Sun Tzu

Mardi 28 février, 8 h 30 : dernière séance à l’Élysée, ultime petit déjeuner de la majorité sous les lambris de la Présidence. Histoire de détendre l’atmosphère, l’ancien Premier ministre Jean-Pierre Raffarin, 64 ans, jamais avare d’un bon mot, se risque à un trait d’humour. La veille, il a vu François Hollande sur TF1, il a trouvé qu’il ferait « un très bon président de conseil général »….

Nicolas Sarkozy n’a pas envie de rire. Il est ulcéré par les attaques de Hollande, il n’en peut plus d’être sans cesse ramené à son statut de « président des riches ». « Faites le nécessaire », dit-il. Tel un stratège militaire penché sur ses cartes militaires, il livre alors ses recommandations politiques. François Bayrou ? « Ne l’attaquez pas, il faut préparer la suite. » La suite ? Pense-t-il encore au soutien que pourrait lui accorder le candidat centriste entre les deux tours de la présidentielle ou bien, en cas de défaite le dimanche 6 mai au soir, à la future recomposition de la droite ? Mystère. Marine Le Pen ? « La gauche veut qu’elle monte le plus haut possible. Ne lui donnons pas d’importance. Ignorons-la. » Les sondages ? « N’y accordez pas trop d’importance. »

Le lendemain, lorsqu’il les retrouve au QG du 18, rue de la Convention (Paris XVe), pour un comité de campagne restreint, Nicolas Sarkozy se veut, cette fois, plus offensif : « Il faut encore accélérer. Le moment est venu de repousser les cloisons du mur avant le 20 mars », rapporte Le Figaro. Et pour cause : le vendredi 16 mars, à 18 heures au plus tard, les candidats devront déposer leurs 500 parrainages au Conseil constitutionnel. Les candidatures seront validées le 20. À partir de là, à la télévision et à la radio, les temps de parole seront les mêmes pour tout le monde. Philippe Poutou et Jacques Cheminade à égalité avec Nicolas Sarkozy et François Hollande. Difficile alors de se distinguer sans occuper matin, midi et soir les écrans et les antennes. Nicolas Sarkozy prévient ses troupes : « Il nous reste trois semaines. » Trois semaines cruciales pour rattraper et dépasser François Hollande dans les sondages d’intentions de votes du premier tour. Trois semaines pour déposer son adversaire, comme disent les cyclistes.

Ses conseillers « ès opinion » – Patrick Buisson et Pierre Giacometti – lui assurent que les plus de 65 ans se tournent à nouveau vers lui, qu’une proportion non négligeable des électeurs de François Bayrou et de Marine Le Pen n’exclut plus de voter pour lui au second tour. Certes, début janvier, les mêmes prévoyaient que les courbes de François Hollande et de Nicolas Sarkozy se croiseraient à la mi-février. Ils avaient ensuite revu leurs prédictions en indiquant que le grand moment interviendrait fin février, puis début mars. Désormais, ils se donnent trois semaines. Trois semaines pour un miracle. Et qu’importe si, en 2007, leur poulain avait su faire la différence avec Ségolène Royal dès son premier meeting de campagne, le 14 janvier.

La proposition fiscale de François Hollande, consistant à taxer à 75 % les revenus supérieurs à un million d’euros, a occulté les mesures phares présentées par Nicolas Sarkozy en matière d’éducation, de justice ou d’immigration ? Raison de plus pour se bouger, fait savoir le candidat. Nathalie Kosciusko-Morizet, sa porte-parole, est sommée de mettre les bouchées doubles pour développer la pédagogie de ses propositions. Guillaume Lambert, l’ancien chef de cabinet du président à l’Élysée, devenu directeur de campagne, rameute tous les députés disponibles pour « aller là où le Président ne peut aller ». À tout juste 40 ans, ce préfet de formation, diplômé de Sciences Po et de l’École du commissariat de la Marine, que l’on a retrouvé un temps à Bercy aux côtés de Laurent Wauquiez, alors secrétaire d’État à l’Emploi, n’a pas le cuir épais des généraux de campagne. À l’inverse des vieux grognards sarkozystes, il n’a pas la mémoire, les souvenirs, les cicatrices des combats d’avant. C’est pourtant lui qui est chargé d’assurer la logistique de cette campagne. Lui aussi qui, du coup, encaisse régulièrement les accès de colère du président-candidat. Lui qui a préparé ce nouveau déplacement à Bayonne. Un ratage monstre.

Avant de s’envoler pour la côte basque, ce jeudi 1er mars, Nicolas Sarkozy réunit de nouveau les poids lourds de la majorité à son quartier général. François Fillon, qui a délaissé son job de Premier ministre, Claude Guéant, qui a mis ses fonctions de ministre de l’Intérieur entre parenthèses, Alain Juppé, qui a remis à plus tard l’épineux dossier syrien, mais aussi Xavier Bertrand, Bruno Le Maire, Jean-François Copé et Nathalie Kosciusko-Morizet, ne perdent pas une miette des propos présidentiels : « Tout se passe comme je l’avais prévu, faraude le candidat, selon Le Figaro, toujours aux premières loges. […] Je suis attaqué de manière injuste par des gens qui rêvent de faire la chasse aux sorcières. » Maintenant, c’est à nous d’« attaquer ».

À l’attaque, donc ! De même que la bataille homérique de Verdun, en 1916, a sans doute fait basculer l’issue de la Première Guerre mondiale, de même que la bataille de Stalingrad, en 1943, a modifié à coup sûr le destin du second conflit mondial, le déplacement de Nicolas Sarkozy à Bayonne restera sans doute comme l’un des moments clés de la guerre présidentielle de 2012.

Jean Grenet, le député-maire UMP-Radical de Bayonne, avait pourtant « personnellement déconseillé » au Président de se rendre dans ce quartier, baptisé « le Petit Bayonne », dont la jeunesse locale et les indépendantistes du cru ont fait leur fief et où, l’été, les fils et filles de famille de « Biarritz la bourgeoise » ne détestent pas venir s’encanailler. Les ruelles y sont étroites et livrées aux piétons, les cafés accueillants et l’ambiance en permanence surchauffée. Le genre d’endroit où, avouent les policiers locaux, « il est toujours difficile de garantir la sécurité maximale des personnalités qui s’y rendent ». Certains d’entre eux nous ont même assuré qu’ils avaient eu connaissance d’un appel à une manifestation autonomiste le jour de sa visite. Nicolas Sarkozy, bravache, est passé outre. Il est venu, il a vu, mais il n’a pas vaincu.

15 h 45, le jeudi 1er mars. Quand il descend de sa voiture dans le centre de Bayonne, une véritable bronca fait office de comité d’accueil. Sifflets, huées, bordées d’insultes : « Retourne chez Bolloré ! », « Casse-toi pauv’con ! », « Dehors ! »… Sentiment de panique sur le visage de ses accompagnateurs d’un jour, l’ancienne ministre Michèle Alliot-Marie et le député européen Alain Lamassoure, les deux régionaux de l’étape. Plus le cortège avance, plus l’ambiance se dégrade. « Dégage Nicolas, dégage Nicolas ! » À mesure que l’équipée s’ébranle dans la ruelle, la foule hostile, compacte, grossit à vue d’œil. Les rares applaudissements de quelques supporters UMP ne suffisent pas à couvrir les cris et les quolibets. Sur son passage, le cortège croise des écologistes en colère, des nationalistes basques au sang chaud et même quelques jeunes militants socialistes brandissant des portraits de François Hollande. Les insultes pleuvent, quelques cailloux volent, la tension est palpable chez les policiers qui encerclent l’important visiteur. Sous la pression, Nicolas Sarkozy se réfugie dans un bar, Le café du Palais, qui prend alors des allures de camp retranché. Des œufs finissent leur trajectoire sur la vitrine de l’estaminet.

À 16 h 15, les CRS, jusque-là discrets, entrent en scène, distribuent quelques coups de matraque pour se frayer un chemin dans la foule, finissent par dégager les alentours afin de laisser pénétrer une poignée de journalistes dans le café où le Président va alors improviser une mini-conférence de presse : « Ici, nous sommes en France et le Président ira partout sur le territoire. Si ça ne plaît pas à une minorité de voyous, ils devront s’y faire. » Puis, semblant reprendre son calme, il ajoute : « François Hollande a annoncé l’épuration, forcément, ça échauffe les esprits à la base. » L’« épuration », notent frénétiquement les journalistes sur leurs carnets.

L’« épuration » : le mot est fort, tout de même. Nicolas Sarkozy fait référence aux propos de son adversaire socialiste qui, le 19 février, avait accusé le chef de l’État d’avoir mis en place un « État UMP », « un système » dans « la police et la justice ». François Hollande avait alors averti que les hauts fonctionnaires qui « sont liés à ce système auront forcément à laisser la place à d’autres » s’il était élu à l’Élysée. Sans doute pensait-il alors à ces patrons de la police ou à ces procureurs plus au service du chef de l’État que de l’État lui-même. « Chasse aux sorcières », avait aussitôt rétorqué l’accusé. Mais de là à parler d’« épuration » ? La dernière fois que Nicolas Sarkozy a utilisé ce mot, c’était en janvier 2011, lors de ses vœux aux autorités religieuses. Il dénonçait alors, à juste raison, « un plan particulièrement pervers d’épuration, d’épuration religieuse » à l’égard des chrétiens vivant en terres d’Orient.

« Épuration » ? Pour les historiens, le terme sert d’ordinaire à décrire deux périodes très précises : les grandes purges staliniennes des années 1930 qui conduisirent au goulag pas moins de 750 000 membres du Parti communiste suspectés d’antisoviétisme, et la chasse aux collaborateurs, en France, à la fin de la Seconde Guerre mondiale, qui fit près de 10 000 morts. Si le mot n’a pas dépassé sa pensée, qui le lui a mis dans la tête ? Patrick Buisson, son très droitier conseiller, historien de formation, patron de la chaîne Histoire et grand spécialiste de la Seconde Guerre mondiale ? Il rappelle en tout cas l’outrance des propos de ceux qui, avant mai 1981, prévoyaient, en cas de victoire de François Mitterrand, l’arrivée des chars soviétiques sur les Champs-Élysées. Mais si François Hollande prépare vraiment l’« épuration », les socialistes sont donc les résistants. Qui sont alors les collabos ? Mystères de l’inconscient.

Les propos présidentiels tournent déjà en boucle sur toutes les chaînes d’info. Quelques minutes plus tard, la maréchaussée parvient à créer un corridor de sécurité pour sortir Nicolas Sarkozy de ce traquenard et lui permettre tant bien que mal de retourner à sa voiture. La rencontre avec les Français a viré au chemin de croix !

Images terribles d’un président hué, conspué, chahuté. Images d’autant plus destructrices qu’elles se télescopent, sur les chaînes d’information continue, avec celles d’un François Hollande ovationné à Lyon par des milliers de militants. Tout à coup, ce n’est plus le chef de l’État qui est persiflé, c’est l’État lui-même qui est sifflé, dans la rue et devant des millions de téléspectateurs. Le monarque n’est plus en majesté, il est abaissé. « Et si l’État est chahuté, c’est donc qu’il est chahutable, qu’il n’est pas tenu », nous expliquera plus tard Claude Goasguen, le député-maire UMP du XVIe arrondissement de Paris.

La visite de Nicolas Sarkozy dans une exploitation agricole, le jour même, en début d’après midi, aurait dû lui mettre la puce à l’oreille. Dialogue avec la propriétaire des lieux :

« On a de plus en plus de mal à survivre. Des heures, il y en a, on n’est pas aux 35 heures.

– Moi non plus, lui répond Sarkozy.

– Oui, mais on n’a pas le même salaire, rétorque-t-elle.

– Mais moi, je ne suis pas propriétaire de 45 hectares, insiste le chef de l’État.

– On n’a pas la même chose en banque et je veux bien échanger.

– O.K., O.K.… »

Le Président tourne alors les talons, agacé par ces manants insolents. Fin de la passe d’armes. Avec le peuple, le vrai, Nicolas Sarkozy n’a pas eu le dernier mot. À cet instant précis, il se dit peut-être qu’au fond, les corps intermédiaires ont du bon. Qu’il aurait dû écouter les conseils du maire, Jean Grenet, et les avertissements des policiers locaux. Mais non, je suis le président et le président va partout, je suis le roi et le roi est partout chez lui…

Après sa visite mouvementée du Petit Bayonne, dans la voiture qui le ramène à son avion – direction Bruxelles pour le Conseil européen –, Nicolas Sarkozy appelle ses proches au téléphone et délivre en direct les arguments médiatiques de la riposte. Les images de cette virée bayonnaise sont cruelles. Elles réduisent à néant la stratégie consistant à se montrer proche du peuple. Consigne : répliquer au bazooka. « Il semble que le PS ait organisé à Bayonne des manifestations de rue contre Nicolas Sarkozy et qu’il n’ait pas hésité à s’associer à des indépendantistes basques à cette occasion », accuse carrément Nathalie Kosciusko-Morizet. « Les vannes de la haine ont été ouvertes », assure Valérie Rosso-Debord, déléguée générale adjointe de l’UMP. Le ministre des Affaires étrangères, Alain Juppé, qui s’y connaît pourtant en opérations militaires, dénonce un « guet-apens ». Le député UMP de Belfort, Damien Meslot, qui s’était déjà rendu célèbre en réclamant la démission de Pierre Moscovici qu’il suspectait d’avoir couvert les turpitudes de DSK, se déchaîne à nouveau et réclame – c’est une obsession – la démission de… Moscovici. Cette fois, il l’accuse d’avoir « prémédité, planifié et organisé » la manifestation anti-Sarkozy de Bayonne. « Certains militants socialistes ont franchi les limites de l’inacceptable en s’alliant avec des militants indépendantistes basques dans le seul but de perturber de manière extrêmement violente une visite du président de la République », s’emporte Jean-François Copé. En l’occurrence une visite du candidat et non un déplacement du chef de l’État.

Et c’est d’ailleurs tout le problème que résume pour nous un sarkozyste de cœur qui a pris ses distances avec une campagne qu’il juge alors perdue d’avance. Dialogue.

« L’entourage de Nicolas Sarkozy a eu tort d’exagérer les incidents de Bayonne. Des événements comme ceux-là, il y en a toujours eu dans toutes les campagnes. Si l’on n’était pas à deux mois du premier tour, Sarkozy aurait tout simplement viré le préfet, comme il l’avait fait après les incidents de Saint-Lô dans la Manche. Et c’est normal : quand une pomme tombait sur le capot de la voiture du général de Gaulle, le préfet était viré dans l’heure. C’est le contrat.

– Saint-Lô dans la Manche : vous faites allusion aux incidents survenus le 12 janvier 2009 entre la police et des salariés qui manifestaient sur le passage du président ?

– Oui, onze personnes avaient été légèrement blessées dont deux policiers. Le préfet de la Manche, un ancien chef de cabinet de Dominique de Villepin, avait été muté quelques semaines plus tard. Mais c’est le jeu. Jusqu’à présent, les déplacements de Sarkozy en province ou dans les usines, c’était les Bisounours. Sécurité renforcée, CRS partout, rues fermées, badauds maintenus à distance. Un public composé essentiellement de militants, parfois même de figurants. Mais, maintenant, quand il va à la rencontre des Français, il n’est plus président, il est candidat, les barrières sautent, la sécurité est plus légère. Et puis, Nicolas ne peut pas avoir 65 % d’opinions défavorables dans les sondages et aller à la rencontre des Français sans rencontrer d’hostilité. La France, ce n’est pas le village Potemkine ! »

Tout comme le « petit père des peuples », qui croyait que la réalité se confondait avec les films de propagande qu’il se faisait projeter dans sa datcha, l’impopularité sondagière de Nicolas Sarkozy a fini par rattraper le « candidat du peuple ». Rendez-vous compte : le chef de l’État obligé de trouver refuge dans un bar à Bayonne ! L’affront. Crime de lèse-majesté.

Poursuite de l’entretien.

« Vous connaissez bien Nicolas Sarkozy. Cette séquence a dû passablement l’énerver. Quand il prononce le mot “épuration”, est-ce le signe qu’il a perdu son sang-froid ?

– Pas du tout. C’est même le contraire. Ce qui s’est passé à Bayonne n’a pas dû lui faire plaisir, mais l’emploi du mot “épuration” n’est en rien un signe d’énervement. C’est dûment réfléchi. Dans la réflexion, il va plus vite que n’importe qui. Il sent sur l’instant que ces événements ne sont pas bons pour lui, alors il décide de retourner la situation à son avantage en contre-attaquant. En prononçant ce mot fort, il se sert de l’événement pour cliver un peu plus l’électorat et pour finir de se débarrasser de Le Pen et de Bayrou. Ça, c’est du Nicolas pur jus, tel que je le connais. »

De fait, ce genre de séquence rend tous les autres candidats inaudibles. François Bayrou, Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen ont beau dénoncer la bipolarisation de la campagne, la « sarkhollandisation » du débat politique, comme dit le candidat du MoDem, rien n’y fait. Mélenchon a beau faire le plein dans ses meetings, Bayrou promettre un référendum sur la moralisation de la vie publique et Marine Le Pen un assouplissement de la chasse aux chauffards de la route, chaque jour qui passe les exclut un peu plus des écrans radar médiatiques. Les mâchoires de la bipolarisation commencent bel et bien à se refermer sur eux.

La seule présence de Nicolas Sarkozy suffit à hystériser les comportements. Ce n’est pas nouveau. Chacun se souvient de l’altercation que le chef de l’État avait eue le 6 novembre 2007 avec un pêcheur du Guilvinec qui lui avait lancé : « Enc… » Riposte immédiate du président : « C’est toi qui as dit ça ? Et ben descends un peu le dire, descends un peu. » Réponse du jeune pêcheur, avant d’être arrêté par les services de sécurité : « Si je descends, je te mets un coup de boule. » Chacun se souvient aussi du fameux « casse-toi, pauv’ con » du Salon de l’agriculture le 23 février 2008. Ou encore de sa visite à Châtellerault (Vienne), le 31 mars 2009, où neuf jeunes avaient été placés en garde à vue après avoir jeté des objets sur les forces de l’ordre (900 hommes, tout de même !) au moment du passage du barnum présidentiel. Ce n’est pas nouveau, donc, mais visiblement, en campagne, ça s’aggrave.

Si l’on veut se faire une idée des tensions qui traversent alors l’équipe de campagne de Nicolas Sarkozy, il faut revoir sur Internet l’altercation qui a opposé, le 25 février sur France 3, Henri Guaino, conseiller spécial à l’Élysée et « plume » Sergent-Major de Nicolas Sarkozy, au socialiste Jérôme Guedj. Qualifiant d’« indigne » le débat sur l’identité nationale, le jeune président PS du conseil général de l’Essonne s’était vu rétorquer par un Guaino visiblement à vif : « Si je vous traite de sale con, ça va vous plaire ? » La scène dure un peu moins de deux minutes : « C’est insupportable, à la fin. Je peux parler, oui ? Taisez-vous ! » Cet échange en dit long sur l’état d’esprit du conseiller le plus proche du président-candidat. Mais sans doute aussi sur l’humeur du candidat lui-même. Quelques semaines auparavant, le même Guaino avait déjà piqué une véritable crise de nerfs face à mon confrère Joseph Macé-Scaron sur le plateau, cette fois, d’I-Télé. Comme si, au fond, les mots ne permettaient plus à Guaino de digérer toutes les couleuvres avalées pendant cinq ans.

Europe 1, le 5 mars. Henri Guaino vient de répondre – calmement – aux questions d’Arlette Chabot. Échange à la volée, à la sortie du studio :

« L’impôt de François Hollande sur les super-riches, les incidents de Bayonne… Ce n’est pas une bonne semaine pour le “candidat du peuple” ?

– Mais arrêtez avec ça ! Hollande n’est qu’un démagogue à la petite semaine. Sa proposition fiscale est une atteinte à l’intelligence. Ce n’est pas 75 % ! Avec les autres taxes comme la CSG, ça fait plus de 100 %. D’ailleurs, il ne l’appliquera même pas. C’est honteux ! Quant aux incidents de Bayonne, c’est vrai qu’ils ne seraient jamais arrivés en 2007. Disons que Nicolas Sarkozy est entouré de jeunes gens qui n’ont pas forcément l’expérience des campagnes électorales. Mais comment prévoir un tel guet-apens ?

– Vous aussi, vous pensez sérieusement que les socialistes sont responsables de ce qui s’est passé à Bayonne ?

– Évidemment. Ils mentent comme ils respirent. Les socialistes locaux étaient à la manœuvre et à Paris, ils n’auraient pas été au courant ? C’est une blague ! Vous imaginez si des militants UMP avaient perturbé un déplacement de François Hollande ? Vous auriez crié au scandale, au déni de démocratie.

– Selon vous, la posture de « candidat du peuple » est-elle encore valide après la semaine qui vient de s’écouler ?

– Plus que jamais ! Hollande change d’avis tous les jours sur tous les sujets. Les Français vont finir par s’apercevoir qu’on ne peut pas lui faire confiance.

– Nicolas Sarkozy aussi a changé d’avis sur la viande halal. Il était contre l’étiquetage de la viande et maintenant il est pour.

– Mais non, il n’a pas changé d’avis.

– Si, je vous assure.

– Je vous dis que non.

– Si, et d’ailleurs Nathalie Kosciusko-Morizet a pris ses distances après les propos de François Fillon.

– Mais non.

– Si, et Rachida Dati aussi.

– Ah lâchez-moi avec Rachida Dati. Je ne comprends même pas pourquoi on est allé la rechercher celle-là ! »

Fin de la conversation. Henri Guaino, courtois, a pris sur lui, il ne s’est pas énervé, mais il était moins une.

En vérité, le candidat Sarkozy est encore cannibalisé par le Président Sarkozy. Quoi qu’il dise, quoi qu’il fasse, il est invariablement renvoyé à son bilan, à ce qu’il a fait ou pas fait depuis cinq ans. Mais il y a pire : le candidat de 2012 est cannibalisé par le candidat 2007. Rien de ce qu’il entreprend, dans cette campagne, du moins à ce moment, ne semble à la hauteur de ce que fut son ascension triomphale vers l’Élysée, cinq ans auparavant.

Cette « bataille » de Bayonne vient clore, en tout cas, une semaine noire pour Nicolas Sarkozy. Une semaine où il a attaqué la compagne de Françoise Hollande de manière aussi inélégante qu’inattendue, où ses propositions sur l’école – et notamment une prime de 500 euros pour les enseignants qui accepteraient de travailler plus – ont connu un flop retentissant. Une semaine où la proposition fiscale de François Hollande l’a obligé à se muer à nouveau en avocat des riches. Une semaine où il a fait marche arrière sur son dogme du non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux pour les instituteurs. Sans parler de ce cafouillage où il annonce à contretemps le retour de Syrie des deux journalistes français, Édith Bouvier et William Daniels, du camouflet infligé par le Conseil constitutionnel qui a retoqué son projet de loi visant à pénaliser la négation du génocide arménien.

« Plus nos adversaires sont excessifs, analyse Delphine Batho, ancien soutien de Ségolène Royal, devenue porte-parole du candidat Hollande, plus ils font ressortir le calme, la mesure, le sang-froid de François Hollande. » Certes. Mais ce dernier a beau jeu de dénoncer ce qu’il appelle une « culture de l’outrance ». Il est le seul, dans cette campagne, à pouvoir se permettre de rester calme et mesuré, serein et pondéré. Les sondages qui concluent cette semaine cataclysmique pour le Président lui donnent toujours un net avantage. Mieux, deux semaines à peine après l’entrée en campagne de Nicolas Sarkozy, François Hollande creuse à nouveau l’écart au premier tour : 29 % contre 25,5 %, selon l’Ifop. Un demi-point de moins pour le Président quand tous ses amis espéraient une hausse. Une enquête de BVA donne même le chef de l’État en recul de 3 points, à 23 %, loin derrière François Hollande à 30,5 %. Sept points et demi d’écart : retour à la case départ ! Hollande regagne même 3 points au second tour : 58-42. La séquence Salon de l’agriculture, pas plus que ses visites répétées dans des usines, n’y change rien. Tout est à refaire, alors que la date fatidique du 20 mars approche à grands pas.

Seul François Bayrou paraît sortir gagnant de ce mano a mano. Non seulement son image progresse dans les enquêtes de popularité, mais selon le même sondage BVA, il fait désormais jeu égal au premier tour avec Marine Le Pen à 15 %. Enfin… Car Bayrou a fait un rêve : et si les électeurs de droite prenaient enfin conscience que voter Nicolas Sarkozy au premier tour est inutile ! Et s’ils se rendaient compte, enfin, que lui, Bayrou, est le seul candidat susceptible de battre François Hollande au second tour ! Alors, la face de cette élection présidentielle, que les médias disent jouée d’avance, en serait bouleversée.

Car au fond, si même en perdition Nicolas Sarkozy peut toujours compter sur un socle d’environ 25 % au premier tour, c’est bien parce que les électeurs de droite, en particulier les personnes âgées, sont « légitimistes », qu’ils votent mécaniquement pour le président sortant, même s’il est battu à plate couture dans toutes les projections de second tour. Mais imaginons, dit-on alors dans l’entourage du candidat centriste, que les médias aient enfin le courage de publier des sondages de second tour l’opposant à Hollande, ils verraient alors, ces électeurs de droite, que « Bayrou tient la dragée haute au candidat socialiste ». Et alors, qui sait si…

C’est le moment que choisit le patron du MoDem pour lâcher une première cartouche : voter pour lui, dit-il, « c’est le seul vote utile pour qui veut changer la physionomie du deuxième tour ». Deuxième cartouche, le mercredi 7 mars : 18 sénateurs, dont 16 des 31 membres de l’Union centriste au Sénat, lancent un appel à voter Bayrou. La troisième cartouche est engagée dans le barillet : imaginons que le candidat centriste lui-même lance un appel à tous ceux qui, à droite, sont dégoûtés par « la guéantisation » de la campagne, par « l’extrême droitisation » du discours de Nicolas Sarkozy (sur l’immigration, la justice, etc.), par toutes ces polémiques nauséabondes sur la viande halal et cacher, alors qui sait si.

Quand son avion atterrit à Bruxelles le 1er mars en fin d’après-midi, Nicolas Sarkozy n’a pas encore pris connaissance des sondages. Mais de l’avis de ceux qui le croisent dans la capitale belge à l’occasion de ce Conseil européen, le dernier de son quinquennat, il semble préoccupé. Agacé même. Nerveux en tout cas. Une méchante rumeur prétend qu’en cas de défaite, il pourrait prétendre à de hautes fonctions européennes. Président du Conseil ou président de la Commission européenne. Et pourquoi pas responsable de la section UMP de Neuilly pendant qu’on y est ! « Du fond du cœur, non. En aucun cas, d’aucune façon, ni maintenant, ni plus tard », répond-il. Il doit se contrôler pour ne pas exploser. Il a une élection présidentielle à mener et « ces connards de journalistes l’emmerdent avec des rumeurs à la con » ! – la phrase est d’un de ses proches conseillers. « Quand on a eu le privilège et l’honneur d’être un chef d’État, qui a des responsabilités absolument passionnantes et difficiles […], toute autre responsabilité ne semble pas adaptée », ajoute le chef de l’État dans un sourire forcé qui semble dire, en effet, « lâchez-moi, bande de connards ».

Ambiance des mauvais jours, le lendemain, au QG de campagne où l’on admet, hors caméra, l’« impréparation », l’« amateurisme » du déplacement à Bayonne. « C’était une connerie. » Chacun se regarde en chiens de faïence, le sentiment du devoir non accompli. On cherche des responsables. La faute à Michèle Alliot-Marie, coupable « de ne pas tenir sa fédération des Pyrénées-Atlantiques », mais qui se défend d’être à l’origine d’une telle virée au Pays basque. Guillaume Lambert, le directeur de campagne souffre-douleur, assume tout, y compris le déchaînement du « patron », fou de rage après les incidents de Bayonne.

Tous craignent que ces débordements ne donnent des idées à d’autres lors des futurs déplacements. L’« effet d’entraînement », comme ils disent. Désormais, il va falloir faire preuve de prudence, renforcer la sécurité sans doute, déminer le terrain. Témoins, ces incidents, le matin même du 2 mars à Florange, entre salariés d’ArcelorMittal et gendarmes. Furieux des annonces du chef de l’État et de leur direction, une centaine de sidérurgistes ont bloqué la gare de triage d’Ébange, à un kilomètre de leur lieu de travail. Lorsque les forces de l’ordre arrivent sur les lieux, ils entonnent La Marseillaise, puis scandent : « Merci Sarko ! Merci Sarko ! » On imagine aisément ce qu’il adviendrait si, par malheur, le chef de l’État décidait de se rendre en Moselle, au pied des hauts-fourneaux. À partir de cet instant, chaque visite en province, chaque déplacement sera confirmé à la presse la veille, parfois une heure avant, pour éviter d’éventuels rassemblements d’opposants. « On s’est fait avoir une fois, pas deux. »

Drôle de tableau inversé. Samedi 3 mars au Zénith de Dijon. Dans la loge de François Hollande, qui s’apprête à monter sur scène devant plus 12 000 supporters, Valérie Trierweiler et Manuel Valls semblent détendus. Même Martine Aubry, Delphine Batho, Aurélie Filippetti et Aquilino Morelle, l’ex-plume de Lionel Jospin et l’ex-bras droit d’Arnaud Montebourg qui a rédigé le discours que le candidat va prononcer en terre bourguignonne, paraissent sereins. Un discours sur les institutions qui, en creux, sonne comme un réquisitoire de l’exercice sarkozyste du pouvoir. Au même moment à Bordeaux, dans la loge de Nicolas Sarkozy, au parc des expositions de la capitale girondine, l’ambiance est plus tendue. Carla Bruni-Sarkozy, Nathalie Kosciusko-Morizet et Jean-François Copé entourent le Président, qui se tient debout, mains dans les poches, faussement décontracté. Nicolas Sarkozy a pris plusieurs fois le temps de rassurer sa porte-parole, « NKM ». Il a entendu les violentes critiques de sa majorité sur l’ancienne ministre de l’Environnement, trop « snob », trop « bobo » pour être la porte-voix du « président du peuple », son phrasé bourgeois, ses tenues chics et branchées, son port de tête altier, son attitude parfois cassante. Ils ne l’ont pas ratée quand elle s’est trouvée incapable, au micro d’Europe 1, de donner le prix exact d’un ticket de métro. Elle a de si bons amis.

À plusieurs reprises, Patrick Buisson a demandé sa tête au Président, allant même jusqu’à suggérer de la doubler d’un porte-parole adjoint – en l’occurrence Guillaume Peltier, un de ses protégés, spécialiste des sondages et très à l’aise sur les plateaux de télévision. Nathalie Kosciusko-Morizet, 39 ans, polytechnicienne, ministre de plein exercice, déjà candidate putative à l’Élysée en 2017 ou en 2022, bordée sur sa droite par un jeunot de 35 ans, de surcroît issu des rangs du Front national de la jeunesse (FNJ) ? Touchée dans son orgueil, elle préfère camper l’indifférence. Elle affecte même de rendre seul responsable de la cabale Jean-François Copé dont elle a autrefois stigmatisé la lâcheté et qui est furieux de l’alliance qu’elle a passée contre lui avec Fillon ! Sarkozy, donc, la rassure, lui dit qu’elle est la meilleure, qu’il compte sur elle. « Voyez avec mon excellente porte-parole », répète-t-il aux journalistes qui le suivent comme son ombre. « NKM » n’a pas été désavouée, mais Peltier et d’autres encore auront désormais droit à la parole.

D’ici quelques minutes, donc, devant une salle bordelaise tout acquise à sa cause, le président-candidat va lancer une salve de propositions sur l’immigration (nouvelles restrictions au regroupement familial) et sur la justice (pas de liberté conditionnelle avant les deux tiers de la peine, droit d’appel des victimes, extension des jurys populaires). Tenter aussi d’éteindre l’incendie allumé par Claude Guéant sur la question de la viande halal. Plus de 5 000 militants remontés à bloc attendent leur champion. Mais ceux qui l’entourent à cet instant précis savent qu’il est personnellement atteint par la semaine noire qui s’achève.

Certes, Jean-François Copé continue à pronostiquer la victoire – et prend des notes pour sa campagne future dans cinq ans. Certes, Brice Hortefeux juge encore et toujours que Nicolas Sarkozy « fait une très bonne campagne ». Mais si les grands fauves de l’UMP disent croire au miracle, la plupart ne prennent même plus la peine de faire bonne figure. Impossible de l’avouer ouvertement, mais en « off », les sarkozystes s’épanchent. « Ça part en couilles, résume l’un d’eux. On fait une erreur par jour » ; « C’est foutu, ajoute un autre, Sarko nous avait promis que les courbes de sondage avec Hollande se croiseraient dès son entrée en campagne, puis fin février, puis début mars. Ça fait trois semaines et rien ne bouge. Arrêtons de nous raconter des histoires : l’écart avec Hollande n’est plus rattrapable » ; « Si la question de la présidentielle est : “Pensez-vous que Hollande peut vous sortir de la crise ?”, alors il a ses chances, décrypte le député du Nouveau Centre Jean-Christophe Lagarde (Seine-Saint-Denis). Si la question est : “Aimez-vous Nicolas Sarkozy”, dans ce cas, il a perdu, c’est sûr » ; « Si, après l’émission de France 2, mardi, et le meeting de Villepinte, dimanche, il ne rattrape pas Hollande, on peut tous aller se rhabiller ». Vestiaire, s’il vous plaît !

En une semaine, ils ont compris que le roi de la jungle n’est plus le roi. « La bête de campagne » qu’ils attendaient est au fond du trou, piégé par ses piteux sondages. Le lion ne rugit plus. Il a suffi qu’il baisse d’un demi-point dans un sondage – malgré les soutiens de la tigresse Boutin, du guépard Morin et du chasseur Nihous – pour que le troupeau des félidés sarkozystes admette l’impensable : le roi des animaux politiques n’est plus qu’un fauve empaillé, les griffes rognées, les crocs limés.

À quoi tient la chute du roi lion ? Un demi-point de baisse dans ce maudit sondage Ifop pour Paris Match. Un demi-point qui a littéralement coupé les jarrets des félins les plus carnassiers de la majorité. Une baisse infinitésimale, alors qu’il s’attendait à une progression, fait exploser leurs dernières illusions en un sursaut in extremis. Depuis, quand ils vont boire l’eau de la rivière, les parlementaires UMP se refilent sous la fourrure les projections apocalyptiques des législatives de juin : 150 à 200 députés de la majorité au tapis ! Peut-être plus. La honte de la jungle.

C’est un fait : trois semaines après son entrée en campagne, les sondages n’ont pas décollé d’un centimètre. La faute à qui ? Pas besoin de chercher des responsables. En réalité, c’est la campagne de Nicolas Sarkozy qui patine. De fait, la proposition de François Hollande d’imposer les ultrariches à 75 % au-delà d’un million d’euros de revenu l’a pris de court. Elle a occulté toutes ses propositions sur la justice, l’éducation, l’immigration. D’un coup, c’est toute sa stratégie qui a volé en éclats. Mesquines, ses attaques contre la compagne de François Hollande. Déplacée, sur le plateau de France 2, sa critique de Laurent Fabius, coupable d’avoir soutenu la candidature de DSK – que lui-même a pourtant fait nommer au FMI. Caricaturale, son offensive contre François Hollande, « un homme qui a du mal à dire non ». Passés par pertes et profits, ses discours – plutôt réussis – de Saint-Quentin et de Bordeaux. Contre-productives sa TVA sociale et sa lune de miel avec Angela Merkel. Rien ne marche, rien ne prend.

Voilà même que l’hebdomadaire allemand Der Spiegel révèle l’existence d’un complot européen anti-Hollande. Un accord tacite entre les principaux chefs de gouvernement conservateurs en Europe pour ne pas recevoir le prétendant socialiste à l’Élysée. Un boycott ourdi par le chef de l’État français, la chancelière allemande Angela Merkel, le président du Conseil italien Mario Monti, le chef du gouvernement espagnol Mariano Rajoy et le Premier ministre britannique David Cameron. Toutes les capitales européennes ont beau la démentir, cette information fait figure d’aubaine pour le candidat socialiste. Si tous les dirigeants qui incarnent la rigueur en Europe – autant dire le « mur de l’argent » – s’opposent à lui de façon concertée, c’est bien la preuve que François Hollande, lui, est le vrai « candidat anti-austérité ». « Elle ne m’impressionne pas, cette information », avoue François Hollande sur le plateau de France 3. En réalité, elle l’arrange.

Sur le plateau de l’émission « Des paroles et des actes », le mardi 6 mars, voilà Nicolas Sarkozy sommé de justifier, pendant près de quarante minutes, le Fouquet’s, le yacht de Bolloré, les années bling-bling. La faute à ses malheurs conjugaux d’alors, dit-il, à sa « famille qui explosait ». La faute à Cécilia… En coulisses, Carla Bruni-Sarkozy commente : « Nous sommes des gens modestes. » Elle ajoutera en italien, en s’adressant au P-DG de France Télévisions, Rémy Pflimlin : « Les journalistes sont tous des Pinocchio. » Daniel Psenny, le journaliste du Monde, qui suit l’émission dans une loge en compagnie de Carla et d’Henri Guaino, rapportera cette autre phrase de la Première Dame, cette fois prononcée en français : « De temps en temps, ils donnent la parole à des journalistes de droite ? » Sans commentaire. Quelques minutes avant de pénétrer sur le plateau de l’émission, Nicolas Sarkozy dira même à son épouse, visiblement plus tendue que lui : « Bon, on ne va quand même pas à un enterrement. » Voire…

Car, en privé, Nicolas Sarkozy reproche aux députés UMP du premier cercle de se désespérer à la lecture des sondages. Mais il oublie que c’est lui qui leur avait promis qu’il doublerait Hollande d’ici la fin février. En privé toujours, il ne décolère pas contre ces ministres – des « planqués », dit-il – coupables de ne pas faire campagne : « Je remercie les ministres présents aux meetings, ça fait du bien de voir des visages amis. » Mais il oublie que c’est lui qui leur a demandé de ne plus apparaître sur la photo pour ne pas donner le sentiment d’une « réunion de notables au côté du candidat du peuple ». Il enrage contre François Fillon qui, à huit semaines du premier tour, a réussi le coup de génie de le fâcher avec les juifs et les musulmans à propos de l’abattage rituel. Mais il oublie que c’est lui qui a incité son ministre de l’Intérieur, Claude Guéant, à courir après Marine Le Pen sur le dossier de la viande halal. Sarkozy, le pire ennemi de… Sarkozy.

D’autant que Jean-François Copé, le secrétaire général de l’UMP, et Rachida Dati, la pétroleuse en bottines rouges, ont sauté sur l’occasion pour désavouer le Premier ministre, obligé de faire marche arrière et de recevoir piteusement à Matignon le grand rabbin Gilles Bernheim pour implorer son grand pardon. Preuve qu’à droite, l’après-Sarkozy a déjà commencé.

Nicolas Sarkozy, lui, sent bien que, jusqu’à présent, sa campagne est un désastre. En routier expérimenté des joutes électorales, Franz-Olivier Giesbert, le directeur de l’hebdomadaire Le Point, l’a bien senti sur le plateau de France 2. Il a vu dans les yeux du Président cette tristesse, cette inquiétude, l’absence de « cette petite flamme ». FOG a vu juste.

Jeudi 8 mars. Coup de théâtre au micro du journaliste Jean-Jacques Bourdin sur RMC et BFM-TV. Voilà de nouveau que Nicolas Sarkozy envisage sa défaite. Non plus en confidences, comme il l’avait fait en janvier devant quelques journalistes à Cayenne en Guyane, mais publiquement : « Si les Français devaient ne pas me faire confiance, est-ce que vous croyez vraiment que je devrais continuer dans la vie publique ? La réponse est non. » Terrible aveu. La guerre de 2012 n’a pas encore livré son verdict que, déjà, il anticipe la débâcle, l’intègre dans ses plans. Dans ses plans personnels. Si je perds, semble-t-il dire, c’est moi qui vous quitte. Pour toujours. Comme si son sort était en jeu, avant celui du pays qu’il prétend de nouveau diriger pendant cinq ans.

Comment regonfler le moral des troupes quand celui du généralissime est au plus bas ? Comment rêver d’Austerlitz quand le chef lui-même envisage Waterloo ?