CHAPITRE XIII
Smendès et Pinedjem
À la mort de Ramsès XI, Smendès se proclame roi.
Il se réclame de la lignée ramesside par la titulature qu'il adopte
: il est l'Horus « Taureau puissant aimé de Rê, dont Amon a rendu
le bras fort, afin qu'il exalte Maât ». On ne sait rien de son
origine, et les liens de parenté qu'on lui a prêtés avec Hérihor
sont peu probables. Il est, en revanche, plus plausible qu'il ait
légitimé son pouvoir en épousant une fille de Ramsès XI.
Son couronnement marque la fin de l' « ère de
Renaissance » et, — aussi curieux que cela puisse paraître
puisqu'il n'est manifestement pas de sang royal —, son autorité est
reconnue à Thèbes. C'est lui, en effet, qui restaure une partie de
l'enceinte du temple de Karnak, qui avait été emportée par une crue
du fleuve. Il transfère la capitale de Pi-Ramsès à Tanis, où des
découvertes récentes laissent supposer une première implantation
ramesside, liée probablement au déplacement de la branche
pélusiaque du Nil (Yoyotte : 1987, 56). Il réside également à
Memphis, d'où il fait exécuter des travaux dans le temple de
Louxor, ce qui suppose ou bien que l'ancienne capitale du royaume
avait provisoirement retrouvé sa fonction politique de résidence
royale, ou bien, ce qui paraît plus vraisemblable, que
l'aménagement de Tanis était en cours. Car lorsqu'il meurt après un
règne d'un peu plus de vingt-cinq ans, c'est à Tanis qu'il se fait
enterrer.
XXe DYNASTIE | GRANDS PRÊTRES THÉBAINS | |
---|---|---|
1098-1069 | Ramsès XI | Amenhotep |
1080 | début de l'ère de la | Hérihor |
1074-1070 | Renaissance | Piânkh |
XXIe DYNASTIE | ||
1070-1055 | Pinedjem Ier Grand Prêtre | |
1069-1043 | Smendès | |
1054-1032 | Pinedjem Ier roi | |
1054-1046 | Masaharta Grand Prêtre | |
1045-992 | Menkheperrê | |
1043-1039 | Amenemnesout | |
1040-993 | Psousennès Ier | |
993-984 | Aménémopé | |
992-990 | Smendès | |
990-969 | Pinedjem II | |
984-978 | Osorkon l'Ancien | |
978-959 | Siamon | |
969-945 | Psousennès | |
959-945 | Psousennès II |
Tableau chronologique de la XXIe dynastie.
Au moment où Smendès s'est proclamé roi, la charge
de Grand Prêtre d'Amon venait une deuxième fois de changer de main
à Karnak. Déjà Piânkh avait succédé à Hérihor à la fin du règne de
Ramsès XI, vers 1074. D'origine tout aussi inconnue que lui, il
avait reçu du Grand Prêtre, qui était peut-être son beau-père
(Kitchen : 1986, 536), le commandement militaire de Haute-Égypte et
tenté de prendre le contrôle de la Nubie, apparemment en vain
puisqu'il guerroyait encore en l'an 28 de Ramsès XI contre les «
rebelles » de Panéhésy. Piânkh, au contraire de Hérihor, fait
souche, et c'est son fils Pinedjem qui lui succède comme Grand
Prêtre et commandant en chef des armées de Haute-Égypte en 1070. Il
reste titulaire de ces fonctions tout au long du règne de Smendès
dont il reconnaît le pouvoir, puisque, pas plus qu'Hérihor, il ne
s'arroge le droit régalien d'éponymie : l'affaire des momies
royales que nous avons évoquée plus haut, par exemple, qu'il règle
lui-même, est datée des années 6 à 15 de Smendès. Pendant cette
période, c'est en tant que Grand Prêtre qu'il agit à Medinet Habou,
Karnak, Louxor, jusqu'à El-Hibeh ou Assouan, qui constituent les
limites de son autorité.
En l'an 16 de Smendès, Pinedjem adopte une
titulature royale qui affirme clairement l'origine de son pouvoir :
il est l'Horus « Taureau puissant couronné dans Thèbes, aimé d'Amon
». Son nom est désormais inclus dans le cartouche, et on le trouve
à Thèbes, Coptos, Abydos et ... Tanis. Mais il ne prend toujours
pas l'éponymie, même s'il a délégué la fonction de Grand Prêtre,
qu'il n'occupe plus, à son fils Masaharta, auquel succède en 1045,
son autre fils, Menkhéperrê. Quelle est donc la nature de ce
pouvoir qui s'arroge les compétences du pharaon tout en
reconnaissant le primat de celui-ci ? La raison la plus élémentaire
de cette usurpation des prérogatives royales est dans l'histoire
des relations du temporel et du spirituel : nous avons vu au cours
de la XVIIIe dynastie monter la
puissance du clergé thébain, premier bénéficiaire, matériellement
parlant, des conquêtes de l'Empire en tant que support
indispensable de la politique. Hatchepsout comme Thoutmosis III ou
Thoutmosis IV tiennent leur légitimité du dieu lui-même qui se
manifeste par des apparitions ou des oracles confirmant leur droit
au trône. C'est contre cette emprise qu'Amhenhotep IV a voulu
lutter, sans toutefois modifier le fondement théocratique du
pouvoir : il s'est contenté de contourner Amon, mais sa démarche a
fondé une réflexion théologique qui s'est développée tout au long
de l'époque ramesside. Elle a produit en particulier l'institution
de la Divine Épouse d'Amon, charge dévolue à partir d'Ahmès
Néfertary à une princesse royale qui sert en quelque sorte de
renfort au lien unissant le souverain au dieu qui le mandate :
épouse morganatique de l'un et peut-être aussi de l'autre, elle
constitue le pendant du roi dans l'exercice du culte. Nous avons
suivi cette association au sein du couple royal dès Amenhotep III
et avec Akhenaton qui établit une stricte correspondance entre
famille divine et famille royale. Ramsès II systématise le procédé
jusqu'à assurer à son épouse un culte parallèle au sien à Abou
Simbel. Toute la question est donc, au moment où Hérihor ouvre l' «
ère de Renaissance », de savoir qui sera le contrepoint de la
famille divine sur terre. Ce ne peut être que la famille régnante,
seule héritière légitime du dieu. Il convient donc de séparer le
pouvoir temporel d'Amon, que le Grand Prêtre revendique pour
lui-même, de celui du pharaon, accordé par Amon mais distinct de
celui de son Grand Prêtre. Ce clivage recouvre la réalité de
l'autorité du clergé d'Amon sur la Haute-Égypte que le pharaon
n'est plus capable de contrôler. La politique des Grands Prêtres
d'Amon va donc consister à soutenir le pouvoir du pharaon, mais en
le soumettant à la volonté d'Amon, exprimée sous forme oraculaire :
Tanis est construite sur le modèle de Thèbes, de façon à établir
une correspondance exacte entre Amon de Tanis et Amon de Thèbes. Ce
parallélisme sera à nouveau développé à l'époque éthiopienne entre
ce dernier et Amon de Napata. Il est donc logique que Pinedjem
apparaisse à Tanis. D'un autre côté, et afin de conserver la
réalité du pouvoir, Pinedjem épouse Hénouttaouy, qui est de sang
royal (Fig. 148). D'elle il aura quatre
enfants : Psousennès Ier, le pharaon,
Masaharta et Menkhéperrê, les Grands Prêtres successifs et une
fille Maâtkarê, qui va concilier les charges de Divine Épouse et de
chef des recluses d'Amon en une seule fonction, celle de Divine
Adoratrice, épouse exclusive du dieu. Elle choisira par adoption
celle qui lui succédera, tournant définitivement les difficultés
inhérentes à la transmission de sa charge (Gitton : 1984, 113-114).
Ainsi, la mère divine s'incarne doublement : dans la personne de la
Divine Adoratrice, mère morganatique du dieu-enfant, et dans celle
de l'épouse du roi, mère charnelle de son successeur.
Le système ne se mettra en place qu'à la mort de
Smendès : lorsque Psousennès Ier sera
couronné. En attendant, le pays est partagé de fait en deux, entre
le Grand Prêtre et le pharaon, le premier exprimant la volonté
d'Amon qui mande le second. C'est ce qui ressort d'un texte
conservé aujourd'hui au Musée Pouchkine de Moscou, qui relate le
Rapport d'Ounamon, un ambassadeur
envoyé en Phénicie pour rapporter du bois destiné à la barque
sacrée d'Amon thébain, probablement vers la fin du règne de Ramsès
XI : Smendès n'y est mentionné que comme régent. On est loin de
l'époque où l'Égypte était respectée au Proche-Orient : non
seulement Ounamon doit payer le bois dont il a besoin, mais encore
il se fait voler en route, et le prince de Byblos n'accepte
qu'après de sordides marchandages de fournir, contre la forte
somme, la commande (Leclant : 1987, 77 sq.). Jusqu'au règne de
Siamon, l'Égypte ne paraît jouer aucun rôle dans les régions où
s'exerçait auparavant traditionnellement son influence, et où le
premier rôle politique est désormais dévolu à l'État d'Israël, qui
a pour premier roi Saül, puis, de 1010 à 970, David qui fait de
Jérusalem sa capitale. On peut supposer que l'Égypte assurait tout
juste la police de sa frontière orientale sous Psousennès
Ier (Kitchen : 1986, 267).
Lorsque Smendès meurt, le pouvoir est réparti
entre deux corégents : Néferkarê Amenemnesout, « Amon est le roi »,
probablement fils de Hérihor (Kitchen : 1986, 540), et Psousennès
Ier, qui lui survit et règne jusqu'en
993. Amenemnesout est contemporain des premiers temps du pontificat
de Menkhéperrê. Celui-ci fait face aux dernières séquelles de la
guerre civile qui avait enflammé Thèbes autour du pouvoir montant
des Grands Prêtres : il bannit des opposants dans les oasis du
désert occidental, qui devaient être plus ou moins sous le contrôle
de chefs libyens, puis les amnistie sur décret oraculaire d'Amon
(Stèle Louvre C 256). Cette amnistie marque le début de concessions
faites par le pouvoir royal aux grandes familles thébaines du
clergé, choquées de se voir dépouiller de leurs prérogatives par la
lignée de Hérihor, qui, après tout, n'était faite que d'immigrés
libyens ! On trouve une confirmation de cette volonté d'apaisement
dans le fait que sous le pontificat de Pinedjem II la famille du
Grand Prêtre n'accapare plus les charges cléricales comme elle le
faisait au temps de Pinedjem Ier, même
si les femmes de la tribu accumulent des bénéfices qui, ajoutés à
l'ensemble de ceux détenus par leurs parents, doivent représenter
environ un tiers des terres de Haute-Égypte (Kitchen : 1986,
275-277). La mesure d'apaisement prise par Menkhéperrê semble
amener un certain retour au calme dans le pays, que confirme
l'envoi à Tanis d'objets funéraires sauvés du pillage des tombes
royales en Thébaïde pour servir aux souverains de la XXIe dynastie.
Thèbes et Tanis
En 1040-1039, Psousennès Ier, « l'Étoile apparue à la Ville », réalise à
travers sa personne la synthèse religieuse et politique du pays. Il
affirme nettement son appartenance thébaine : il est l'Horus «
Taureau Puissant couronné à Thèbes », et son nom de nebty le dit
« Grand constructeur dans Karnak » — ce qui est exact : en l'an 40
de son règne, le Grand Prêtre Menkhéperrê fait une inspection des
temples de Karnak qui a pour conséquence la construction, huit ans
plus tard, d'un mur d'enceinte au nord du temple d'Amon pour le
protéger (déjà !) de l'envahissement par les maisons d'habitation
toutes proches. La même mesure a probablement été appliquée au même
moment à Louxor. Psousennès Ier
consolide d'ailleurs ses liens avec le clergé d'Amon en mariant sa
fille Asetemkheb au Grand Prêtre Menkhéperrê. Lui-même, comme ses
successeurs, exerce le pontificat d'Amon à Tanis. Mais il se
réclame aussi de la succession de Ramsès XI en se faisant également
appeler « Ramsès-Psousennès », et est l'un des grands bâtisseurs du
temple consacré à Tanis à la triade formée par Amon, Mout et
Chonsou, dont il construit l'enceinte.
Sans doute ne se limita-t-il pas à l'enceinte, si
l'on en croit quelques traces de remplois de monuments antérieurs,
mais l'état du site ne permet pas d'en savoir plus. On ne sait pas
non plus quelle part il a pu prendre à l'édification de la ville,
qui n'a pas encore été dégagée.
Le site de Tanis a été relevé à la fin du
XIXe siècle par Fl. Petrie. Dès sa
découverte, il avait été mis en relation avec la capitale hyksôs, à
cause des nombreux monuments en provenant que l'on pouvait
rattacher à cette époque, mais aussi avec Pi-Ramsès, Ramsès II y
étant plus qu'abondamment représenté. Le principal fouilleur du
site, P. Montet, qui y travailla de 1929 à 1940, puis de 1946 à
1951, défendit longtemps cette double équivalence entre Avaris,
Tanis et Pi-Ramsès, malgré des découvertes essentiellement en
rapport avec les époques postérieures. Les recherches actuelles,
menées depuis une vingtaine d'années par J. Yoyotte, puis par Ph.
Brissaud ont essentiellement porté sur l'analyse stratigraphique du
tell sur lequel est construit le site, ce qui a d'ailleurs permis
de mettre en évidence une réelle occupation à l'époque ramesside
(Yoyotte : 1987, 25-49).
L'interprétation historique de Tanis n'est pas
facile. À la présence au sol de monuments d'époque hyksôs et
ramesside s'ajoute la destruction de pratiquement tous les
matériaux en calcaire du site par les chaufourniers. Toutefois les
dépôts de fondation permettent d'attribuer à Psousennès
Ier l'enceinte et le noyau du grand
temple. La porte monumentale orientale et l'essentiel des
constructions d'Amon datent de la XXIIe
dynastie. Il en va de même du temple de Chonsou, au nord de celui
d'Amon, auquel il est perpendiculaire : il ne reste rien des
constructions de Psousennès Ier,
seulement des blocs provenant des embellissements apportés par
Chéchonq V et réutilisés plus tard dans la maçonnerie du lac sacré
voisin. Le temple de Mout, implanté au sud du site probablement par
Psousennès Ier de façon à parfaire le
parallélisme avec Karnak, n'a pas non plus gardé de trace de son
premier état, mais uniquement des remaniements dont il a été
l'objet. L'œuvre des rois de la XXXe
dynastie, qui furent aussi grands constructeurs à Tanis qu'à
Karnak, puis celle des Lagides contribue à estomper celle des
fondateurs du temple : le remaniement qui fut fait alors des trois
temples et de celui d'Horus de Mésen auquel avait travaillé Siamon
remodelèrent complètement le site.
Psousennès Ier se fait
construire une tombe au sud-ouest de l'enceinte, dans laquelle P.
Montet a trouvé, outre sa momie et son mobilier, ceux de son épouse
Moutnedjmet. Un caveau avait été aménagé également pour le prince
héritier Ankhefenmout et un haut dignitaire, Oundebaounded, qui
cumulait de hautes charges religieuses et la fonction de général en
chef des armées. Pour quelque obscure raison, le successeur de
Psousennès Ier, Aménémopé, ne se fit
pas enterrer dans le caveau qui avait été préparé pour lui mais
dans celui de Moutnedjmet. Osorkon Ier
enterra dans cette même tombe Héqakhéperrê Chéchonq II. À
proximité, P. Montet a encore trouvé la tombe d'Osorkon II et de
son fils Hornakht, ainsi que celle de Chéchonq III, qui contenait
également les restes de Chéchonq Ier.
Ces sépultures, en partie pillées, ont jeté un jour nouveau sur
l'histoire des rois tanites.
La passation de pouvoir a lieu à peu près en même
temps à Thèbes et à Tanis : Smendès II succède à son père
Menkhéperrê avant la mort de Psousennès Ier, puisqu'il envoie à l'occasion de celle-ci des
bracelets que P. Montet a retrouvés dans le mobilier funéraire du
roi. Il est probablement âgé lorsqu'il prend la charge de Grand
Prêtre : il cède la place au bout de deux ans à son jeune frère
Pinedjem II. À Tanis, Aménémopé succède à Psousennès Ier, qui est peut-être son père. Il règne à peine
dix ans, et sa tombe, moins riche que celle de son prédécesseur,
trahit un pouvoir moindre, même s'il reste incontesté à Thèbes. Son
successeur, Aakhéperrê Sétépenrê, probablement le premier Osorkon
(Osochor), est peu connu. Il n'en va pas de même de Siamon, qui est
l'une des figures illustres de la XXIe
dynastie, même si c'est sous son règne que se produisit le dernier
grand pillage de la nécropole thébaine qui conduisit le Grand
Prêtre d'Amon à réensevelir les momies royales dans la tombe
d'Inhâpy. Il construit à Tanis : il double le temple d'Amon et fait
des travaux dans celui d'Horus de Mésen, transfère les restes
d'Aménémopé dans le caveau de Moutnedjmet. Il travaille aussi à
Héliopolis, peut-être à Pi-Ramsès (Khâtana) où son nom apparaît sur
un bloc. Plus intéressant est de voir qu'il fait ériger à Memphis
un temple à une forme secondaire d'Amon. Ce temple est d'une
facture classique que l'on retrouve dans le petit sphinx de bronze
niellé d'or du Louvre à l'effigie du roi (E 3914 = Paris: 1987,
164-165). Il favorise également le clergé memphite de Ptah, mais
son activité se limite à la Basse-Égypte : il n'apparaît que comme
éponyme sur quelques monuments thébains.
Sous son règne, l'Égypte retrouve une politique
extérieure plus dynamique. On ne dispose en effet d'aucune
attestation égyptienne concernant la politique étrangère des rois
antérieurs de la XXIe dynastie, et pour
cause ! La situation décrite dans le Rapport
d'Ounamon n'avait aucune raison de s'améliorer. La
principale source non égyptienne dont on dispose est la Bible. La
période qui va de la fin du règne de Psousennès Ier au milieu du règne de Siamon correspond à la
fédération des tribus autour du royaume de Jérusalem par David et
donc au combat contre les Philistins. L'Égypte n'intervient au
départ dans ces luttes que d'une façon très indirecte : en
accueillant le prince héritier d'Édom, Hadad, lorsque David
conquiert son royaume. Hadad épouse une princesse égyptienne et son
fils Genoubath est élevé à la Cour d'Égypte. À la mort de David,
Hadad retourne dans son royaume. On peut tout au plus induire de ce
fait que l'Égypte avait conservé certaines relations historiques
avec ses anciens vassaux.
Au moment où Salomon succède à David, l'Égypte
intervient à son tour contre les Philistins en prenant et en
ravageant Gezer. Cette campagne est relatée dans le Livre des Rois (1R9,16) et trouve peut-être un écho
dans un relief de Tanis montrant une scène de massacre rituel des
ennemis (Kitchen : 1986, 281). La raison de cette intervention est
probablement d'ordre commercial : les Philistins menaçaient le
trafic avec la Phénicie. Siamon a manifestement profité à la fois
de leur affaiblissement à la suite des guerres menées par David et
de la période de flottement provoquée par la succession en Israël
pour intervenir le premier, avant que les redoutables forces mises
en place par David n'écrasent les Philistins et imposent leurs
conditions aux marchands égyptiens. Cette nouvelle alliance, dans
laquelle les deux partenaires trouvaient qui un débouché commercial
assuré, qui une frontière méridionale sûre, fut consacrée par un
mariage. Mais l'union, signe des temps, se fit cette fois dans un
sens nouveau pour les Égyptiens : c'est Salomon qui épouse une
Égyptienne, ouvrant une tradition de mariages non royaux pour les
princesses de la vallée.
Les relations familiales qui unissent Siamon à
Aménémopé et Osorkon l'Ancien ne sont pas établies. Celles qui
l'unissent à son
successeur Psousennès II non plus : on ne saurait même pas dire si
Psousennès II est le même que le Grand Prêtre Psousennès qui
succède à Pinedjem II. Dans ce dernier cas, il faudrait en déduire
que Siamon mourut sans descendance. Psousennès II, probablement
allié par mariage à la famille royale, est le dernier représentant
de la XXIe dynastie, qui s'éteint
peut-être dans un relatif dénuement à Tanis (Yoyotte : 1987, 64,
mis en doute par A. Dodson, RdE 38
(1988), 54) : le pouvoir échoit à sa mort à la lignée des grands
chefs des Mâchaouach, dont le règne de Chéchonq l'Ancien avait
annoncé la montée. La domination libyenne commence.

Fig. 151. Tableau chronologique sommair

Les Libyens
Lorsque Chéchonq Ier
monte sur le trône, il est déjà l'homme fort du pays : général en
chef des armées et conseiller du roi, il est aussi son gendre
puisqu'il a épousé sa fille, Maâtkarê. Avec lui commence une
nouvelle ère : celle des chefs libyens, qui va redonner au pays
pendant quelques générations une puissance bien oubliée depuis
Ramsès III, avant de s'éteindre dans les nouvelles luttes
intestines qui ravagent le pays à partir du règne de Chéchonq III.
D'emblée, Chéchonq Ier se réclame de la
dynastie précédente, toujours selon le même schéma : il adopte une
titulature décalquée sur celle de Smendès Ier. Lui-même est originaire d'une chefferie
libyenne
installée à Bubastis, ce que ne manquent pas de souligner les
annales thébaines des pontifes d'Amon qui le désignent comme «
Grand Chef des Mâ(chaouach) », montrant par là une répugnance
évidente à reconnaître son autorité. Il pratique la même politique
que Pinedjem Ier autrefois en faisant
de son fils Ioupout le Grand Prêtre d'Amon en même temps que le
général en chef des armées et le gouverneur de Haute-Egypte : le
lien entre les trois charges assure celui du temporel et du
spirituel. Il lui adjoint au moins un autre de ses fils (?),
Djedptahiouefânkh comme troisième prophète et Nésy, le chef d'une
tribu alliée, comme quatrième prophète d'Amon. Il mène aussi une
politique d'alliance par mariages en donnant une de ses filles au
successeur de Djedptahiouefânkh, Djeddjéhoutyiouefânkh. Ce mariage,
et d'autres, renforcent les relations entre les deux pouvoirs, ce
qui n'empêche pas le prudent Chéchonq Ier de ménager un contre-pouvoir en Moyenne-Égypte
en donnant à son autre fils, Nimlot, le commandement militaire
d'Hérakléopolis, qui est plus que jamais le lieu stratégique
commandant les échanges entre les deux royaumes.

Fig. 152. Généalogie de la XXIIe dynastie.
Au retour de sa campagne victorieuse de Palestine
de 925, le roi entreprend un programme de construction ambitieux
dans le temple d'Amon-Rê de Karnak. Il en donne le détail sur une
stèle érigée à l'occasion de la réouverture des carrières du Gebel
el-Silsile en 924. Son fils, le Grand Prêtre Ioupout, dirige les
travaux : il fait aménager la cour en avant du IIe pylône, lui donnant l'aspect que nous avons
décrit plus haut. Sur le mur extérieur du portail sud de la cour
ainsi créée, il représente le triomphe de l'Égypte sur les deux
royaumes juifs de Juda et d'Israël, qu'il rappelle également par
une stèle triomphale affichée dans Ipet-sout, à proximité des Annales de Thoutmosis
III. Le rapprochement ainsi suggéré n'est pas pure vantardise : la
« salle des fêtes » bâtie par Chéchonq Ier pour Amon témoigne elle aussi d'une renaissance
spectaculaire à l'échelle du Proche-Orient d'alors.
Chéchonq Ier avait en
effet tiré profit de la politique extérieure de Siamon en renouant
avec Byblos, débouché traditionnel du commerce égyptien. Une statue
de lui consacrée par le roi Abibaal dans le sanctuaire de
Baalat-Gebal est peut-être la marque d'un traité plus économique
que militaire. Les relations avec le royaume de Jérusalem, en
revanche, se détériorent, et les deux États entrent en compétition
au moment où le pouvoir de Salomon est remis en cause par la
révolte de Jéroboam, auquel le prophète Ahiyya promet la royauté
sur Israël. Chéchonq accueille Jéroboam jusqu'à la mort de Salomon
(1R14,25). À la mort de ce dernier, vers 930, Jéroboam rejoint ses
partisans et fonde le royaume d'Israël, qui se sépare de celui de
Juda, dirigé par le successeur de Salomon, Roboam. Les forces des
Hébreux étant divisées entre Samarie et Jérusalem, Chéchonq
Ier prend prétexte d'incursions de
Bédouins dans la zone des Lacs Amers pour marcher en 925 sur
Jérusalem : de Gaza, il s'enfonce profondément dans le Néguev, fait
tomber les places fortes de Juda et s'installe face à Jérusalem,
qui décide de se soumettre et livre le trésor de Salomon (mais pas
l'Arche : Yoyotte : 1987, 66). De là, il passe en Israël, d'où
Jéroboam, comprenant un peu tard les buts de la politique de son
protecteur, s'enfuit au-delà du Jourdain. Une colonne le rattrape
et remonte jusqu'à Be(th-)San. L'avance égyptienne s'arrête à
Megiddo où Chéchonq Ier fait élever une
stèle commémorative. Il franchit alors le mont Carmel vers le sud
et s'en retourne par Askalon et Gaza : L'Égypte est redevenue pour
un temps le suzerain de la Syro-Palestine. En l'an 28 d'Osorkon, en
effet, un général kouchite, Zerah, conduit une expédition contre le
royaume de Juda (2Ch14,8-15). La date de l'an 28 d'Osorkon
Ier (897) est obtenue par
correspondance avec l'an 14 du roi Asa qui défait et poursuit
l'envahisseur. Si l'on admet que Zerah était un général
inconnu par ailleurs, envoyé par Osorkon Ier (Kitchen : 1986, 309), cette expédition
malheureuse sonnerait le glas d'une politique extérieure qui ne
reprendra que sous Osorkon II. La situation ne va probablement pas
au-delà d'une perte de suzeraineté sur le royaume de Juda : le
prince de Byblos, Elibaal, consacre à son tour une statue d'Osorkon
Ier à Baalat-Gebal (Paris : 1987,
166).
Dans les premières années de son règne, Osorkon
Ier poursuit la politique de son père
envers les domaines divins, fournissant abondamment les grands
clergés du royaume à Memphis, Héliopolis, Hermopolis, Karnak et
Bubastis, sa ville natale, où il construit ou reconstruit le temple
d'Atoum et celui de Bastet, la déesse éponyme. Il conforte
également la position créée par son père autour d'Hérakléopolis en
poursuivant les travaux commencés dans le temple d'El-Hibeh et dans
celui d'Isis à Atfih. Il fonde un camp militaire pour tenir le
passage vers le Fayoum et est aussi présent à Coptos et
Abydos.
À Karnak, il remplace dans la charge de Grand
Prêtre d'Amon son frère Ioupout par l'un de ses propres fils,
Chéchonq, qu'il prendra comme corégent vers 890. Cette mesure
renforce la légitimité de la nouvelle lignée, puisque le futur
Chéchonq II est un petit-fils de Psousennès II par sa mère,
Maâtkarê. Malheureusement pour lui, si Chéchonq fit une brillante
carrière de Grand Prêtre, il n'eut guère le temps de régner : il
mourut avant son père, à l'âge d'environ cinquante ans, alors qu'il
n'était encore que corégent. Celui-ci l'enterra à Tanis et ne lui
survécut que quelques mois, laissant le trône à un fils qu'il avait
eu d'une épouse secondaire, Takélot Ier. Celui-ci règne de 889 à 874, sans que l'on
puisse lui attribuer avec certitude le moindre monument. Son
autorité ne paraît pas être respectée par son propre frère
Iouwelot, qui remplit la charge de Grand Prêtre à Thèbes.
Curieusement même, son nom n'apparaît pas sur les documents
thébains, et il semble que seule la présence de la garnison
militaire installée par Osorkon Ier à
proximité d'Hérakléopolis empêche Iouwelot d'étendre son autorité
plus loin vers le nord. Petit à petit, l'équilibre relatif instauré
par les premiers rois tanites et repris par les bubastites se
dégrade. Le système des apanages et des alliances par mariage qui
visait à coordonner le pouvoir du Nord et celui du Sud se morcelle
: les prébendes servent à constituer des féodalités de plus en plus
autonomes qui ravivent les vieilles tendances séparatistes. Le
règne parallèle des deux petits-fils d'Osorkon Ier, les cousins Osorkon II et Harsiesis, montre
que le jeu est de moins en moins facile à mener.
L'erreur d'Osorkon II fut d'accepter qu'Harsiesis
succédât, même indirectement, à son père Chéchonq II dans la charge
de Grand Prêtre d'Amon : il créait ainsi un précédent dangereux de
transmission héréditaire, le plus grand risque que pût courir la
politique d'équilibre jusqu'ici respectée. Grâce à lui, Harsiesis
put penser suivre une carrière comparable à celle de son père, à la
différence près que ce fut lui qui se proclama roi, dès la
quatrième année de règne de son cousin. Il adopta une titulature
qui faisait de lui un nouveau Pinedjem Ier en se déclarant comme lui l'Horus « Taureau
puissant couronné à Thèbes ». Osorkon II, lui, avait établi un
programme de titulature remontant à Chéchonq Ier, reprenant à sa suite une épithète de Ramsès II
pour en faire son nom d'Horus : l'Horus « que Rê a couronné pour en
faire le roi des Deux Terres » (Grimal : 1986, 600-601)... Cette
guerre des titulatures ne donnait pas à Harsiesis plus de pouvoir
qu'il n'en avait déjà comme pontife. En revanche, elle limitait
celui d'Osorkon II qui fit changer de main le pontificat d'Amon à
la mort d'Harsiesis en installant à sa place l'un de ses fils,
Nimlot, qui jusque-là tenait la garnison d'Hérakléopolis et le
pontificat d'Arsaphès. Il pratiqua la même politique à Memphis, où
il imposa un autre de ses fils, le prince Chéchonq, comme Grand
Prêtre de Ptah au détriment de la lignée locale. À Tanis même, il
nomme Grand Prêtre d'Amon son jeune fils Hornakht qui meurt avant
d'avoir atteint dix ans. Le jeune âge de son titulaire montre
clairement la nature purement politique de cette nomination : elle
n'avait d'autre but que de regrouper autour de la famille royale
les féodalités qui existaient de fait à travers le pays.
Sous son règne, la XXIIe dynastie brille de son dernier éclat. Le roi
embellit le temple de Bastet dans sa ville de Bubastis, en en
décorant la salle hypostyle et en y ajoutant une cour des fêtes,
sur le portique de laquelle il fait représenter le jubilé qu'il
célèbre en l'an 22 (853). La célébration de cette cérémonie est
d'autant plus remarquable qu'elle est pour le moins rare dans cette
période troublée. L'étude du texte qui l'accompagne a révélé
qu'elle reproduit un modèle de la XVIIIe dynastie, illustré par Amenhotep III à Soleb.
Cette reproduction va jusqu'à évoquer une exemption fiscale
accordée pour l'occasion aux temples du pays. Que l'on reconnaisse
ou non une réalité à cette mesure, elle montre que le roi a eu
recours à un modèle classique thébain pour sa fête-sed (Kitchen : 1986, 320-322). Cela témoigne certes
des liens étroits qui unissent Thèbes et Tanis, mais aussi et
surtout de la continuité des institutions, beaucoup plus grande
qu'on ne pourrait le croire à l'énoncé des affrontements politiques
qui déchirent l'Égypte depuis deux siècles.
Osorkon II est aussi présent au moins à
Léontopolis, Memphis et Tanis, où il construit une cour en avant du
temple d'Amon, dans laquelle on a retrouvé une statue le
représentant en stéléphore : sur la stèle est écrit le texte d'une
prière qu'il adresse à Amon, lui demandant de confirmer par son
oracle la politique qu'il a mise en place (Paris : 1987, 108). À
Thèbes, il construit une chapelle et confirme les privilèges du
clergé d'Amon.
À l'extérieur de l'Égypte, la répartition des
forces est en train de changer. Osorkon II poursuit la politique
d'alliance avec Byblos de ses prédécesseurs, mais il va devoir
tenir compte du pouvoir montant de l'Assyrie. Assurnasirpal II, «
le dieu Assur est le gardien du fils aîné », est monté sur le trône
en 883. Prototype du conquérant, il étend sans cesse son empire et
rapporte dans son palais de Nimroud, à proximité de l'actuelle
Mossoul, les trophées conquis sur ses ennemis et ses rivaux avec
une cruauté complaisamment étalée :
« Je bâtis un pilier devant la porte de la ville
et j'écorchai tous les chefs qui s'étaient révoltés contre moi et
j'étalai leur peau sur le pilier. Certains d'entre eux, je les
emmurai dans le pilier, d'autres, je les empalai sur des pieux sur
le pilier, d'autres encore je les empalai sur des pieux autour du
pilier. J'en écorchai beaucoup à travers mon pays et je drapai leur
peau sur les murs (...). Je brûlai beaucoup de prisonniers parmi
eux. Je capturai beaucoup de soldats vivants. De certains, je
coupai les bras ou les mains; d'autres, je coupai le nez, les
oreilles et les extrémités. J'arrachai les yeux de nombreux
soldats. Je fis une pile de vivants et une autre de têtes. Je
pendis leurs têtes à des arbres autour de la cité... » (Roux :
1985, 257.)
Il conquiert ainsi le nord de la Mésopotamie, le
Moyen Euphrate, puis gagne la Syrie, l'Oronte et la côte
d'Amourrou. Son fils Salmanazar III, « le dieu Sulmanu est
prééminent », lui succède en 858 et règne jusqu'en 824 : il est
donc contemporain d'Osorkon II et de Takélot II. Pendant trente et
un ans, il poursuit les guerres extérieures de son père, cherchant
à conquérir définitivement la Syrie du Nord, mais en vain. En
effet, sa politique agressive réussit ce que la diplomatie
égyptienne n'était pas arrivée à obtenir. Les royaumes d'Hamath,
Damas et Israël s'allient en 853 pour faire front contre
l'envahisseur. Byblos et l'Égypte envoient chacune un contingent à
la mesure de leurs moyens respectifs : 500 et 1000 hommes. La
bataille eut lieu à Qarqar, sur l'Oronte. Salmanazar III fut
peut-être vainqueur, mais son avance était stoppée. Une nouvelle
phase de la politique extérieure égyptienne commençait : celle d'un
appui aux royaumes de Syro-Palestine, l'ultime rempart protégeant
la Vallée des appétits grandissants de l'Assyrie. Elle dura moins
de vingt ans : le temps que ces royaumes se soumettent à Salmanazar
III. Jéhu, monté sur le trône d'Israël en 841, paye tribut à partir
de cette date à l'Assyrie, qui se flatte alors de recevoir
également l'hommage de l'Égypte. En fait, Salmanazar III n'est pas
arrivé à concrétiser son avancée, et les troubles qui éclatent à la
fin de son règne, provoquant une véritable guerre civile, vont
éloigner l'Assyrie pour presque un siècle de la
Syro-Palestine.
« L'anarchie libyenne »
La succession d'Osorkon II n'est pas, elle non
plus, facile : le prince héritier Chéchonq meurt avant son père, et
c'est son frère cadet, Takélot II qui monte sur le trône de Tanis à
la mort d'Osorkon II. Son règne, qui dure à peu près autant que
celui de son père, n'a laissé que des traces minimes à travers le
pays. Il n'en va pas de même des pontifes d'Amon. Le demi-frère de
Takélot II, Nimlot, avait fait du chemin depuis son installation
par Osorkon II. Il avait en particulier réuni sous sa seule
autorité Hérakléopolis, dont il avait confié le gouvernement à son
fils Ptahoudjânkhef, et Thèbes, et marié sa fille Karoâama
Mérytmout à... Takélot II. Il se trouvait ainsi beau-père de son
demi-frère et, surtout, père du prince héritier, appelé Osorkon en
souvenir de son grand-père. Une paix relative s'installe pendant
les dix premières années du règne de Takélot II entre Tanis et
Thèbes. Le pharaon réalise même un certain nombre de mariages entre
des princesses royales et des dignitaires thébains de vieille
souche, de moins en moins enclins à accepter la mainmise de la
famille tanite sur les prébendes d'Amon.
Les hostilités éclatent à la mort du Grand Prêtre
d'Amon en titre, en l'an 11 de Takélot II. Qui allait-on choisir ?
L'un des deux fils de Nimlot, Ptahoudjânkhef d'Hérakléopolis et un
autre Takélot, ou le prétendant local, un nommé Harsiesis,
petit-fils du Grand Prêtre et « roi » Harsiesis ? Takélot II fit un
choix que ne pouvaient pas ratifier les Thébains, déjà déçus
quelque temps auparavant par la nomination d'un fils du roi,
Djedptahiouefânkh, dans la charge de Deuxième Prophète d'Amon :
celui du prince héritier Osorkon. Harsiesis pousse Thèbes à la
révolte. Ptahoudjânkhef accepte le choix de Tanis, et le prince
Osorkon le confirme dans son commandement d'Hérakléopolis. Puis il
quitte sa forteresse d'El-Hibeh pour remonter le fleuve vers
Thèbes. Il s'assure au passage de la région d'Hermopolis. Arrivé à
Karnak, il fait droit à la « plainte » du clergé contre les
révoltés. Non seulement il exécute les insurgés, mais encore il
fait brûler leurs corps, les privant ainsi de toute vie éternelle.
La révolte est matée par la force. Pendant les quatre années qui
suivent, il cherche à s'attacher le clergé thébain par des dons et
des confirmations de bénéfices, et tout semble rentrer dans
l'ordre. Mais en l'an 15, la guerre civile éclate brutalement et
Osorkon trouve pour la décrire dans les Annales qu'il a laissées à Karnak (Caminos : 1958)
des termes qui rappellent les pires temps de la Première Période
Intermédiaire et soulèvent également des problèmes de datation qui
sont loin d'être résolus (Kitchen : 1986, 542 sq.). Quoi qu'il en
soit, le conflit dure une dizaine d'années et se termine par une
réconciliation générale à Thèbes en l'an 24. Il ne s'agit que d'une
trêve : moins de deux ans après, les Thébains reprennent la lutte
et Osorkon perd pied en Haute-Égypte. Le temps pour lui de regagner
Tanis, Takélot II était mort, enterré dans un cercueil de remploi
dans l'antichambre de la tombe d'Osorkon II, et la place occupée
par son jeune frère Chéchonq III.
Cette prise de pouvoir, qui fausse le jeu de la
succession, déclenche une nouvelle querelle dynastique. Dans les
premières années de son règne, Chéchonq III paraît accepté par les
Thébains, autant parce qu'il a spolié Osorkon du trône qui lui
revenait et qui aurait dangereusement augmenté son autorité que
parce qu'il laisse manifestement le clergé de Karnak, décider
lui-même du choix du Grand Prêtre d'Amon : Harsiesis réapparaît
comme pontife en l'an 6 de Chéchonq III. Une scission se produit
pourtant. Elle vient non pas de Thèbes, mais de la famille royale
elle-même. En l'an 8, le prince Pétoubastis se proclame roi et
fonde une nouvelle dynastie à Léontopolis dans le Delta, la
XXIIIe de Manéthon, tout en se
réclamant dans sa titulature des rois de la XXIIe. Les deux pharaons vont régner concurremment,
chacun avec sa propre éponymie : la coupure n'est plus entre le
Nord et le Sud, mais dans le Delta même. Le clergé d'Amon reconnaît
très rapidement le nouveau pharaon, dès l'an 12 de Chéchonq III au
moins, et accueille en son sein deux de ses fils. Le prince
Osorkon, quoique dépouillé par son frère, est le seul à mentionner
encore son nom. Il n'a d'ailleurs pas dit son dernier mot.
Apparemment réconcilié avec Chéchonq III, il récupère le pontificat
d'Amon l'année où Pétoubastis institue son fils (?) Ioupout
Ier corégent — une corégence qui ne
durera probablement pas plus de deux ans, Ioupout Ier s'éteignant avec son père : en l'an 22 de
Chéchonq III (15 de Pétoubastis), c'est-à-dire 804 avant notre ère.
Harsiesis le lui reprend en l'an 25 de Chéchonq III avant de
disparaître définitivement en l'an 29. Osorkon est alors maître du
terrain pour une dizaine d'années. Les mêmes difficultés étaient
survenues entre-temps à Hérakléopolis, où le pouvoir change de
mains à la mort de Ptahoudjânkhef, peut-être jusqu'en l'an 39 de
Chéchonq III : Hérakléopolis est alors gouvernée par un jeune frère
de l'inusable prince Osorkon, le général Bakenptah... Dans le
Delta, Chéchonq III, appuyé par son lignage memphite, reste plus
puissant que son concurrent de Léontopolis comme le montre son
œuvre à Tanis : la porte monumentale du temple d'Amon qui commémore
peut-être sa fête-sed, bien qu'aucun
texte ne vienne confirmer cette hypothèse, et aussi la tombe qu'il
s'est aménagée dans la nécropole royale. Il construit également à
Mendès, Mostaï et jusqu'à Memphis.

Fig. 154. Carte politique du Delta vers l'an 800
(d'après Kitchen : 1986, 346).
Son autorité ne semble guère toutefois dépasser la
branche de Damiette, à condition même d'y inclure le fief inféodé
d'Athribis. Dans le Delta central, celui de Bousiris lui rend
hommage, ainsi que Saïs et Bouto. Au-delà de la branche de Rosette,
tout l'Ouest est tenu par les Libyens. Lorsqu'il meurt, en 773,
après cinquante-trois ans de règne, la situation dans le Delta est
assez confuse. À Léontopolis, Chéchonq IV a succédé en 793 à
Pétoubastis Ier, mais son règne a été
éphémère. Osorkon III lui succède en 787 : il est donc contemporain
des treize dernières années de Chéchonq III et règne jusqu'en 759.
Son autorité est reconnue par la chefferie Mâ de Mendès,
c'est-à-dire par son voisin immédiat.
Il apparaît également à Memphis, et il est plus
présent que Chéchonq III en Moyenne-Égypte. À Hérakléopolis, la
lignée alliée de la dynastie tanite est encore en place dans les
premières années de Chéchonq V, c'est-à-dire vers 766 av. J.-C.
Mais Osorkon III arrive à la supplanter en installant son fils
Takélot. Il parvient peut-être aussi à mettre en place un « roi »
d'Hermopolis qui serait le Nimlot que soumettra Pi(ânkh)y plus de
trente ans plus tard.
La XXIIe dynastie joue
un rôle de plus en plus réduit en Thébaïde, où Osorkon III arrive à
ce que son fils Takélot cumule la charge de Grand Prêtre avec son
commandement d'Hérakléopolis : la XXIIIe dynastie a reconstitué, au moins en apparence,
l'alliance entre Thèbes et la capitale politique. De fait, le
clergé d'Amon, le Grand Prêtre à part, semble solidement tenu par
des Thébains.
En 765/764, Osorkon III associe au trône son fils,
le Grand Prêtre Takélot. Il meurt six ans plus tard, et Takélot III
règne seul très peu de temps : un an ou deux, sa date la plus
basse, l'an 8, se situant vers 757. Son concurrent de Tanis est
alors Chéchonq V qui a succédé en 767 à son père, l'éphémère Pimay.
Il règne jusqu'en 730 et son autorité ne dépasse guère Tell
el-Yahoudiyeh. À Tanis, il construit un temple à la triade
amonienne au nord-est de l'enceinte d'Amon, sans doute à
l'emplacement du futur lac sacré. Il y aménage un édifice jubilaire
que l'on peut donc dater de sa trentième année.
Au cours de son règne, la situation évolue dans le
Delta occidental. Vers 767 se constitue à Saïs une chefferie Mâ,
dirigée par un Osorkon, qui étend son pouvoir vers l'ouest au
détriment des chefs libyens, vers le nord en absorbant Bouto, et
vers le sud en direction de Memphis. À la fin de son règne et au
début de celui de son successeur, Osorkon IV, vers 730, Saïs est
gouvernée par Tefnakht qui s'est proclamé « Grand Chef des Libou et
Grand Prince de l'Ouest » et dont l'autorité couvre tout l'Ouest et
la moitié du Delta central. À la mort de Chéchonq V, son fils
Osorkon IV, le dernier représentant de la XXIIe dynastie, ne gouverne que sa propre ville,
Tanis, et Bubastis, et encore : son « royaume » est coupé en deux
par la chefferie Mâ de Pharbaïtos, qui lui rend théoriquement
hommage...
Mais revenons à la XXIIIe dynastie. Takélot III est monté sur le trône, et
sa sœur Chépénoupet Ire est Divine
Adoratrice d'Amon : elle partage donc avec lui les privilèges
régaliens en Thébaïde. Elle semble même jouer plus ou moins le rôle
de Grand Prêtre que Takélot III abandonne pour gouverner le pays.
C'est ce que l'on peut déduire de leur association (avec Osorkon
III) pour la construction et la décoration de la chapelle d'Osiris
héqa-djet, « Seigneur de l'éternité »,
à Karnak. Elle est la dernière Divine Adoratrice d'origine libyenne
: la prochaine sera éthiopienne. En Moyenne-Égypte, Takélot s'est
fait remplacer à Hérakléopolis par un nommé Peftjaouaouibastet qui
épouse une fille de Roudamon, le frère de Takélot III, qui succède
à celui-ci en 757 pour un règne tout aussi bref. C'est sous le
successeur de ce dernier, Ioupout II, que Peftjaouaouibastet
adopte, comme son collègue d'Hermopolis Nimlot, une titulature
royale. Ces trois « rois » seront au nombre des adversaires du
conquérant éthiopien Pi(ânkh)y qui va mettre fin à « l'anarchie
libyenne ». De 757 à 729, Roudamon, puis Ioupout II n'ont de
pouvoir que dans leur propre royaume, Léontopolis, et à Thèbes :
Roudamon fait quelques travaux dans la chapelle d'Osiris
héqa-djet à Karnak et dans le temple de
Medinet Habou.
Lorsque le roi de Napata entreprend la conquête de
la vallée, la situation politique est à peu près la suivante.
L'essentiel des forces du Delta est aux mains de
Tefnakht de Saïs, qui a fédéré autour de lui les quatre grandes
chefferies Mâ : celles de l'ouest de la branche de Damiette,
Sébennytos et Bousiris, celle de Mendès à l'est de la même branche,
celle de Pi-Soped, enfin, au sud-est de la branche pélusiaque. Les
royaumes d'Athribis et de Tanis, dirigés par Osorkon IV, le
rejoignent, ainsi que celui de Léontopolis, sous l'autorité de
Ioupout II qui entraîne avec lui Thèbes, Hérakléopolis et
Hermopolis. Cette apparente union politique n'est due qu'au danger
venu du lointain Sud, mais elle conforte le pouvoir montant des
Saïtes, qui seront désormais les seuls rivaux des Éthiopiens.
La tradition
artistique
La conquête de Pi(ânkh)y va mettre fin à l'une des
périodes les plus confuses de l'histoire égyptienne, pour laquelle
les historiens n'arrivent pas encore à se dégager d'une masse
documentaire très fragmentaire et éparpillée, du fait même du
morcellement politique du pays. Les querelles d'éponymie entre ces
différents souverains compliquent encore la mise au point d'une
datation continue en rendant nécessaire le détour par une
prosopographie minutieuse des dignitaires de l'État à travers la
documentation funéraire et juridique, qui est loin d'être complète.
Ces trois siècles donnent ainsi l'impression d'une pagaille
indescriptible, qui n'est le reflet que du désordre politique de
l'Égypte. La civilisation elle-même conserve, dans tous les
domaines, un niveau qui n'a peut-être plus la grandeur magnifique
qu'elle avait atteint sous les Ramsès, mais qui reste d'une très
haute qualité. Le Ier millénaire avant
notre ère voit l'épanouissement des arts du métal au Proche-Orient
et tout particulièrement en Égypte. La statue de la Divine
Adoratrice Karomama, petite-fille d'Osorkon Ier, ou le bijou d'Osorkon II représentant le roi
en Osiris, protégé par Isis et Horus, font partie des chefs-d'œuvre
de l'art égyptien. Mais la distance qui sépare les rois, pour
grands constructeurs qu'ils
soient restés — du moins quand leur autorité et leurs moyens le
leur permettent —, des particuliers s'est réduite dans tous les
domaines. Nous avons vu des particuliers usurper des privilèges
régaliens : c'est aussi vrai en art, et le style adopté par les
Grands Prêtres d'Amon à Karnak se coule dans le moule
ramesside.
Inversement, les dynasties royales vont s'écarter
du modèle de la XIXe dynastie. Seuls
les Tanites y restent fidèles : pour légitimer leur pouvoir
d'abord, comme nous l'avons vu en nous attachant à certaines de
leurs titulatures, mais aussi par nécessité, au fur et à mesure que
leurs moyens diminuent. Il était en effet plus facile d'exploiter
Pi-Ramsès comme carrière de pierres que d'être soi-même
créateur. Cette référence sera abandonnée par les Saïtes et les
Éthiopiens. Les premiers ne peuvent pas se réclamer de leurs «
prédécesseurs » de Tanis et de Léontopolis. Ils doivent, comme
avant eux les fondateurs de la XIXe
dynastie, aller chercher une légitimation aux origines du pouvoir :
à la tradition héliopolitaine, dont ils reprennent le style plus
dépouillé, moins « phraséologique » que celui des Ramsès. Les
Éthiopiens, de leur côté, se veulent les dépositaires de cette même
tradition, dont ils considèrent que le sens a été dévoyé.
Ce « retour en arrière » qui marque la fin de la
Troisième Période Intermédiaire intègre un phénomène nouveau : la
montée de la piété populaire, déjà sensible à l'époque ramesside
après la nouvelle définition de la relation entre le dieu et le roi
qui suit l'époque amarnienne, et systématisée au cours de presque
trois siècles de gouvernement oraculaire. Elle se manifeste dans
les nombreux ex-votos représentant le fidèle, qu'il soit roi ou
simple particulier, dans les mêmes attitudes d'adoration. Les
textes autobiographiques adoptent un ton plus proche que par le
passé de l'hymnologie, et les rois eux-mêmes relatent les hauts
faits de leur gouvernement dans un style qui rejoint souvent celui
de l'autobiographie.