CHAPITRE X
La succession d'Amenhotep III
Amenhotep IV règne seul à partir de 1378/1352 avec
pour nom de couronnement Néferkhépérourê, « Les transformations de Rê sont
parfaites », auquel il associe l'épithète ouâenrê, « L'Unique de Rê ». Tout le reste de sa
titulature le met en rapport avec Thèbes, même si son nom d'Horus
d'Or appelle celle-ci « l'Héliopolis du Sud ». L'importance
d'Héliopolis est liée, comme nous l'avons vu, à l'éducation des
princes à Memphis et n'est pas forcément le signe d'une opposition
à la doctrine amonienne.
Sa corégence avec Amenhotep III est discutée. Si
elle a bien eu lieu, on ne peut pas en donner avec certitude la
durée : elle commencerait dans les années 28-29 d'Amenhotep III
pour les uns, 37-39 pour les autres. Dans l'un comme l'autre cas,
elle montre clairement que les idées qui vont conduire à la «
révolution » amarnienne étaient déjà suffisamment répandues pour
avoir influencé les œuvres officielles de la fin du règne. De plus,
le fait qu'il se fasse couronner à Karnak est le signe qu'au moins
au départ il n'était pas en lutte ouverte avec le clergé
d'Amon-Rê.
La continuité est aussi familiale, si tant est que
l'on puisse s'y retrouver dans la famille royale amarnienne ! Il
épouse sa cousine Néfertiti, fille de Ay et Tiy II, donc
petite-fille de Youya et Touya. On voit que la famille d'Akhmîm
reste très présente au cœur de l'aventure amarnienne, comme elle le
sera encore, à travers la sœur de Néfertiti, Moutnedjmet, aux côtés
d'Horemheb. Peut-être même est-elle pour quelque chose dans le
choix d'un site de Moyenne-Égypte pour la nouvelle capitale... Quoi
qu'il en soit, Amenhotep IV et Néfertiti forment un couple encore
plus étroitement lié politiquement que celui d'Amenhotep III et
Tiy. Comme eux ils sont associés dans les cérémonies, mais, chose
nouvelle, l'art officiel les présente dès le début dans des scènes
familiales jugées jusque-là trop intimes pour être montrées. Leur
rôle n'est toutefois pas équivalent : dans le grand hymne à Aton,
par exemple, le roi est le seul à connaître le dieu.
C'est seulement en l'an 2 de son règne
qu'Amenhotep IV donne à Aton la place qu'occupait Amon-Rê.
Auparavant, il avait entrepris un programme de construction
traditionnel. Lorsqu'il ouvre la carrière de grès du Gebel
el-Silsile, il se fait présenter en train de faire offrande à Amon
(Urk. IV 1962). Il complète d'ailleurs la décoration du temple
d'Amenhotep III à Soleb. Mais déjà, dans les constructions qu'il
entreprend à Karnak pour Aton, apparaît une volonté de nouveauté en
même temps qu'une certaine précipitation. Il fait extraire dans les
carrières des blocs de grès, plus facile à travailler, et de petite
taille, donc plus maniables pour une main-d'œuvre non spécialisée
fonctionnant par grandes corvées. Ces « talatates », comme les a
appelées, à la suite de la tradition locale, l'égyptologue H.
Chevrier, sont décorées dans une technique souvent assez fruste,
mais avec un style toujours réaliste et enlevé qui va dans le sens
de la nouvelle idéologie que le roi enseigne lui-même aux artistes,
ainsi que nous l'apprend un graffito de son chef sculpteur Bak à
Assouan. C'est probablement la petite taille de ces blocs qui les a
sauvés de la destruction complète lorsque, après le retour à
l'orthodoxie amonienne, les constructions élevées par le pharaon
hérétique à l'est de l'enceinte d'Amon-Rê furent rasées : Horemheb
les réutilisa en particulier pour bourrer le 9e pylône. Les 12 000 talatates qui en ont été extraites lors de son
démontage par le Centre Franco-Égyptien des Temples de Karnak dans
les dix dernières années et qui sont actuellement en cours d'étude
sont une source inestimable pour la connaissance de l'histoire des
cultes atoniens.
En l'an 4, le roi se rend, en compagnie de la
reine, sur le site « révélé par Aton lui-même » de la future
capitale, qu'il appellera Akhetaton, « L'Horizon du Disque ».
L'année suivante, il y procède à la fondation de son nouveau
domaine. Il s'agit d'un vaste cirque de montagnes situé à dix
kilomètres environ au sud de Mellaoui, sur la rive orientale du
Nil, d'un développement de vingt-cinq kilomètres, de Cheikh Saïd au
nord à Cheikh Abd el-Hamid au sud. C'est un endroit vierge, comme
la colline de sable d'Héliopolis à partir de laquelle a été créé
l'univers. Le roi le marque de quatorze stèles frontières : onze
sur la rive orientale, trois sur la rive occidentale. La ville doit
être la contrepartie de Thèbes par la nature et le nom de ses
monuments. Sa nécropole royale et civile, ainsi qu'un cimetière
consacré au taureau Mnévis en fera aussi une nouvelle
Héliopolis.
La réforme religieuse
C'est sur les stèles de la rive orientale
qu'apparaît pour la première fois, la nouvelle titulature du roi,
qui révèle au pays le dogme atonien. Il transforme son nom d'Horus,
« Taureau puissant aux hautes plumes » qui le liait trop à Thèbes
en « Taureau puissant aimé d'Aton ». Son nom de nebty, « À la grande royauté dans Karnak », devient
« À la grande royauté dans l'Horizon du Disque », son nom d'Horus
d'Or, « Qui élève les couronnes dans l'Héliopolis du Sud », « Qui
élève le nom d'Aton ». Il conserve son nom de couronnement et
change Amenhotep en Akhenaton, « Agréable à Aton » : il s'agit d'un
simple transfert d'Amon à Aton.
Le changement n'a, en soi, rien de révolutionnaire
et est bien loin d'être la religion révélée que l'on a parfois eu
tendance à y voir pour trouver au christianisme des racines qui ne
reflètent tout au plus qu'un fonds commun aux civilisations
sémitiques. Nous avons suivi en effet depuis le début de la
XVIIIe dynastie la montée des cultes
héliopolitains, qui n'est que le prolongement d'un mouvement amorcé
dès le Moyen Empire : la « solarisation » des principaux dieux
comme Amon par le biais de la forme syncrétique Amon-Rê. Cette
tendance épouse celle qui apparaît dans les livres funéraires, le
Livre de ce qu'il y a dans l'Hadès, les
litanies solaires ou le Livre des Portes, et qui revient à
concentrer autour de Rê la création et l'entretien de la vie. Il
est sans doute exagéré de parler de monothéisme (Assmann : 1984,
235 sq.), dans la mesure où cette concentration n'écarte aucun
autre dieu, mais il est certain que se produit une fusion de
compétences multiples dans le Créateur par excellence qu'est le
soleil. Amenhotep IV choisit d'en adorer l'aspect sensible, le
Disque, dont le rôle est clairement défini dans la théologie
héliopolitaine depuis l'Ancien Empire. Le résultat donne un ton
universaliste qui présente les apparences du monothéisme, et l'on a
souvent comparé le grand hymne à Aton, inscrit sur le mur ouest de
la tombe d'Ay à Amarna au Psaume 104
:
Lorsque tu te couches dans l'horizon
occidental,
L'univers est plongé dans les ténèbres et comme
mort.
Les hommes dorment dans les chambres, la tête
enveloppée,
Et aucun d'eux ne peut voir son frère.
Volerait-on tous leurs biens qu'ils ont sous la
tête,
Qu'ils ne s'en apercevraient pas !
Tous les lions sont sortis de leur antre,
Et tous les reptiles mordent.
Ce sont les ténèbres d'un four et le monde gît
dans le silence.
C'est que leur créateur repose dans son
horizon.
Mais à l'aube, dès que tu es levé à
l'horizon,
Et que tu brilles, disque solaire dans la
journée,
Tu chasses les ténèbres et tu émets tes
rayons.
Alors le Double-Pays est en fête,
L'humanité est éveillée et debout sur ses pieds
;
C'est toi qui les as fait lever !
Sitôt leur corps purifié, ils prennent leurs
vêtements
Et leurs bras sont en adoration à ton lever.
L'univers entier se livre à son travail.
Chaque troupeau est satisfait de son herbe ;
Arbres et herbes verdissent ;
Les oiseaux qui s'envolent de leurs nids,
Leurs ailes éployées, sont en adoration devant ton
être.
Toutes les bêtes se mettent à sauter sur leurs
pattes.
Et tous ceux qui s'envolent, et tous ceux qui se
posent
Vivent, lorsque tu t'es levé pour eux.
Les bateaux descendent et remontent le
courant.
Tout chemin est ouvert parce que tu es
apparu.
Les poissons, à la surface du fleuve, bondissent
vers ta face :
C'est que tes rayons pénètrent jusqu'au sein de la
mer-très-verte.
C'est toi qui fais se développer les germes chez
les femmes,
Toi qui crées la semence chez les hommes,
Toi qui vivifies le fils dans le sein de sa
mère,
Toi qui l'apaises avec ce qui fait cesser les
larmes,
Toi, la nourrice de celui qui est encore dans le
sein,
Toi qui ne cesses de donner le souffle pour
vivifier chacune de
tes créatures
Lorsqu'elle sort du sein pour respirer, au jour de
sa naissance,
Tu ouvres sa bouche tout à fait et tu pourvois à
son nécessaire.
Tandis que l'oiselet est dans son œuf et pépie
déjà dans sa
coquille,
Tu lui donnes le souffle à l'intérieur, pour le
vivifier.
Tu as prescrit pour lui un temps fixe pour la
briser de
l'intérieur.
Il sort de l'œuf pour pépier, au temps fixé,
Et marche sur ses pattes aussitôt qu'il en est
sorti (...)
(Daumas : 1965, 322-323.)
Ce mécanisme sera récupéré à la XIXe dynastie par le roi en personne qui cumulera en
lui tous les aspects du créateur. L'originalité d'Akhenaton est
d'avoir cristallisé ce faisceau sur le Disque, la manifestation
tangible du créateur à la portée du tout un chacun. Il fournit
ainsi une image facile à appréhender et évite le détour par un
clergé spécialisé, seul capable de servir d'intermédiaire entre les
hommes et un dieu impénétrable. Aton permet, littéralement, la
perception immédiate du divin, par opposition à Amon, le dieu «
caché ».
Restait à établir la correspondance qui délègue au
roi la capacité du créateur. Akhenaton fait du Disque le pharaon
céleste en inscrivant son nom dans un cartouche, comme le sien
propre. La « titulature » d'Aton est très explicite : il est «
Rê-Horakhty apparu dans l'horizon », « En son nom de Chou qui est
dans le Disque ». Le Disque est donc une forme du créateur comme le
roi qui est son équivalent terrestre, — ce qui revient, d'une
manière à peine modifiée, au système traditionnel de l'hypostase.
Aton prend également en charge les morts, ce qui est logique
puisqu'il assume les divers rôles du créateur solaire. Osiris n'en
reste pas moins en honneur jusque dans la famille royale, comme en
témoignent les colosses osiriaques représentant le roi. Mais le
culte funéraire traditionnel tend à s'estomper.
L'impact de cette réforme sur la population est
quasiment nul, pour deux raisons. La première est que la Cour se
confine très vite à Akhetaton et que, les constructions de Karnak
mises à part, la population n'a guère l'occasion d'apprécier le
nouveau culte. La seconde, la plus profonde, est que ce culte ne
correspond pas aux structures de la société : le peuple continue à
vivre sur les bases religieuses traditionnelles. On a même retrouvé
des invocations à Amon dans le village des ouvriers... d'Armarna !
Il ne faut pas non plus s'exagérer la connaissance que pouvaient
avoir les couches sociales les plus humbles de la religion et des
arcanes du pouvoir qui ne sortaient guère des murs des temples ou
des palais. La montée de la piété populaire au Nouvel Empire trahit
des préoccupations assez élémentaires et peu d'inquiétudes
métaphysiques chez le commun des mortels. D'ailleurs, l'image que
donne Akhenaton est moins originale que ne le veut la tradition
moderne. Il conserve tout l'apparat phraséologique de ses
prédécesseurs. Lui que l'on a voulu pacifiste parce qu'il n'a pas
pris part aux combats qui agitent le Proche-Orient sous son règne,
se fait représenter en train de massacrer les ennemis vaincus : pas
seulement sur les figurations en style « classique », comme la
façade du IIIe pylône de Karnak, mais
aussi sur des talatates, où même
Néfertiti brandit la massue-hedj
au-dessus de la tête des ennemis vaincus (Hall : 1986, fig. 36-40).
Sa « révolution » ne touche pas non plus l'administration qui reste
ce qu'elle était, avec souvent les mêmes fonctionnaires. Sur le
plan politique elle renforce plutôt l'absolutisme théocratique : le
roi, « le bel enfant d'Aton », est l'intermédiaire obligé entre les
hommes et le Disque. Il est donc l'objet, en tant que tel, d'une
adoration que l'on voit figurée à l'entrée des tombes des hauts
dignitaires. Ce culte divin du roi a tendance à marginaliser les
autres divinités, mais le fait de lier le devenir funéraire des
courtisans à celui du roi est, en quelque sorte, un retour aux
sources, qui va dans le sens des enquêtes sur le passé qui ont
caractérisé le règne d'Amenhotep III comme celui de ses
prédécesseurs : recherche d'anciennes annales, du tombeau d'Osiris
à Abydos, etc.
La réforme a des effets dans deux domaines surtout
: l'économie et l'art. Akhenaton ferme certain temples, ou tout au
moins limite leurs activités, et rattache les biens cléricaux à la
Couronne. La première conséquence est un accroissement de la
centralisation administrative et de son bras exécutif, l'armée. La
mise à l'écart des instances locales rend plus difficile l'action
de l'administration, et tout un système de corruption et
d'arbitraire se met en place, contre lequel Horemheb aura plus tard
à lutter. La construction de la nouvelle capitale et des nouveaux
temples se fait au détriment de l'économie en général et de
l'économie divine en particulier : le système des domaines divins
est, d'un point de vue centralisateur, néfaste; mais son abandon
ruine tout un circuit de production et de redistribution qu'aucune
structure nouvelle ne vient remplacer.
Les conséquences de l'atonisme sur les arts et les
lettres sont plus spectaculaires et, dans une certaine mesure, plus
durables. La littérature n'est pas vraiment bouleversée : on
continue à enseigner les genres traditionnels, et les écoliers
apprennent toujours l'histoire de Sinouhé ; mais sous l'influence
de la nouvelle idéologie, une plus grande liberté apparaît dans les
œuvres contemporaines. Elle se manifeste surtout dans les
compositions poétiques : hymnes et litanies divins et royaux, où la
création peut se donner libre cours. On retrouvera une part de
cette créativité plus spontanée que par le passé jusque dans les
œuvres historique d'époque ramesside. Le trait le plus marquant de
cette réforme littéraire est l'introduction de la langue parlée
dans les textes officiels. Le conservatisme des écoles d'Etat avait
maintenu la langue dite « classique », c'est-à-dire celle du Moyen
Empire. Akhenaton fait entrer le langage de tous les jours dans les
grandes œuvres où apparaît ainsi, d'idiomatismes en emprunts
étrangers, une langue plus proche du copte que des Textes des
Pyramides.
L'ouverture littéraire procède du même esprit que
celle de l'art, mais sans en atteindre les outrances. Nous avons vu
que dès le règne d'Amenemhat III l'idéalisme officiel tendait à
céder le pas à un réalisme plus sensuel qui n'hésite pas à
souligner les formes du corps par des techniques comme celle du «
drapé mouillé ». Ce traitement plus généreux des volumes apparaît
aussi dans le dessin, où l'usage de la ligne est moins rigoureux,
l'emploi des couleurs plus souple. Il y a aussi une évolution de la
mode, plus « moderne », qui se traduit par de nouvelles coiffures,
de nouveaux costumes, et aussi de simples détails stylistiques :
l'inclusion de l'œil dans l'orbite et l'étirement des lignes qui
produira les fameux yeux « en amandes » d'Akhenaton. On note
volontiers aussi les plis du cou, les oreilles percées, etc. Ces
changements ne sont d'ailleurs pas unanimement admis : le vizir
Ramosé, par exemple, dont la tombe (TT 55) est une des plus belles
de la nécropole de Cheikh Abd el-Gourna, s'en tient à un
classicisme d'une extraordinaire finesse.
Akhenaton radicalise la tendance pour lui-même et
sa famille dès sa deuxième année de règne en poussant le réalisme
jusqu'à la caricature. L'accentuation de la physionomie et
l'affaissement des chairs prennent une apparence pathologique
tellement sensible dans les colosses osiriaques que le sculpteur
Bak exécute pour son maître qu'on a voulu voir dans le ballonnement
de leur ventre les lymphes gonflant le cadavre décomposé d'Osiris.
Au fil des ans, le trait s'adoucit, mais il reste toujours outré
par rapport à la tradition, dont la technique et les canons sont,
au demeurant, conservés. De nouveaux thèmes apparaissent : l'image
de la famille, omniprésente dans toutes les scènes, y compris et
surtout celles du culte (Fig. 94). Le thème n'est pas nouveau en
soi ; ce qui l'est, c'est l'utilisation des scènes « de tous les
jours », qui donne un aspect profondément humain aux
représentations. On y voit les personnages dans des poses et avec
des attitudes qui visent au naturel et donnent une impression
d'intimité. Le mécanisme est le même que celui mis en œuvre dans la
littérature par l'introduction de la langue vernaculaire : une
banalisation de la forme qui estompe la structure. Le trait
souligne moins le contour, la symétrie est plus discrète, de
fausses perspectives apparaissent, laissant place à l'expression
des sentiments, plus à leur aise dans des limites moins
rigoureuses. L'art quotidien et les thèmes
naturalistes s'emparent des représentations traditionnelles qui
gagnent en naïveté et en fraîcheur ce qu'elles perdent en
technique. Vers la fin du règne, ce sont les études d'après nature
qui l'emportent, dans un style plus paisible. On a retrouvé sur le
site d'Amarna, dans l'atelier du sculpteur Thoutmosis, plusieurs
ébauches, moulages et portraits de la famille royale, parmi
lesquels la célèbre tête de Néfertiti de Berlin. Ces portraits
(fig. 99) montrent une maîtrise et une
sensibilité totalement dégagées des outrances du début du règne. Il
restera d'ailleurs quelque chose de ce dernier état dans les œuvres
postérieures : l'art de la charnière entre la XVIIIe et la XIXe dynastie
conserve la sensualité du volume et la finesse du trait (fig. 100), que l'on retrouve tout particulièrement
dans la production du règne de Séthi Ier.
Ci-contre en
haut : Fig. 94. La famille royale
amarnienne faisant offrande au Disque. Bloc d'albâtre provenant
d'un parapet de rampe. Amarna : salle centrale du grand palais. H =
1,05 m. Le Caire JE 30/10/26/12.
Ci-contre : Fig. 95.
La reine Tiy. Tête provenant du
Fayoum. Ébène. H = 0,095 m. Berlin 21834.
Ci-dessus : Fig. 96.
Colosse osiriaque d'Akhenaton
provenant de Karnak-Est. Grès. H = 3,10 m. Le
Caire
JE 49528.
Tête inachevée de Néfertiti provenant d'Amarna.
Quartzite. H = 0,33 m. Le Caire JE 59286.
La famille royale
La construction et la première occupation de la
ville se font entre l'an 5 et l'an 6 du règne d'Akhenaton, date à
laquelle la famille royale commémore le deuxième anniversaire du
choix du site en consacrant à l'occasion d'une visite solennelle
les onze stèles-frontières de la rive occidentale. Leur texte donne
les dimensions précises du domaine et contient un serment : celui
de ne pas les dépasser. Cet engagement, qui définit seulement les
limites du domaine, a parfois été compris à tort comme l'expression
de la volonté royale de ne plus sortir de l'Horizon d'Aton. En l'an
8, le roi fait graver les stèles-frontières du second groupe. En
l'an 12, il organise de grandes fêtes dans le style traditionnel
avec apport des tributs des pays soumis, qui sont représentées dans
les tombes de Mérirê II et Houya dans la nécropole d'Amarna. La
même année, la reine Tiy rend visite, en compagnie de la princesse
Baketaton, à la Cour d'Amarna, où elle s'installe. Ces fêtes et
l'installation de la reine mère auprès de son fils ont été
interprétées comme la preuve qu'Akhenaton n'a régné seul qu'à
partir de cette date. L'argument vaut ce qu'il vaut... Cette même
année, l'une des six filles du couple royal, Mékétaton, meurt.
Néfertiti semble jouer un rôle moins important après l'an 12. Elle
se serait même séparée de son mari, si l'on en juge par le fait que
l'une de ses filles, Méritaton, la remplace dans les cérémonies
auprès du roi. On s'est interrogé sur la raison de cette apparente
séparation, dont les motifs étaient peut-être politiques. Néfertiti
ne quitte pas la ville, dans la nécropole de laquelle on prévoit
pour elle un caveau, mais se retire à l'écart et meurt sans doute
en l'an 14. Les trois années de la fin du règne sont troubles : le
pays est livré aux persécutions
anti-amoniennes, qui se traduisent essentiellement par le martelage
des noms du dieu sur les monuments — martelage que subiront à leur
tour Akhenaton et son dieu quelques années plus tard.
On a déduit d'une scène de la tombe de Mérirê
datée de l'an 12 et montrant face à face Akhenaton et un couple
formé de Smenkhkarê et de Méritaton, qu'il y a eu corégence entre
les deux rois. Cette association n'est pas prouvée mais probable :
Néfernéférouaton Smenkhkarê est en effet attesté comme roi et son
règne doit se situer entre ceux d'Akhenaton et de Toutankhaton,
pour une durée possible de deux ans. Ce règne a-t-il seulement
consisté en une corégence ou bien Smenkhkarê a-t-il gouverné seul
le pays quelques mois ? Rien ne permet de trancher. Le personnage
est mal connu, et beaucoup de données le concernant sont
contradictoires, tant l'abandon du site d'Amarna qui a lieu dans
les premières années de Toutankhaton qui
lui succède a tout bouleversé. Akhenaton a vraisemblablement été
enterré, au moins fictivement, à Amarna. On a retrouvé le corps de
Smenkhkarê, mort âgé d'environ vingt ans, dans une tombe de la
Vallée des Rois qui lui a été consacrée (TT 55). Mais tout indique,
de son mobilier funéraire aux bandelettes qui entourent son corps,
qu'il s'agit d'un réensevelissement hâtif, probablement consécutif
à son transfert d'Amarna à Thèbes. Il n'est d'ailleurs pas seul
dans cette tombe : on y a déposé d'autres restes qui sont peut-être
ceux de la reine Tiy. On pense généralement que toute la famille
royale a ainsi été transférée sous le règne de Toutankhamon : seuls
les sarcophages de pierre sont restés dans la nécropole
d'Akhetaton, jusqu'à ce que les carriers les détruisent à l'époque
ramesside.
L'Horizon d'Aton
Rien n'est assuré dans la succession d'Akhenaton,
et surtout pas les relations qui l'unissent à ses successeurs
(Fig. 91). Il est assez probable que
Smenkhkarê, puis Toutankhaton, qui devaient être les seuls
héritiers mâles possibles, qu'ils fussent des cousins ou des neveux
d'Akhenaton, légitimèrent leur montée sur le trône en épousant
chacun l'une des filles du roi.
Lorsqu'il succède à Smenkhkarê, Toutankhaton est
âgé d'environ neuf ans. Il épouse la princesse Ankhesenpaaton et
réside au début dans le quartier nord d'Akhetaton. Très rapidement,
sans que l'on
puisse avancer de date précise, il quitte Amarna et déplace la
résidence à Memphis, utilisant le palais de Malgata comme résidence
royale temporaire à Thèbes. La ville d'Akhetaton n'existait que par
la Cour qui y séjournait. Elle est à peu près entièrement
abandonnée, après seulement une trentaine d'années d'existence. On
n'y laisse que ce qui est considéré comme sans valeur ou ne
méritant pas le transport : restes de l'activité des artisans —
l'atelier de Thoutmosis et ses ébauches —, double de la
correspondance diplomatique — les tablettes d'Amarna —, etc. Le
site est complètement déserté au début de l'époque ramesside au
profit d'Hermopolis, sur la rive opposée du fleuve. Les carriers
achèveront de le démanteler en utilisant les talatates des monuments pour les nouvelles
constructions.
Le site retourne alors au désert et à l'oubli
auquel l'ont condamné les successeurs d'Akhenaton jusqu'au milieu
du XIXe siècle. Wilkinson et Lepsius
explorent quelques-unes de ses tombes rupestres, puis la découverte
des tablettes en 1887 attire l'attention sur la capitale oubliée.
F1. Petrie entreprend les premières fouilles en 1891 : il découvre
le palais royal et fait un survey du site avec l'aide d'H. Carter.
Le bilan de la campagne tient dans... 132 caisses qui finiront à
l'Ashmolean Museum. En 1893, il procède à un nettoyage des tombes
rupestres, et en 1902, l'Egypt Exploration Fund travaille sur le
site. De 1904 à 1914, c'est la Deutsche Orient-Gesellschaft qui en
prend la concession, sous la direction de L. Borchardt. Elle
procède au dégagement du quartier oriental de la ville, découvre
l'atelier de Thoutmosis et la vingtaine de têtes royales, de
modèles et de masques qu'il contient. Parmi eux, la tête de
Néfertiti, qui prend rapidement le chemin de Berlin. Après la
Grande Guerre, l'Egypt Exploration Society s'attache, de 1921 à
1926, à terminer le nettoyage et le dégagement de la ville :
découverte du village d'artisans, étude des peintures et des tombes
sont une véritable course de vitesse contre les pillards. Tout le
nord de la ville est dégagé. Depuis 1977, l'Université de Cambridge
a repris l'étude systématique du site : nouveau survey, nettoyage
et relevé du village des ouvriers, étude des vestiges divers.
La zone urbaine est au nord du site. Le grand
temple et la résidence royale y sont regroupés. Au nord et au sud,
une banlieue sépare le centre du palais septentrional et du
Marou-Aton, jardin de plaisance et de prière. Le village des
ouvriers est à mi-chemin de la nécropole, creusée dans la
falaise.
Les monuments s'étendent sur environ 9 km, sans
jamais dépasser 1 km de profondeur. Le critère d'urbanisme semble
avoir été la proximité du palais royal. Il n'y a pas en effet de
distinction sociale entre quartiers riches et pauvres : la place
est simplement occupée en fonction des besoins. La ville est
quadrillée par trois grandes artères orientées nord-sud et reliées
entre elles par des traverses est-ouest. Le cœur de la cité est
traversé par une grande avenue qui sépare le palais des deux
temples, situés de part et d'autre de la résidence royale. Un pont
permet de passer de cette dernière au palais par-dessus
l'avenue.
Le palais est très étiré le long de l'avenue. Il
comprend, du nord au sud (fig. 104), des communs (A), le harem (B), face au
pont qui traverse l'avenue, le palais proprement dit (C), puis des
entrepôts (D) et la salle de couronnement (E). Les communs
regroupent maisons de serviteurs, cours d'accès et magasins,
desservis par un couloir qui conduit à deux harems, disposés de
part et d'autre d'une cour à laquelle on accède aussi bien par la
rue que depuis la grande cour bordée de statues colossales du roi
et de la reine qui donne, elle, sur le palais proprement dit.
Le harem du nord est organisé comme une maison
traditionnelle : autour d'un jardin agrémenté d'une pièce d'eau et
bordé de deux fois quinze pièces à décor nilotique évoquant la
faune et la flore des marais du Delta. Une cour le sépare des
logements des servantes au nord. Au sud, de petits appartements
encadrent un hall central, auquel on accède depuis le jardin par
une salle hypostyle. De l'autre côté de la voie de passage, le
harem du sud présente une disposition semblable, mais orientée
perpendiculairement. Chacun de ces deux ensembles est
caractéristique de la maison privée, repliée sur elle-même et à
l'écart des voies de passage afin de préserver l'intimité de ses
occupants.
La partie la plus au sud du palais est constituée
de plusieurs hypostyles, dont la plus grande donne accès à la salle
du trône.
Perpendiculairement à cette série de bâtiments et
dans l'axe du pont qui traverse l'avenue est implanté le palais
proprement dit. C'est en réalité un point de passage entre la
grande cour et la salle du trône, entre le fleuve et la résidence
de l'autre côté de la rue.
Au centre, une cour assure la distribution par un
pavillon d'accueil au nord et des rampes sur les autres côtés, qui
mènent à deux cours symétriques du côté du fleuve et, du côté de la
résidence, à un hall central au sud. Celui-ci donne accès à deux
salles à péristyle parallèles aux cours, au centre desquelles
devait se trouver soit une statue du roi, soit un autel. Il dessert
également la salle du trône au sud. En traversant le pont, le roi
pouvait accéder à sa résidence en passant devant l'appartement du
concierge. La disposition est un peu différente de celles du harem,
mais procède du même esprit. Au centre, un jardin donne accès, à
l'est, aux magasins et, au sud, aux corps d'habitation. Celui des
serviteurs est séparé de celui des maîtres, avec lequel il ne
communique que par une porte de service. Les appartements royaux
(B) ne communiquent pas avec les pièces de réception (A). Ils
comprennent un vestibule et une grande salle, dont le plafond est
soutenu par des colonnes. Cette salle communique avec la chapelle
familiale (C) et les appartements
privés (D). Les appartements des princesses (E) sont à
l'écart.
Ci-dessus : Fig. 107.
Plan de la résidence.
Ci-contre : Fig. 108.
Le domaine royal tel qu'il est représenté dans la tombe de Mérirê
II.

Ci-dessus : Fig. 109.
Le village des artisans à l'est de la ville.
Ci-contre : Fig. 110.
(à gauche). Plan et élévation du grand temple d'Amarna.
Fig. 111. (à droite). Le grand temple d'Amarna
d'après les tombes voisines.

On pourrait multiplier les exemples de ces
résidences, à commencer par celle du palais du nord, dont la
disposition autour d'une pièce d'eau agrémentée de volières et
d'enclos est une « transposition architectonique de l'hymne à Aton
» (Michalowksi : 1968, 521). Toutes offrent le même luxe
confortable, qui s'oppose à la sévère ordonnance du village des
artisans (fig. 109).
Les maisons, strictement rangées, sont desservies
par cinq rues orientées nord-sud. Le village est complètement
enclos, de sorte que l'on n'y accède que par une seule porte
gardée. Tout de suite à droite de l'entrée, une maison plus grande
que les autres appartient probablement au responsable de la
communauté. La maison type comporte quatre pièces : une
antichambre, suivie d'une salle de réception, une cuisine et une
chambre à coucher. Éventuellement, un escalier donne accès à une
terrasse.
Le temple (fig. 110), enfin, a plus à voir avec
les temples solaires de la Ve dynastie
qu'avec le temple classique. A celui-ci, pourtant, il emprunte
l'entrée en forme de pylône constitué de deux môles de maçonnerie
représentant l'horizon où apparaît le soleil. Mais le linteau qui
réunit normalement ces deux môles de façon à former une porte est
ici brisé. De même, le temple, au lieu d'être un passage progressif
de la lumière du jour au mystère du sanctuaire, n'est qu'une
enfilade de cours à ciel ouvert :
Le temple a été entièrement rasé après l'abandon
du site, mais on a pu en reconstituer le plan grâce aux tranchées
de fondations, sur le plâtre desquelles était reporté un tracé au
noir. Le pylône franchi, un second pylône conduit au Per-hai, un pavillon, qui permet d'accéder à la
première d'une série de six cours, dont les deux dernières
constituent le sanctuaire proprement dit, le Gematon. Les quatre premières sont organisées sur
le même principe : deux travées, en contrebas d'une rampe axiale
ascendante vers l'est, sont occupées par des rangées d'autels. La
cinquième cour est bordée de chapelles rayonnantes et contient
probablement l'autel principal.
La revanche d'Amon
Le retour à l'orthodoxie amonienne se fait
probablement sous l'influence du Divin Père Ay qui guide les pas du
jeune Toutankhaton. Celui-ci prend un édit de restauration des
cultes qui décrit longuement l'état misérable auquel les errements
d'Amenhotep IV ont réduit le pays. Cet édit est affiché dans le
temple d'Amon-Rê de Karnak, au pied du IIIe pylône (Urk. IV 2025-2032). Les mesures qu'il
annonce reviennent à un retour à la situation qui précédait la
montée sur le trône d'Amenhotep IV. Il commence lui-même par
changer son nom de Toutankhaton, « Image vivante d'Aton », en
Toutankhamon, « Image vivante d'Amon ». Il se fait aménager une
tombe à proximité de celle d'Amenhotep III et fait commencer les
travaux pour un temple funéraire à Medinet Habou, dont subsistera
seule une statue colossale du roi... qu'Horemheb usurpera. Il
construit dans le temple de Karnak et termine à Soleb le pendant du
lion de granit d'Amenhotep III. Mais il n'aura pas le temps de le
mettre en place : il meurt, après neuf années, à environ dix-neuf
ans. L'examen de sa momie a révélé une blessure dans la région de
l'oreille gauche qui a fait croire qu'il est peut-être mort d'une
hémorragie cérébrale. Quoi qu'il en soit, il disparaît
prématurément, sans avoir eu d'enfants de son épouse Ankhesenamon.
Les deux fœtus retrouvés dans sa tombe sont-ils des enfants
mort-nés accompagnant leur père dans l'au-delà ? Les hypothèses les
plus hasardées ont été avancées autour de ce jeune roi auquel les
circonstances tragiques de l'époque ont incité certains à prêter un
destin romantique que semblait confirmer l'état de sa tombe (VdR
62). La découverte sensationnelle de celle-ci par H. Carter frappa
encore plus les imaginations, lorsque les égyptologues apprirent au
public que ce qui lui paraissait un trésor d'un luxe inouï n'était
en réalité qu'un bric-à-brac hâtivement constitué en partie des
dépouilles de ses deux prédécesseurs pour ensevelir un roitelet
sans pouvoir qu'il voyait flânant dans un jardin merveilleux en
compagnie de sa jeune épouse.
Avec lui s'éteint la lignée d'Ahmosis. Sa veuve
supplie le roi hittite Suppiluliuma de lui envoyer un de ses fils
pour l'épouser et en faire le pharaon d'Égypte. Il accepte et fait
partir le prince Zannanzach... qui n'arrivera jamais. L'union des
empires hittite et égyptien ne se fera pas. Ankhesenamon épouse
peut-être le vizir de son défunt mari, Ay, que l'on voit dans la
tombe de Toutankhamon pratiquer sur la momie du roi le rite de
l'ouverture de la bouche, qui incombe traditionnellement au fils,
donc à l'héritier. Ce mariage reste hypothétique, dans la mesure où
l'on perd la trace d'Ankhesenamon après la mort de Toutankhamon et
où Ay se fait représenter dans sa tombe en compagnie de son épouse
Tiy II. Lui-même ne règne que pendant quatre ans, ce qui lui laisse
le temps de construire à Karnak et Louxor, de consacrer un temple
rupestre à Min à Akhmîm et de s'aménager à Medinet Habou un temple
funéraire incluant un palais qui sera repris et augmenté par
Horemheb. Il est enterré dans la Vallée des Rois, à proximité
d'Amenhotep III, dans une tombe (TT 23) sans doute prévue pour un
autre que lui.
Même si la damnatio
memoriae du pharaon hérétique bat son plein depuis le retour
à l'orthodoxie, on ne peut pas dire que l'épisode amarmien soit
terminé avec Ay. Certes, l'ancien chef des écuries n'appartient pas
à la lignée d'Ahmosis, mais sa famille y est trop liée pour que
l'on puisse considérer son règne comme une vraie coupure. Il
fallait un homme neuf pour tourner définitivement la page. C'est,
comme bien souvent dans ce genre de situation, un militaire, le
commandant en chef de l'armée, Horemheb, qui s'en charge. Ce
soldat, qu'il ne faut pas confondre avec le commandant en chef des
troupes d'Amenhotep IV, Paatonemheb, commence sa carrière politique
sous Toutankhamon, aux côtés duquel il s'est fait représenter dans
sa tombe memphite. Il joue alors le rôle de porte-parole du roi en
matière de politique extérieure. C'est lui qui mène une campagne
diplomatique auprès des gouverneurs nubiens, dont le résultat est
la visite que fit le prince de Miam (Aniba) à la Cour de
Toutankhamon — visite relatée dans la tombe du vice-roi Houy. C'est
toujours lui qui entreprend une campagne de « démonstration » en
Palestine aux côtés de Toutankhamon. On sait en effet selon les
sources en cunéiformes que les Hittites avaient fait un raid contre
Amqa, entre le Liban et l'Antiliban, ce qui constituait une
violation du territoire sous domination égyptienne. En
représailles, les Égyptiens s'emparent de Qadech et soulèvent
Nougès, reprenant ainsi le contrôle de la région pour quelques
années, jusqu'à ce que les Hittites reprennent à nouveau Qadech et
Amqa à la suite de l'assassinat de Zannanzach. Lors de cette
attaque, Suppiluliuma emmène prisonniers les Égyptiens présents
dans Amqa. Malheureusement pour lui, il y avait parmi eux des
pestiférés à cause desquels la peste devint endémique quelques
années plus tard dans le royaume hittite... ce que l'on ne manqua
pas d'interpréter comme un signe de la colère des dieux contre ceux
qui avaient osé rompre la paix. Aussi, lorsqu'il prit le pouvoir
après les événements que nous avons évoqués plus haut, Mursili II
rendit-il Amqa aux Égyptiens en expiation du sacrilège. Pendant
tout le règne d'Horemheb, la frontière resta fixée
approximativement à la hauteur du Liban.
Horemheb est avant tout le restaurateur de l'ordre
établi, comme l'indique sa titulature-programme. Il est l'Horus «
Taureau puissant aux décisions avisées ». Le verbe employé, seped,
est un terme technique qui décrit la mise en ordre et que d'autres
législateurs comme Amasis réutiliseront. Son nom d'Horus d'Or va
dans le même sens : « Celui qui se satisfait de Maât et fait
croître les Deux Terres. » Là encore, le verbe herou, que je traduis par « satisfaire », a un sens
juridique précis lié à l'application de la loi. La restauration de
l'ordre passe par la reconstruction. Ce second volet est évoqué par
son nom de nebty, « Aux nombreux miracles dans Karnak ». Il est en
effet un grand constructeur : à Medinet Habou où il agrandit pour
lui-même le temple funéraire d'Ay, mais aussi au Gebel el-Silsile,
avec un spéos sur la rive droite et au Gebel Adda où il consacre un
autre spéos à Amon et Thot. Il confirme l'importance de Memphis en
faisant élever des édifices dans l'enceinte du temple de Ptah et
dans celui d'Héliopolis. Mais c'est à Karnak qu'il donne toute sa
mesure, comme il a voulu lui-même le souligner dans son nom. Il
commence la salle hypostyle et élève trois pylônes : le deuxième,
qui ferme la salle hypostyle à l'ouest, et, dans l'axe nord-sud du
temple, les IXe et Xe, qu'il bourre avec les talatates provenant de la destruction du temple
atonien de l'Est. Au pied du Xe pylône,
qu'il relie par une allée de criosphinx au temple de Mout, il fait
élever une stèle portant le texte d'un décret qu'il prend pour
remettre en ordre le pays. Il y fixe des dispositions contre les
abus dus à la centralisation mise en place par Amenhotep IV et que
l'édit de Toutankhamon n'avait pas suffi à réprimer : dénis de
justice et corruption avaient survécu au système amarnien. Il met
pour cela en place des juges et des tribunaux régionaux et
réintroduit les instances religieuses locales. Le pouvoir juridique
est réparti entre la Haute et la Basse-Égypte : entre le vizir de
Thèbes et celui de Memphis. La dualité du pays se retrouve
également dans l'armée, dont les cadres sont refondus et répartis
en deux circonscriptions militaires : l'une au nord, l'autre au
sud.
Il se fait enterrer, après vingt-sept ans de
règne, non pas dans la tombe qu'il s'était aménagée à Memphis du
temps où la Cour de Toutankhamon y séjournait, mais à Thèbes, dans
la Vallée des Rois. Sa tombe (VdR 57) conserve le souvenir de
l'époque amarnienne par la mode des costumes et un certain style.
Elle innove aussi sur le plan technique avec l'emploi du relief
dans le creux, qui se substitue à la peinture sur plâtre ou enduit.
Elle apporte aussi de nouveaux thèmes : elle contient le premier
exemplaire du Livre des Portes, l'un des grands « livres »
funéraires royaux de l'époque ramesside. Sans doute a-t-elle été
commencée tardivement, car la décoration en est inachevée.
Horemheb n'ayant pas d'héritier mâle, qui lui ait
survécu en tout cas, transmet le pouvoir à un autre militaire, un
général originaire du Delta qui va fonder une nouvelle dynastie,
celle des Ramsès.