Dans mon esprit, c'était plutôt une coda qu'un prélude, lui chuchota-t-il d'une voix quelque peu éraillée en s'épongeant le front d'un geste théâtral. Tu devrais m'avertir quand je passe une certaine limite et commence à promettre ce que je ne puis tenir. (Sur ce, il lui prit la main et en couvrit de baisers la paume et l'intérieur du poignet.)

Gillian laissa descendre ses doigts le long de la joue de Tom et leur fit suivre, légers comme des plumes, le profil de la mâchoire, du cou puis de l'épaule avant de les nouer par jeu dans les bouclettes clairsemées de la toison pectorale.

Et, d'une voix sourde plus évocatrice du feulement d'une tigresse que du ronron d'un chat domestique, elle lui dit :

Quand tu seras prêt, mon amour, je peux attendre. Tu es peut-être le fils illégitime d'une éprouvette féconde mais je te connais mieux que les généticiens qui t'ont programmé. Tu disposes de ressources bien supérieures à celles qu'ils n'ont jamais pu imaginer.

Tom était sur le point de lui répondre que, généticiens ou pas, il était le fils tout à fait légitime de May et de Bruce Orley demeurant dans l'État du Minnesota, Confédération de la Terre, lorsqu'il remarqua qu'elle avait les yeux humides d'un autre liquide que la sueur. Elle lui avait parlé sur un ton moqueur mais ce n'était plus par jeu que ses doigts s'accrochaient aux poils de sa poitrine et que ses yeux dévoraient avidement son visage comme pour en mémoriser chaque détail.

Tom se sentit soudain horriblement confus. Pour cette dernière nuit qu'ils avaient à passer ensemble, il aurait voulu être le plus près possible de Gillian. Mais comment leur intimité aurait-elle pu être plus grande qu'en ce moment précis ? Il accentua la pression de son corps contre celui de son épouse dont il sentit la chaude haleine lui emplir les narines. Et il détourna les yeux, conscient d'être, d'une manière ou d'une autre, en train de la quitter.

Ce fut alors qu'il la perçut, cette tendre caresse qui semblait lutter contre les lourds verrous qui l'enfermaient dans son propre crâne. C'était un mélange de douceur et de ténacité. Il prit aussi conscience que la force qui la combattait n'était autre que la sienne.

Je pars demain, se répéta-t-il.

Ils avaient discuté longtemps pour savoir lequel des deux irait, et il avait gagné. Amère victoire cependant que d'avoir à partir.

Il ferma les yeux. Je l'ai coupée de moi ! Je puis n'en jamais revenir, et je me suis coupé du plus profond de moi-même.

Tom se sentit soudain tout drôle, tout petit, comme abandonné sur l'ultime et dangereuse frontière séparant encore ceux qu'il aimait d'un ennemi terrible, comme s'il n'était pas un super-héros mais un homme ordinaire confronté à un adversaire supérieur en nombre et qui allait jouer le tout pour le tout. Comme s'il était lui-même, en fait.

Il sentit un contact sur son visage et ouvrit les yeux.

Sa joue s'appuya contre la main de Gillian. Elle avait encore des larmes dans les yeux, mais aussi l'esquisse d'un sourire.

Gros bêta, dit-elle. Jamais tu ne pourras réellement me quitter. Ne t'en es-tu pas encore aperçu ? Je ne cesserai de t'accompagner où que tu ailles et tu reviendras vers moi.

Il secoua la tête, émerveillé.

Jill, je... commença-t-il mais elle le tira vers elle et, d'un baiser avide, lui ferma la bouche.

Tendre et chaude barrière que ces lèvres en travers des siennes... et cette main droite dont les doigts se livraient à des actes provocateurs...

Toutefois, ce fut l'entêtante et suave senteur qui émanait d'elle qui lui fit vraiment comprendre qu'une fois de plus elle ne s'était pas trompée sur lui.