CHAPITRE IX
Ahmosis
La reconquête du pays a été suivie de sa
réorganisation. Autant que l'on puisse en juger, les structures
administratives avaient continué à fonctionner sur les cadres
établis au Moyen Empire et maintenus localement par les nomarques.
Dans un premier temps, Ahmosis s'assure de l'obéissance de ceux-ci.
Il ne réinstalle pas les anciennes familles qui avaient été
écartées de leur charge à la XIIe
dynastie. Les seuls points forts sur lesquels il peut s'appuyer
sont sa propre province, Thèbes, et Elkab. En fait, on ne sait rien
de cette réorganisation: on la déduit de l'état de l'administration
à la XVIIIe dynastie. Il met sans doute
en place ceux des dignitaires locaux qui ont été favorables à la
cause thébaine. Procède-t-il à des distributions de terres? Il est
peu probable que celles-ci aient dépassé la simple récompense
accordée à un vétéran dans sa ville d'origine, comme nous l'avons
vu pour Ahmès fils d'Abana. La nouvelle administration reprend
selon toute vraisemblance en main l'irrigation et, par là, le
système fiscal. Mais il n'est pas impossible qu'elle n'ait eu qu'à
récupérer ce que les Hyksôs avaient abandonné. Le pays était en
effet prospère, et la location par les Thébains de pâturages dans
le Delta, chez les « Asiatiques », témoigne de l'efficacité de son
organisation.
Dans le domaine économique et artistique,
l'ouverture sur le Proche-Orient, déjà bien amorcée à la
XIIe dynastie et poursuivie après, est
maintenue. Elle conditionne la reprise de l'importation de matières
premières et, par voie de conséquence, de la production artistique.
On peut en avoir un exemple à travers le texte de la stèle (CGC
34001) qu'Ahmosis consacre dans le temple d'Amon-Rê de Karnak pour
commémorer son action et celle de sa mère, la reine Ahhotep. Les
produits précieux qu'ils offrent à Amon-Rê sont faits dans des
matières qui recommencent à affluer en Égypte: l'argent et l'or
d'Asie et de Nubie, le lapis-lazuli d'Asie centrale, la turquoise
du Sinaï... On retrouve alors trace d'activité à Sérabit el-Khadim,
sous forme d'objets votifs au nom d'Ahmès-Néfertary déposés dans le
temple d'Hathor. Certains bijoux d'Ahhotep au nom d'Ahmosis
comportent d'ailleurs de la turquoise; d'autres, en argent et
lapis-lazuli, présentent des motifs minoens. Cela ne prouve pas
l'existence d'un commerce avec la Crète, mais laisse supposer au
moins une influence, peut-être via Byblos, avec laquelle les
relations commerciales sont attestées par la mention sur la stèle
de Karnak d'une barque en cèdre consacrée à Amon-Rê. Le monde
égéen, enfin, fait partie, sur cette même stèle, des pays soumis à
l'Égypte, en compagnie de la Nubie et de la Phénicie — ce qui n'est
peut-être qu'une clause de style.
Sous Ahmosis les constructions religieuses et
funéraires reprennent, et sont d'une grande qualité technique. Il
suffit de regarder le mobilier funéraire de la reine Ahhotep pour
s'en convaincre. La finesse de la gravure des stèles royales
d'Ahmosis d'Abydos et de Karnak n'a rien à envier aux œuvres du
Moyen Empire. En revanche, aucune tradition artistique n'est
attestée à cette époque dans le Delta : l'art hyksôs paraît se
tarir avec le départ des Asiatiques.
Peu de vestiges des temples édifiés sous Ahmosis
ont subsisté. Peut-être est-ce parce qu'ils étaient le plus souvent
édifiés en briques crues? On sait qu'il a construit à Bouhen, où
l'on a retrouvé des éléments de porte à son nom, dans le temple
d'Amon-Rê de Karnak et dans celui de Montou d'Ermant. À Abydos, il
a fait ériger deux cénotaphes en briques dans la partie méridionale
de la nécropole : un pour lui-même, l'autre pour Tétichéri. En l'an
22, il rouvre les carrières de Toura, peut-être en vue de la
construction d'un temple de Ptah à Memphis et d'un autre, à Louxor,
qui aurait été le « harem méridional » d'Amon. Ces projets ne
furent pas menés à bien de son vivant, mais il privilégie quand
même nettement Amon thébain au détriment des cultes de Moyenne et
Basse-Égypte. C'est sans doute la raison pour laquelle Hatchepsout
se présentera plus tard comme la restauratrice des temples de
Moyenne-Égypte détruits par les Hyksôs.
Enterré à Dra Abou'l-Naga, Ahmosis est l'objet
après sa mort d'un culte funéraire dans son cénotaphe d'Abydos —
culte qu'il partage avec sa grand-mère et voisine, Tétichéri.
Celle-ci est, en effet, l'une des trois figures féminines qui
dominent le début du Nouvel Empire. Bien que d'origine non royale,
elle est considérée comme l'ancêtre de la lignée et reçoit un culte
en tant que telle à la XVIIIe dynastie.
Elle a vécu jusqu'à l'époque de son petit-fils, auquel elle est
associée sur une stèle conservée aujourd'hui à l'University College
de Londres. Ahmosis lui-même lui rend un culte sur la stèle qu'il
lui a dédiée dans sa chapelle funéraire d'Abydos, où elle possède
donc un cénotaphe et un domaine funéraire, tout comme à
Memphis.
La deuxième à recevoir un culte est Ahhotep
Ire, qui meurt entre l'an 16 et 22 de
son fils. Dans sa stèle de Karnak, Ahmosis dit d'elle:
« Celle qui a accompli les rites et pris soin de
l'Égypte. Elle a veillé sur ses troupes et les a protégées. Elle a
ramené ses fugitifs et rassemblé ses déserteurs. Elle a pacifié la
Haute-Égypte et a chassé les rebelles. » (Urk. IV 21,9-16.)
L'allusion au rôle de la reine mère auprès de son
fils trop jeune dans les premières années est claire. C'est une
régence qui ne dit pas son nom, mais dont on trouve un souvenir sur
la porte de Bouhen évoquée plus haut où le nom de la mère est
associé à celui de son fils.
Dernière reine, enfin, qui connaîtra un culte
thébain jusque sous Hérihor, à la fin du IIe millénaire avant notre ère donc,
Ahmès-Néfertary, l'épouse d'Ahmosis. Elle survit à son mari,
puisqu'on a encore trace d'elle en l'an 1 de Thoutmosis
Ier. C'est le personnage clef du début
du Nouvel Empire. Elle renonce en l'an 18 ou 22 d'Ahmosis à la
fonction de Deuxième Prophète d'Amon et reçoit en contrepartie une
dotation qui servira à entretenir le collège du « domaine de la
Divine Épouse », dont elle est la première à assumer la fonction.
Sur la stèle où est consigné cet acte, on la voit en compagnie du
prince héritier Ahmès Sapaïr, qui mourra sans accéder au trône. À
la mort de son mari, elle assure la régence pour son fils Amenhotep
Ier, trop jeune pour régner.
Entre-temps, elle a été associée aux grands événements du royaume,
et son nom apparaît de Saï à Toura. Lorsqu'elle meurt, elle est
l'objet d'un culte très populaire, associée ou non à son fils
Amenhotep Ier, dans le rituel duquel
elle est citée: elle apparaît dans au moins cinquante tombes
civiles et sur plus de quatre-vingts monuments, de Thoutmosis III à
la fin de la période ramesside, au tournant donc du Ier millénaire, tant à l'est qu'à l'ouest de
Thèbes, le foyer principal restant Deir el-Médineh.
Les débuts de la dynastie
L'incertitude dans les dates que nous évoquions
plus haut à propos d'Ahmosis donne une variation de presque un
quart de siècle selon les auteurs pour le début du règne
d'Amenhotep Ier. On admettait autrefois
qu'il fallait le placer en 1557 (Drioton & Vandier : 1962). Or
il se trouve que le lever héliaque de Sirius a été observé sous
Amenhotep Ier, ce qui permet une
datation absolue par le point de départ d'une période sothiaque. Le
phénomène est rapporté par le Papyrus Ebers, sur lequel on peut
lire très exactement:
« Neuvième année de règne sous la Majesté du roi
de Haute et Basse-Égypte Djéserkarê — puisse-t-il vivre à jamais!
Fête de l'An Nouveau : troisième mois de l'été, neuvième jour -
lever de Sirius. » (Urk. IV 44,5-6).
S'il s'agit bien du lever héliaque de Sirius
(Helck, GM 67 (1983),
47-49), le calcul astronomique donne 1537, soit, pour le début du
règne, 1546 (CAH I3,1, ch. VI et
II3, 308), à condition que
l'observation ait eu lieu à Memphis. Si elle a eu lieu à Thèbes,
dont on peut supposer qu'elle était la capitale donc le lieu de
référence, il faut tout décaler de vingt ans, ce qui donne 1517
pour le phénomène astronomique et 1526 pour le couronnement
d'Amenhotep Ier (LÄ I 969).
HYKSÔS | XVIIIe DYNASTIE | |
---|---|---|
1552 (1560) | AHMOSIS | |
1542 | Aazehrê | |
Apophis III | ||
1526 (1537) | AMENHOTEP Ier | |
1506 (1526) | THOUTMOSIS Ier | |
1493 (1512) | THOUTMOSIS II | |
1479 (1504) | THOUTMOSIS III | |
1478 (1503) | HATCHEPSOUT | |
1458 (1482) | THOUTMOSIS III | |
1425 (1450) | AMENHOTEP II | |
1401 (1425) | THOUTMOSIS IV | |
1390 (1417) | AMENHOTEP III | |
1352 (1378) | AMENHOTEP IV | |
1348 (1374) | AKHENATON | |
1338 (1354) | Smenkhkarê (?) | |
1336 | TOUTANKHATON | |
TOUTANKHAMON | ||
1327 | AY | |
1323 | HOREMHEB | |
(-1314) |
Tableau chronologique de la XVIIIe dynastie.
Amenhotep monte donc sur le trône probablement à
l'été ou à l'automne 1526, avec un programme tourné vers les pays
étrangers: il est l'Horus Ka-ouâf-taou,
« Taureau qui subjugue les pays », et prend pour nom de nebty,
aâ-nerou, « Qui inspire un grand effroi
». Plus tard Ramsès II se souviendra de ces deux noms, qu'il
associera dans un nom d'Horus (Grimal : 1986, 694). Ses vingt et
une années de gouvernement sont pourtant pacifiques, tant à
l'intérieur qu'à l'extérieur. La Nubie est calme: Ahmès fils
d'Abana relate une
campagne menée contre les Iountyou, qui n'est probablement guère
plus qu'un raid. Un autre guerrier de l'époque, Ahmès Pennekhbet —
concitoyen d'Ahmès fils d'Abana, qui finit précepteur de la fille
d'Hatchepsout et laissa lui aussi une biographie dans sa tombe
d'Elkab — mentionne une campagne contre Kouch: peut-être est-ce la
même? C'est Amenhotep Ier qui nomme
Touri vice-roi et fait construire à Saï un temple qui marque la
limite méridionale du pouvoir égyptien. En Asie non plus, il n'y a
pas trace de guerre, même si le Mitanni est mentionné parmi les
adversaires de l'Egypte. Il est encore trop tôt en effet pour un
affrontement entre les deux puissances. Cela n'empêche pas le
Mitanni de commencer à remettre en cause la domination égyptienne à
proximité de l'Euphrate. Plus près de la Vallée, les oasis sont
entièrement reconquises, comme l'atteste l'existence d'un «
prince-gouverneur (haty-a) des oasis »
(Stèle Louvre C 47), et les installations de Sérabit el-Khadim ont
été restaurées.
L'essor du pays se poursuit, tant sur le plan
économique qu'artistique. Malheureusement, il est difficile de
juger de la production plastique des ateliers : peu de statues du
roi sont datables de son vivant. Liées à son culte posthume, elles
sont l'œuvre de ses successeurs. On peut toutefois se faire une
idée de la qualité de ses réalisations à travers ceux de ses
monuments qui ont survécu aux remaniements postérieurs. À Karnak,
Amenhotep III a réutilisé ses constructions pour le bourrage
intérieur du IIIe pylône: un reposoir
de barque en albâtre d'une grande finesse, sur lequel il est
associé à Thoutmosis Ier, une copie en
calcaire de la chapelle blanche de Sésostris Ier, divers fragments provenant de chambres
reconstruites plus tard par Thoutmosis III. Il n'a pas eu plus de
chances à Deir el-Bahari où le sanctuaire en briques crues qu'il
avait élevé à Hathor a été supprimé par Hatchepsout. Quelques
traces de ses constructions subsistent en Haute-Égypte : à
Éléphantine, Kôm Ombo, dans le temple de Nekhbet d'Elkab et à
Abydos. En revanche, il semble n'avoir rien entrepris en
Basse-Égypte, poursuivant ainsi la politique de son père.
C'est un de ses sujets, un nommé Amenemhat, qui
invente la clepsydre (Helck: 1975, 111-112), dont le premier modèle
connu date d'Amenhotep III (Caire JE
37525). Le Papyrus Ebers, l'une de nos principales sources de
connaissance de la médecine égyptienne, qui provient de Louxor et
est aujourd'hui conservé à Leipzig, a été rédigé sous son règne.
C'est aussi à son époque qu'est probablement achevée la version
définitive du principal livre funéraire royal, le Livre de l'Amdouat, que l'on trouve pour la
première fois représenté dans la chambre funéraire de Thoutmosis
Ier, et dont on a aujourd'hui tendance
à faire remonter l'origine beaucoup plus haut dans le temps : au
Moyen, voire à l'Ancien Empire.
Le Livre de l'Amdouat
est une désignation générique de l'ensemble des livres funéraires
royaux. Il est destiné à prendre dans une certaine mesure la suite
des grandes compositions antérieures : son but est autant de
décrire, comme son nom l'indique, « ce qui est dans le monde
infernal », que de fournir au mort les clefs rituelles qui lui
permettront d'y accéder. Il se présente donc comme une composition
descriptive, divisée en douze heures, au centre de laquelle se
trouve la course nocturne du soleil. Très en vogue jusqu'à l'époque
amarnienne, il sera repris, après une courte éclipse, de Séthi
Ier à la fin de la XXe dynastie. Ensuite, et jusqu'à la conquête
d'Alexandre, il sera adopté par les particuliers.
On ne sait pas où Amenhotep Ier a été enterré. Est-ce à Dra Abou'l-Naga? Il
serait le dernier de la lignée à l'avoir fait, puisque son
successeur Thoutmosis Ier inaugure la
nécropole de la Vallée des Rois. La tombe d'Amenhotep Ier est la première que nomme le rapport
d'inspection de l'an 16 de Ramsès IX copié sur le Papyrus Abbott,
mais le point de repère par rapport auquel il la situe ne permet
pas d'évaluer exactement sa position (PM 1599). La seule chose sûre est qu'il apporte
une modification radicale à la structure du complexe funéraire en
séparant la sépulture du temple funéraire. Il sera suivi en cela
par tous ses successeurs, qui construiront chacun sur la rive
occidentale de Thèbes leur « Demeure des Millions d'Années ».
Hatchepsout
Amenhotep Ier ayant
perdu son fils Amenemhat, c'est le descendant d'une branche
collatérale qui lui succède : Thoutmosis Ier qui confirme sa légitimité en épousant Ahmès,
la sœur d'Amenhotep Ier. De ce mariage
naît une fille, Hatchepsout et un garçon, Aménémès. Ce dernier ne
régnera pas. Sa sœur, en revanche, épousera son demi-frère, que son
père a eu d'une concubine, Moutnefret. Ce demi-frère montera sur le
trône sous le nom de Thoutmosis II. À nouveau, le mariage de
Thoutmosis II et d'Hatchepsout ne donnera pas d'héritier mâle, mais
une fille unique Néférourê que sa mère mariera probablement à son
beau-fils, Thoutmosis III, né, lui, d'une concubine nommée
Isis.
Voilà, en quelques grands traits, les difficultés
successorales des descendants d'Ahmosis. Le principe du mariage
avec une demi-sœur fonctionne deux fois, à la satisfaction
générale. Mais Thoutmosis II meurt, probablement de maladie, en
1479, après seulement quatorze ans de règne. Il laisse un fils, le
futur Thoutmosis III, trop jeune pour assumer le pouvoir. Son
épouse, la belle-mère du jeune Thoutmosis, exerce donc une régence,
qu'un fonctionnaire qui fut intendant des greniers d'Amon,
d'Amenhotep Ier à Thoutmosis III,
Inéni, décrit ainsi dans le récit de sa vie qu'il fit graver sur
une stèle placée sous le portique de sa tombe rupestre de Cheikh
Abd el-Gourna (TT 81) :
« [Le roi] monta au ciel et s'unit aux dieux. Son
fils prit sa place comme roi des Deux Terres et il fut le souverain
sur le siège de celui qui l'avait engendré. Sa sœur, l'épouse
divine Hatchepsout, s'occupait des affaires du pays : les Deux
Terres étaient sous son gouvernement et on lui payait l'impôt. »
(Urk. IV 59,13-60,3).
En l'an 2 ou 3, Hatchepsout abandonne cette forme
de pouvoir et se fait couronner roi, avec une titulature complète :
elle est Maâtkarê, « Maât est le ka de
Rê », Khenemet-Imen-hatchepesout, «
Celle qu'embrasse Amon, la première des femmes ». Officiellement,
Thoutmosis III n'est plus que son corégent. Pour justifier cette
usurpation, elle met en quelque sorte Thoutmosis II entre
parenthèses en s'inventant une corégence avec son père qu'elle
intègre dans un ensemble de textes et de représentations dont elle
décore le temple funéraire qu'elle se fait construire dans le
cirque de Deir el-Bahari, non loin de celui de Montouhotep II. Ce «
texte de la jeunesse d'Hatchepsout », dont Thoutmosis III reprendra
le principe à Karnak, est un récit à la fois mythologique et
politique.
Dans la première scène, Amon annonce à l'Ennéade
son intention de doter l'Egypte d'un nouveau roi. Thot lui
recommande l'épouse de Thoutmosis Ier,
Ahmès. Amon la visite et lui annonce qu'elle mettra au monde une
fille de lui qu'elle appellera « Celle qu'embrasse Amon, la
première des femmes ». Chnoum, le dieu potier, façonne alors à sa
demande l'enfant et son double sur son tour. Ahmès met sa fille au
monde et la présente à Amon. Celui-ci veille à l'éducation de
l'enfant avec l'aide de Thot et de sa nourrice divine Hathor.
Ensuite viennent les scènes de couronnement. Après
qu'elle a été purifiée, Amon la présente aux dieux de l'Ennéade. En
leur compagnie, elle se rend dans le Nord. Puis elle est intronisée
par Atoum et reçoit les couronnes et sa titulature. Proclamée roi
par les dieux, elle doit encore l'être par les hommes. Son père
humain, Thoutmosis Ier, l'introduit
devant la Cour, la désigne et la fait acclamer. Une fois sa
titulature proclamée, elle subit une nouvelle purification. (Urk.
IV 216,1-265-5)
Elle associe son père à son propre culte funéraire
en lui consacrant une chapelle dans son temple de Deir el-Bahari.
On a retrouvé dans sa tombe (VdR 20) un sarcophage de Thoutmosis
Ier, qui en possédait déjà un dans la
sienne (VdR 38). On ne peut malheureusement pas dire si Hatchepsout
poussa le souci de légitimation jusqu'à réensevelir son
prédécesseur dans sa propre tombe, car la momie de Thoutmosis
Ier fut retrouvée dans la cachette de
Deir el-Bahari, réinstallée dans un troisième sarcophage (CGC
61025),... usurpé par Pinedjem quatre siècles plus tard.
Elle règne ainsi jusqu'en 1458, c'est-à-dire en
l'an 22 de Thoutmosis III, qui récupère alors son trône.
Apparemment, elle a eu à affronter de son vivant une opposition
moins grande que la rage que mettra son beau-fils à effacer son
souvenir après sa mort ne le laisserait croire. Elle s'appuie pour
gouverner sur un certain nombre de personnalités marquantes. Au
premier rang se trouve Senmout. Issu d'une famille modeste
d'Ermant, il fait sous son règne l'une des plus belles carrières
qu'ait connues l'Égypte ancienne. Il est « porte-parole » de la
reine en même temps que majordome de la famille royale et d'Amon,
dont l'ensemble des constructions est sous sa responsabilité. C'est
à ce titre qu'il supervise le transport et l'érection des
obélisques que la reine installe dans le temple d'Amon-Rê de Karnak
et la réalisation du temple funéraire de Deir el-Bahari, face
auquel il se fait creuser une seconde tombe (TT 353), en plus de
celle qu'il possédait déjà à Cheikh Abd el-Gourna (TT 71). Les
mauvaises langues suggéraient déjà à son époque qu'il devait sa
faveur aux relations intimes qu'il entretenait avec la reine. En
réalité, il semble que son audience venait du rôle qu'il jouait
dans l'éducation de la fille unique d'Hatchepsout, Néférourê,
auprès de laquelle l'un de ses frères, Sénimen, remplissait les
fonctions de nourrice et de majordome. De nombreuses statues
associent la princesse et Senmout, qui était un homme de culture.
Ses réalisations en tant qu'architecte le montrent, mais aussi la
présence dans sa tombe de Deir el-Bahari d'un plafond astronomique,
et dans celle de Gourna d'environ 150 ostraca, parmi lesquels
figurent bon nombre de dessins, notamment deux plans de la même
tombe, des listes, calculs et mémoires divers et des copies de
textes religieux, funéraires et littéraires : Satire des Métiers, Conte de Sinouhé, Enseignement
d'Amenemhat Ier, etc. (Hayes :
1942). Senmout est omniprésent pendant les trois quarts du règne,
puis tombe en disgrâce, sans que l'on en sache exactement la cause.
On a supposé qu'après la mort de Néférourê, peut-être survenue en
l'an 11, il entreprit un rapprochement avec Thoutmosis III qui lui
valut d'être abandonné par Hatchepsout en l'an 19, soit trois ans
avant la disparition de la reine.
À Deir el-Bahari, Senmout reprend l'idée générale
du temple funéraire de Montouhotep II (Fig. 75) et oriente l'édifice d'Hatchepsout en
fonction de son mur d'enceinte nord. La grande originalité de ce
complexe est sa disposition en terrasses successives qui ménagent
une série de ruptures de plans en harmonie avec le cirque naturel
de la falaise. On accédait à la terrasse inférieure par un pylône
flanqué probablement d'arbres ; une rampe axiale bordée de deux
portiques conduit à la deuxième terrasse, surélevée par rapport à
la première de la hauteur des portiques, eux-mêmes flanqués, au sud
et au nord, de deux colosses osiriaques. La décoration du portique
sud montre le transport et l'érection des obélisques de Karnak,
celle de celui du nord des scènes de chasse et de pêche.
La deuxième terrasse est aménagée selon le même
principe : le portique nord contient le récit de l'expédition de
Pount, l'autre les scènes de la théogamie et joue donc le rôle d'un
temple de la naissance, un mammisi. La
partie nord de la deuxième terrasse donne accès à un sanctuaire
d'Anubis, dont la chapelle est taillée dans la falaise. La partie
sud est limitée par un mur de soutènement à redans. Entre lui et le
mur d'enceinte, un couloir, accessible depuis la terrasse
inférieure, conduit à une chapelle consacrée à Hathor. On peut
atteindre directement la seconde hypostyle de cette chapelle par le
portique de la terrasse supérieure. Cette dernière est bordée par
un péristyle. Au nord se trouve un temple solaire, qui comprend un
autel dans une cour à ciel ouvert et une chapelle rupestre, dans
laquelle Thoutmosis Ier rend le culte à
Anubis. C'est dans la falaise qu'est creusé le sanctuaire
principal, bordé de niches contenant des statues de la reine : une
enfilade de trois chapelles, dont la première est le reposoir de la
barque sacrée.
Dans le parti de la reine se trouve encore le
Grand Prêtre d'Amon, Hapouseneb, lui-même allié à la famille royale
par sa mère, la dame Ahhotep, et descendant d'une famille
importante : son père, Hapou, n'était que prêtre-lecteur d'Amon,
mais son grand-père, Imhotep, avait été le vizir de Thoutmosis
Ier. Il exécute la construction du
temple de Deir el-Bahari, puis se voit confier la charge de Grand
Prêtre et installe son frère comme scribe du trésor d'Amon. Il faut
également nommer le chancelier Néhésy, qui dirige l'expédition que
la reine envoie, en l'an 9, vers le pays de Pount, renouant ainsi
avec la tradition du Moyen Empire. Cette expédition, abondamment
retracée sur les murs de son temple funéraire, a été le temps fort
d'une politique extérieure qui s'est bornée à l'exploitation des
mines du Ouadi Maghara dans le Sinaï et à une expédition militaire
en Nubie, où la reine a remplacé le vice-roi Séni, encore en poste
sous Thoutmosis II, par un dénommé Inebni. Elle est aussi assistée,
entre autres, par le trésorier Djéhouty (TT 110), le chef majordome
et vétéran Amenhotep (TT 73) qui mena à bien l'érection des deux
obélisques de Karnak, et le vizir Ouseramon, en charge depuis l'an
5.
Lorsque Thoutmosis III récupère son trône, vers
1458, il a encore trente-trois ans devant lui pour mener une
politique qui fera de l'Égypte le maître incontesté de l'Asie
Mineure et du Sud. Pendant le règne d'Hatchepsout, aucune action
militaire n'était venue consolider les positions acquises par
Thoutmosis Ier lors d'une expédition
préventive dans le Retenou et le Naharina qui lui avait permis
d'établir une stèle-frontière au bord de l'Euphrate. En Nubie, il
avait étendu la domination égyptienne jusqu'à l'île d'Argo sur la
Troisième Cataracte en y construisant la forteresse de Tombos. Il
pouvait y écrire en l'an 2 que son empire s'étendait de la
Troisième Cataracte à l'Euphrate (Urk. IV 85, 13-14). Thoutmosis II
avait entretenu cette
domination par deux campagnes : l'une en Nubie, en l'an 1, pour
mater une révolte de Kouch ; l'autre en Palestine : menée contre
les bédouins Chosou du Sud palestinien, elle l'avait conduit
jusqu'à Niya en Naharina (la future Apamée, aujourd'hui Qalât
el-Moudik).
Fig. 89. L'Égypte et le monde antique à l'âge du
Bronze Moyen
La gloire de Thoutmosis III
Thoutmosis III doit tout de suite faire face à une
révolte des principautés asiatiques, coalisées autour du prince de
Qadech sous l'influence du Mitanni, qui se produit à la mort
d'Hatchepsout. Il ne lui faudra pas moins de dix-sept campagnes
pour arriver à maîtriser la situation. Le Mitanni est la
désignation politique de la civilisation hourrite contemporaine des
Kassites de Babylonie. Il constitue son empire des dépouilles de
celui d'Hammurapi et atteint son apogée au XVe siècle. Son noyau se situe entre le Tigre et
l'Euphrate, au sud du Taurus, et il s'étend sur la Syrie et le
Kurdistan au nord pour atteindre la région palestinienne. C'est le
lieu d'affrontement avec l'Égypte depuis Ahmosis : le but des
Égyptiens est de repousser le plus loin possible les « Asiatiques »
susceptibles de menacer les frontières ; celui du Mitanni d'engluer
ces dangereux rivaux dans des luttes locales, qui ne doivent pas
dépasser la Syrie sous peine de menacer directement leur empire.
Pour ce faire, les Mitanniens attisent les rivalités qui opposent
depuis toujours ces petites principautés entre elles en jouant un
jeu subtil de retournements d'alliances.
L'affrontement entre Égyptiens et Mitanniens se
déroule en cinq étapes, que l'on peut suivre à travers les Annales
que Thoutmosis III fit graver dans le temple d'Amon-Rê de Karnak, à
proximité du sanctuaire de la barque sacrée. Le but de ces textes
est à la fois commémoratif et pratique. Il s'agit d'une énumération
de faits, présentés selon un mode dramatique propre au récit royal
traditionnel, accompagnée d'un état, campagne par campagne, du
butin rapporté par les armées égyptiennes et consacré à
Amon-Rê.
Dans un premier temps, Thoutmosis III pare au plus
pressé : en l'an 22-23, il entreprend une campagne qui doit lui
permettre de reconquérir le Retenou. Il part du Delta oriental et
remonte par Gaza vers Yhem (aujourd'hui Imma, au sud-ouest du mont
Carmel) et atteint par un défilé la plaine de Megiddo. Il met le
siège pendant sept mois devant la ville, qui finit par tomber. Il
peut alors remonter vers Tyr et s'emparer au passage des villes de
Yenoam, Nougès (Nuhasse, au sud d'Alep) et Méhérenkarou. Il brise
ainsi la branche occidentale de la coalition et progresse vers le
débouché portuaire traditionnel de l'Égypte sur la
Méditerranée.
Il organise cette conquête pendant les trois
campagnes suivantes, de l'an 22 à l'an 24, en conduisant chaque
année une tournée d'inspection qui permet d'assurer la collecte des
tributs que versent les vaincus, au nombre desquels sont comptés
les princes d'Assur et du Retenou. Il saisit également la récolte
de blé de la plaine de Megiddo, qu'il fait transporter en Égypte,
ainsi que de nombreux exemplaires de la faune et de la flore de
Syrie. Il commémore cet aspect de la campagne de l'an 25 en faisant
représenter sur les murs d'une des pièces qu'il fait aménager à
Karnak à l'est de sa salle des fêtes un véritable « jardin
botanique ». Celui-ci est en quelque sorte le pendant de la
description de la faune et de la flore de Pount du temple
d'Hatchepsout à Deir el-Bahari. Tous deux jouent probablement le
même rôle que les « scènes des saisons » de Niouserrê : affirmer
l'universalité du culte solaire auquel ils sont liés.
De l'an 29 à l'an 32, Thoutmosis III s'attaque au
Djahy et à Qadech. Il s'assure d'abord de la façade maritime en
prenant Oullaza, à l'embouchure du Nahr el-Barid, que tenait le
prince de Tounip, allié de Qadech et du Naharina, et Ardata, à
quelques kilomètres au sud-ouest de Tripoli. Après avoir ravagé la
région d'Ardata en y détruisant récoltes et vergers, les troupes
égyptiennes occupent le Djahy, que les textes décrivent comme une
véritable Capoue syrienne :
« Sa Majesté découvrit alors les arbres du pays de
Djahy tout entier croulant sous leurs fruits. Et ce fut la
découverte des vins qu'ils font dans leurs pressoirs, si gouleyants
! Et leur blé, amoncelé en tas sur les aires, plus abondant que le
sable du bord de mer ! L'armée en prit à satiété. » (Urk. IV 687,9-688,1.)
Lors de la sixième campagne, l'année suivante, les
Égyptiens arrivent par la mer en Syrie. Ils remontent jusqu'à
Qadech dont ils dévastent la région, puis se tournent à nouveau
vers la côte, marchent sur Simyra au nord de l'embouchure du Nahr
el-Kébir et se portent contre Ardata qui s'était probablement
révoltée entre-temps. Afin d'éviter de nouvelles révoltes,
Thoutmosis III a recours à une politique que reprendra Rome plus
tard : il emmène à la Cour d'Égypte trente-six fils de chefs qui
serviront d'otages et seront élevés à l'égyptienne avant d'être
renvoyés dans leur pays prendre la succession de leurs pères. Mais
la pacification n'est pas achevée pour autant. L'année suivante, le
roi mène une septième campagne à nouveau contre Oullaza que les
coalisés avaient retournée. La chute d'Oullaza amène la soumission
des ports phéniciens, dont le roi assure l'approvisionnement à
partir de l'arrière-pays afin d'éviter un nouveau renversement de
situation. À son retour en Égypte, il reçoit une ambassade d'un
pays asiatique non identifié qui vient lui rendre hommage.
Jusque-là, les Annales
ne citaient que les combats de Syro-Palestine. Pour la première
fois en l'an 31, il est question des tributs versés par Kouch et
Ouaouat. Ils apparaîtront jusqu'en l'an 38, puis moins
régulièrement ensuite, sans qu'il y ait vraiment de troubles.
Thoutmosis III se bornera à une campagne vers la fin de son règne,
en l'an 50, qui ne visera d'ailleurs qu'à l'extension de l'Empire
jusqu'à la Quatrième Cataracte où l'influence égyptienne s'étendait
déjà : le plus ancien document connu du Gebel Barkal date en effet
de l'an 47 de Thoutmosis III.
En l'an 33 commence une nouvelle phase des guerres
d'Asie : l'affrontement direct avec le Mitanni. Pour y arriver, il
fallait s'assurer les moyens de franchir la barrière naturelle qui
protégeait l'adversaire : l'Euphrate. Thoutmosis III fait
construire des bateaux fluviaux que son armée traîne à travers la
Syrie. Les Égyptiens atteignent Qatna, c'est-à-dire Mishrifé, à
l'est de l'Oronte, et l'occupent. Puis ils se dirigent vers
l'Euphrate. Thoutmosis III le franchit et consacre une stèle
commémorative à côté de celle érigée naguère par son grand-père. Il
remonte ensuite vers le nord, ravage la région située au sud de
Karkémish, défait un parti ennemi et repasse à l'ouest. Il retourne
sur l'Oronte à la hauteur de Niya, qui marquera désormais la limite
septentrionale de l'influence égyptienne, Alep étant la place forte
la plus avancée des Mitanniens. Là, il se livre à une chasse à
l'éléphant, comme l'avait sans doute fait avant lui Thoutmosis
Ier, et rentre en Égypte après avoir
assuré, comme il le fera désormais à chaque campagne,
l'approvisionnement des ports phéniciens. Cette année-là, il reçoit
tribut du Retenou, mais aussi de ceux que le franchissement de
l'Euphrate a théoriquement placés sous sa domination : la
Babylonie, Assur et les Hittites.
Les neuf campagnes suivantes seront consacrées à
essayer de réduire les forces mitanniennes en Naharina. En l'an 34,
lors de sa neuvième campagne, Thoutmosis III mate une révolte du
Djahy et prend Nougès. Il doit revenir l'année suivante pour
affronter une nouvelle coalition mitannienne au nord-ouest d'Alep.
Le succès en est peut-être un peu plus grand que l'année
précédente, puisque, à la suite de cette victoire égyptienne, les
Hittites versent un tribut. Le récit des campagnes des deux années
suivantes est perdu. Sans doute n'ont-elles pas été beaucoup plus
décisives que les précédentes : l'armée égyptienne doit à nouveau
razzier la région de Nougès. Cette fois, Alalah fait partie des
peuples payant tribut : le prince d'Alep est donc réduit à son seul
domaine, et l'année suivante, Thoutmosis III se contente de
réprimer une révolte des bédouins Chosou. Ce n'est qu'en l'an 42
qu'il fera une seizième et dernière campagne en Djahy, où les
principautés phéniciennes avaient à nouveau basculé du côté
mitannien. Il s'empare du port d'Arqata à proximité de Tripoli et
ravage Tounip. Il se rend ensuite dans la région de Qadech où il
prend trois cités, tuant un fort parti mitannien. Cette victoire,
qui clôt pour une dizaine d'années les démêlés de l'Égypte et du
Mitanni, a un certain retentissement, puisqu'à sa suite une cité de
Cilicie, Adana, paye tribut à l'Égypte. La fin du règne est plus
calme : la suprématie égyptienne est provisoirement reconnue au
Proche-Orient et les relations avec la mer Égée cordiales.
Thoutmosis III n'est pas seulement un grand
guerrier. Il poursuit les programmes de construction entrepris
depuis Thoutmosis Ier, qui avait fait
commencer par l'architecte Inéni la transformation du temple
d'Amon-Rê de Karnak, et entreprend également des travaux à Deir
el-Bahari et Medinet Habou, sur lesquels nous reviendrons plus
loin. Son activité de bâtisseur se développe surtout vers la fin de
son règne et recoupe celle d'Hatchepsout. Mais il a beau faire
marteler le nom de celle-ci sur les monuments, de façon à la
condamner à la pire des morts pour un Égyptien, celle de l'oubli,
elle reste présente à Ermant, dans le temple de Montou que
Thoutmosis III agrandit, dans la région de Béni Hassan, où elle a
consacré à la déesse Pakhet un temple rupestre que les Grecs,
assimilant Pakhet à la déesse guerrière Artémis, appelleront Spéos
Artémidos. Thoutmosis III en termine la décoration, à l'exception
du fond du sanctuaire, qui le sera par Séthi Ier. C'est à l'entrée de ce spéos qu'Hatchepsout
énumère les constructions qu'elle a consacrées aux dieux en
Moyenne-Égypte: restauration des temples de Cusae, Antinoe et
Hermopolis (Urk. IV 386,4-389,17). Elle
a fait construire d'autres temples rupestres : une chapelle
consacrée à Hathor à Faras au nord de Ouadi Halfa, une autre à Qasr
Ibrim et au Gebel el-Silsile. Toujours en Nubie, le temple de
Bouhen date des premiers temps de son règne ainsi que la fondation
de celui de Satis à Éléphantine et de Chnoum à Koumna. Thoutmosis
III, lui, construit avec la même énergie que celle qu'il a dépensée
contre le Mitanni : en Nubie, à Bouhen, Saï, Faras, Dakké, Argo,
Kouban, Semna, au Gebel Barkal, dans la Vallée, à part Thèbes, à
Kôm Ombo, Ermant, Tôd, Médamoud, Esna, Dendara, Héliopolis et
encore sur d'autres sites du Delta qui n'ont pas conservé la trace
de ces travaux.
Amenhotep II et Thoutmosis IV
Il associe au trône deux ans avant sa mort
Amenhotep II, le fils qu'il a eu de sa seconde épouse, Hatchepsout
II Mérirê. C'est celui-ci qui assure, en tant que successeur, son
culte funéraire lorsqu'on l'enterre dans la Vallée des Rois (VdR
34). Il laisse le souvenir d'un grand roi, qui devient vite
légendaire. Le souvenir du franchissement de l'Euphrate, en
particulier, restera impérissable pour les Égyptiens. Les campagnes
syriennes serviront même de toile de fond à un conte relatant la
prise de Joppé par le célèbre général Djéhouty.
Ce conte, rapporté par le Papyrus Harris 500,
expose la façon dont le général prit le port de Joppé, la moderne
Jaffa, grâce à un subterfuge qui appartient à la littérature
mondiale, de la prise de Babylone par Darius aux jarres des Mille
et Une Nuits, en passant par le Cheval de Troie. Il tue par ruse le
prince de Joppé venu en ambassade, puis introduit dans la ville,
afin de s'en emparer, deux cents soldats dissimulés dans des
paniers.
Certes, ses hauts faits et ses nombreuses
constructions assurent son immortalité. Mais la tradition lui en
reconnaît une autre, dont les scribes disaient qu'elle est plus
durable que celle des monuments. Nous avons déjà noté son amour
pour la botanique. Il pratiquait aussi l'art de la poterie et ne
dédaignait pas de tenir lui-même le calame, comme nous l'apprend
son vizir Rekhmirê, qui fut l'un des beaux esprits de son temps et
dont la tombe de Cheikh Abd el-Gourna (TT 100), l'une des plus
remarquables de tout le Nouvel Empire, associe l'art de la
littérature à celui de la décoration. Ce fin lettré qui se
plongeait volontiers dans la lecture des textes du passé remit au
goût du jour le souci des ancêtres : la liste qu'il en établit à
Karnak et le soin qu'il prend de leurs monuments témoignent certes
d'une piété profonde, mais aussi du sens aigu de l'Histoire qui est
le propre d'un grand roi.
Aakhépérourê Amenhotep II qui lui succède a laissé
le souvenir d'un souverain beaucoup moins intellectuel — ce qui ne
l'a pas empêché d'assurer lui aussi la prospérité et la puissance
de son pays. Son principal titre de gloire était une force physique
hors du commun. On raconte que lors de la première campagne qu'il
mena en Syrie en l'an 3 de son règne, il tua à Qadech sept princes
de sa propre main. Sans doute ajoutait-il à la force une certaine
cruauté propre à frapper l'esprit des ennemis, car il fit accrocher
leurs corps aux murs de Thèbes et de Napata... pour l'exemple.
Cette attitude est à rapprocher de la pratique des sports
militaires qu'il met à l'honneur : tir à l'arc, chasse, équitation
— autant d'activités liées à une influence asiatique également
sensible dans la religion avec la montée des cultes d'Astarté, la
déesse cavalière, et de Rechef. Cet apport, venu du couloir
syro-palestinien, continue le mouvement amorcé au Moyen Empire et
accentué par l'afflux depuis ces régions des matières premières
devenues nécessaires à l'économie égyptienne, passée à la
technologie du bronze : étain syrien, cuivre de Chypre, argent de
Cilicie. De ces régions vient aussi la main-d'œuvre spécialisée :
les prisonniers vont grossir les rangs des artisans étrangers
installés dans des communautés ouvrières du type de celle qui se
développe déjà à Deir el-Médineh.
Le sport est aussi inscrit dans une tradition
royale largement représentée après lui (Decker : 1971). La chasse
au lion, qu'il pratique à pied, ou celle des animaux sauvages en
général remonte à l'aube de l'histoire de l'Égypte et participe,
comme nous l'avons vu, de la mise en ordre de la création. On
retrouve ce goût de la force dans sa titulature : il est l'Horus «
Taureau puissant à la grande force » ou « aux cornes acérées » et
l'Horus d'Or « Celui qui s'empare de tous les pays par la force
».
Cette force, il la dépense dans trois campagnes en
Syrie. La première, celle de l'an 3, que nous venons d'évoquer, a
eu pour cause une révolte du Naharina tentée à l'occasion du
changement de pharaon. La chute de Qadech qui la conclut n'a pas
réglé la situation : deux nouvelles expéditions sont nécessaires,
directement dirigées contre le Mitanni. Elles ont lieu en l'an 7 et
en l'an 9, à la suite de la révolte de la Syrie, fomentée depuis
Karkémish. L'affrontement se produit à la hauteur de Niya et se
solde pour l'Égypte par la perte de toute la zone comprise entre
l'Oronte et l'Euphrate, même si les Égyptiens rapportent un
abondant butin de leurs pillages en Retenou. Au nombre des
prisonniers figurent 3600 Apirou. Cette ethnie, différente des
Chosou mentionnés à leur suite, est signalée au XIXe siècle en Cappadoce, puis au XVIIIe à Mari, ensuite à Alalah. Ce sont les Hébreux
dont parlent les tablettes d'Amarna, qui semblent, à cette époque,
s'intégrer dans les sociétés où ils s'expatrient en exerçant des
fonctions marginales de mercenaires ou de serviteurs, que l'on
trouve évoquées dans la Prise de Joppé. En Égypte, ils
apparaissent, sous Thoutmosis III, dans les tombes du Second
Prophète d'Amon Pouiemrê (TT 39) et du héraut Antef (TT 155), comme
vignerons. Ces deux campagnes sont les dernières qui opposent le
Mitanni à l'Égypte. Sous Thoutmosis IV, en effet, les relations
changent du tout au tout, et le Mitanni tente un rapprochement avec
l'ennemi d'hier. Le nouvel empire hittite fondé par Tudhaliya II
menace les positions mitanniennes. Déjà Alep a changé de camp, et
seules les guerres anatoliennes empêchent les Hittites d'être plus
dangereux. Il est également vraisemblable que Mitanniens et
Égyptiens sont arrivés à un accord acceptable pour les deux parties
: les premiers laissent aux seconds la Palestine et une partie du
littoral méditerranéen en échange du Nord syrien. La tournée
qu'entreprend Thoutmosis IV en Naharina confirme cette répartition
: il abandonne Alalah au Mitanni. Le roi d'Égypte pousse même plus
loin le rapprochement en demandant la main d'une fille d'Artatama
Ier. Le fait d'avoir envisagé cette
union montre assez quel tour nouveau ont pris les relations entre
les deux anciens ennemis.
En Nubie, l'héritage de Thoutmosis III est léger à
assumer : la paix règne sous Amenhotep II, qui nomme comme vice-roi
son compagnon d'armes Ousersatet, dont on suit les activités de
constructeur de Qasr Ibrim à Semna. Il semblerait que quelques
troubles aient éclaté au changement de règne. Ils auraient
peut-être provoqué l'expédition que Thoutmosis IV monte en l'an 8
contre des tribus infiltrées dans le pays de Ouaouat, si du moins
on en croit la relation qui en est faite sur une stèle érigée à
Konosso (Urk. IV 1545 sq.). Mais cela
ne ralentit ni le commerce ni la construction de sanctuaires :
Amenhotep II décore en partie Kalabcha et poursuit les travaux
entrepris par Thoutmosis III à Amada. Thoutmosis IV y construit une
cour à colonnes à l'occasion de son second jubilé.
Amenhotep II a également beaucoup construit en
Thébaïde : à Karnak, Médamoud, Tôd et Ermant. Il s'est aussi fait
élever un temple funéraire, qui ne nous est pas parvenu. Sa tombe
de la Vallée des Rois (VdR 35) est fort peu décorée : quelques
scènes divines et un exemplaire complet du Livre de l'Amdouat. Elle est intéressante à un
autre titre : V. Loret y a retrouvé en 1898, outre la momie intacte
de son propriétaire, celles de Thoutmosis III (VdR 43),
Mineptah-Siptah (VdR 47), Séthi II (VdR 15), Sethnakht (VdR 14),
Ramsès III (TT 11) et Ramsès IV (TT 2), qui y avaient été mises à
l'abri des pillards à la XXIe dynastie
par le Grand Prêtre Pinedjem.
Hathor allaitant et protégeant Thoutmosis III.
Détail. Statue usurpée par Amenhotep II. Deir el-Bahari. Grès
polychrome. L = 2,25 m H = 2,20 m. CGC 445.
Lorsque Amenhotep II meurt, Thoutmosis IV lui
succède. Le pouvoir lui est échu vraisemblablement à la suite du
décès prématuré d'un frère aîné auquel il était destiné. Le roi, en
effet, a fait graver entre les pattes du sphinx de Gîza une stèle
pour commémorer un acte de piété de sa part d'un type un peu
particulier. Le grand dieu était, alors comme de nos jours,
régulièrement recouvert par le sable du désert que le vent accumule
jour après jour contre son corps. Or le jeune prince aimait à
chasser sur le plateau de Gîza, et il lui arrivait de faire la
sieste à l'ombre du sphinx :
« Un jour, il arriva que le fils royal Thoutmosis
alla se promener à l'heure de midi ; il s'assit à l'ombre de ce
grand dieu ; le sommeil et le rêve s'emparèrent de lui au moment où
le soleil était au zénith. Il trouva la Majesté de ce dieu
vénérable qui parlait de sa propre bouche comme un père parle à son
fils : " Regarde-moi, jette un regard sur moi, ô mon fils
Thoutmosis ; c'est moi, ton père Harmachis-Khepri-Rê-Atoum. Je te
donnerai ma royauté sur terre à la tête des vivants ; tu porteras
la couronne blanche et la couronne rouge sur le trône de Geb,
l'héritier ; le pays t'appartiendra dans sa longueur et sa largeur
ainsi que tout ce qu'illumine l'œil du maître de l'univers (...).
Vois, mon état est celui d'un homme dans la souffrance, tandis que
mon corps tout entier est ruiné. Le sable du désert sur lequel je
me dresse se rapproche de moi (...) " » (C. Zivie : 1976,
130-131.)
Thoutmosis fit désensabler le dieu, et celui-ci
lui fit don d'un trône qu'il n'espérait pas... et dont il ne
profita que neuf ans, car il mourut lui aussi prématurément, à
l'âge d'environ trente ans. Derrière la belle histoire se cache une
orientation politique déjà sensible chez Amenhotep II. Que le jeune
prince se soit trouvé à Memphis n'a rien d'étonnant, puisque c'est
là qu'étaient élevés tous les princes héritiers depuis Thoutmosis
Ier. Ce qui est plus remarquable, c'est
le soin qu'il prend de ses dieux : il poursuit l'aménagement du
temple consacré par Amenhotep II à proximité du sphinx, mais on a
retrouvé aussi un dépôt de fondation à son nom dans le temple de
Ptah de Memphis. Peut-être faut-il voir là le désir de
contrebalancer la puissance de Thèbes, dont la noblesse jouit alors
d'un luxe que l'on peut mesurer à la splendeur des tombes des
grands personnages du royaume : le vizir Aménémopé (TT 29), dont le
frère, Sennefer (TT 96), est gouverneur de Thèbes, Qenamon,
l'intendant du palais royal de Memphis, et son frère le troisième
prophète d'Amon Kaemhéryibsen (TT 98), les grands prêtres d'Amon
Méri et Amenemhat (TT 97), le chef des greniers Menkhéperrêséneb
(TT 79), Ouserhat (TT 56), Khây, dont le « trésor » est conservé à
Turin, etc.
Amenhotep III et l'apogée de la dynastie
Si la peinture thébaine tend à son apogée sous
Thoutmosis IV, le règne d'Amenhotep III, en ouvrant encore plus le
pays aux influences orientales, atteint un degré de raffinement qui
restera inégalé par la suite, même lorsque les produits précieux
d'Asie et de Nubie alimenteront à nouveau les ateliers royaux.
Amenhotep III est le fils d'une concubine de Thoutmosis IV,
Moutemouia, dans laquelle on a voulu voir à tort la fille
d'Artatama Ier. Il est né à Thèbes, et
lorsqu'il monte sur le trône, il n'a que douze ans : sa mère assure
la régence. Il épouse, au plus tard en l'an 2, une femme d'origine
non royale qui aura une influence déterminante sur l'avenir de la
dynastie, la reine Tiy. Elle est la fille d'un notable d'Akhmîm,
Youya, qui va, lui aussi, jouer un rôle politique en compagnie de
son épouse Touya, préparant le terrain à l'un de ses fils, le divin
père Ay qui succédera à Toutankhamon dans des heures difficiles.
Tiy donne six enfants à Amenhotep III : peut-être un Thoutmosis,
qui meurt sans régner, le futur Amenhotep IV et quatre filles, dont
deux porteront aussi le titre de reines, Satamon et Isis.
La famille royale et la fin de la
XVIIIe dynastie : généalogie sommaire
des générations 9-11.
À la XVIIIe dynastie
comme à la Ve, les liens familiaux
dominent la politique du pays. Les principales charges
gouvernementales sont distribuées aux membres de la famille royale,
ou bien, au contraire, le mariage vient consacrer la réalité d'un
pouvoir politique trop fort pour être contourné. C'était le cas de
Thoutmosis Ier ; ce sera encore celui
d'Ay et d'Horemheb. Le mariage d'Amenhotep III et de Tiy est, à cet
égard, bien loin du roman d'amour qu'on a parfois voulu y voir.
Youya est un officier de la charrerie, maître des haras. On a
supposé qu'il était parent de la reine mère Moutemouia, ce qui
ferait de lui un oncle d'Amenhotep III. Il installe son fils Ay
comme maître des haras sous le règne de son petit-fils, non sans
avoir fait auparavant de son autre fils, Anen, le Deuxième Prophète
d'Amon à Thèbes et le « Grand des Voyants » du temple de Rê de
Karnak.
L'influence de Tiy sur la conduite des affaires
vient de sa forte personnalité, mais aussi de sa longévité : elle
survit à son mari et meurt seulement en l'an 8 de son fils
Amenhotep IV, après avoir été liée à la politique des deux rois à
la fois en tant qu'épouse et en tant que mère. Elle met en effet en
avant pour la première fois le rôle de l'épouse — la « Grande
Épouse du Roi » — , qui prend le pas sur la reine mère, image
traditionnelle du matriarcat. Tiy est associée à son époux de façon
complémentaire. Elle est à ses côtés la personnification de Maât et
reçoit en tant que telle certains privilèges régaliens : elle
participe aux grandes fêtes cultuelles, y compris la fête-sed, se
fait représenter en sphinx, et se voit consacrer un temple par son
mari à Sédeinga, entre la Deuxième et la Troisième Cataracte. Elle
prend aussi une grande part à la politique extérieure et gère le
pays dans les premières années du règne de son fils, pour lequel
elle exerce la régence après lui avoir probablement plus ou moins
insufflé les fondements du nouveau dogme qu'il va développer. Elle
le suit en effet à Amarna où elle se fait enterrer. Sa momie sera «
rapatriée » sous Toutankhamon avec celle de Smenkhkarê dans la
tombe 55 de la Vallée des Rois.
Le règne d'Amenhotep III est marqué par la paix :
le seul acte de guerre est une campagne dissuasive qu'il mène au
début de son règne, en l'an 5. Pour le reste, les relations avec le
Proche-Orient témoignent du grand rayonnement de l'Égypte en Asie
et dans le bassin méditerranéen. On le suit à travers les
attestations du nom d'Amenhotep III en Crète, à Mycènes, en Étolie,
en Anatolie, au Yémen, à Babylone, Assur... On possède une autre
source d'information sur la politique extérieure de l'époque : un
ensemble de 379 tablettes découvertes par une paysanne en 1887 à
côté du palais royal d'Amarna. Ces textes, rédigés en cunéiformes,
l'écriture diplomatique de l'époque, contiennent la correspondance
d'Amenhotep III et IV avec les rois du Proche-Orient. Les
renseignements qu'ils fournissent, comparés aux archives de la
capitale des Hittites, Bogazkôy, et aux chroniques
assyro-babyloniennes permettent de suivre les échanges entre les
deux puissances, mais aussi les vicissitudes du royaume de Mitanni,
qui continue à perdre du terrain. Le rapprochement égypto-mitannien
est consommé par le mariage, en l'an 11, d'Amenhotep III et de
Gilu-Heba, fille de Sutarna II. Mais vers le dernier tiers du
règne, le prince d'Amourrou, Abdi-Achirta, forme une coalition pour
soulever le joug égyptien en basculant du côté des Hittites. La
situation se détériore dans la capitale mitannienne : Artassumara,
fils aîné de Sutarna II, est assassiné par le parti pro-hittite
commandé par Tuhi, qui se proclame régent du royaume. Mais
Tushratta venge son père et reprend le pouvoir. Il consolide à
nouveau l'alliance avec l'Egypte en accordant à Amenhotep III la
main de sa fille Tadu-Heba(t). La Babylonie, toujours inquiète du
voisinage mitannien, fait de même, et Amenhotep III épouse la sœur,
puis la fille de Kadashman-Enlil. Ces réseaux matrimoniaux ne sont
pas une garantie bien solide face aux appétits territoriaux des uns
et des autres : l'Assyrie, théoriquement vassale du Mitanni, est
convoitée par Babylone, et Assur-Uballit Ier aura beaucoup de mal à maintenir la balance
égale. Il ne parviendra à conserver une relative indépendance qu'au
prix d'une habile politique d'amitié ostensiblement affichée avec
l'Égypte. La puissance montante, ce sont les Hittites, qui vont
prendre un ascendant décisif à la charnière des règnes d'Amenhotep
III et Amenhotep IV. Le prince Suppiluliuma est monté sur le trône.
Il consacre les dix premières années de son règne à pacifier
l'Anatolie, puis il se tourne vers la Syrie du Nord, prend Alep et
fixe la frontière méridionale hittite au Liban. Amenhotep IV a
succédé à son père : l'Egypte ne vient pas au secours de l'allié
mitannien qui ne peut que s'incliner.
Pendant le demi-siècle qui a précédé ces
événements, l'Égypte est à l'apogée de son rayonnement et de sa
puissance. Amenhotep III est l'un des plus grands constructeurs que
le pays ait connus. Il couvre la Nubie de monuments. À Éléphantine
il fait édifier un petit temple à colonnade attribué à Thoutmosis
III. À Ouadi es-Séboua, il consacre un temple rupestre à Amon «
Seigneur des chemins ». À Aniba, il travaille au temple d'Horus de
Miam. Il fonde le temple de Kawa, celui de Sésébi, sur lequel
Amenhotep IV fera le Gematon, celui de Soleb, consacré à son propre
culte et à celui de sa femme, associé à celui d'Amon. Il inaugure
avec ce sanctuaire une tradition qui sera largement suivie à la
XIXe dynastie. En plus du temple de
Sédeinga, il consacre des éléments d'architecture à Mirgissa,
Kouban, et dans les îles de Saï et Argo. En Égypte même, il
construit dans le Nord, à Athribis et Bubastis. Il poursuit le
programme héliopolitain de ses prédécesseurs en consacrant un
temple à Horus. Il commence aussi les travaux du Sérapeum à
Saqqara. Dans la Vallée il bâtit à Elkab, Souménou près de
Gebelein, Abydos et Hermopolis, où il fait ériger les statues
monumentales de cynocéphales qui sont encore visibles sur le site.
À Thèbes, il fait construire à Louxor un temple censé être le «
harem méridional » d'Amon-Rê et fait consacrer dans le temple de
Mout d'Achérou, au sud de l'enceinte de Karnak six cents statues de
la déesse Sekhmet, dont de magnifiques exemplaires ornent le Musée
du Louvre (fig. 92). Sur la rive occidentale,
il se fait édifier un palais à Malgata et un gigantesque temple
funéraire que Mérenptah détruira pour construire le sien, et dont
il ne reste que les deux statues monumentales disposées de part et
d'autre du pylône.
Une ressemblance phonétique entre le prénom
d'Amenhotep III, Nebmaâtrê, qui devait donner approximativement le
son « Mimmouria » dans la bouche des guides qui expliquaient les
antiquités aux premiers visiteurs grecs, valut au colosse du nord
d'être interprété comme la statue du héros Memnon, fils de l'Aurore
et chef des troupes éthiopiennes, qui fut tué par Achille au cours
de la guerre de Troie. Sa tombe, disait-on, était aux pieds du
colosse. Un tremblement de terre survenu en 27 av. Jésus-Christ
vint renforcer la légende : il disjoignit les blocs de la statue,
créant une fissure qui craquait au lever du jour, lorsque les
rayons du soleil faisaient évaporer l'humidité accumulée pendant la
nuit. Ainsi Memnon saluait d'un gémissement l'apparition de sa mère
chaque matin. Malheureusement, la piété de Septime Sévère le
conduisit à faire restaurer le monument, qui depuis lors est devenu
muet.
Les monuments du règne d'Amenhotep III, tant
officiels que civils, sont empreints d'une finesse et d'une
délicatesse que vient soutenir une maîtrise technique indiscutable.
L'influence orientale se fait sentir par une plus grande liberté
plastique, qui tranche sur la rigueur du début de la dynastie et
annonce la sensibilité des œuvres amarniennes : on peut penser à la
technique du « drapé mouillé » qu'illustrent les statues de la fin
du règne (fig. 93). Ces traits précurseurs de
l'art amarnien ont fréquemment été compris comme le signe que les
recherches mystiques du futur Akhenaton ne sont pas nées d'un coup,
mais ont été progressivement élaborées dans une Cour dont on se
plaît à souligner l'intellectualisme orientalisant. Les
préoccupations héliopolitaines d'Amenhotep III montrent que la
montée du culte d'Aton est une conséquence logique du renouveau des
sanctuaires de l'ancienne capitale religieuse. Mais cela ne veut
pas dire que cette ascension soit exclusive : la construction du
Sérapeum, destiné à recevoir les dépouilles des taureaux Apis,
indique que le roi encourage également le culte officiel des
hypostases animales. Seulement, dans un cas comme dans l'autre, il
ne s'agit pas de cultes thébains. Là se trouve probablement l'une
des motivations qui vont pousser Amenhotep IV à rompre avec Amon-Rê
: la trop grande place prise dans l'État par le clergé thébain.
Celui-ci voit son emprise encore accrue par les constructions
qu'Amenhotep III entreprend à Karnak pour obtenir l'aide des dieux
contre le mal qui le mine depuis sa première fête-sed, qu'il
célèbre en l'an 34 de son règne. Les représentations de Soleb et
celles de la tombe du majordome de la Grande Épouse du roi Khérouef
(TT 192) le montrent à cette occasion affaibli et visiblement
souffrant. Il consacre ainsi six cents statues à Sekhmet Dame
d'Achérou, la guérisseuse par excellence. Son beau-père Tushratta
lui envoie même une statue guérisseuse d'Ichtar. Mais rien n'y
fait, et les dieux ne peuvent pas détourner le destin. Amenhotep
III célèbre en l'an 37 sa deuxième fête-sed — si l'on respecte en
effet le délai de trente ans pour la première, on réduit cette
durée au dixième pour les suivantes —, juste avant d'épouser
Tadu-Heba(t), et meurt en l'an 39, en ayant peut-être associé dans
les derniers temps son fils au trône. Sa tombe (VdR 22), qui était
décorée d'un exemplaire du Livre de
l'Amdouat a été pillée à la XXIe
dynastie, mais sa momie a pu être sauvée avec celles qui ont été
regroupées dans le tombeau d'Amenhotep II. C'est la dépouille d'un
homme d'une cinquantaine d'années qui a succombé à la
maladie.
Avec lui disparaît une certaine Égypte, celle des
certitudes politiques et religieuses, d'un État redevenu fort et
respecté à l'intérieur comme à l'extérieur. Les bouleversements
provoqués pendant le court règne de son fils modifieront
radicalement l'équilibre du pouvoir en contraignant les pharaons à
poser clairement la question qui est à la base de la théocratie :
celle de la relation entre le temporel et le spirituel.