SIXIÈME PARTIE  :  DISPERSION

 

Et l'on se demande si le léviathan résistera longtemps à une chasse aussi répandue, à un massacre aussi impitoyable... et si l'on ne verra pas le dernier cétacé faire comme le dernier homme, fumer sa dernière pipe et s'évanouir dans l'ultime bouffée.

HERMAN MELVILLE

 

 

Creideiki / Sah'ot

Creideiki fixa la holo et se concentra. C'était plus facile de parler que d'écouter. Il pouvait faire remonter les mots un par un ou deux par deux, les articuler lentement, les enfiler comme des perles sur un collier.

—... connexions neurales... réparées... par... Gillian et Makanee... mais... mais... parole... toujours... toujours...

— Toujours impraticable, compléta Sah'ot dont l'image hocha la tête. Toutefois, vous pouvez vous servir d'outils maintenant ?

Creideiki se concentra sur la question pourtant simple de Sah'ot. Toutefois — vous — pouvez — ... Chacun de ces mots lui apparaissait d'une clarté limpide, d'un sens évident. Pourtant, leur alignement ne voulait rien dire. C'était frustrant !

Sah'ot passa au ternaire :

 

: Outils qu'on lance ? Les balles Les nefs... :

: Votre mâchoire ? Joueuse Pilote... :

 

Creideiki hocha la tête. C'était beaucoup mieux, quoique même le ternaire lui fît à présent l'effet d'une langue étrangère hérissée de difficultés.

Engins marcheurs, marcheurs, marcheurs Holoparleurs, parleurs, parleurs Sont mes jouets, sont —

Creideiki évita le regard de Sah'ot. Il était conscient d'avoir eu recours dans cette phrase simple à des éléments de primal, la répétition et le ton suraigu sur lequel il l'avait sifflée. C'était humiliant de savoir qu'en dépit d'un esprit toujours aussi vif et compétent on donnait au monde extérieur l'impression d'être un demeuré.

Et, parallèlement, il se demanda si Sah'ot avait remarqué dans sa façon de s'exprimer l'influence du langage de ses rêves... de la voix des anciens dieux.

En écoutant le capitaine, Sah'ot se sentait avant tout soulagé. Leur première conversation, déjà, n'avait pas trop mal débuté mais, vers la fin, l'attention de Creideiki s'était relâchée, surtout lorsque Sah'ot avait commencé à le soumettre à une batterie de lests linguistiques.

Cette fois, après la dernière intervention chirurgicale pratiquée sur lui par Makanee, ses facultés de concentration semblaient s'être considérablement accrues.

Il décida de vérifier jusqu'à quel point Creideiki pouvait suivre un récit en lui racontant sa découverte. Point par point, il lui expliqua en ternaire comment il avait entendu « chanter » alors qu'il était branché sur ce robot que l'on faisait descendre le long de la cheminée creusée par l'arbre foreur.

Le visage de Creideiki refléta d'abord une extrême perplexité tandis qu'il se concentrait sur l'exposé simplifié de Sah'ot, puis il parut comprendre. En fait, à en juger par son expression, il semblait même considérer qu'il était des plus naturels qu'une planète chantât.

— Branchez... branchez-moi... sss'il... vous plaît... je... je voudrais... entendre... écouter...

Enchanté qu'on s'intéressât à sa découverte, Sah'ot acquiesça d'un claquement de mâchoires. Il ne croyait pourtant pas que Creideiki, avec ses centres du langage brûlés, pût percevoir autre chose que des parasites. Rien que pour y déceler un rythme, il avait fallu à Sah'ot toute la subtilité dont le dotaient sa formation et son expérience. Et honnis cette fois unique où, vraisemblablement sous l'effet de la colère, les voix du dessous avaient hurlé, les sons n'avaient jamais cessé de paraître informels.

Sah'ot frissonnait encore au souvenir de cet exceptionnel moment de netteté.

— D'accord, Creideiki, dit-il en établissant la liaison. Ecoutez bien !

Les yeux du capitaine se renfoncèrent dans leurs orbites sous l'effet de la concentration cependant que les parasites crachaient et grésillaient le long de la ligne.

Gillian

— Triple zut ! Nous ne pouvons nous permettre de l'attendre pour partir. Avec le canot, elle risque de mettre deux jours pour faire son détour et, d'ici là, je tiens à ce que le Streaker soit en lieu sûr à l'intérieur du Cheval Marin.

Le simulacre de Suessi haussa les épaules.

— Bon, vous pouvez quand même lui laisser un mot.

Gillian se frotta les yeux.

— C'est précisément ce que nous comptons faire. Nous allons dérouler un monocâble à partir de la position actuelle du vaisseau de sorte à pouvoir rester en contact avec l'équipe de l'île. Sur le boîtier de raccordement, je vais coller un message expliquant à Hikahi où nous sommes partis.

— Et pour Toshio et Dennie ?

— J'avais espéré envoyer le canot pour les ramasser, eux et Sah'ot... et peut-être aussi Tom, mais, les choses étant ce qu'elles sont, je préférerais maintenant que Dennie et Sah'ot vous rejoignent directement en traîneau. Ça m'embête mais j'ai besoin que Toshio reste là-bas pour surveiller Takkata-Jim jusqu'au dernier moment avant le décollage du Cheval Marin.

Elle ne mentionnait pas le second motif qu'elle avait de retarder au possible le départ de Toshio mais Suessi n'ignorait pas que si Tom Orley revenait avec le planeur il passerait d'abord par l'île, et il fallait bien que quelqu'un l'y attendît.

— Allons-nous réellement abandonner Metz et Takkata-Jim ? demanda le vieil ingénieur mécanicien, visiblement gêné par cette idée.

— Oui, ainsi que Charlie Dart, selon toute apparence. Il s'est embarqué clandestinement à bord de la chaloupe. Enfin... c'est eux qui ont fait ce choix. Ils espèrent pouvoir rentrer sur la Terre après que les Galactiques nous auront envoyés dans un monde meilleur. En fait, il se pourrait bien que l'avenir leur donne raison. Toutefois, en dernier ressort, c'est Hikahi seule qui décidera lorsqu'elle finira par se montrer et apprendra qu'elle a le commandement du Streaker. (Gillian secoua la tête.) En tout cas, Ifni semble être sortie de ses habitudes et prendre un malin plaisir à nous mettre des bâtons dans les roues, vous ne trouvez pas ?

Hannes sourit.

— La Fortune a toujours été capricieuse. Ce ne serait pas une dame sinon.

— Mouais ! (Mais Gillian n'avait plus assez d'énergie pour foudroyer vraiment Suessi du regard. Près du cylindre d'affichage de la holo, un voyant de la console se mit à clignoter.) Ça y est, Haïmes. La salle des machines m'avertit qu'ils sont prêts. Je dois y aller, maintenant. Nous allons appareiller.

— Bonne chance, Gillian.

Suessi fit un O avec ses doigts et coupa la communication.

Gillian bascula le commutateur qui lui donnait accès à la ligne reliant l'île au vaisseau.

— Sah'ot, Gillian à l'appareil. Je suis désolée de vous interrompre mais auriez-vous l'obligeance de prévenir le capitaine que nous sommes sur le point de prendre le départ ?

C'était la moindre des politesses que Creideiki en fût informé. En un temps, le Streaker avait été son vaisseau.

— Tout de sssuite, Gillian.

Gillian perçut alors une série de sifflements répétitifs suraigus dans un ternaire vraiment très proche du primai. Bon nombre de sons grimpaient dans des fréquences inaudibles, même pour son ouïe génétiquement élargie.

— Le capitaine désire y assister de l'extérieur, lui dit Sah'ot. Il promet de ne pas se mettre en travers de la route du vaisseau.

Gillian ne voyait pas de raison valable de refuser cette faveur à Creideiki.

— D'accord. Mais dites-lui de passer d'abord voir Wattacéti, de prendre un traîneau et, surtout, d'être prudent. Nous ne serons pas en mesure d'envoyer quelqu'un à sa recherche s'il se laisse dériver trop loin !

Suivit une nouvelle séquence de sifflements suraigus que Gillian put à peine déchiffrer. Creideiki signalait qu'il avait compris.

— Au fait, Sah'ot, ajouta-t-elle, pouvez-vous dire à Toshio de m'appeler dès l'arrivée de la chaloupe ?

— Oui !

Gillian coupa la communication et se leva pour s'habiller. Il y avait tant de choses avec lesquelles il lui fallait jongler.

Je me demande si j'ai bien fait de laisser filer Charlie Dart, songea-t-elle. Si son comportement ou celui de Takkata-Jim s'éloigne de ce que j'ai prévu, que vais-je pouvoir faire ?

Sur le coin de sa console, un petit voyant s'alluma. C'était encore la Niss qui voulait lui parler. La lumière restait fixe ; il n'y avait donc pas urgence. Gillian décida de n'y pas faire attention et se dépêcha de sortir pour aller superviser le départ.

Akki

Toujours aussi courbatu, Akki nagea lentement hors de la crevasse dans laquelle il s'était reposé en attendant l'aube.

Il prit plusieurs inspirations profondes puis sonda, dispersant au travers des fûts de lumière matinale diffractée un banc de créatures pisciformes aux écailles rutilantes. Sans même y penser, il se rua sur l'un des plus gros poissons, le saisit entre ses mâchoires et goûta le plaisir de le sentir se débattre. En revanche, il en goûta moins la saveur métallique et s'empressa de le relâcher avant de cracher plusieurs fois pour se rincer la bouche.

Il refit surface alors que de rouges nuages répandaient d'éclatants reflets roses sur le ciel oriental. Entendant son estomac complexe crier famine, il se demanda si ces borborygmes étaient assez sonores pour lui faire courir le risque d'être repéré par celui qui le traquait.

Ce n'est pas juste, se dit-il. Lorsque K'tha-Jon me rattrapera, lui au moins aura quelque chose à se mettre sous la dent.

Puis il se reprit. Quelle idée saugrenue !

Tu commences à perdre la boule, midship. K'tha-Jon n'est pas un cannibale. C'est un... un...

Un quoi ? Akki se remémora comment, la veille, au coucher du soleil, il avait miraculeusement réussi à atteindre le chapelet de tertres de métal avec quelques mètres d'avance sur son poursuivant. Il revoyait cette course infernale qui s'était alors déroulée entre les îlots minuscules dans une confusion de bulles, de gerbes d'écume et de sauvages cris de chasse. Des heures durant, bien après qu'il eut fini par se trouver une cachette, il avait continué d'entendre de violents staccatos de sonar qui lui prouvaient que le Sténo ne rôdait pas loin.

Rien que de penser au bosco, Akki sentait des frissons lui parcourir l'échiné. Quelle sorte de créature était-ce ? Ce n'était pas seulement le caractère irrationnel de cette chasse à outrance qui était effrayant mais quelque chose d'autre qui s'y ajoutait... quelque chose dans la manière même dont K'tha-Jon traquait sa proie. Les balayages sonar du géant donnaient une telle impression de malveillance absolue qu'Akki devait lutter contre l'envie de se rouler en boule lorsqu'il les percevait.

Sans doute les gènes Sténo n'étaient-ils pas étrangers au tempérament irritable du bosco ainsi qu'à sa taille exceptionnelle mais ils ne pouvaient tout expliquer. Un élément radicalement autre avait dû être greffé en supplément chez K'tha-Jon. Un élément provenant d'une espèce terrible... une espèce à laquelle Akki, élevé sur Calafia, n'avait jamais eu affaire.

Le jeune midship fin longea au plus près le tertre corallien jusqu'à son extrémité septentrionale au-delà de laquelle il ne fit d'abord dépasser que la pointe phono sensible de sa mâchoire. Comme il ne percevait d'autre bruit que la rumeur naturelle de l'océan kithrupien, il se dressa sur sa queue pour procéder à un examen visuel. Irait-il vers l'ouest ou vers le nord ? Rejoindrait-il Hikahi ou Toshio ?

Le nord était préférable. En longeant l'archipel, il tomberait peut-être assez vite sur l'île où se trouvait le campement. Et il effectuerait l'essentiel de son trajet à couvert.

Il nagea donc de toutes ses forces pour parcourir les quatre kilomètres qui le séparaient du tertre suivant, puis il s'arrêta pour écouter. Rien n'avait changé. Avec une moins grande sensation d'oppression sur la poitrine, il traversa un second détroit, puis un troisième et ainsi de suite, tour à tour aux écoutes ou bondissant presque en surface pour accroître sa vitesse.

Une fois, il entendit sur sa droite un étrange et complexe concert de couinements et de cris rauques. Il s'immobilisa mais ne tarda pas à prendre conscience qu'il ne pouvait s'agir du bosco. Il fit alors un léger détour pour aller voir ce que c'était.

Entre deux eaux, il découvrit une formation dispersée de créatures presque sphériques avec leurs vésicules aériennes distendues encadrant un visage bleu vif. Elles étaient équipées d'instruments primitifs et traînaient derrière elles des filets bondés de poissons. À moins de tenir compte des quelques holos que Dennie Sudman et Sah'ot avaient transmises au vaisseau, c'était la première fois qu'Akki voyait les indigènes de Kithrup, les Kikwis. Il les observa, fasciné, puis nagea vers eux. Il avait cru être encore très au sud de l'île de Toshio mais ce groupe était le même...

À peine les chasseurs sous-marins l'eurent-ils aperçu qu'ils lâchèrent LEURS filets en poussant des cris de panique et se précipitèrent vers la paroi couverte de végétation d'une île voisine. Akki comprit alors que cette tribu-là ne pouvait être la bonne puisque, de toute évidence, ses membres n'avaient jamais vu de dauphins.

Toutefois, il était content de les avoir rencontrés. Il attendit de voir disparaître le dernier au sommet de la falaise puis reprit sa route vers le nord.

Mais lorsqu'il doubla l'extrémité septentrionale du tertre suivant, il sentit passer sur lui un pinceau sonore acéré comme le tranchant d'une lame.

Il crut presque en défaillir. Comment était-ce possible ? K'tha-Jon avait-il suivi une logique similaire à la sienne en ce qui concernait cet archipel ? Ou quelque instinct démoniaque lui avait-il dicté où trouver sa proie ?

Encore une fois passa sur lui ce cri quasi surnaturel qui, au cours de la nuit, avait franchi une étape supplémentaire dans l'horreur ; à son attaque perçante succédait à présent un decrescendo sinistre qui secouait Akki de frissons incoercibles.

Le cri retentit de nouveau, plus près, et le midship sut qu'il était inutile de vouloir se cacher. Ce hurlement saurait le débusquer de n'importe quelle faille, de n'importe quelle crevasse, et la panique finirait par s'emparer de lui. Il fallait absolument qu'il lui échappât tant qu'il avait encore un certain contrôle sur lui-même.

Keepiru

Le combat s'était amorcé dans les ténèbres précédant l'aube.

Quelques heures auparavant, Keepiru avait enfin compris que le traîneau de son poursuivant ne montrait en fait pas le moindre signe de fatigue. Le moteur avait beau hurler, il tiendrait le coup. Keepiru avait alors poussé les gaz de son propre engin largement dans le rouge mais trop tard. Peu de temps après, il avait entendu dans son sillage le gémissement d'une torpille à tête chercheuse. Aussitôt, il s'était mis à zigzaguer en lâchant du lest afin de se dissimuler derrière un nuage de bulles bruyantes.

La torpille l'avait dépassé pour se perdre dans l'ombre. Un hurlement de rage et de déception amplifié par les hydrophones avait fait rouler de longs échos par monts et par vaux sous-marins. Keepiru s'était d'ores et déjà parfaitement habitué aux obscénités primates de celui qui le prenait en chasse.

Il avait presque atteint le cordon de tertres de métal derrière lequel, deux ou trois heures plus tôt, les deux autres dauphins avaient disparu, nageant pratiquement l'un derrière l'autre. Dès qu'il avait été à portée de voix, Keepiru avait prêté la mâchoire aux lointains cris de chasse et le lancinant souvenir qu'ils avaient éveillé en lui, l'avait fait frémir. Bien qu'il n'eût pu se persuader d'y croire, il avait commencé à redouter le pire pour le jeune midship.

A présent, Keepiru avait ses propres problèmes. Il ne pouvait que souhaiter au Calafiain la chance de tenir le coup jusqu'à ce qu'il n'eût plus lui-même cet imbécile collé à sa caudale.

La couche supérieure des Ilots commençait à se teinter de lumière. Keepiru franchit le rebord du plateau abyssal, s'y enfonça, réduisit sa vitesse et attendit.

La minuscule torpille s'était refusée à exploser. Moki poussa un juron.

 

: Les dents, les dents sont :

;  sont :

:  Mieux, mieux que toutes :

:  Les choses ! :

 

Il balança la mâchoire de gauche à droite. Depuis longtemps, il s'était débranché des capteurs du traîneau et pilotait l'engin par pure habitude.

Où s'est-il planqué, ce petit malin ? Qu'il sorte de son trou et qu'on en finisse !

Moki était fatigué, d'une humeur exécrable et, surtout, il s'ennuyait au plus haut point. Jamais il ne se serait imaginé qu'il pût être si fastidieux d'être un Grand Mâle. Il aurait voulu retrouver cette rage, cette ardeur proche de l'orgasme qui l'avait soulevé au début de la poursuite. Il tentait de réveiller en lui la soif de carnage mais ne cessait de penser à des massacres de poissons au lieu tic se voir en train de tuer des dauphins.

Si seulement il avait pu rivaliser de sauvagerie avec ce qu'il avait perçu dans le cri de chasse de K'tha-Jon ! Moki n'éprouvait plus la moindre haine pour le terrifiant bosco. Il commençait à voir le géant comme une créature surnaturelle, comme la pure incarnation des forces du mal. Il allait tuer ce petit morveux de Tursiops et apporter sa tête à K'tha-Jon pour prouver au maître qu'il ferait un bon disciple. Puis, lui aussi deviendrait un esprit élémentaire, un spectre terrifiant que nul n'oserait jamais défier.

Au ras du fond pour tirer avantage des ombres soniques, Moki imprima au traîneau une trajectoire circulaire. Le Tursiops avait viré sur la gauche à grande vitesse ; sa courbe avait été nécessairement plus large que celle de Moki ; il suffisait donc d'en définir correctement l'arc sécant.

Cette poursuite avait commencé alors que Moki montait la garde auprès du vaisseau et, de ce fait, son engin était équipé de torpilles. Il était certain que le petit malin n'en avait pas, lui, et l'issue évidente de cette chasse fastidieuse lui arrachait des sifflements d'impatience.

Un bruit ! Il prit un virage si brusque qu'il s'en cogna le museau contre le plastique du dôme. Puis il fit bondir le traîneau vers la source du bruit tout en rechargeant le lance-torpilles. Avec celle-ci, c'en serait fini de son adversaire !

Une dénivellation brutale annonçait une large vallée océanique. Moki remplit ses caissons et se laissa sombrer au ras de la paroi. Puis il coupa les gaz et s'arrêta.

Des minutes passèrent, meublées par le vrombissement d'un moteur sur sa gauche, étouffé d'abord puis de plus en plus net. Un traîneau se rapprochait, lui aussi collé contre la falaise, mais plus bas.

Soudain, Moki aperçut l'engin juste au-dessous de lui ! Il aurait pu tirer... mais c'était trop facile ! Non, il fallait que le petit morveux pût entendre sa mort s'abattre sur lui par-derrière, trop près pour qu'il eût la moindre chance d'y échapper ! Il fallait que la panique lui déchirât l'esprit avant que la torpille ne fit la même chose de son corps !

Le traîneau de Moki se ranima et fondit sur la proie. Jamais celle-ci n'aurait le temps de faire demi-tour ! Moki entonna un chant de victoire.

 

: Oui, oui, lu bande a :

:  a :

:  Un Grand Mâle... :

 

L'hymne s'étrangla dans son évent. Pourquoi le petit morveux ne fuyait-il pas ?

Jusqu'alors, Moki s'était entièrement reposé sur des informations provenant de son système acoustique. Pour la première fois, il consentit à jeter un œil sur sa future victime.

Le traîneau était vide ! Il longeait lentement la falaise en pilotage automatique. Mais alors, où... ?

 

: L'ouïe fine d'un chasseur :

: Peut faire un bon Grand Mâle Mais l'œil :

: Et le cerveau :

: l'ont seuls un spatio-fin :

 

La voix était au-dessus de lui ! Moki poussa un cri et tenta de redresser son traîneau tout en lançant une torpille. Le moteur hurla son désespoir puis se réfugia dans la mort et les soubresauts de son agonie gagnèrent la prise neurale de Moki à l'instant même où celui-ci découvrait à deux mètres au-dessus de lui un Tursiops lisse et gris dont les dents blanches accrochaient la lumière de la surface.

 

: Et les idiots :

: Ne font jamais :

: Que des cadavres :

 

Un dernier cri jaillit de l'évent de Moki alors que, sur le harnais du pilote, la gueule noire du chalumeau cédait la place à l'éclatante brillance bleue d'un rayon laser.

Tom Orley

Mais d'où sortaient tous ces Galactiques ?

Dissimulé derrière une petite éminence végétale, Tom Orley observait les divers groupes d'extraterrestres qui se détachaient sur l'horizon. Il pouvait en compter au moins trois qui, venus de secteurs différents, convergeaient tous vers l'épave ovoïde.

Près d'un kilomètre et demi le séparait maintenant du volcan qui continuait de gronder. Il avait quitté les débris du patrouilleur thennanin à l'aube en laissant une gamelle de sa précieuse eau douce à portée des lèvres du pilote pour le cas où celui-ci s'éveillerait une dernière fois.

Après avoir vu les Tandus, Tom avait décidé de ne pas attendre une minute de plus pour essayer ses nouvelles sandales sur la surface inégale et glissante du marais. L'évasement de ces sortes de raquettes lui avait permis de marcher— d'un pas mesuré, certes, mais sans trop de problèmes — sur ce tapis d'herbe et de vase.

Tout d'abord, il s'était déplacé beaucoup plus vite que les Tandus mais ces derniers n'avaient pas tardé à changer de technique. Ils avaient cessé de patauger dans la gadoue et progressaient maintenant à vive allure. Tom s'était alors mis à couvert, inquiet de ce qui aurait pu se produire s'ils l'avaient aperçu.

Or, à présent, voilà que d'autres groupes s'en mêlaient, l'un venait d'apparaître au sud-ouest et l'autre à l'ouest. Tom ne pouvait encore les distinguer nettement, ce n'étaient que des points qui avançaient avec lenteur et difficulté dans le moutonnement de l'horizon. Mais, bordel, d'où pouvaient-ils bien venir ?

Les Tandus avaient une nette avance. Ils étaient pour le moins huit ou neuf et marchaient toujours en file indienne. Chaque créature écartait au maximum ses trois paires de jambes. Dans le berceau de leurs bras, ils portaient des instruments luisants qui ne pouvaient être que des armes. Leur allure ne s'était pas ralentie, bien au contraire.

Tom se demandait quelle nouvelle tactique ils avaient bien pu adopter. Il remarqua que le Tandu de tête ne portait pas d'arme mais s'occupait exclusivement de tenir en laisse la créature poilue et avachie qui précédait la colonne. Il se penchait d'ailleurs régulièrement sur elle comme pour l'encourager à poursuivre sa tâche.

Tom risqua plus d'un œil au-dessus du monticule.

— Bon sang !

Le tas de fourrure animé créait de la terre ferme — ou du moins quelque chose de solide — sous forme d'une chaussée qui se matérialisait devant lui ! Au point d'attaque et de part et d'autre de ce ruban, on percevait un faible miroitement là où la réalité semblait lutter contre cette pernicieuse intrusion.

Un Episiarche ! Tom en oublia momentanément sa fâcheuse situation, tout heureux d'assister à un spectacle aussi rare.

Alors qu'il regardait, la digue s'interrompit en un point. Les deux lignes de lumière qui l'encadraient se rejoignirent avec un grand bruit et le Tandu qui était à cet endroit se mit à battre des jambes et des bras tandis qu'il s'effondrait dans les herbes. En se débattant, il ne fit que déchirer le tapis végétal et agrandir le trou dans lequel il finit par sombrer comme une pierre.

Pas un de ses congénères ne parut y prêter garde. Les deux qui suivaient sautèrent par-dessus l'arche de lumière jusqu'au « terrain » solide qui s'étendait toujours au-delà. Le groupe, réduit d'une unité, poursuivit sa progression vers l'épave.

Tom secoua la tête. Il fallait qu'il l'atteigne avant ! Il ne pouvait pas se permettre d'y être précédé par les Tandus.

Pourtant, s'il faisait quoi que ce fût, même reprendre sa marche, ils ne manqueraient pas de le repérer. Aucun humain n'avait jamais survécu longtemps après avoir sous-estimé un Tandu.

À contrecœur, il défit les brides de ses raquettes et les abandonna pour ramper prudemment jusqu'au bord d'un bassin qui s'ouvrait dans les herbes.

Il se mit alors à compter avec lenteur en attendant de pouvoir entendre l'approche des Galactiques. En même temps, il répéta dans sa tête l'enchaînement des mouvements qu'il allait faire.

Puis il prit plusieurs inspirations profondes, remit son masque et s'assura qu'il était en ordre de marche et que la vase n'avait pas obstrué les ailettes. Ensuite, il tira son pistolet du holster et en tint la crosse à deux mains.

Il se cala les pieds sur deux touffes solides et vérifia son équilibre. Le bassin était juste devant lui.

Il ferma les yeux, guette le bruissement des nageoires Du requin tigré.

Et il localisa son empathie sur les puissantes émissions métapsychiques de la créature extraterrestre qui, à présent, n'était plus qu'à environ quatre-vingts mètres.

— Gillian... dit-il en un soupir.

Puis, d'un geste tout de souplesse et de soudaineté, il se redressa et tendit l'arme à bout de bras. Ses yeux s'ouvrirent et il tira.

Toshio

Contre l'avis de Toshio, ils avaient hissé la chaloupe au sommet de l'île, vidant du même coup ses batteries. Pourtant, il leur avait proposé d'élargir à coups d'explosifs l'entrée de la caverne située sous le tertre mais Takkata-Jim avait accueilli cette suggestion avec un froid mépris.

Le résultat, c'est que depuis deux heures, lui. Toshio, s'échinait à camoufler l'appareil sous un tas de feuillage sans même être sûr que ce serait efficace si les Galactiques cessaient de se battre et s'intéressaient de plus près à la surface de la planète.

Metz et Dart étaient censés l'aider. Toshio avait commencé par leur donner la tâche de couper des branches mais il s'était bien vite aperçu qu'il fallait tout leur dire et être constamment derrière eux. Dart supportait visiblement très mal d'être commandé par un midship qui, quelques jours auparavant, se pliait encore à ses moindres caprices. Son seul désir était manifestement de retrouver le sac qu'il avait impatiemment déposé au bord du bassin avant de se trouver enrôlé dans les mêmes corvées que tout le monde. Metz avait montré plus de bonne volonté mais il avait une telle envie d'en finir au plus vite afin de pouvoir parler avec Dennie que sa distraction le rendait pire que simplement inefficace.

Tant et si bien que Toshio se débarrassa d'eux et termina seul le travail.

Enfin, le petit astronef fut à couvert et le midship se laissa tomber au pied d'un arbre à huile au tronc duquel il s'adossa.

Qu'il aille au diable, ce Takkata-Jim ! Toshio et Dennie étaient censés s'assurer de la sécurité du campement et informer Metz, de ce qu'ils avaient appris sur les Kikwis avant de grimper sur leur traîneau et de ficher le camp d'ici. Gillian avait prévu leur départ pour dans quelques heures et rien, ou presque, n'était encore fait !

Par-dessus le marché, le Streaker ne l'avait pas averti plus d'une heure à l'avance qu'il devait probablement s'attendre à trouver un passager clandestin dans la chaloupe. Gillian avait toutefois décidé de ne pas faire arrêter Charlie pour désobéissance aux ordres bien qu'il parût avoir dérobé du matériel dans une bonne douzaine de laboratoires du vaisseau. Toshio était content que cette corvée supplémentaire lui eût été épargnée. Il ne voyait pas très bien ce qui, sur l'île, aurait pu faire une prison.

Sur sa gauche, il perçut un bruissement de feuilles suivi d'une série de gémissements mécaniques qui s'accompagnèrent d'un bruit de branches brisées. Puis quatre araignées enjambèrent les buissons pour pénétrer dans la petite clairière. Dans la nacelle de chaque appareil, il y avait un Sténo qui le manœuvrait par l'intermédiaire de sa prise neurale. Toshio se leva à leur approche.

Takkata-Jim passa devant lui et, sans rien dire, le regarda d'un œil froid. Les trois autres araignées traversèrent la clairière dans le sillage de leur chef et s'enfoncèrent de nouveau dans la forêt en se lançant des trilles de ternaire argotique.

— Pour Takkata-Jim, je ne sais pas, mais ces fen qui sont avec lui sont encore plus cinglés que les nicheurs des môles d'Atlasl, se dit-il à voix basse en secouant la tête d'un air désabusé.

Il avait connu quelques soi-disant Sténo sur Calafia. Certains lui étaient apparus pour le moins bizarres, avec un mélange complexe de côtés positifs et négatifs comme c'était le cas pour Sah'ot. Mais aucun n'avait jamais eu cette lueur démente que l'on surprenait dans le regard des fen qui avaient accompagné l'ex-second dans son exil.

Alors que les bruits du cortège mécanique s'estompaient dans les lointains, Toshio se demanda pourquoi Gillian avait laissé partir Takkata-Jim. N'aurait-il pas été plus simple de les jeter, lui et sa clique, à fond de cale et d'en finir avec tout ça ?

D'accord, ce n'était pas une mauvaise idée que de laisser une équipe tenter de fausser compagnie aux Galactiques à bord de la chaloupe pour le cas où le Streaker serait abattu en essayant de s'échapper. Et Gillian n'avait probablement pas voulu se séparer des quelques fen de confiance qui étaient restés à bord du vaisseau. Cependant...

Il tourna ses pas vers le village Kikwi et continua de réfléchir en marchant.

Bien sûr, dépouillée comme l'était à présent la chaloupe, Takkata-Jim ne serait théoriquement pas en mesure de contacter les Galactiques quand bien même cette idée lui viendrait. Et Toshio ne pouvait imaginer pourquoi le second voudrait faire une telle chose.

Mais que se passerait-il s'il avait une raison de le faire ? Et s'il en trouvait le moyen ?

Il était si profondément absorbé dans ses pensées qu'il faillit se cogner contre un arbre. Il leva les yeux et reprit la bonne route.

Il faut que j'en aie le cœur net, se dit-il. Ce soir même, je dois me débrouiller pour savoir s'il peut être une source d'ennuis.

Ce soir.

Un espace dégagé s'ouvrait au centre du village et les adultes de la tribu s'y étaient accroupis en cercle. Participaient à la conférence, Ignacio Metz et Dennie Sudman assis juste en face de la Mère du Nid dont les vésicules aériennes aux brillantes rayures vertes et rouges étaient gonflées il l'extrême. Les doyens du village l'encadraient, masse ondulante et soufflante qui, sous les rayons du soleil filtrant au travers du feuillage, évoquait un chapelet de ballons bariolés.

Toshio s'immobilisa sur le bord de la clairière et contempla ce conclave multiracial.

La Mère du Nid ne cessait de jacasser en agitant les mains de haut en bas ce qui, selon Dennie, connotait une joyeuse emphase. La vieille Kikwie eût-elle souligné son discours par des gestes en diagonale qu'elle eût ainsi manifesté sa colère. C'était une structure expressive d'une clarté sereine. Le reste de la tribu répétait les sons qu'elle émettait, prenant de temps à autre un peu d'avance sur elle dans les montées ou les descentes de ce chant d'acquiescement.

Ignacio Metz hochait la tête avec enthousiasme, la main plaquée sur l'écouteur qui lui transmettait la traduction simultanée que l'ordinateur faisait de l'hymne. Lorsque ce dernier se termina, il prononça quelques mots dans un micro et une longue série de couinements répétitifs suraigus sortit du haut-parleur de la machine.

Quant à Dennie, son soulagement crevait les yeux. Elle avait redouté cette première rencontre entre l'expert en Élévation et les Kikwis mais, apparemment, Metz n'avait rien fait qui réduisît à néant les patientes négociations qu'elle avait menées avec les pré-cognitifs. La réunion semblait même aboutir à une conclusion des plus satisfaisantes.

Elle s'aperçut de la présence de Toshio et lui lança un large sourire. Sans cérémonie, elle se leva et quitta le cercle. Puis elle se précipita vers l'orée de la forêt où il attendait.

— Comment ça se passe ? lui demanda-t-il.

— À merveille ! Il se trouve qu'il a lu en détail tous les rapports que j'ai fait parvenir au vaisseau ! Il a parfaitement assimilé leur protocole de groupe, il sait distinguer leur Age et leur sexe selon leurs caractéristiques physiques, et il estime que mon analyse de comportement était exemplaire ! Exemplaire ! Tu le rends compte ? (Toshio sourit, heureux de la voir heureuse.) Il parle même de me trouver une place au Centre de l'Elévation !

Elle était si excitée qu'elle ne pouvait s'empêcher de sautiller sur place.

— Et pour le contrat ?

— Ils sont d'accord. Nous en ramènerons une douzaine à bord du Streaker si Hikahi passe nous prendre avec le canot et, de toute manière, quelques-uns accompagneront Metz lorsqu'il retournera sur la Terre avec la chaloupe. Nous avons tout arrangé.

Toshio jeta un regard sur la joyeuse assemblée des aborigènes et tenta de ne rien laisser paraître de ses inquiétudes.

Evidemment, c'était pour le bien des Kikwis en tant qu'espèce. Leur sort serait nettement plus enviable s'ils étaient sous le patronage de l'humanité que sous celui de presque toutes les races qui voyageaient dans l'espace. Et il était indispensable que des échantillons vivants fussent soumis à l'examen des généticiens de la Terre avant que toute forme de demande d'adoption ne pût être déposée.

Il ne doutait pas non plus du sérieux avec lequel on veillerait sur la santé de ce premier groupe de pré cognitifs. Dennie avait consacré la moitié de son enquête A définir les besoins de leur organisme, jusqu'aux éléments qui leur étaient nécessaires à l'état de traces. Il restait cependant peu probable que les membres de ce premier groupe eussent une chance de survivre. Et même si ce miracle devait se produire, Toshio se demandait s'ils avaient quelque notion de l'étrangeté du monde vers lequel ils étaient sur le point de s'embarquer.

Ce ne sont pas encore des cognitifs, se remit-il en tête. Au regard des lois galactiques, ils ne sont pas différents des animaux. Et contrairement à tout un chacun dans les Cinq Galaxies, nous allons pour le moins tenter de leur expliquer ce que nous voulons faire d'eux et leur en demander la permission.

Mais il n'en oubliait pas pour autant cette nuit d'orage où, sous une pluie battante et dans le flamboiement des éclairs, les petits amphibiens s'étaient serrés contre lui et contre sa compagne delphinienne pour les tenir au chaud et leur apporter le réconfort de leur présence.

Il détourna les yeux de la clairière baignée de soleil.

— Donc, plus rien ne te retient ici ? demanda-t-il il Dennie.

Elle fit non de la tête.

— Pourtant, j'aurais aimé rester un petit peu plus longtemps. Maintenant que j'ai terminé mon travail sur les Kikwis, j'aurais pu me consacrer entièrement au problème du tertre de métal. Tu vois, c'est pour ça que j'étais si grognonne il y a quelques jours. En dehors du fait que j'étais crevée d'avoir à mener de front deux boulots d'égale importance, il y avait aussi la frustration. Mais à présent, nous avons encore fait un pas vers la solution du mystère. Est-ce que tu savais que le noyau du tertre de métal est toujours vivant ? C'est...

Toshio dut interrompre ce flot de paroles.

— Dennie ! Cesse une minute de t'emballer sur ce sujet, je te prie, et réponds à ma question. Es-tu prête à partir ?

Elle battit des paupières et ses pensées s'orientèrent dans un autre sens. Il vit un pli soucieux s'inscrire sur son front.

— Le Streaker a appelé ? Quelque chose qui ne va pas ?

— Non. Ils m'ont simplement dit qu'ils étaient en route depuis quelques heures. Ce que je veux, c'est que tu rassembles tes notes et tes échantillons puis que tu les ranges à l'abri dans ton traîneau. Toi et Sah'ot, vous partez demain matin.

Elle le regarda comme si les mots qu'il venait de prononcer avaient du mal à pénétrer sa conscience.

— Tu veux dire toi, moi et Sah'ot, n'est-ce pas ?

— Non. Je reste encore un jour de plus. Il le faut.

— Mais pourquoi ?

— Ecoute, Dennie, je ne puis en dire plus maintenant. Fais simplement ce que je te demande. S'il te plaît.

Alors qu'il s'apprêtait à retourner vers le bassin de l'arbre foreur, elle le retint par le bras. Comme il ne s'arrêtait pas, elle le suivit.

— Mais nous devions partir ensemble. Si tu as des choses à faire ici, je vais rester pour l'attendre !

Il continua de marcher sans répondre, incapable de trouver quelque chose à lui dire. Le fait de gagner enfin son respect et son affection alors qu'il allait la perdre dans quelques heures le remplissait d'amertume.

Si c'est ça, grandir, songea-t-il, qu'ils se le gardent.

Alors qu'ils approchaient du bassin, les échos d'une violente dispute leur parvinrent. Toshio pressa le pas et Dennie courut presque pour rester à sa hauteur jusqu'au moment où ils finirent par déboucher dans la clairière.

Charles Dart braillait en s'accrochant à un cylindre mince sur l'autre extrémité duquel le bras manipulateur de l'araignée de Takkata-Jim avait refermé sa pince. Tandis que Charlie luttait de toutes ses forces contre la traction de la machine, l'ex-second du Streaker arborait un large sourire.

Cette lutte à la jarretière dura encore quelques secondes car les muscles du néo-chimp n'étaient pas dénués de puissance mais, soudain, le cylindre lui échappa des mains. Il tomba à la renverse, roula dans la poussière et s'arrêta de justesse au bord du bassin. Puis il se releva d'un bond et exhala sa colère dans des hurlements perçants.

Les trois autres araignées que conduisaient les Sténo marchaient à la queue leu leu vers la chaloupe, chacune tenant dans ses pinces un exemplaire de ces longilignes cylindres. Lorsque Toshio fut assez près pour distinguer nettement celui dont Takkata-Jim s'était emparé, il se figea sur place et ses yeux s'écarquillèrent.

— Elles ne présentent plus le moindre danger, lui dit Takkata-Jim sur un ton des plus insouciants. Je les lui ai confisquées et je vais les garder à bord de sorte qu'elles restent inoffensives.

— C'est à moi, voleur ! s'écria Dart en faisant des sauts de carpe. Espèce de criminel ! Vous croyez peut-être que je ne suis pas au courant de cette tentative d'assassinat sur la personne de Creideiki ? Tout le monde le sait ! Et vous avez détruit les bouées afin d'en effacer la preuve ! Et maintenant vous venez me voler mes outils de travail !

— Que vous avez vous-même dérobés dans la soute du Streaker, sans nul doute. Mais peut-être préférez-vous que j'appelle le docteur Baskin pour qu'elle confirme que ccs « outils » sont bien à vous ?

Charlie gronda en montrant ses deux impressionnantes rangées de dents jaunes puis il tourna le dos au néo-dauphin et alla s'asseoir à même le sol devant un complexe robot de plongée que l'on venait de déballer sur le bord du bassin.

L'araignée de Takkata-Jim amorçait un demi-tour lorsque le fin remarqua le regard que Toshio posait sur lui. L'espace d'un instant, la froide réserve du lieutenant céda sous la féroce détermination qui se lisait dans les yeux du midship. Il détourna la tête puis manœuvra son engin pour faire de nouveau face à Toshio.

— Ne croyez pas tout ce que l'on raconte, jeune humain. Il est des choses que j'ai faites, et que je referais car je suis convaincu d'avoir raison. Mais ce n'est pas moi qui suis responsable de l'accident de Creideiki.

— Avez-vous vraiment détruit les bouées ?

Derrière lui, Toshio sentait la présence silencieuse de Dennie, qui, elle aussi, regardait fixement le grand dauphin.

— Oui, mais ce n'est pas moi qui les ai sabotées. Tout comme Henri II à propos de Thomasss Beckett-t, je puis affirmer que je ne l'ai su qu'après. Dites-le à ceux de la Terre si, par quelque bizarrerie du destin, vous parveniez à vous échapper et qu'il n'en soit pas de même pour moi. Dites-leur qu'un autre a pris l'initiative de précipiter les choses.

— Oui, alors ? fit Toshio, les poings serrés.

Un long soupir s'échappa de l'évent de Takkata-Jim.

— Notre cher professeur Metz a réussi à extorquer de la Haute Autorité l'affectation d'individus qui n'auraient jamais dû participer à ce voyage. Vous comprenez, il était impatient de les tester. Mais quelques-uns de ses Sténo ont... comment dire ?... un arbre généalogique passablement inhabituel.

Les Sténo...

— Quelques Sténo ! Je ne suis pas une expérience de Metz, moi ! Je suis un officier de l'astronavale. Ma présence à bord de ce vaisseau n'est due qu'à mon seul mérite. (Il avait dit cela sur un ton de défi.) Lorsque la tension s'est accrue jusqu'à son point de rupture, certains d'entre eux se sont tournés vers moi. J'ai cru pouvoir les contrôler. Mais il en est un qui s'est révélé au-delà de mes compétences de meneur de fen. Dites-leur si vous rentrez chez, vous, Toshio Iwashika. Dites-leur bien qu'il est possible d'obtenir des monstres en manipulant les gènes delphiniens. Il faut qu'ils en soient avertis.

Puis il resta un long moment le regard posé sur le jeune midship avant de faire pivoter son araignée pour rejoindre son équipage auprès de la chaloupe.

— C'est un menteur ! murmura Dennie une fois qu'il se fut éloigné. Il donne l'impression d'être rationnel et logique mais, rien qu'à l'écouter, j'en ai des frissons.

Toshio suivit des yeux l'araignée jusqu'à ce qu'elle eût disparu au détour du sentier.

— Non, dit-il. C'est un ambitieux et il se peut aussi qu'il soit fou. Il y a de fortes chances pour que ce soit également un traître. Mais, je ne sais pourquoi, j'ai la conviction que tout ce qu'il a dit n'était que la stricte vérité. Peut-être cette franchise ostentatoire est-elle la dernière chose à laquelle il puisse se raccrocher pour garder sa fierté. (Puis il se tourna et secoua tristement la tête.) Ce qui, d'ailleurs, ne le rend pas moins dangereux.

Il s'approcha de Charles Dart qui l'accueillit avec un sourire affable. Puis il s'accroupit près du planétologiste chimp.

Professeur Dart, quelle était leur puissance ?

La puissance de quoi, Toshio ? Vous avez vu ce nouveau robot ? Je l'ai fait faire spécialement. Il peut plonger directement au fond du puits et creuser latéralement jusqu'à ces grosses veines de magma que nous avons détectées...

— Quelle était leur puissance, Charlie ? répéta Toshio qui n'avait pas l'air de rigoler et semblait même prêt à étrangler le chimpanzé. Dites-le-moi !

Dart lança au midship un regard furtif avant de paraître s'absorber dans la contemplation des eaux du bassin.

— Juste de l'ordre de la kilotonne, soupira-t-il. À peine assez puissantes pour provoquer des ondes sismiques décentes, croyez-moi. (Et il leva sur Toshio de grands yeux bruns pleins d'innocence.) Sincèrement, ce n'étaient que de toutes petites bombes, de minuscules bombes A.

Hikahi

La nécessité de progresser en silence l'obligeait à conduire le canot à une vitesse à peine supérieure à celle d'un traîneau. C'était rageant.

Coupée de tout contact avec quiconque depuis plus d'une journée, Hikahi examinait le paysage sous-marin qui défilait autour d'elle pour éviter autant que possible de penser au sort du Streaker et de Creideiki. Tôt ou tard, elle finirait par savoir ce qui s'était passé. Jusque- là, elle n'avait rien à gagner à se faire du souci.

La lumière matinale commençait de filtrer jusque dans les profondeurs de la vallée qu'elle venait d'emprunter, infléchissant ainsi sa course de l'est vers le nord. Des paquets d'algues dérivaient à l'aplomb du canot tandis que des poissons au dos cuivré faisaient de temps à autre une brève apparition sur ses flancs pour être ensuite engloutis dans les ténèbres de son sillage.

Tout à l'heure, elle avait entr'aperçu quelque chose de long et de sinueux qui s'était vite glissé dans une grotte sous-marine à son approche. Elle n'avait pas eu le temps de s'arrêter mais se félicitait d'avoir eu la présence d'esprit de prendre une photo du monstre au passage.

Que vais-je faire si je ne trouve qu'une épave à la place du Streaker ? songea-t-elle en dépit de ses bonnes résolutions.

Je retournerai jusqu'au croiseur thennanin dans un premier temps. On a besoin de moi, là-bas. Mais rester caché au fond de l'océan ne saurait être une solution à long terme. Surtout pas sur ce monde vénéneux. Or, ce sera moi le commandant, et il faudra bien que je prenne une décision.

Serai-je capable de me forcer à négocier notre reddition ?

Si oui, elle ne laisserait quand même pas les Galactiques s'emparer de sa personne. Elle était en effet l'une des rares à pouvoir, avec les coordonnées correctes, programmer une course retour vers la flotte abandonnée.

Peut-être veillerai-je d'abord à ce que l'équipage soit incarcéré dans des conditions acceptables puis tenterai- je de m'évader avec le canot, se dit-elle. Non que le canot soit en mesure de me ramener à la Terre, quand bien même parviendrait-il à forcer le blocus, mais il faut tout tenter pour informer la Terragens de ce qui se passe ici. Peut-être trouvera-t-on un moyen de punir ces fanatiques... de leur faire payer si cher cette tentative d'intimidation qu'à l'avenir ils y réfléchiront à deux fois avant de marcher sur les plates-bandes des Terriens.

Elle avait néanmoins conscience de se bercer d'illusions. Les humains et leurs clients risquaient d'attendre encore quelques siècles avant d'acquérir — peut-être — un tel pouvoir.

Hikahi se fit tout ouïe. Il y avait un bruit...

Elle monta le son des hydrophones. Des filtres en effaçaient tout bruit de fond tel que le vrombissement des moteurs et l'incessant murmure des flots. Elle perçut les mouvements feutrés des créatures marines.

— Ordinateur ! Filtrage sur la réception cétacé.

Les sons se modifièrent puis le silence parut tomber sur la mer. On continuait cependant de distinguer quelque chose.

— Amplification !

Le niveau sonore augmenta. Par-dessus le sifflement parasite, elle entendit, faibles mais parfaitement reconnaissables, les cris de dauphins qui nageaient ! Certains bruits étaient également ceux d'un combat désespéré.

Captait-elle l'écho de la débandade des quelques survivants d'un désastre ? Que faire ? Elle aurait voulu se précipiter au secours des fen en détresse. Mais qui les poursuivait ?

— Bruits de machines ! ordonna-t-elle. Mais, sur la console de détection, un voyant rouge clignota, révélant leur absence dans le rayon de portée des capteurs.

Ces dauphins n'avaient donc pas de traîneaux.

Déciderait-elle d'aller à leur rescousse qu'elle mettrait en péril le dernier espoir de ceux qu'elle avait laissés au Cheval Marin. Devait-elle contourner les fugitifs et se dépêcher d'atteindre le Streaker comme prévu ? C'était un atroce dilemme.

Hikahi réduisit sa vitesse pour faire encore moins de bruit et mit cap plein nord sur la source des cris.

Charles Dart

Il attendit que tout le monde fût parti pour dévisser le dos de son nouveau robot et vérifier son contenu. Oui, c'était toujours là. Bien à l'abri. Parfait, se dit-il. J'avais espéré faire une contre-expérience mais une bombe devrait suffire.

Streaker

EXTRAIT DU JOURNAL DE GILLIAN BASKIN

Nous sommes en roule. Tout le monde à bord semble soulagé de bouger enfin.

Tard dans la soirée d'hier, ses sur-compresseurs tournant à peine au ralenti, le Streaker a décollé du fond de l'océan. Je suis resiée sur la passerelle, un œil sur les indicateurs de contrainte et l'autre sur les écrans où s'affichaient les rapports des fen qui surveillaient les choses de l'extérieur, jusqu'à ce que nous ayons tous eu la certitude que le vaisseau était en parfait élut, à vrai dire, il nous a même donné l'impression d'être aussi pressé que nous départir.

Emerson et l'équipe de la salle des machines peuvent être fiers du boulot qu'ils ont fait quoique évidemment rien n'eût été possible sans les bobines récupérées par Tom et Tsh't. De toute façon, le Streaker ronronne de nouveau comme un vrai vaisseau spatial.

Nous filons plein sud et déroulons dans notre sillage un mono fil qui nous permet de rester en contact avec l'île. Nous avons également laissé un message à Hikahi comme prévu.

J'espère qu'elle va se dépêcher de refaire surface. Je n'aurais jamais cru qu'il fût si compliqué d'être commandant. Je suis obligée de vérifier moi-même si tout est fait dans l'ordre et correctement, et ce le plus discrètement possible de sorte que les fen n'aient pus le sentiment d'avoir tout le temps « la vieille » sur le dos. Cela me fait parfois regretter de ne pas avoir bénéficié de cette formation militaire que Tom a eue pendant que je faisais ma médecine.

Dans moins de trente heures, nous aurons atteint l'épave thennanin. Suessi m'a promis qu'on viendrait à notre rencontre. En intendant, j'ai fait sortir des éclaireurs et Wattacéti fait la roule au-dessus de nous avec un traîneau de détection. Selon ses instruments, nos fuites sont très faibles et, compte tenu de notre profondeur, nous ne devrions plus rien craindre.

Je donnerais bien une année de salaire pour avoir à mes côtés Hikahi, Tsh't ou même Keepiru. Auparavant, je n'avais jamais vraiment compris pourquoi un capitaine fait tant de cas d'un bon second.

A propos de capitaines, le nôtre est une merveille.

Après avoir quitté l'infirmerie, Creideiki avait paru vivre dans une sorte de brouillard. Mais la longue conversation qu'il ait eue avec Sah'ot semble avoir réveillé toutes ses facultés. J'ignore ce que Sah'ot a fait mais je n'aurais jamais imaginé qu'une personne aussi gravement handicapée que Creideiki pût être dotée d'une telle énergie et se montrer si utile.

Lorsque nous avons appareillé, il a demandé la permission de superviser les éclaireurs et les flancs gardes. Je désespérais justement de trouver un fin de confiance qui pût prendre la responsabilité des opérations extérieures et je me suis dit que ce pourrait être bon pour le moral qu'il fût visible. Et, de fait, même les Sténo étaient tout excités de le savoir avec eux. Leur dernière amertume au sujet de mon « coup d'État » — et de l'exil de Takkata-Jim — semblait s'être dissipée.

Creideiki est limité dans son expression aux plus élémentaires appels ternaires mais cela semble suffire. Pour l'instant, il est dehors, allant avec son traîneau d'un fin à l'autre pour attirer leur attention sur quelque chose, les bousculer du museau ou leur montrer l'exemple. Quelques heures seulement nous séparent du rendez-vous prévu entre Tsh't et les éclaireurs. Je pourrai alors dire à Creideiki de rentrer.

Depuis que je suis de retour dans mon labo, un petit voyant ne cesse de clignoter sur ma console. C'est cette dingue de Niss. Et j'ai décidé de la laisser poireauter.

Tom ne serait pus d'accord, je le sais. Mais l'énergie d'une fem a ses limites, et il faut que je dorme. De toute manière, si c'était urgent, cette maudite machine aurait déjà trouvé le moyen de parler.

Oh, Tom, nous aurions bien besoin de ton endurance à présent. Es-tu sur le chemin du retour ? Ton petit planeur vole-t-il à l'heure où j'écris ces mots vers l'île de Toshio ?

Qui suis-je en train de vouloir tromper ? Depuis la première psi-bombe, nous n'avons plus rien détecté si ce n'est l'écho des combats, dont certains, hélas, à l'emplacement même de sa dernière position connue. Il n 'a pas fait exploser une seule de ses bombes à messages. Donc, soit il n'a pas voulu nous donner un signal ambigu, soit... le pire est à craindre.

Et si Tom reste muet, comment nous résoudre à faire quoi que ce soit une fois que nous nous serons glissés dans le Cheval Marin ? Devrons-nous décoller et tenter notre chance ou rester cachés aussi longtemps que possible dans cette coque évidée ?

C'est cette décision qu'Hikahi devra prendre le moment venu.

Gillian referma le Journal et appliqua l'empreinte de son pouce sur le système d'autodestruction. Puis elle se leva et éteignit la lumière.

En sortant du labo, elle passa devant le cercueil de stase de cet ancien cadavre qui avait exigé un tel prix pour être exhumé des Syrtes. Herbie continua tranquillement de sourire sous son petit spot. Immémoriale énigme. Mystère.

Fauteur de troubles.

Cabossé, marqué par les cicatrices de la bataille, le Streaker suivait lentement le fond de la vallée sous- marine dans le doux ronron de ses moteurs à la puissance contenue. Il paraissait porté par la brume écu- mante de la vase soulevée par ses compresseurs.

Il glissait par-dessus les ténèbres des sillons et des abîmes, longeant le versant des vallées, contournant de temps à autre un monticule. De minuscules traîneaux évoluaient sur ses flancs et le guidaient par sonar vox.

Creideiki contemplait son vaisseau enfin sorti de l'immobilité. Il écoutait les rapports laconiques des éclaireurs et des sentinelles, les réponses que leur donnait le personnel de la passerelle. Il ne pouvait saisir le détail de ces messages, leur jargon technique hautement sophistiqué lui étant à présent inaccessible, mais il en devinait le sens général et comprenait que l'équipage avait les choses bien en main.

Dans cette pénombre diffuse et bleutée, il ne pouvait réellement voir le Streaker mais il l'écoutait, le caressant avec douceur de son propre sonar et savourant le grondement assourdi des moteurs tout en s'imaginant à son bord lorsqu'il prendrait son envol.

 

: Plus Jamais Creideiki :

: Plus Jamais Tu Ne Seras À Son Bord Lorsqu'il Prendra Son Essor :

 

Le spectre, K-K-Kph-kree, se matérialisa progressivement à ses côtés, fantomatique silhouette d'ombres argentées et soniques. La présence du dieu ne causa ni surprise ni même la moindre gêne à Creideiki. Il s'était attendu à le voir apparaître. L'être nageait avec nonchalance, se maintenant sans difficulté à la hauteur du traîneau.

 

: Tu Nous As Échappé :

: Toutefois C'est À Dessein Que Maintenant Tu Me Sculptes Hors Du Chant :

: Est-Ce En Raison Des Voix Anciennes Que Tu As Entendues ? :

:  Les Voix D'En Dessous?:

: Oui :

 

Creideiki ne pensait plus en anglique ni en ternaire mais dans cette nouvelle langue qu'il avait apprise.

 

: Il Est Une Ancienne Colère Au Sein De Ce Monde :

: J'Ai Entendu Son Chant :

 

Le vaste front du dieu-songe se constella d'étincelles. Son étroite mâchoire s'abaissa. Ses dents brillèrent.

 

: Et Que Comptes-Tu Faire ? :

Creideiki sentit que l'être connaissait déjà sa réponse.

 

: Mon Devoir :

: Qu'Ai-Je Jamais Pu Faire D'Autre ? :

 

Des profondeurs du Songe Cétacé, K-K-Kph-krec émit un soupir approbateur.

Creideiki monta le son des hydrophones. On percevait des cris excités à bonne distance en avant du vaisseau — l'éclat lointain de joyeuses retrouvailles.

Creideiki jeta un œil sur l'écran sonar de son traîneau. Un petit groupe de points venait d'apparaître sur ses franges et s'avançait à la rencontre des taches qui représentaient les éclaireurs du Streaker. Cet amas ne pouvait être que l'équipe commandée par Tsh't.

Après s'être assuré qu'il n'y avait personne à proximité pour remarquer sa manœuvre, Creideiki engagea son traîneau dans une petite gorge latérale. Fuis il se glissa dans l'ombre d'une corniche et coupa son moteur. Il attendit alors et, de son perchoir, vit passer le Streaker qui, avec le dernier de ses flancs gardes, disparut dans un tournant de la longue vallée.

— Au... revoir... (Il se concentrait sur les mots angliques, les formulant un par un.) Au revoir... et... bonne chance...

Lorsqu'il fut certain de n'être plus en vue, il sortit de sa cachette et lança son traîneau vers le nord, vers l'endroit qu'ils avaient quitté une vingtaine d'heures auparavant.

 

: Viens Avec Moi Si Tu Veux :

 

dit-il à ce dieu, partiellement issu de son imagination et partiellement d'autre chose.

La spectrale silhouette répondit en non-mots qui liraient leur substance du sonar même de Creideiki.

 

: Je T'Accompagne :

: Pour Tout Le Chant Du Monde Je Ne Voudrais Pas Rater Ça :