CHAPITRE III

Il enjamba la fenêtre, se glissant sous le store qui lui battait le dos, impatient de fuir. Il prit néanmoins le temps de réfléchir. « T’affole pas, surtout, lui avait-elle dit, et te mets pas à cavaler droit devant toi. Tu vas attendre dehors qu’ils foutent le camp. » Du coup, c’était comme le jeu d’échecs ou comme une manœuvre stratégique …

« C’est bon, pensa-t-il. Essayons toujours. Mais va falloir que je ferme la fenêtre en vitesse ! Espérons que Cora trouvera moyen de couvrir le bruit du châssis. Espérons qu’il lui reste d’autres assiettes ou d’autres casseroles à flanquer par terre ! »

Il pivota sur lui-même à l’instant précis où ses pieds rencontraient le sol, durci par le gel, de l’étroite impasse. En allongeant le bras pour refermer la fenêtre, il constata que le store baissé l’empêchait de voir l’intérieur de la chambre. « Vas-y donc ! » Se dit-il en tirant vigoureusement sur le châssis.

Couvrant le grincement de la fenêtre, il entendit un fracas de casseroles et de vaisselle sur le carrelage de la cuisine. « Bien minuté », pensa-t-il, admiratif. Mais, en même temps, il s’inquiétait : la manœuvre allait-elle réussir ? Il devait lutter contre l’envie de fuir. Mais, soudain, il remarqua que la fenêtre n’était pas complètement fermée. Il restait, entre le châssis et l’appui, une fente de deux ou trois centimètres que le store, trop court, ne masquait pas entièrement.

« Autant attendre un peu, se dit-il. En me collant contre le mur et en me plaçant au bon endroit, je pourrai tout voir et tout entendre … »

Courbé en deux, il se rapprocha de la fente éclairée, y colla son œil et constata qu’il pouvait embrasser toute la largeur de la pièce. Cora s’approchait de la porte, sans se presser. Il entendit l’inconnu gronder dans le couloir :

Tu vas nous faire poireauter longtemps comme ça ? Allez, ouvre, ou alors …

Essayez seulement de me démolir ma serrure et je vous fends le crâne en deux, répliqua froidement Cora. Vous êtes pas chez vous, merde, alors ! D’ailleurs, j’ai payé mon terme, moi, et j’ouvre à qui je veux.

Je ne te le répéterai pas deux fois ! Rugit la voix.

Rif croyait y reconnaître des inflexions vaguement familières. « Si c’est ce que je pense … pensa-t-il. Mais non, c’est impossible. Ça ne peut pas être Lew Dagget. A l’heure qu’il est, Lew Dagget, ou ce qu’il en reste, se trouve à la morgue; tout ratatiné, tout noirci comme un morceau de lard brûlé … Et pourtant … j’aurais bien juré que c’était la voix de Lew Dagget ! A moins que … »

Il vit Cora tourner la clé dans la serrure. Le pêne claqua, la porte s’ouvrit, et l’homme entra. Il n’était pas seul, mais Rif n’accorda qu’un rapide regard aux deux individus qui le suivaient. Abasourdi, il n’avait d’yeux que pour le chef du groupe. « Je comprends maintenant pourquoi j’ai pensé à Lew Dagget, songea-t-il. J’avais la trouille de voir apparaître son fantôme, mais je crois bien que ce serait encore préférable ! Ce n’est pas Lew, c’est son frangin. Et moi, j’aimerais mieux avoir affaire à une armée de fantômes qu’à Clement Dagget.

» Oh ! C’est bien lui, pas de doute ! Mon petit père, c’est pour toi qu’il est venu et, s’il te poisse, il t’arrivera la même chose qu’à tous les autres qu’il a cherchés  de pauvres gars que tu as plaints, sachant trop bien ce qui les attendait. Clement Dagget, il se donne pas la peine d’appeler les flics quand on le bouscule. Il vous attend de pied ferme et il vous règle votre compte  au besoin de ses mains nues. Mais, si on préfère une méthode moins expéditive, il est tout prêt à vous obliger. Quant aux flics, ils se fatiguent plus à l’appréhender, et à lui poser des questions, et ils savent que ça sert à rien de rechercher les corps.

» Ce qu’il y a de marrant avec Clement, c’est qu’il n’a pas du tout la gueule d’une terreur, d’un tueur, d’un démolisseur. A le voir, jamais on ne croirait qu’il a dégommé des caïds comme Timmie

Mac Ginnis, feu Pete Keretski, feu Freddie Hudlin et bien d’autres. Mais, au fait, qu’est-ce qu’il est devenu, Mac Ginnis ? Eh bien voilà. Il est chauffeur de camions à l’entreprise Clem’ Dagget. Hé oui ! Il est payé par la compagnie des eaux minérales de Sweet Rock, de Dennison Street, où la flotte est mise en bouteilles. Cette flotte, elle sort des sources naturelles, quelque part dans le New Jersey, de l’autre côté de la rivière. Mais il y a pas que ça qu’ils mettent en bouteilles dans cette usine ! Y a un autre liquide qui leur vient également de New Jersey, mais qu’est fabriqué dans des distilleries clandestines et, sur l’étiquette, comme de bien entendu, y a marqué « eau minérale ». Ni vu, ni connu  c’est limpide comme de la flotte et on peut pas sentir l’odeur à travers le verre. Faut y goûter pour se rendre compte que c’est de la gnôle de contrebande, du schnick, du saute-barrière, du casse-pattes, comme vous voudrez …

» Sept camions qu’il a, Clem’ ! Et ses chauffeurs, ils hésiteraient pas à se lancer du haut d’une falaise avec leur camion pour lui faire plaisir. A les entendre, il n’y a pas mieux que leur patron. Maintenant, il est possible qu’ils ont simplement la frousse et qu’ils veulent pas se mouiller …

» Faut dire qu’il a pas le physique de l’emploi. On se douterait jamais de ce qu’il est, de ce qu’il fait, de ce qu’il est capable de faire, et de ce qu’il me fera, à coup sûr, s’il arrive à me mettre la main dessus et à m’embarquer dans son usine … »

Accroupi derrière la fenêtre, Rif observait Clement Dagget. Agé de trente-trois ans, celui-ci avait l’allure d’un professeur de collège qui profiterait de ses loisirs pour entraîner l’équipe d’athlétisme. Il mesurait un mètre quatre-vingts et pesait quatre-vingt-dix kilos, le cou fort, les épaules tombantes, les biceps énormes gonflant les manches du pardessus. Pourtant, malgré sa carrure, malgré cette impression de puissance latente et d’invulnérabilité qu’il dégageait, il y avait quelque chose de relâché, d’indécis dans son attitude, la tête légèrement inclinée de côté, les bras ballants. Ce n’était pas la nonchalance vigilante du champion, sûr de ses réflexes et prêt à affronter n’importe quel adversaire. On devinait plutôt une espèce de lassitude, de paresse, comme s’il en avait assez de porter ce poids de muscles. Ses cheveux brun foncé, bien peignés, étaient séparés par une raie sage sur le côté. Il avait le visage pensif et les mâchoires carrées de l’intellectuel – athlète. Il ne lui manquait que des lunettes à monture d’écaillé et une pipe de bruyère pour compléter la ressemblance. Mais, dès le premier geste, dès le premier mot, on reconnaissait le bootlegger, le gangster, le caïd de Purcell Street. Il attrapa Cora par le poignet et le lui tordit violemment.

Depuis quand on m’fait attendre à la porte ? Gronda-t-il. Pourquoi t’as pas ouvert plus vite ?

Elle regarda les gros doigts qui lui serraient le poignet. Très lentement, elle releva sa main libre pour lui mettre sous le nez cinq doigts recourbés comme une serre, aux ongles agressifs.

Lâche-moi, dit-elle doucement. Lâche-moi, ou je te crève les yeux !

Clement Dagget la lâcha. Il fit un pas en arrière et la toisa.

Dis donc … fit-il avec une nuance d’incertitude dans la voix. Dis donc, espèce de …

Il se pencha encore, regarda le plancher, les assiettes brisées, les plats en miettes.

Qu’est-ce que c’est que ça ?

Tu vois pas clair ? Riposta-t-elle. Y a la vaisselle qu’a glissé de la planche, voilà !

Sans blague ?

Il traversa lentement la pièce et s’approcha de l’alcôve-cuisine.

Alors, comme ça, la vaisselle a dégringolé ! Un petit accident, quoi !

Debout entre le lit et la porte, Cora n’avait pas bougé, elle ne répondait pas. Dagget examinait les débris. Il n’y touchait pas, mais, les yeux au sol, tournait lentement autour de l’alcôve.

« C’est couru, pensait Rif. Il va piger la combine. Je ferais bien de me tirer ! »

Mais au lieu de prendre son élan, il resta à son poste, observant avec beaucoup d’attention ce qui se passait dans la chambre. « D’ici qu’ils se mettent à cogner, il n’y a pas loin, se disait-il. S’ils commencent à la tabasser, va quand même falloir que j’intervienne. Vise un peu les deux malabars qui accompagnent Clem : le petit gros, avec sa casquette à oreilles et sa canadienne à col de fourrure, c’est Coley Rawlins. Le champion du coup de poing américain. L’autre, l’échalas, c’est Ozzie, un poids coq qui, dans le temps, faisait recette dans les petites salles de boxe. Seulement maintenant, il vous place un coup de lingue {1} encore mieux qu’un crochet du gauche. Son regard va de Cora à son copain Coley. Tu vois, maintenant ils la surveillent tous les deux …

» Oui, décidément, faut que tu sois prêt à intervenir. S’ils commencent à la dérouiller, t’as qu’une chose à faire : tu leur dis « Salut ! ». Comme ça, ils s’apercevront que t’es là et ils la lâcheront pour te courser. Mais t’as le temps. Ils ne lui ont encore rien fait; elle aura peut-être assez de sens pour la boucler et pour pas les exciter. Seulement, voilà ! Quand elle est en pétard, elle ne sait plus ce qu’elle fait … Et y a qu’à la regarder pour voir qu’elle est à cran ! »

Cora, les poings aux hanches, le souffle court, les lèvres pincées, fixait sur Clem un œil flamboyant. Celui-ci s’était approché du poêle. Il se pencha sur la casserole.

Ça sent bon, dit-il en se retournant légèrement vers Cora.

Il jeta un coup d’œil sur sa montre :

Deux heures dix-huit, murmura-t-il. Comment ça se fait que tu te sois mise à cuisiner au milieu de la nuit ?

J’avais faim, dit Cora qui s’efforçait vainement de régler son souffle.

Clem’ regarda de nouveau la cocotte de ragoût.

T’as bon appétit ! Remarqua-t-il. Toute cette viande pour toi seule ?

Coley Rawlins crut utile d’aller, lui aussi, jeter un coup d’œil au ragoût. Roulant des épaules, l’air important, il traversa la pièce et se pencha sur la casserole fumante. Il hocha lentement la tête en fixant sur Clem un œil grave :

Tu veux que je te dise ? Fit-il. Pour moi, elle attend du monde.

Tu crois ? Murmura Clem’ en le regardant avec la même gravité. Ma parole, t’as de l’idée ! C’est tout ce que t’as trouvé ?

Coley croisa ses gros bras en fronçant le sourcil, puis se frotta pensivement le menton.

J’crois bien que je le connais, le mec qu’elle attend, dit-il lentement. Pour moi …

Ferme ta gueule ! Coupa brutalement Clem’.

Mais tu viens de me demander …

Je t’ai pas demandé de ramener ta science. Je fais mon enquête et j’ai pas besoin de tes bons offices.

Mais j’ai juste dit …

Et moi, je t’ai dit : « la ferme ! » Hurla Clem.

Haussant les épaules, Coley pivota sur ses talons, fit mine de quitter la pièce, mais, se ravisant, revint sur ses pas, décidé, semblait-il, à protester.

Clem rugit :

Fous-moi le camp d’ici !

Le cri dément cingla Coley comme un coup de fouet. Il en resta pétrifié, la bouche grande ouverte. « Ça y est, se dit Rif. Le voilà parti ! Le fauve est lâché. Si Coley a pour deux sous de bon sens, il va se tailler en vitesse. »

Le souffle de Clement Dagget s’échappa avec une sorte de râle, comme s’il s’étranglait :

Si tu ne fous pas le camp d’ici, je te jure que …

Coley, médusé, semblait incapable de bouger. Avec sa casquette à oreilles, il avait l’air d’un chasseur sans munitions qui se trouve nez à nez avec une bête monstrueuse. Ozzie, le poids coq dégingandé, s’approchait prudemment comme s’il avait senti le péril. Soudain, avec une adresse et une précision rares, il accéléra l’allure, empoigna Coley par le bras, et le tira à l’autre bout de la chambre.

Clement Dagget baissa la tête, pressant les pouces contre ses tempes. Le calme était revenu dans la pièce, et Rif jugeait : « Il essaye de sortir de sa crise. J sais pas comment ça se manifeste mais, ce qui est sûr, c’est que ça doit pas être réjouissant !  Pourvu que Cora s’en rende compte ! Mais non ! On dirait qu’elle le comprend, mais qu’elle s’en fout ! On dirait même que ça l’amuse ! »

Cora avança d’un pas mesuré. Elle s’arrêta à moins d’un mètre de Clement Dagget, le menton en avant.

Ça ne va pas comme tu veux, bonhomme ? Demanda-t-elle.

Le cherche pas, conseilla Ozzie. T’approche pas …

De quoi ? De ça ? Fit-elle désignant Clem d’un vague geste désinvolte, comme s’il eût été un objet sous globe. C’est pas grand-chose, ça !

« Bon sang de bonsoir ! Se dit Rif. Cette fois, ça y est ! »

Clem fixait sur elle un œil inexpressif. Enfin, il détourna légèrement la tête.

Du balai ! Dit-il laconiquement à ses deux subordonnés.

Où c’est qu’on va ? Demanda Coley.

Je m’en fous, répliqua Clem’, dont les yeux évitaient Cora.

Coley revint à la charge :

Tu veux qu’on se retrouve quelque part ? On pourrait se donner rencard chez …

Je m’en fous, répéta Clem’. Tirez-vous.

Ozzie fit un pas vers la porte. Coley hésitait encore, mais Ozzie l’entraîna à sa suite. Ils sortirent et refermèrent la porte derrière eux.

« On crève de froid ici, se disait Rif, mais il fait encore plus froid dans la carrée. En tout cas, c’est l’impression que doit avoir Clem’. Mais Cora, elle a l’air drôlement en forme. Elle s’en paie une tranche ! »

Cora faisait toujours face à Clement Dagget, avançant le menton d’un geste de défi. On aurait dit qu’elle s’offrait comme cible. Rif pensait : « Elle le provoque ! Elle le défie de la toucher ! »

Clem fit un pas de côté pour s’écarter de Cora et s’approcha du lit. Il semblait très las. Il fit mine de s’asseoir sur le bord du lit, mais, changeant d’idée, se laissa tomber sur une chaise. Sa tête s’inclina sur sa poitrine. Il parla d’une voix si faible que Rif eut du mal à l’entendre.

Et le tapis ? Y a même pas d’tapis dans c’te turne ?

Cora ne répondit pas.

Tu devrais avoir un tapis quand même, reprit Clem’. Ça cacherait les trous du parquet. Tu t’rends compte ? Elles foutent le camp de partout, ces lattes !

Cora resta muette. Plantée sur le seuil de l’alcôve-cuisine, elle lui tournait le dos.

C’est comme les murs, reprit Clem’ en jetant un regard autour de lui, y a le plâtre qui se décolle. Un de ces jours, ton plafond va te dégringoler sur la tête.

Cora se retourna très lentement et toisa en silence le caïd de la pègre.

C’est gentil chez toi ! Reprit Clem en examinant, tour à tour, les murs, le plafond et, de nouveau, le plancher. Tu sais ce qu’il a, ce taudis ? Je vais te le dire, moi. Il est en train de crouler !

Cora mit les poings sur les hanches.

J’ai l’honneur de te faire savoir que c’est pas un taudis, ici ! J’arrête pas de l’astiquer, ma piaule, et d’enlever la poussière.

Clem jeta un bref regard vers elle, puis détourna les yeux.

C’est nickel chez moi, t’entends ? Reprit-elle en détachant ses mots. Tu m’entends ? C’est propre, où je vis ! C’est propre et salubre  sauf quand certaines gens ramènent leur sale gueule.

« Oh ! Non, non ! Suppliait silencieusement Rif. Remets pas ça ! Tu joues avec le feu. »

Et je vais te dire autre chose, mon salaud, poursuivit Cora. Si la baraque s’écroule, ça ne regarde que moi. Mais, si t’es parti pour inspecter les décombres, je peux t’en indiquer une belle et t’auras pas à te fatiguer pour la voir l

Elle désignait du doigt le mur en face de lui où une glace était accrochée au-dessus d’une commode délabrée.

T’as vu ? Railla-t-elle. T’as bien vu ?

Machinalement, d’un mouvement incertain, il se pencha et se vit dans la glace. Il parut enfin comprendre qu’il venait d’être joué et se raidit. Il se leva lentement de sa chaise, tel un automate.

Un de ces jours, je te tordrai le cou ! Dit-il lentement.

Plus souvent ! Riposta-t-elle. Tu sais bien que c’est pas comme ça que t’arrangeras les choses.

« Les choses ? Quelles choses ? Demandait silencieusement Rif. Mais qu’est-ce qui se passe entre ces deux-là ? »

Qu’est-ce qu’il y a à arranger ? Ripostait Clem’. C’est tout arrangé !

Tant mieux, dit Cora.

Il y a longtemps que c’est fait, répéta Clem’ en haussant la voix. Réglé une fois pour toutes.

Très bien, dit-elle. Parfait. Comme ça, on n’en parle plus.

Un long silence s’établit. Immobiles tous les deux, ils se dévisageaient. Ils restèrent ainsi, face à face, pendant près d’une minute. Enfin, Clem fit un pas en arrière. Il pivota sur ses talons, contourna l’extrémité du lit et gagna la porte de la penderie. Brusquement, sa main se referma sur la poignée et il ouvrit la porte toute grande.

C’était une minuscule penderie qui ne contenait que quelques robes-blouses, la combinaison d’ouvrière, une salopette, quelques pantalons rapiécés. Clem repoussa les vêtements. Deux ou trois paires de souliers étaient posées par terre mais, à part cela, il n’y avait rien. Clem’ fit claquer la porte puis, ayant traversé la pièce en quelques enjambées, il inspecta le cabinet de toilette.

Regarde donc sous le lit, dit Cora. Tas pas regardé sous le lit, encore !

Clem fit un pas vers le lit, mais s’arrêta net, le feu au visage. Il se retourna pour voir si elle se payait sa tête. Elle avait sur les lèvres un mince sourire.

Ça va comme ça ! Gronda-t-il.

Elle souriait toujours.

J’ai dit : ça va comme ça ! Y en a marre.

Et soudain, il se mit à hurler.

Je cherche le tordu qu’a foutu le feu chez Lew. Où est-il ?

Sans répondre, Cora revint vers le poêle et porta à sa bouche la cuiller restée dans la casserole. Sans doute la sauce était-elle brûlante, car elle fit une petite grimace et effleura ses lèvres du doigt. Puis elle réduisit le tirage du poêle.

Où est-il ? Braillait Clem’. Tu le sais et tu vas me le dire, sinon …

Elle s’affairait au-dessus de son ragoût. Elle y avait plongé la cuiller et la tournait avec précaution.

Tu m’entends ? Je te jure que tu parleras …

Elle surveillait toujours son ragoût en le remuant d’un mouvement régulier.

Pourquoi je te dirais quelque chose ? Fit-elle enfin.

Parce que … (Il suffoquait.) Enfin, parce que …

Il ne put achever sa phrase, déglutit avec peine, et lança enfin :

Parce que j’ai le droit de savoir.

Elle lui jeta un coup d’œil oblique, sans cesser de tourner le ragoût.

Qu’est-ce que ça signifie, ce regard ? Fit-il entre ses dents serrées. Je sais ce que je dis, et je parle pas en l’air. J’ai le droit de savoir où il est. J’ai le droit de le choper et de le réduire en charpie. Ou plutôt, je vais l’arroser d’essence et le faire griller comme un porc. Lui qui aime le feu, il sera servi  pareil que Lew …

Te fatigue pas, va, coupa Cora. Raconte ça aux cloches ou aux traîne-patins qu’on voit en face chez le coiffeur. Ils ont le temps de t’écouter. Moi pas.

Tu vas m’écouter, que tu le veuilles ou non …

De quoi ? Lui lança-t-elle en le regardant dans les yeux. Moi, je veux bien écouter quand c’est un truc sérieux. Mais les baratineurs à la gomme qui se figurent qu’en braillant très fort ils arriveront à convaincre le monde  très peu pour moi !  V’là qu’il ramène son frère Lew, maintenant !

Elle balaya l’air de son bras en un grand geste dramatique, et sa voix s’enfla comme pour atteindre un auditoire invisible.

Il veut nous faire croire qu’il s’fait du deuil pour son frangin, que son cœur saigne, qu’il a subi une perte cruelle ! (Elle hurla, avançant sur Clement Dagget.) T’appelles ça une perte ?

Clement Dagget voulut répondre, mais aucun son ne sortit de sa bouche.

« Là, elle l’a eu, pensa Rif. Mon vieux, elle lui a drôlement cloué le bec. Parce qu’on les connaît, les deux frères Dagget ! Je m’en souviens : tout môme déjà, ils n’arrêtaient pas de se bagarrer. Qu’est-ce qu’ils se flanquaient comme peignées ! Pardon ! Je me rappelle encore la fois où ils se sont empoignés au coin d’Hendrick Street et de Purcell Street. Ce jour-là, l’explication s’est terminée à trois cents mètres de là, dans le terrain vague de Rupert Avenue. Et, pour les séparer, il a fallu appeler un car de police. Et une ambulance pour embarquer Clem ! Parce qu’en ce temps-là, Lew rendait dix ou quinze kilos à Clem’; il était plus grand aussi. Il avait donc l’avantage de la taille et de l’allonge. Si mes souvenirs sont exacts, Lew était l’aîné de deux ou trois ans. A vingt ans, il était bâti comme un cheval de brasseur. Et mauvais comme une teigne, avec ça ! Clement était pareil, du reste. Mais, lui, il avait tout du chat-tigre. C’étaient les deux terreurs du quartier. Mais, à l’époque, sauf erreur, c’était toujours Lew qui cherchait des crosses aux uns et aux autres et qui se montait le job, surtout quand il était rétamé et, à vingt ans, il y tâtait drôlement à la gnôle. Il gagnait déjà très correctement sa vie comme carrossier. C’était un bon ouvrier : il avait vraiment le chic pour remettre à neuf une vieille chignole toute cabossée. Mais la gnôle, ça coûte, alors il laisse tomber le ravalement des vieilles tires et s’engage chez Timmie Mac Ginnis qui paie davantage. Il débute comme garde du corps et homme à tout faire. Mais, bientôt, il prend du galon et finit bras droit de Timmie. Du coup, il commence à en installer avec de chouettes costards et des pépées grand luxe. Et puis, il y a la bagnole  son vrai béguin. Carrosserie spéciale surbaissée, et trois ou quatre couches de peinture violette dessus. Tous ses moments libres, quand il n’est pas rond, il les passe à bricoler sa bagnole. Dans la partie, il était imbattable ! Au fond, s’il avait pas été possédé par cette passion de la bigorne, avec la gnôle qui ne lui arrangeait pas le caractère, il aurait pu se faire un nom dans la carrosserie automobile.

Mais j’ai idée que le drame, chez lui, c’est qu’il se trouvait pas à l’aise dans sa peau. Même qu’il en avait marre de se tabasser comme une brute, il arrivait pas à se changer, à se mettre en paix avec lui-même.

Mais Clem’, en ce temps-là, c’était encore autre chose. Il voulait achever ses études secondaires et, pour un gars du quartier, c’était une drôle de performance. On le voyait jamais traîner le soir dans la rue, et il mettait jamais les pieds dans une salle de billard, encore moins dans les tapis et dans les bals à cinq cents du samedi soir. La nuit, on voyait de la lumière à la fenêtre du troisième étage, où il vivait avec sa mère. Elle était veuve et travaillait comme femme de ménage quand elle ne se saoulait pas à la bière. C’était Lew qui payait leur loyer et leurs notes d’épicerie. Lui, il avait sa piaule dans le quartier. Alors, quand on voyait de la lumière à la fenêtre de Clem’, on savait qu’il était plongé dans ses bouquins pour tâcher de se faire admettre à l’université sans payer  une bourse, qu’on appelle ça.

Moi, à l’époque, j’avais quinze ans et je connaissais les Dagget que de vue, parce que j’habitais à quelques maisons de chez eux. J’avais été placé chez Tillie, femme de ménage elle aussi, avec d’autres mômes qu’avaient plus leurs parents. Tillie et Mme Dagget étaient toujours ensemble à boire de la bière et à se raconter des histoires. C’est comme ça que j’ai connu les projets de Clem’.

Des fois, en rentrant de l’école, Clem rencontrait Lew qu’était saoul comme une bourrique et qui l’attendait au coin d’une palissade pour le chambrer. Parce que Lew, quand il cherchait la bagarre, c’était toujours Clem qu’il provoquait. Les fenêtres s’ouvraient, les gens se penchaient, d’autres se ramenaient en courant pour mieux profiter du spectacle. Le fait est que ça valait le coup d’œil ! Et, quand le bruit se répandait dans le quartier : « Vlà les Dagget qui remettent ça ! », c’était la vraie corrida.

La fois où Lew avait expédié son frangin à l’hôpital, Clem’ était resté plusieurs mois avec des bandages autour de la tête. Une fracture du crâne, qu’il avait ! On avait même cru, sur le moment, qu’il s’en sortirait pas. Du coup, elle était foutue sa bourse. Il n’a même pas pu terminer ses classes secondaires, ni cette année-là, ni la suivante. Il a pris un job comme magasinier dans un grand magasin. Il me semble bien que ça a duré deux ou trois ans … Après, il s’est mis à suivre des cours par correspondance pour décrocher son diplôme de fin d’études, parce qu’entre-temps il avait mis un peu de fric à gauche. Et un jour, y a Mme Dagget qu’a dit à Tillie devant toi : « Maintenant, il va pouvoir aller à l’Université … Ça y est, il est inscrit … Même que j’ai vu la lettre. C’est quelque part en dehors de la ville … »

«  Faut croire que c’était assez loin de la ville, parce qu’on a pas revu Clem’ pendant plusieurs années. Plus tard, après ta démobilisation, t’es revenu dans le quartier, mais tu ne savais plus où crêcher vu que Tillie avait décampé pour aller Dieu sait où. Et c’est pas la veuve Dagget qui t’aurait renseigné : elle était morte et enterrée.»

« Mais dis donc, ça y est, elle commence à prendre forme, ton histoire, je ne sais trop comment  on dirait une ligne téléphonique entre le passé et le présent. Seulement voilà, il n’y a pas de fils entre les poteaux … du moins, tu les vois pas. Comme s’il y avait du brouillard … Mais j’ai quand même l’impression de tenir le bon bout … Tiens, mais bon sang !  »

Rif avait fermé les yeux. Un frisson le parcourut.

« D’où ça me vient ? Pensait-il. C’est pas le froid. Bien sûr, il ne fait pas précisément chaud mais, ce froid-là, c’est autre chose. C’est un fait précis, mais oublié, qui me fout les foies … Vaudrait peut-être mieux ne pas trop remuer le passé … »

« Mais, d’un autre côté, c’est bête d’abandonner les recherches … Avec de la chance, tu arriveras peut-être à les retrouver, les fils téléphoniques … » Allez, creuse-toi le ciboulot. Tâche de te rappeler la date … Ça devait être il y a cinq ou six ans … Un beau jour, Clem’ est réapparu dans le quartier. Personne ne savait d’où il venait. D’ailleurs, la première année, son retour n’a pas fait beaucoup de bruit. » Mais, bientôt, ça a commencé à bouger … Tu te souviens ? Les gens en causaient autour des comptoirs, dans les salles de billard, dans les boîtes qui restent ouvertes après l’heure légale. Clement Dagget, disait-on, avait complètement perdu la boule, ou alors il en avait marre de l’existence. On prétendait qu’il organisait un gang indépendant. Qu’il avait déclaré la guerre à Timmie Mac Ginnis et compagnie, sans autres armes que ses deux poings nus. Or, il était dangereux de se frotter à l’équipe Mac Ginnis si on ne tenait pas à étrenner une paire de béquilles, ou peut-être même un paletot en sapin ! Timmie Mac Ginnis et ses gars, c’était du monde à respecter. Ils avaient monté une affaire du tonnerre : chaque goutte d’alcool de contrebande qui se débitait dans le secteur, entre Purcell Street et Kenniston Street, entre la Seconde Avenue et la Septième, était fournie par eux. Et, comme de bien entendu, ils engrangeaient un drôle de pognon en fin de semaine. Et voilà Clement Dagget qui se met dans le crâne de leur rafler leur gagne-pain ! »

Y a des pronostiqueurs qui lui donnaient quand même une petite chance. Une chance sur un million, quoi ! Mais, au bout de quelques mois, la cote a changé. Clem n’était plus seul. Il avait avec lui quelques malabars  certains, des anciens de chez Timmie. T’avais même pensé, à l’époque, que Timmie n’avait pas été assez généreux avec ces gars-là. Ou alors, qu’ils étaient fatigués de recevoir des coups de poing dans les gencives, ou de genou dans le bas-ventre quand ils se permettaient de se rebiffer contre Lew Dagget, le bras droit de Timmie.

« Clement Dagget avait loué quelques camions et un vieil entrepôt croulant dans Dennison Street, et il y avait fait peindre une belle enseigne : Eaux minérales de Sweet Rock.

« Les premières empoignades, y a trop rien à en dire. C’étaient encore que des prises de contact qui se soldaient par quelques nez aplatis et quelques crânes cabossés. Mais, plus tard, ce devint vraiment sérieux. Tu connais pas les détails, parce que ça se passait surtout dans le New Jersey sur des petites routes de campagne où débouchaient les camions pleins de gnôle sortant de la forêt.

Mais, tu sais bien qu’à l’époque, les camions à Timmie ils rentraient toujours à vide et, quelquefois, les chauffeurs plaquaient leur patron sur l’heure pour passer au service de Clem’. On chuchotait dans le quartier : « Les affaires de Timmie ne vont pas fort; s’il n’arrive pas à renverser la vapeur, il va faire faillite. » Au bout d’un certain temps, ça a commencé à chauffer dur sur les routes de New Jersey, car Timmie avait équipé ses camions pour le riffe ! C’était Lew Dagget qui dirigeait les opérations. Tu te rappelles ? On disait que Timmie se gardait bien de se mouiller dans toutes ces histoires. Il se contentait d’être le directeur général et le président du Conseil d’administration, mais les basses besognes où fallait se mettre en carante, elles étaient dévolues à Lew Dagget.

«  Tu vois ? Où ça te mène de remuer tous ces vieux souvenirs ? V’là que t’as encore la tremblote ! Ça te fait de l’effet de repenser à la nuit de la grande explication, quand les frères Dagget se sont retrouvés face à face. Ce coup-là, tout le monde a pigé que la flamme avait brûlé la mèche et mis le feu aux poudres.

» T’es pas près de l’oublier, cette nuit, hein ? Ça se passait dans le terrain vague, derrière l’usine d’eau minérale. Tétais là, avec Burt Pomfret et deux litres de muscat. A l’autre bout du terrain vague, Clem’ et ses gars déchargeaient un camion, et Burt te disait que c’était sûrement une cargaison de gnôle fauchée aux chauffeurs de Timmie. Et, brusquement, il y a eu un grand silence. Tas relevé la tête, t’as vu toute la scène à l’autre bout du terrain vague : d’un côté, il y avait Clem à la tête de ses hommes et, de l’autre, la bande à Timmie conduite par Lew.

«   C’est le moment de se tirer, dit Burt. Mais, au lieu de nous planquer, on est resté là-bas à regarder le spectacle. Lew s’est approché de Clem’ : « Faudrait voir à nous payer notre whisky », a-t-il dit. Et, là-dessus, il avait donné le montant du prix. Clem n’avait pas répondu. « C’est à toi que je cause, la Science, reprit Lew. T’es sourd, ou quoi ? » Clem gardait toujours le silence. « C’est bon, a dit Lew. T’as p’têt de l’instruction, mais pas assez, à mon goût. J’ai idée qu’à l’Université, on t’a pas appris à être poli ! » » Là-dessus, du revers de la main, il le frappe à la bouche. A l’époque, Lew pesait bien cent kilos. Clem a reculé de quelques pas, les lèvres en sang. Ses gars commencent déjà à sortir leurs rigolos{2}, mais il leur fait signe qu’il ne voulait pas de ça. Alors, il adresse un sourire à Lew et il lui dit, à travers le sang qui lui gicle entre les dents : « On fait ça nous deux … d’accord ? »

«  Tu trappelles ? Lew lui rend son sourire, hoche lentement la tête, s’approche et lui balance encore un coup à la bouche. Pendant deux ou trois secondes, c’est le silence total. Et, tout d’un coup, voilà que ça se déclenche : dans les phares des camions, les frères Dagget s’expliquent. Pendant la première demi-heure, Burt me dit seulement : « C’est les actualités qu’on devrait faire venir. Tu parles d’une séance ! » Pendant cette première demi-heure, on se serait cru en Espagne ou dans un de ces pays lointains où ils s’amusent à lâcher deux fauves dans la même cage, après les avoir fait jeûner quelques jours. Les frères Dagget leur auraient rendu des points, aux fauves ! Leurs seules armes, c’étaient leurs mains, leurs pieds et leurs dents. Pendant la première demi-heure, Clem a bien été sept ou huit fois à terre. A la dernière fois, Burt m’a murmuré à l’oreille : « S’il se relève ce coup-ci, c’est qu’il est pas humain. »

« Et Lew qui fait à Clem’ : « Faudrait voir à nous payer not whisky. » Il se rapproche de lui sans se presser, et Clem’, il est étalé face contre terre, et il bouge plus. « T’entends ? Faut voir à nous le payer, not whisky », qu’il fait encore, avec les dents de devant cassées et le nez tout sanglant, et la chemise en loques qui laisse entrevoir les ecchymoses violettes du torse. Sûrement qu’il avait des côtes fêlées … « T’entends, la Science ? » a répété Lew en balançant la jambe. Le coup a touché Clem à l’épaule, bien qu’il ait visé la tête, mais déjà Clem s’éloignait en roulant sur lui-même. Et c’est alors que, dans la lumière des phares, t’as vu apparaître la femme.

« Et cette femme-là … Oui, ça te revient, maintenant, tu retrouves le joint … Eh bien, cette femme, c’est Cora. Elle fonce sur Lew, elle l’empoigne et l’entraîne loin de Clem’. Et Burt Pomfret, il te souffle à l’oreille : « Qu’est-ce qu’elle vient fiche, celle-là ? Qu’est-ce qu’elle a à voir dans c’t histoire ? »

« En tout cas, elle n’en a pas fait lourd et elle s’est pas attardée sur les lieux. Et le plus fort, c’est que ç’a pas été Lew qui l’a envoyée promener, mais le vaincu, le guerrier abattu que, dans un bel élan, elle venait secourir. Car, pendant qu’elle se colletait avec Lew, Clem’ s’est quand même relevé. Il s’approche d’eux en silence et lui tape doucement sur l’épaule. Elle se retourne et voit qu’il est debout. Il lui laisse le temps de piger la situation et, là-dessus, il lui pose les deux mains sur les épaules, la force à se retourner, et bang ! D’un coup de pied au derrière, il l’envoie valdinguer comme une fusée téléguidée. « Du balai ! » Qu’il lui lance, Clem’, comme quand on se débarrasse d’un pochard qui emmerde le monde pour se faire payer un verre. Elle se relève et se tire sans un mot. Clem’, alors, se tourne vers son frangin avec un gracieux sourire : « Tu disais ? » Qu’il lui fait.

« Je crois bien que Lew en a eu les pattes coupées. Il a paru, d’un coup, tout découragé, tout las. Il s’est quand même jeté sur Clem en brandissant les poings, mais, comme qui dirait, le cœur n’y était plus. Il a touché Clem au visage, mais Clem n’a pas bronché. Alors, il a encore remis ça, avec l’espoir d’en finir un bon coup. Mais Clem n’a même pas pris la peine de bloquer ses coups ou d’esquiver. Il a encaissé, mais Lew avait perdu le punch, alors Clem il est pas tombé.

« Après ça, pendant cinq bonnes minutes, Lew est allé je ne sais combien de fois à terre. Il était à quatre pattes, essayant en vain de se relever, quand Timmie Mac Ginnis s’est ramené. Il a dit quelque chose à Clem’. Tu l’as pas entendu, mais t’as entendu Burt Pomfret qui t’a glissé à l’oreille : « Je te parie qu’ils causent affaire. Si ça se trouve, Clem’ va devenir patron et Timmie son adjoint … »

« Et v’ Lew qui se met à gueuler : « Allez, achève-moi, salopard ! Profite de ta chance parce que, sans ça, c’est moi qui t’aurai ! »

« Ce cri de Lew, il me résonne encore aux oreilles … Il ne rigolait pas, le mec. Alors, Timmie a dit à Clem : « Il en serait bien capable. A la première occasion, il te loupera pas. Même s’il doit attendre des années, il t’aura au tournant … Alors, si tu veux un conseil … »

« Ça s’est passé il y a cinq ou six ans  mais tu l’oublieras pas, cette nuit-là, avec les phares des camions qui illuminaient le terrain vague derrière l’usine. Quelques semaines plus tard, tout était rentré dans l’ordre; Timmie et*ses hommes étaient passés au service de Clem’, et Lew Dagget avait repris son boulot de carrossier, dans son vieux garage délabré de Burton Street, avec la pancarte : Réparations en tous genres … »

Rif se rapprocha de la fenêtre entrouverte. Il observait Clement Dagget avec une curiosité mêlée d’étonnement.

Absorbé qu’il était par certaines pensées concernant Clem’, il ne perçut pas tout de suite un bruit suspect à l’autre extrémité de l’impasse. Le bruit s’amplifia, il tourna la tête et aperçut une silhouette sombre. Un sifflet de police retentit, strident et, aussitôt, d’autres silhouettes apparurent. Elles se rapprochaient, braquant sur Rif le faisceau de leurs torches électriques.