CHAPITRE IV
L'avènement de la IIIe dynastie
Paradoxalement, la IIIe dynastie est moins bien connue que les deux
premières, et l'on ne s'accorde pas toujours sur ses débuts,
dominés par la personnalité du roi Djoser. Celui-ci n'a pas été le
premier souverain; bien que les données archéologiques et celles
des listes royales prêtent à interprétation, on peut proposer avec
quelque vraisemblance la reconstitution suivante. Le premier roi de
la dynastie serait Nebka, cité dans le Papyrus Westcar. Il est
connu par Manéthon et grâce à l'existence d'un prêtre de son culte
funéraire sous Djoser. On ne peut rien dire de plus sur son règne,
en semi-lacune sur la Pierre de Palerme. Djoser et lui auraient eu
une durée de règne à peu près égale. Quel était leur lien de
parenté ? À vrai dire, on n'en sait rien : peut-être Djoser
était-il le frère ou le fils de Nebka. L'affaire se complique avec
la succession de Djoser : le Canon de Turin lui accorde dix-neuf
ans de règne et nomme après lui un certain Djoserti ou
Djoser(i)teti, inconnu par ailleurs. Or on sait depuis la
découverte par Z. Goneim à Saqqara d'une pyramide inachevée faite
sur le modèle de celle de Djoser, que ce successeur s'appelait
Sekhemkhet (Lauer : 1988, 143 sq.). Est-ce le même ? Il n'est pas
si facile d'en être sûr, dans la mesure où il se produit, à la
IIIe dynastie, un glissement dans la
titulature royale : le « nom propre », celui que devait recevoir le
prince à sa naissance et dont il faisait son nom de « roi de Haute
et Basse-Égypte » (nysout-bity) lors du
couronnement, devient le nom d' « Horus d'Or », tandis que celui de
nysout-bity tend à ne faire qu'un avec
le nom d'Horus proprement dit. Un troisième personnage vient
compliquer la question : un roi Sanakht, connu par des empreintes
de sceaux trouvées à Éléphantine, où le dégagement récent par
l'Institut Archéologique Allemand du Caire d'une ville et d'une
enceinte d'époque thinite a montré que se situait dès la
Ire dynastie la frontière méridionale
de l'Égypte. On trouve sa trace également dans une tombe de la
nécropole de Beit Khallaf, au nord d'Abydos, qui, contrairement à
ce que l'on a cru un temps, ne lui appartient pas à lui, mais à un
de ses fonctionnaires. Lui, on ne sait toujours pas où il est
enterré, bien que le lieu le plus probable soit Saqqara, à l'ouest
du complexe de Djoser, dans lequel on a retrouvé des empreintes de
sceaux portant son nom. Qu'il soit le premier ou le deuxième roi de
la IIIe dynastie, identique ou non à
Nebka, son règne n'a pas excédé, d'après Manéthon, six ans, et tout
ce que l'on peut dire de lui est que son nom apparaît encore dans
les mines de turquoise du Ouadi Maghara, dans l'ouest du Sinaï,
tout comme celui de Sekhemkhet, qui n'est, son tombeau mis à part,
guère plus connu que lui.
Djoser et Imhotep
Djoser — l'Horus Netery-Khet — est beaucoup plus célèbre à la fois
pour ses constructions, mais aussi grâce à l'historiographie
égyptienne elle-même. Il est l'une des grandes figures de
l'histoire égyptienne, entre autres pour avoir promu l'architecture
en pierre créée par son architecte Imhotep, qui devient lui-même
l'objet d'un culte à la Basse Époque. Son temps est resté lié à une
certaine image de la monarchie. C'est ce que montre un célèbre
apocryphe, une stèle que Ptolémée V Épiphane, plus de deux mille
ans plus tard, fit graver vers 187 avant J.-C. sur les rochers de
Séhel, à proximité d'Éléphantine dans la Première Cataracte. Ce
texte relate une famine qui se serait passée sous le règne de
Djoser et montre comment le roi sut y mettre fin. On y voit Djoser
se plaindre de l'état du pays :
« Mon cœur était dans une très grande peine, car
le Nil n'était pas venu à temps pendant une durée de sept ans. Le
grain était peu abondant, les graines étaient desséchées, tout ce
qu'on avait à manger était en maigre quantité, chacun était frustré
de son revenu. On en venait à ne plus pouvoir marcher : l'enfant
était en larmes; le jeune homme était abattu; les vieillards, leur
cœur était triste : leurs jambes étaient repliées tandis qu'ils
étaient assis par terre, leurs mains en eux. Même les courtisans
étaient dans le besoin; et les temples étaient fermés, les
sanctuaires étaient sous la poussière. Bref, tout ce qui existe
était dans l'affliction. »
Le roi interroge les archives, y apprend l'origine
de la crue et le rôle dans la montée des eaux de Chnoum, le bélier
seigneur d'Éléphantine. Il lui fait offrande, et le dieu lui
apparaît en songe pour lui promettre :
« Je ferai monter pour toi le Nil; il n'y aura
plus d'années où l'inondation manquera pour aucun terrain : les
fleurs pousseront, ployant sous le pollen. » (Barguet : 1953, 15 et
28.)
Si Ptolémée V Épiphane se dissimule sous les
traits de Djoser pour relater la façon dont il parvint à combattre
les effets pernicieux combinés de la révolte des successeurs
d'Ergamène et de la famine, c'est qu'il voit en lui le fondateur du
pouvoir memphite. Il se réclame ainsi des origines de la tradition
nationale, selon une démarche souvent illustrée : celle du roi
lettré et pieux qui n'hésite pas à se plonger dans les sources de
la théologie et de l'Histoire pour retrouver les fondements
cosmologiques et les grands modèles du passé. Djoser et Imhotep en
sont.
Ils sont tous deux plus connus par leur légende
que par des données historiques proprement dites. On n'a pu
identifier le premier avec Netery-Khet que grâce aux graffitis des
touristes qui ont visité sa pyramide dans l'Antiquité ou à des
sources comme cette Stèle de la Famine,
qui confirme l'importance politique de Memphis sous son règne.
Curieusement, dans ce couple du roi et de son serviteur, c'est le
serviteur qui est le mieux connu, et a même été l'objet d'un culte
populaire. On considère qu'il a vécu jusque sous le règne de Houni,
c'est-à-dire presque jusqu'à la fin de la dynastie. Son rôle n'a
jamais été celui d'un homme politique : on ne lui connaît comme
fonctions que celles de grand prêtre d'Héliopolis, prêtre-lecteur
et architecte en chef. C'est cette dernière qui l'a rendu célèbre,
mais l'image qui a survécu de lui montre qu'il a de très bonne
heure été considéré comme la figure la plus marquante de son temps.
Au Nouvel Empire, la littérature le donne comme patron des scribes,
non pour ses qualités d'écrivain, mais en tant que personnification
de la sagesse, donc de l'enseignement dont celle-ci est la forme
principale. Cette aptitude plus intellectuelle que littéraire
témoigne des fonctions qui étaient probablement les siennes auprès
de Djoser. C'est en effet pour ses qualités de conseiller avisé,
qui sont les mêmes que celles que la religion reconnaît au dieu
créateur de Memphis, que le Canon de Turin fait de lui le fils de
Ptah : première étape d'une héroïsation qui le conduira à devenir
un dieu local de Memphis, pourvu d'un clergé et d'un mythe propres,
aux termes duquel il est essentiellement un intermédiaire des
hommes dans les difficultés de la vie quotidienne, spécialisé dans
les problèmes médicaux. Les Grecs retiendront cette spécialisation
de l'Imouthès memphite en l'assimilant à Asclépios, et son culte,
répandu sous l'Empire d'Alexandrie à Méroë en passant par Philae où
il possède un temple, survivra à la civilisation pharaonique dans
la tradition arabe, justement à Saqqara, où l'on peut supposer que
se trouve son tombeau. Djoser, par contre, n'a pas été divinisé. Sa
pyramide a suffi à assurer son immortalité en lançant une nouvelle
forme architecturale qui sera adoptée par tous ses successeurs,
jusqu'à la fin du Moyen Empire.
La fin de la IIIe
dynastie
La fin de la dynastie n'est guère plus claire que
le commencement, et l'on a du mal à faire correspondre les données
fournies par les listes royales et celles de l'archéologie. En
l'absence de documents explicites, ces dernières suggèrent un ordre
de succession fondé sur l'évolution architecturale de la sépulture
royale. On a découvert, en effet, sur le site de Zaouiet el-Aryan,
à mi-chemin entre Gîza et Abousir, deux sépultures pyramidales,
dont la plus méridionale, que l'on appelle communément la pyramide
« à tranches », s'inspire nettement de celles de Sekhemkhet et de
Djoser à Saqqara.
Probablement inachevé, ce tombeau est attribuable,
au vu d'inscriptions sur vases, à l'Horus Khâba, inconnu par
ailleurs, et que l'on a rapproché du roi Houni, cité, lui, par la
liste royale de Saqqara et le Canon de Turin, qui lui accorde 24
ans de règne, à placer donc dans le premier quart du
XXVIe siècle avant notre ère. Sa
position de dernier roi de la dynastie est confirmée par un texte
littéraire composé, si l'on en croit les miscellanées ramessides,
par le scribe Kaïres. Il s'agit d'un Enseignement, fictivement destiné à un personnage
contemporain du roi Téti, dont il fut le vizir et à proximité de la
pyramide de qui il est enterré à Saqqara : Kagemni. Comme Imhotep,
il était devenu dès la fin de l'Ancien Empire un personnage
légendaire auquel on prêtait une carrière commencée dès le règne de
Snéfrou. Le texte conclut en effet ainsi :
« Alors, la Majesté du roi de Haute et
Basse-Égypte Houni vint à mourir, et la Majesté du roi de Haute et
Basse-Égypte Snéfrou fut élevée à la dignité de roi bienfaisant
dans ce pays tout entier. Alors, Kagemni devint maire et vizir. »
(P. Prisse 2,7-9.)
Si Houni est bien le dernier roi de la
IIIe dynastie, il reste à trouver une
place à l'autre constructeur de Zaouiet el-Aryan, que des graffitis
identifient comme l'Horus Nebka(rê) ou Néferka(rê) : l'architecture
de sa pyramide le rattache à la IIIe
dynastie, ou, en tout cas, à un retour au style de cette époque;
mais est-ce suffisant pour voir en lui le Nebkarê de la liste de
Saqqara, c'est-à-dire le Mésôchris de Manéthon — en tout état de
cause, un prédécesseur d'Houni ?
Comme on le voit, on est encore loin de pouvoir
décrire de façon satisfaisante l'histoire de cette dynastie, et il
n'est pas impensable que des recherches archéologiques à venir
permettent de mieux comprendre son enchaînement. On ne sait pas
plus pour quelle raison s'est produit un changement de dynastie,
dont la marque la plus tangible est le déplacement de la nécropole
royale vers le sud, de Zaouiet el-Aryan à Meïdoum et Dahchour,
avant un retour vers le Nord à partir de Chéops.
Snéfrou
Meresânkh, la mère de Snéfrou, le fondateur de la
nouvelle dynastie, n'était pas de sang royal; sans doute était-elle
une
concubine de Houni, mais rien ne permet de l'affirmer. Si tel a été
le cas, son fils a épousé une de ses demi-sœurs, Hétephérès
Ire, la mère de Chéops, elle-même fille
d'Houni, de façon à confirmer par le sang la légitimité de son
pouvoir. Cette filiation donne le ton de la complexité des
généalogies de la IVe dynastie, dont
une étude même sommaire montre la profonde implication de la
famille royale dans le gouvernement du pays.
Comme ses prédécesseurs de la IIIe dynastie Djoser et Nebka, Snéfrou est demeuré
une figure légendaire dont la littérature a conservé une image
débonnaire. Il est même divinisé au Moyen Empire, devenant le
modèle du roi parfait dont se réclament des souverains comme
Amenemhat Ier au moment où ils
cherchent à légitimer leur pouvoir. Cette faveur, qui se doublait
certainement d'une grande popularité dont témoigne l'onomastique,
alla même jusqu'à la restauration de son temple funéraire de
Dahchour. Les sources ne manquent pas pour décrire son règne, qui a
dû être long — une quarantaine d'années au plus — et glorieux. La
Pierre de Palerme laisse entendre qu'il fut un roi guerrier : il
aurait mené une expédition en Nubie pour mater une « révolte » dans
le Dodékaschoène, dont il aurait ramené 7 000 prisonniers, ce qui
est un chiffre énorme, si l'on pense que cette zone, qui recouvre
approximativement la Nubie égyptienne, comprenait, il y a une
trentaine d'années, environ 50 000 habitants. Cette campagne aurait
également rapporté le nombre très élevé de 200 000 têtes de bétail,
auxquelles il faut ajouter 13 100 autres qu'il ramena, toujours
selon la même source, d'une campagne menée contre les Libyens,
parmi lesquels il fit en même temps 11000 prisonniers. Ces
campagnes militaires étaient plus que de simples rezzou contre des peuplades insoumises : depuis les
premiers temps de l'époque thinite, la Nubie était pour l'Égypte un
réservoir de main-d'œuvre autant pour les gros travaux que pour le
maintien de l'ordre, les populations du désert oriental — les
Medjaou et, plus tard, les Blemmyes — fournissant l'essentiel des
forces de police du royaume. Il s'y ajoutait, bien entendu, le
souci de garder la main sur le transit caravanier des produits
africains comme l'ébène, l'ivoire, l'encens, les animaux exotiques
— girafes et singes dont la vogue va aller croissant tout au long
de l'Ancien Empire —, les œufs d'autruches, les peaux de panthères,
etc. Mais il en allait aussi du contrôle des lieux de production de
certains biens importés, comme l'or, qui était exploité dans tout
le désert de Nubie, du sud-est du Ouadi Allaqi au Nil, ou la
diorite à l'ouest d'Abou Simbel.
C'est ce dernier souci qui présidait aux campagnes
que menèrent presque tous les rois dans le Sinaï depuis Sanakht.
Leur but n'était pas de contenir d'improbables envahisseurs venus
de Syro-Palestine, mais d'assurer l'exploitation des mines situées
à l'ouest de la péninsule, dans le Ouadi Nash et le Ouadi Maghara :
on y extrayait du cuivre, de la malachite et surtout de la
turquoise. Snéfrou ne manqua pas à la règle et conduisit une
expédition contre les Bédouins, qui reprenaient à chaque fois
possession des lieux que les Égyptiens n'exploitaient que de façon
temporaire. Sans doute établit-il solidement l'exploitation des
mines, si l'on en croit sa popularité toujours vivace dans le Sinaï
au Moyen Empire. Cet état de guerre larvé avec les populations
nomades n'empêchait nullement les relations commerciales avec les
régions du Liban et de la Syrie, via la façade maritime
phénicienne. Snéfrou envoya même une expédition d'une quarantaine
de vaisseaux dans le but d'en rapporter le bois de construction qui
a toujours fait défaut à l'Égypte.
Constructeur de navires, d'un palais, de
forteresses, de maisons, de temples, il est également le seul
souverain auquel on puisse attribuer trois pyramides. Dans un
premier temps, en effet, il s'est tourné vers le site de Meïdoum,
très au sud des nécropoles de ses prédécesseurs. Là, il s'est fait
construire un tombeau encore proche de la technique utilisée pour
celui de Djoser : cette pyramide ne devait pas être loin de son
achèvement lorsque, vraisemblablement en l'an 13 de son règne, il
l'abandonna pour entreprendre à Dahchour deux nouveaux édifices,
qui devaient aboutir à la pyramide parfaite. Il est difficile de
savoir quelle a été la raison du déplacement de la nécropole royale
à Meïdoum, puis de son retour vers le Nord. Le choix de Meïdoum
voulait certainement marquer une différence par rapport à la
dynastie précédente et a dû correspondre à la première moitié du
règne. Sans doute la famille royale y avait-elle des attaches,
puisque sa branche aînée s'y est fait enterrer, en particulier
Néfermaât, qui fut vizir de Snéfrou et dont le fils, Hémiounou,
assuma la même charge sous Chéops, en qui on a parfois voulu voir
son oncle. Hémiounou, reprenant la tradition familiale inaugurée
par Nefermaât pour Houni, fut le constructeur, pour le compte de
son roi, de la grande pyramide de Gîza, ce qui lui valut l'honneur
de bénéficier d'une tombe à proximité de son œuvre et d'avoir sa
statue dans son tombeau. Un autre hôte illustre de Meïdoum est
Rahotep, dont la statue le représentant aux côtés de son épouse
Néfret est l'un des chefs-d'œuvre du Musée du Caire (fig. 33).
Chéops
Mais la nécropole par excellence de la
IVe dynastie reste le plateau de Gîza,
dominé par les pyramides de Chéops et de ses successeurs autour
desquels s'organisent les rues de mastabas des fonctionnaires et dignitaires qui font
cortège à leur maître dans l'au-delà. Curieux destin que celui de
Chéops, en égyptien Khoufou, abréviation de Khnoum-khouefoui, « Chnoum me protège ». Sa
pyramide fait de lui, depuis l'Antiquité, le symbole même du
monarque absolu, dont le récit d'Hérodote se plaît à souligner la
cruauté.
« Il n'y eut point de méchanceté où ne se porta
Chéops. Il ferma d'abord tous les temples et interdit les
sacrifices aux Égyptiens. Il les fit après cela travailler pour
lui. Les uns furent occupés à fouiller les carrières des monts
d'Arabie, à traîner de là jusqu'au Nil les pierres qu'on en tirait
et à faire passer ces pierres sur des bateaux de l'autre côté du
fleuve; d'autres les recevaient et les traînaient jusqu'à la
montagne de Libye. On employait tous les trois mois cent mille
hommes à ce travail. Quant au temps pendant lequel le peuple fut
ainsi tourmenté, on passa dix années à construire la chaussée par
où on devait traîner les pierres. (...) La pyramide elle-même coûta
vingt années de travail. (...) Chéops, épuisé par ces dépenses, en
vint au point d'infamie de prostituer sa fille dans un lieu de
débauche, et de lui ordonner de tirer de ses amants une certaine
somme d'argent. J'ignore à combien se montait cette somme; les
prêtres ne me l'ont point dit. Non seulement elle exécuta les
ordres de son père, mais elle voulut aussi laisser elle-même un
monument. Elle pria tous ceux qui la venaient voir de lui donner
chacun une pierre. Ce fut de ces pierres, me dirent les prêtres,
qu'on bâtit la pyramide qui est au milieu des trois, en face de la
grande pyramide, et qui a un phlètre et demi de chaque côté. »
(Histoires II, 124-126.)
Les Égyptiens n'ont pas gardé non plus de lui un
aussi bon souvenir que de Snéfrou, même si son culte est toujours
attesté à l'époque saïte et sa popularité grande sous la domination
romaine. C'est lui le roi qui, dans le Papyrus Westcar, se fait
raconter les histoires merveilleuses du règne de ses prédécesseurs.
Il y apparaît sous l'aspect traditionnel du souverain oriental des
légendes, plutôt débonnaire et avide de merveilleux, familier avec
ses inférieurs mais peu soucieux de la vie humaine. La construction
de son tombeau reste l'un de ses soucis majeurs : le quatrième
conte du papyrus le montre en quête « des chambres secrètes du
sanctuaire de Thot » qu'il voudrait reproduire dans son temple
funéraire. C'est pour lui l'occasion de faire la connaissance d'un
magicien de Meïdoum, un certain Djédi, « un homme de cent-dix ans
qui mange cinq cents pains et comme viande une moitié de bœuf, et
boit cent cruches de bière encore aujourd'hui ». Le mage lui révèle
que le secret qu'il veut connaître lui sera transmis... par le
premier roi de la dynastie suivante, Ouserkaf, fils aîné de Rê et
de la femme d'un prêtre d'Héliopolis ! La suite du papyrus raconte
la naissance merveilleuse des trois premiers souverains de la
Ve dynastie. Il s'interrompt avant la
fin du conte, mais l'on s'aperçoit déjà que Chéops n'a pas le beau
rôle entre la sagesse de ses prédécesseurs et la vertu de ses
successeurs. Son comportement choque même le magicien Djédi, qui le
rappelle à l'ordre lorsqu'il s'apprête à faire décapiter un
prisonnier pour le plaisir de le voir lui remettre la tête en place
en lui disant : « Non ! pas à un être humain, ô souverain mon
maître ! Il est défendu de faire une chose pareille au troupeau de
Dieu. » Il n'est d'ailleurs pas indifférent que ce mage si
respectueux de la volonté divine soit originaire de Meïdoum, comme
l'était probablement Snéfrou.
Ces textes qui mettent en scène les rois de la
IVe dynastie ont tous été écrits après
que la Première Période Intermédiaire eut remis en cause l'image
monolithique de la royauté de l'Ancien Empire : il paraît donc
logique qu'ils s'attaquent à ceux dont les constructions en sont le
symbole le plus démesuré et déforment ainsi la réalité (Posener :
1969, 13). Mais, si cela est vrai, pourquoi Snéfrou qui, plus
encore que ses successeurs, fut un bâtisseur de pyramides, est-il
épargné ?
La tradition littéraire mise à part, Chéops est
peu connu, et même, paradoxalement, nous ne possédons de lui — qui
a fait édifier le plus grand monument d'Égypte, l'une des sept
merveilles du monde — qu'une minuscule statuette en ivoire de 9 cm
de haut qui le représente assis sur un trône cubique, vêtu du pagne
chendjit et coiffé de la couronne rouge
de Basse-Égypte. Cet unique portrait, trouvé brisé en 1903 par Fl.
Petrie à Abydos, est conservé aujourd'hui au Musée du Caire. Peu de
documents fournissent des renseignements sur son règne : un
graffito dans le Ouadi Maghara montre qu'il a poursuivi l'œuvre de
son père dans le Sinaï, tandis qu'une stèle dans les carrières de
diorite situées dans le désert nubien à l'ouest d'Abou Simbel
témoigne de son activité au sud de la Première Cataracte. On ne
sait même pas combien de temps il a gouverné le pays : vingt-trois
ans pour le Canon de Turin, soixante-trois pour Manéthon.
Les héritiers de Chéops
Chéops eut deux fils qui lui succédèrent. Chacun
était né d'une mère différente. Le premier est Djedefrê (Didoufri),
qui monte sur le trône à la mort de son père. Sa personnalité et
son règne restent obscurs; on ne saurait même pas dire s'il régna
seulement huit ans, comme le note le Canon de Turin, ou plus (sans
aller jusqu'aux soixante-trois ans de Manéthon). Sa prise de
pouvoir marque pourtant un tournant indiscutable, annonciateur des
bouleversements de la fin de la dynastie. Il est le premier
souverain à porter dans sa titulature le nom de « fils de Rê » et
choisit de quitter Gîza pour Abou Roach, à une dizaine de
kilomètres au nord, où il fait construire son tombeau. Le choix de
ce site n'est pas indifférent; sans doute faut-il y voir un retour
aux valeurs antérieures à Chéops. Cette partie du plateau a déjà
été utilisée en effet à la IIIe
dynastie. De plus, Djedefrê reprend l'orientation nord-sud et un
plan rectangulaire sans doute inspiré des modèles de Saqqara. Ce
complexe, qui comportait un temple de culte, une immense chaussée
montante et un temple d'accueil qui n'a pas encore été dégagé, n'a
pas été achevé, ce qui est un des éléments qui laisse supposer que
Djedefrê a eu un règne assez court. Il a, de plus, été très
largement pillé. Mais cela n'est peut-être pas significatif : il a
été construit à l'aide de matériaux précieux comme la syénite et le
quartzite rouge du Gebel el-Ahmar qui ont dû exciter des
convoitises. C'est ainsi que E. Chassinat a retrouvé en 1901 aux
abords de la pyramide tout un lot de fragments provenant d'un
ensemble d'une vingtaine de statues de quartzite représentant le
roi, dont les plus beaux, qui sont parmi les chefs-d'œuvre de la
plastique royale de l'Ancien Empire, sont conservés aujourd'hui au
Musée du Louvre.
La place de Djedefrê dans la famille royale, en
particulier ses liens avec son demi-frère Chéphren qui lui succède,
ne sont pas clairs. On ne connaît pas le nom de sa mère, mais on
sait qu'il a probablement épousé sa demi-sœur, Hétephérès II, qui a
été également l'épouse de Kaouâb. Celui-ci fut prince héritier de
Chéops, mais mourut avant son père, non sans avoir été son vizir.
On connaît sa tombe, l'une des toutes premières du cimetière
oriental de la pyramide de son père et l'on sait que sous Ramsès II
son souvenir était conservé, puisque le prince Khâemouaset fit
restaurer une statue de lui dans le temple de Memphis. De l'union
de Kaouâb et d'Hétephérès II est née la princesse Meresânkh III,
qui épousera Chéphren, tandis que Héte-phérès
II eut de Djedefrê Néferhétepès, l'une des mères « possibles »
d'Ouserkaf.
Kaouâb disparu, Djedefrê aurait été en compétition
avec son autre demi-frère, Djedefhor, dont on a retrouvé le
mastaba, inachevé et volontairement
détérioré à proximité de celui de Kaouâb. Est-ce là le signe d'une
persécution ? C'est difficile à dire. Ce n'est pas impossible, dans
la mesure où Djedefhor est le père de la reine Khentkaous, la mère
de Sahourê et Néferirkarê, qui serait donc probablement la
Redjedjet du Papyrus Westcar, celle dont le magicien Djédi annonce
à Chéops qu'elle mettra au monde, des œuvres de Rê, les premiers
rois de la Ve dynastie. On aurait donc
affaire à une lutte entre deux branches rivales. Djedefrê l'aurait
emporté sur Djedefhor, puis le pouvoir serait revenu à la branche
aînée avec Chéphren. Cette hypothèse est d'un certain poids au
regard du jugement que porte la postérité sur les fils de Chéops.
Un graffito de la XIIe dynastie trouvé
au Ouadi Hammamat inclut Djedefhor et son autre demi-frère Baefrê
dans la succession de Chéops après Chéphren. De plus, la tradition
légitimiste a fait de lui un personnage qui est presque l'égal, par
certains aspects, d'Imhotep : homme de lettres, il est l'auteur
d'un Enseignement que les élèves
apprenaient dans les écoles et dont bien des passages, devenus
proverbiaux, sont cités par les meilleurs auteurs, de Ptahhotep à
l'époque romaine; expert en textes funéraires, il a découvert dans
le sanctuaire d'Hermopolis « sur un bloc de quartzite de
Haute-Égypte, sous les pieds de la Majesté du dieu » quatre des
plus importants chapitres du Livre des Morts
: la formule du chapitre 30B, qui empêche le cœur de
témoigner contre son propriétaire, celle du chapitre 64, qui est
capitale, puisqu'elle ouvre la transfiguration, celle des « quatre
flambeaux » (137A), celle, enfin, qui confirme la gloire du défunt
dans le royaume des morts (148). Précurseur de Satni Kamoïs, c'est
lui également qui introduit le magicien Djédi dans le Papyrus
Westcar. Sa dimension quasi mythique empêche d'évaluer son rôle
historique réel : si l'on en croit les textes, en effet, il était
déjà un savant respecté sous Chéops et vivait encore sous
Mykérinos.
Avec Chéphren, c'est un retour à la branche aînée
et à la tradition de Chéops que confirment vingt-cinq ans environ
d'un règne glorieux. Il revient à Gîza pour faire édifier sa
pyramide au sud de celle de son père. Il la dote d'un temple
d'accueil en calcaire et granit, dans le vestibule duquel A.
Mariette découvrit en 1860, au milieu de divers fragments
précipités dans un puits, l'une des plus belles statues du Musée du
Caire, et dont un parallèle a récemment été découvert (Vandersleyen
: 1988) : Chéphren assis sur le trône royal protégé par le dieu
dynastique Horus qui lui enserre la nuque de ses ailes (fig. 28). La rupture n'est probablement pas aussi
forte qu'on le dit souvent. Il n'y a pas de solution de continuité
idéologique entre les deux règnes. Bien au contraire, Chéphren
poursuit dans la voie théologique inaugurée par son
prédécesseur.
Non seulement il conserve le titre de fils de Rê,
mais en plus il développe, et de façon combien magistrale,
l'affirmation de l'importance d'Atoum face à Rê, déjà soulignée par
son prédécesseur. C'est de Djedefrê en effet que date le premier
exemple connu de sphinx royal, retrouvé à Abou Roach, et, parmi les
statues trouvées par E. Chassinat que nous évoquions plus haut, la
magnifique tête qui est au Musée du Louvre appartenait probablement
à un sphinx. Chéphren fait maçonner et sculpter un bloc monumental
laissé par une excavation faite sous Chéops dans le plateau de
Gîza. Il lui fait donner la forme d'un lion assis dont la tête
reproduit son propre visage coiffé du némès. Ce sphinx à l'échelle de la pyramide qui
sera identifié au Nouvel Empire à Harmachis, représente le roi en
tant qu'hypostase d'Atoum. Sa position au pied de la nécropole
ainsi que le temple que le roi fait aménager en avant montrent sa
double valeur : Chéphren est « l'image vivante » — shesep ânkh, qui s'écrit à l'aide d'un hiéroglyphe
représentant justement le sphinx couché — d'Atoum, à la fois de son
vivant, mais aussi dans l'au-delà, une fois sa transfiguration
achevée.
De son épouse Khâmerernebti Ire, il a un fils, Menkaourê, « Stables sont les
kaou de Rê », ou, pour reprendre la
transcription d'Hérodote, Mykérinos, qui ne lui succède pas
directement. Manéthon place entre les deux Bichéris, le Baefrê, «
Rê est son ba », que nous avons trouvé
mentionné à la XIIe dynastie aux côtés
de Djedefhor et qui est probablement le même que Nebka, dont on a
mis au jour la pyramide inachevée à Zaouiet el-Aryan. Mykérinos
perd un fils, et c'est son autre fils, Chepseskaf, qui, ayant pris
sa succession, achèvera son temple funéraire et peut-être même sa
pyramide, la troisième de l'ensemble de Gîza, la plus petite, mais
aussi la seule qui était revêtue dans sa partie inférieure de
granit et de calcaire fin dans sa partie supérieure. Ces éléments
plaident, dans le doute laissé par Manéthon, en faveur d'un règne
de dix-huit ans que plutôt de vingt-huit.
Chepseskaf est le dernier roi de la dynastie. Il
épouse, sans doute pour resserrer les liens entre les deux branches
de la famille royale, Khentkaous, la fille de Djedefhor, qui est
dite dans sa tombe de Gîza « mère de deux rois de Haute et
Basse-Égypte » — selon toute vraisemblance comme nous l'avons vu,
Sahourê et Néferirkarê — et était considérée par les Égyptiens
comme l'ancêtre de la Ve dynastie. Il
ne semble pas avoir eu d'elle d'héritier, à moins que l'on doive
tenir compte de l'éphémère Thamphtis (Djedefptah) de Manéthon,
auquel le Canon de Turin accorde deux ans de règne. Il suit une
politique
religieuse différente de celle de ses prédécesseurs : s'il prend un
édit — le premier connu — pour protéger leurs domaines funéraires,
il rompt pour lui-même avec la tradition et se fait construire à
Saqqara-sud un tombeau en forme de grand sarcophage. Khentkaous,
elle aussi, paraît partagée : elle possède deux tombeaux, l'un à
Gîza, l'autre à Abousir, à proximité de la pyramide de son fils,
mais dans un style qui marque un net retour à la IIIe dynastie. Cette distance prise par rapport aux
conceptions héliopolitaines apparaît encore dans le choix par
Chespseskaf du grand prêtre de Memphis Ptahchepses comme époux pour
sa fille Khâmaât.
Ouserkaf et les premiers temps de la
Ve dynastie
La montée sur le trône d'Ouserkaf, « Puissant est
son ka », ne semble pas avoir provoqué
de bouleversements dans le pays ni dans l'administration (on
connaît des exemples de maintien dans leur poste de fonctionnaires
de la IVe dynastie, comme Nykaânkh à
Tehna en Moyenne-Égypte). D'ailleurs, il n'y a que le Papyrus
Westcar pour faire de lui un enfant de Redjedjet, donc peut-être de
Khentkaous : une tradition solide voit en lui un fils de la
princesse Néferhétepès, dont le Musée du Louvre possède un
extraordinaire buste en calcaire (Vandier : 1958, 48-49). Il serait
alors le petit-fils de Djedefrê et de la reine Hétephérès II : un
descendant de la branche cadette de la famille royale... Mais tout
dépend de l'identité du mari de Hétephérès ! On ne le connaît pas :
est-ce lui le « prêtre de Rê, seigneur de Sakhébou » du Papyrus
Westcar ? Ouserkaf se fait, en effet, construire à Saqqara-nord, à
quelque distance du complexe de Djoser, une pyramide de dimensions
modestes et aujourd'hui très ruinée, mais, dans le même temps, il
inaugure une tradition qui sera suivie par ses successeurs en
faisant édifier à Abousir un temple solaire qui devait être une
réplique de celui d'Héliopolis, la ville dont se réclame par
excellence la nouvelle dynastie. Le choix du site d'Abousir, où se
feront enterrer Sahourê, Néferirkarê et Niouserrê, est sans doute
lié au lieu d'origine même de la nouvelle famille royale, cette
ville de Sakhébou, dans laquelle on s'entend généralement pour voir
Zat elkôm, à une dizaine de kilomètres au nord d'Abou Roach, à peu
près au niveau du point où le Nil se sépare en deux branches, celle
de Rosette et celle de Damiette. Le nouvel ordre des choses est
également exprimé dans le nom d'Horus que se choisit Ouserkaf,
iry-maât, « celui qui met en pratique
Maât », l'équilibre de l'univers qu'assure le créateur :
c'est-à-dire qu'il se considère comme celui qui remet en ordre la
création. Son règne fut probablement court, plus proche des sept
ans que lui accorde le Canon de Turin que des vingt-huit de
Manéthon, et l'abandon de son culte funéraire à la fin de la
Ve dynastie montre assez son importance
relative. Il a toutefois eu une certaine activité, en particulier
en Haute-Égypte où il développa le temple de Tôd consacré à Montou,
le dieu de la Thébaïde avant d'être celui de la guerre. De son
règne également dateraient les rapports de l'Égypte avec le monde
égéen : on a retrouvé dans son temple funéraire un vase provenant
de Cythère. C'est le premier témoignage connu de ces relations,
probablement commerciales, attestées à la Ve dynastie par la présence à Dorak d'un siège
estampillé au nom de Sahourê et, dans la région, d'objets portant
les noms de Menkaouhor et Djedkarê-Izézi.
La suprématie héliopolitaine
La Ve dynastie semble
avoir ouvert l'Égypte sur l'extérieur, autant vers le nord que vers
le sud. Les reliefs du temple funéraire que le successeur
d'Ouserkaf, Sahourê, se fit construire à Abousir montrent, outre
des représentations de pays vaincus qui sont plus un lieu commun de
la phraséologie qu'un témoignage historique, le retour d'une
expédition maritime probablement à Byblos, avec des prolongements
dans l'arrière-pays syrien, si l'on en croit la présence d'ours
dans ces régions. On a prêté également à Sahourê une campagne
contre les Libyens, sur la réalité de laquelle des doutes sont
permis. Il semblerait que l'essentiel des relations qu'il a
entretenues avec les pays étrangers aient eu, comme sous le règne
d'Ouserkaf, une base économique, qu'il s'agisse de l'exploitation
des mines du Sinaï, des carrières de diorite qu'il reprend à
l'ouest d'Assouan ou d'une expédition au pays de Pount que lui
attribue la Pierre de Palerme et dont on retrouve peut-être trace
sur les reliefs de son temple funéraire.
Les Égyptiens localisaient Pount dans le « Pays du
dieu » — un nom qui désigne depuis le début du Moyen Empire les
contrées orientales. On pense qu'il devait se situer quelque part
entre l'est du Soudan et le nord de l'Érythrée. C'est un pays dont
ils importaient essentiellement de la myrrhe et, plus tard, de
l'encens, mais aussi de l'électrum, de l'or, de l'ivoire, de
l'ébène, des résines, des gommes, des peaux de léopards, etc. :
autant de produits exotiques, tous localisables en Afrique. Les
relations commerciales avec Pount sont attestées tout au long des
Ve et VIe
dynasties, surtout au Moyen Empire, où les expéditions menées pour
le compte de Montouhotep III par Hénénou, puis par d'autres pour
celui de Sésostris Ier et Amenemhat II
donnent des indications précieuses sur le chemin suivi. Ces
expéditions, parties de la région de Thèbes, gagnaient le Ouadi
Hammamat, puis embarquaient à Mersa Gawasis, où les fouilles
conjointes de l'université d'Alexandrie et de l'Organisation des
Antiquités Égyptiennes ont mis au jour il y a quelques années des
installations portuaires du Moyen Empire. Au terme d'une navigation
sur la mer Rouge dont on retrouve trace sur les reliefs que la
reine Hatchepsout, à la XVIIIe
dynastie, fit graver sur les parois de son temple funéraire de Deir
el-Bahari pour commémorer une expédition qu'elle y envoya, elles
devaient toucher terre du côté de Port-Soudan, et, de là s'enfoncer
vers l'ouest, vers le sud de la Cinquième Cataracte. Ces relations,
poursuivies au Nouvel Empire par Thoutmosis III, Amenhotep III,
Horemheb, Séthi Ier, Ramsès II et
surtout Ramsès III, s'estompent ensuite, pour ne plus relever que
du mythe à la fin de l'époque pharaonique.
Le règne des successeurs immédiats de Sahourê est
mal documenté. De la politique de Néferirkarê-Kakaï, son frère
d'après le Papyrus Westcar, on ne peut pas dire grand-chose, sinon
que c'est probablement sous son règne que fut gravée la Pierre de
Palerme. Son temple funéraire d'Abousir a livré, de 1893 à 1907, un
très important lot de papyri documentaires datant du règne d'Izézi
à celui de Pépi II. Cet ensemble était la plus importante archive
connue de l'Ancien Empire jusqu'à ce que la mission de l'Institut
Égyptologique de l'Université de Prague découvre non loin de là, en
1982, un lot encore plus riche dans un magasin du temple funéraire
de Rênéferef. L'étude des quatre trouvailles d'Abousir et de celles
du temple funéraire de Rênéferef, venues s'y ajouter ces dernières
années, complétera notre connaissance du fonctionnement des grands
domaines royaux de l'Ancien Empire.
Entre Néferirkarê et Rênéferef se situe le règne
de Chepseskarê, souverain éphémère qui n'a dû régner que quelques
mois et dont la seule trace conservée, Manéthon mis à part, est une
empreinte de sceau provenant d'Abousir. Rênéferef, en revanche, est
mieux connu, surtout depuis que la mission tchèque a entrepris de
fouiller son temple funéraire. Les découvertes faites de 1980 à
1986 ont modifié quelque peu l'image que l'on avait de ce roi, que
sa pyramide inachevée laissait supposer secondaire : en plus de la
grande trouvaille des papyri et des tablettes inscrites, les
barques de bois, les statues de prisonniers et celles du roi mises
au jour en 1985 témoignent de la grandeur de ce souverain
méconnu.
Niouserrê régna environ vingt-cinq ans. Il était
peut-être le fils de Néferirkarê dont il réutilisa pour son temple
d'accueil les constructions inachevées à Abousir. Il est surtout
connu pour le temple solaire qu'il fit édifier à Abou Gourob, le
seul entièrement en pierre qui nous soit parvenu presque complet et
dont l'architecture et les reliefs donnent une idée de ce que
devait être son modèle héliopolitain. On en a déduit que son règne
marquait l'apogée du culte solaire, ce qui est sans doute exagéré.
Il faut toutefois constater qu'un certain changement intervient
après lui : son successeur, Menkaouhor, dont on ne sait pas
grand-chose sinon que, comme Niouserrê, il entretint l'activité des
mines du Sinaï, ne s'est pas fait enterrer à Abousir.
On hésite, pour sa pyramide, qui n'a pas été
retrouvée, entre Dahchour et Saqqara-nord où il bénéficiait d'un
culte au Nouvel Empire (Berlandini, RdE
31, 3-28). Mais l'attribution de la pyramide ruinée située à l'est
de celle de Téti à Saqqara-nord à Menkaouhor se heurte à un
problème de stratigraphie difficilement surmontable : l'imbrication
dans les vestiges de son coin sud d'un mastaba de la IIIe
dynastie (Stadelmann, LÄ IV, 1219). On
ne sait pas non plus si son temple solaire, connu également par les
inscriptions, se trouvait à Abousir. Dans ce cas, il serait le
dernier à utiliser ce site, tous ses successeurs ayant ensuite
choisi Saqqara.
C'est l'époque où les fonctionnaires provinciaux
et ceux de la Cour gagnent en puissance et en autonomie, créant un
mouvement qui ne cessera de s'accentuer, minant progressivement
l'autorité du pouvoir central. On peut juger de cette ascension à
la richesse du mastaba de l'un d'eux,
Ti, qui épousa une princesse, Néferhétepès, fit carrière sous
Néferirkarê-Kakaï et mourut sous Niouserrê. Il est enterré à
Saqqara (cf. infra fig. 61). Ce « perruquier en chef de la maison
royale » avait la haute main sur les domaines funéraires de
Néferirkarê et Néferefrê. Il était également contrôleur des étangs,
des fermes et des cultures. La taille et la qualité de la
décoration du tombeau qu'il se fit aménager pour lui-même et sa
famille étaient encore hors de portée d'un simple particulier à la
dynastie précédente.
Izézi et Ounas
Izézi mène une politique qui, sans s'écarter du
dogme héliopolitain, prend ses distances avec lui. Il choisit un
nom de roi de Haute et Basse-Égypte qui continue à le placer sous
l'invocation de Rê : Djedkarê, « Stable est le ka de Rê »; mais il n'entreprend pas de temple
solaire et se fait enterrer à Saqqara-sud, plus près de Memphis
donc, à proximité du village moderne de Saqqara. Son règne est long
: Manéthon lui accorde une quarantaine d'années, chiffre que ne
confirme pas le Canon de Turin, qui ne lui en donne que vingt-huit.
De toute façon, cela représente le temps au moins d'une fête
jubilaire, attestée par un vase conservé au Musée du Louvre. Comme
Sahourê, il mène une vigoureuse politique extérieure qui le conduit
vers les mêmes partenaires : le Sinaï où deux expéditions sont
attestées à dix ans d'intervalle dans le Ouadi Maghara, les
carrières de diorite à l'ouest d'Abou Simbel — cette dernière
expédition étant évoquée par un graffito trouvé à Tômas —, et,
beaucoup plus loin, Byblos et le Pays de Pount. L'accroissement du
pouvoir des fonctionnaires continue sous son règne, et l'on voit
naître de véritables féodalités. Les vizirs qui se sont succédé
pendant ce tiers de siècle ont laissé eux aussi à Saqqara des
tombeaux qui témoignent de leur opulence, comme, par exemple,
Rêchepses, qui fut également le premier gouverneur de Haute-Égypte.
Le plus célèbre d'entre eux est Ptahhotep, dont la tradition fait
l'auteur d'un Enseignement, auquel les textes sapientiaux et royaux
feront référence jusqu'à l'époque éthiopienne.
En réalité, il faudrait parler de plusieurs
Ptahhotep, dont deux possèdent un tombeau à Saqqara, dans le
secteur au nord de la pyramide de Djoser. Le vizir de Djedkarê est
celui qui est enterré seul (PM
III2 596 sq.). Son petit-fils,
Ptahhotep Tchéfi, qui vécut jusque sous Ounas, est enterré à
proximité, dans une annexe du mastaba
d'Akhtihotep, fils du vizir et vizir lui-même (PM III2 599). C'est à lui que l'on attribue des
Maximes, qui nous sont parvenues à
travers une dizaine de manuscrits. Parmi ceux-ci, un papyrus et
trois ostraca proviennent du village d'artisans de Deir el-Médineh,
ce qui confirme l'audience de ce texte à l'époque ramesside, où il
était encore matière à enseignement dans les écoles de scribes.
L'attribution de cette œuvre à Ptahhotep ne veut pas nécessairement
dire qu'il en est l'auteur. Les plus anciennes copies datent du
Moyen Empire et ne permettent pas d'affirmer que l'original remonte
à l'Ancien Empire et, plus spécialement, à la fin de la
Ve dynastie, même si l'on sait qu'il
était déjà cité à la XIIe dynastie. La
question est d'ailleurs sans grande importance : on a attribué ces
Maximes, dont le contenu, très
conformiste, définit des règles de vie générales, à Ptahhotep,
selon toute vraisemblance parce qu'il était le symbole de ces hauts
fonctionnaires garants de l'ordre établi.
Le personnel politique et administratif reste
remarquablement stable, contrairement à la famille régnante qui
s'éteint avec Ounas, dont on suppose, sans garantie, qu'il est le
fils de Djedkarê. Le découpage de Manéthon fait de lui le dernier
souverain de la Ve dynastie, et l'on
arrête généralement à son règne la période classique de l'Ancien
Empire pour faire de la VIe dynastie le
début d'une décadence qui englobe toute la Première Période
Intermédiaire, jusqu'à la réunification des Deux Terres par
Montouhotep II. Cette coupure est doublement artificielle. D'abord
parce qu'elle n'est qu'une projection du découpage de Manéthon,
mais aussi parce qu'elle fait violence au cours de l'Histoire en
créant une rupture que l'historiographie égyptienne n'a pas perçue
comme telle. Outre le fait que l'on connaisse bon nombre de
fonctionnaires qui ont servi successivement Djedkarê, Ounas et
Téti, le premier roi de la VIe
dynastie, l'ère d'Ounas est loin de sentir la décadence ! Sous son
règne, auquel le Canon de Turin et Manéthon s'accordent pour
attribuer une trentaine d'années, l'Égypte poursuit une diplomatie
active avec Byblos et la Nubie, et le roi est connu comme
bâtisseur, à Éléphantine et surtout à Saqqara-nord, où son complexe
funéraire, restauré sous Ramsès II par le prince Khâemouaset,
témoigne d'une grandeur qui lui valut plus tard le rang de divinité
locale.
Naissance de la VIe dynastie
Même si l'Ancien Empire est à son apogée et si
aucune trace de violence n'est visible, il est probable que les
féodalités installées dans le pays faisaient peser quelque menace
sur le pouvoir central. À ce problème s'en ajoutait un autre :
l'absence d'héritier mâle. Il semblerait que la montée sur le trône
de Téti ait fourni une solution à cette double crise. Il prend en
effet comme nom d'Horus Séhétep-taoui,
« Qui pacifie les Deux Terres », ce qui laisse augurer de son
programme politique. Ce nom, en effet, sera repris au cours de
l'histoire de l'Égypte, et toujours par des rois qui ont eu à
rétablir l'unité du pays après des troubles politiques graves :
Amenemhat Ier, Apophis, Pétoubastis II,
Pi(ânkh)y... D'un autre côté, bien loin de rompre avec la dynastie
précédente, il épouse une fille d'Ounas, Ipout, qui lui donnera
Pépi Ier. Inscrit dans la lignée
légitime, il pratique une politique d'alliance avec la noblesse en
donnant sa fille aînée Sechechet à Mérérouka, qui fut son vizir,
puis le contrôleur des prêtres de sa pyramide, à proximité de
laquelle il se fit enterrer, dans l'un des plus beaux mastabas de Saqqara-nord. La pyramide que Téti se
fait édifier, la deuxième pyramide à textes après celle d'Ounas,
marque un retour à certaines traditions de la IVe dynastie. Il renoue en particulier avec les
pyramides de reines, alors qu'Ounas s'était contenté de
mastabas pour ses épouses. Celle de la
reine Khouit a disparu; mais on a retrouvé les restes d'Ipout dans
une petite pyramide élevée à une centaine de mètres au nord-ouest
de celle de son époux.
Sans doute sa politique de pacification
porta-t-elle des fruits. Son activité de législateur est attestée à
Abydos par un décret exemptant le temple de l'impôt; il est aussi
le premier souverain nommément en relation avec le culte d'Hathor à
Dendara. Surtout, signe de la bonne santé de la politique
intérieure, il poursuit les relations internationales de la
Ve dynastie : toujours avec Byblos,
peut-être avec Pount et la Nubie, en tout cas au moins jusqu'à
Tômas. Les diverses sources ne s'accordent pas sur la durée de son
règne : moins de sept mois pour le paryrus de Turin, ce qui n'est
pas plausible, trente ou trente-trois ans pour Manéthon, ce qui
paraît trop, dans la mesure où l'on n'a pas pour lui d'attestation
d'une fête jubilaire. La plus basse date connue est celle du «
sixième recensement », opération qui avait lieu en moyenne tous les
deux ans ou tous les ans et demi. Manéthon dit qu'il périt
assassiné. Voilà qui conforte l'idée de troubles civils et
constitue un second point de rencontre avec Amenemhat Ier ! Cette mort violente expliquerait le court
règne de son successeur, Ouserkarê, dont le nom — « Puissant est le
ka de Rê » — a des résonances tellement
proches de la Ve dynastie qu'on a
parfois voulu voir en lui l'un des chefs de l'opposition qui
aurait, selon Manéthon, assassiné Téti. Contrairement à ce que l'on
écrit souvent, Ouserkarê n'est pas totalement inconnu. Il n'est
certes cité que par le Canon de Turin et la liste d'Abydos, mais on
possède quelques autres documents portant son nom. L'un mentionne
une équipe de travailleurs salariés provenant du nome de Qau
el-Kébir, au sud d'Assiout, engagée pour des grands travaux, sans
doute la construction de son tombeau. Le passage à Pépi
Ier paraissant s'être fait sans heurt,
peut-être faut-il au contraire voir en lui un appui qui aurait
favorisé la régence de la reine Ipout, veuve de Téti, pour le
compte de son fils trop jeune pour accéder au pouvoir.
Pépi Ier
La longueur du règne de Pépi Ier — une cinquantaine d'années pour Manéthon et
autant pour le Canon de Turin malgré une faute de copie, en réalité
au moins quarante — laisse supposer qu'il est monté très jeune sur
le trône : dès la fin de la régence de sa mère. Il prend comme nom
d'Horus mery-taoui, « Celui qu'aiment
les Deux Terres », ce qui suppose à tout le moins une volonté
d'apaisement. Mais deux événements laissent à penser que les
difficultés évoquées plus haut devaient prendre une réalité de plus
en plus grande. Le premier est un fait difficile à localiser avec
précision dans le règne et pour lequel on ne possède qu'un seul
témoignage direct : une conspiration aurait été ourdie contre le
roi dans le harem et se serait soldée par le châtiment de l'épouse
coupable et — du moins on peut le supposer — du fils pour le
bénéfice duquel elle agissait.
Le témoignage en question est celui que nous a
laissé un officier nommé Ouni dans l'autobiographie qu'il fit
graver dans sa chapelle funéraire à Abydos. L'autobiographie est le
genre littéraire le plus ancien de l'Égypte; c'est aussi le mieux
documenté. À l'époque qui nous occupe, il s'agit d'un récit, écrit
exclusivement dans la chapelle funéraire et qui joue le même rôle
que les diverses représentations du défunt : le caractériser en
marquant à travers les étapes importantes de sa vie ce qui le rend
digne de jouir de l'offrande funéraire. Autant dire que ces textes
tiennent le plus souvent de la pièce justificative. Mais à côté du
panégyrique traditionnel qui tend à faire du bénéficiaire un modèle
d'intégration dans l'ordre de l'univers, ces textes comportent une
partie purement descriptive qui retrace sa carrière. Par la suite,
ces biographies ne se cantonnent plus dans les chapelles funéraires
: on les grave au dos de statues ou sur des stèles qui ne sont pas
nécessairement liées aux nécropoles. Elles reflètent l'évolution de
la société : loyalisme « humaniste » sous l'Ancien Empire,
individualisme traduisant la montée des pouvoirs locaux, puis
retour, au Moyen Empire, à un loyalisme plus lié à une adhésion
personnelle, — ce qui peut aller jusqu'à des formes très romancées
: le conte de Sinouhé par exemple. À
partir du Nouvel Empire, leur intérêt historique augmente, dans la
mesure où, tout en conservant les lois du genre, elles ont tendance
à se libérer des contraintes de la phraséologie pour laisser une
plus grande place à l'individu. Le mouvement s'accentue au
Ier millénaire avant notre ère pour
arriver à des compositions qui, comme chez Pétosiris, rejoignent
les ouvrages philosophiques que sont devenus les traités
sapientiaux.
Ouni, lui, a servi les trois premiers pharaons de
la VIe dynastie, et sa carrière est un
modèle du cursus des fonctionnaires, avec tous les stéréotypes que
cela implique : passage de l'administration à l'armée, puis, après
une dotation funéraire royale, aux grands travaux, de
l'exploitation des carrières au percement d'un canal à la Première
Cataracte. Le tout est exprimé dans une forme littéraire achevée,
qui ne rend pas toujours facilement perceptible la réalité des
faits :
« Il y eut un procès dans le harem royal contre
l'épouse royale grande favorite, en secret. Sa Majesté fit que je
me porte à juger seul, sans qu'il y eût aucun vizir de l'État, ni
aucun magistrat là sauf moi, parce que j'étais capable, parce que
j'avais du succès (?) dans l'estime de Sa Majesté, parce que Sa
Majesté avait confiance en moi. C'est moi qui mis (le
procès-verbal) par écrit étant seul avec un attaché de l'État à
Hiérakonpolis qui était seul, alors que ma fonction était celle de
directeur des employés du grand palais. Jamais quelqu'un de ma
condition n'avait entendu un secret du harem royal auparavant, mais
Sa Majesté me le fit écouter, parce que j'étais capable dans
l'estime de Sa Majesté plus que tout sien magistrat, plus que tout
sien dignitaire, plus que tout sien serviteur. » (Roccati : 1982,
192-193.)
Cette conspiration trouve des échos dans le
dernier tiers du règne : l'année du 21e
recensement, le roi épouse successivement deux filles d'un noble
d'Abydos, Khoui. Ces deux reines, qui reçoivent toutes deux lors de
leur mariage le nom d'Ankhenesmérirê — « Mérirê vit pour elle » —,
vont chacune lui donner des enfants. La première est la mère de
Mérenrê et de la princesse Neit, qui épousera son demi-frère Pépi
II, né, lui, de l'union de Pépi Ier et
de Ankhenesmérirê II. Il est d'autant plus tentant de lier ce
remariage à la conspiration que c'est de lui que sont issus les
successeurs de Pépi Ier, et qu'il
s'accompagne d'un changement manifeste de politique. L'alliance
avec la famille de Khoui privilégie la noblesse abydénienne au-delà
même du mariage, puisque le fils de Khoui, Djâou sera, au moins en
titre, vizir de Merenrê, puis de Pépi II, auprès duquel on suppose
qu'il a joué dans les débuts de son règne le rôle d'un tuteur. Le
choix d'une famille d'Abydos répond sans doute au désir de
s'attacher la Moyenne et Haute-Égypte dont les liens avec le
pouvoir central se relâchaient et qui jouait un rôle clef dans le
transit à la fois caravanier et fluvial entre le Sud et le Nord.
Cette position explique d'ailleurs en partie la puissance des
provinces comme celle d'Hérakléopolis à la Première et à la
Troisième Période Intermédiaire. Pépi Ier conduit également une politique de présence en
faisant mener des grands travaux dans les principaux sanctuaires de
Haute-Égypte : Dendara, Abydos, Éléphantine, Hiérakonpolis où F.
Green et J. Quibell ont découvert deux statues de cuivre,
aujourd'hui conservées au Musée du Caire, figurant, l'une, la plus
grande, Pépi Ier en taille réelle
(fig. 30) et l'autre, beaucoup plus petite,
Mérenrê ainsi associé à son père. Tous deux foulent aux pieds les
Neuf Arcs, c'est-à-dire la représentation stylisée des nations
traditionnellement soumises à l'Egypte et qui sont à la cosmologie
pharaonique plus ou moins ce que sont les Barbares pour les Grecs.
Cette affirmation du pouvoir royal, sensible également en
Basse-Égypte, avec des travaux dans le temple de Bubastis, se
double d'un retour évident aux valeurs anciennes : Pépi
Ier modifie son nom de couronnement,
Néferzahor, en Mérirê, « Le zélateur de Rê ». Il édicte également,
en l'an 21, une charte immunitaire pour la ville née du domaine
funéraire de Snéfrou à Dahchour. Sa propre « ville de pyramide »,
Mennéfer-Pépi, implantée à proximité du temple de Ptah dans la
capitale, donnera son nom, à la XVIIIe
dynastie, à la ville de Memphis tout entière.
L'expansion vers le sud
Son fils Mérenrê Ier,
« L'aimé de Rê », marque nettement ses liens avec la Haute-Égypte
en adoptant comme nom de couronnement Antiemzaf, « Anti est sa
protection », Anti étant un dieu faucon guerrier adoré du
12e au 18e
nome de Haute-Égypte et particulièrement à Deir el-Gebrawi. Le fait
qu'il soit monté jeune sur le trône confirme la date tardive du
remariage de Pépi Ier qui laissait de
ses deux épouses des héritiers en bas âge. Mérenrê meurt
rapidement, peut-être après neuf ans de règne, et son demi-frère
Pépi II, lorsqu'il lui succède, n'est âgé que de dix ans. L'état
inachevé de la pyramide qu'il se fit édifier à proximité de celle
de son père à Saqqara-sud confirme que la mort de Mérenrê a été
prématurée ; il reste toutefois hasardé de risquer un âge précis :
on a bien retrouvé dans son caveau le corps d'un jeune homme, mais
il s'agit probablement d'une réutilisation de cette tombe, qui,
étant inachevée, offrait un accès facile aux pillards et, ensuite,
à d'éventuels réutilisateurs.
Mérenrê a poursuivi la politique de son père : sur
le plan économique avec l'exploitation des mines du Sinaï et, pour
la construction de sa pyramide, des carrières de Nubie,
d'Éléphantine et d'Hatnoub où un graffito vient confirmer la
relation qu'Ouni donne de ces campagnes dans son autobiographie. Il
conserve également la même ligne politique en gardant le contrôle
de la Haute-Égypte, dont il confie le gouvernorat à Ouni. C'est
surtout hors d'Egypte que Mérenrê a déployé une activité qui fait
de son règne un moment fort de la VIe
dynastie. En Syro-Palestine, il bénéficie des campagnes menées pour
le compte de son père par Ouni, auquel ses succès valurent d'être
nommé gouverneur de Haute-Égypte :
« Sa Majesté repoussa les Aamou
qui-habitent-le-sable, après que Sa Majesté eut rassemblé une
expédition très nombreuse de toute la Haute-Égypte, au sud
d'Éléphantine, au nord du nome d'Aphroditopolis, de la
Basse-Égypte, de ses deux administrations entières (...) Sa Majesté
m'envoya à la tête de cette expédition alors que les princes, alors
que les trésoriers du roi, alors que les Amis uniques de la grande
demeure, alors que les chefs et les gouverneurs de demeure de Haute
et de Basse-Egypte (...) étaient à la tête des troupes de Haute et
de Basse-Égypte, des demeures et des villes qu'ils gouvernaient,
des Nubiens de ces régions. C'est moi qui leur fournis le plan
(...). Cette armée est revenue en paix, après avoir rasé le pays
des Habitants-du-sable. Cette armée est revenue en paix, après
avoir renversé ses villes fortifiées. Cette armée est revenue en
paix, après avoir coupé ses figuiers et ses vignobles. Cette armée
est revenue en paix, après avoir mis au feu tous ses hommes. Cette
armée est revenue en paix, après y avoir tué des troupes très
nombreuses. Cette armée est revenue en paix, [après avoir ramené de
là des troupes (?)] en grand nombre
comme prisonniers. Sa Majesté me récompensa pour cela
généreusement. Sa Majesté m'envoya cinq fois rassembler la même
expédition pour écraser le pays des Habitants-du-sable, chaque fois
qu'ils se révoltaient contre ces troupes (...). Je traversai la mer
sur des bateaux appropriés avec ces troupes, et je touchai terre
derrière la hauteur de la montagne au Nord du pays des
Habitants-du-sable, tandis que toute une moitié de ce corps
d'expédition restait sur le chemin terrestre. Je revins en arrière
après les avoir encerclés tous, de façon que tout ennemi parmi eux
fût tué. » (Roccati : 1982, 194-195.)
C'est surtout sous son règne que porte ses fruits
la politique égyptienne d'expansion en Nubie que l'on suit à
travers les inscriptions laissées par les expéditions successives à
Tômas, par où se faisait le transit entre le Nil et les pistes
caravanières permettant de contourner la Première Cataracte par
l'oasis de Dounkoul pour accéder au pays de Ouaouat.
Mérenrê y est attesté, tout comme Pépi
Ier, et l'on y retrouve mentionnés les
fonctionnaires qu'ils ont envoyés assurer la mainmise de l'Égypte
sur cette partie de la Nubie, du nord au sud de la Troisième
Cataracte. C'est avant tout un pays fertile, dans lequel se
développe la civilisation de Kerma et où naîtra plus tard celle de
Kouch, qui est à même de fournir à l'Égypte bon nombre des denrées
exotiques qu'elle allait chercher également à l'est du Nil, dans le
pays de Pount. C'est aussi le point de passage vers l'Afrique
subéquatoriale par le Darfour et le Kordofan. Si l'on en croit
trois graffiti de la région d'Assouan, Mérenrê reçut dans sa
dixième année de règne la soumission des chefs de Basse Nubie, y
compris du pays de Ouaouat.
La conquête de la Nubie passait par le contrôle
des pistes caravanières et des oasis du désert occidental qu'elles
commandaient. Horkhouef, gouverneur d'Éléphantine enterré à Qoubbet
el Hawa en face d'Assouan, entreprit trois voyages dans ce but. Il
raconte dans l'autobiographie qui décore la façade de sa tombe
comment il gagna par deux fois le pays de Iam, « par la route
d'Éléphantine » ; mais la troisième fois, il prit un autre chemin
:
« Sa Majesté m'envoya encore, pour la troisième
fois, à Iam. C'est par la route de l'Oasis que je sortis du nome
thinite, et je rencontrai le gouverneur de Iam en train de marcher
vers le pays de Tjémeh vers l'ouest. Je montai derrière lui vers le
pays des Tjémeh, et je le vainquis de façon qu'il pria tous les
dieux pour le Souverain (...) [Je descendis en Imaaou (?)], qui est
au midi de Irtjet et au fond de Zatjou, et je trouvai le gouverneur
de Irtjet, Zatjou et Ouaouat tous ensemble en une coalition. Mais
je descendis avec trois cents ânes chargés d'encens, ébène,
huile-hekenou, des grains-sat, peaux de panthère, défenses d'éléphants,
boomerangs, toutes choses belles de valeur, puisque le gouverneur
de Irtjet, Zatjou et Ouaouat voyait la force multiple des troupes
de Iam, qui descendaient avec moi à la Résidence, avec l'expédition
envoyée avec moi (...) » (Roccati : 1982, 205.)
La « route des Oasis » mène, au départ du nome
thinite, vers Kharga, puis, de là, par la « piste des quarante
jours », le Darb el-Arbaïn, vers Sélima. Elle rejoint également, au
nord de Kharga, la piste qui conduit vers l'ouest où se trouvent
les Tjéméhou en traversant Dakhla, puis Farafra. Les fouilles
récentes de l'Institut Français d'Archéologie Orientale et du Royal
Ontario Museum ont largement confirmé la colonisation de l'oasis de
Dakhla au moins au début de la VIe
dynastie sinon plus tôt. Les habitants de la vallée atteignaient la
région de Balat, à l'entrée de l'oasis, par le Darb et-Tawil dont
le débouché se situe à proximité de la ville moderne de Manfalout.
Cette colonisation s'est faite afin d'exploiter les ressources
agricoles propres de l'oasis, qui étaient loin d'être négligeables,
et aussi pour contrôler le passage du Sud à l'Ouest et au Nord
(Giddy : 1987, 206-212). Peut-être trouve-t-on d'ailleurs une
confirmation du rôle de frontière joué par l'oasis sur une poupée
d'exécration maudissant les populations de Iam retrouvée dans la
ville agricole de Balat (Grimal : 1985). Quoi qu'il en soit,
l'ouverture de l'Égypte sur l'Afrique et le cours supérieur du Nil
va se poursuivre encore sous le long règne de Pépi II, qui fut une
période brillante pour l'oasis de Dakhla. Le jeune Pépi II, à peine
monté sur le trône, puisqu'il n'a alors succédé à son demi-frère
que depuis un an, très impressionné par les voyages d'Horkhouef,
lui envoie une lettre que le courtisan n'a pas manqué de faire
figurer en bonne place dans le récit de sa vie :
« Tu as dit (...) que tu as ramené un pygmée du
pays des habitants de l'horizon à l'est pour les danses du dieu,
lequel est comme le nain que ramena le trésorier du dieu
Ourdjédedba du pays de Pount au temps d'Izézi. Tu as dit à Ma
Majesté que jamais n'a été ramené son semblable par personne
d'autre qui a parcouru Iam auparavant (...). Viens donc en bateau à
la Résidence tout de suite. Quitte les autres et amène avec toi ce
nain, que tu ramènes du pays des habitants de l'horizon vivant,
sain et sauf, pour les danses du dieu et pour réjouir le cœur du
roi de Haute et Basse-Égypte Néferkarê, qu'il vive éternellement.
S'il monte avec toi dans le bateau, place des hommes capables, qui
se tiennent autour de lui des deux côtés du bateau pour éviter
qu'il ne tombe dans l'eau. S'il dort la nuit, place des hommes
capables pour dormir autour de lui dans sa cabine. Effectue un
contrôle dix fois par nuit. Ma Majesté souhaite voir ce nain plus
que les produits des carrières de Pount. Si tu arrives à la
Résidence, tandis que ce nain est avec toi, vivant, sain et sauf,
Ma Majesté va te donner une récompense plus grande que celle donnée
au trésorier du dieu Ourdjededba au temps d'Izézi (...) » (Roccati
: 1982, 206-207.)
L'adulte saura se souvenir de l'émerveillement de
l'enfant, et Pépi II poursuivra la pacification de la Nubie, aidé
en cela par un successeur d'Horkhouef, Pépinakht, dit Héqaib — «
Celui qui est maître de (son) cœur »—, enterré lui aussi à Qoubbet
el-Hawa. Héqaib mena, outre une campagne pour récupérer le corps
d'un fonctionnaire tué en mission dans la région de Byblos où il
devait « faire construire un navire " de Byblos " [c'est-à-dire de
haute mer ?] pour se rendre à Pount », deux expéditions en Nubie.
C'est peut-être celles-ci autant que sa gestion énergique qui lui
valurent d'être divinisé très tôt après sa mort. Il reçut en effet
sur l'île d'Éléphantine un culte qui se maintint de la Première à
la Deuxième Période Intermédiaire. Ces divinisations, dont on
connaît d'autres exemples, comme celui d'Izi à Edfou, sont
caractéristiques de l'accroissement de la puissance des autorités
locales qui marque la fin de la dynastie. On peut en suivre la
trace, à Éléphantine même, à travers l'histoire de la famille du
noble Mékhou, dont le fils Sabni, puis le petit-fils Mékhou II
gardèrent la haute main sur la politique nubienne longtemps après
la disparition de Pépi II.
Vers la fin de l'Empire
L'augmentation du pouvoir des responsables locaux
est un facteur important de désagrégation de l'État, dans la mesure
où il fait d'eux de véritables potentats au fur et à mesure que le
règne de Pépi II s'étire en longueur. La politique extérieure se
fait, elle aussi, plus lourde. Le maintien de l'ordre en Nubie,
difficile à l'époque d'Héqaib, le devient encore plus pour ses
successeurs, car la civilisation de Kerma se développe au sud de la
Troisième Cataracte et commence à constituer, avec son voisin du
Nord, le Groupe-C, un bloc qui résistera à la colonisation
égyptienne jusqu'au début du IIe
millénaire avant notre ère (Gratien : 1978, 307-308).
La tradition veut que Pépi II ait gouverné le pays
pendant quatre-vingt-quatorze ans. La plus basse date connue est
celle du 33e recensement, ce qui donne
une durée de règne assurée de cinquante à soixante-dix ans environ.
De toute façon, ce qui est sûr, c'est que son règne a été très
long, trop au regard du pouvoir croissant des féodalités locales,
devenues pour la plupart héréditaires et dont on voit le luxe
s'étaler dans les nécropoles provinciales, à Cusae, Akhmîm, Abydos,
Edfou ou Éléphantine. La longévité exceptionnelle de Pépi II a eu
également pour conséquence, outre la sclérose des rouages de
l'administration, une crise de succession. La liste royale d'Abydos
mentionne un Mérenrê II, lui aussi Antiemzaf, que Pépi II aurait eu
de la reine Neit :
Ce souverain très éphémère, puisqu'il ne régna
qu'un an, serait l'époux de la reine Nitocris, qui fut, selon
Manéthon, la dernière reine de la VIe
dynastie et que le Canon de Turin mentionne juste après Mérenrê II
comme « roi de Haute et Basse-Égypte ». Cette femme, dont la
légende s'empara à l'époque grecque pour en faire la Rhodopis,
courtisane et bâtisseuse mythique de la troisième pyramide de Gîza
(LÄ IV 513-514), est la première reine connue ayant exercé le
pouvoir politique en Égypte (v. Beckerath : 1984, 58, n. 11).
Malheureusement, aucun témoignage archéologique ne vient documenter
son règne, et l'on ne sait même pas comment placer correctement son
successeur possible, Néferkarê, le fils d'Ankhesenpépi et de Pépi
II.
2700-2190 | ANCIEN EMPIRE |
---|---|
2700-2625 | IIIe DYNASTIE |
Nebka (= Sanakht ?) | |
Djoser | |
Sekhemkhet | |
Khâba | |
Néferka(rê) ? | |
Houni | |
2625-2510 | IVe DYNASTIE |
Snéfrou | |
Chéops | |
Djedefrê | |
Chéphren | |
Baefrê(?) | |
Mykérinos | |
Chepseskaf | |
2510-2460 | Ve DYNASTIE |
Ouserkaf | |
Sahourê | |
Néferirkarê-Kakaï | |
Chepseskarê | |
Rênéferef | |
Niouserrê | |
Menkaouhor | |
Djedkarê-Izézi | |
Ounas | |
2460-2200 | VIe DYNASTIE |
Téti | |
Ouserkarê | |
Pépi Ier | |
Mérenrê Ier | |
Pépi II | |
Mérenrê II | |
Nitocris |
Tableau chronologique des dynasties III-VI.
La société et le pouvoir
Ainsi se termine l'Ancien Empire : par une période
confuse, au cours de laquelle la désagrégation de l'administration
centrale s'accélère, tandis que la situation extérieure devient
d'autant plus menaçante que le pouvoir est affaibli. La montée des
particularismes locaux génère une compétition autour du trône qui
va se traduire par des affrontements entre blocs géographiques se
réclamant chacun d'une seule et même légitimité. Si la conception
du pouvoir n'a pas changé, en effet, il paraît moins inaccessible à
ceux qui n'auraient su y prétendre dans les premiers temps. Depuis
le début de la IIIe dynastie, la
monarchie a évolué sur le plan théologique, avec l'adoption des
deux nouveaux noms de la titulature : celui d'Horus d'Or, qui
apparaît avec Djoser, et surtout celui de « Fils de Rê », dont nous
avons vu que l'emploi est systématisé à partir de Néferirkarê.
L'accession au pouvoir de la Ve
dynastie montre que le fondement théocratique l'emporte sur tout
autre, au point de lier étroitement les nouveaux rois à un clergé
particulier. Cette dépendance, dont l'histoire des siècles suivants
donnera plus d'un exemple, contribue à renforcer la centralisation
du pouvoir et à constituer une société très hiérarchisée,
développée autour du roi et de la famille royale, et dont on
retrouve le modèle dans l'organisation des nécropoles autour de la
pyramide du souverain. L'inféodation des puissances provinciales,
dont le pouvoir monte au fil des générations, est obtenue par la
concession progressive de privilèges croissants qui renforcent
localement leur autorité en leur accordant une place dans la
hiérarchie nationale.
Cette politique se traduit par une inflation de
titres auliques, qui viennent souvent recouvrir d'anciennes
fonctions tombées en désuétude mais maintenues pour leur valeur
honorifique. Le procédé, qu'illustrera bien plus tard à la
perfection Louis XIV en France, est favorisé par l'accroissement du
volume de l'administration en compétences et en nombre de
fonctionnaires. Elle-même repose essentiellement sur les scribes,
qui voient leurs tâches se multiplier au même rythme que les
bureaux. Ainsi se développe toute une série de fonctions de
commandement dont il est parfois difficile de savoir la part de
réalité qu'elles recouvrent. Un exemple en est donné par le titre
de « chef des secrets » : on peut l'être, dans le désordre, « des
missions secrètes », « de tous les ordres du roi », « des décisions
judiciaires », « du palais », « des choses qu'un seul homme voit »,
« des choses qu'un seul homme entend », « de la maison de
l'adoration », « des paroles divines », « du roi, en tout lieu », «
de la cour de justice », « des mystères du ciel », etc. Les titres
purement honorifiques sont plus faciles à cerner, justement dans la
mesure où ils recouvrent des charges dont on sait qu'elles ne
correspondent plus à rien. C'est le cas de l' « Ami Unique »,
autrefois conseiller particulier du roi, devenu une désignation
générique des courtisans, du « Chef des Dix de Haute-Égypte », de
la « Bouche de Pe », du « Préposé à Nekhen » : autant de fonctions
purement symboliques. À ces titres s'ajoutent ceux qui sont
directement liés à la personne du roi — les « perruquiers », «
porteurs de sandales », « médecins », « préposés aux couronnes » et
« autres blanchisseurs » — , et les fonctions sacerdotales liées à
un dieu local ou au culte funéraire...
Au total, l'image qui se dégage de
l'administration est comparable à une pyramide, au sommet de
laquelle règne le roi, qui a, en principe, compétence sur tout,
mais ne traite dans la pratique directement que les affaires
militaires et religieuses. Pour l'essentiel, il passe par le vizir
(tjaty), dont nous avons vu apparaître
l'ancêtre à la IIe dynastie. La fonction est confiée pour la
première fois sous Snéfrou à des princes du sang : Néfermaât, puis
son fils Hémiounou, puis Kaouâb, et d'autres. Le vizir est, en
quelque sorte, le chef de l'exécutif et a compétence dans
pratiquement tous les domaines : il est « chef de tous les travaux
du roi », « chef de la maison des armes », « chef des chambres de
la parure du roi », « chancelier du roi de Basse-Égypte », etc. Il
est aussi juge, comme le montre l'intervention d'Ouni dans
l'affaire du harem de Pépi Ier, mais
toutes les affaires ne passent pas forcément par lui. À la même
époque apparaît le « chancelier du Dieu », qui est un homme de
confiance choisi directement par le roi pour mener à bien une tâche
précise : expédition aux mines ou aux carrières, voyages
commerciaux à l'étranger, direction d'un monopole royal
particulier. Pour ce faire, le « chancelier du Dieu » se voit
attribuer une troupe dont il est le général ou l'amiral s'il s'agit
d'une flotte. Signe de l'affaiblissement du pouvoir central et de
l'accroissement des besoins de l'administration, la charge de vizir
est dédoublée sous Pépi II, de façon à coiffer séparément la Haute
et la Basse-Égypte.
Du vizir dépendent les quatre grands départements
de l'administration, auxquels il convient d'ajouter
l'administration provinciale, avec laquelle il est en liaison par
l'intermédiaire de « chefs de missions ». Le premier de ces
départements est le « Trésor », c'est-à-dire, pour reprendre la
séparation originelle entre les deux royaumes qui reste maintenue
jusqu'à la fin de la civilisation, le « Double Grenier », qui est
dirigé par un « chef du Double Grenier » placé sous ses ordres. Le
Trésor gère l'ensemble de l'économie et reçoit, en particulier,
l'impôt, qui provient essentiellement du deuxième grand département
: l'agriculture, elle-même subdivisée en deux ministères. Le
premier est celui qui s'occupe des troupeaux — élevage et embouche
—, à nouveau à travers deux « maisons », confiées chacune à un
sous-directeur assisté de scribes. Le second a la charge des
cultures proprement dites : « le service des champs », présidé par
un « chef des champs » assisté par des « scribes des champs », et
celui des terres gagnées à l'inondation (khentyou-che). Les titres de propriété sont
conservés par le troisième département, celui des archives royales,
qui détient également tous les actes civils, essentiellement les
contrats et les testaments, ainsi que le texte des décrets royaux
qui constituent le fonds réglementaire dans lequel vient puiser le
dernier département, celui de la justice, qui, lui, applique les
lois (hepou). Son importance est en
proportion de sa valeur fondamentale dans le système théocratique,
comme le montre le titre que reçoit son titulaire à la
IVe dynastie, « le plus grand des Cinq
de la maison de Thot », et, à la Ve, «
prêtre de Maât »...
Le partenaire du gouvernement ainsi constitué est
l'administration locale, qui repose sur le découpage du pays en
nomes. On ne connaît guère celle de la Basse-Égypte, l'archéologie
du Delta étant, par nécessité, assez pauvre. L'essentiel de la
documentation concerne la Moyenne et la Haute-Égypte, mais le
tableau que l'on peut dresser pour l'une vaut pour l'autre. C'est
assurément l'administration locale qui connaît l'évolution la plus
sensible à l'Ancien Empire. La base en est la modification du
statut des nomarques qui ne sont pratiquement plus déplacés et qui
rendent très rapidement leur charge héréditaire, en fait sinon en
droit. On voit se constituer dans les capitales provinciales des
nécropoles particulières aux princes, dans lesquelles la même
régularité préside à la reconduction de père en fils de la fonction
de prêtre funéraire — ce qui est conforme à la tradition — et de
celle de gouverneur de la province — ce qui l'est moins ! Cette
féodalité repose dans la majeure partie des cas sur l'exploitation
économique de la région, qui est une des principales tâches du
nomarque, avant tout administrateur chargé de l'entretien de
l'irrigation (âdj-mer) et conservateur
des domaines (héqa-hout).
À l'origine, ce transfert de pouvoir était
impensable. Le pays tout entier appartenant en théorie au roi,
puisque celui-ci est l'hypostase du créateur, le fonctionnaire doit
à son souverain un travail, qu'il fournit en échange de l'entretien
de sa propre vie. Cette situation est exprimée en égyptien par le
mot « imakhou », terme difficilement
traduisible qui rend compte de la relation de clientèle face au
roi. Celui-ci dote, protège et nourrit ici-bas comme dans l'au-delà
: c'est lui qui fournit à son serviteur la concession funéraire et
les éléments de la tombe que celui-ci serait bien en peine de se
procurer par ses propres moyens, comme le sarcophage, la
fausse-porte ou la table d'offrandes, voire les statues qui servent
de support à son âme dans cette existence future. Surtout, il
garantit le service de l'offrande par une dotation funéraire
confirmée par une charte immunitaire libérant de l'impôt le domaine
constitué par le défunt. Ce principe, qui est le même que celui qui
régit les domaines des temples, porte en lui un germe de
destruction de l'État. Il favorise en effet l'éparpillement de la
propriété en appauvrissant le roi, dans des proportions qui
paraissent infimes au départ, mais d'une manière irréversible. Les
bénéfices que réalisent, grâce à ce système, les détenteurs de ces
concessions sont certes une perte pour l'économie, puisqu'ils
échappent au système de redistribution assuré par l'État. Mais ce
n'est pas là le plus important. Le plus grave est bien le mécanisme
qui est ainsi créé : ces domaines deviennent la base d'une
féodalité, et leurs détenteurs cherchent à accaparer pour leur
propre compte les prérogatives attachées aux propriétés
royales.
Ces cadres, dont nous venons d'évoquer les grandes
lignes, ne changeront pas plus, tout au long de la civilisation
pharaonique, que les fondements de la société. Cela ne signifie pas
qu'il n'y aura pas d'évolution : celle-ci intervient
essentiellement dans le rapport établi entre le pouvoir central et
la base locale : renforcement du pouvoir du ou des vizirs,
remodelage des circonscriptions administratives, création de
gouvernorats, etc. La structure qu'ils imposent à la vie du pays
restera à peu près inchangée jusqu'aux derniers temps. La
hiérarchie sociale restera fondée sur les mêmes valeurs, tandis que
la vie quotidienne évoluera peu, surtout dans les couches les moins
favorisées de la population. Il y a fort peu de différence entre
les paysans de l'Ancien Empire, l'oasien plaideur que nous allons
bientôt rencontrer et les fellahs qui cultivaient le blé pour
Rome...
La plastique égyptienne
L'art est un reflet fidèle de cette évolution de
la société. On suit, au long du demi-millénaire qui sépare Djoser
de Nitocris, la lente prise de possession par les fonctionnaires de
certains attributs et modes de représentation à l'origine réservés
aux rois ou aux membres de la famille royale. C'est la première
étape d'un lent glissement qui n'est pas à proprement parler une
démocratisation, mais plutôt une inflation progressive des valeurs
politiques. Ce passage s'explique par le même mécanisme que
l'accession à la propriété. Les moyens de production de l'œuvre
d'art dépassent les possibilités d'un simple particulier. Il est
impensable, du moins sous l'Ancien Empire, qu'un seigneur, si
puissant soit-il, organise pour son propre compte une expédition
dans les carrières pour extraire et faire tailler le sarcophage,
les montants de portes ou les statues dont il a besoin pour sa
tombe. C'est là le rôle de l'État, et les ateliers dans lesquels
sont sculptées les statues ou gravés les reliefs dépendent du
pouvoir central : l'art est affaire de fonctionnaires. Ce principe
exclut pratiquement toute recherche non utilitaire, et l'on ne
rencontre guère d' « art pour l'art ». L'image en ronde-bosse, en
dessin ou en relief ne peut servir que deux buts :
politico-religieux ou funéraire. Le premier concerne exclusivement
le roi, le second a été progressivement conquis par les
particuliers. Ainsi, le trait dominant sera la tendance des seconds
à suivre la mode définie par le premier en gommant les traits
impossibles à transposer. Le tout reste dans un cadre précis : la
création d'une représentation la plus explicite possible d'un
individu ou d'une fonction. Il s'ensuit souvent des stéréotypes, de
temps en temps une harmonie étonnante entre le réalisme « à
l'égyptienne » et la sensibilité propre de l'artiste. Le souci de
reproduire la réalité dans sa vérité la plus profonde tend à
détruire toute subjectivité. C'est d'autant plus vrai que les
Égyptiens ont su déjouer les pièges de la perception en
décomposant, dans leur écriture comme dans les reliefs et
peintures, les êtres ou les objets représentés selon leurs éléments
les plus caractéristiques. Ce principe de « combinaison des points
de vue » donne des résultats parfois curieux. À la base se trouve
l'idée que chaque élément, disons du corps humain, doit pouvoir
être reconnu sans aucune ambiguïté. L'œil, par exemple, n'est
vraiment reconnaissable que de face, le nez de profil, comme
l'oreille, le menton ou le crâne ; les épaules se voient aussi de
face, ainsi que les mains, les bras de profil, le bassin de trois
quarts... Le corps se voit ainsi infliger des torsions étranges qui
déroutent au premier regard. La perspective n'est pas non plus
utilisée, même si certaines représentations, à vrai dire assez
maladroites, témoignent du fait qu'elle était connue : on figure
une armée en marche en décalant chaque rang de soldats l'un par
rapport à l'autre, deux scènes contemporaines l'une de l'autre en
les disposant sur deux registres superposés, une maison ou un
jardin à la fois en élévation et en plan, quitte à rabattre sur les
côtés des pans de murs ou les arbres bordant une pièce d'eau. Ainsi
en est-il également pour la statuaire. Le but étant de fournir un
corps « habitable » pour l'éternité, autant le représenter le plus
parfait possible. Cela ne veut pas dire que l'artiste refuse de
montrer une difformité physique. Mais, dans la majorité des cas, le
corps est traité de façon plus idéalisée que le visage qui doit,
lui, caractériser un individu. Il en va de même des attitudes.
Elles représentent une fonction ou un état et sont en conséquence
stéréotypées. Le tout donne une production assez uniforme,
caractérisée par un grand souci du détail et des variantes de style
tellement infimes que l'on serait bien en peine de distinguer la
personnalité d'artistes qui ne cherchaient d'ailleurs nullement à
se singulariser, leur production étant, par définition, anonyme.
Cette création collective restera la règle tout au long de la
civilisation, aussi bien dans les arts plastiques que dans la
littérature, l'individu cherchant toujours à se fondre dans la
communauté universelle.
La statuaire
La technique de la sculpture est connue par les
scènes qui décorent les murs des mastabas, mais aussi grâce à la découverte par G.
Reisner dans l'ensemble funéraire de Mykérinos d'un atelier, où il
a trouvé des œuvres de l'état d'ébauche à un achèvement presque
complet. On peut ainsi reconstituer les étapes de leur création et
les moyens utilisés. Au départ, le bloc est dégagé dans la
carrière, selon une technique qui dépend de la dureté de la pierre
: attaque directe au ciseau pour les pierres les plus tendres et,
pour les roches dures, utilisation de coins de bois que l'on
enfonce peu à peu en les mouillant dans des encoches de façon à
faire éclater le bloc selon une fracture régulière. Une fois
extrait, le bloc est dégrossi sur place, puis transporté vers
l'atelier. On le met en forme dans un premier temps en dégageant
les limites de la future statue. Puis les contours en sont
progressivement précisés, en particulier ceux de la tête. Ensuite
commence un lent affinage jusqu'à ce que le modèle définitif soit
obtenu. On dégage alors le plus possible bras et jambes du corps en
travaillant chaque détail. Enfin, la statue est polie et gravée.
L'outillage utilisé par les artistes est essentiellement lithique.
Il se compose de forets de silex, de polissoirs, de perçoirs, de
pâtes abrasives, de marteaux et de burins, plus rarement de scies
en cuivre. Les statues elles-mêmes sont soit en calcaire ou en grès
— et dans ce cas, elles sont le plus souvent peintes —, soit en
syénite, en quartzite ou en schiste ; l'albâtre est moins employé
dans la statuaire que pour la confection des vases ; on voit
apparaître également des statues en bois, qui ne seront toutefois
vraiment répandues que plus tard, et aussi en cuivre, les plus
célèbres étant celles de Pépi Ier et
Mérenrê conservées au Musée du Caire (fig.
30).
Les attitudes sont déterminées par la fonction. Le
roi est représenté,
depuis les premiers temps, assis sur un trône cubique assez massif
dont les côtés sont ornés du sema-taoui, un entrelacs des plantes emblématiques
de la Haute et de la Basse-Égypte nouées de part et d'autre d'une
trachée artère. Il est vêtu du pagne chendjit et porte sur la tête les insignes de son
pouvoir : couronnes ou némès et barbe
postiche. Dans cette attitude, il est généralement seul, et si son
épouse l'accompagne, elle est assise à ses pieds, comme Hétephérès
II (?) à ceux de Djedefrê dans le fragment du Louvre provenant
d'Abou Roach (E 12627 = Vandier : 1958, pl. II. 1). Les groupes
sont plus rares : on connaît surtout ceux de Mykérinos en compagnie
de son épouse (Boston 11.738) ou dans les triades provenant de Gîza
(Vandier : 1958, pl. IV-V). On note une évolution dans les
attitudes après la IVe dynastie.
Peut-être est-elle due à la nouvelle relation créée entre
l'idéologie théocratique et la réalité du pouvoir politique ? Il
est un peu risqué de l'affirmer, mais on doit constater que le roi
peut être montré en train de célébrer le culte. Le Musée de
Brooklyn possède une statue en schiste de Pépi Ier, assis sur ses talons et offrant deux vases à
vin (fig. 32). Autre nouveauté, elle aussi apportée par la
VIe dynastie, les statues représentant
le roi enfant : par exemple le Pépi II en albâtre du Musée de Caire
(JE 50616). Cette innovation est
probablement à mettre sur le compte du jeune âge auquel ce roi
accéda au trône. Elle est significative de l'adaptation de la
phraséologie à la réalité politique, comme les groupes figurant
Pépi II assis sur les genoux de sa mère, dont un exemple est
conservé au Musée de Brooklyn. Ces groupes sont également en
albâtre, peut-être à cause de leur thème lié à la petite enfance et
à l'allaitement, qu'évoque l'aspect laiteux de cette pierre.
L'association d'Ankhesenmérirê II et de son fils — représenté non
pas sous les traits d'un enfant, mais comme un pharaon adulte en
taille réduite — affirme la transmission du pouvoir de Pépi
Ier par la régente.
Statue de Djoser provenant du serdab de son temple funéraire à Saqqara. Calcaire
peint. H= 1,35 m. Le Caire, Musée égyptien.
Chéphren protégé par Horus. Statue provenant du
temple d'accueil de son complexe funéraire de Gîza. Diorite. H
=1,68 m. CGC 14.
Mykérinos, Hathor et le nome de Diospolis. Triade
provenant du temple d'accueil de Mykérinos à Gîza. Schiste. H =
0,97 m. Le Caire JE 46499.
Pépi Ier et Mérenrê
debout. Cuivre (détail : Pépi I"). H = 1,77 m et 0,70 m. Le Caire
JE 33034 et 33035.
Pépi II sur les genoux de Ankhesenmerirê II.
Groupe provenant sans doute de Saqqara. Albâtre. H = 0,39 m.
Brooklyn Museum 39.119.
Fig. 32. Pépi Ier à
genoux, offrant des vases à vin. Schiste. H = 0,15 m. Brooklyn
Muséum 39.121.
Ces attitudes nouvelles, en particulier
l'évocation des liens familiaux, rejoignent des thèmes développés
plus tôt dans la statuaire privée, qui, tout en démarquant les
attitudes royales officielles, joue sur ses registres propres. Elle
aussi connaît une évolution après la fin de la IVe dynastie : le style s'éloigne alors quelque peu
de la perfection que l'on trouve dans le groupe de Rahotep et
Néfret ou chez Hémiounou. Les œuvres civiles, qui étaient déjà plus
nombreuses que les statues royales, se multiplient sous les
Ve et VIe
dynasties et tendent à s'éloigner des canons classiques, ce qui ne
veut pas dire qu'elles perdent en qualité, comme en témoigne le
scribe du Louvre. Elles ne renoncent pas non plus aux attitudes
conventionnelles : personnages debout ou assis représentés avec les
attributs de leur fonction, groupes familiaux, etc. Il y a
toutefois une plus grande liberté de ton et un certain souci de
réalisme qui rejoint celui de la statuaire royale contemporaine :
les œuvres de la VIe dynastie
développent une sensibilité déjà marquée sous la Ve dynastie en faisant la part plus grande au
réalisme. On peut penser ici au nain Séneb ou à la belle statue de
Nyânkhrê.
À côté de la statuaire en pierre, il existe depuis
la IVe dynastie une tradition de
travail sur bois qui a produit certains des plus grands
chefs-d'œuvre de l'Ancien Empire : la statue de Kaâper a l'air si
réel que les ouvriers d'A. Mariette qui la découvrirent en
dégageant son mastaba à Saqqara, lui
trouvant une ressemblance frappante avec le maire de leur village,
lui donnèrent le surnom de cheikh el-beled, ou le groupe d'un
fonctionnaire memphite et de sa femme du Louvre. Ce courant ouvre
la voie à une forme nouvelle qui se développera à la Première
Période Intermédiaire : les « modèles » qui sont une mise en volume
des scènes figurées sur les bas-reliefs, et dont les premiers
exemples en argile ou pierre peinte sont d'un réalisme
saisissant.
Rahotep et Néfret assis. Statues provenant de
leur tombeau de Meïdoum. Calcaire peint. H = 1,20 m. CGC 3 et
4.
Hémiounou assis. Statue provenant de son tombeau
de Gîza. Calcaire. H = 1,57. Pelizaeus Muséum, Hildesheim.
Reliefs et peintures
La réalisation des reliefs et des peintures suit
une procédure voisine de celle des statues. Dans les mastabas, la représentation est travaillée
directement sur la paroi de calcaire fin ravalée et préparée par
lissage. Une première équipe établit un carroyage de la paroi qui
va servir à mettre en place les scènes que l'on veut y figurer.
Elles sont dessinées au trait dans le moindre détail, sans oublier
les légendes hiéroglyphiques qui les accompagnent. Ensuite vient le
bas-relief proprement dit : les sujets sont réservés, tandis que le
fond est entièrement rabattu. Cette technique évolue, dès Chéops,
dans un sens logique : au lieu de rabattre le fond, on se contente
de cerner les sujets par une incision suffisamment profonde pour
donner l'illusion d'un relief « dans le creux », puis on travaille
par incision les deux pour fixer les détails. Le vrai relief en
creux, celui qui consiste à graver à l'intérieur d'un contour
rabattu, n'est pratiquement utilisé que pour les inscriptions
hiéroglyphiques, que ce soit sur des monuments, des statues ou des
stèles. Une nouvelle technique naît de la modification de la tombe
elle-même : le creusement d'hypogées, c'est-à-dire de tombes
ménagées dans le sol, change la nature de la paroi qui sert de
support à la représentation. Il faut désormais tenir compte de
l'irrégularité du matériau natif, moins homogène que le calcaire
fin. On égalise la paroi à l'aide de plâtre ou, plus simplement
encore, d'un enduit de mouna — l'argile
mélangée de paille ou de sable qui sert encore aujourd'hui autant
au potier qu'au maçon —, sur lequel on peint directement
a tempera, à l'aide de noir animal,
d'ocre rouge et jaune, d'azurite ou de malachite mélangée et
concassée pour le bleu et le vert. Les thèmes réunissent toutes les
scènes susceptibles d'évoquer la vie terrestre ou les funérailles
du mort.
Le nain Séneb, sa femme et ses enfants. Groupe
provenant de Gîza. Calcaire peint. H = 0,33 m. Le Caire JE
51281.
Nyânkhrê assis. Statue provenant de Gîza.
Calcaire peint. H = 0,70 m. Le Caire, Musée égyptien.
Brasseuse. Statuette provenant de Gîza. Calcaire
peint. H = 0,26 m. Le Caire, Musée égyptien.