Sun Tzu

« Bonjour, ça va ?

– Non… »

Rendez-vous aux aurores, le jeudi 5 janvier 2012, avec Pierre Moscovici pour un petit déjeuner au café Les Éditeurs, non loin de la place de l’Odéon à Paris. D’ordinaire connu pour son flegme, le député PS du Doubs, directeur de campagne de François Hollande depuis le 17 novembre 2011, a la tête des mauvais jours. La colère se lit presque dans son regard. Mécaniquement, il commande un café, puis nous saisit à froid :

« Je vais vous dire : Sarkozy a pour lui son énergie et ses pitbulls, mais il n’a ni projet, ni bilan et son image personnelle est salement écornée. Il lui reste donc la stratégie du discrédit et de l’insulte.

– À quoi faites-vous allusion au juste ?

– Lundi, sur RTL, j’étais interrogé par Jean-Michel Apathie et j’ai dit, en gros, que si “Nicolas Sarkozy avait la dignité de sa fonction, il ne se représenterait pas”. Dès le lendemain, Nadine Morano envoie un message sur Twitter, laissant entendre que j’aurais échangé des messages salaces avec DSK. Je vous le dis : ils sont prêts à tout ! Mais nous, on ne lâchera rien.

– Vous pourriez répondre ?

– Non, je ne m’abaisserai pas à répondre. Je suis le directeur de campagne du candidat François Hollande, du futur possible président de la République François Hollande. Je ne vais certainement pas m’abaisser à ce niveau. Je ne descendrai pas dans le caniveau.

– Que disait précisément Nadine Morano dans son message sur Twitter ?

– Elle disait : “Moscovici sur RTL en donneur de leçons en dignité. D’après la presse, il aurait échanger (vous noterez la faute d’orthographe) des SMS salaces avec DSK.” C’est diffamatoire et c’est abject, c’est ignoble ! Quand on l’a pressée de préciser à quels articles de presse elle faisait référence, elle s’est emmêlée les pinceaux et elle a retiré son tweet. Voilà ! Ce sont leurs méthodes depuis le début de la campagne, c’est juste immonde !

– Vous pourriez porter plainte ?

– J’ai fait faire une consultation juridique. La diffamation est clairement établie, mais je ne participerai pas à l’abaissement, au pourrissement, à la salissure qu’ils veulent imprimer à cette campagne. Ça fait des mois que j’entends ça dans les dîners en ville : “Mosco, il a les mêmes penchants que DSK. Moscovici, c’est lui le prochain sur la liste. Vous verrez, avec toutes ses turpitudes, il fera tomber Hollande.” Manque de chance, je n’ai jamais mis les pieds au Carlton de Lille, je n’ai jamais utilisé les services d’une prostituée, je n’ai jamais été adepte du libertinage et je suis brouillé avec DSK depuis 2008. Voilà. Et puis porter plainte contre Nadine Morano n’aurait aucun sens. Elle n’est qu’un maillon de la chaîne. Cette attaque monstrueuse, elle n’a pas décidé seule de la porter. Elle a agi non pas forcément sur ordre, mais au moins avec l’aval de ses patrons. »

Ce matin-là, le bras droit du candidat socialiste à la présidence de la République parle sans retenue, sans langue de bois. Pierre Moscovici est pourtant habitué à ce type de rumeurs sur sa vie privée. Célibataire endurci à 54 ans, on l’a dit homosexuel, vieux garçon, collectionneur d’aventures. Mais depuis l’affaire Strauss-Kahn, les racontars sur son compte ont pris une tournure plus glauque. « Je suis peut-être un vieux con, répète-t-il en avalant son double express, mais au risque de mourir idiot, je n’ai jamais essayé ni le libertinage, ni les prostituées. » Puis, anticipant la question sur sa présence aux côtés de François Hollande, l’ex-strauss-kahnien ajoute : « Autant vous le dire : j’ai eu Dominique au téléphone entre 10 h 30 et 11 h 15, heure de New York, ce jour de la mi-mai où tout a basculé au Sofitel. Il voulait que je devienne le porte-parole de sa campagne et, ce jour-là, nous relisions au téléphone un entretien qu’il avait accordé au Nouvel Observateur sur la crise grecque. J’ai eu avec Dominique une très longue histoire d’amitié politique et personnelle. Il m’a fait entrer en politique, il m’a promu, il a beaucoup pesé pour que je devienne ministre à seulement 39 ans. Mais en 2008, tout a été fini. »

Été 2008. Le père trahit le fils. La rupture. « Mosco » veut prendre la tête du parti, mais DSK finit par rallier « Martine ». La direction du PS lui était promise et c’est Martine Aubry que Dominique Strauss-Kahn et ses amis choisissent de soutenir. Un coup de poignard dans le dos pour cet énarque (1982-1984) qui eut notamment Strauss-Kahn pour professeur. Rude leçon de politique.

Depuis, et malgré ce rapprochement d’avant l’affaire du Sofitel, les deux hommes ne se sont jamais reparlé. Trois ans de silence… « Pas un mot, pas un coup de fil, pas le moindre SMS : il ne m’a jamais expliqué. » Plus de contact entre Moscovici et DSK, n’en déplaise à Nadine Morano.

Il n’empêche : ce tweet de Nadine Morano, ministre en charge de l’Apprentissage et de la Formation professionnelle et « flingueuse » hors pair de la Sarkozye, en dit long sur la violence d’une campagne où, de fait, tous les coups sont permis. Même les coups bas. « Après la lettre aux Français de François Hollande dans Libération, l’UMP a publié pas moins de 13 communiqués assassins. Les membres de leur cellule “riposte” appellent cette stratégie le “carpet bombing”, en référence à l’US Air Force qui, pendant la guerre du Vietnam, arrosaient les Viêt-cong au napalm. Ça en dit long sur leur état d’esprit. Selon eux, il faut nettoyer le terrain parce que le camp socialiste est illégitime et qu’il est représenté par un irresponsable. Voilà pourquoi, de notre côté, nous devons tous être unis. Face à cette pluie de bombes sales, il n’y a qu’une seule réponse : l’unité et la discipline. “La discipline est la force principale des armées”, disait César. Dans cette campagne présidentielle, il n’y a plus de place pour le “à titre personnel”. Nous devons tous jouer serrés, unis, rassemblés. »

« Bombe sale » ? L’expression peut paraître excessive, mais elle est significative de l’ambiance qui règne alors dans les états-majors de campagne. Avant, le personnel politique parlait de « boule puante », mais en 2012 un seuil est franchi. La preuve : un mois et demi plus tard, le 22 février, nouvelle attaque à l’arme lourde. Cette fois, elle émane d’un parlementaire de la majorité, Damien Meslot, 47 ans. Depuis des années, celui qui est devenu secrétaire national aux nouveaux adhérents de l’UMP en mars 2009 voue une rancune tenace à tout ce qui, de près ou de loin, porte le label socialiste. Et pour cause : suite à une plainte déposée par le PS, il a été mis en examen en 2006 et renvoyé devant le tribunal pour « manœuvres frauduleuses » lors des élections cantonales de 2004. Il obtiendra une ordonnance de non-lieu le 31 août 2009, mais la blessure est encore à vif.

Alors que Dominique Strauss-Kahn est entendu par les gendarmes qui enquêtent sur l’affaire du Carlton de Lille, ce député du Territoire de Belfort dénonce « les troublantes affaires politico-sexuelles du parti socialiste et les liaisons dangereuses entretenues par DSK et des responsables de la campagne de François Hollande ». Avant d’ajouter, pour ceux qui n’auraient pas compris l’allusion : « François Hollande peut-il conserver comme directeur de campagne Pierre Moscovici qui se présentait comme un proche de DSK et dont le nom apparaît dans l’enquête qui touche DSK ? […] Pierre Moscovici serait bien inspiré, au nom d’une certaine morale politique, d’abandonner ses fonctions. » Nadine Morano pratiquait par allusion, cachée derrière un compte Twitter ; Damien Meslot, lui, agit à visage découvert. À lire son réquisitoire, on imagine aisément ce qu’il serait advenu si, DSK ayant été lui-même désigné candidat, l’affaire du Carlton avait explosé à ce moment précis de la campagne.

La veille déjà, le 21 février, un autre secrétaire national de l’UMP, Sébastien Huyghe, 42 ans, député de la 5e circonscription du Nord, avait participé de cette offensive torve. Faisant référence au scandale DSK, mais aussi à l’affaire Guérini à Marseille et au financement de la fédération PS du Nord-Pas-de-Calais, ce proche de Jean-François Copé, membre de la « cellule riposte » de l’UMP, tirait à boulets rouges sur le candidat socialiste : « Sur ces trois affaires, François Hollande, qui a été onze ans premier secrétaire du PS, était forcément au courant de ces turpitudes, du fait qu’un certain nombre de hauts dirigeants du PS se sont compromis dans des affaires de fric et de sexe […]. Il faut que François Hollande s’explique sur ce silence, d’autant plus qu’il a décidé de prendre comme directeur de campagne Pierre Moscovici, qui a été proche parmi les proches de Dominique Strauss-Kahn et qui ne pouvait ignorer le fait qu’il se vautrait dans de grands hôtels dans la luxure. » Cette fois, il ne s’agit plus d’une attaque isolée, mais bien d’une opération concertée. Viser Pierre Moscovici pour atteindre, à travers lui, le candidat François Hollande.

À ce stade du récit, un premier décryptage s’impose. Tout à coup, en écoutant ces deux snipers de l’UMP, on comprend mieux pourquoi, avant l’affaire du Sofitel, Nicolas Sarkozy disait préférer DSK comme adversaire – choix d’autant plus bizarre que le patron du FMI culminait alors au sommet des sondages. « Les Français veulent voir le match », disait le Président à ses visiteurs pour qu’ils le répètent à l’envie. DSK-Sarkozy : une finale de rêve ! Surtout si, à cause des parties fines du Carlton de Lille, de l’hôtel Murano à Paris et du « W » à Washington, le match n’avait pu aller à son terme pour cause de carton rouge… Petit retour en arrière sur une affaire qui n’aurait jamais dû quitter la rubrique des faits divers.

Dès le début de l’année 2011, soit trois mois avant l’affaire du Sofitel de New York, la police judiciaire de Lille enquête sur un réseau de prostitution organisé dans plusieurs hôtels de la ville, dont le fameux Carlton. Le téléphone portable de René Kojfer, responsable des relations publiques de cet hôtel quatre étoiles, ceux du proxénète belge Dominique Alderweireld (alias « Dodo la Saumure ») et de sa compagne Béatrice Legrain (alias « Béa »), une ancienne prostituée, sont alors placés sur écoute. Dès le mois de mars, le parquet ouvre une information judiciaire pour proxénétisme aggravé en bande organisée, blanchiment et association de malfaiteurs. René Kojfer et des cadres du Carlton sont alors mis en examen. Très vite, David Roquet, directeur d’une filiale du groupe de BTP Eiffage, et le commissaire divisionnaire Jean-Christophe Lagarde, suspectés d’être les organisateurs de parties fines à Lille, Paris et Washington, sont mis en examen à leur tour.

Le nom de Dominique Strauss-Kahn, lui, apparaît dans des SMS que le directeur général du Fonds monétaire international (FMI) aurait échangés avec l’entrepreneur Fabrice Paszkowski, à propos de l’organisation de certaines de ces soirées libertines. Les enquêteurs ont en effet mis la main sur le téléphone portable que ce dernier aurait oublié à l’hôtel Murano, un classieux établissement sis boulevard du Temple à Paris… en février 2011. Si l’enquête judiciaire confirme ces faits, cela signifierait que les policiers connaissaient depuis longtemps l’implication de DSK dans cette affaire de mœurs. Sans doute depuis février 2011. Ils savaient donc depuis de longs mois que l’implication du directeur général du FMI était de nature à nuire gravement au candidat à l’élection présidentielle qu’il s’apprêtait à devenir. Pourquoi, dès lors, la police a-t-elle tant tardé pour faire éclater au grand jour ce fait divers si lourd de conséquences politiques ?

La question prend d’autant plus de relief politique que, dans le répertoire téléphonique de René Kojfer, figurait en bonne place le numéro de téléphone portable de Frédéric Veaux, numéro deux de la Direction centrale du Renseignement intérieur (DCRI). Les deux hommes sont de vieilles connaissances. Frédéric Veaux était directeur de la PJ de Lille au début des années 2000 quand René Kojfer, lui, gérait dans la capitale des Flandres une résidence hôtelière, le Politel, appartenant à la Mutuelle du ministère de l’Intérieur et réservée aux policiers, aujourd’hui rebaptisée Hôtel des Tours.

Frédéric Veaux, numéro deux de la DCRI, a-t-il été informé des rendez-vous libertins organisés à Paris et à Washington en présence de Dominique Strauss-Kahn ? Bernard Squarcini, patron de la DCRI et proche de Nicolas Sarkozy, était-il lui aussi au courant et, si oui, depuis quand ?

Rendez-vous discret, le samedi 18 février 2012, au bar d’un grand hôtel proche de l’Opéra, avec l’un des membres de la garde rapprochée de François Hollande. Sur la foi de confidences recueillies auprès de plusieurs flics de gauche, il assure être persuadé, « comme François Hollande lui-même, dit-il, que le ministère de l’Intérieur et/ou la DCRI conservaient ces informations au chaud pour pouvoir les utiliser au bon moment, au cas où Dominique Strauss-Kahn aurait été désigné candidat par la primaire socialiste. C’est-à-dire en les faisant “fuiter” dans la presse, de préférence dans la dernière ligne droite de la campagne présidentielle. Si cet incroyable scénario est vrai, alors pour l’Élysée, l’affaire du Sofitel a tout fichu par terre. Ce qui, au passage, exclut de facto l’éventualité d’un complot politique à New York contre DSK. Pendant des semaines, les médias, sans doute aiguillonnés par les communicants ou les amis de Dominique Strauss-Kahn, ont cherché à savoir quand et comment Nicolas Sarkozy avait appris ce qui arrivait à DSK à New York. Ils se sont trompés de piste, ils ont fait fausse route. Ce qu’il fallait chercher, c’est depuis quand l’Élysée savait pour l’affaire du Carlton et pourquoi cette affaire a été tenue secrète aussi longtemps ».

Pour être bien sûr de se faire comprendre, cet élu socialiste, qui fut un temps proche de DSK, mais qui jure n’avoir jamais rien su de sa double vie, ajoute : « Souvenez-vous de ce qu’a lâché Claude Guéant dans Le Journal du dimanche du 4 décembre 2011 : le ministre de l’Intérieur a osé exhumer un contrôle de police de Dominique Strauss-Kahn dans le bois de Boulogne, daté de 2006. Si ça, ce n’est pas la preuve que l’équipe au pouvoir avait des cartouches en réserve pour abattre Strauss-Kahn en plein vol… »

Et de poursuivre : « Souvenez-vous aussi de l’attitude de Nicolas Sarkozy au moment de la chute de celui qui était alors désigné comme son plus sérieux rival pour l’élection présidentielle. D’ordinaire si prolixe, il n’a pas eu un mot pour l’homme qu’il a lui-même fait nommer à la direction générale du FMI. Pas un mot pour lui donner le coup de pied de l’âne ou lui administrer l’extrême-onction politique. Pas un mot non plus pour se réjouir de son élimination. À votre avis, c’était du fair-play ? De la prudence ? Ou bien de l’amertume de voir ainsi disparaître celui qu’au fond il était sûr de battre ? »

L’hypothèse, malgré ses allures de psychologie de cuisine, est séduisante. Mais sur quoi se fonde notre exégète, qui dispose par ailleurs de sérieux réseaux dans la police, pour être aussi formel ? « Mais enfin, qui peut croire sérieusement que le président de la République ignorait tout de l’affaire du Carlton ? Comment l’Élysée pouvait-il ne rien savoir de ce scandale naissant alors que les noms de plusieurs policiers apparaissaient dans la procédure ? Depuis mai 2007, Nicolas Sarkozy a lui-même désigné tous les patrons qui comptent dans la police, de Frédéric Péchenard, le directeur de la Police nationale, à Bernard Squarcini, le patron de la Direction centrale du Renseignement intérieur, et ceux-là ne l’auraient pas informé ? C’est une blague ! En vérité, Nicolas Sarkozy, qui aimait bien DSK mais ne supportait pas les louanges de la presse et des élites parisiennes à son égard, savait que la fusée Strauss-Kahn exploserait avant même de décoller. Il savait que le PS, piégé, n’aurait pas le temps de se retourner pour désigner un autre candidat crédible. Je vais vous dire mon sentiment profond : si l’affaire du Sofitel a fait basculer le destin de cette élection présidentielle, ce n’est pas parce qu’elle a fermé les portes de l’Élysée à DSK, mais parce qu’elle a empêché Nicolas Sarkozy d’être réélu sans effort ! » Ultime précision avant de mettre fin à la conversation : « Évidemment, on ne s’est jamais vu, on ne s’est jamais parlé. »

Six jours plus tard, le 24 février 2012, Nicolas Sarkozy vient d’achever à Lille son troisième grand meeting de campagne. Voici neuf jours à peine qu’il a déclaré officiellement sa candidature. Dans le TGV qui le ramène à Paris, le chef des armées UMP s’épanche devant quelques reporters de guerre ébahis : « Ce n’est pas Hollande que le PS voulait comme candidat, il voulait DSK. » En éprouve-t-il un quelconque regret ? Toujours est-il qu’à aucun moment Nicolas Sarkozy n’a cru utile ce jour-là de prendre ses distances avec ces parlementaires UMP qui tirent à feu nourri sur Pierre Moscovici et distillent leurs « bombes sales » sur le camp d’en face.

« Ce n’est pas une campagne comme les autres, s’emporte Pierre Moscovici, visiblement atteint par ces allégations. C’est la campagne la plus sale que la France ait connue depuis trente ans […]. Je ne crois pas une seconde que ce M. Huyghe soit l’auteur de cette déclaration. Moi, j’accuse le candidat sortant et le secrétaire général de l’UMP d’avoir autour d’eux une cellule riposte qui est là pour distiller les boules puantes. » Coupables désignés : Nicolas Sarkozy et Jean-François Copé.

Un mot sur cette « cellule riposte » qui, depuis le début de la campagne, se réunit chaque matin sous la direction de Brice Hortefeux. À 53 ans, l’ami de toujours du Président espérait jouer un autre rôle dans cette campagne, un rôle plus visible, plus politique. L’ancien ministre de l’Intérieur a dû faire contre mauvaise fortune bon cœur et se contenter de ce travail de l’ombre dont il s’acquitte cependant avec une belle énergie. Autour de la table, devant quelques boissons et autres viennoiseries, il retrouve son ami Alain Carignon, autre proche de Nicolas Sarkozy, des députés aguerris (Valérie Rosso-Debord, Franck Riester, Claude Goasguen), des ministres (Nathalie Kosciusko-Morizet, Thierry Mariani, Nora Berra), d’anciennes gloires du gouvernement (Éric Woerth, Roger Karoutchi), quelques espoirs (Bruno Beschizza, Salima Saa). Mais aussi un petit nouveau de 35 ans, Guillaume Peltier, qui, au fil des mois, a su se rendre indispensable. Après un passage au Front national (qu’il a quitté en 1998) et au Mouvement pour la France de Philippe de Villiers, cet ancien professeur d’histoire-géographie, gueule d’ange et verbe pédagogue, a rejoint l’UMP en juin 2009. Investi aux prochaines législatives dans la 1re circonscription d’Indre-et-Loire, il a gravi tous les échelons du parti, jusqu’à devenir, le 11 janvier 2012, secrétaire national chargé des études d’opinion et des sondages.

C’est lui qui ouvre chaque matin les réunions de la « cellule riposte ». Pour les membres de ce commando de choc, il épluche les sondages, analyse les états d’âme de l’électorat, décrypte les mouvements d’opinion et défend la stratégie « droitière » adoptée par Nicolas Sarkozy – stratégie qu’il s’évertue à qualifier de « populaire ». Puis, chacun teste les « éléments de langage » destinés à défendre dans les médias l’action du chef de l’État. Enfin, les snipers du Président mettent au point leurs attaques anti-Hollande. Ensemble, ils décortiquent chaque émission, chaque meeting, chaque déclaration du candidat socialiste et de ses soutiens, pour organiser la contre-offensive. Ses propositions (sur le nucléaire, le droit de vote des immigrés, le quotient familial, la fiscalité) sont passées au rouleau compresseur. On pointe ses contradictions – au besoin, on les invente. On prépare des communiqués de presse assassins. Puis, armé de sa cartouchière, chacun s’en va alors porter la mitraille sur les radios et les plateaux de télévision.

Le 11 janvier 2012, Jean-François Copé, le patron du parti majoritaire, lui-même touché de plein fouet par la publication de photos sur le site Mediapart où on le voit barboter dans la piscine du sulfureux homme d’affaires Ziad Takieddine, avait donné le « la » devant ses lieutenants. En petit comité, il s’était félicité de la formidable réactivité des tireurs d’élite de l’UMP face aux armées du candidat Hollande : « Chez nous, avait-il dit, c’est massacre à la tronçonneuse ! » Une sémiologie de film d’horreur qui n’est pas sans rappeler le fameux « croc de boucher » auquel Nicolas Sarkozy, en pleine affaire Clearstream, promettait de pendre Dominique de Villepin. « Massacre à la tronçonneuse »… L’expression, ce jour-là, réjouit Nadine Morano. En caporale zélée du Président, jamais avare de propos outranciers, elle en profite même pour tester à haute voix devant ses collègues les nouveaux mots du jour : « Chez les socialistes, le changement, c’est maintenant, mais le flou, c’est tout le temps. »

Outrance encore lorsque, à l’occasion de ses vœux à la presse, Bernard Accoyer, le président UMP de l’Assemblée nationale, compare les conséquences économiques et sociales d’une victoire de François Hollande à « celles provoquées par une guerre ». Une guerre : le mot est lâché. Ils ne sont pas en campagne, ils sont en guerre. Voilà la réalité.

Najat Vallaud-Belkacem, la jeune et fringante porte-parole du candidat socialiste, peut déplorer ce qu’elle appelle « la moranisation des esprits ». Bernard Cazeneuve, autre porte-parole de François Hollande, peut bien dénoncer « la violence de la campagne de l’UMP » qui, selon lui, « traduit une panique, une perte de contrôle du discours, une dérive où l’outrance et la peur sont appelées au secours d’une majorité ayant perdu toute crédibilité » et qui « rappelle la brutalité du quinquennat de Nicolas Sarkozy ». En vérité, le but recherché est assez simple à deviner : créer, en cette période d’incertitude économique et sociale, un climat de peur, voire d’insécurité, pour mieux discréditer l’adversaire. Sauf que l’adversaire a visiblement flairé la stratégie. L’entourage de François Hollande a clairement fait le choix de ne pas répondre frontalement à ces attaques. En tout cas, de ne pas utiliser les mêmes armes, le même registre langagier. Pas un mot sur les affaires qui gangrènent la droite depuis les premiers mois du quinquennat.

Après tout, l’UMP n’est jamais que l’enfant légitime – illégitime ? – de la famille recomposée du RPR et de l’UDF. Ces méthodes de campagne, plus ou moins morales, plus ou moins propres, n’ont pas été inventées en 2012 ou même en 2007. Elles étaient déjà l’apanage de feu le RPR, et inscrites dans la culture du parti gaulliste. Nicolas Sarkozy a fait ses classes dans l’ombre de Charles Pasqua – qui, en matière de coups bas, n’était pas manchot. Bref, rien de nouveau sous le soleil. Encore que… À l’ère d’Internet et des nouveaux médias, à l’époque des chaînes d’information continue et des blogueurs qui se prennent pour des journalistes, ces coups bas se multiplient. Mais ils sont désormais identifiables. Cousus de fil blanc. Certains, pourtant, font mouche.

Car tout est bon pour délégitimer l’adversaire. Un jour, c’est Luc Chatel, le ministre de l’Éducation, qui compare François Hollande à « Babar, le roi des éléphants ». Un autre, c’est Nadine Morano, toujours en première ligne, qui lance, dans Le Parisien (8 février 2012) : « Le problème d’image d’Eva Joly ne vient pas que de son accent, c’est aussi physique. On sent du coup qu’il n’y a pas de communicant derrière. Contrairement à Ségolène Royal qui, en 2007, est allée jusqu’à la médecine esthétique et la correction dentaire. »

Il faut lire, à haute et intelligible voix, le florilège de vacheries auquel François Hollande a droit depuis ses premiers pas de candidat : « un chamallow insaisissable » (Lionnel Luca, député UMP) ; « Monsieur je ratisse tout, je ramasse tout, mais je ne me positionne sur rien » (Christian Jacob, président du groupe UMP à l’Assemblée) ; « le prince de l’ambiguïté » (Hervé Novelli, UMP) ; « le champion du monde de l’ambiguïté » (Jean-François Copé, secrétaire général de l’UMP) ; « le fait qu’il teigne ses cheveux, je m’en fiche » (Roselyne Bachelot, ministre des… Solidarités et de la Cohésion sociale). Rien que de très banal dans une campagne électorale, n’étaient les attaques sur le physique qui, disons-le, n’ont pas non plus épargné Nicolas Sarkozy.

Pourtant, le fonctionnement de la « cellule riposte » de l’UMP reste un modèle du genre. En témoigne la réaction concertée, simultanée, coordonnée, des commandos UMP quand, début janvier 2012, lors d’un déjeuner de presse, François Hollande, imitant Nicolas Sarkozy, commet l’erreur de le qualifier de « sale mec ». Qu’importe que la phrase ait été démentie par plusieurs journalistes présents à ce repas. En quelques heures, ce sont des dizaines de réactions indignées qui, aussitôt, inondent les médias. Des ministres (Claude Guéant, Laurent Wauquiez, Pierre Lellouche, Éric Besson, Gérard Longuet, Xavier Bertrand, Nadine Morano, toujours aux premières loges), des parlementaires (Christian Estrosi, Franck Riester, Sébastien Huyghe, Bruno Beschizza, Valérie Rosso-Debord, Jérôme Chartier), mais aussi Jean-François Copé, secrétaire général de l’UMP, Brice Hortefeux, vice-président du parti majoritaire. Tous dénoncent l’« injure » avec les mêmes mots, les mêmes arguments, les mêmes éléments de langage. Leur discipline est quasi militaire, leur précision, chirurgicale. Tous réclament des « excuses publiques » à celui qui prouve, par ses propos « de caniveau », « inqualifiables », « intolérables », qu’il n’a pas « la stature d’un homme d’État ». Pour un peu, ils auraient fait donner la garde et ordonner l’embastillement de l’auteur de ce crime de lèse-majesté.

Et il en va ainsi chaque jour de la campagne, quel que soit le sujet d’actualité. Chaque jour, l’UMP et l’Élysée téléphonent les consignes aux troupes qui attendent les ordres, le petit doigt sur la couture du pantalon ; les éléments de langage sont envoyés par texto ou par mail à tous ceux qui, dans le camp sarkozyste, sont invités à s’exprimer à la télévision ou à la radio. Quand Copé et Hortefeux n’appellent pas eux-mêmes, ce sont leurs bras droits, Jérôme Lavrilleux, le directeur de cabinet du premier, et Geoffroy Didier, 36 ans, conseiller du second, qui sont à la manœuvre. À l’Élysée, c’est Olivier Biancarelli, jeune et brillant énarque de 41 ans, conseiller du Président pour les relations avec le Parlement, qui fixe les angles d’attaque et la portée des tirs. Une organisation militaire, on vous dit !

Mais au-delà du travail de sape de cette « cellule riposte », certains, dans le camp socialiste, n’hésitent pas à parler en « off » d’« officines », voire de « cabinet noir ». D’autres se demandent même si les équipes du président-candidat ne bénéficient pas, en sous-main, de certains services de police de l’État. « Même les paranoïaques ont des ennemis », disait Woody Allen.

En l’occurrence, l’équipe de François Hollande s’interroge sérieusement depuis la révélation par L’Express de la fameuse « fiche » que les services de renseignements auraient concoctée sur la compagne de François Hollande, la journaliste Valérie Trierweiler.

Dans son numéro daté du 4 octobre 2011, l’hebdomadaire avait en effet révélé que, selon « des sources policières concordantes, à plusieurs niveaux hiérarchiques, […] des policiers de la Direction du renseignement de la préfecture de police de Paris (DRPP) ont reçu l’ordre d’enquêter » début 2011 sur Valérie Trierweiler. Il s’agissait, poursuit le magazine, « d’établir une notice biographique fouillée […], y compris sur son réseau relationnel ». Aussitôt, la préfecture de police de Paris dément. Claude Guéant, le ministre de l’Intérieur, jure que cette enquête n’est « pas avérée », qu’il n’en existe aucune « preuve », mais que si son existence venait à être prouvée, il en serait « indigné ». En attendant, précise-t-il, il dépose plainte auprès du procureur de la République de Paris contre L’Express pour « diffamation publique et diffusion de fausses nouvelles ».

Le 8 octobre 2011, le parquet ouvre donc une enquête préliminaire, confiée à la Brigade de répression de la délinquance contre la personne (BRDP). Dix jours plus tard, c’est au tour de Valérie Trierweiler de porter plainte contre X pour « collecte et traitement de données personnelles ». En parallèle, elle saisit l’Inspection générale des services (l’IGS), la police des polices, ainsi que la Mission déontologie de la sécurité, placée sous la présidence du Défenseur des droits.

L’Express n’apporte pas la preuve formelle de l’existence de cette « enquête de personnalité », comme on dit pudiquement dans les services du contre-espionnage. D’autant qu’officiellement, il n’existe plus de fiche individuelle sur des personnalités politiques ou des journalistes depuis la dissolution des Renseignements généraux. La DRPP, elle, est née en 2008, à la faveur de la création de la Direction centrale du Renseignement intérieur (DCRI), fusion des RG et de la Direction de la Surveillance du territoire (DST), dont la mission consiste à lutter contre le terrorisme, les mouvements extrémistes ou l’espionnage économique. La dernière affaire de ce type remonte au 26 janvier 2007. L’ex-directeur de Greenpeace, Bruno Rebelle, membre de l’équipe de campagne de Ségolène Royal, avait alors porté plainte après avoir découvert dans la presse l’existence d’une fiche des Renseignements généraux le concernant.

Toujours est-il que, le 14 novembre 2011, Valérie Trierweiler est enfin entendue dans les locaux de l’IGS, en compagnie de son avocate, Me Frédérique Giffard. Au même moment, une « fiche » estampillée « Préfecture de Police de Paris » circule dans les rédactions de plusieurs journaux parisiens. À l’évidence, il s’agit d’un faux grossier présenté comme une « note de synthèse concernant Valérie Trierweiler née Massonneau ». Très vite, L’Express révèle sur son site Internet le caractère falsifié de cette « fiche », que plusieurs journalistes ont eu entre leurs mains sans jamais en faire état. Est-ce la fiche à laquelle l’hebdomadaire faisait référence dans son édition du 4 octobre ?

Nous avons pu nous procurer ce document, daté du 17 février 2011. Il tient sur une seule page dactylographiée et il ne faut pas être Rouletabille pour se rendre compte d’emblée qu’il s’agit d’un vulgaire montage réalisé par des pieds nickelés. Première évidence : l’en-tête, qui figure en haut du document, est l’ancien logo de la préfecture de police. Les « auteurs » de cette fiche n’ont même pas pris la peine d’aligner ce logo sur le texte et les mentions légales qui suivent en bas de la page. D’ailleurs, si ce document était une vraie « fiche » de renseignement, ses auteurs auraient-ils pris soin d’y apposer le blason de la préfecture ?

Mais c’est surtout l’affligeante bêtise de son contenu qui laisse pantois. Truffé de fautes d’orthographe et de grammaire, le texte commence ainsi : « Suite aux recherches effectuées et à l’enquête établie avec l’un de nos contacts au groupe Bolloré, voici ce qui en ressort. » En l’occurrence, une série d’informations biographiques lues dans tous les portraits de presse consacrés à la jeune femme, mais néanmoins attentatoires à l’intimité de sa vie privée : sa naissance à Angers dans « une famille modeste », ses études à la Sorbonne, son DESS de science politique, sa carrière professionnelle à l’hebdomadaire Paris Match et à la chaîne Direct 8, la liste des émissions qu’elle a présentées depuis 2005, son divorce avec le père de ses trois fils, sa « relation sentimentale » avec François Hollande…

Ce qui suit est autrement plus grave. Le ou les auteurs ajoutent à ce tableau quelques traits de personnalité : « une femme assez belle, intelligente à fort caractère », mais aussi « autoritaire, opportuniste et nerveuse » – avant de dresser la liste des « aventures » qu’elle aurait eues par le passé avec des hommes politiques de droite et de gauche. Figurent notamment dans cette liste – « non exhaustive », est-il précisé – un ancien ministre, un ex-Premier ministre et même un ministre UMP encore en fonction.

Au-delà du procédé, franchement ignoble, plusieurs questions se posent qu’un proche de François Hollande, qui a eu lui aussi ce document entre les mains, nous a résumées ainsi : « 1) Puisqu’il s’agit à l’évidence d’un faux document, est-ce à dire que les services de renseignements n’ont jamais rédigé de “vraie fiche” sur Valérie Trierweiler, comme le prétendait L’Express ? 2) Ce faux grossier a-t-il été créé pour faire accroire, justement, que les services de police n’avaient jamais réalisé de “vraie fiche” sur Valérie ? 3) Ce document a-t-il été adressé à plusieurs journalistes dans l’espoir qu’il serait publié sans vérification, qu’il créerait la zizanie au sein de son couple et déstabiliserait François Hollande dans sa campagne présidentielle ? 4) Pourquoi l’IGS, qui a pris connaissance de ce document, n’a-t-elle jamais mené la moindre enquête pour en démasquer les auteurs ? »

De fait, la police des polices n’a jamais effectué la moindre fouille dans les ordinateurs et les imprimantes de la direction du Renseignement de la préfecture de police. Soupçonné de connaître les conditions de fabrication de ce faux document, un commandant de police a bien été convoqué par sa hiérarchie. Sans suite. Son nom n’a même pas été transmis à l’IGS. Le 11 janvier 2012, le parquet de Paris a d’ailleurs décidé de classer l’affaire. Quant à Valérie Trierweiler, elle a préféré ne pas relancer la procédure.

L’affaire se serait donc enlisée si, le 19 janvier 2012, Le Nouvel Observateur n’avait pas publié une enquête fouillée sur ce bidonnage. À la demande du préfet de police, Michel Gaudin, le parquet de Paris s’est alors enfin décidé à confier un complément d’enquête à la Brigade de répression de la délinquance sur les personnes (la BRDP). L’enquête, paraît-il, suit toujours son cours.