CHAPITRE VII

 

 

J’ignorais comment ils s’y prenaient pour deviner que la police expulsait quelqu’un. Il existait différents moyens. En tout cas, ils possédaient probablement des appareils de télécommunication miniaturisés.

Je me doutais bien d’où venait la « fuite ». J’en mettrais ma main au feu sans risque. Le quartier de transit assurait le « relais ». C’était l’œil, l’oreille des Exclus à l’intérieur de la ville ! Comme si tout s’enchaînait sur cette fichue planète en formant un cycle parfait.

Bon. J’admettais la complicité des transitaires. Ça ne me dérangeait pas puisque bientôt je bénéficierais à mon tour du « réseau ».

Il en arriva de toutes les vallées. Comme des rapaces. J’étais en quelque sorte une recrue de choix car les transitaires avaient orchestré ma réputation. J’avais combattu dans l’arène et liquidé Quers !

Je les attendais de pied ferme. Ils arrivèrent dans leurs chenillettes électriques et ils me proposèrent tous de m’engager. Je n’étais donc pas dépourvu de situations, contrairement à certains expulsés qui n’avaient vraiment aucune capacité pour jouer un rôle dans une bande. Alors, ceux-là, on les délaissait et ils devenaient de véritables épaves humaines, quémandant leur nourriture le long des routes, selon la générosité des touristes ou des autochtones. Beaucoup succombaient d’épuisement ou se suicidaient.

C’était un moment dégradant dans la vie d’un homme. Mais je l’avais choisi. Et je me félicitais qu’on s’intéressât tant à moi.

Je repoussai les offres. Les chefs de bande, ou leurs délégués, disparurent un peu déçus. Ils devinaient déjà en moi un rival et ils ne se privèrent pas pour me menacer.

Je comprenais bien que Charles Bintz ne se précipiterait pas le premier. Il me contacta quand les autres furent partis et il attendit la nuit complète.

Les gros yeux globuleux de sa chenillette trouèrent les ténèbres et stoppèrent à mes côtés. Le cockpit s’ouvrit.

Bintz était seul.

— Tu montes, Jorg ? Je suis venu te chercher.

Je feignis l’étonnement, croisai les bras sur ma poitrine.

— Vraiment ? ironisai-je.

Mon attitude l’agaça. Il hésitait à me dire que les « gentlemen » avaient voté favorablement pour moi, au moment de l’élection du nouveau chef, en remplacement de Quers. Une majorité s’était dégagée sur mon nom.

Je m’assis sur le siège avant, refermai le cockpit. Je prenais déjà un ton autoritaire.

— Je l’avais prévu. Et je prévois aussi que ça marchera rond dans le clan. Comme au temps de Klaine. Compris ?

Il acquiesça en grimaçant. Puis il démarra. Le véhicule s’engagea dans la vallée des pendus. Je remarquai l’émetteur-radio sur le tableau de bord.

— C’est Jolia qui t’a prévenu ?

— Oui. On ne t’attendait pas si tôt.

— Je suis pressé, répondis-je. Tu es dépité, voire rancunier envers moi. Tu briguais la succession de Quers. Normal. Aussi je comprends ton animosité à mon égard.

J’avais tout intérêt à m’attirer les bonnes grâces de Bintz. D’abord parce qu’il avait collaboré avec Klaine. Ensuite parce que je tenais à le conserver comme lieutenant. Il possédait d’excellentes qualités.

— Écoute, Bintz, avouai-je. Klaine m’avait chargé de le venger. C’est fait. Je veux gagner de l’argent très vite, puis je disparaîtrai. Ensuite, tu brigueras ma succession et j’influencerai les autres, je te le promets.

Le visage de Charles se dérida. Il me tendit franchement la main.

— C’est vrai, Jorg. Il vaut mieux être ami. En souvenir de Klaine. Je l’ai considéré comme un grand chef et sa mutilation par Quers ne s’explique pas...

Je lui serrai les doigts avec un sourire mielleux.

— Si, elle s’explique. Klaine gênait Quers. Celui-ci a prétexté une trahison pour éliminer Norman. Moi, je sais que mon copain n’a pas trahi.

— Alors, interrogea Bintz, pourquoi Quers s’est-il acharné sur ton camarade ?

Je regardais la route noire devant moi. La chenillette montait en silence vers la montagne. Mes muscles figés prouvaient ma tension extrême chaque fois que je parlais de Norman.

— C’est mon affaire, cette histoire. Pas la tienne. Je te jure que dans le clan, une telle bavure ne se reproduira pas...

J’ajoutai avec une hésitation :

— Seulement, il peut bien émerger un autre Quers. De la bande ou d’ailleurs. Je suis même certain qu’il en émergera un...

Bintz m’observa, effrayé.

— Alors, tu te feras éliminer, toi aussi ? Je croyais qu’il n’y aurait pas besoin de purge chez les « gentlemen ».

Je ricanai.

— Oh ! La purge, elle s’opère automatiquement, quand le salopard se montre au grand jour. Dans toutes les bandes d’Exclus, existent des trublions, des lâches, des traîtres, des envieux.

Charles abattit ses cartes sur la table avec sincérité.

— Je t’obéirai, Jorg. Je te respecterai. En général, les « gentlemen » n’enfreignent pas leurs lois. C’est pourquoi ils ont une image de marque, qu’il faut maintenir. Nous sommes utiles sur Alpha-Park.

— Je sais, opinai-je. Les flics me l’ont déjà dit. Sans les Exclus, Alpha-Park ne serait pas la planète de l’aventure, mais simplement celle du jeu. Or, c’est un monde plus étrange qu’on ne le pense généralement.

Bintz me considéra, étonné.

— Tu parais bien renseigné, objecta-t-il.

— Justement. Je le suis mal, rectifiai-je.

— Je ne comprends pas ton idée. Fortune faite, tu as l’intention de nous quitter. Tu veux regagner la Terre ?

J’éructai un borborygme, comme un vomissement :

— Pouah ! La Terre est dégueulasse depuis qu’ils ont inventé les psycho-détecteurs de pensée. On ne peut plus s’y amuser. C’est fini. Il n’y a plus rien. Qu’une gigantesque Sécurité. Je trouve que la science a paralysé définitivement la liberté individuelle, avec les psycho-détecteurs. C’est très grave, mon vieux !

L’ancien lieutenant de Quers émit une hypothèse.

— Tu as fait une connerie, sur la Terre, et tu t’es réfugié sur Alpha-Park !

— Imagine ce que tu veux mais tu seras toujours loin de la vérité ! précisai-je en riant. On ne pose pas de questions aux nouveaux arrivants, sur Hio-West ! C’est la tradition.

Il reconnut sa trop grande curiosité.

— D’accord, je ne te demanderai plus rien sur ton passé... Mais je veillerai sur toi. Ne serait-ce que pour protéger ta vie contre un nouveau Quers, s’il se manifestait.

— Merci, Bintz. Tu es très chic. On fera une paire d’amis. Seulement je te préviens. Quand je disparaîtrai, je ne t’emmènerai pas avec moi !

Je mettais certains détails au point. Au clan, ils ne me considéraient ni comme un milliardaire égaré, ni comme un fauché habituel. J’étais celui qui cherchait quelque chose...

 

 

Je n’aurais pas cru qu’il serait si facile de devenir un chef de bande. Klaine m’avait pourtant affirmé qu’une fois Quers éliminé, la place me tomberait toute chaude. À cette époque, j’en doutais.

Maintenant, je reconnaissais que Norman avait raison. J’avais impressionné les Exclus par ma prestation, mon combat loyal avec Jude. À moi de montrer que je valais Klaine. Car si je ne l’égalais pas, je risquais des histoires et de me retrouver pendu à un gibet !

Norman m’avait conseillé sur la meilleure manière de conduire les « gentlemen ». Aussi j’utilisai ses méthodes. Au début, je me fis la main sur de vulgaires promeneurs qui, à l’aide de guides, tentaient l’aventure dans les montagnes.

Je les rançonnais. Ils signaient la décharge habituelle, virant leur rançon au compte « commun », dans une banque du quartier de transit. Et je les renvoyais à la ville avec un mot d’excuse.

Les convenances, quoi !

Mais je rêvais d’autre chose que ces minables agressions qui ne rapportaient au fond pas tellement gros. J’éliminais les touristes qui venaient seuls, sans guide, car il s’agissait en général de clients peu fortunés. Alors je ne tenais pas à les précipiter dans le gouffre des dettes, du crédit, du remboursement, voire de l’expulsion.

Je mijotais un coup. Ou plutôt plusieurs coups, faisant ainsi preuve d’une imagination débordante en même temps que d’une audace caractérisant mon tempérament impulsif. Pour cela, je pris certains risques et je pénétrai une nuit dans la ville.

Comme par hasard, les barrages de police s’ouvraient après le passage de Jolie Jolia. Elle avait la particularité de charmer les autochtones ! J’en déduisais que les indigènes n’avaient aucune volonté et qu’ils cédaient à toutes les tentations. C’était un peuple fantoche, qui jouait la carte folklorique. À part ça, il semblait noyauté dans une passivité excessive, sans responsabilité aucune.

Je comparais les paquets de saindoux à des comédiens. On leur attribuait un rôle et je me doutais bien que la Compagnie tirait les ficelles de toutes ces marionnettes vivantes car c’était elle qui empochait le plus de profit.

Elle et les Exclus !

Mais c’était pour des raisons différentes. Donc, je m’introduisis dans la ville et je rendis visite à Imra San.

Il savait que je dirigeais les « gentlemen » et mon arrivée le stupéfia :

— Eh bien, tu as du culot ! S’ils te prenaient, ils ne te relâcheraient pas...

Je souris, moqueur.

— La combine, je la connais. Que fais-tu donc des cautions ? La mienne serait élevée, certes, mais les « gentlemen » la-paieraient. Alors je serais de nouveau libre.

Le gladiateur s’embourba dans des explications véreuses, essayant de donner à la police locale une image de marque. Il ne parvint pas à me convaincre.

J’attaquai :

— D’après toi, qui est la plus grosse fortune de la ville ?

San n’hésita pas, comme si ce n’était un secret pour personne.

— Le directeur de la Compagnie. Mais intouchable. Protégé par ses propres vigiles. À l’abri de tout enlèvement.

Je hochai la tête.

— Je ne m’intéresse pas aux Terriens. Je parle des autochtones.

Imra se caressa le gras de son menton. Perplexe, il répondit :

— À mon avis, c’est Louxor, le plus gros bonnet après le directeur de la Compagnie...

— Louxor ? répétai-je. Le premier magistrat ?

— Oui. Il administre la ville et il possède la haute main sur la police. En tout cas, s’il n’est pas le plus riche autochtone d’Alpha-Park, il est sans conteste la plus importante autorité officielle.

Je grognai :

— Je pourrais exiger une énorme rançon. C’est un otage de choix.

Le gladiateur me fixa avec ses yeux de crapaud. Il songea que je plaisantais.

— Tu veux enlever Louxor ?

— Oui, confirmai-je. Personne n’a encore osé. Ni Klaine ni Quers. Je suppose qu’il possède sa garde personnelle.

— Évidemment ! répliqua San. Tu vas t’y casser les reins...

Il ajouta avec une grimace de réprobation :

— Et puis, la rançon, ils la ponctionneraient sur tous les commerçants, les fonctionnaires. Tous les indigènes trinqueront. Ils lèveront un « impôt spécial ».

— Passionnant ! dis-je avec délectation. Et tu me dénoncerais, Imra ?

Ce dernier haussa les épaules. Sa grimace s’accusa.

— Non. Je t’ai promis mon aide, sans condition. Je n’entraverai pas tes projets...

Il poussa un énorme soupir en avouant :

— Louxor ne jouit pas d’une bonne réputation. C’est la Compagnie qui l’a placé à la tête de la ville. Il n’a pas été élu par le suffrage universel...

Je me moquai :

— Voyez-moi ça ! Vous auriez donc la nostalgie de la démocratie et vous imiteriez les Terriens facilement. Or, Alpha-Park n’est pas la Terre. Si c’est pour faire pareil que là-bas, alors il vaut autant fermer boutique. Vous n’attireriez plus personne.

San resta sceptique.

— Tu as peut-être raison. Mais Louxor n’est pas le seul capable d’administrer la ville. C’est pourquoi les chances ne sont pas données à tout le monde.

Le comportement d’Imra San m’irrita.

— Tu critiques la formule électorale. Je t’en prie, mets ça en veilleuse. Personne ne suivrait ton raisonnement. Je croyais que les autochtones acceptaient Alpha-Park tel qu’il était. Serais-tu une exception ?

— J’ai réfléchi, confia le gladiateur. Beaucoup réfléchi. Je ne suis pas le seul à réfléchir. Nous avons un cerveau, une intelligence.

— D’accord, rétorquai-je. Mais on vous a coupé la mémoire. Qu’est-ce qu’un cerveau sans mémoire ? Tu ignores ton passé. Ne donne donc pas des leçons de morale, de civisme. Ça ne signifie rien, pour ton peuple. Tu ne voudrais tout de même pas te dresser contre la Compagnie !

— Non, reconnut Imra. La Compagnie est indispensable à Alpha-Park et elle enrichit les indigènes. On ne peut pas se plaindre. Mais chacun est libre de donner ses idées, même si elles restent sans échos.

Je saisis le gladiateur par les épaules et l’obligeai à me regarder droit dans les yeux.

— Écoute. J’ai besoin de quelques renseignements. Tu essaieras de les collecter. Je serai généreux avec toi. Mais si tu me trahis, je me montrerai impitoyable !

L’autochtone savait qu’un Exclu ne mentait jamais et qu’il était capable de tout. Il opina, craintif :

— Je m’informerai sur la meilleure façon de kidnapper Louxor. Mais je t’avertis : je ne participerai pas à l’enlèvement. C’est une restriction que tu dois accepter.

J’acceptai et il parut soulagé. Il n’osa plus me questionner sur les raisons qui me poussaient à gagner de l’argent très vite. Parce que je ne répondrais pas sur ce sujet. Et quand je lui parlai de la « filière », il parvint à plisser son front tendu.

— Quelle filière ? s’étonna-t-il.

— Bon. Tu n’es pas au courant, constatai-je. Alors il vaut mieux que je ne te reparle plus jamais de ça...

Je le quittai pour gagner le quartier de transit. La nuit était noire, chaude, épaisse. J’évitai les patrouilles de police. J’évoquais la tête d’Imra San à propos de la filière.

Cela me confirma que la mémoire des autochtones était vide...

 

 

Je mis la dernière retouche à mon plan, qui faisait grimacer Bintz. Il m’avoua avec sincérité :

— J’ai connu Klaine audacieux. Quers habile, perspicace. Mais toi, tu bats les records. Un jour, tu t’attaquerais au directeur même de la Compagnie que cela ne m’étonnerait pas !

Je ris, en tapant dans le dos de mon lieutenant. Je lui expliquai que c’était grâce à Imra San que nous montions ce kidnapping.

— Il est bon d’avoir des amis chez les autochtones. Ce qui n’était pas le cas avec Klaine, ou Quers. Quand j’ai combattu dans l’arène, j’avais déjà cette idée derrière la tête...

Bintz accentua sa grimace. Une flamme de haine illumina son regard.

— Nous n’aimons pas les autochtones ! déclara-t-il. C’est à cause d’eux que nous sommes des Exclus.

— D’accord, opinai-je. Mais il faut maîtriser parfois ses impulsions. Notre intérêt passe avant tout.

Charles soupira :

— Si les autorités refusaient de payer la rançon de Louxor ? Tu y as pensé ?

Je prouvai que je ne négligeais aucun détail.

— Oui, j’y ai pensé. Dans ce cas, j’ai des arguments pour les plus rétifs. Même la Compagnie cédera car au fond, c’est Elle qui a placé Louxor au sommet de la hiérarchie. Par commodité...

Je sentais que Bintz restait sceptique. Nous avions même convenu une double opération. Pour lui, cette accumulation restait aléatoire. Rien ne pressait. Je tapai du poing sur la table.

— Écoute, Charles. Si tu n’es pas d’accord, tu peux démissionner. Je ne te retiens pas.

Il m’observa drôlement, craintif. Il était très attaché aux « gentlemen » et son éviction éventuelle le traumatiserait. Il glissa prudemment d’une voix radoucie :

— Je ne discute pas tes ordres. Tu es le chef. Je te donne simplement des conseils de prudence.

— Tu verras, ça marchera. Jolie Jolia effectue un travail admirable dans le quartier de transit. Elle nous ouvrira pratiquement les portes de la ville, assurai-je.

À la nuit tombante, nous montâmes dans trois chenillettes. Nous descendîmes vers la vallée et les lumières de la cité brillèrent bientôt au loin, comme des lucioles. Nous nous dirigeâmes vers la partie ouest de l’agglomération, près d’une multitude de serres climatisées.

Bien sûr. Il y avait un barrage électrifié à franchir. Ce n’était pas le plus difficile car les Terriens du quartier de transit s’en étaient occupés. Ils avaient donné aux policiers de service des boissons soporifiques et ils avaient neutralisé une partie de la barrière électrique. Tout ça minutieusement minuté.

Je consultai ma montre :

— Une heure trente. Ils ont coupé le « jus ». On peut y aller.

Nous laissâmes les chenillettes à l’extérieur, sous la garde de quelques hommes. Nous n’avions que des couteaux, car c’était le règlement. La Compagnie ne voulait pas que les Exclus deviennent une force d’intervention permanente, ou une police parallèle.

On jouait donc le jeu. Dans la légalité. Jolie Jolia et ses amis nous attendaient à la porte ouest et notre commando s’infiltra dans la ville. Il se scinda en deux. Bintz disparut d’un côté.

Je téléphonai à Imra San. Je le réveillai. Sur le petit télé-écran, il apparut encore plus bouffi que d’habitude.

— C’est moi, Jiji. Tu es sûr de tes informations ?

— Oui, marmonna San. J’ai eu le tuyau par une femme de chambre. Une petite copine à moi...

Il susurra :

— J’ai dû lui refiler un bon nombre de chicanos. Mais elle a pu jeter un coup d’œil sur le calepin de rendez-vous, dans le bureau de Louxor. Jolie Jolia a fait le reste...

— Bon. Merci, Irma. Excuse-moi de t’avoir réveillé. Demain matin, la T.V. t’apprendra la nouvelle...

Nous nous glissâmes dans les rues. Personne ne nous inquiéta. Jolie Jolia nous emmena jusqu’à un cabaret. Je postai des hommes de guet à la sortie de la boîte de nuit. Ou plutôt à la sortie de secours, car Louxor n’utilisait jamais l’entrée principale.

La rue était étroite, silencieuse, vide. Juste une voiture électrique devant la petite porte, avec trois malabars à l’intérieur. Je savais qu’il s’agissait des gorilles du premier magistrat.

Je commençai mon numéro. En zigzaguant, comme si j’étais ivre, je m’approchai de l’auto. J’ouvris carrément la portière :

— Hep ! Taxi... hoquetai-je.

Les gorilles me jetèrent des regards torves. L’un d’eux cracha vers moi.

— Un Terrien saoul ! Repoussez-moi cette ordure ! ordonna-t-il.

Les deux autres gardes sortirent du véhicule. Ils s’effondrèrent aussitôt, un couteau dans le ventre, jeté par mes hommes dissimulés non loin de là.

Je m’occupai personnellement du troisième malabar. Je passai mon bras par la portière et je lui plongeai ma lame dans le cœur.

Les gardiens éliminés, nous traînâmes leurs cadavres dans un coin. Puis nous enfilâmes leurs uniformes. Évidemment, ils étaient un peu grands pour nous mais dans le noir, cela ne se remarquait guère.

À deux heures pile, comme convenu, Louxor quitta le cabaret, seul. Il monta dans sa voiture, à côté du chauffeur, un peu éméché par l’alcool terrestre qu’il avait ingurgité.

Je lui appliquai un coton imbibé de soporifique sous le nez et il sombra dans le sommeil. J’étais au volant. Je démarrai en vitesse et gagnai la barrière électrifiée.

Nous transférâmes Louxor dans l’une de nos chenillettes. Puis l’œil toujours fixé sur ma montre, je comptai les minutes.

Bintz avait déjà du retard. Je redoutais qu’il lui soit arrivé quelque chose. Je le vis enfin surgir à bord d’une voiture volée. Il était avec quatre Exclus de la bande et il agitait les bras en signe de victoire.

Il brandit des sacoches.

— Il y a des milliers de chicanos là-dedans ! Jamais nous n’en avions tant vu à la fois !

J’étais rassuré, pleinement satisfait. J’embarquai Jolie Jolia et nous regagnâmes nos montagnes.

Au camp, nous fêtâmes la double réussite. La mienne et celle de Bintz. Nous avions frappé un coup terrible. L’un des plus spectaculaires depuis que les exclus existaient !

Je serrai chaudement la main de Bintz.

— Tu vois, j’avais raison. Je n’aurai plus besoin de retourner dans la ville. En une seule fois, j’ai amassé assez d’argent pour disparaître en beauté...

Charles me lorgna, les sourcils froncés. Quand je parlais de « disparaître », il se demandait ce que cela signifiait au juste. Mais il n’avait jamais encore osé approfondir la question. Parce qu’il me connaissait. Je n’étais pas homme à divulguer un secret.