.

D’où venez-vous ?

On livre.

A l’heure qu’il est ?

Pourquoi pas ? Chez nous, on livre toute la nuit.

Nos clients se couchent tard, ajouta Coley. Il y en a qui travaillent par roulement, et, des fois, on ne les trouve pas chez eux dans la journée. Maintenant, y en a d’autres qui …

Ozzie le poussa du coude et il s’interrompit net.

Qu’est-ce que vous transportez ? Demanda le policier.

C’est inscrit sur le camion, fit Ozzie en lui indiquant la caisse. Vous n’avez qu’à lire.

Je préfère que vous me le disiez vous-même.

Le flic se rapprocha encore.

Qu’est-ce que vous transportez ? Insista-t-il.

De la flotte ! Dit Ozzie. De l’eau minérale, quoi …

C’est tout ?

C’est tout.

Dans quoi est-elle, votre eau ?

Dans des bouteilles et dans des bonbonnes.

Faites voir, dit sèchement le jeune policier. Allez m’ouvrir à l’arrière.

Un silence tomba. « Cette fois, nous y sommes, pensa Rif. Il faudrait qu’Ozzie sorte par la fenêtre, mais c’est pas possible … Il va être forcé d’ouvrir la portière et le flic va t’apercevoir. T’es bon pour te faire embarquer au commissariat. Ensuite, on va te boucler et tu passeras en jugement. Autrement dit, t’auras droit à quarante-cinq jours de centrale et, plus tard, à la chaise électrique. »

Courbé sur son volant, Ozzie n’avait pas bougé.

Vous vous décidez ? Demanda doucement le flic.

Ozzie resta muet.

Qu’est-ce que vous attendez ? Insista l’autre.

C’est vous que j’attends, dit Ozzie en haussant les épaules.

Et, très vite, il ajouta :

Les portes sont tenues par une chaîne accrochée aux poignées. Ça s’ouvre tout seul quand il y a pas de cadenas. Vous pensez bien, monsieur l’agent, qu’on s’amuse pas à cadenasser un camion qui transporte que de la flotte. Qui c’est qui irait voler de la flotte ?

Ozzie avait débité sa tirade à toute allure. Légèrement abasourdi, le jeune policier fronça le sourcil.

Qu’est-ce que vous racontez ? Dit-il.

Je vous parle des portes. Si vous voulez les ouvrir, y a qu’à détacher la chaîne.

Je vous ai dit d’y aller.

Pourquoi ? Fit Ozzie en haussant le ton. Vous êtes pas manchot, non ?

Dites donc, tâchez de faire attention …

Rien du tout ! Cria Ozzie. D’abord, vous me faites perdre mon temps. Et maintenant, vous me donnez des ordres. On dirait que vous voyez pas la situation …

La situation ? Répéta le jeune flic, ahuri.

Il semblait avoir perdu toute assurance.

Qu’est-ce que ça veut dire ? Fit-il encore. Quelle situation ?

La vôtre ! Fit Ozzie prenant l’air offensé du contribuable conscient de ses droits. Si vous préférez, je parle de votre salaire, en fin de semaine. Vous ne payez pas le mien, mais, moi, je paie le vôtre. Alors, faites votre boulot vous-même !

Le jeune policier sursauta. Un instant, il fut tenté d’ouvrir violemment la portière et de saisir Ozzie par le collet pour lui apprendre à respecter les représentants de l’Ordre. Mais il ne se sentait pas très sûr de lui : à l’Hôtel de Ville, des plaintes arrivaient quotidiennement au sujet des brutalités policières. Il se tourna vers son collègue et lui lança un regard interrogateur.

L’air grave, l’autre secouait lentement la tête.

Les lèvres pincées, le visage cramoisi, le jeune homme marmonna une phrase inintelligible et s’en fut à l’arrière du camion.

Ozzie sourit au vieux flic.

Faut bien les dresser, pas vrai, Pete ? S’il doit travailler dans le quartier, tu ferais bien de l’affranchir, de lui mettre du plomb dans la tête.

Il se fera, assura Pete.

Qu’il se grouille ! Des complications, on n’en veut pas.

Il n’y en aura pas.

J’y compte bien, fit Ozzie. Ces connards qui sortent de chez les boy-scouts, ça ne fait que vous empoisonner. La dernière fois, ç’a failli mal tourner : pour un peu, on allait être obligés de fermer boutique. Ça n’aurait arrangé personne  et pas plus toi que les autres.

Je sais, dit Pete, tête basse.

C’est bon, dit Ozzie. Occupe-toi de lui, alors. Forme-le un peu. Compris ?

Pete releva la tête.

V’là que tu me donnes des ordres, maintenant ?

Oh ! C’est pas moi qui les donne, fit Ozzie avec un léger haussement d’épaules. Tu sais d’où ils viennent …

Pete resta silencieux.

Allez, tu connais la musique, murmura Ozzie. C’est le patron qui commande. Comme il est pas là, faut bien que je te transmette les ordres à sa place. T’as pas le choix, mon petit père : faut suivre la consigne. Et la consigne, c’est ce que dit le patron. Si tu ne la suis pas, il a des histoires  et les histoires, ça le fout en rogne.

Je sais, je sais, marmonna Pete, sans relever la tête.

Je voulais m’assurer que t’avais bien pigé, fit doucement Ozzie.

Oh ! J’ai compris, grinça Pete entre ses dents. C’est pas sorcier !

Parfait, dit Ozzie avec un sourire enjoué.

Un bruit de chaîne leur parvint de l’arrière du camion, suivi du grincement des portes. Du pouce, Ozzie fit un signe au policier.

Pourquoi tout ce ramdam, ce soir ?

Vérifications, expliqua Pete.

Vous cherchez de la gnôle ?

De la viande sur pied, dit Pete.

L’incendiaire ?

Pete opina de la tête.

On a des ordres du P. C. Ça chauffe, là-bas ! Faut qu’on arrête et qu’on fouille tous les véhicules.

Ils s’imaginent pas qu’il va chercher à faire de l’auto-stop, tout d’même ? Je me demande qui voudrait le charger.

T’y es pas, dit Pete. Ils savent bien qu’il peut pas compter sur la complaisance des gens. Au contraire !

Ils vont pas le lyncher quand même ?

Plus ou moins, c’est du vrai film, ça ! Fit Ozzie en riant.

J’en sais rien. Je fréquente pas les cinémas, moi, déclara Pete. Mes rondes dans le quartier me suffisent bien.

Faut reconnaître que c’est plutôt mal fréquenté, dans le secteur, approuva Ozzie riant toujours. Et ça va de pire en pire. Le conseil municipal devrait voir ça de plus près …

Ce soir, les patrons, à la boîte, ils en mettent un sacré coup, coupa Pete. Ils tiennent absolument à ramasser le bonhomme. Et vivant ! Pas en pièces détachées.

Le sourire d’Ozzie s’évanouit. Il voulut répondre mais se ravisa.

On ne le reverra peut-être jamais, remarqua-t-il.

Ça se peut, dit Pete.

Il regarda Ozzie droit dans les yeux.

Qu’est-ce que tu en penses, toi ? Tu crois qu’il va se volatiliser ?

Ozzie haussa les épaules :

Ça arrive.

Pete ne bougea pas, mais son regard s’était posé sur la poignée de la portière.

Qu’est-ce que t’as ? Demanda Ozzie.

Pete regardait toujours la portière. Un long silence se fit, qui semblait osciller comme un pendule. Pete serrait les dents, sa respiration s’était précipitée.

Mais qu’est-ce que t’as, bon sang ? Répéta Ozzie. T’es fou, ou quoi ?

Pete fit un pas en arrière. Il baissa les yeux.

Non, dit-il. Ça va …

Il soupira avec lassitude, et s’essuya le visage du revers de la main. A l’intérieur du camion, il y eut un bruit de verre : le jeune agent était en train de déplacer les grosses bonbonnes. Bientôt, un tintement plus léger indiqua que le jeune policier s’occupait des bouteilles.

Grouille-toi ! Lui cria Pete. On pèle de froid ici.

Après quelques instants, le remue-ménage cessa à l’intérieur du camion; on entendit la porte se rabattre. Des chaînes cliquetèrent.

Le jeune flic réapparut, tout essoufflé.

En règle ? Lui demanda Pete.

En règle, répondit le jeune flic.

Ils retournaient à leur voiture quand Ozzie passa brusquement la tête par la portière.

Hé ! Vous, là-bas ! Cria-t-il au jeune policier. Et mes papiers ?

Le flic revint sur ses pas en courant et tendit ses papiers à Ozzie.

Je vous demande pardon, j’avais oublié, murmura-t-il.

Ozzie lui adressa un sourire paternel.

Ça fait rien, monsieur l’agent, y a pas de mal.

Il embraya et le camion démarra. Le jeune flic regagna sa voiture et reprit sa place au volant. La main sur la clé de contact, il jeta un coup d’œil à son collègue.

Qu’est-ce qu’il y a, Pete ? Qu’est-ce qui ne va pas ? Demanda-t-il tout à coup.

T’es malade ? Reprit le jeune homme, l’air inquiet.

Fatigué, dit Pete, sans ouvrir les yeux. Fatigué, c’est tout.

La voiture de police reprit sa ronde. Le jeune flic surveillait son compteur : le règlement prescrivait une allure de trente-cinq à l’heure dans les rues étroites. Très droit sur son siège, les mains sur le volant dans la position réglementaire

Qui semblait leur faire marquer quatre heures moins dix sur un cadran imaginaire, il surveillait l’aiguille du compteur qui indiquait trente-cinq à l’heure.