ANDROMAQUE, CASSANDRE, HECTOR, ABNÉOS, puis OIAX, puis DEMOKOS
HECTOR. – Tu étais là, Andromaque ?
ANDROMAQUE. – Soutiens-moi. Je n’en puis plus !
HECTOR. – Tu nous écoutais ?
ANDROMAQUE. – Oui. Je suis brisée.
HECTOR. – Tu vois qu’il ne faut pas désespérer…
ANDROMAQUE. – De nous peut-être. Du monde, oui… Cet homme est effroyable. La misère du monde est sur moi.
HECTOR. – Une minute encore, et Ulysse est à son bord… Il marche vite. D’ici l’on suit son cortège. Le voilà déjà en face des fontaines. Que fais-tu ?
ANDROMAQUE. – Je n’ai plus la force d’entendre. Je me bouche les oreilles. Je n’enlèverai pas les mains avant que notre sort soit fixé…
HECTOR. – Cherche Hélène, Cassandre !
Oiax entre sur la scène, de plus en plus ivre. Il voit Andromaque de dos.
CASSANDRE. – Ulysse vous attend au port, Oiax. On vous y conduit Hélène.
OIAX. – Hélène ! Je me moque d’Hélène ! C’est celle-là que je veux tenir dans mes bras.
CASSANDRE. – Partez, Oiax. C’est la femme d’Hector.
OIAX. – La femme d’Hector ! Bravo ! J’ai toujours préféré les femmes de mes amis, de mes vrais amis !
CASSANDRE. – Ulysse est déjà à mi-chemin… Partez.
OIAX. – Ne te fâche pas. Elle se bouche les oreilles. Je peux donc tout lui dire, puisqu’elle n’entendra pas. Si je la touchais, si je l’embrassais, évidemment ! Mais des paroles qu’on n’entend pas, rien de moins grave.
CASSANDRE. – Rien de plus grave. Allez, Oiax !
OIAX, pendant que Cassandre essaie par la force de l’éloigner d’Andromaque et qu’Hector lève peu à peu son javelot. . – Tu crois ? Alors autant la toucher. Autant l’embrasser. Mais chastement !… Toujours chastement, les femmes des vrais amis ! Qu’est-ce qu’elle a de plus chaste ta femme, Hector, le cou ? Voilà pour le cou… L’oreille aussi m’a un gentil petit air tout à fait chaste ! Voilà pour l’oreille… Je vais te dire, moi, ce que j’ai toujours trouvé de plus chaste chez la femme… Laisse-moi !…Laisse-moi ! Elle n’entend pas les baisers non plus… Ce que tu es forte !… Je viens… Je viens… Adieu. (Il sort.)
Hector baisse imperceptiblement son javelot. À ce moment Demokos fait irruption.
DEMOKOS. – Quelle est cette lâcheté ? Tu rends Hélène ? Troyens, aux armes ! On nous trahit… Rassemblez-vous… Et votre chant de guerre est prêt ! Ecoutez votre chant de guerre !
HECTOR. – Voilà pour ton chant de guerre !
DEMOKOS tombant . – Il m’a tué !
HECTOR. – La guerre n’aura pas lieu, Andromaque !
Il essaie de détacher les mains d’Andromaque qui résiste, les yeux fixés sur Demokos. Le rideau qui avait commencé à tomber se lève peu à peu.
ABNEOS. – On a tué Demokos ! Qui a tué Demokos ?
DEMOKOS. – Qui m’a tué ?… Oiax !… Oiax !… Tuez-le !
ABNEOS. – Tuez Oiax !
HECTOR. – Il ment. C’est moi qui l’ai frappé.
DEMOKOS. – Non. C’est Oiax…
ABNEOS. – Oiax a tué Demokos… Rattrapez-le !… Châtiez-le !
HECTOR. – C’est moi, Demokos, avoue-le ! Avoue-le, ou je t’achève !
DEMOKOS. – Non, mon cher Hector, mon bien cher Hector. C’est Oiax ! Tuez Oiax !
CASSANDRE. – Il meurt, comme il a vécu, en coassant.
ABNEOS. – Voilà… Ils tiennent Oiax… Voilà. Ils l’ont tué !
HECTOR, détachant les mains d’Andromaque. . – Elle aura lieu.
Les portes de la guerre s’ouvrent lentement. Elles découvrent Hélène qui embrasse Troïlus.
CASSANDRE. – Le poète troyen est mort… la parole est au poète grec.
Le rideau tombe définitivement.