CHAPITRE VII
Le Moyen Empire
Les premiers temps de l'unité
Montouhotep II prend la succession d'Antef III vers 2061. Quand il monte sur le trône, sous le nom de Séânkhibtaoui, « Celui qui vivifie le cœur des Deux Terres », son pouvoir s'étend de la Première Cataracte au 10e nome de Haute-Égypte, c'est-à-dire qu'il est encore limité au nord par celui des princes d'Assiout. Une paix armée s'est établie entre les deux royaumes ; elle est interrompue par la révolte du nome thinite, qui, durement éprouvé par une nouvelle famine, bascule dans le clan hérakléopolitain. Moutouhotep prend Assiout, traversant sans coup férir le 15e nome. C'est la chute d'Hérakléopolis.
Proclamé définitivement roi des deux Égyptes sous le nom de Nebhépetrê, le Fils de Rê Montouhotep affirme son origine en adoptant comme nom d'Horus Netjérihedjet, « Divine est la couronne blanche ». Son autorité n'est cependant pas définitivement assise sur l'ensemble du pays, et la pacification dure plusieurs années. On découvre à cette occasion que l'oasis de Dakhla, dans le désert occidental, servait déjà de refuge aux opposants politiques. Montouhotep les y pourchasse. Il récompense la fidélité des princes de l'Oryx et du Lièvre en les laissant en place et maintient partout ailleurs en Haute-Égypte les féodalités locales, sauf à Assiout. Il coiffe tout le reste du pays par des contrôleurs thébains qui surveillent tout particulièrement Hérakléopolis, redevenue une province, et le nome d'Héliopolis. Il déplace la capitale à Thèbes, crée un poste de « gouverneur du Nord » et rétablit les anciens chanceliers, ainsi que la charge de vizir, dont on connaît les trois titulaires au cours de son règne : Dagi, Bebi et Ipy. L'ensemble de ces opérations dure vraisemblablement jusqu'en l'an 30 de son règne. La réunification est alors achevée, et il prend en l'an 39 un nouveau nom d'Horus : Sémataoui, « Celui qui a unifié les Deux Terres ». Unificateur, il est aussi un grand constructeur : il poursuit les travaux de restauration entrepris par Antef III à Éléphantine dans les temples d'Héqaib et de Satis. Il construit également à El-Ballas, Dendara, Elkab, dans le temple d'Hathor de Gebelein, où il fait représenter la soumission du Nord, et à Abydos, où il fait faire des adjonctions au temple d'Osiris. Il embellit les sanctuaires de Montou de Tôd et d'Ermant et se fait édifier dans le cirque de Deir el-Bahari un complexe funéraire dans un style dérivé de ceux de l'Ancien Empire.
Dans le même temps, il renoue avec la politique extérieure de l'Ancien Empire en conduisant une expédition à l'ouest contre les Libyens Tjéméhou et Tjéhénou et, dans le Sinaï, contre les nomades Mentjiou. Il met ainsi les frontières du pays définitivement à l'abri d'un retour des Asiatiques qu'il poursuit jusque dans le Litani. Il tente de retrouver en Nubie la puissance qu'atteignait l'Égypte à la fin de la VIe dynastie, au moins pour l'exploitation des mines et l'entretien des pistes. La prise de Kourkour, en particulier, garantit les anciennes voies caravanières. Mais la Nubie reste indépendante malgré la reconquête de certaines zones comme Abou Ballas et les expéditions que conduit le chancelier Khéty, à qui il a confié l'ensemble des pays du Sud. On connaît deux de ces expéditions : la première en l'an 29 et la seconde en l'an 31, qui a mené les Égyptiens jusqu'au pays de Ouaouat. Le résultat est plutôt le contrôle que l'occupation réelle d'une partie de la Nubie, jusqu'aux environs de la Deuxième Cataracte.
Montouhotep II meurt après cinquante et un ans de règne, vers 2010, laissant à son deuxième fils Montouhotep III Séankhtaouief, « Celui qui vivifie ses Deux Terres », un pays prospère et organisé. Montouhotep III est assez âgé lorsqu'il monte sur le trône, et il ne gouverne l'Égypte que pendant douze ans. Il continue de la mettre en valeur en poursuivant le programme de construction entrepris par son père : Abydos, Elkab, Ermant, Tôd, Éléphantine et, bien sûr, Thèbes-ouest où il consacre une chapelle à Thot et se construit à proximité de Deir el-Bahari un tombeau qu'il n'aura pas le temps d'achever.
Il conforte également la position égyptienne dans le Delta oriental, prenant en cela la suite des souverains hérakléopolitains. Pour assurer la protection des frontières contre les incursions des « Asiatiques », il fait édifier des fortifications. Ce système de défense sera poursuivi tout au long du Moyen Empire, mais, pour les Égyptiens, il en reste l'initiateur avec Khéty III, comme en témoigne le culte qui leur est rendu à tous deux plus tard à Khatâna. Il renoue également avec une autre activité, dont la condition était la reprise en main préalable de la Basse-Nubie opérée par son père. Il envoie en l'an 8 une expédition de trois mille hommes conduite par Hénénou qui se rend de Coptos au Ouadi Gâsus, non sans avoir fait creuser en chemin douze puits pour assurer le ravitaillement en eau des futures expéditions entre la Vallée et la mer Rouge. L'expédition s'embarque pour le pays de Pount, d'où elle rapporte, entre autres, de la gomme arabique. À son retour, on reprend l'extraction de pierres dans le Ouadi Hammamat.
La chance a voulu que l'on découvre un témoignage particulièrement intéressant sur la fin de ce règne, en apparence si prospère : la correspondance d'un nommé Héqanakht, qui était prêtre funéraire du vizir Ipy à Thèbes. Retenu loin de son domaine, il adresse toute une série de lettres à sa famille, qui gère ses terres pendant qu'il n'est pas là. Ces documents ont été retrouvés, à Deir el-Bahari, dans la tombe d'un certain Méseh, lui-même lié à Ipy. Ils contiennent toutes sortes d'indications sur la répartition de ces propriétés, le fermage, les redevances, un inventaire des biens daté de l'an 8 de Montouhotep III, etc., — autant de sources précieuses sur l'économie et le droit de l'époque. Mais Héqanakht évoque également des troubles et un commencement de famine qui aurait frappé la Thébaïde.
À la mort de Montouhotep III, vers 1998/1997, en effet, la situation du pays est confuse. Le Canon de Turin place là « sept années vides », qui correspondent au règne de Montouhotep IV, dont le nom de couronnement Nebtaouirê, « Rê est le maître des Deux Terres », indique peut-être un infléchissement de la politique vers un retour aux valeurs de l'Ancien Empire. On sait par un graffito du Ouadi Hammamat (qui le nomme d'ailleurs simplement Nebtaoui), qu'il envoya en l'an 2 de son règne une expédition de mille hommes pour rapporter des sarcophages et rechercher de nouveaux puits dans le désert oriental, ainsi qu'un port plus favorable sur la mer Rouge : Mersa Gawasis, qui sera définitivement installé sous Amenemhat II comme point de départ des expéditions vers Pount.
Amenemhat Ier
Cette expédition est commandée par son vizir, Amenemhat. On considère généralement que celui-ci ne fait qu'un avec Amenemhat Ier qui lui succède. Une seule inscription associe sans équivoque les deux rois, de façon à laisser supposer une corégence qui est peut-être purement fictive (Murname : 1977, 227-228). De toute façon, Montouhotep IV est le dernier représentant de la famille des princes thébains, et Amenemhat Ier ouvre une nouvelle dynastie, comme le confirme le nom d'Horus qu'il choisit : ouhem-mesout, « Celui qui renouvelle les naissances », c'est-à-dire le premier d'une lignée. Malgré ce changement affirmé, il ne semble pas y avoir eu de solution de continuité dans le pouvoir. La transition se fait toutefois avec quelques heurts : il y a eu au moins deux autres prétendants au trône, un Antef et un nommé Ségerséni en Nubie, contre lequel Amenemhat a probablement eu à lutter dans les premières années de son règne. Les attaches avec la XIe dynastie ne sont malgré tout pas rompues : les fonctionnaires, comme les nouveaux souverains, continuent de s'en réclamer. Peut-être même cette succession n'avait-elle rien de choquant, dans la mesure où il n'est pas impossible que le mode successoral ait autant reposé sur le choix que sur le sang chez les princes thébains. Amenemhat confirme la nouvelle orientation idéologique prise par Montouhotep IV en adoptant comme nom de couronnement Séhétepibrê, « Celui qui apaise le cœur de Rê ». Son nom propre, Amenemhat, « Amon est en tête », annonce le programme politique qui conduira, à travers ce retour à la théologie héliopolitaine, à la forme syncrétique Amon-Rê, sur laquelle va se fonder le pouvoir des nouveaux pharaons. Lui-même n'est pas thébain, mais originaire de Haute-Egypte. Il est le fils d'un prêtre nommé Sésostris, « L'homme de la Grande Déesse », qui sera considéré à la XVIIIe dynastie comme le véritable fondateur de la XIIe dynastie, et d'une certaine Néfret, originaire d'Éléphantine.
1991-1785 XIIe DYNASTIE
1991 Amenemhat Ier
1962 Sésostris Ier
1928 Amenemhat II
1895 Sésostris II
1878 Sésostris III
1842 Amenemhat III
1797 Amenemhat IV
1790-1785 Néfrousobek
Fig. 73
Tableau chronologique de la XIIe dynastie.
Comme ses prédécesseurs de la Ve dynastie, le nouveau souverain a recours à la littérature pour faire circuler des preuves de sa légitimité. Il utilise la forme de la prophétie : un récit prémonitoire qui est placé dans la bouche d'un certain Néferti, un sage héliopolitain qui présente certaines ressemblances avec le Djédi du Papyrus Westcar. Comme lui, il est appelé à la cour par le roi Snéfrou, sous le règne duquel est censée se dérouler l'histoire. Le choix de Snéfrou ne procède pas des mêmes raisons dans les deux œuvres : au début de la XIIe dynastie, le vieux roi est devenu, comme nous l'avons vu, le modèle de la royauté débonnaire dont on peut se réclamer. Néferti dresse un tableau sombre des derniers temps de la XIe dynastie, qui, curieusement, concerne surtout le Delta oriental et dont la conclusion annonce la venue d'Amenemhat évoqué sous le surnom d'Amény :
« Héliopolis ne sera plus le berceau d'aucun dieu. Un roi viendra : il sera du Sud et s'appellera Amény. Ce sera le fils d'une femme du premier nome du Sud, un enfant de Haute-Égypte. Il recevra la couronne blanche et prendra la couronne rouge : il réunira les Deux Couronnes et apaisera les Deux Dieux avec ce qu'ils veulent. » (Néferti XIIe-XIIIe)
Ainsi se trouve légitimée la passation de pouvoir entre Héliopolis, berceau de la monarchie de l'Ancien Empire, et Thèbes. Cette volonté de se concilier le Delta oriental recouvre probablement une certaine réalité : Amenemhat Ier a construit à Bubastis — le lieu où Néferti exerçait son sacerdoce —, Khatâna et Tanis (Posener : 1969,39). Mais même si l'administration accepte le changement, le nouveau roi doit entreprendre, peu après son accession au trône, une expédition vers Éléphantine. Il place à sa tête Chnoumhotep Ier, nomarque de l'Oryx. Celui-ci remonte le Nil avec vingt navires et pousse peut-être jusqu'en Basse-Nubie où devaient se trouver des partisans de Ségerséni. Amenemhat Ier fait également une tournée d'inspection jusqu'au Ouadi Toumilât, où il fait construire des fortifications, les « Murs du Prince ». Roi bâtisseur, il fait faire à Karnak de grands travaux, dont il reste un naos en granit, qui a dû abriter une statue cultuelle, et des statues. Peut-être est-ce lui qui fonde le temple de Mout, au sud de l'enceinte d'Amon-Rê ? On suit sa trace à Coptos, dans le temple de Min qu'il décore en partie, à Abydos, où il consacre un autel en granit à Osiris, Dendara où il offre une porte, en granit aussi, à Hathor, et enfin, plus significatif encore, dans le temple de Ptah de Memphis. Il se fait ériger une pyramide à Licht, à une cinquantaine de kilomètres au sud de Memphis.
Surtout, il réorganise l'administration. En premier lieu, il transfère la capitale de Thèbes en Moyenne-Égypte en fondant une nouvelle ville à proximité de Licht qui lui servira de nécropole. Il la baptise Imenemhat-itjitaoui, «C'est Amenemhat qui a conquis les Deux Terres » —, nom que les Égyptiens raccourciront en Itjitaoui. Comme jadis Montouhotep II, il récompense les nomarques qui ont favorisé son ascension en les confirmant dans leurs charges, comme ceux de l'Oryx. D'un côté il renforce leur pouvoir en remettant en vigueur d'anciens titres, et d'un autre il le limite, soit en remplaçant carrément des gouverneurs en place — à Éléphantine, Assiout, Cusae —, soit par de nouvelles mesures cadastrales. Chnoumhotep II de Béni Hassan nous apprend en effet qu'il fixe un nouveau découpage par villes à l'intérieur des nomes (Urk. VII 27,13). Il répartit également les territoires en fonction de la crue et rétablit la conscription militaire.
L'an 20 de son règne constitue un tournant important : il associe au trône son fils aîné, Sésostris, inaugurant ainsi une pratique qui sera systématique pendant toute la XIIe dynastie. Cette association coïncide avec un renouveau de la politique extérieure: le dauphin joue le rôle du bras de son père, qui lui délègue le soin de l'armée, probablement dans l'intention de faire connaître son futur successeur aux nations étrangères auxquelles celui-ci devra s'imposer. Le procédé aura une grande importance à l'époque ramesside, lorsque l'Égypte luttera pour la suprématie sur le Proche-Orient. Pour l'heure, les efforts du roi se portent sur la Nubie. Une première campagne mène en l'an 23 les Égyptiens à Gerf Hussein et aux anciennes carrières de diorite de Toshka. Une seconde, en l'an 29, permet une pénétration encore plus profonde: jusqu'à Korosko, et même au-delà, avec la fondation du fort-frontière de Semna sur la Deuxième Cataracte. Les Égyptiens sont aussi présents à Kerma, où l'on a trouvé une statue du nomarque d'Assiout, Hâpydjéfa — même si cette découverte ne prouve pas qu'Hâpydjéfa ait été le gouverneur de Kerma (Vercoutter: 1987, 158); bien au contraire: on peut supposer qu'elle y a été apportée plus tard, vraisemblablement sous le règne de Sésostris Ier. Du côté du Proche-Orient, le général Nysoumontou remporte en l'an 24 une victoire sur les Bédouins, qui assure la sécurité de l'exploitation des mines de turquoise de Sérabit el-Khadim dans le Sinaï, tandis que les relations diplomatiques reprennent avec Byblos et le monde égéen.
Littérature et politique
C'est au retour de Sésostris d'une campagne menée au-delà du Ouadi Natroun contre des opposants réfugiés chez les Libyens qu'éclate une crise: Amenemhat Ier est assassiné vers la mi-février 1962 à la suite d'une conspiration ourdie dans le harem. Sans doute la succession n'était-elle pas aussi assurée que le laissent croire des documents datés simultanément des deux souverains (Murname : 1977,2 sq.). Sésostris Ier monte certes sur le trône, mais l'affaire est suffisamment trouble pour que la littérature officielle s'en empare à travers rien moins que deux œuvres qui, comme la Prophétie de Néferti deviendront au Nouvel Empire les classiques scolaires les plus répandus de l'idéologie royale.
Le premier texte est un roman qui raconte les tribulations d'un fonctionnaire du harem nommé Sinouhé. Il faisait partie de la suite de Sésostris lorsque, au retour de la campagne de Libye, il entend par hasard l'annonce que l'on fait au jeune prince de l'assassinat de son père. Il prend peur. Est-ce d'avoir entendu ce qu'il n'aurait pas dû? Est-ce pour une raison plus obscure? Il traverse le Delta vers l'est, franchit l'isthme de Suez et finit par arriver en Syrie. Là, un de ces Bédouins récemment soumis à l'Égypte l'accueille et l'adopte. Les années passent et, après de nombreuses péripéties, Sinouhé se retrouve chef de tribu, respecté et puissant. Mais la nostalgie le mine, et il demande sa grâce, que Sésostris lui accorde. Il revient au pays, retrouve les enfants royaux et mourra parmi les siens. Ces aventures picaresques servent de toile de fond à l'expression du loyalisme d'un serviteur égaré qui rentre dans le droit chemin. Les deux temps forts du Conte de Sinouhé sont l'éloge qu'il fait auprès du prince syrien du nouveau roi et la réponse qu'il envoie au pharaon, après avoir reçu la permission de rentrer:
« Le serviteur du palais, Sinouhé, dit: " En paix donc! Il est excellent que cette fuite, qu'a faite dans son inconscience cet humble serviteur, soit bien comprise par ton ka, ô dieu parfait, maître du Double Pays, l'aimé de Rê, le favori de Montou, seigneur de Thèbes. Amon, seigneur des trônes du Double Pays, Sobek, Rê, Horus, Hathor, Atoum et son Ennéade, Soped, Néferbaou, Semsérou, l'Horus de l'Est, la Dame de Bouto — qu'elle enserre ta tête! —, le Conseil qui est sur les eaux, Min-Horus qui habite dans les déserts, Ouréret, dame de Pount, Nout, Haroëris, et les autres dieux, seigneurs de l'Égypte et des îles de la Très Verte, puissent-ils donner la vie et la force à ta narine, puissent-ils te fournir de leurs largesses, puissent-ils te donner l'éternité sans fin et la durée sans limite! Puisse la crainte que tu inspires se répercuter par les plaines et les monts, tandis que tu auras subjugué tout ce que le disque du soleil entoure dans sa course! C'est la prière de cet humble serviteur pour son maître, maintenant qu'il est sauvé de l'Amenti.
« Le maître de la connaissance, qui connaît ses sujets, il se rendait compte, dans le secret du palais, que cet humble serviteur avait peur de dire ces choses, et c'est en effet une grave affaire que d'en parler. Le grand dieu, image de Rê, rend prudent celui qui travaille pour lui-même. Cet humble serviteur est dans la main de quelqu'un qui prend soin de lui: oui, je suis placé sous ta direction. Ta Majesté est l'Horus qui conquiert, tes bras sont plus puissants que ceux de tous les autres pays (...).
« Pour ce qui est de cette fuite qu'a fait cet humble serviteur, elle n'était pas préméditée, elle n'était pas dans mon cœur, je ne l'avais pas préparée. Je ne sais pas ce qui m'a éloigné de la place où j'étais. Ce fut comme une manière de rêve, comme quand un homme du Delta se voit à Éléphantine ou un homme des marais en Nubie. Je n'avais pas éprouvé de crainte, on ne m'avait pas persécuté, je n'avais pas ouï de parole injurieuse, mon nom n'avait pas été entendu dans la bouche du héraut. Malgré cela mes membres frémirent, mes jambes se mirent à fuir et mon cœur à me guider: le dieu qui avait ordonné cette fuite m'entraîna. Je ne suis pas non plus raide d'échine: il est modeste l'homme qui connaît son pays; car Rê a fait que ta crainte règne en Égypte et ta terreur en toute contrée étrangère. Que je sois donc à la cour ou que je sois en ce lieu, c'est toujours toi qui peux cacher cet horizon, car le soleil se lève à ton gré, l'eau dans les rivières, on la boit quand tu veux; l'air dans le ciel, on le respire quand tu le dis. (...) Que Ta Majesté agisse comme il lui plaira: on vit de l'air que tu donnes. Puissent Rê, Horus, Hathor aimer ta narine auguste dont Montou, seigneur de Thèbes, désire qu'elle vive éternellement ! " » (Lefebvre: 1976, 18-20.)
Histoire morale d'un fonctionnaire repenti et pardonné parce qu'il a su rester loyal, le Conte de Sinouhé est l'une des œuvres les plus populaires de la littérature égyptienne. Plusieurs centaines de copies nous en sont parvenues, à peu près autant que de l'Enseignement d'Amenemhat Ier, un texte sur le modèle de l'Enseignement pour Mérikarê, et dont le but est moins d'expliquer l'assassinat d'Amenemhat Ier que d'affirmer la légitimité de son successeur.
Contrairement au Conte de Sinouhé, l'Enseignement n'est connu que par des versions dont la plus ancienne ne remonte pas plus haut que la première moitié de la XVIIIe dynastie: Senmout, l'homme de confiance de la reine Hatchepsout, en était, entre autres, un grand lecteur. Cela n'exclut pas, bien entendu, la possibilité que cette œuvre ait été composée au cours du règne de Sésostris Ier à des fins de justification. Mais la façon dont les faits sont relatés, l'insistance sur la corégence et les principes de gouvernement donnent une valeur d'archétype à ce texte, qui expliquerait que sa diffusion soit surtout attestée à partir de Thoutmosis III. Avant de raconter sa propre mort, le roi donne, comme jadis Khéty III, de sages conseils à son successeur:
« Garde tes distances envers les subordonnés, qui ne sont rien et aux intentions desquels on ne prête pas attention! Ne te mêle pas à eux quand tu es seul, ne fais confiance à aucun frère, ne connais aucun ami. Ne te fais pas de client: cela ne sert à rien. Lorsque tu te reposes, garde-toi toi-même, car l'on n'a pas d'ami le jour du malheur! J'ai donné au pauvre et élevé l'orphelin, j'ai fait parvenir celui qui n'avait rien comme celui qui avait du bien, et celui qui mangeait ma nourriture, voilà qu'il complote! Celui à qui j'ai tendu la main, voilà qu'il en profite pour fomenter des troubles! Ceux que vêt mon lin fin, voilà qu'ils me regardent comme un paillasson! Ceux que oint ma myrrhe, voilà qu'ils me crachent dessus! Les images vivantes qui m'ont été attribuées — les hommes — ils ont ourdi contre moi un complot inouï et un grand combat, comme on n'en a jamais vu! » (Enseignement d'Amenemhat Ier IIa-Vc.)
Le thème de l'ingratitude humaine n'est pas ici un souvenir de la Première Période Intermédiaire, mais plutôt un rappel de la révolte des hommes (« les images vivantes qui m'ont été attribuées ») contre leur Créateur. Le roi, ainsi assimilé à Rê, transmet son pouvoir à son successeur, comme le démiurge le fit jadis lorsqu'il se retira dans le ciel, dégoûté à jamais de ses créatures.
« Tu vois, l'assassinat a été perpétré alors que j'étais sans toi, avant que la cour ait appris ton investiture, avant que nous ayons siégé ensemble sur le trône. Ah! Si je pouvais encore arranger tes affaires! Mais je n'avais rien préparé: je ne m'attendais pas à cela. Je ne pouvais pas supposer un tel manquement de mes serviteurs. Est-ce aux femmes de mener des combats? Doit-on introduire la révolte au Palais? » (Enseignement d'Amenemhat Ier VIIIa-IXb.)
Le texte est on ne peut plus clair et amène à douter d'une corégence éventuelle des deux rois (Helck, GM 67 (1983), 43-46). La prise de pouvoir de Sésostris Ier n'entraîna cependant aucun trouble et son long règne de quarante-cinq ans fut pacifique; cela ne permet pas pour autant de prétendre que c'était lui le bénéficiaire du complot... Comme Amenemhat Ier, il bâtit beaucoup: dans trente-cinq sites, sans compter sa pyramide, construite à Licht, au sud de celle de son père. Parmi ceux-ci, on retiendra le Fayoum, auquel il est le premier à s'intéresser. Lui qui se réclame de la tradition héliopolitaine en adoptant comme nom de couronnement Néferkarê reconstruit en l'an 3 de son règne le temple de Rê-Atoum d'Héliopolis. Il y met en place en l'an 30, à l'occasion de sa première fête jubilaire, un couple d'obélisques en avant du pylône. Son activité s'est étendue aussi au temple d'Amon-Rê de Karnak: de 1927 à 1937, H. Chevrier a pu reconstituer, à partir de blocs réemployés par Amenhotep III dans le IIIe pylône, un kiosque de fête-sed aujourd'hui exposé dans le musée de plein air du temple.
Le monde extérieur
À l'extérieur, Sésostris Ier poursuit l'action commencée pendant les dix dernières années de règne de son père. Il achève la conquête de la Basse-Nubie en l'an 18 et installe une garnison à Bouhen, sur la Deuxième Cataracte. Il contrôle le pays de Kouch, de la Deuxième à la Troisième Cataracte, ainsi que l'île de Saï, et entretient des relations commerciales avec Kerma. Le point le plus extrême où l'on ait retrouvé son nom est l'île d'Argo, au nord de Dongola. Dans le désert oriental, l'exploitation des mines d'or situées à l'est de Coptos se poursuit, ainsi que l'extraction de pierres dans le Ouadi Hammamat: il en aurait tiré des blocs pour soixante sphinx et cent cinquante statues, chiffres qui correspondent bien à son activité de bâtisseur. Il exploite également les carrière d'Hatnoub, au moins à deux reprises, en l'an 23 et en l'an 31. À l'ouest, il s'assure le contrôle des oasis du désert de Libye, en particulier de la liaison entre Abydos et Kharga. Il maintient les frontières orientales du pays de façon à protéger le travail dans les mines de Sérabit el-Khadim dans le Sinaï. Les relations commerciales avec la Syro-Palestine conduisent les Égyptiens jusqu'en Ougarit.
Cette politique extérieure porte ses fruits sous le règne d'Amenemhat II qui succède à son père après une courte association au trône de deux ans. Il règne pendant presque trente ans. En Nubie, la conquête est provisoirement terminée. Amenemhat II avait participé en tant que prince héritier à une expédition pacifique conduite par Amény, le nomarque de l'Oryx. La paix continue sous son règne, comme elle continuera sous celui de Sésostris II. Il fait exploiter les mines d'or et de turquoise par des princes locaux sous contrôle égyptien, et le seul fait militaire que l'on puisse relever est l'inspection de la forteresse de Ouaouat par l'un de ses officiers. Il organise également à la fin de son règne une expédition vers Pount.
C'est surtout au Proche-Orient que l'Égypte commence à jouer un grand rôle. On en a retrouvé en 1936 la trace dans le dépôt de fondation du temple de Montou à Tôd : quatre coffres contenant un « tribut » syrien de vaisselle d'argent, dont un élément au moins est de type égéen, et des amulettes de lapis-lazuli. venant de Mésopotamie. Même si ce que les Égyptiens appelaient « tribut » n'était, le plus souvent, que le fruit d'un échange commercial, ce dépôt de fondation témoigne de l'importance des relations extérieures sous le règne d'Amenemhat II. La présence égyptienne est attestée à Ras-Shamra par une statuette d'une fille d'Amenemhat II, à Mishrifé et à Megiddo, où l'on a découvert quatre statues du nomarque memphite Djéhoutyhotep. On a même trace d'un culte de Snéfrou à la XIIe dynastie dans la région d'Ankara. C'est sous Sésostris II que Chnoumhotep, le nomarque de l'Oryx, reçoit les « Hyksôs » Abisha et sa tribu qu'il a fait représenter sur les murs de sa tombe de Béni Hassan. Ce fait est important, car il montre que les relations ne sont pas à sens unique : l'Égypte s'ouvre aux influences orientales, qui commencent à être sensibles dans la civilisation et l'art. On a retrouvé, par exemple, de la céramique minoenne à Illahoun et dans une tombe d'Abydos, tout comme il existait alors en Crète des objets égyptiens. Toute une main-d'œuvre afflue également en Égypte, important de nouvelles techniques et ouvrant la voie à une lente infiltration qui aboutira à la mainmise « asiatique » sur le pays le moment venu. En attendant, l'Égypte donne le ton à Byblos, dont les chefs autochtones prennent d'eux-mêmes des titres égyptiens, utilisent les hiéroglyphes et des objets manufacturés sur les bords du Nil.
L'apogée du Moyen Empire
Après une corégence de presque cinq ans, Sésostris II succède à son père, pour une quinzaine d'années. Son règne est éclipsé par celui de son successeur Sésostris III, le principal prototype du légendaire Sésostris. C'est pourtant Sésostris II qui entreprend une œuvre dont son petit-fils Amenemhat III tirera les bénéfices: l'aménagement du
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Fig. 74
Plan de la ville de Kahoun.
Fayoum, qui n'était sous l'Ancien Empire qu'une zone marécageuse qui servait de lieu de pêche et de chasse, avec pour centre Crocodilopolis. Cette grande oasis, située à environ 80 kilomètres au sud-ouest de Memphis, avait de quoi offrir de nouvelles terres. Sésostris II entreprit de canaliser le Bahr Youssouf qui se déversait dans le futur lac Qaroun en construisant une digue à Illahoun et en lui adjoignant un système de drainage et de canaux. Le projet ne sera achevé que sous Amenemhat III, mais ces grands travaux ont provoqué un nouveau déplacement de la nécropole royale qui, après être remontée à Dahchour avec Amenemhat II, s'installe à Illahoun. À l'est de son complexe funéraire, le roi a créé un lotissement destiné à accueillir les ouvriers engagés dans ces grands travaux.
Le site de Kahoun est la première ville artificielle que l'on ait découverte en Égypte, l'autre exemple le mieux conservé étant le village d'artisans de Deir el-Médineh, qui, lui, date pour l'essentiel de l'époque ramesside. Pendant longtemps, ce fut même le premier exemple connu d'urbanisme. Depuis, les fouilles d'Amarna, puis de l'oasis de Balat et d'Éléphantine ont apporté un jour nouveau sur les constructions civiles.
Les principales caractéristiques, que l'on retrouve à Amarna et Deir el-Médineh, sont l'isolement et la fermeture de cette ville d'environ 350 sur 400 m. Elle est entourée d'une enceinte de briques crues percée de deux portes, une par quartier. Le quartier occidental devait être le plus aisé: les maisons y sont plus spacieuses et mieux aménagées. À l'est, au contraire, on compte plus de deux cents habitations, qui ne dépassent jamais trois pièces.
La ville n'a pas livré que son plan: on a retrouvé des lots de papyri dans les maisons et aussi dans le temple d'Anubis, qui était situé au sud. Les textes qu'ils contiennent sont très divers et témoignent d'une réelle activité artistique, économique et administrative. Ce sont des œuvres littéraires: des hymnes royaux, l'Histoire de Hay, des épisodes du Conte d'Horus et Seth, un traité de gynécologie et un traité vétérinaire, un fragment d'un ouvrage mathématique, des documents juridiques, pièces comptables et archives de temples qui couvrent toute la XIIe dynastie. Il ne faut pas en déduire pour autant que Kahoun servit de capitale à Sésostris II : Deir el-Médineh a fourni un matériel littéraire bien plus considérable sans avoir jamais joué de rôle politique.
Lorsque Sésostris III monte sur le trône, il doit affronter un problème auquel son arrière-grand-père Sésostris Ier avait déjà donné un commencement de solution en divisant la charge de vizir: celui des féodalités locales qui détenaient un pouvoir parfois peu éloigné de celui du roi, comme le montrent le luxe des tombes de Béni Hassan ou l'activité à Hatnoub de la famille des Djéhoutyhotep. Il choisit de mettre radicalement fin au pouvoir de ceux qui redevenaient peu à peu des dynastes locaux en se fondant sur une tradition familiale parfois plus ancienne que celle dont se réclamait le roi. Il supprime purement et simplement la charge de nomarque, à une seule exception près: Ouahka II d'Antaeopolis, qui restera en place jusque sous Amenemhat III. La nouvelle organisation place le pays sous l'autorité directe du vizir en trois ministères (ouâret) : un pour le Nord, un autre pour le Sud, et le troisième pour la « Tête du Sud », c'est-à-dire Éléphantine et la Basse-Nubie. Chaque ministère est dirigé par un fonctionnaire aidé d'un assistant et d'un conseil (djadjat). Celui-ci transmet les ordres à des officiers qui, à leur tour, les font exécuter par des scribes. Les conséquences de cette réforme sont doubles: la perte d'influence de la noblesse et, par contrecoup, l'ascension de la classe moyenne que l'on suit à travers la prolifération des ex-votos qu'elle consacre à Osiris à Abydos. Le roi lui-même développe sa province d'origine en entreprenant la construction d'un temple de Montou à Médamoud.
Le provincialisme amorcé à la Première Période Intermédiaire atteint son sommet au Moyen Empire, et l'on peut suivre à travers les nécropoles des capitales de nomes l'histoire du pays. À Assiout, par exemple, nous avons déjà rencontré Téfibi lors des campagnes qui opposèrent Hérakléopolitains et Thébains, son fils, mis en place par Mérikarê, puis le nomarque Khéty Ier. Il faut ajouter à cette liste deux personnages importants du Moyen Empire: Mésehti, à cheval sur la XIe et la XIIe dynastie, dont les cercueils portent une des versions les plus importantes des Textes des Sarcophages, et Hâpydjéfa, le contemporain de Sésostris Ier dont nous avons déjà suivi la trace jusqu'à Kerma. Il a reconstruit le 13e nome, ruiné par la guerre contre Thèbes, et laissé dix contrats funéraires qui sont une source très précieuse pour l'étude du droit.
La nécropole d'Assouan, déjà florissante à la VIe dynastie, est encore brillante sous Amenemhat Ier avec Sarenpout Ier et sous Amenemhat II avec Sarenpout II. Il faudrait encore mentionner Gebelein, El-Bercheh, avec le tombeau de Djéhoutyhotep, qui vécut jusque sous Sésostris III, Qau el-Kébir, surtout Béni Hassan, dont la grande époque se situe sous la XIIe dynastie avec la lignée des Chnoumhotep, et Meïr, la nécropole de Cusae, dont le dernier nomarque connu est Khâkhéperrêséneb, contemporain de Sésostris II.
La longue paix des deux règnes précédents en Nubie avait encouragé les tribus soudanaises à s'infiltrer au nord de la Troisième Cataracte. Là encore, Sésostris III prend des mesures énergiques. Il commence par faire agrandir le canal que Mérenrê avait fait creuser à la VIe dynastie à proximité de Chellal pour faciliter le passage des navires dans les rapides d'Assouan. Puis, il l'utilise en l'an 8 de son règne, à l'occasion d'une première expédition contre Kouch. Il y en aura encore une deuxième, en l'an 10, et une troisième, en l'an 16. En l'an 19, les Égyptiens remontent en bateau jusqu'à la Deuxième Cataracte. Les campagnes de l'an 8 et de l'an 16 permirent de fixer à Semna la limite méridionale de leur autorité. Elle est renforcée par une chaîne de huit forts de brique crue entre Semna et Bouhen, dont Sésostris III construit ou reconstruit, les Égyptiens ne faisant pas de différence dans les inscriptions commémoratives entre les deux, Semna-ouest et est (Koumna), ainsi qu'Ouronarti, qui sont les meilleurs exemples d'architecture militaire qui nous soient parvenus.
On ne connaît qu'une seule campagne de Sésostris III en Syro-Palestine, contre les Mentjiou: elle conduisit les Égyptiens à affronter les populations de Sichem et du Litani. On arrive toutefois à se faire une certaine idée au moins des adversaires extérieurs de l'Égypte grâce à plusieurs lots de textes d'exécration, trouvés en Nubie et dans la Vallée. Ce sont des figurines d'envoûtement ou, plus simplement, des tessons de poterie, sur lesquels étaient inscrits le nom des ennemis que l'on voulait conjurer. Ces envoûtements étaient pratiqués de façon institutionnelle, lors d'une fondation: les supports, après avoir subi un rite manuel destiné à les briser, étaient enfouis, de façon à être prisonniers de la construction qui les étouffait physiquement — comme le roi écrase les Neuf Arcs figurant les nations voisines de l'Egypte sous ses pieds quand il est assis sur son trône —, ou cloués à l'extérieur de la zone que protège l'envoûtement. Ces listes sont précieuses, mais leur rôle en fait des témoignages historiques peu fiables: il est plus utile au ritualiste de mêler les adversaires du moment à d'anciennes listes périmées depuis longtemps afin d'assurer la plus grande universalité possible à la conjuration que d'en dresser un état parfaitement à jour. Cela dit, ces listes confirment les sources plus directes, et l'on y voit figurer, pour la Nubie, les Kouchites, les Medjaou, les habitants de Ouaouat, les Nehesyou ou les Iountyou. Pour la Palestine, les renseignements sont plus vagues, malgré une grande abondance de noms, parmi lesquels on retiendra Byblos, Jérusalem, Sichem et Askalon.
La politique extérieure de Sésostris III suffit à assurer l'autorité de l'Égypte autant en Nubie, où Amenemhat III consolide la frontière à Semna, qu'au Proche-Orient: Amenemhat III, comme son successeur, sont honorés et respectés de Kerma à Byblos, et sous son règne l'Égypte accueille une nombreuse main-d'œuvre orientale de paysans, de soldats, d'artisans, attirés autant par son rayonnement que par les emplois que crée la mise en valeur du pays. Pendant quarante-cinq ans, en effet, Amenemhat III mène l'Égypte au sommet de la prospérité. La paix règne à l'intérieur comme à l'extérieur; la mise en valeur du Fayoum va de pair avec le développement de l'irrigation et une intense activité dans les mines et les carrières. Dans le Sinaï, l'exploitation des mines de turquoise et de cuivre connaît une intensité jamais atteinte. De l'an 9 à l'an 45, on ne compte pas moins de 49 inscriptions à Sérabit el-Khadim et 10 dans le Ouadi Maghara et le Ouadi Nash. Les camps saisonniers des mineurs sont plus ou moins transformés en installations permanentes, avec maisons, fortifications, puits ou citernes et nécropoles. Le temple d'Hathor de Sérabit el-Khadim est agrandi et les lieux défendus contre les attaques des Bédouins. Ces constructions seront poursuivies par Amenemhat IV. Les expéditions aux carrières sont également nombreuses: à Toura, dans le Ouadi Hammamat, à Assouan et à proximité de Toshka.
Cette activité économique se traduit par de nombreuses constructions qui font du règne d'Amenemhat III un des sommets de l'absolutisme d'État. Outre l'achèvement de Semna et la construction du temple de Kouban en Nubie, il se consacre au Fayoum, auquel son nom restera attaché encore à l'époque gréco-romaine: il y sera en effet adoré sous le nom de Lamarès. On a retrouvé à Biahmou deux colosses de granit reposant sur une base de calcaire le représentant assis. Il embellit le temple de Sobek à Kiman Farès, construit une chapelle de Rénénoutet, la déesse des moissons, à Medinet Madi. Surtout, il se fait élever deux pyramides: l'une à Dahchour, l'autre à Hawara. À proximité de cette dernière se trouvent les vestiges de ce qui fut son temple funéraire et que Strabon a décrit comme un labyrinthe.
Le Fayoum reste la préoccupation première d'Amenemhat IV qui succède à son père vers 1798, après une courte corégence. C'est peut-être lui qui fait achever le temple de Qasr es-Sagha, à huit kilomètres au nord du lac Qaroun. Il termine la construction du temple de Medinet Madi commencée par Amenemhat III. Ce sanctuaire, consacré à « la vivante Rénénoutet de Dja », la future Thermouthis, et Sobek de Chédit, comportait alors une petite salle hypostyle servant de pronaos et s'ouvrant sur trois chapelles associant les deux divinités à Amenemhat III et IV. Il sera agrandi et redécoré encore beaucoup plus tard: jusque sous le règne d'Hadrien.
La fin de la dynastie
Amenemhat IV règne un peu moins de dix ans et, à sa mort, la situation du pays tend à nouveau à se dégrader — un peu d'ailleurs pour certaines des raisons qui ont causé la fin de l'Ancien Empire. Sésostris III et Amenemhat III ont régné chacun environ un demi-siècle, ce qui n'a pas manqué de provoquer des difficultés successorales. Est-ce la raison pour laquelle le pouvoir échoit, comme à la fin de la VIe dynastie, à une reine, Néfrousobek, « La beauté de Sobek », qui est, pour la première fois dans l'histoire égyptienne, désignée dans sa titulature comme une femme-pharaon? Ce serait une sœur (et épouse?) d'Amenemhat IV. On lui attribue la pyramide nord de Masghouna, au sud de Dahchour, celle du sud appartenant probablement à Amenemhat IV. Si cette attribution est correcte, Néfrousobek n'a pas utilisé sa pyramide, ce qui confirme que le court règne de trois ans que lui accordent les listes royales s'est peut-être terminé de façon brutale. Mais rien ne permet de l'affirmer: la XIIIe dynastie, avec laquelle on fait commencer la « Deuxième Période Intermédiaire », paraît être une suite légitime — par le sang ou le mariage — de la XIIe, au moins pour ce qui est de son premier roi, Sékhemrê-Khoutaoui. Et d'ailleurs rien ne vient donner l'impression d'une coupure brutale comme celle qui a marqué la fin de l'Ancien Empire: jusqu'à ce que les Hyksôs se rendent maîtres de l'Égypte, c'est-à-dire pendant presque un siècle et demi, le pays ne s'effondre nullement, ni à l'intérieur ni à l'extérieur. On a plutôt l'impression que c'est seulement le pouvoir central qui est en crise, dans une civilisation dont le classicisme reste constant.
Le classicisme
Nous avons évoqué plus haut quelques œuvres littéraires. Le Moyen Empire au sens large, de la Première Période Intermédiaire à la XIIIe dynastie, est l'époque où la langue et la littérature atteignent leur forme la plus parfaite. Tous les genres, si tant est que l'on puisse employer cette catégorie, sont représentés. Nous avons déjà rencontré les écrits didactiques avec l'Enseignement: Maximes de Ptahhotep, Instructions pour Kagemni, Maximes de Djedefhor, Admonitions, Instructions pour Mérikarê — autant de compositions, pour la majeure partie très vraisemblablement apocryphes, qui sont en réalité des œuvres politiques. Dans la même veine, c'est au Moyen Empire que l'on compose l'un des Enseignements les plus répandus: la Kemit, c'est-à-dire la « somme » achevée d'un enseignement dont la perfection reflète celle de l'Égypte (Kemet, « la (terre) noire »), elle-même image parfaite de l'univers. Un autre grand texte, connu sous le nom de Satire des Métiers par plus de cent manuscrits, a été composé au début de la XIIe dynastie par le scribe Khéty, fils de Douaouf. Dans le genre politique, nous avons rencontré l'Enseignement d'Amenemhat Ier et la Prophétie de Néferti. On peut y ajouter l'Enseignement loyaliste, les Instructions d'un homme à son Fils ou les Instructions au vizir qui apparaissent sous Amenemhat III.
C'est aussi la grande époque du roman: les contes du Paysan ou de Sinouhé, qui rejoint le fonds loyaliste du Papyrus Westcar et dont les plus anciens manuscrits datent d'Amenemhat III, le Conte du Naufragé, qui n'est connu, lui, que par un seul manuscrit et semble né des relations avec le pays de Pount, dont nous avons vu toute l'importance qu'elles prennent dès la XIe dynastie.
Mi-roman exotique, mi-récit mythologique, ce conte est la relation que fait un compagnon de voyage à un fonctionnaire qui a échoué dans sa mission d'un naufrage survenu peut-être en mer Rouge. Le naufragé s'est retrouvé dans une île merveilleuse appartenant à un serpent. On apprend que ce serpent, doué de pouvoirs surnaturels, était le seul rescapé d'une catastrophe céleste, peut-être la chute d'un météore? Détenteur des produits précieux du pays de Pount, il prédit au malheureux Égyptien son sauvetage et le couvre de présents... L'extraordinaire richesse thématique de ce texte, assez court au demeurant, lui a valu d'être une des oeuvres les plus commentées et traduites de la littérature égyptienne.
Les grands récits mythologiques, souvent proches du roman par leur aspect picaresque, datent aussi de cette époque, même s'ils ne sont généralement connus que par des versions plus tardives: la légende de la Destruction de l'Humanité, qui présente, elle aussi, des résonances politiques, le Conte d'Isis et de Rê, celui d'Horus et Seth, que nous avons tous trois déjà évoqués. Il en va de même des grands
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Fig. 75
Deir el-Bahari : les complexes funéraires de Montouhotep II et d'Hatchepsout.
drames sacrés, comme le Drame du couronnement ou le Drame memphite, connu, lui, par une version datant de Chabaka.
Au courant pessimiste représenté par le Dialogue du Désespéré avec son Ba, on peut ajouter un autre ensemble: les Collections de paroles de Khâkhéperrêséneb. Dans un genre différent, on peut évoquer l'hymnologie royale, avec les textes d'Illahoun. La diplomatique, les récits autobiographiques et historiques, la correspondance, les textes administratifs sont abondamment représentés, ainsi que la littérature spécialisée: traités de médecine, de mathématiques (connus eux aussi par des copies plus tardives), le fragment gynécologique et vétérinaire d'Illahoun, des fragments médico-magiques thébains, et surtout le premier représentant des onomastica, découvert au Ramesseum : ces listes de mots qui passent en revue les catégories de la société ou de l'univers (noms de métiers, oiseaux, animaux, plantes, listes géographiques, etc.) étaient destinées à la formation des élèves des écoles.
Les œuvres littéraires de l'époque témoignent d'un raffinement qui allie la tradition de l'Ancien Empire à une sobriété plus proche de l'humain. Il est également sensible dans la production artistique,
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Fig. 76
Reconstitution du temple funéraire de Montouhotep II à Deir el-Bahari.
quelle qu'elle soit, de l'architecture aux arts mineurs. La « chapelle blanche » que Sésostris Ier construisit à Karnak offre une pureté de formes remarquable que l'on retrouve autant dans l'austérité du temple de Qasr es-Sagha qu'à travers l'ordonnance simple de celui de Medinet Madi. Malheureusement, les constructions religieuses des rois du Moyen Empire sont moins connues que celles de leurs successeurs. On peut toutefois juger de leur qualité à partir des édifices funéraires, et tout particulièrement de celui que Montouhotep II fit édifier à Deir el-Bahari.
Dans ce cirque situé sur la rive occidentale de Thèbes et dominé par la cime qui protège encore aujourd'hui les tombes des rois et des nobles, Montouhotep II fait édifier un complexe funéraire qui reprend la structure de ceux de l'Ancien Empire: un temple d'accueil, une chaussée montante et un temple funéraire. La seule différence vient de ce que la sépulture n'est plus constituée par une pyramide, mais incluse dans l'ensemble. Les restes de la construction ne permettent pas d'être affirmatif, mais on peut supposer avec quelque raison que l'idée de représenter le tertre primordial par une forme pyramidale a été maintenue, de façon à présenter l'aspect suivant.
Sous cette terrasse, couronnée d'une pyramide ou d'une simple élévation (Arnold: 1974a), des dépôts de fondation font référence à Montou-Rê: il s'agit donc bien d'une contrepartie thébaine des installations héliopolitaines consacrées à Rê-Horakhty. La partie au contact de la falaise, elle, comprend la tombe et les installations cultuelles royales qui associent Montouhotep et Amon-Rê, préfigurant ainsi les « Demeures des Millions d'Années », c'est-à-dire les temples funéraires du Nouvel Empire.
Le sanctuaire et la tombe de Tem, l'épouse du roi, ont été découverts au milieu du XIXe siècle par Lord Dufferin, mais les fouilles proprement dites n'ont été entreprises, après la découverte en 1900-1901 du cénotaphe de Bab el-Hosan par H. Carter, que de 1903 à 1907 par E. Naville et E. Hall pour le compte de l'Egypt Exploration Society. Elles ont ensuite été reprises par H. E. Winlock pour le Metropolitan Museum of Art de 1921 à 1924, et, depuis 1967 par D. Arnold pour l'Institut Allemand. Elles ont permis de reconstituer quatre étapes dans la construction: tout d'abord, une enceinte oblique en pierre de taille courant à l'extérieur du mur oriental de la cour, sur le rôle de laquelle on ne peut se prononcer. La deuxième étape a été la construction, vers les années 20-30 de Montouhotep puisqu'il est daté de l'Horus Netjérihedjet, d'un mur d'enceinte épousant la forme du cirque de façon à enfermer la tombe de Bab el-Hosan et les sépultures de reines mortes avant le roi. Puis vient la phase principale, datée, elle, de l'Horus Sémataoui — des années 30-39 donc: la terrasse, comprenant un noyau central et un déambulatoire donnant sur la partie arrière composée d'une cour à péristyle, d'une salle hypostyle, de la chapelle et de la tombe royale. La quatrième étape a commencé avant la fin de la troisième: achèvement de la chaussée montante, constitution et alignement du mur intérieur de la cour, construction des portiques de la cour, des cours entourant le déambulatoire, du sanctuaire d'Amon-Rê.
Le temple d'accueil, enfoui sous les terres cultivables du Kôm el-Fessad, n'a pas été dégagé. La chaussée qui en partait était découverte, pavée de briques et limitée par des murs en calcaire. Elle montait sur plus de 950 m, et était bordée, à peu près tous les 9 m, par des statues du roi représenté en Osiris, dont H. E. Winlock a retrouvé de nombreux fragments. Elle donne accès à la première cour, déjà modifiée par Montouhotep lui-même, puis par Thoutmosis III qui en écrase une partie pour faire passer la chaussée donnant accès à la chapelle d'Hathor qu'il plaque au nord du temple de Montouhotep II. Le fond de la cour est délimité par un double portique, au centre duquel une rampe bordée de 55 tamaris et de deux rangées de quatre sycomores abritant chacun une statue assise du roi en costume de fête-sed, donne accès à la terrasse. Chaque portique, dont le plafond est soutenu par 24 piliers carrés, abrite un mur revêtu de calcaire, dont les reliefs représentent une campagne asiatique et des scènes de navigation cultuelle. La reine Hatchepsout reprendra dans les moindres détails ce modèle pour le temple qu'elle fera édifier à côté.
C'est dans cette cour qu'H. Carter trouva par hasard l'entrée du cénotaphe de Montouhotep II : son cheval fit un faux pas dans la dépression qui en marquait l'emplacement — ce qui valut à la tombe le nom de Bab el-Hosan, « la porte du cheval ». La porte était encore
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Fig. 77
Deir El-Bahari: Temple de Mentouhotep Nebhepetrê Chapelles et tombes des reines.
scellée; elle conduisait par un long couloir de 150 m creusé dans le roc vers l'ouest, à une chambre voûtée située sous la pyramide. Dans cette chambre, une statue royale anonyme en grès peint, représentant le souverain en costume de fête-sed et un sarcophage, anonyme aussi, accompagné de quelques offrandes. Du caveau, un puits vertical conduit à une autre chambre, trente mètres plus bas. Dans cette seconde pièce, des vases et trois modèles de bateaux. Le nom de Montouhotep n'apparaît que sur un coffre en bois trouvé dans un autre puits, situé au milieu du premier couloir.
La terrasse recouvre un premier état en incluant les six chapelles et tombes des reines-prêtresses d'Hathor, Dame du site.
Ces chapelles sont incluses au cours de la deuxième étape dans le second état dans le mur oriental du déambulatoire de la terrasse. Elles sont décorées de scènes fort intéressantes, qui montrent les reines faisant leur toilette, visitant leurs fermes, en train de festoyer, mais aussi buvant le lait des vaches. Ce thème funéraire de l'allaitement hathorique source de renaissance sera magistralement repris par Thoutmosis III dans le sanctuaire rupestre évoqué plus haut, au centre duquel une statue impressionnante, aujourd'hui conservée au Musée du Caire, le représente à la fois protégé et allaité par la déesse sous sa forme de vache au débouché des marais qui constituent l'ultime étape vers le royaume des bienheureux (fig. 90). Derrière chaque chapelle, un puits donne accès à un caveau. Quatre de ces six tombes n'ont été pillées qu'une fois. On a retrouvé un sarcophage dans celles de Henhenet, Kaouït et Achaït ; l'une appartenait à un enfant, Maït.
Le deuxième état de la terrasse comporte un déambulatoire aux murs ornés de scènes cultuelles et administratives et séparé du noyau central par une cour couverte. De là, on accède par une cour à péristyle à la partie intime du temple: la salle hypostyle, aux murs décorés de scènes d'offrandes; au centre de la paroi occidentale, une niche en spéos était destinée à recevoir une statue du roi, en avant duquel un petit sanctuaire consacré à Amon-Rê et Montouhotep comporte des représentations cultuelles. A l'angle sud-ouest du corridor de l'hypostyle se trouvait la tombe de l'épouse royale Tem.
La vraie tombe du roi est à l'ouest du sanctuaire. On y accède par un long couloir qui part de la cour à péristyle et passe sous l'hypostyle. La chambre funéraire est sous la falaise. Elle possède un parement de granit et n'avait pas encore été pillée sous Ramsès XI, si l'on en croit le procès-verbal de l'inspection de la nécropole faite alors à la suite de nombreux pillages de tombes royales. On n'y a retrouvé, outre un naos de granit et albâtre, que des modèles de bateaux, des cannes et des sceptres.
L'originalité de la recherche architecturale de Montouhotep reste liée à Thèbes. En déplaçant la capitale, ses successeurs renouent avec l'organisation memphite du complexe funéraire. Ils choisissent des sites au sud de Saqqara et reprennent au début le plan des installations funéraires de la fin de la VIe dynastie. Le premier site utilisé est Licht, à peu près à mi-distance entre Dahchour et Meïdoum, où s'installent Amenemhat Ier et Sésostris Ier.
Amenemhat Ier fait élever au nord du site une pyramide proche d'aspect du modèle de la VIe dynastie, autant par la pente de 54° que par ses dimensions (84 m de côté sur 70 m de haut). Il utilise pour la construction des blocs provenant d'Abousir et de Gîza, recouverts d'un parement de calcaire fin de Toura aujourd'hui disparu. L'entrée est sur la face septentrionale, derrière une fausse-porte de granit abritée par une chapelle. La chambre funéraire est en dessous du niveau actuel des eaux. Le temple funéraire a été achevé sous la « corégence » de Sésostris Ier. La rampe et l'ensemble reprennent en gros le plan de Pépi II. Contre la face occidentale de la pyramide se trouvent les tombes des princesses royales, et, au sud-ouest, la
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Fig. 78
Plan de la pyramide de Sésostris Ier à Licht.
nécropole des notables du règne, parmi lesquels un cénotaphe appartenant à Antefoqer, qui fut son vizir et celui de Sésostris Ier. Antefoqer est enterré dans la nécropole thébaine, à Cheikh Abd el-Gourna (TT 60), mais il a repris la fiction ancienne du fonctionnaire qui suit son maître dans l'au-delà.
Sésostris Ier a fait édifier sa pyramide au sud du site. Elle est aussi enclose par un mur en pierres doublé d'un autre, en brique. Elle est plus grande, puisqu'elle mesure environ 105 m de côté pour seulement 60 m de haut, ce qui donne une pente, plus écrasée, de 49°. La technique de construction est différente, moins coûteuse dans la mesure où elle combine un radier central de murs croisés en pierres et un simple blocage recouvert d'un parement en calcaire de Toura, dont il reste encore aujourd'hui quelques vestiges. Elle possède, outre la pyramide de ka du roi, neuf pyramides satellites. Pour le reste, elle reprend, elle aussi, le plan de Pépi II. Lors du dégagement du complexe en 1894, J.-E. Gautier découvrit un groupe de dix statues représentant Sésostris Ier assis sur un trône cubique à petit dossier décoré chacun d'une variation sur le thème du sema-taoui, l'emblème héraldique de l'union des Deux Terres (fig. 80). Ces statues, qui avaient été hâtivement enfouies dans une fosse, sans doute pour échapper à un pillage, sont regroupées aujourd'hui au Musée du Caire.
Amenemhat II, lui, remonte vers le Nord pour s'installer à Dahchour, où son petit-fils Sésostris III se fait également enterrer, tandis que son arrière-petit-fils, Amenemhat III, s'y contente d'un cénotaphe.
La pyramide d'Amenemhat II reprend la technique de celle de Sésostris Ier, mais elle est trop ruinée pour que l'on puisse en donner une description exacte. On notera toutefois qu'à l'ouest de son enclos, on a retrouvé les tombes des princesses Ita, Ita-ouret et surtout Chnoumet, dont les bijoux sont exposés au Musée du Caire.
Sésostris III, lui, suit la technique adoptée par son père à Illahoun : un caissonnage de murs en pierres appuyé sur un noyau naturel et bloqué par des briques crues, le tout revêtu de calcaire de Toura. L'entrée se fait par un puits situé à l'ouest, qui conduit à une chambre funéraire en granit rouge. Au sud et à l'est du complexe, enfermé dans une enceinte en briques crues, se trouvent les mastabas des notables; au nord, les tombeaux des princesses Néfret-henout, Méreret et Sénet-sénebtisi, creusés en galeries ont livré, outre des sarcophages et des boîtes à canopes, des bijoux, parmi lesquels les magnifiques pectoraux aux noms de Sésostris II et III conservés au Musée du Caire.
Amenemhat III se fait construire un cénotaphe en briques crues autrefois recouvertes de calcaire, auquel son aspect actuel a valu le surnom de « pyramide noire ». De grande taille (environ 100 m de côté pour une pente de 57°20'), l'édifice était surmonté d'un pyramidion; son entrée se trouve à l'est, ainsi que le temple funéraire. L'infrastructure, d'un plan très compliqué, contenait un sarcophage de granit et s'inspirait peut-être du complexe funéraire de Djoser à Saqqara (Lauer : 1988,198).
Le site de Dahchour est également utilisé par les souverains de la XIIIe dynastie, et en particulier par le roi Hor Ier Aoutibrê, dont la statue de kâ en bois est conservée au Musée du Caire. Mais Licht et Dahchour ne sont pas les seules nécropoles royales de la XIIe dynastie : les deux rois qui se sont attachés à la mise en valeur du Fayoum, Sésostris II et Amenemhat III, ont tenu à s'en rapprocher et se sont fait enterrer, le premier à Illahoun, le second à Hawara.
La pyramide d'Illahoun est construite au nord de la digue élevée par Sésostris II, à la limite des terres cultivées, sur un plan carré de 107 m de côté, avec une pente de 42°35' pour une hauteur probable de 48 m. L'entrée se fait au sud par un puits conduisant à un ensemble compliqué de couloirs entourant la chambre funéraire, un peu comme les flots entourent l'île sur laquelle est censé être aménagé le tombeau d'Osiris à Abydos. À l'intérieur subsistait un sarcophage de granit, près duquel on a retrouvé un uræus en or. Parmi les tombes de princesses, celle de Sathathoriounet a livré un important ensemble de bijoux que se partagent le Metropolitan Museum of Art et le Musée du Caire.
La pyramide qu'Amenemhat III se fait édifier à Hawara, à 9 km au sud-est de Medinet el-Fayoum, présente de nombreuses similitudes avec celle de Sésostris II. La chambre funéraire contient une énorme cuve de granit et un second sarcophage, plus petit, destiné à sa fille, Néférouptah, qui est enterrée à 2 km au sud, alors que les autres princesses sont à Dahchour. Le temple funéraire, situé lui aussi au sud, est probablement le labyrinthe de Strabon: il est constitué de trois rangées d'unités indépendantes contiguës sur une surface de 200 par 300 m, dans lesquelles on a retrouvé l'une des plus belles statues représentant Amenemhat III assis (CGC 385). Sans doute était-ce une installation de fête-sed, comparable à celle du complexe de Djoser à Saqqara, avec lequel celui d'Amenemhat III a plus d'un point en commun. Le temple paraît avoir été achevé par Néfrousobek, mais on ne peut pas déterminer si ces travaux visaient à son achèvement ou à l'installation du culte d'Amenemhat III divinisé.
L'emprise de l'Ancien Empire marque fortement la statuaire royale, même si le souverain n'est plus le dieu intangible d'autrefois. Elle évolue toutefois comparativement plus que la statuaire privée qui connaît peu de nouveautés dans les attitudes qui ne soient empruntées au modèle royal. On voit apparaître des figurines en forme de momies placées dans des niches, qui sont dérivées des colosses osiriaques royaux. De la statuaire royale viennent encore des orants et des personnages enveloppés dans des manteaux. La seule réelle innovation est la statue-cube: un personnage assis, dont les jambes repliées vers le menton forment un bloc d'où bientôt n'émergera plus que la tête. Cette forme, née des recherches géométrisantes de la Première Période Intermédiaire offre un support commode au texte qui les envahira à la Basse Époque.
Le style thébain des débuts est rugueux: on peut penser à la statue représentant Antef II engoncé dans le manteau de fête-sed qui a été découverte dans le sanctuaire d'Héqaib à Éléphantine ou à celles du même type provenant du sanctuaire de Montouhotep II à Deir el-Bahari qui sont aujourd'hui dispersées entre Le Caire, Boston, New York et Londres. Dès Amenemhat Ier, l'art tempère un peu cette rudesse au contact des écoles du Nord, comme on peut le voir à travers des exemples provenant de Mendès (Caire JE 60520) ou de Tanis (Caire JE 37470). Mais la différence demeure d'autant plus sensible entre le Nord et le Sud que les rois restent partagés entre leurs origines et la Moyenne-Égypte. Dans la production très abondante de Sésostris Ier, on distingue ainsi plusieurs écoles: celle de Thèbes, illustrée par deux colosses debout du temple de Karnak (Caire JE 38286 et 38287), celle « du Fayoum », dans laquelle on range les œuvres de Licht, les dix statues évoquées plus haut, les piliers osiriaques, mais aussi les statues de bois provenant du temple d'Imhotep (Caire JE 44951 et MMA 14.3.17), et une tendance memphite, représentée aussi bien à Memphis même que dans tout le Nord. Elle s'accompagne d'un net retour à la tradition royale, qui se traduit par la confection de statues représentant des rois du temps passé (Sahourê, Niouserrê, Antef, Djoser sous Sésostris II).
La tendance classique se maintient sous les règnes d'Amenemhat II et Sésostris II, en particulier dans les statues réutilisées plus tard sur le site de Tanis. Les règnes de leurs deux successeurs sont particulièrement riches en œuvres de grande qualité. On retiendra la série des « portraits » de Sésostris III provenant du temple de Médamoud qui le représentent alternativement jeune et âgé, marquant par là l'humanité que le roi a définitivement acquise avec la Première Période Intermédiaire, et ceux, comparables, d'Amenemhat III (CGC 385 provenant de Hawara), plusieurs sphinx et des statues
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Fig. 79
Montouhotep II dans le manteau de la fête-sed provenant de son cénotaphe de Deir El-Bahari. Grès peint. H= 1,83 m. Le Caire JE 36195.
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Fig. 80
Les statues de Licht dans leur cachette.
En kaut : Fig. 81. Sphinx d'Amenemhat II retrouvé à Tanis, usurpé par Apophis, Mineptah et Chéchonq Ier. Granit rose. H = 2,06 m. L = 4,79 m. Louvre A 23.
Ci-contre: Fig. 82a. Sésostris III jeune. Statue provenant de Médamoud. Granit gris. H = 1,20 m. Louvre E 12902.
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Fig. 82b
Sésostris III âgé. Tête de statue provenant de Médamoud. Granit gris. H = 0,15 m. Louvre E 12960.
cultuelles illustrant le thème du roi agenouillé présentant des vases à vin que nous avons déjà rencontré à la fin de l'Ancien Empire (CGC 42013 provenant de Karnak et Khartoum 448, trouvé à Semna). Toute une série de statues datant de la fin du règne d'Amenemhat III ont été attribuées à la période hyksôs en raison de leur style un peu étrange. Il s'agit de sphinx provenant de Tanis, de Bubastis et d'Elkab et de statues du roi offrant des poissons (CGC 392), qui représentent en fait une tendance propre au Nord et dont on retrouvera des traces par la suite.
Le Moyen Empire est considéré comme la période classique par excellence de la civilisation égyptienne. Elle n'est cependant ni la plus longue ni la mieux documentée. On pourrait même dire que, sur le plan architectural, c'est la moins bien connue, puisque de grands temples comme ceux d'Amon-Rê de Karnak et de Tanis n'en gardent le souvenir que sous forme de remplois. Ce jugement tient donc à la qualité des œuvres qui nous sont parvenues. Toutes témoignent d'une certaine mesure, qui paraît d'autant plus humaine après la grandeur des pyramides. L'importance des centres provinciaux entre aussi en ligne de compte: le pays tout entier semble accéder à une harmonie qui le rapproche de ce qui était réservé auparavant à une minorité, sans pour cela se laisser aller à une surenchère criarde. Le Moyen Empire donne une certaine image d'équilibre qui le rapproche du règne de Maât. C'est du moins ce que laisse entendre la seule source vraiment développée comparativement aux autres époques: la littérature. Nous avons vu que bon nombre des œuvres qui constituent le fonds de la culture égyptienne sont composées au Moyen Empire et qu'elles expriment une idée de la civilisation qui sera adoptée par la suite comme le modèle dont on ne doit pas s'écarter. De ce point de vue, l'empire des Amenemhat et des Sésostris est réellement la période classique de l'Égypte.