CHAPITRE V
Les conceptions funéraires
Du tumulus au mastaba
L'image par excellence de l'Ancien Empire, ce sont les pyramides, qui soulèvent l'admiration de l'humanité depuis leur édification. Chéops reste aux yeux de la postérité le roi qui a su faire évoluer vers sa forme définitivement parfaite ce type de sépulture dont Djoser a été l'initiateur en amorçant un tournant radical dans l'évolution de la tombe royale. Pendant la période thinite, en effet, à Abydos comme à Saqqara, les tombeaux présentaient en surface une superstructure affectant la forme d'un grand banc de pierres — d'où le nom de mastaba que lui donnèrent les ouvriers d'A. Mariette. Cette forme, qui se maintient pour les sépultures non royales tout au long de l'Ancien Empire dans la région memphite et un peu plus tard à l'ouest de la vallée du Nil, était censée reproduire l'habitat terrestre du défunt, ou au moins en conserver l'aspect. Elle se présente, dès le début de l'époque thinite, comme un massif à l'intérieur duquel n'étaient pas nécessairement aménagées des pièces à usage de chapelles ou de magasins, mais qui était limité par des murs de briques à pilastres et redans donnant l'impression d'une « façade de palais » en fausse perspective. L'ensemble pouvait être entouré d'une ou deux enceintes délimitant le territoire du mort. Cette forme architecturale est le point d'aboutissement d'une évolution partant du tumulus qui recouvrait à l'époque prédynastique la fosse dans laquelle était enterré le défunt. Ce tumulus procédait, peu ou prou, de la même idée que le tertre originel sur lequel les théologiens d'Héliopolis faisaient apparaître le soleil créateur. Il devait à l'origine être constitué comme lui de sable, retenu par un blocage de pierres ou un cadre fait de planches.
Le mort reposait en-dessous, dans une fosse ovale ou rectangulaire, dont la forme a évolué au cours de la Préhistoire mais qui est toujours restée la même dans son principe : un lieu regroupant le propriétaire de la tombe et les divers moyens mis à sa disposition pour atteindre l'au-delà et y séjourner. Le corps repose le plus souvent en position contractée sur le flanc, parfois sur une natte de roseau, parfois enveloppé dans un linceul. Dans la chambre funéraire sont disposés quelques objets personnels et une vaisselle plus ou moins importante qui constitue la base du mobilier en même temps que le réceptacle de l'offrande alimentaire mise à sa disposition. À ce minimum s'ajoutent, selon l'époque et la fortune du propriétaire, une vaisselle de pierre et un nombre variable de provisions stockées dans des jarres pour les produits alimentaires ou des coffres qui contiennent, eux, objets précieux — armes couteaux et flèches de silex essentiellement —, parures et jeux.
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Fig. 41
Plan et coupe d'un mastaba de Saqqara contemporain de l'Horus Aha (d'après W. Helck, LA V 389).
Au cours des deux premières dynasties, l'évolution touche autant l'infrastructure que la superstructure, constituant peu à peu le type classique du mastaba, à la fois lieu de culte et reproduction de la demeure terrestre, dans laquelle on multiplie les moyens de subsistance et les symboles de survie. Du lieu de culte, on conserve l'emplacement de la stèle qui servait depuis les premiers rois thinites à rappeler le nom du défunt. Les hauts fonctionnaires s'approprient de bonne heure cette pratique, réservée à l'origine au souverain, selon le schéma classique défini plus haut : la prérogative royale passe, par une série de glissements successifs, aux simples particuliers, la seule exception restant les symboles mêmes et les attributs propres de la royauté. Cette évolution de la stèle funéraire va également dans le sens d'un enrichissement : elle ne se contente plus de nommer le propriétaire de la tombe, mais décrit l'offrande qui doit lui être servie.
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Fig. 42
Stèle de Néfertiabet (Louvre).
Il s'agit d'un véritable « menu » qui est présenté au bénéficiaire de l'offrande, ici la princesse Néfertiabet, contemporaine de Chéops, qui était enterrée dans un mastaba de la nécropole de Gîza. Tout dans ce document concourt à l'efficacité : l'identification du destinataire d'abord, qui est assurée à la fois par sa représentation et son nom accompagné de son titre principal. Ensuite, selon le même principe, l'offrande est figurée matériellement, posée sur un guéridon, chaque élément étant séparé des autres par simple décalage latéral ou vertical, de façon que tous soient visibles. Elle est aussi décrite dans un tableau surmontant le guéridon. Cette description est accompagnée d'un second tableau, à l'extrême droite de la stèle, qui détaille les quantités fournies.
Cette représentation marque, à proprement parler, le point de passage entre le royaume des morts et celui des vivants. Théoriquement, elle définit suffisamment le lieu de dépôt de l'offrande, comme cela a dû être le cas dans les premiers temps. En fait, elle est rapidement combinée avec ce qu'on appelle la « fausse-porte » : une représentation en fausse perspective du même type que la « façade de palais » d'une porte surmontée de la natte roulée. Elle est née d'une niche, simple renfoncement dans la superstructure du mastaba primitif, qui était censée permettre à l'énergie du mort, son ka, l'accès au monde sensible, d'où il devait retirer les aliments nécessaires à sa survie.
Les éléments de la survie
Chaque individu se compose, en effet, de cinq éléments : l'ombre, double immatériel de chacune des formes qu'il est amené à prendre au cours de sa vie, l'akh, le ka, le ba et le nom. L'akh est un principe solaire, l'élément lumineux qui permet au défunt d'accéder aux étoiles lors de son passage dans l'au-delà ; il est la forme sous laquelle se manifeste la puissance des dieux ou des morts : leur esprit. Le ka est la force vitale que possède chaque être ; elle se multiplie selon la puissance de son détenteur — Rê, par exemple, possède quatorze kaou —, et doit être alimentée pour conserver son efficacité. C'est elle qui permet au corps, une fois qu'il a été convenablement préparé pour triompher de la mort, de reprendre une vie semblable à celle qu'il menait ici-bas. Le ka a autant besoin d'un support que de nourriture pour exister ; aussi entreprend-on de bonne heure de lui ménager des substituts au corps, par trop sujet à la dégradation : ce sont des effigies du défunt. On prend l'habitude de les entreposer dans un endroit précis de la tombe royale, le serdab. C'est une galerie souterraine ménagée à l'intérieur du mastaba ou de l'infrastructure funéraire en général, qui communique avec les installations cultuelles par une fente à hauteur de visage humain, de façon que la ou les statues qui y sont entreposées puissent profiter de l'offrande. Cette pratique, à l'origine réservée au roi, est assez tôt reprise par les particuliers.
L'espace ménagé contre la chambre funéraire joue le rôle de serdab, rendant ainsi accessible au mort l'offrande présentée à la base du puits au moment des funérailles.
Le ba est également un principe immatériel porteur de la puissance de son propriétaire, qu'il s'agisse d'un dieu, d'un défunt ou d'un vivant. Il est une sorte de double de l'individu, indépendant du corps — on le représente sous la forme d'un oiseau à tête humaine qui quitte la dépouille mortelle au moment du trépas pour la rejoindre
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Fig. 43
Infrastructure-type du mastaba (d'après Vandier : 1954, 266).
après la momification —, un alter ego avec lequel il peut dialoguer et que l'on traduit improprement par « âme ». Le nom, enfin, est pour l'Égyptien une seconde création de l'individu, à la fois au moment de la naissance, lorsque sa mère lui attribue un nom qui rende aussi bien compte de sa nature que la destinée qu'elle souhaite pour lui, et à chaque fois qu'il est prononcé. Cette croyance dans la vertu créatrice du verbe détermine tout le comportement face à la mort : nommer une personne ou une chose revenant à la faire exister par-delà sa disparition physique, il devient nécessaire de multiplier les signes de reconnaissance. C'est pourquoi la chapelle funéraire, ou le lieu de culte en général, regroupe un maximum d'indications le plus explicites possible, de façon que le ka puisse jouir sans ambiguïté possible de ce qui doit lui revenir.
L'ensemble de la stèle et de la porte, la « stèle fausse-porte » donc, répond à ce but. Elle connaît un très grand développement dans les tombes de l'Ancien Empire. C'est le point central de la chapelle, vers lequel convergent les décorations murales. Cette porte peut être plus ou moins ornée. Elle comporte en particulier assez souvent la « gorge égyptienne » : un bandeau creusé qui couronne d'ordinaire portes et murs de façon à rappeler le sommet des palmes dont les tiges liées entre elles constituaient les parois des premières huttes. On le voit encore dépasser de nos jours du faîte des murs de mouna qui enclosent les jardins à la campagne et dont cette gerîd forme l'armature.
La stèle est placée entre les linteaux supérieur et inférieur de la porte; sur le premier est inscrit, en règle générale, le début de la formule du « virement de l'offrande » : sa consécration par le roi à une divinité qui, à son tour, en fait bénéficier le dédicataire. Ce principe permettait d'assurer théoriquement le culte funéraire, même lorsque le domaine normalement réservé à l'entretien de la concession et à l'approvisionnement de la tombe et confié à un prêtre spécialisé n'existait plus. Il suffisait en effet que la formule décrivant l'offrande puisse être lue — à la limite par le défunt ou l'une des images le représentant et se substituant à lui — pour qu'elle prenne corps, puisque le versement de l'offrande était garanti par la pérennité du culte de la divinité qui en rétrocédait ainsi une part au défunt. Ce « virement » était une façon de maintenir le mort dans le tissu de l'univers : solidaire du monde organisé, il était assuré d'une survie égale à celle du cosmos. Le linteau inférieur énumère ses titres, qui sont repris et développés sur les montants qui encadrent le passage de la porte, dans lequel apparaît parfois une représentation du ka, en haut relief.
Les premières pyramides
C'est Djoser qui fit évoluer la forme de la tombe royale du mastaba à la pyramide :
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Fig. 44
Coupe de la pyramide à degrés de Djoser à Saqqara.
On peut reconstituer, grâce aux recherches de J.-Ph. Lauer, les étapes successives du passage à la forme pyramidale. Au départ, Djoser entreprit une sépulture classique : un grand puits de 28 mètres donnant accès à un caveau en syénite, auquel furent ajoutées des galeries jouant le rôle de magasins. On y a trouvé les vases en pierre dure que nous évoquions plus haut. Un appartement funéraire complète ces installations souterraines. Les murs en sont décorés de faïences bleues. Une de ces chambres reproduit l'architecture végétale dans laquelle est censé vivre le double — le « ka » — du roi, une autre les greniers de sa demeure. Un de ses panneaux, remonté en 1938 par J.-Ph. Lauer, est parmi les chefs-d'œuvre du Musée du Caire. Il était prévu que le puits serait bloqué après les funérailles par un bouchon de granit. L'ensemble fut surmonté d'une construction massive carrée d'une soixantaine de mètres de côté sur huit de haut. Toutes les chambres étant aménagées dans l'infrastructure, ce massif fut constitué d'un blocage plein revêtu d'un double parement de calcaire. Des puits annexes furent creusés ensuite le long de la façade orientale pour donner accès à de nouvelles installations funéraires destinées à des membres de la famille royale décédés entre-temps. Pour dissimuler ces puits, on allongea le mastaba initial vers l'est.
C'est alors qu'intervient la modification radicale de l'aspect extérieur du monument, que J.-Ph. Lauer interprète comme une volonté de la part de son constructeur de rendre plus visible le tombeau, dont
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Ci-dessus et ci-contre :
Fig. 45. Panneau de faïences bleues provenant des appartements funéraires de Djoser.
Le Caire, Musée égyptien.
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les huit mètres de haut étaient masqués pour le spectateur lointain par la muraille enfermant le complexe funéraire. Dans un premier temps, Imhotep englobe le mastaba initial dans une pyramide à quatre degrés, puis reprend l'ensemble en le surélevant encore, de façon à obtenir une pyramide de six degrés d'une soixantaine de mètres de haut.
Ce type de construction est repris par l'Horus Sekhem-khet à Saqqara même, tandis que les pyramides de Zaouiet el-Aryan annoncent une nouvelle technique, dont le meilleur exemple est la pyramide de Snéfrou à Meïdoum.
La première étape de la pyramide de Meïdoum a probablement été constituée par un mastaba surmonté d'une petite pyramide à degrés. Mais là s'arrête la parenté avec les monuments de la IIIe dynastie. Le plan carré, l'ouverture sur la face nord ménagée dans la maçonnerie, l'aménagement, partie en infrastructure, partie dans le corps du monument des installations funéraires : tout la rapproche de la pyramide classique de la IVe dynastie.
Le noyau initial a été augmenté de six tranches latérales en calcaire local inclinées selon une pente de 75°, qui formèrent une pyramide à sept degrés. Puis on rajouta une ultime tranche et on ravala les huit
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degrés ainsi obtenus en calcaire fin de Toura. Plus tard, enfin, on combla les degrés et on mit en place un parement de calcaire qui donna à l'ensemble l'aspect d'une pyramide « vraie », avec une pente de 51° 52', pour un côté de 144,32 m et une hauteur de 92 m.
Snéfrou ne s'est pas contenté de ce tombeau, puisqu'il fit une nouvelle tentative, cette fois à Dahchour, avec la pyramide « sud », dont l'édification n'est pas allée sans difficultés .
Les installations intérieures durent en être reprises et modifiées, ainsi que la pente même, que l'on fit passer à mi-hauteur de 54° 31' à 43° 21'. Cette rupture donne à l'ensemble un aspect caractéristique qui lui a valu le surnom de « pyramide rhomboïdale ». Mais, malgré ces imperfections, dues peut-être à la mauvaise qualité du soubassement, cette pyramide apporte une nouveauté importante : la fixation par assises du revêtement, qui est ainsi plus stable.
À nouveau, le roi ne s'en est pas tenu là. Il fit une troisième tentative, toujours à Dahchour, mais au nord du site : une nouvelle pyramide, établie sur une base plus importante et présentant dès le départ une pente de 43° 36', dont le temple funéraire est resté inachevé .
Ci-contre : Fig. 46. Villes à pyramides. Les numéros renvoient au tableau pp. 140-141.
Le groupe de Gîza
La forme parfaite est atteinte par Chéops à Gîza, dont le plateau offrait une assise plus stable que celui de Dahchour. Cet édifice, la mieux construite et la plus spectaculaire des pyramides, a de tout temps fasciné les hommes, et il n'est pas de génération qui ne voie naître une nouvelle théorie visant à expliquer sa construction, voire son utilisation.
Ce sont les installations intérieures qui permettent de retracer les grandes lignes de la construction. Au départ, on avait prévu un caveau engagé dans le soubassement, dans le style de Meïdoum ou de Saqqara, auquel un long couloir incliné à 26° 31' donnait accès à partir de l'entrée située sur la face nord. Ce projet a été abandonné pour une raison inconnue. On lui a préféré une chambre réservée dans la superstructure, improprement appelée « chambre de la reine », accessible par un couloir dérivé de la descenderie d'origine. Cette chambre, au toit constitué de dalles en V renversé a, à son tour, été abandonnée, avant que les conduits d'aération qui devaient mener vers les faces nord et sud aient été terminés. L'état définitif de la pyramide comprend une galerie ascendante, la «grande galerie », longue de presque 48 m, large de 7,40 m et présentant sur 8,50 m de haut une
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Fig. 47. Tableau récapitulatif des principales
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Fig. 48
Coupe de la pyramide de Snéfrou à Meïdoum.
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Fig. 49
Coupe de la pyramide « rhomboïdale » de Snéfrou à Dahchour.
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Fig. 50
Coupe de la pyramide « rouge » de Snéfrou à Dahchour.
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Fig. 51
Coupe de la pyramide de Chéops à Gîza.
voûte dite improprement « à encorbellement » (ne possédant pas, en effet, de corbeaux, elle mériterait plutôt le nom de « voûte en tas-de-charge ») qui prend naissance au point de départ de celle menant à la « chambre de la reine », et le caveau proprement dit auquel elle donne accès. La « chambre du roi » mesure 10,50 m d'est en ouest et 5,25 m du nord au sud ; son plafond, constitué de neuf dalles, dont le total pèse environ 400 tonnes, placées à 5,80 m du sol, est surmonté de cinq chambres de décharge, destinées à répartir la poussée et dont le plafond de la dernière est constitué de lourdes dalles en V renversé. C'est dans ces chambres de décharge que l'on a retrouvé le nom de Chéops : l'ensemble de la pyramide, ayant été pillé dès l'Antiquité, ne recèle aucun autre témoignage sur l'identité de son constructeur. Le caveau, qui contient un sarcophage de granit ébréché, est relié à la grande galerie par un étroit couloir dans lequel coulissaient trois herses de granit destinées à le rendre inviolable.
À force d'être décrit, analysé et sondé, le bâtiment est bien connu : il est construit sur une base de 230 m, régulière à 25 cm près, dont chaque côté est orienté sur un point cardinal; sa pente est de 51° 52', et il mesure 146,59 m de haut, auxquels il faut ajouter un pyramidion, probablement de granit, qui devait le couronner.
Les Égyptiens donnent peu de détails sur les techniques de construction qu'ils employaient, mais l'on arrive quand même à s'en faire une idée d'après quelques représentations, les vestiges archéologiques et l'analyse des monuments eux-mêmes. Celle-ci est conduite aujourd'hui à l'aide de techniques très sophistiquées, qui, malgré leur raffinement extrême ne peuvent, pas plus que les autres, se passer de logique.
Le choix du site d'abord. Il se faisait en fonction de la capitale, dont il ne devait pas être éloigné, et aussi du fleuve. Il fallait un socle rocheux capable de supporter la masse énorme de ces constructions, qui fût situé sur la rive occidentale, traditionnellement réservée au royaume des morts que le soleil baigne de ses rayons au couchant, avant de le parcourir pendant la nuit. Il devait être au-dessus du niveau des hautes eaux, qui pouvaient parvenir lors de la crue à moins de 300 m du plateau.
Une fois le site déterminé, on procédait à son nivellement — parfait chez Chéops à 18 mm près —, en réservant éventuellement le noyau rocheux central que l'on comptait inclure dans la maçonnerie, à la fois pour économiser des matériaux et pour conserver l'image du tertre initial dominant jadis le caveau. L'orientation se faisait en fonction des côtés, qui étaient dirigés vers les points cardinaux. Évidente pour l'ouest et l'est, elle l'est moins pour le nord. On doit écarter la possibilité d'une mesure fixe de l'étoile polaire qui eût donné une erreur plus grande que celle constatée sur le terrain. Les Égyptiens ont dû employer une technique assez simple, qui consistait à reporter sur un horizon artificiellement nivelé à l'aide d'un merkhet — une sorte de fil à plomb attaché à une tige en bois et permettant une visée — le point de lever et de coucher d'une étoile fixe — probablement une des étoiles de la Grande Ourse. La bissectrice de l'angle déterminé par ces deux points donnait le nord vrai (Lauer : 1960, 99 sq.).
La montée des assises pouvait alors commencer. Les carrières locales fournissaient le matériau rustique utilisé le plus souvent pour le blocage : c'est ainsi que l'on a retrouvé vers le coin nord de la pyramide de Chéphren des traces d'exploitation en carrière du socle rocheux, ainsi que l'emplacement, un peu plus à l'ouest, de casernements pouvant loger environ 5 500 ouvriers, carriers ou artisans de la nécropole. Des installations comparables seront aménagées plus tard à Kahoun et Deir el-Medineh. Le calcaire fin nécessaire au ravalement provenait des carrières proches de Toura ; le granit d'Assouan servait au parement des corridors et des salles intérieures en général, voire des installations cultuelles. Les autres roches, dans lesquelles étaient confectionnés sarcophages, dallages, statues, architraves, etc. devaient parfois être apportées de fort loin, comme la diorite qu'on allait chercher à l'ouest d'Assouan. Les blocs étaient extraits et travaillés dans les carrières, puis transportés à pied d'œuvre sur des chalands. Le transport s'effectuait au moment des hautes eaux, c'est-à-dire lorsque l'on pouvait approcher les blocs le plus près possible du chantier. C'est ce qu'explique Ouni lorsqu'il relate la dernière mission qu'il effectua, en tant que gouverneur de Haute-Égypte, pour le compte de Mérenrê. Il avait été chargé, en vue de la construction de la pyramide de son souverain, de l'extraction et du transport du sarcophage en basalte, qu'il alla chercher en Nubie, et des éléments en granit et en albâtre, extraits, eux, à Assouan et Hatnoub :
« Sa Majesté m'envoya à Ibhat pour transporter le cercueil des vivants qui est seigneur de la vie, avec son couvercle, avec le pyramidion précieux et auguste pour la pyramide " Mérenrê apparaît en perfection", ma souveraine. Sa Majesté m'envoya à Éléphantine pour transporter la fausse-porte en granit rose avec son seuil, les herses et les linteaux en granit rose, pour transporter les portes et les dalles en granit rose de la chambre supérieure de la pyramide " Mérenrê
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Fig. 52
Schéma de la rampe de construction d'une pyramide (d'après J.-Ph. Lauer).
apparaît en perfection", dans six bateaux larges, trois chalands, trois bateaux de 80 coudées (?) en une seule expédition (...). Sa Majesté m'envoya à Hatnoub pour transporter une grande table d'offrande en albâtre de Hatnoub. Je fis descendre pour lui cette table d'offrande, détachée à Hatnoub en dix-sept jours, et je lui fis descendre le fleuve vers le nord sur le même radeau, je coupai pour elle [la table] un radeau en acacia de soixante coudées de long, trente coudées de large, fabriqué en dix-sept jours, le troisième mois de l'été. Au moment où il n'y avait pas d'eau sur les bancs de sable, j'accostai à la pyramide " Mérenrê apparaît en perfection " en paix (...). Sa Majesté m'envoya creuser cinq canaux dans la Haute Égypte, et exécuter trois radeaux et quatre chalands en acacia de Ouaouat (...). Je fis tout en une seule année, le lancement des bateaux et le chargement de granit rose en grande quantité pour la pyramide " Mérenrê apparaît en perfection ". » (Roccati : 1982, 196-197.)
La période des hautes eaux était aussi l'époque de l'année où la main-d'œuvre, essentiellement les paysans, était disponible pour assurer la corvée qu'elle devait à son souverain. Dans ces conditions de travail saisonnier, l'estimation de vingt ans données par Hérodote ne paraît pas déraisonnable, même si des constructions comme les pyramides de Snéfrou ont dû prendre moins de temps. En revanche, la description qu'il donne des techniques de levage est peu vraisemblable. On lui préférera l'explication que propose J.-Ph. Lauer d'une ou plusieurs rampes dont on faisait varier la pente.
La rampe est disposée perpendiculairement à la face de la pyramide. Sa largeur, assez importante au départ, diminue au fur et à mesure que montent les assises, tandis que sa longueur augmente, de manière à conserver une pente suffisamment faible — de l'ordre de 1 pour 12 — permettant aux traîneaux de charrier les blocs. Cette théorie, dont le principe est confirmé par les vestiges de rampes de constructions en brique crue que l'on a retrouvés près du premier pylône du temple d'Amon-Rê de Karnak ou à Meïdoum et Licht, a sur ses concurrentes l'avantage de la simplicité. Le parement, monté par assises comme les installations intérieures, est ravalé à partir du haut une fois le pyramidion posé au sommet de l'édifice.
Plus aucune pyramide n'atteindra la taille ni la perfection de celle de Chéops. Celle de Djedefrê, qui préféra Abou Roach à Gîza, ne nous est pas parvenue dans un état suffisamment bon pour qu'une comparaison soit réellement possible. Celle de Chéphren, en revanche, reprend assez fidèlement le modèle de Chéops, ainsi que celle de Mykérinos, plus petite de moitié, à l'exception des installations intérieures, incluses dans le soubassement et profondément différentes chez Mykérinos.
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Fig. 53
Plan d'ensemble de Gîza.
Les pyramides des Ve et VIe dynasties reproduisent l'aspect extérieur du modèle de Gîza sans en atteindre la taille. Les seules différences sont dans l'évolution des chambres intérieures, dont le plan se fixe à peu près avec Ounas, et des éléments du complexe funéraire autres que la pyramide proprement dite. La seule exception est Chepseskaf, qui se fait construire à Saqqara-Sud non pas une pyramide, mais un énorme mastaba, connu aujourd'hui sous le nom de mastaba-faraoun. Il s'agit d'un grand sarcophage de maçonnerie de presque 100 m de long sur 75 m de large et haut d'environ 19 m. On ne sait comment expliquer cet apparent retour à des traditions funéraires antérieures — retour qui n'était pas d'ailleurs total puisque, si le mastaba-faraoun est entouré d'une double enceinte, il possède aussi une chaussée montante, qui est un apport de la IVe dynastie. La disposition des appartements funéraires choisie par Chepseskaf est également celle qui sera retenue à la VIe dynastie, dont les rois installeront d'ailleurs leurs tombeaux non loin de celui qui fut peut-être pour eux un précurseur... Quoi qu'il en soit, on peut supposer que ce « recul » architectural trahit le difficile passage politique de la IVe à la Ve dynastie, puisque Khentkaous, la mère de Sahourê et de Néferirkarê, dont nous avons vu qu'elle épousa probablement en secondes noces Chepseskaf, se fit, elle aussi, construire une tombe qui marque un retour en arrière, même si elle fut édifiée après la mort de son mari, à Gîza, entre les chaussées de Chéphren et de Mykérinos. Il s'agit d'une construction bâtarde, mi-mastaba mi-pyramide à deux degrés qui s'élève à 18 m du sol. Khentkaous possède également une pyramide, récemment dégagée à Abousir, au sud de celle de Néferirkarê, qui devait être à peu près aussi haute que sa tombe de Gîza. Dans le temple funéraire de celle-ci, elle reçut, longtemps encore après sa mort, un culte en tant qu'ancêtre de la Ve dynastie.
Le complexe funéraire
L'organisation générale du complexe funéraire change à la IVe dynastie, en même temps que de nouveaux éléments apparaissent, comme les pyramides destinées à recevoir la dépouille des reines. Elles n'ont pour installation propre qu'un temple de culte et dépendent pour le reste de celles du roi. Trois sont implantées à l'est de la pyramide de Chéops, dont l'une, la plus méridionale, reçut la reine Hénoutsen. Mykérinos possède aussi trois de ces petites pyramides au sud de son tombeau. La plus grande, qui est aussi la plus orientale des trois, joue le même rôle que celle qui flanque la face méridionale de la pyramide de Chéphren. Il s'agit d'une pyramide dite « satellite » destinée au double du roi. Elle apparaît avec la pyramide de Meïdoum et ne comporte ni sarcophage ni installation cultuelle, mais possède une entrée propre et une chambre. Elle rappelle l'ensemble qui avait été aménagé chez Djoser contre l'enceinte méridionale pour le ka du souverain et qui comprenait un cénotaphe dans la tradition thinite et une chapelle de culte.
Chez Djoser, l'enceinte est censée reproduire celle qui enfermait le domaine royal. C'est elle que l'on retrouve depuis les premiers temps sous la forme du serekh.
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Fig. 54
Plan du complexe de Djoser à Saqqara.
On accède au complexe près de l'angle sud-est, par la seule porte réelle parmi les quatorze réparties sur le pourtour de l'enceinte. Une fois franchi un couloir bordé de deux rangées de vingt colonnes fasciculées et la petite salle hypostyle sur laquelle il débouche, on se trouve dans une grande cour orientée nord-sud, séparant la pyramide du cénotaphe méridional. De là, on accède à un ensemble consacré à la célébration de la fête-sed : un temple en T, qui devait être un pavillon d'attente, puis une cour bordée de chapelles et comportant une estrade, où le roi défunt était censé pouvoir reproduire les différentes phases de la fête jubilaire en se glissant d'un bâtiment à l'autre par des portes représentées éternellement ouvertes le long des murs (Lauer : 1988, 208 sq.). Les rites accomplis, il allait trôner dans la « Maison du Sud », puis dans la « Maison du Nord », où il recevait sans doute l'hommage de chacun des deux royaumes.
La partie septentrionale comprend les installations du culte funéraire proprement dit : un serdab depuis l'intérieur duquel une statue de Djoser, aujourd'hui au Musée du Caire, pouvait assister, grâce à deux trous aménagés à hauteur de ses yeux, au service de l'offrande funéraire qui se déroulait dans le temple qui le jouxte.
Cette organisation de tous les éléments du complexe funéraire à l'intérieur d'une même enceinte disparaît à la IVe dynastie au profit d'une structure moins ramassée qui s'articule autour de trois points principaux : la pyramide elle-même et ses dépendances directes, une chaussée montante et un temple d'accueil.
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Fig. 55
Plan type du complexe funéraire.
Le temple d'accueil ou « temple de la vallée » est situé à la limite des terres cultivées. C'est lui qui reçoit le défunt lors des funérailles : il représente théoriquement le quai sur lequel celui-ci débarque au terme d'une navigation qui reproduit celle de la divinité dans les eaux célestes. Il apparaît chez Snéfrou à Meïdoum, c'est-à-dire lorsque le complexe funéraire abandonne l'orientation nord-sud au profit de celle d'est en ouest, qui respecte à la fois la séparation entre le monde des vivants et celui des morts et la position respective de la vallée et du plateau désertique. Le temple d'accueil est d'abord un point de passage : une porte suivie d'une cour et bordée de chapelles contenant des statues de culte du roi et de magasins. C'est aussi un lieu de purification et d'accueil, comparable en cela à tout point d'accès à une zone cultuelle. Les quatre triades trouvées par G. Reisner dans le temple de Mykérinos et conservées aux musées du Caire et de Brooklyn en témoignent : le roi y est figuré chaque fois, entouré de la déesse Hathor et d'une divinité représentant un nome, les 18e, 15e, 7e et 4e de Haute-Égypte. Ces statues faisaient sans doute partie d'un ensemble plus vaste, à l'échelle du pays.
Les exemples postérieurs montrent que cette fonction d'accueil était dévolue à une divinité féminine, comme la lionne Sekhmet que l'on voit allaitant le roi chez Niouserrê. Ce devait être aussi le rôle d'Hathor auprès de Mykérinos : les inscriptions des triades l'évoquent en effet comme la « Dame du Sycomore ». Celle-ci est justement, tantôt en tant qu'Isis, tantôt en tant qu'Hathor, la déesse-mère liée à la nécropole thébaine que l'on verra plus tard, sous sa forme d'arbre, allaiter Thoutmosis III dans sa tombe (Mekhitarian : 1954, 38). Si cette interprétation est correcte, elle permet de mieux apprécier le rôle du temple de la vallée. Il dépasse celui d'un simple point d'accueil et de purification : il devient le lieu de renaissance, à la fois après les funérailles, les statues du roi revivant éternellement le rituel pratiqué au moment de l'embaumement — ce qui n'est pas sans évoquer les futurs mammisis des temples —, et au moment du passage entre la vie et la mort. La disposition des bâtiments ne permet pas de dire si le temple de la vallée était le lieu de la momification, dont Hérodote nous apprend qu'elle durait soixante-dix jours; bien des éléments même plaident en faveur d'installations — qui pouvaient très bien être provisoires — extérieures au temple. Il n'en reste pas moins qu'il est le point de passage du mort vers la pyramide.
La chaussée montante qui en part conduit au temple de culte, point de contact ultime du territoire des vivants avec celui des morts. La chaussée peut être couverte et décorée, comme celle d'Ounas à Saqqara, qui s'étend sur 700 mètres. Les thèmes décoratifs sont comparables à ceux qui ornent les chapelles des tombes privées, mais à la dimension du pharaon : apport de produits des domaines, scènes économiques, d'élevage, de chasse et de pêche, images de la vie de tous les jours mais aussi de la construction et de l'approvisionnement du temple, et — chose qui devait déjà exister à la IVe dynastie mais dont, faute de témoignage conservé, on ne peut se rendre compte — scènes relatant les grands événements du règne. On y voit ainsi le transport depuis Assouan des colonnes de granit qui ornaient le temple, une procession de nomes, les bateaux revenant de l'expédition de Byblos, des combats contre les Bédouins et des représentations, uniques pour l'époque, de populations du désert affamées, dans lesquelles on a voulu voir des signes avant-coureurs de la famine qui s'abattra sur le pays... quatre siècles plus tard !
Le temple de culte, situé jusqu'à la fin de la IIIe dynastie contre la face septentrionale de la pyramide, suit ensuite le changement d'orientation inauguré à Meïdoum pour suivre la course du soleil et se retrouve donc contre la face orientale. Il comprend deux parties distinctes : un vestibule donnant accès à une cour, à péristyle depuis Chéops, l'ensemble constituant le temple de culte proprement dit, et le temple intime, à l'intérieur duquel l'offrande était déposée devant la fausse porte. Des statues du roi, éventuellement en compagnie de sa famille comme celle de Djedefrê conservée au Louvre, étaient placées dans des chapelles où elles pouvaient jouir de l'offrande et recevoir le culte. Ces deux fonctions — l'offrande funéraire et le culte des statues royales — constituaient l'essentiel de l'activité du temple.
À partir de Sahourê, certaines installations annexes comme les magasins se multiplient, et la coupure est plus nette entre temple de culte et temple intime. Dans ce dernier, le culte du roi se concentre autour de la fête-sed et des rites de régénération avec, en particulier, des scènes d'allaitement divin. Le temple de culte met l'accent sur des scènes de chasse et de combat, incluant le massacre rituel des ennemis. Il insiste aussi sur les relations entre le roi et les dieux, tout en conservant la première place au culte des statues.
Un autre élément se développe dans la proximité immédiate de la pyramide : les fosses destinées à recevoir des barques en bois. Connues dès l'époque thinite, elles permettent au mort de naviguer dans l'au-delà aux côtés de Rê. On en connaît cinq, disposées au pied des faces orientale et méridionale de la pyramide de Chéops. L'une de celles du groupe sud a été fouillée en 1954, et les pièces du bateau qu'elle contenait, aujourd'hui remontées, sont exposées dans un musée qui jouxte la pyramide. Ces barques ne sont pas nécessairement toujours en bois : Ounas, par exemple, possède, au sud de sa chaussée, deux simulacres en pierre ravalée.
Le temple solaire
Ces barques se retrouvent dans un autre type d'édifice propre à la Ve dynastie et qui, sans être véritablement comparable au complexe pyramidal puisqu'il s'agit de temples et non de sépultures, en est proche par la structure : les temples solaires. Ceux que l'on connaît sont tous localisés d'Abousir à Abou Gourob ; celui que l'on arrive le mieux à reconstituer est celui que Niouserrê fit construire à Abou Gourob, sans doute sur le modèle du temple solaire d'Héliopolis, à jamais disparu pour laisser la place au gigantisme toujours croissant du Caire.
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Fig. 56
Reconstitution du temple solaire de Niouserrê (d'après L. Borchardt).
Le temple solaire est constitué des mêmes éléments que le complexe pyramidal. Le temple de la vallée, sur les murs duquel sont reproduits les décrets instituant l'approvisionnement en offrandes, communique par une chaussée montante avec le temple haut. Ce dernier comprend essentiellement une cour à ciel ouvert, au milieu de laquelle un autel — chez Sahourê, quatre autels solidaires les uns des autres et tournés chacun vers un point cardinal, taillés dans un même bloc d'albâtre — fait face à la représentation du benben, la pierre levée censée être, dans la théologie héliopolitaine, l'incarnation du soleil créateur : un obélisque tronqué posé sur un large podium. Le culte se célèbre là, en plein air, comme ce sera le cas dans tous les temples solaires connus, qu'il s'agisse de ceux qui seront intégrés dans les temples funéraires au Nouvel Empire ou des sanctuaires amarniens, dans lesquels Akhenaton adorera le Disque. Comme eux également, il comprend une cour d'abattage des animaux de sacrifice. Parmi les reliefs conservés, on trouve des représentations du culte et de la fête-sed, mais aussi, chez Niouserrê, un ensemble original qui décore le couloir ascendant qui fait le tour du socle du benben : les scènes dites « des saisons », reprises en partie sur la chaussée d'Ounas et qui trouveront un écho beaucoup plus tard dans le « jardin botanique » qui orne les salles solaires à l'est de la salle des fêtes de Thoutmosis III dans le temple d'Amon-Rê de Karnak ainsi que dans le grand hymne à Aton d'Amenhotep IV.
Chacune de ces œuvres est, à sa manière, une description de la création en même temps qu'un hymne à Celui qui l'a mise en place : elles mettent toutes en scène la faune et la flore que le Soleil nourrit de ses rayons. Un autre type de représentation connaîtra une grande fortune par la suite : les processions de nomes qui apportent au roi les produits du pays. On les retrouve également chez Ounas, puis, de façon systématique, dans les temples tardifs.
Les Textes des Pyramides
Revenons à la pyramide proprement dite. Nous avons vu qu'Ounas fixe le plan des installations intérieures du tombeau selon un schéma qui restera en vigueur jusqu'à la fin de l'Ancien Empire :
L'entrée se fait au nord. On accède à un vestibule, puis, en franchissant les trois herses de granit que nous avons évoquées pour Chéops, à une antichambre qui dessert à l'est, c'est-à-dire du côté des vivants, un serdab, dans lequel sont entreprosées les statues du défunt, et, à l'ouest, vers le monde des morts, la salle du sarcophage. Ce plan sera abandonné à la XIIe dynastie pour essayer de lutter contre les entreprises des pillards.
La pyramide d'Ounas est importante à un autre titre : elle est la première dont les parois intérieures portent des textes funéraires. Ces Textes des Pyramides se rencontrent dans les tombeaux royaux de Saqqara — Ounas, Téti, Pépi Ier, Mérenrê, Pépi II et Aba —, mais
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Fig. 57
Plan des installations intérieures de la pyramide d'Ounas.
aussi chez les reines de Pépi II — Neit, Oudjebten et Apouit —, et peut-être aussi dans les pyramides de reines récemment découvertes dans le complexe funéraire de Pépi Ier par la Mission Archéologique Française de Saqqara. Les textes d'Ounas, Téti, Pépi Ier, Mérenrê et Pépi II ont été découverts et rapidement publiés par G. Maspero en 1880-1881. K. Sethe en a donné une édition synoptique avant la guerre de 1914, complétée ensuite par un apparat critique et des commentaires. Mais cette édition magistrale ne tient pas compte des textes provenant des pyramides de reines et de celle d'Aba, découverts entre 1925 et 1935 par G. Jéquier, ni des nouveaux fragments dégagés chez Téti, Pépi Ier et Mérenrê par la Mission Française de Saqqara, qui prépare, sous la direction de J. Leclant, une nouvelle édition de l'ensemble du corpus. Ces textes sont constitués d'une suite de formules dont certaines n'apparaissent que chez Ounas, mais qui, pour l'ensemble, se sont transmises jusque chez Aba. Ils se retrouvent dans un autre corpus funéraire dont les premiers exemples, datant de la VIe dynastie, ont été retrouvés dans l'oasis de Dakhla et qui prend le relais des Textes des Pyramides au Moyen Empire : les Textes des Sarcophages, qui, eux, ne sont pas réservés aux rois. On a même trouvé récemment des traces du passage de l'un à l'autre de ces ensembles dans le temple funéraire de Pépi Ier. Les Textes des Sarcophages, à leur tour, influenceront les Livres des Morts du Nouvel Empire et de Basse Époque.
Ces formules constituent un rituel visant à assurer au défunt le passage vers l'au-delà et l'existence parmi les bienheureux. Elles décrivent son ascension vers le ciel, son installation parmi les étoiles, sa solarisation et son passage à l'état d'Osiris, tout en lui fournissant les textes nécessaires à sa purification et les incantations magiques qui lui permettent de franchir les obstacles qui se dressent sur son chemin. Elles remontent probablement à des rituels archaïques qui ne nous sont pas parvenus, soit que les supports en aient été détruits, soit, plus vraisemblablement, parce que ceux-ci étaient nés de traditions orales se perdant dans la nuit des temps.
Leur lecture fournit certains éléments qui permettent de mieux comprendre l'évolution de la sépulture royale à l'Ancien Empire. Nous sommes partis du mastaba dont nous avons dit que la superstructure reproduisait, inclus dans l'habitat du mort, le tertre originel à partir duquel Atoum entreprit la création : la tombe est donc l'image de la création. Dans ces conditions, on pourrait se demander pourquoi Imhotep recouvrit un mastaba, devenu carré, d'une pyramide. Les textes nous expliquent que le but poursuivi par le roi est de monter au ciel où il doit connaître un devenir à la fois solaire et stellaire. Pour ce faire, il a plusieurs moyens à sa disposition : les tourbillons ascendants de sable — dans lesquels nos contemporains voient encore l'expression de la malignité d'un esprit, un afrît —, l'aide du dieu Chou qui le prend dans ses bras, la transformation en oiseau — le plus souvent en faucon, l'oiseau qui vole le plus haut dans le ciel —, ou, d'une façon plus poétique, la fumée des encensoirs qui s'élève dans le ciel. Mais il peut aussi, prosaïquement, utiliser un escalier ou une échelle formée par les rayons du soleil. L'escalier, c'est la pyramide à degrés, dont le hiéroglyphe sert à déterminer le verbe âr, « monter ». Ce moyen n'est toutefois pas très longtemps à sa disposition, puisque la pyramide à degrés ne dure guère plus d'un siècle. On lui préfère dès la IVe dynastie la pyramide lisse qui symbolise, comme le benben, le rayon de soleil pétrifié à l'aide duquel le roi accède au ciel. La pyramide est donc un simulacre à valeur de prototype, tout comme la barque solaire qui l'accompagne. Le passage à la pyramide lisse, puis l'introduction du benben visent à réconcilier l'opposition entre Atoum et Rê qui, après les premières tentatives que nous avons évoquées plus haut de Djedefrê et de Chéphren, ne trouve de solution qu'avec la Ve dynastie, sous forme d'une assimilation de l'un à l'autre.
Ainsi Ounas est assimilé à Atoum dans la Dat, qui est le monde souterrain, présentée comme un équivalent du Noun, les eaux initiales dans lesquelles évoluait le Créateur. Il en est arraché sous forme d'Atoum solaire pour accéder à la Douat, qui est l'horizon. C'est ce passage, déjà sans doute exprimé par le grand sphinx de Giza, qu'exposent les textes. Ceux-ci possèdent donc un sens de lecture lié à leur emplacement dans la tombe et correspondant, dans un premier temps, au déroulement des funérailles, puis, dans un second, à celui de la résurrection.
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Fig. 58
Plan comparatif des salles funéraires et du complexe pyramidal.
Les textes décrivent d'abord la marche au tombeau : le vestibule correspond aux rites pratiqués dans le temple d'accueil. Le corridor est l'équivalent de la chaussée montante, l'antichambre celui du temple de culte. La salle du sarcophage joue le rôle du temple intime, le serdab étant ici comme là le réceptacle des effigies du roi. Ce sens de lecture, de l'entrée vers le sarcophage, est perceptible chez Pépi Ier. Une fois le mort installé dans son sarcophage, la lecture reprend, en continuant, mais cette fois vers la sortie : c'est le sens de la résurrection, au cours de laquelle les salles reçoivent une valeur symbolique. Le roi sort du sarcophage : il quitte la Dat, le monde infernal. Il est Atoum et se rend dans l'antichambre qui est l'horizon. De là, il commence son ascension en remontant le corridor jusqu'à atteindre les herses de granit qui sont les portes du ciel fermées par le verrou que constitue le phallus du dieu Bebon. Une fois les portes franchies, il se retrouve dans le caveau, devenu la Douat, la nuit, domaine des étoiles au milieu desquelles il atteint l'immortalité.
Les tombes civiles
Lors de son ascension au ciel, le roi ne se contente pas de bénéficier pour lui seul de la vie éternelle. Il devient certes l'un des compagnons de Rê, mais il garde la charge de ses sujets, qu'il entraîne avec lui dans l'au-delà. Ceux-ci, tout en cherchant à s'assurer des moyens propres de survie individuelle, souhaitent cette tutelle. Pour l'obtenir, ils n'accompagnent plus comme autrefois le roi dans sa tombe même, mais disposent leurs tombes à proximité de sa sépulture. De véritables villes funéraires se constituent ainsi, dont les tombeaux sont autant de maisons, séparées par des rues en quartiers, plus nobles au fur et à mesure qu'ils se rapprochent de la pyramide. De cette manière, la hiérarchie de la société se trouve reconduite par-delà la mort : nobles, courtisans et fonctionnaires assurent éternellement leur charge aux côtés du roi.
Les tombes des particuliers conservent à l'Ancien Empire le type architectural du mastaba. On entend par « particuliers » l'ensemble de la population à l'exception du roi, y compris donc les membres de la famille royale — ce qui se comprend dans la mesure où les princes qui jouèrent un rôle politique se présentaient eux-mêmes avant tout en fonctionnaires, quitte à mettre l'accent dans l'énoncé de leurs titres sur leurs origines ou leur alliance avec la famille régnante. La différence est plus difficile à faire pour les reines, qui ne bénéficient pas toujours d'une pyramide annexée à celle de leur époux. En général, leur tombe reste considérée comme un monument privé qui se rapproche plus ou moins du type royal selon l'importance et le rôle de celle que l'on présente toujours comme l'épouse ou la mère d'un souverain. Les exemples les plus illustres sont Hétephérès, la mère de Chéops, ou Khentkaous, présentée comme « la mère de deux rois » dans sa tombe de Gîza et adorée comme fondatrice de la Ve dynastie à Abousir. Nitocris est le seul cas vraiment royal ; malheureusement, comme nous l'avons vu, on n'a pas retrouvé la pyramide que lui prête la tradition.
L'évolution du mastaba suit après un temps celle de la pyramide avec le passage à la fin de la IIIe dynastie de la brique au calcaire marneux, puis, à la IVe dynastie, au calcaire siliceux, plus flatteur, et, surtout, au revêtement de calcaire fin. C'est la superstructure, plus que l'infrastructure qui évolue, pour se fixer dans le type suivant.
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Fig. 59
Coupe d'un mastaba type (d'après Desroches-Noblecourt : 1946, 54)
On voit que le caveau a peu évolué. Il est essentiellement le réceptacle du corps. Tantôt carré, tantôt rectangulaire, voire parfois circulaire, il est le plus souvent, à la IVe dynastie, construit en brique avec un toit en pierre et une voûte « à encorbellement » (voir p. 144). Il contient un sarcophage rectangulaire en pierre, calcaire ou syénite, selon la libéralité du roi qui dote le fonctionnaire qui ne saurait assumer à lui seul, on l'a vu, les frais d'une expédition aux carrières de Toura, d'Hatnoub ou d'Assouan. Il est difficile de savoir si le corps était momifié. Théoriquement, la momification est attestée, comme nous l'avons vu, dès la Ire dynastie et l'on a retrouvé des restes de momie dans la tombe de Djoser. Les dépouilles des défunts de ces grandes nécropoles de l'Ancien Empire sont très mal conservées, et aucune scène des chapelles ne vient confirmer cette pratique, qui n'est réellement décrite que plus tard, au moins pour les particuliers. On n'a, par ailleurs, retrouvé aucune momie royale de cette époque : la plus ancienne connue est celle de Mérenrê, conservée aujourd'hui au Musée du Caire (Bucaille : 1987, fig. 1). Il est assez probable que, dans la majeure partie des cas, on continuait à faire confiance à la dessication naturelle du corps qui était grandement facilitée par l'environnement désertique, et ce jusque très tard, puisqu'on n'a découvert, par exemple, aucune trace de momification à Balat, dans la nécropole des gouverneurs de l'oasis de Dakhla, qui date, en partie, de la seconde moitié de la VIe dynastie.
Rites et culte funéraires
Les Égyptiens eux-mêmes n'ont pas décrit dans le détail le processus de l'embaumement. En tout cas, un pareil traité ne nous est pas parvenu. Les représentations ne sont jamais totalement explicites, et les allusions qui y sont faites sont moins techniques que religieuses. Ce que l'on en sait vient essentiellement des auteurs grecs : Hérodote, Diodore, Plutarque ou Porphyre. On peut reconstituer les grandes lignes du procédé et, ce qui importait le plus aux Égyptiens, son but et la valeur symbolique qui s'y attachaient. Mais seuls le « démaillotage » de momies et leur analyse à l'aide de techniques modernes donnent des indications qui prennent parfois en défaut les idées reçues. Ce fut le cas lors de la restauration des restes de Ramsès II et, plus récemment, lors de l'examen, en 1986, par des équipes pluridisciplinaires de chercheurs, d'une momie anonyme de Basse Époque du Muséum de Lyon (Josset-Goyon : 1988). Les principales étapes de la momification étaient les suivantes, au moins au Nouvel Empire.
Après la mort, le corps était emporté dans un lieu spécialisé, une « maison de purification », où commençait le traitement. Il était allongé sur une table et décervelé. L'un des paraschistes — les prêtres chirurgiens spécialisés dans la préparation des cadavres — incisait le flanc gauche à l'aide d'un couteau qui devait être, rituellement, en silex. Il éviscérait par cette plaie le cadavre en brisant le diaphragme. Les organes ainsi prélevés étaient traités séparément : embaumés et emmaillotés, ils étaient théoriquement placés, jusqu'au début de la Troisième Période Intermédiaire, dans des vases. Leur première trace connue se trouve dans le mobilier funéraire de la reine Hétephérès, la mère de Chéops, et, à la suite d'une fausse interprétation d'A. Kircher, on les a appelés « canopes ». Ces vases étaient placés sous la protection des quatre fils d'Horus, Amset, Hâpy, Douamoutef et Qebehsennouef, qui veillaient respectivement, en théorie, sur le foie, les poumons, l'estomac et les intestins. Ils étaient déposés dans le caveau. Par la suite, on se contenta de remettre les viscères sous forme de « paquets-canopes » à leur place dans le corps après les avoir traités. On ne laissait en place que le cœur et les reins, que leur position rendait, de toute façon, difficilement accessibles.
Une fois le corps vidé, intervenait le taricheute qui le « salait » en le plaçant dans le natron, où il restait environ trente-cinq jours. On luttait contre le noircissement des chairs que provoquait ce traitement en teignant au henné certaines parties du corps ou en les enduisant d'ocre, rouge pour les hommes, jaune pour les femmes, comme on le faisait normalement pour les statues ou les reliefs. On bourrait ensuite, à l'aide de pièces de tissus fournies en principe par la famille, l'abdomen et la poitrine de tampons imbibés de gommes, d'aromates et d'onguents divers, de façon à reconstituer l'aspect du corps tout en assurant la conservation. L'ouverture pratiquée par le paraschiste dans l'abdomen était recouverte d'une plaque placée également sous l'invocation des quatre fils d'Horus.
Le corps ainsi recomposé était nettoyé et purifié. Puis commençait l'emmaillotage, qui se faisait lui aussi par étapes. On entourait d'abord, à l'aide de bandes de lin, chaque membre, y compris les doigts et le phallus, puis l'ensemble du corps que l'on avait entre-temps recouvert d'une grande pièce de tissu faisant office de linceul. Cet enroulement se faisait selon un rituel très précis qui était suivi de la même manière, qu'il s'agît d'un roi ou d'un simple particulier. La seule différence résidait dans le prix des amulettes qui étaient glissées au-dessus de certains membres et des tissus employés. À partir du Nouvel Empire, des textes funéraires sont inclus dans l'emmaillotage, au même titre que les amulettes et les bijoux : on glisse ainsi souvent un Livre des Morts entre les jambes de la momie. Un masque recouvre, enfin, l'emplacement du visage; en cartonnage le plus souvent, il peut être beaucoup plus précieux pour de grands personnages et combiner l'or de la chair des dieux avec le lapis-lazuli de leur chevelure. Ce masque a tendance à se développer à partir du Nouvel Empire, jusqu'à devenir une « planche » recouvrant l'ensemble du corps et reproduisant l'aspect d'un couvercle de sarcophage, le stade ultime étant constitué par les « portraits » du Fayoum peints à l'encaustique.
La momie était ensuite placée dans un sarcophage qui, lui aussi, évolue au fil du temps. À l'origine, c'est son rôle de substitut de la maison du défunt qui domine, comme l'indiquent sa forme carrée et un décor en « façade de palais ».
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Fig. 60
Sarcophage « en façade de palais » provenant d'Abou Roach (Musée du Louvre).
À partir de la VIe dynastie, le sarcophage, tout en conservant son rôle de fausse-porte, commence à inclure du texte : formule de l'offrande, et frises d'objets lui servant de substituts, mais aussi déjà des chapitres des Textes des Sarcophages (Valloggia : 1986, 74-78), dont les exemples connus datent surtout du Moyen Empire. Le matériau et la forme évoluent également, et il convient de distinguer la cuve, souvent en pierre, voire taillée à même le roc, du sarcophage proprement dit, qui tend, dès le Moyen Empire, à épouser la forme du corps.
Le mobilier funéraire reste composé des mêmes éléments de base : chevets, vaisselle et objets personnels, restes du repas funéraire. Le caveau est désormais fermé par une herse de pierre, comme la sépulture royale, et le puits, qui peut comporter un escalier ou un couloir débouchant dans la cour en avant de la superstructure, est bloqué au moment des funérailles. Ce qui évolue le plus, c'est la chapelle, qui se trouve toujours dans la superstructure. Jusqu'à l'époque de Snéfrou, elle est cruciforme et se situe dans la paroi orientale du mastaba : elle est le développement logique de la niche originelle, dont nous avons vu qu'elle jouait le rôle de fausse-porte. Le plan change ensuite, et l'on a établi une typologie assez complexe fondée sur l'organisation générale, la présence de niches, le nombre de pièces, etc. L'évolution la plus radicale se fait à Gîza avec la systématisation de l'usage de la pierre qui modifie profondément l'aspect des monuments, en particulier en permettant un fruit plus accentué que la brique, et surtout en offrant de vastes surfaces aux décors intérieurs. Les extensions des Ve et VIe dynasties ne font que multiplier le nombre de pièces en jouant sur la disposition générale, produisant les plus beaux et les plus riches exemples de cette forme de sépulture qui ne survit guère à l'Ancien Empire.
Nous avons évoqué plus haut la carrière de Ti, dont le tombeau fut découvert par A. Mariette en 1865. Ce mastaba, tant par son architecture que pour la qualité de ses reliefs est l'un des sommets de
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Fig. 61
Plan du mastaba de Ti à Saqqara.
l'art funéraire de l'Ancien Empire. Le vestibule (I) présente la procession des trente-six domaines du défunt et l'apport de ses fermes et basses-cours de chaque côté de la porte, sur laquelle figure l' « appel au vivant » : une adresse au visiteur pour lui demander de prononcer la formule de l'offrande pour le bénéfice du mort. Celle-ci, énoncée de la bouche d'un vivant, prend corps et assure la subsistance du propriétaire de la tombe. Une fois la porte franchie, on se retrouve dans une cour à piliers (II), dont les murs sont ornés de scènes relatant la vie des domaines (volières, élevage d'oiseaux, reddition de comptes), mais aussi la préparation des funérailles (transport du mobilier funéraire, tandis que Ti se rend en palanquin vers son tombeau en compagnie de son chien familier). Cette cour, sur laquelle donne le premier serdab, où l'on a retrouvé une statue du propriétaire aujourd'hui au Musée du Caire (CGC 95), contient également une stèle fausse-porte au nom de son fils Démedj, qui fut lui aussi un courtisan. Un peu plus loin, dans le premier corridor (III), une autre fausse-porte est consacrée à son épouse Néferhétepès. Les reliefs montrent Ti remplissant ses fonctions sacerdotales, des scènes de concert et de danse et une navigation des deux époux. Un second corridor (IV) présente la visite par Ti de ses domaines du Delta et son retour à Memphis, le transport des statues et des scènes d'offrandes. Il donne accès à une pièce qui joue le rôle de magasin (V), sur les murs de laquelle on voit s'activer potiers, brasseurs et boulangers, tandis qu'est figuré l'apport d'offrandes qui devaient être stockées dans une niche. Enfin, au fond de la tombe et communiquant avec le second serdab par trois ouvertures, se trouve la chapelle, où l'ensemble de ces thèmes sont regroupés de façon à fournir au maître des lieux tous les éléments de sa vie dans l'au-delà : face au serdab, procession des domaines, pêche et chasse dans les marais, élevage, scènes agricoles et nilotiques, auxquelles Ti et sa famille assistent en compagnie de leurs animaux familiers. À l'est et au sud, récoltes, moissons, présentation du cheptel et reddition de comptes, travaux d'artisanat — autant de tableaux dont la présence indispensable orne les murs de toutes les chapelles et que l'on retrouvera à la fin de l'Ancien Empire transposés dans la forme plastique des « modèles ». S'y ajoutent, bien entendu, des scènes d'abattage et d'offrandes, disposées de part et d'autre des deux stèles fausses-portes qui sont encastrées dans le mur occidental, au point de passage entre le royaume des morts et celui des vivants.
Le schéma de base de la décoration de la chapelle est à peu près toujours le même. Le défunt accueille le visiteur dès la porte, sur laquelle figurent ses titres et son image. À l'intérieur de la chapelle, face à la porte, sur la paroi occidentale donc, se trouvent la ou les fausses-portes qui lui permettent, à lui et aux siens de jouir de
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Chapelle de Ti : stèle fausse-porte nord (dessin H. Wild).
l'offrande. Celle du nord lui est réservée, celle du sud l'est à son épouse; entre les deux, un décor végétal ou la reproduction de tapisseries. Face aux fausses-portes, sur la paroi opposée, des scènes proprement funéraires : le pèlerinage sous forme de navigation aux villes saintes de Bousiris et d'Abydos, respectivement sur les murs nord et sud, conformément à l'orientation géographique de ces deux lieux de pèlerinage. Les parois nord et sud sont décorées de scènes de la vie des domaines — agriculture, élevage, jeux, arts et métiers —, la paroi sud, derrière laquelle se trouve le serdab, montre l'encensement des statues qui sont déposées dans celui-ci.
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Chapelle de Ti : défilé des bœufs et reddition des comptes (dessin H. Wild).
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Chapelle de Ti : le passage du gué.
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Chapelle de Ti : chasse dans les marais.
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Fig. 66
Ci-dessous. Oies : mastaba d'Itet à Meïdoum, peinture sur stuc recouvert de pisé. L = 1,73 m. Le Caire, Musée égyptien.
La majeure partie de ce système décoratif est aussi vraie pour un nouveau type de sépulture qui apparaît à la IVe dynastie, les hypogées, dont les premiers sont creusés dans le plateau de Gîza et qui connaîtront une grande fortune par la suite. La disposition des salles est la même : antichambre, chapelle et serdab; le puits conduisant au caveau part également de la chapelle ou d'une salle spéciale. La seule différence est, bien entendu, le volume extérieur, la façade étant talutée pour donner l'illusion d'une entrée de mastaba. L'hypogée sert de substitut au mastaba là où la nature du terrain rend la réalisation de celui-ci impossible. Les villes de province adoptent en effet le type de sépulture de la capitale ; mais elles ne disposent pas toujours d'emplacements adéquats. C'est le cas tout particulièrement en Moyenne Egypte, où les nécropoles sont ménagées le plus souvent dans la falaise qui borde la vallée, ce qui amène l'adoption du mastaba « rupestre », comme, par exemple, dès la IVe dynastie, dans la nécropole de Tehna. Celui-ci évolue rapidement vers la tombe rupestre proprement dite. Les nomarques de la province du Lièvre ont des tombeaux de ce type à Cheikh Saïd, au sud de Mellaoui : ceux des chefs du palais de la VIe dynastie Mérou, Ouaou ou Ankhtéti. Même chose à Deir el-Gebrawi, et surtout à Assouan, dont la nécropole possède une trentaine de tombes de ce genre.
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Plan de la tombe de Sabni et Mékhou à Assouan.
La façade, non décorée, est percée d'une porte flanquée de deux pierres levées qui rappellent les grandes stèles ornant, à la même époque, l'entrée des mastabas des gouverneurs de l'oasis de Dakhla à Balat. La chapelle elle-même, plus large que profonde, est séparée en
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trois travées de six piliers. Dans la travée centrale, une table d'offrandes fait face à la chapelle de culte, dont la fausse-porte est taillée dans la paroi occidentale. La tombe communique avec celle de Mékhou, le père de Sabni. Toutes deux sont ornées des thèmes habituels.
Il ne s'agit là que d'une adaptation au terrain. Lorsque celui-ci ne se prête ni au mastaba traditionnel ni à l'hypogée, comme dans l'oasis de Dakhla, où le sol argileux interdit une construction toute en pierre, les architectes adoptent une technique mixte, qui allie un caveau en pierre construit à l'intérieur d'une excavation creusée dans l'argile et une superstructure de brique reposant elle-même sur des fondations et un bourrage réalisé dans le même matériau (Valloggia : 1986, 43-48). L'hypogée finit par l'emporter uniquement parce que, le centre politique s'étant déplacé vers le Sud, les nécropoles n'étaient plus situées sur le plateau, mais dans la falaise même.
Les thèmes décoratifs
Les scènes des tombeaux sont une source précieuse pour connaître la vie économique et, dans une certaine mesure, bon nombre d'aspects de la vie sociale de l'Ancien Empire. Elles nous renseignent aussi sur les coutumes et les croyances funéraires elles-mêmes. On s'aperçoit, en premier lieu, que, contrairement à son roi qui monte au ciel, le simple particulier reste, lui, dans sa tombe, où il jouit d'une survie décalquée de sa vie terrestre. C'est la proximité du dieu, donc celle du roi, matérialisée par la disposition de la nécropole que nous évoquions plus haut, qui garantit l'intégration du défunt au monde divin. D'où l'omniprésence du roi dans la tombe : d'abord par la concession même du terrain sur le territoire dévolu à son propre devenir funéraire et des éléments architectoniques clefs comme le sarcophage, la fausse-porte, la table d'offrandes, etc., mais aussi dans le récit de la vie du propriétaire de la tombe. Celui-ci dépend totalement du roi, dont il est, comme nous avons vu, un imakhou. L'enfermement même à l'intérieur de la tombe, accompagné du luxe extraordinaire de précautions prises pour multiplier les supports de l'âme, des statues ou des simples « têtes de remplacement » contenues dans le serdab aux textes et aux représentations, fournit une image de l'univers réduite aux réalités terrestres.
Les thèmes décoratifs évoluent dans le détail avec le temps, mais ils restent centrés sur les réalités essentielles qui concernent le mort. On y suit toutes les étapes de la vie humaine : celles de la vie proprement dite, à travers les scènes quotidiennes, les dernières aussi, celles qui conduisent le défunt de la maison funèbre à l'éternité. On assiste à la déploration à proximité du cadavre, gestes éternels des pleureuses qui, d'Isis et Nephtys se lamentant sur la mort d'Osiris à nos jours, répètent inlassablement les gémissements et les plaintes nés de la douleur de voir partir l'être cher. Le corps est ensuite conduit, toujours veillé par des deuillantes, dans une barque à baldaquin, vers la maison d'embaumement, placée sous le patronage d'Anubis. Il y reçoit les soins que nous avons décrits plus haut. Une fois embaumé, le mort est censé se rendre, toujours en bateau, à Saïs, dans le Delta. Ce rite constitue une sorte de premier pèlerinage vers un lieu, dont on sait par Hérodote qu'on y jouait plus tard le mystère de la passion osirienne. Il bénéficie à cette occasion d'une offrande dans la « place pure » (ouâbet). Cette offrande est surtout alimentaire et comporte des rites d'abattage auxquels prennent part aussi bien les deuillants que les prêtres embaumeurs et le ritualiste. De là, il entreprend un deuxième voyage, vers la ville sainte de Bouto. En fait, il n'y a pas déplacement réel vers ces lieux : tout se passe dans la nécropole elle-même, en des lieux baptisés « Saïs » et « Bouto ». Après s'être ensuite rendu dans les sanctuaires héliopolitains, le défunt se retrouve devant l'entrée de la nécropole, où l'attendent les rites ultimes qui vont marquer sa séparation définitive d'avec les vivants : une nouvelle purification sous forme de libations et de fumigations pendant que les pleureuses continuent leur office. Puis commence un jeu dont les scènes s'enchaînent. Deux prêtres font mine de se disputer le sarcophage en le tirant chacun à soi : l'un est l'embaumeur, qui tire le défunt vers les vivants, l'autre le prêtre funéraire, auquel il appartient désormais. Ensuite apparaît le tekenou, une forme enveloppée dans une peau et placée sur un traîneau et dont le nom, « le voisin », laisse supposer qu'il s'agit d'une puissance tutélaire de la nécropole qui aide le mort à triompher de ses ennemis au moment d'accéder au tombeau. Il l'entraîne vers l'occident, tandis que derrière eux suivent les vases canopes portés à bras d'hommes. Le cortège arrive à l'entrée de la tombe, devant la fausse-porte où se déroule le banquet funèbre, prototype de l'offrande qui sera renouvelée éternellement. On introduit alors le mobilier dans le caveau, puis le sarcophage et une statue du défunt censée se rendre en pèlerinage à Abydos, la ville sainte d'Osiris. Après l'exécution de rites de protection, le caveau est scellé à jamais : les murs de la chapelle peuvent s'animer pour offrir au mort la jouissance éternelle de ses biens.