Sun Tzu

Nicolas Sarkozy avait bien un programme, un seul : être réélu. Qu’importe la manière, qu’importent le cynisme électoral, l’absence de convictions, la géométrie variable de ses principes, seule la victoire compte. Et tant pis si celui qui, en 2007, se présentait comme un « Français de sang mêlé » doit aujourd’hui braconner sur les terres xénophobes du Front national. Tant pis si celui qui disait ne pas se sentir « étranger à cette jeunesse des cités aux citoyens mélangés » doit désormais tapiner sur le même trottoir que Marine Le Pen, tel un Silvio Berlusconi draguant naguère de façon éhontée les fascistes de la Ligue du Nord. Gagner. Gagner quel qu’en soit le prix. Fût-ce au prix de la honte ! Nicolas Sarkozy avait promis qu’au soir du second tour, « c’est une autre campagne qui commence ». En réalité, c’est la même en pire !

 

Ma famille et mes amis proches le savent, je parle rarement de moi. Mais en écoutant Nicolas Sarkozy à Longjumeau, ce 24 avril 2012, je me suis soudain souvenu que, lui et moi, nous avions un point commun, un bout d’histoire commune. Nos pères étaient hongrois et ils avaient choisi la France, au même moment, après la guerre, et sans doute pour les mêmes raisons. La France, pays des Lumières et des droits de l’homme. La France, terre d’accueil, pétrie d’histoire et de culture. Son père s’appelait Pal Sarkozy de Nagy Bocsa, le mien Emil Neumann.

En arrivant à Paris, après avoir connu les pires horreurs – la guerre contre l’Allemagne nazie, la prison, la déportation d’une partie de sa famille… –, Emil Neumann rêvait d’un ailleurs, d’un meilleur. Il n’avait pas de papiers, pas d’argent, pas de toit, pas même un ami. Il ne parlait pas un mot de français et, comme beaucoup d’immigrés hongrois de cette époque, il se rendit dans le quartier du faubourg Saint-Antoine, à deux pas de la Bastille, où résidaient dans la clandestinité nombre de ses compatriotes magyars. Pendant des années, il fit, contre un salaire de misère, le travail que personne ne voulait faire, au péril de sa santé. Il s’en est sorti, et il en était fier. Il fonda une famille, et il en était fier. Il obtint, trente ans plus tard, en 1976, la nationalité française, et il en était fier. Il était juif, et ne s’en vantait pas. Il se sentait plus français que les Français, il avait du respect et même de l’admiration pour de Gaulle, il votait à droite, même s’il disait avoir le cœur à gauche. La politique le passionnait et il n’aurait raté une élection, locale ou nationale, pour rien au monde.

S’il avait pu écouter Nicolas Sarkozy, le 24 avril 2012 à Longjumeau, puis à Cernay dans le Haut-Rhin, puis encore au Raincy en Seine-Saint-Denis, Emil Neumann se serait senti insulté, humilié, déshonoré. Je sais qu’il aurait eu honte. La honte d’entendre le président de la République, le président de la France, reprendre à son compte les thèses de l’extrême droite française. La honte d’entendre un fils et petit-fils d’immigré hongrois fouler aux pieds toutes les valeurs du gaullisme et de la France.

Dans la ville de sa porte-parole Nathalie Kosciusko-Morizet, Nicolas Sarkozy s’interroge à voix haute : « Les vents sont-ils plus mauvais à l’extrême droite qu’à l’extrême gauche ? » Évidemment non, dit-il. Emil Neumann, qui, malgré ses colères froides, savait rester courtois, lui aurait assurément répondu : « Eh bien si, Monsieur le Président. Les vents sont plus mauvais à l’extrême droite et quand on est le président de tous les Français, il y a des choses qui ne se disent pas, des choses qui ne se font pas. » Même pour conserver le pouvoir, même pour gagner une élection.

 

Certes, il n’est pas indigne de chercher à convaincre les 6,4 millions d’électeurs de Marine Le Pen. L’indignité, c’est de reprendre sans vergogne les thèses xénophobes, les mots, les phrases haineuses de Marine Le Pen pour y parvenir. Comment croire que son conseiller spécial Henri Guaino, ex-fan des sixties et du gaullisme, ait pu lui écrire un tel discours ? Comment comprendre que Nathalie Kosciusko-Morizet, auteur d’un livre dont j’avais moi-même fait l’éloge1, ait pu avaler ce nœud de couleuvres et de vipères sans broncher ? La peur de trahir le chef à la veille d’une déroute annoncée ?

Bien sûr, Nicolas Sarkozy, devant cette marée de drapeaux tricolores, n’a pas prôné la sortie de l’euro, le déremboursement des « IVG de confort » ou le rétablissement de la peine de mort. Mais tout le reste, oui, tout le reste y est passé. « Le vote FN est un vote de crise », dit-il, mais les fauteurs de crise, les responsables, ce sont « les immigrés qui viennent en France chercher les prestations sociales les plus généreuses d’Europe ». Et d’ailleurs, s’il est réélu, il faudra désormais, pour toucher le RSA et le minimum vieillesse, justifier de dix ans de présence sur le sol français et de cinq ans de cotisations. La « préférence nationale », chère aux Le Pen père et fille – Marine Le Pen dit désormais « priorité nationale » pour habituer les consciences –, est adoptée par l’UMP !

Dans son discours, pour partie improvisé, il est même question de ces « 10 millions de fausses cartes Vitale » qui seraient en circulation. Nicolas Sarkozy reprend ainsi à son compte l’une des plus belles entourloupes de la campagne de Marine Le Pen. Car il y a bien 10 millions de cartes Vitale de trop dans la nature. Mais l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) le dit : cet excédent résulte pour l’essentiel des changements de régime ou de région des assurés. Surtout, seules 250 000 de ces cartes, qui auraient dû être annulées, ont été utilisées au moins une fois. Mieux, ce sont les professionnels de santé qui sont les plus grands fraudeurs, puisque certains utilisent ces cartes pour produire des actes correspondant à des prestations fictives. Comme l’écrivait fort justement Jean-Claude Jaillette, dans un récent numéro de Marianne consacré aux mensonges de la campagne : « On est loin du fantasme de la famille polygame qui se fournit gratuitement en médicaments pour les revendre dans son pays ! » Pour Nicolas Sarkozy, comme pour Marine Le Pen, aucune importance, puisqu’il s’agit de faire croire que les étrangers, les immigrés, sont responsables du déficit de la Sécurité sociale et de tous nos comptes sociaux.

Les fauteurs de crise, suggère encore le président-candidat, ce sont aussi ces chômeurs, ces assistés, ces syndicats qui ne comprennent rien au « vrai travail », celui « qui libère quand le chômage aliène ». Comme si les chômeurs avaient choisi de ne pas travailler, comme si les prestataires de revenus sociaux ne préféreraient pas vivre décemment de leurs propres ressources. Les mots sont prononcés sur un ton qui donne la chair de poule. Tantôt agressif, tantôt méprisant. « Le Pen est compatible avec la République », assure-t-il, alors allons-y !

Or, c’est le Président, aussi, qui s’exprime. Certes, il est candidat, mais sa parole est encore celle de la plus haute autorité et c’est lui, pourtant, qui ouvre les vannes des eaux et des pensées les plus sales. Rien ne nous est épargné de la vulgate frontiste, autrefois combattue par les droites gaulliste et humaniste. Sarkozy dénonce les « observateurs » et les « experts » qui, « comme les girouettes au sommet de nos églises, changent de direction en fonction du vent ». « Et d’ailleurs, experts de quoi au juste ? » Il enchaîne sur l’éloge des racines chrétiennes de la France, s’acharne sur Hollande, ce dissimulateur, ce menteur, ce lâche qui refuse de débattre trois fois au lieu d’une.

Dans le plus pur style du Front national, il cogne sur « ces faux généreux » de gauche, « ces bobos, ces Tartuffes qui habitent boulevard Saint-Germain et qui mettent leurs enfants dans les bonnes écoles ». Sans dire un mot, évidemment, de cette pauvre cité de Neuilly-sur-Seine dont il fut le maire et, plus tard, le fondé de pouvoir de ses plus riches contribuables. Sans dire un mot non plus de la villa où il vit avec son épouse Carla Bruni, nichée au cœur du modeste XVIe arrondissement de Paris. Il parle au nom du peuple, « les pauvres, les sans-grade, les miséreux, les petits qui respectent nos lois, mais dont on ne parle pas parce qu’ils ne cassent pas ». Ils ne souffrent pas d’être mal gouvernés, ils souffrent de la crise. Et la crise, comme l’enfer, croit Nicolas Sarkozy, c’est les autres. Alors, il faut agir : diviser l’immigration par deux, lutter contre le droit de vote des étrangers aux élections locales, faire sienne la critique pétainiste des corps intermédiaires et, singulièrement, de ces syndicats politisés, désormais décrétés parasites et avec lesquels, hier, il prétendait pourtant rénover le dialogue social.

Certes, Nicolas Sarkozy a promis qu’il n’y aurait « pas d’accord » avec le Front national, ni ministres FN s’il était réélu. Mais reprenant les thèses, les idées, les obsessions et mêmes les névroses du FN, il signe, d’une certaine manière, la victoire idéologique du parti d’extrême droite.

La faute est morale, tout autant que politique. Si la campagne avait duré quelques semaines encore, aurait-il fini par accepter aussi la remise en cause du droit du sol ? « Il est grand temps que cette campagne se termine, nous disait, le 27 avril dernier, un député UMP qui tremble pour son avenir. Sa fin de campagne est honteuse. Elle ne l’empêchera pas de perdre et nous de prendre une dégelée aux législatives. »

Car cette double faute, morale et politique, signe autant ses échecs que son impuissance. En 2007, en promettant de protéger les Français, il avait réussi le tour de force de siphonner l’électorat lepéniste. Cinq ans plus tard, jamais les insécurités économiques et sociales n’ont été aussi prégnantes, sauf pour les plus privilégiés qui ont été préservés des effets de la crise par tous les boucliers créés pour eux.

Depuis le 22 avril 2012 à 20 heures, Nicolas Sarkozy ne parle plus de son bilan, de son programme, des mesures qu’il imagine pour calmer « les souffrances » de ce « peuple de France » dont il a plein la bouche. Pas un mot sur le chômage, la dette, les déficits commerciaux. Pas un mot sur l’école, la santé, le pouvoir d’achat, les banlieues ghettoïsées. Il n’est plus question que d’immigration, de frontières, de nation, de famille, de patrie, de racines chrétiennes, de fraude sociale, d’horaires à la piscine, de viande halal et de menus uniques dans les cantines scolaires.

Mon ami Nicolas Bedos, dans Marianne, a trouvé la formule forte et juste : c’est « l’énergie du dépotoir ». Rien à ajouter.

 

Cette dégringolade intellectuelle, certes, vient de loin. La création d’un ministère de l’Immigration et de l’Identité nationale en 2007 – manière d’insinuer que les immigrés la mettraient en danger. Le recours aux tests ADN – dont Carla Bruni avait été choquée, elle qui, aujourd’hui, ne s’émeut plus de rien, puisque l’essentiel est de s’accrocher à ce pouvoir qui semble le fuir. Le fameux débat sur l’identité nationale où il ne fut question que d’islam et qui vira au fiasco. L’ignoble discours de Grenoble dans lequel les immigrés, et notamment les Roms, étaient désignés responsables de l’augmentation d’une délinquance que, depuis dix ans, Nicolas Sarkozy n’a su endiguer. La grand-croix de la Légion d’honneur décernée au commandant Hélie Denoix de Saint Marc, un ancien de l’OAS…

Depuis plusieurs semaines déjà, des membres éminents de la majorité avouent leur gêne, sans oser l’exprimer publiquement. Certains, depuis le premier tour de la présidentielle, ont même la nausée. « La ligne Buisson », comme ils disent, les dégoûte, mais ils se taisent. Où sont-elles toutes ces figures de la droite républicaine, ces gaullistes, ces centristes humanistes, ces libéraux idéalistes ? Pourquoi ne se rebiffent-ils pas contre les folies ultra-droitières de Patrick Buisson dont Nicolas Sarkozy a fait le GPS de ses propres sorties de route ? Cet authentique maurrassien, qui préfère la Nation à la République et abhorre la démocratie, foule aux pieds les valeurs auxquelles croient ces élus d’une droite respectable, et pourtant, avec elles, ils se laissent piétiner sans mot dire – sans maudire ?

Chantal Jouanno, l’ancienne ministre des Sports de Nicolas Sarkozy, a bien osé se rebeller : les chapeaux à plume de la majorité l’ont aussitôt agonie d’injures ! « Propos stupides et contre-productifs », s’emporte le Premier ministre François Fillon. « Absolument scandaleux », renchérit Christian Jacob, le chef de file des députés UMP à l’Assemblée. Jouanno est une « irresponsable », assène l’homme d’affaires Charles Beigbeder, le parachuté UMP du XIIe arrondissement de Paris. Au moins, la sénatrice de Paris a-t-elle fait preuve de courage. « De traîtrise », lui reprochera-t-on dès le 7 mai au matin !

Sans se concerter, d’autres prennent aussi leurs responsabilités : la chiraquienne devenue bayrouiste Dominique Versini, cofondatrice du SAMU social, appelle à « faire barrage aux dérives droitières qui ont conduit à une montée inquiétante du Front national » ; une quarantaine d’élus du MoDem se prononcent également pour François Hollande avec un argument sans ambiguïté : « La droite de Nicolas Sarkozy a pris trois virages idéologiques qui l’ont éloignée du centre : l’ultralibéralisme et le culte de l’argent, l’atlantisme et un populisme de droite. » Le 27 avril, Dominique de Villepin publie une tribune au vitriol dans Le Monde : « La droite m’effraie, la gauche m’inquiète. » Avec Nicolas Sarkozy, écrit-il, « les lignes rouges républicaines ont été franchies une à une ». Et d’ajouter : un « poison mortel menace la droite : celui du reniement de ses valeurs, celui du sacrifice qui fait notre identité ». Sur le site Mediapart, le député UMP Étienne Pinte, un proche de François Fillon, regrette « qu’on reprenne aujourd’hui ce qu’on a rejeté, à savoir certaines thématiques de Marine Le Pen : immigration, identité nationale, fermeture des frontières. Ce ne sont pas les préoccupations des Français. Les priorités, ce sont le pouvoir d’achat, l’emploi, le logement, la formation, la santé. On se trompe en voulant reprendre ces thématiques ». Et le parlementaire des Yvelines de viser le coupable qui, demain, deviendra l’ennemi numéro un : « La stratégie du premier tour, celle de Patrick Buisson, est un échec. » Sans elle, « Nicolas Sarkozy serait arrivé en tête au premier tour et Marine Le Pen n’aurait pas été si haut […]. Parmi les 18 % d’électeurs du FN, tous ne sont pas racistes, anti-étrangers. Ils expriment une frustration, notamment par rapport au bilan de Nicolas Sarkozy : les promesses qui n’ont pas toujours été tenues, les résultats qui ne sont pas là. C’est l’expression d’un vote protestataire, qui n’épouse pas forcément les thématiques de Marine Le Pen ». Mais Étienne Pinte, qui a toujours été attentif aux plus démunis, est plus minoritaire que jamais.

Ce ne sont que « de pitoyables états d’âme », résume-t-on dans l’entourage du candidat UMP. « Un procès stalinien comme à la belle époque », se rassure Nicolas Sarkozy. D’ailleurs, les autres, tous les autres, repoussent à plus tard l’heure des comptes. Mais elle viendra, c’est sûr. « Si j’exprimais aujourd’hui des réserves, j’affaiblirais mon camp et l’affaiblissement du centre et de la droite républicaine sert le Front national et le PS », assure l’ancien Premier ministre Jean-Pierre Raffarin. Et d’ajouter : « Pourquoi voulez-vous que je participe à une campagne contre mon candidat et que je permette à François Hollande de dire “Raffarin tire sur Sarkozy” ? J’ai fait mon service militaire chez les pompiers, j’ai appris que, au feu, sur la grande échelle, on n’a pas d’état d’âme […]. Le temps de l’analyse viendra après le 6 mai. Nous sommes dans le temps du combat et, dans le combat, l’honneur, c’est la loyauté. » L’amicale gaulliste du Sénat, présidée par l’ancien président du Sénat Gérard Larcher, que Nicolas Sarkozy a fait nommer à la présidence du château de Chambord, appelle ainsi à voter… Sarkozy. L’écrivain Denis Tillinac, chiraquien historique devenu sarkophile frénétique, exhorte carrément Marine Le Pen à soutenir le président sortant.

François Bayrou, qui avait pourtant décidé d’attendre le 3 mai, au lendemain du grand débat télévisé de l’entre-deux tours, pour faire connaître son choix finit tout de même par sortir de sa réserve : « Aborder la question de l’immigration en validant la thèse du Front national et en prétendant que les déséquilibres des comptes sociaux étaient dus aux immigrés, c’est un reniement d’un demi-siècle de politique sociale en France. C’est un reniement du gaullisme aussi bien que des démocrates-chrétiens et humanistes. » Et de mettre, lui aussi, les mots justes sur ce qu’une majorité de républicains, y compris de droite, ressent depuis quelques jours : « Cette course ventre à terre derrière les thèses du Front national est humiliante. » Ventre et cervelle à terre !

« On ne sait pas encore ce que fera François, nous dit alors un des plus proches conseillers du patron du MoDem, mais on sait au moins qu’il n’appellera pas à voter Sarkozy ! Cette porte-là est définitivement refermée, si tant est qu’elle ait jamais été ouverte. » Confidence de Bayrou à l’un de ses proches, le dimanche des résultats du premier tour : « Sarkozy représente tout un univers qui m’est odieux, l’argent et le mensonge. »

Le ton se durcit. Le 25 avril, Nicolas Sarkozy croit bon, sur le plateau de TF1 et devant des millions de téléspectateurs, de faire croire que le très controversé professeur d’études islamiques à l’université d’Oxford, le Suisse Tariq Ramadan, appelle à voter Hollande. Le théologien a beau démentir, les journalistes ont beau prouver, déclarations à l’appui, qu’il n’a jamais dit ça, Nicolas Sarkozy persiste dès le lendemain matin au micro de France Inter, puis de nouveau le soir même dans l’émission « Des paroles et des actes » sur France 2. Quel est le but d’un tel détournement de la vérité, sinon de chercher à démontrer une quelconque proximité entre François Hollande et un « intellectuel » musulman qui prônait naguère « un moratoire sur la lapidation des femmes » ? Calomniez, calomniez, il en restera toujours quelque chose.

Le même jour, dans un meeting de soutien à Nicolas Sarkozy, le député UMP Lionnel Luca insulte publiquement Valérie Trierweiler, la compagne de François Hollande, rebaptisée « Valérie Rottweiler ». Pour faire bonne mesure, l’élu des Alpes-Maritimes, membre hyperactif de la droite dite populaire, explique même que la défection de Fadela Amara n’a aucune importance car elle « est plus moche que Rachida » Dati.

Le 27 avril, c’est la députée UMP Valérie Rosso-Debord qui accuse Najat Vallaud-Belkacem, porte-parole de François Hollande, d’appartenir au « Conseil de la communauté marocaine de l’étranger » (CCME) – ce qui n’est plus le cas depuis décembre 2011. Une instance, explique l’élue de Meurthe-et-Moselle, qui « a pour but de renforcer “l’identité marocaine” des Marocains de l’étranger, d’émettre des avis sur leur “éducation religieuse” (en l’occurrence musulmane). […] Même si le Maroc est un pays ami, cela est un peu ennuyeux qu’une élue républicaine appartienne à ce Conseil ». Une attaque qui, jusqu’alors, était l’apanage obsessionnel de l’extrême droite.

De même, ni Nicolas Sarkozy ni son ministre de l’Intérieur ne condamnent la manifestation, hors de toute légalité, d’une centaine de policiers sur les Champs-Élysées, le 25 avril au soir, après que l’un des leurs a été mis en examen pour homicide volontaire. Accusé d’avoir tué d’une balle dans le dos un multirécidiviste de 29 ans en fuite à Noisy-le-Sec (Seine-Saint-Denis), le policier dit avoir agi en situation de légitime défense. Mieux, Claude Guéant espère que le parquet fera appel de cette décision – en vain.

Le chômage a de nouveau progressé de 0,6 % : 17 000 chômeurs de plus. Onzième mois consécutif de hausse : + 7,2 % sur un an. Mais de cela, on ne parle pas. Car l’affaire de Noisy-le-Sec a déjà pris toute la place dans la campagne, comme les émeutes de la gare du Nord à la veille de l’élection présidentielle de 2007. Ce jour-là, Nicolas Sarkozy reçoit en privé une délégation de policiers à la mairie du Raincy (Seine-Saint-Denis) où il est en meeting. Et se déclare aussitôt favorable à une « présomption de légitime défense » pour les policiers – proposition qui figure noir sur blanc dans le programme de la candidate FN Marine Le Pen et que Nicolas Sarkozy n’a pas cru bon de mettre en place depuis dix ans, comme ministre de l’Intérieur, puis comme chef de l’État. Mieux, en janvier dernier, sur l’antenne de BFM-TV, Claude Guéant s’y était refusé au motif qu’il s’agirait d’un véritable « permis de tirer ». Mais aujourd’hui, tout est permis.

Témoins ces quelques sorties publiques des membres de la « cellule riposte » de l’UMP. « Avec Hollande, la République sera liée aux intégristes », explique le député UMP Damien Meslot, le porte-parole adjoint de Nicolas Sarkozy. Geoffroy Didier, secrétaire national de l’UMP et proche de Brice Hortefeux, accuse le candidat socialiste de « se préparer à accorder le droit de vote aux sans-papiers ». Valérie Rosso-Debord, encore elle, assure qu’avec Hollande, « les vannes de la régularisation massive seraient ouvertes ». Rien de tout ça n’est vrai, mais l’important est de se faire entendre des électeurs de Marine Le Pen. L’objectif est clair, et sordide : faire passer François Hollande pour le candidat de l’islam !

Rarement, d’ailleurs, campagne d’entre deux tours n’avait atteint une telle violence, une telle agressivité, une telle démesure. Même en 1988, à l’époque de Jacques Chirac, de Charles Pasqua et du RPR, avec les polémiques sur la libération des otages du Liban, juste avant le second tour, et sur l’assaut sanglant de la grotte d’Ouvéa en Nouvelle-Calédonie. Cette campagne douteuse, excessive, outrancière, représente, pour Nicolas Sarkozy, la dernière chance de pouvoir renverser la table. Déjà, en mars, avant la trêve de la tuerie de Toulouse, une majorité de Français jugeait la campagne violente. Elle a assurément franchi un nouveau cap. Pour Henri Guaino, Libération, L’Humanité (qui a rapproché, sur sa une, la photo de Sarkozy et celle de Pétain) et Le Monde (dont le directeur, Erik Izraelewicz, a publié un édito contre les « compromissions » du candidat UMP avec l’extrême droite), ne sont que « des tracts socialistes ». Guaino jure que, depuis le premier tour, le ton et le fonds des discours de Nicolas Sarkozy n’ont pas changé. Les écrit-il encore, ces discours ? « Certains oui ; pour d’autres, il improvise. » Le député UMP de Paris Bernard Debré, lui, dénonce « le fascisme de gauche » de Libération. « Autant l’imprimer en rose ! », s’emporte Xavier Bertrand. Et encore : ils n’ont pas encore vu la une de Marianne qui titre « La honte de la Ve République ». Ils n’ont pas encore lu l’éditorial de Maurice Szafran : « Comme une incantation, Nicolas Sarkozy dénonce sans relâche tous ceux (dans son esprit, nous en sommes) qui veulent à toute force lui imposer des tabous », écrit le patron et cofondateur de Marianne. Or, poursuit-il, « il n’y a pas de civilisation sans tabou, et la barbarie commence lorsqu’on prétend s’en affranchir au gré de ses pulsions ». « Votons contre la honte », conclut Jean-François Kahn, soutien de François Bayrou et cofondateur de notre journal.

À Cernay dans le Haut-Rhin, puis au Raincy en Seine-Saint-Denis, Nicolas Sarkozy entonne cependant le même air. « Être traité de fasciste par un journal communiste, c’est un honneur », lance-t-il en référence à la une de L’Humanité. L’hebdomadaire d’extrême droite Minute ne s’y trompe pas, qui appelle aussitôt à voter… Nicolas Sarkozy !

En réalité, le président sortant s’était persuadé que la crise annulerait cette campagne, qu’elle l’annihilerait. Quel que fût son bilan et même son projet, il lui suffirait de se poser en protecteur de la nation pour délégitimer Hollande. Tout faux. Après la prestation réussie de son adversaire au Bourget, quand Nicolas Sarkozy s’est enfin réveillé, sans doute était-il déjà trop tard. Depuis, il court après le temps, après ses propres erreurs. Et il court seul. Manque de préparation, équipe trop jeune, ratages invraisemblables (comme à Bayonne), improvisation, bricolage, changements de cap. Il se retourne et, derrière lui, il n’y a plus que… Patrick Buisson. Le candidat a écarté tout le monde, amis, ministres, députés. Il regarde devant lui, et il voit la défaite arriver, comme un mur sur lequel son ego va se fracasser. La défaite lui est insupportable. Tout son être la refuse. N’est-il pas le plus fort, le seul capable d’occuper « le job », comme il dit ? Alors, il bouscule tout.

Ainsi, pour la première fois dans toute l’histoire de la droite, Nicolas Sarkozy veut reprendre la journée du 1er Mai aux syndicats et à la gauche. Seul le Front national avait osé. Manifester pour « le vrai travail » non pas sur le Champ-de-Mars, finalement trop grand, mais sur la place des Droits-de-l’homme au Trocadéro. « Vrai travail » contre faux travail. Devant le scandale suscité par cette provocation – même Henri Guaino s’est insurgé –, Nicolas Sarkozy finit par dire qu’il n’a jamais utilisé cette expression. Sauf que des images de télévision en attestent. Surtout, elle figure en toutes lettres dans une note de cadrage que lui a remise son directeur de campagne, Guillaume Lambert, au soir du premier tour. Devant l’évidence, Nicolas Sarkozy avoue alors que l’expression n’était « pas heureuse », puis prétend qu’il voulait dire « la vraie fête du travail ». Sauf que, pendant trois jours, à chaque meeting et parfois à plusieurs reprises, il en a justifié l’usage. « Je vais vous dire, moi, ce que c’est que le vrai travail… » Même Xavier Bertrand, le ministre du Travail justement, en a défendu l’idée, parce que « nous, on veut mettre en avant la valeur travail et la différence avec l’assistanat ».

Nicolas Sarkozy et ses derniers soutiens ont encore une fois tout faux. Certes, Marine Le Pen peut se présenter aux élections ; certes, il est parfaitement respectable de parler à ses électeurs, d’entendre ce qu’ils veulent exprimer, mais sa conception de la nation n’est pas compatible avec la République. Une conception xénophobe en contradiction absolue avec les valeurs nées de la Révolution et des droits de l’homme, avec le sens même que le gaullisme avait insufflé à notre constitution. Cette distinction ne gêne pas Patrick Buisson, le principal conseiller de Nicolas Sarkozy. Au contraire, puisqu’il est lui-même l’héritier de cette droite extrême qui, dans les années 1960, voulait éliminer de Gaulle !

À une semaine du premier tour, dans Le Monde, Arnaud Montebourg enfonce les clous du cercueil politique du président sortant : « Nicolas Sarkozy déshonore la droite française en faisant tomber les barrières qui, depuis la Seconde Guerre mondiale, la séparaient de l’extrême droite et que Chirac avait su préserver. Il liquide ce qui restait du gaullisme. »

Mais Nicolas Sarkozy n’a que faire de ces leçons de morale et de ces références historiques. La preuve, le dimanche 29 avril : pendant que François Hollande, au palais omnisports de Bercy, parle de « rassemblement », Nicolas Sarkozy martèle un thème, un seul : « La frontière. » Il pense que la politique commence avec lui, qu’elle n’a pas à s’embarrasser de règles, de « tabous » comme il dit. À ses yeux, elle est avant tout affaire de testostérone. Seule la victoire est belle, la manière importe peu. La preuve par ce débat télévisé du 2 mai qu’il aborde un peu comme son combat du siècle, tel un boxeur qui voudrait à tout prix conserver sa ceinture mondiale et qui, au moment de la pesée, toise son adversaire du regard et bande ses muscles pour mieux l’impressionner, pour mieux se rassurer.

Il a tellement envie de « l’exploser », de « l’atomiser », qu’il ne veut pas un duel, mais deux, mais trois. Valéry Giscard d’Estaing, en 1981, avait déjà émis la même idée. Alain Duhamel a dû s’en souvenir qui, dans Libération du 12 avril, a plaidé pour trois face-à-face entre les deux tours : « Le premier sur les questions économiques et sociales, le deuxième sur les questions de société et de démocratie, le troisième sur les questions européenne et internationale. » Sarkozy a aussitôt sauté sur l’idée comme un mort de faim – en oubliant, au passage, qu’en 2007 il avait refusé la même requête de la part de Ségolène Royal. Oui, trois débats, trois combats pour le mettre trois fois K.-O. ! Car, pense-t-il, tous les sujets seront bons pour lui : le flou du programme Hollande sur les dépenses publiques, le nucléaire, la politique familiale, les impôts et, mieux encore, l’immigration, l’islam, le communautarisme. Et puis aussi la Libye, l’Afghanistan, le mariage gay, l’euthanasie. Hollande pliera sous les coups et les Français applaudiront le champion toutes catégories.

Mais Hollande, lui, n’a pas la fibre pugilistique – même s’il voue une immense admiration à Mohamed Ali et à George Foreman, ces deux anciens champions de boxe poids lourds. Bien sûr, si ce face-à-face doit se transformer en combat, il ne laissera pas sa part aux chiens. Mais un débat suffit. Un débat que la France entière regardera en famille, dans un grand moment d’unité nationale : 20 millions de téléspectateurs attendus. D’ailleurs, interroge-t-on dans l’équipe de campagne du candidat socialiste, « pourquoi, en cinq ans, le président de la République n’a-t-il jamais songé débattre à la télévision avec l’opposition, sur le bouclier fiscal, la réforme des retraites, l’engagement des troupes françaises en l’Afghanistan, la réintégration de la France dans le commandement de l’OTAN, la meilleure façon de répondre à la crise financière de l’automne 2008 » ? Eh bien si, il y a songé, une fois, avant d’écarter aussi sec une idée qu’il jugeait saugrenue et qui n’était pas de lui. La proposition lui a été faite, voici trois ans, par deux des plus célèbres journalistes français, alors invités à déjeuner à l’Élysée. Extrait d’une conversation où le tutoiement était de rigueur :

« Pourquoi ne pas débattre à la télévision avec des leaders du PS ? Ce serait bon pour la démocratie, bon pour ton image… Et puis, ça obligerait l’opposition à sortir du bois.

– Tu n’y penses pas ! Tu crois que j’ai fait tout ça pour ça ? Pour aller à la télévision et demander à Aubry, Hollande ou Royal ce qu’ils pensent de mes décisions ? Leur donner l’occasion d’exposer leurs idées à des millions de Français ? Ce n’est même pas la peine d’y penser. »

Donc un débat, un seul, que les deux écuries présidentielles préparent comme une finale de Coupe du monde. Nicolas Sarkozy a travaillé avec Emmanuelle Mignon – sa Madame programme de 2007, recyclée dans la campagne de 2012 pour écrire le livre qu’il n’a finalement pas publié ; Sébastien Proto, ancien directeur de cabinet de Valérie Pécresse à Bercy et artisan de son programme économique ; Jean-Baptiste Froment, son ancien conseiller à l’Éducation… François Hollande, lui, s’est appuyé sur Pierre Moscovici, mais aussi sur Aquilino Morelle, directeur adjoint de sa campagne et parolier de ses discours, le fabiusien Guillaume Bachelay, Gilles Finchelstein, le délégué général de la Fondation Jean-Jaurès… Les équipes ont préparé des dizaines, des centaines de fiches, sur le programme de leur candidat, sur celui de son adversaire. Des dizaines de réponses, aussi, aux éventuelles attaques, des petites phrases, des exemples pédagogiques.

Pour la mise en images, c’est Manuel Valls (côté Hollande) et Franck Louvrier (côté Sarkozy) qui sont à la manœuvre. Séance plénière au Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) dès le lendemain du premier tour. Sont présents Catherine Nayl, la directrice de l’information de TF1, et Thierry Thuillier, son homologue de France 2. La chaîne publique propose le nom du réalisateur Jérôme Revon, qui a déjà réalisé en 2007 le débat de l’entre-deux-tours entre Ségolène Royal et Nicolas Sarkozy. TF1 a une autre idée en tête : Renaud Le Van Kim, réalisateur, entre autres, du « Grand journal » de Canal Plus, conseiller spécial auprès du P-DG de TF1, Nonce Paolini, et metteur en images d’un grand meeting de Nicolas Sarkozy en 2006 à l’occasion de sa désignation à la tête de l’UMP. Deux excellents professionnels.

Franck Louvrier pousse néanmoins la candidature de Revon. Manuel Valls, lui, émet des réserves, il préférerait Le Van Kim. Michel Boyon, le président du CSA, décide de mettre la question en délibéré. Valls rappelle Boyon, demande que les deux réalisateurs soient auditionnés. Las. L’UMP a dit non. Boyon choisit Revon sans donner d’autre explication.

Compte tenu du ton effrayant de cette fin de campagne, l’équipe du candidat socialiste, qui voudrait maîtriser tous les détails, finit par douter. Certains craignent clairement une manip’ – sans dire laquelle. D’autres se rassurent en pensant que Tristan Carné (réalisateur de « The Voice » sur TF1), le coréalisateur mandaté par l’équipe Hollande, veillera au grain. Le camp Sarkozy a choisi, comme coréalisateur, Yves Barbara, le réalisateur du « 19/20 » de France 3 et de l’émission « Thalassa » que le Président adore. Le duel aura finalement lieu dans un studio de 900 m2 spécialement aménagé à La Plaine Saint-Denis (Seine-Saint-Denis) et sera arbitré, comme prévu, par Laurence Ferrari (TF1) et David Pujadas (France 2). Le tout, filmé par pas moins de vingt caméras, dans un décor inédit conçu par Olivier Illouz à qui France 2 doit notamment le plateau du journal de 20 heures et celui de ses soirées électorales.

En attendant le vrai débat, la course médiatique se poursuit à un rythme effréné. Jeudi 26 avril sur France 2, vendredi 27 dans la matinale de RTL… Mais chacun son tour, jamais ensemble. Nicolas Sarkozy ne rate pas une occasion de fustiger à l’antenne cet adversaire qui refuse obstinément de débattre avec lui. « Ce n’est pas pour moi, c’est pour les Français, ce sont eux qui le réclament. » Faux ! Selon un sondage OpinionWay-Fiducial pour Les Échos, seuls 20 % des Français approuvent l’idée des trois débats et 61 % en veulent un, et un seul. Voilà qui devrait clore le débat ?

Non. Car Sarkozy ne se résout pas à l’idée de ne débattre qu’une seule fois. Il le dit, le répète, le martèle à chacune de ses sorties médiatiques. Leurs prestations respectives au micro de la station de la rue Bayard ont d’ailleurs donné lieu à un ballet assez cocasse. Hollande refuse de croiser Sarkozy dans les couloirs de la radio, il ne veut pas prendre le risque d’une photo entre les deux hommes avant le débat du 2 mai. À 7 h 59, dès son interview achevée, Nicolas Sarkozy ne s’attarde pas, il enfile son manteau, noue son écharpe et se dirige vers la sortie. Dans l’escalier, un émissaire de François Hollande, téléphone portable vissé à l’oreille, prévient alors le candidat socialiste que la voie est libre. Quelques minutes plus tard, la voiture de François Hollande se présente devant l’immeuble de RTL. Accompagné de Manuel Valls, il monte l’escalier, enfile le long couloir tapissé de rouge pour rejoindre Jean-Michel Apathie et Yves Calvi. À la fin de l’entretien, l’équipe de RTL rappelle à François Hollande qu’il devra se prêter au même exercice la semaine suivante. Détendu, le favori des sondages se tourne alors vers Manuel Valls et lui lance sur le ton de la rigolade : « Au lieu de jouer au Premier ministre, donne-moi mon agenda. »

Le même jour, un sondage Ipsos pour Le Monde donne François Hollande à 53 % et Nicolas Sarkozy à 47 %. Un léger mieux pour le président sortant, dû notamment à de plus mauvais reports de voix que prévu de la part des électeurs de Jean-Luc Mélenchon. Venu débattre sur l’antenne d’Europe 1, le lundi 30 avril, Guillaume Peltier affiche, en aparté, l’optimisme qui a, depuis longtemps, déserté les rangs UMP : « Le rendez-vous du 1er mai au Trocadéro peut marquer les esprits ; le débat télévisé du 2 mai peut encore changer la donne. Et qui sait si, le 3 mai, un sondage mettait Hollande à 52 % et Sarkozy à 48 %, alors, dans les derniers jours, les dernières heures avant le 6 mai, tout serait encore possible… »

D’autant que le samedi 28 avril, le député PS de l’Essonne Julien Dray a commis LA boulette politique, celle que François Hollande avait su éviter tout au long de sa campagne. Rue Saint-Denis à Paris, dans un ancien sex-shop reconverti en restaurant, le « J’Ose », il a invité 150 de ses amis, intimes, élus socialistes, anciens de SOS-Racisme, journalistes, pour fêter son 57e anniversaire. Parmi eux, Anne Sinclair et… Dominique Strauss-Kahn. DSK, indésirable à gauche, de nouveau parmi ses amis – et ses anciens amis. À une semaine du premier tour et à la veille du grand meeting de François Hollande à Bercy, cette petite sauterie est une faute politique. Une faute qui a mis le candidat socialiste hors de lui. Une colère homérique, dit-on. « À croire que certains, à gauche, aimeraient le voir perdre », raconte l’un de ses proches.

Ce soir-là, DSK a pris place autour d’une table au premier étage avec son épouse Anne Sinclair. La plupart des invités, qui arrivent au rez-de-chaussée, ignorent sa présence. L’apprenant, certains comme Jean-Marie Le Guen ou Jean-Christophe Cambadélis montent le saluer. Mais quand, au bout d’une heure de présence, Ségolène Royal, venue avec sa fille, découvre que l’ancien directeur du FMI est à l’étage, elle quitte les lieux sur-le-champ. Elle comprend d’emblée que cette soirée peut virer au piège politique. Quand l’affaire est rendue publique par un journaliste du Point qui passait dans le quartier par hasard, l’ex-compagne de François Hollande saisit immédiatement le risque qu’encourt, par ricochet, François Hollande. Alors, elle parle, elle cogne : « J’ai cru à une blague dans un premier temps. Ensuite, j’ai trouvé que c’était de très mauvais goût. C’est quand même inconséquent […]. Je ne veux pas rencontrer DSK compte tenu de tout ce qui s’est passé qui a porté atteinte à la dignité des femmes […]. C’est mon choix, je rencontre les personnes de mon choix. »

Elle parle juste. Elle sait que Nicolas Sarkozy va instrumentaliser cette bourde – il ne s’en privera pas ; elle sait surtout qu’une partie des Français ne comprendra pas comment on peut à la fois parler de moralisation de la vie politique, tout en faisant la fête avec un justiciable, certes présumé innocent, mais mis en examen pour « proxénétisme aggravé en bande organisée ». Un justiciable dont l’immunité diplomatique sera rejetée, quelques jours plus tard, à New York, dans son procès civil face à Nafissatou Diallo. Certains, comme Julien Dray, n’ont toujours pas compris que les temps ont changé, elle si !

« Je regrette ce qui s’est passé, ou plutôt la médiatisation, et la manière dont tout cela a été exploité, concède l’ancien promoteur de SOS-Racisme. Je suis désolé que les choses (aient) pris cette tournure là. » Et de se justifier : « Ce n’était pas une maladresse, parce que pour moi il n’y avait pas de mal, il n’y avait pas volonté de nuire. » Julien Dray n’a pas conscience de l’image que renvoie cette soirée. Il n’a même pas conscience du risque qu’il fait courir au candidat socialiste : « Je pense qu’il ne m’en a pas voulu parce qu’il sait comment je suis, comment je fonctionne dans la vie. Peut-être qu’il n’a pas forcément les mêmes comportements […] parce qu’il n’a pas vécu forcément les mêmes choses que j’ai vécues. » En réalité, Dray se projette dans le drame personnel que vit DSK. Il est persuadé que l’ancien directeur du FMI est une « victime », comme lui, qu’il subit un « lynchage médiatique », comme lui, quand la justice, en 2009, enquêtait sur ses propres comptes et le soupçonnait de malversations. « Peut-être que je suis stupide, peut-être qu’on va me dire : “Tu n’étais pas assez un homme politique, tu n’avais pas tout calculé.” Mais un homme c’est aussi cela. C’est pas une machine. »

Confidence, sévère, d’un ancien ministre socialiste, absent de la soirée organisée par Julien Dray : « Si Hollande devait être battu, dimanche, cette soirée rue Saint-Denis deviendrait le symbole moral, ou immoral, de la défaite socialiste, comme le Fouquet’s fut le symbole moral, ou immoral, du sarkozysme. »

 

1er mai 2012. Trois rendez-vous politiques dans les rues de Paris. À midi, sur la place de l’Opéra, Marine Le Pen choisissait comme prévu de ne pas choisir entre les deux finalistes. L’après-midi, de Denfert-Rochereau à la Bastille (et dans toute la France), travailleurs et syndicats défilaient, comme chaque année depuis 1890, non seulement pour fêter le travail, mais pour célébrer la solidarité internationale entre tous les travailleurs. Au Trocadéro, sur la place des Droits-de-l’Homme, Nicolas Sarkozy organisait une contre-manifestation pour reprendre la rue du 1er mai, mais sans dire un mot du chômage, de la précarité, des salaires, du pouvoir d’achat ou de l’égalité hommes-femmes. Stratégie de la tension. « Posez le drapeau rouge et servez la France. » Les travailleurs, du privé comme du public, apprécieront !

La veille, le Premier ministre François Fillon avait cru bon de prendre enfin ses distances avec l’encore président : « Nous devrions éviter toutes les remarques désagréables à propos des syndicats […], je n’aime pas qu’on critique les syndicats en tant que tels. » Il était temps… Mais au même moment ou presque, dans un entretien à paraître dans Minute, le ministre de la Défense Gérard Longuet estimait qu’il y avait « une différence notable » entre Marine Le Pen et son père, Jean-Marie, et que désormais la présidente du Front national pouvait être un « interlocuteur » de l’UMP. « Il sera désormais possible de parler de sujets difficiles avec un interlocuteur qui n’est pas bienveillant mais qui, au moins, n’est pas disqualifié », jugeait encore Longuet, qui, dans sa jeunesse, appartenait au groupe d’extrême droite Occident.

Dans quelques jours, dans quelques heures, une nouvelle bataille, une nouvelle guerre va commencer : celle de la nécessaire reconstruction de la droite. Une histoire qui reste à écrire.

1- Le Front antinational, Paris, Éditions du Moment, 2011.