TROISIÈME PARTIE  :  DISSONANCE

 

 

Les animaux sont modelés par des forces naturelles qui leur échappent. Dans leur esprit, il n'existe ni passé ni futur, seulement l'éternel présent d'une génération donnée, des pistes qu'elle laisse dans la forêt, d'invisibles sentiers qu'elle trace dans le ciel et dans la mer.

Il n'est rien dans l'Univers de plus solitaire que l'Homme. Il a fait son entrée dans l'étrange monde de l'Histoire...

LOREN EISELEY

Sah 'ot

Il les avait accompagnés toute la nuit. Vers le matin, Sah'ot sentit qu'il commençait à comprendre.

À l'approche de l'aube, les Kikwis désertaient leurs nocturnes terrains de chasse pour nager vers la sécurité de leur île. Ils rangeaient pièges et filets dans des crevasses discrètes de la falaise corallienne, reprenaient leurs lances grossières et fuyaient ces eaux qui se teintaient de lumière. Avec le jour, les lianes meurtrières entreraient dans leur phase active et d'autres dangers surgiraient. Les Kikwis s'occuperaient alors de battre les forêts qui surmontaient les îles de métal à la recherche de baies, de noix et du petit gibier qui se cachait dans l'épaisse verdure.

Sous l'eau, avec leurs bras courts terminés par des mains palmées et leurs pieds en battoir, les Kikwis évoquaient des poissons-boules de couleur verte. Leur paire de nageoires ventrales presque préhensiles leur servait de gouvernail et leurs mains, libérées de toute fonction locomotrice par la puissante détente des membres inférieurs, permettaient le transport de charges. Quant à la collerette de minces flagelles qui ondulait autour de leur tête, elle acheminait vers leur vésicule aérienne distendue l'oxygène en suspension dans l'eau.

Pour l'heure, les chasseurs-cueilleurs ramenaient deux filets pleins de créatures marines qui ressemblaient à des crabes et donnaient l'impression que des sculptures de métal multicolore étaient prises dans les mailles. Les Kikwis entonnèrent un chant de battements de membres entremêlés de glapissements et de cris rauques.

Sah'ot était particulièrement attentif aux couinements qu'ils échangeaient. Il avait déjà déterminé que leur vocabulaire se restreignait à une série de signaux vocalises coordonnant leurs mouvements. Par exemple, chaque fois que des Kikwis remontaient en surface pour faire de l'air, cet acte était accompagné par un enchaînement de gazouillis complexes.

Les indigènes prêtaient peu d'attention aux créatures étrangères qui les suivaient, d'autant que Sah'ot restait à bonne distance par un souci tout ethnologique de ne pas fausser les réactions du sujet observé. Ils étaient, bien sûr, conscients de sa présence et, de temps à autre, les plus jeunes Kikwis lançaient dans sa direction des jets de sonar lourds de méfiance. Par un fait étrange, les chasseurs plus âgés paraissaient totalement l'accepter.

Sah'ot, lui, voyait venir le jour avec soulagement. En dépit de l'obscurité, il avait réduit son propre sonar au minimum pendant toute la nuit pour ne pas effaroucher les indigènes. Du coup, il s'était retrouvé pratiquement aveugle et avait quelque peu cédé à la panique chaque fois qu'il était presque rentré dans quelque chose... ou que « quelque chose » avait failli le heurter.

Toutefois, cela s'était révélé payant.

Il estimait avoir à présent un assez bon aperçu de leur langue. Sa structure sémiologique, tout comme en delphinien primai, trouvait son fondement dans la hiérarchie du groupe et dans le tempo du cycle respiratoire. La logique de type « cause à effet » était néanmoins légèrement plus élaborée qu'en primal, sans nul doute parce que les Kikwis avaient des mains et manipulaient des outils.

 

: Regarde, nous, bons chasseurs chasse :

: chasse bonne :

: Prudence, Prudence, :

: Saisir chance :

: Manger, MANGER bien, manger encore :

: pas être mangé Non :

: Mourir hors de l'eau, pas dedans... :

 

Jugées sur leurs seules aptitudes sémantiques, ces créatures paraissaient nettement moins mûres pour l'Élévation que ne l'avaient été les dauphins primitifs de la Terre. Toutefois, quiconque eût privilégié chez une race la capacité de se servir d'outils n'eût pas manqué d'être d'un avis contraire.

Évidemment, le fait qu'ils eussent des mains était probablement significatif de ce que les Kikwis n'étaient pas destinés à faire de bons poètes. Néanmoins, quelques-unes des vantardises dont ils étaient coutumiers possédaient un certain charme.

Sah'ot sentit les courroies de son harnais lui irriter la peau tandis qu'il remontait faire de l'air. En dépit de la légèreté de cet équipement, et de son profil hydrodynamique, il aurait bien voulu pouvoir s'en débarrasser. Hélas, ces eaux recelant des dangers sans nombre, une telle protection n'était pas un luxe... et il y avait Keepiru qui devait se trouver quelque part aux alentours, un peu à l'écart comme on le lui avait demandé, mais sans nul doute attentif à ce qui se passait. Il n'aurait pas hésité à mordre jusqu'à l'échiné la dorsale de Sah'ot s'il l'avait surpris sans son harnais.

À la différence tics fen d'équipage ultra-technicisés du Streaker, l'ethnolinguiste était loin de se sentir à l'aise avec les appareils. Les ordinateurs ne le gênaient pas, d'autant que beaucoup disposaient d'un accès oral et qu'il s'en servait couramment pour communiquer avec d'autres races, mais tout ce qui était véhicule, instrument de façonnage ou machine à tuer, lui paraissait contre nature et il aurait souhaité pouvoir s'en passer.

Il avait une sainte horreur de ces deux espèces de protubérances digitales qui prolongeaient chacun de ses ailerons. Les généticiens avaient beau prétendre qu'un jour, par le jeu du transformisme, ces moignons donneraient à la race néo-delphinienne tout entière l'insigne privilège d'être dotée de vraies mains, il les trouvait personnellement inesthétiques. Il n'appréciait pas plus les modifications apportées aux poumons des fen pour accroître leur résistance aux diverses affections résultant du « mal de terre » et leur permettre d'assimiler l'oxyeau. Tant qu'on ne le coupait pas de son milieu naturel, un cétacé n'avait que faire de telles mutations. Sténo Bredanensis et Tursiops truncatus épargnés par les généticiens continuaient toujours de battre à la nage n'importe lequel de leurs cousins de la branche amicus.

Il était plus partagé en ce qui concernait l'amélioration de l'acuité visuelle, quoique celle-ci se fût effectuée aux dépens d'une matière grise en un temps consacrée à la seule perception des sons.

Encore une fois, Sah'ot remonta respirer en surface puis replongea pour ne pas se laisser distancer par les aborigènes.

Sa propre lignée était représentative d'une tendance génétique mettant l'accent sur les facultés linguistiques plutôt que sur la manipulation d'outils. Cela lui semblait une extension plus naturelle de la nature delphinienne que toute cette épate autour de la conquête de l'espace... comme si on allait pouvoir faire des fen des astronavigateurs et des techniciens !

C'était l'une des raisons qui avaient motivé son refus de monter à bord de la vedette et de se joindre à l'équipe qui devait explorer la Hotte abandonnée. Quand bien même eût-il dû trouver dans ces vaisseaux quelqu'un ou quelque chose à qui parler — ce dont il n'avait pas eu la moindre preuve —, il n'eût certes pas accepté d'aller y traîner ses nageoires escorté' par un banc de clients incapables ! Pour le Streaker, prétendre s'occuper seul de la flotte abandonnée, c'était comme laisser des enfants s'amuser avec une bombe non désamorcée.

Sa prudence lui avait définitivement acquis le mépris de l'équipage, même s'il en avait été vengé par la perte désastreuse du youyou et de ceux qui le manœuvraient.

De toute façon, se répéta Sah'ot, leur opinion n'a pas d'importance. En tant que civil, aussi longtemps qu'il faisait son travail, il n'avait pas à fournir d'explications sur ses actes.

Les clicks désapprobateurs qu'il percevait sur son passage à propos de la manière dont il poursuivait Dennie Sudman de ses assiduités ne le gênaient pas plus. Les dauphins mâles n'avaient pas attendu l'Elévation pour s'intéresser de très près aux femmes humaines. C'est une tradition bien établie, constata-t-il. Pourquoi l'astucieux descendant irait-il cracher sur les saines joies du vieux Flipper ?

L'une des choses qu'il détestait le plus dans les tours de pensée inhérents à l'anglique était ce continuel besoin de se justifier. Les hommes n'arrêtaient pas de demander : « Pourquoi ? » En quoi le pourquoi des choses avait-il de l'importance ? Il existait bien d'autres manières que l'humaine d'aborder l'univers. N'importe quel cétacé vous l'aurait prouvé.

Les Kikwis pépiaient d'excitation tout en nageant vigoureusement vers la falaise orientale de leur île où ils comptaient hisser leur prise le long d'une cheminée abritée du vent.

Sah'ot se sentit balayé par le pinceau d'un sonar. C'était Keepiru qui, venant du nord, passait le prendre pour l'escorter jusqu'au camp des Terriens.

D'un coup de reins, l'ethnolinguiste remonta en surface et sortit la tête de l'eau pour contempler le jour nouveau. Le soleil se levait à l'est derrière un banc de bruine et, de là-bas, le vent apportait un vague chuchotement de pluie.

Il y avait également dans l'air un parfum de métal qui lui rappela l'issue fatale que ne manquerait pas d'avoir pour eux un séjour prolongé sur Kithrup.

Nul doute que Creideiki et ses « ingénieux ingénieurs » ne fussent en train de bricoler un plan pour les tirer de ce merdier. Plan qui, sans nul doute aussi, serait terriblement audacieux et finement calculé... et qui les ferait tuer jusqu'au dernier.

N'était-ce pas l'évidence que des néophytes dans l'art de vaincre les difficultés ne pouvaient espérer contrecarrer les projets de Galactiques qui avaient des milliers de millénaires d'expérience derrière eux ?

Sah'ot ne remettait pas en question sa loyauté envers les hommes, bien sûr, mais il ne se faisait pas d'illusions sur ce qu'ils étaient : des jeunes-loups maladroits, tentant de survivre au sein d'une galaxie peuplée de dangereux réactionnaires.

Il y avait un vieux dicton delphinien : « Tous les humains sont ingénieurs et l'ingéniosité n'est qu'humaine. » C'était un bon calembour, mais manifestement archi-faux.

Keepiru creva la surface à ses côtés. Tranquillement, Sah'ot continua de respirer, attentif à son souffle qui se condensait en jet de brume et au spectacle du soleil levant. La patience de Keepiru finit par atteindre ses limites.

— Le jour est levé, Sah'ot. Nous ne sommes plus cens-ssés rester en mer. Il faut que nous fassions notre rapport et j'aimerais bien manger un morceau puis dormir !

Jouant le personnage du savant distrait, Sah'ot sursauta comme tiré de réflexions si profondes que Keepiru n'aurait jamais pu espérer en comprendre le quart.

— Qu'y a-t-il ? Ah ! oui. Bien sûr, pilote. J'ai d'ailleurs de quoi étoffer ce rapport avec des informations du plus haut intérêt. Vous savez, je crois avoir percé le mystère de leur langue.

— Remarquable !

Sémantiquement anglique, cette réponse était, en tant que par phénomène, un cri de sens radicalement contraire.

Sur ce, Keepiru plongea vers l'entrée de la caverne.

Sah'ot tressaillit sous le sarcasme du pilote mais resta inaccessible à tout remords.

Peut-être ai-je le temps de composer quelques limericks suggestifs dont je pourrais émailler mon rapport à Dennie, se dit-il. Comme c'est dommage qu'elle s'obstine à rester sur la rive de ce bassin sans jamais vouloir me rejoindre dans l'eau ! Enfin, peut-être se laissera-t-elle fléchir aujourd'hui ?

Et, virant sur le flanc pour rejoindre Keepiru dans les ténèbres sous-marines, il chercha les premières rimes de ses petits poèmes salaces.

Lorsqu'ils atteignirent l'ouverture inférieure du puits auquel le tronc de l'arbre foreur avait cédé la place et qu'éclairait à présent une petite lanterne à phosphorescence, Sah'ot remarqua les deux traîneaux amarrés à proximité. Pourtant, il devait toujours en rester un en surface pour le cas où Dennie et Toshio seraient obligés de faire une retraite précipitée. Vaguement inquiet, il s'engouffra derrière Keepiru dans l'étroite cheminée.

Mais il y avait deux autres traîneaux qui flottaient dans le bassin. Il comprit que, pendant la nuit, quelqu'un devait être arrivé du vaisseau.

Toshio et Dennie étaient déjà sur la rive, parlant à Keepiru. Sah'ot posa un regard méditatif sur Dennie mais décida de ne pas forcer les choses.

Ce soir, se dit-il, je vais essayer de faire qu'elle me rejoigne dans le bassin. Je vais bien trouver un prétexte, quelque chose qui ait à voir avec la façon dont les racines des arbres foreurs percent le métal, par exemple. Ça ne marchera certainement pas mais rien que la tentative promet d'être drôle.

Dans un vigoureux barattage de caudale, il se dressa pour promener un regard sur la clairière s'étendant autour du bassin. Il se demandait vraiment qui avait pu venir du Streaker.

Vers le sud, un épais fourré se divisa pour livrer passage à deux hommes, un mel et une fem, qui s'avancèrent vers le bassin.

Gillian Baskin s'agenouilla sur la rive et siffla quelques strophes de bienvenue en ternaire.

 

: Keepiru le constant :

: Ferme comme un récif Au point qu'il défie l'orque Suh'ot, caméléon:

: Qui s'arrange de tout :

: Qui tant ressemble à l'homme Dans la noire tempête :

: Votre contraste seul Me dirait qui vous êtes ! :

 

Avec une navrante platitude, Keepiru lui répondit en anglique :

— Ça me fait plaisir de vous voir, Gillian. Et vous aussi, T-Tom.

Sah'ot se laissa retomber à l'horizontale, douloureusement conscient qu'il avait une réputation à défendre. A la différence de Keepiru, il se devait d'improviser un poème pour répondre au salut de Gillian.

En fait, il avait plutôt envie de se trouver un coin tranquille pour méditer sur le portrait que la fem venait de faire de lui et, en particulier, sur cette remarque : « Qui tant ressemble à l'homme... » Devait-il le prendre comme un compliment, ou avait-il correctement interprété comme une nuance de pitié le registre suraigu dans lequel ce vers avait été sifflé ?

Debout près de Gillian, Thomas Orley ne disait rien mais Sah'ot avait l'impression d'être transparent sous son regard.

L'ethnolinguiste delphinien prit une grande bouffée d'air.

 

: Là ! Regardez ! C'est tin grand prodige :

:  Monogame ! Deux amants qui Sur un ciel immense :

: Se découpent ! :

 

Gillian applaudit en éclatant de rire.

Un bref sourire apparut sur les lèvres de Thomas Orley qui, visiblement, avait autre chose en tête.

— Je suis content que vous soyez revenus, tous les deux, dit-il aux fen. Gillian et moi nous sommes arrivés hier soir, elle du Streaker et moi du point où le croiseur E.T. s'est écrasé, provoquant un tsunami. Jill vous a déroulé en venant un monocâble de façon que vous puissiez rester en contact avec le vaisseau. Elle va demeurer quelques jours avec vous pour travailler sur cette question d'importance vitale que sont les Kikwis. J'ai cru également comprendre que certaines personnes restées à bord voudraient vous demander de recueillir pour elles quelques informations. Est-ce exact, Gillian ?

La femme blonde hocha la tête. Le peu qu'elle avait dit à Dennie et à Toshio des exigences de Charlie Dart n'avait pas eu le don de les faire bondir de joie.

Orley reprit :

— L'autre motif de la venue de Jill sur cette île était de m'apporter du matériel. Dans la matinée, je dois partir avec le planeur solaire. (Keepiru inspira bruyamment et il s'apprêtait à faire une objection lorsque Tom leva la main pour l'interrompre.) Je sais, c'est risqué, mais il me faut tenter l'expérience pour voir si ce plan d'évasion que nous avons monté a une chance de marcher. Et, comme vous êtes les seuls disponibles, c'est à vous que je vais être obligé de demander « un coup de main ».

Sah'ot sentit sa queue s'agiter sous l'eau de manière incontrôlée. Il la força à rester en position basse pour cacher ses sentiments, mais c'était dur, si dur !

Ainsi, on allait tenter de s'échapper ! Il avait espéré mieux d'Orley et de Baskin. C'étaient des gens intelligents, expérimentés, des agents du Conseil de la Terragens d'une dimension quasi mythique, sortis vivants de missions désespérées.

Et, maintenant, les voilà qui déliraient et, qui plus est, lui demandaient son aide, à lui, Sah'ot ! Ne se rendaient-ils pas compte de ce contre quoi ils se dressaient ?

Il nagea jusqu'aux côtés de Keepiru et prit le masque du client fidèle, respectueux et attentif. Mais, intérieurement, il sentait tout son être sombrer dans un maelstrom de plus en plus violent à mesure que lui était révélé le « plan » extravagant qui était censé les sauver des monstres aux yeux globuleux.

Takkata-Jim

— Cette réunion du conseil de vaisseau était un désastre, soupira le second. C'était même bien pire que je ne m'y étais attendu.

 

: Manigancer un plan :

: Pour tromper des trompeurs. Et d'un déguisement :

: Habiller des souffleurs ! :

 

K'tha-Jon rejeta sa grosse tête courtaude en arrière en signe d'acquiescement.

— On m'a dit que le t-terme convenu pour désigner ce projet était : « Le Cheval Marin de Troie ». Qu'est-ce que ça veut dire ?

— C'est une allusion littéraire, répondit Takkata-Jim en se demandant où le bosco était allé à l'école. Je vous expliquerai ça un autre jour. Pour l'instant, j'ai besoin de réfléchir. Il doit exister un autre moyen que ce plan suicidaire que Creideiki et Orley ont conçu. J'avais toujours espéré que Creideiki finirait par entendre raison... Maintenant, je ne sais plus que penser.

— Il ne vous a pas écouté ?

— Oh, que si ! Le commandant est d'une extrême politesse ! Metz a nagé dans mon sillage point par point et Creideiki a prêté la plus grande attention à son exposé comme au mien. La réunion a duré quatre heures ! Mais, de toute façon, le capitaine avait dès le début décidé d'adopter le plan d'Orley. Monsieur fem Baskin a déjà quitté le vaisseau pour lui porter le matériel dont il a besoin.

Les deux Sténo dérivèrent en silence un long moment. K'tah-Jon attendait visiblement que le second reprît la parole.

— Mais pourquoi Creideiki ne veut-il même pas songer à transmettre par radio les coordonnées de notre trouvaille de sorte que nous n'ayons plus rien à voir dans cette histoire ! s'exclama Takkata-Jim en fouettant l'eau de sa caudale. Au lieu de faire ça, lui et Orley vont tenter de duper des sophontes qui passent leur temps à se tendre des pièges depuis des millions d'années ! Pas de doute, nous sommes bons pour la friture ! Comparée à ce plan, même votre idée de foncer dans le tas avec tous nos canons crachant le feu est meilleure. Au moins, elle nous laisserait une liberté de manœuvre !

— Je ne faisais qu'offrir une glorieuse altternative à cccette folle aventure, dit K'tha-Jon. Mais, en définitive, j'aurais suivi votre plan. En revanche, il me semble que si nous devions être ceux qui trouveront un moyen de sauver le vaisseau et son équipage, nous devrions en tirer des avantages autres que le simple fait de nous en sssortir vivants.

Takkata-Jim secoua la tête.

— Si j'étais à la tête de ce vaisseau, peut-être, mais nous sommes commandés par un fou génial qui se fait une certaine idée de l'honneur et nous conduit tout droit à notre perte.

Puis il vira sur lui-même, plongé dans ses pensées, et s'éloigna silencieusement le long du couloir vers ses quartiers.

K'tha-Jon le suivit d'un œil étréci tandis que des bulles s'échappaient de son évent sur un rythme de petites explosions brèves.

Akki

Ce n'était pas juste ! Presque tous ceux qui comptaient un peu à bord avaient reçu l'autorisation d'aller avec Hikahi rejoindre l'équipe qui travaillait sur l'épave thennanin. Les réparations du Streaker étaient pratiquement terminées et lui, il était toujours bloqué ici, où rien d'important n'arrivait jamais.

Akki flottait au centre de son poste d'étude situé sous un dôme d'air à proximité du plafond de l'entrepont. Des bulles qui montaient des régions inférieures de la vaste salle passaient librement au travers des pages de l'holo-texte qui était affiché en face de lui.

Comme idée stupide, elle était soignée celle-là ! Lui faire travailler l'astronautique alors que le vaisseau était coincé au fond de l'océan.

Il avait beau tenter de se concentrer sur les subtilités de la navigation vermiculaire, son esprit vagabondait. Il en vint à penser à Toshio. Cela faisait déjà combien de temps que tous deux ne s'étaient pas accordé une bonne partie de rigolade ? Plus d'un mois devait s'être écoulé depuis qu'ils avaient subtilisé les lunettes de Broodika pour les remplacer par des lentilles de Fresnel.

Je n'ai pas à m'inquiéter pour Toshio. Lui au moins, il a de quoi s'occuper. Mais pourquoi Creideiki a-t-il insisté pour que je reste à bord alors qu'à cette épave on a besoin de tous ceux qui ont quelque compétence technique !

Akki tenta une fois de plus de se concentrer sur son texte mais il en fut distrait par un bruit. Il baissa les yeux et en découvrit l'origine à proximité d'une cantine. Deux fen étaient en train de se battre ; ils tournaient l'un autour de l'autre en se portant de violents coups de caudale au milieu d'un cercle de badauds.

Akki se dégagea du dôme d'air et plongea vers la source du désordre.

— Arrêtez ! hurla-t-il Cccessez immédiatement !

Et il pénétra dans l'arène, jouant de sa propre caudale pour tenter de séparer Sth'ata et Sneekah-jo.

Les spectateurs refluèrent quelque peu mais les deux adversaires ne parurent même pas s'apercevoir de sa présence. Ils continuaient à se mordre et à se fouetter. Un coup qui avait manqué son objectif atteignit Akki en pleine poitrine et l'envoya rouler à quelque distance.

Le midship dut prendre une grosse goulée d'air pour retrouver son souffle. D'où tiraient-ils la force de se battre dans l'oxyeau ?

Il nagea vers l'un des badauds.

— PkTow... PkTow !

Puis il mordit le fin au flanc et se figea dans son altitude la plus autoritaire tandis que PkTow virait brutalement sur lui-même, la mâchoire menaçante. Il n'allait pas être facile de lui faire baisser la tête et Akki se sentit soudain très jeune. Mais Creideiki lui avait appris comment agir en de telles circonstances. Quand un fin régresse, lui faire concentrer son regard !

— PkTow ! Cessez de les écouter et servez-vous de vos yeux. Regardez-moi ! Eu tant qu'officier de ce vaisseau, je vous ordonne de m'aider à mettre un terme à cette bagarre !

Le visage de PkTow perdit son expression hargneuse.

— Bien, Monsssieur, fit-il avec un hochement de tête, surprenant Akki par sa morne résignation.

Des gouttes de sang se diffusaient en nappes rosaires tandis que les deux adversaires commençaient à voir leur échange de coups ralenti par les exigences en oxygène de leurs branchies-poumons. Akki recruta encore trois autres fen d'équipage en les houspillant jusqu'à ce qu'ils fussent à même de regarder droit devant eux, puis il entra dans la mêlée. Il finit par réussir à les séparer et les fit conduire à l'infirmerie sous bonne garde. Le docteur Makanee s'arrangerait pour les isoler jusqu'à ce qu'il eût fait son rapport au capitaine.

Levant les yeux, Akki remarqua le quartier-maître K'tha-Jon qui passait non loin. Le gigantesque officier subalterne ne s'arrêta même pas pour proposer son aide. Pourtant, il a dû voir toute la scène, se dit Akki, non sans amertume. K'tha-Jon n'aurait pas eu besoin de quémander l'assistance des spectateurs ; il lui aurait suffi de grogner pour faire cesser la bagarre.

Le bosco poursuivit son chemin vers le grand sas. Il nageait vite et son visage avait une expression résolue.

Akki poussa un soupir.

Après tout, peut-être Creideiki a-t-il ses raisons pour me garder ici. Maintenant que tous les éléments qualifiés du vaisseau sont partis avec Hikahi, il doit avoir besoin d'aide pour tenir la racaille qui est restée à bord.

Il poussa du bec Sneekah-jo pour le faire avancer. Le Sténo gronda un juron qui était presque du primai mais s'exécuta.

Au moins, voilà un bon prétexte pour ne pas travailler la théorie astronautique, se dit Akki dans un ricanement intérieur.

Suessi

Non ! Ça ne va pas ! Reculez ! On va faire encore un essai... Tâchez de faire plus attention cette fois !

Mannes Suessi contempla d'un œil sceptique les mécanos delphiniens qui renversaient la nage de leurs lourds traîneaux pour ressortir la poutrelle mal engagée.

Ils venaient de rater leur troisième tentative d'ajouter une pièce de soutènement dans la plaie béante qui s'ouvrait à l'arrière de l'épave thennanin. Cette fois, pourtant, ils avaient bien failli réussir mais le traîneau de tête avait hésité un peu trop longtemps et il avait été à deux doigts de s'écraser le cul contre la paroi interne du vaisseau coulé.

— Maintenant, Olélo, voilà comment tu peux éviter ce longeron. (Il s'adressait au conducteur du traîneau de tête.) Lorsque tu arriveras à la hauteur de cet hiéroglyphe truc machin qui ressemble à un chacal à deux têtes, tu lèveras le nez. de ton engin comme ça ! (Et, de ses bras, il fit le geste correspondant.)

Le fin le regarda d'abord un moment sans comprendre puis hocha vigoureusement la tête.

 

: Je pige :

: on l'esquive !:

 

La familiarité de l'expression arracha une grimace à Suessi. Mais ils n'auraient pas été des fen s'ils n'avaient pas été rigolards une moitié de leur temps pour consacrer le reste à l'excès contraire. Par ailleurs, ils n'avaient cessé de bosser comme des dingues.

Car c'était un vrai merdier que de travailler sous l'eau. En comparaison, tout ce qui était bâtiment en apesanteur devenait de la gnognole.

Depuis le vingt et unième siècle, les hommes avaient fait de gros progrès dans l'art de bâtir dans l'espace. Aux problèmes posés par l'inertie et la rotation, ils avaient trouvé des solutions qui n'avaient jamais été consignées dans la Bibliothèque puisque la nécessité de telles inventions ne s'était jamais fait sentir à des races disposant de l'antigravitation depuis des milliards d'années.

Au cours des trois derniers siècles, en revanche, on avait construit fort peu de structures lourdes en milieu sous-marin, même dans les communautés delphiniennes de la Terre, et jamais l'on n'avait procédé au renflouement ou au pillage d'un vaisseau spatial échoué sur le fond d'un océan.

Si, en orbite, l'inertie due à l'apesanteur posait d'énormes problèmes, qu'en était-il de la flottabilité quasi imprévisible des matériaux immergés ? L'énergie nécessaire pour mouvoir un objet variait en fonction de la vitesse acquise qui était déjà la sienne et de la coupe droite qu'il présentait au moment considéré. Dans l'espace, les complications étaient moindres.

Tandis que les fen redonnaient à la poutrelle l'orientation voulue, Suessi jeta un œil à l'intérieur du destroyer pour voir où en était le reste des travaux. Le flamboiement des scies laser tout autant que la brillance des lampes à arc illuminaient le lent processus du démembrement de la partie centrale de la nef de guerre thennanin. Étape par étape, une vaste cavité cylindrique y était ménagée.

C'était le lieutenant Tsh't qui supervisait ces travaux et ses ouvriers auraient pu servir de modèle pour une élude sur la spécificité de la technique néo-delphinienne. Car si chaque fin se servait de ses yeux ou de ses instruments pour exécuter des tâches réclamant une certaine précision. Il avait une approche de l'objet différente de celle d'un homme. Sa tête se mettait à décrire des mouvements circulaires et de minces faisceaux d'ondes sonores émanaient de ce « melon » bulbeux qui donnait au Tursiops sa physionomie d'intellectuel au front large. Dans le même temps, l'extrémité phono-sensible de sa mâchoire inférieure oscillait de gauche à droite et de droite à gauche pour constituer une image stéréoscopique.

La vaste salle résonnait de grincements et Suessi, comme toujours, s'étonnait que les fen pussent s'y reconnaître dans une telle cacophonie. Vraiment, c'étaient des gens bruyants mais, en l'occurrence, il aurait pris plaisir à se faire casser les oreilles par ces renforts qu'Hikahi, espérait-il, n'allait pas trop tarder à amener. D'autant qu'elle était censée venir avec la chaloupe ou avec le canot, procurant à Suessi un endroit où se mettre au sec et aux autres une chance de dormir en respirant un air correct. Par ailleurs, si ceux qui travaillaient depuis le début sur l'épave n'étaient pas relevés au plus vite, des accidents ne manqueraient certainement pas de se produire.

Le plan proposé par Orley était réellement tiré par les cheveux et Suessi s'était bercé du vague espoir que Creideiki et ceux du conseil y trouveraient une alternative ; hélas, les opposants à ce projet n'en avaient pas d'autre et le Streaker allait être déplacé dès qu'Orley en donnerait le signal.

De toute évidence, Creideiki avait estimé qu'ils avaient peu de chose à perdre.

Un cri de mise en garde se répercuta dans l'eau. Suessi sursauta puis regarda autour de lui. Le bout d'un frein à quantum de l'épave pendait mollement, sectionné à sa base par l'extrémité de la poutrelle que transportait Olélo. Le fin, d'ordinaire impassible, avait l'air dans tous ses états.

— C'est le bouquet, les copains, gémit Suessi. Comment allons-nous donner l'impression que cette coque de noix a survécu à la bataille si nous l'endommageons plus que l'ennemi ne l'a fait ? Oui pourrait croire qu'elle puisse voler avec des trous pareils ?

La queue d'Olélo battait l'eau et son évent laissait échapper des pépiements plaintifs.

Suessi soupira. Même au bout de trois cents ans, il fallait encore marcher sur des œufs avec les dauphins. Toute critique tendait à leur couper les moyens. On obtenait de meilleurs résultats en les encourageant par des compliments.

— Allez, c'est parfait, on recommence. On y va doucement, hein ? Cette fois, il y était presque.

Suessi secoua la tête et se demanda pourquoi il avait eu un jour l'idée saugrenue de faire des études d'ingénieur en mécanique.

Galactiques

La bataille avait fini par déserter cette région de l'espace et, une fois de plus, la flotte tandue avait survécu.

La faction Ptltaca s'était jointe aux Thennanins et aux Gubrus, et le gros des forces soros restait dangereux. Quant aux Frères de la Nuit, ils étaient pratiquement anéantis.

L'Accepteur, juché au centre de sa toile, épluchait soigneusement ses écrans par étapes successives comme il y avait été entraîné. Il avait fallu des millénaires à ses maîtres tandus pour accoutumer su race à se servir d'écrans, tant elle répugnait à laisser la moindre chose exister sans qu'elle en fût le témoin.

À mesure que les barrières tombaient, l'Accepteur se mit à sonder avec passion le proche espace, caressant les nuées de vapeur et les épaves à la dérive. Il contourna subtilement des psi pièges intacts et des champs de probabilité non résolue. Pour délicieux que fût le spectacle des batailles, il n'en était pus moins semé de maints périls.

La conscience du danger était une autre notion que les Tandus avaient fait ingurgiter de force à son espèce. Dans le secret de leur âme, les congénères de l'Accepteur ne la prenaient pas très au sérieux. Se pouvait-il qu'un événement appartenant au réel, fût jamais mauvais ? L'Episiarche concevait les choses ainsi et il n'y avait qu'à voir le dingue qu'il était !

L'Accepteur remarqua un détail qui, normalement, n'aurait pas dû retenir son attention. Eût-il été libre de spiritoucher les vaisseaux, les planètes et les missiles qu'il eût été trop absorbé pour détecter une nuance aussi subtile, les pensées d'un cerveau isolé... discipliné qui plus est.

Ravi, l'Accepteur sentit que l'émetteur était un Synthiain ! Oui, un Synthiain... et qui essayait d'entrer en communication avec les Terriens !

C'était une anomalie, donc une beauté. Jamais auparavant l'Accepteur n'avait été témoin de l'audace d'un Synthiain.

Les Synthiains n'étaient pas non plus réputés pour leur habileté métapsychique, et pourtant celui-ci ne méritait que des éloges pour sa façon de se faufiler au travers de la myriade de détecteurs psi dont chaque faction avait encombré ce secteur de l'espace.

Cette prouesse était fabuleuse par son caractère inattendu. .. preuve supplémentaire de la supériorité de la réalité objective sur la subjective, en dépit des divagations de l'Épisiarche ! L'essence même de l'existence était surprise.

L'Accepteur savait qu'il serait puni s'il continuait à s'émerveiller de cet événement un lieu d'en faire le rapport.

Encore un sujet d'étonnement que cette « punition » par laquelle les Tandus parvenaient à faire choisir un chemin plutôt qu'un autre au peuple de l'Accepteur. Depuis quarante mille ans, ils en restaient perplexes. Peut-être allait-il falloir un jour faire quelque chose à ce propos. Toutefois, rien ne pressait. D'ici là, il se pouvait qu'eux-mêmes fussent patrons... et soixante mille ans n'exigeaient tout de même pas des trésors de patience.

Le signal émis par l'espion synthiain s'estompait. Apparemment, la fureur des combats l'entraînait loin de Kthsemenee.

L'Accepteur reporta ses sens ailleurs, vaguement au regret de l'avoir perdu. Mais la bataille se révélait maintenant à lui dans toute sa gloire et, pressé qu'il était de se plonger dans cet océan de simili, l'Accepteur décida de remettre à plus tard son rapport sur le Synthiain... s'il y repensait

Thomas Orley

Par-dessus son épaule, Tom jeta un coup d'œil vers les nuages qui s'amoncelaient. Il aurait été prématuré d'affirmer que l'orage allait le rattraper et il lui faudrait encore couvrir une longue distance avant de le savoir.

Le planeur solaire ronronnait à quelque mille deux cents mètres d'altitude, n'ayant jamais été conçu pour battre des records. Son fuselage se réduisait presque à l'étroit châssis supportant le bloc d'une hélice mue par les rayons du soleil tombant sur la vaste aile translucide. Toutefois, Tom tenait le cap au nord-est, la propulsion du petit appareil était essentiellement assurée par les alizés. Au retour — en admettant qu'il y en eût un — ces mêmes vents rendraient sa progression lente et hasardeuse.

Et, inaccessibles, des vents plus rapides poussaient vers l'est de sombres nuages à sa poursuite.

Il volait presque à l'aveuglette, ne se repérant que sur le disque orange du soleil kithrupien. Une boussole n'eût pas été de la moindre utilité dans le ciel d'une planète que sa surabondance en métaux couvrait d'un tissu d'anomalies magnétiques.

Autour du nez court et conique du planeur, le vent sifflait rageusement mais c'était à peine si Tom, à plat ventre sur l'étroite plate-forme, le percevait comme une brise légère.

Ne fût-ce qu'un oreiller de plus n'aurait pas été du luxe. Le frottement commençait à lui irriter les coudes et il sentait venir un torticolis. Il s'était livré à un travail d'élagage sur sa liste de matériel au point de s'être retrouvé en train de choisir entre une psi-bombe supplémentaire à utiliser lorsqu'il serait à destination et un appareil à distiller qui lui permettrait de survivre. Le résultat de ces compromis se répartissait sous les coussins garnissant la plate-forme, mais avec tant de bosses qu'il était pratiquement impossible de s'y loger confortablement.

Ce voyage prenait l'allure d'un interminable et monotone défilé de mer et de ciel.

Par deux fois, il avait aperçu des vols de créatures dans les lointains, premier indice qui lui fût donné de l'existence d'une forme de vie avienne sur Kithrup. Avait-elle évolué à partir île poissons volants ? Il était assez surpris que des oiseaux aient pu apparaître sur un monde pratiquement dénué de terres émergées.

Bien sûr, ces créatures pouvaient avoir été modelées par quelque ancien locataire galactique de Kithrup. Là où la nature s'avérait défaillante, les sophontes avaient toujours le recours de s'immiscer. Il avait déjà été témoin de lubies plus étranges que celle de greffer des aviens sur un monde aquatique.

Tom se remémora la fois où lui et Gillian avaient accompagné Jacob Demwa sur le monde universitaire tymbrimi de Cathrhennin. Entre deux sessions, lui et Jill avaient fait du tourisme dans la vaste réserve continentale de cette planète et ils y avaient vu des troupeaux de clidcux paître en dessinant sur les prairies de complexes dessins géométriques. La disposition de ces arrangements se modifiait de minute en minute sans que l'on pût surprendre la moindre forme de communication interindividuelle, comme si l'on avait affaire aux motifs changeants d'un tissu moiré. Les Tymbrimis leur avaient expliqué qu'une antique race galactique, à laquelle Cathrhennin avait été concédée dans des temps reculés, avait programmé la structure de déplacement des cli- deux de sorte qu'elle formât un rébus. Depuis, personne n'avait été en mesure d'en déchiffrer le sens, si tant était qu'il y en eût un.

Gillian avait suggéré que ces schémas eussent pu être adaptés à leur propre usage par les individus de cette race animale mais les Tymbrimis, passionnés comme ils l'étaient par les casse-tête, avaient préféré s'en tenir à l'explication traditionnelle.

Tom sourit en se remémorant cette mission, la première qu'ils aient faite ensemble après leur mariage. Depuis. Gillian et lui avaient vu plus de merveilles qu'ils n'en pourraient jamais tenir le compte.

Elle lui manquait déjà.

Les oiseaux autochtones, ou quelque forme avienne que ce fût, virèrent pour s'éloigner de la barrière de nuages. Orley les suivit du regard jusqu'à ce qu'ils fussent hors de vue. Dans la direction qu'ils avaient prise, il ne semblait pas y avoir la moindre terre.

Le planeur filait presque les deux cents nœuds. Normalement, cette vitesse lui permettrait d'atteindre la chaîne volcanique qu'il s'était fixée pour but d'ici une heure ou deux. Repérage par radio, par satellite ou par radar était un luxe interdit ; Tom n'avait pour le guider qu'une carte fixée sur son pare-brise.

Il serait à même de faire mieux sur le chemin du retour. Gillian avait insisté pour qu'il emportât un enregistreur à inertie qui le guiderait les yeux fermés jusqu'à quelques mètres de rayon autour de l'île d'Hikahi.

Si, bien sûr, l'occasion lui était donnée de s'en servir.

Les nuages qui l'avaient poursuivi le cernaient à présent. Le courant-jet de Kithrup commençait vraiment à bouillir et Tom dut admettre qu'il ne serait pas fâché de trouver un endroit où se poser avant que la tempête ne fût sur lui.

Alors que l'après-midi s'avançait, il vit encore un vol de créatures aviennes et, par deux fois, perçut un mouvement dans les eaux qu'il surplombait ; quelque chose d'énorme et de sinueux qui disparut avant qu'il n'eût pu se faire une idée de ce que c'était.

Par endroits, des paquets d'algues apparaissaient au sein des vagues, assez denses dans certains cas pour former de véritables îles flottantes. Il conçut vaguement l'idée que celles-ci pouvaient servir de perchoir aux créatures ailées.

Tom luttait contre la nausée et en était arrivé à vouer une haine profonde à l'objet proéminent qui paraissait décidé à lui perforer la hanche gauche.

La menaçante barrière de nuages n'avait plus que quelques kilomètres à faire pour le rattraper lorsqu'il distingua sur l'horizon nord une tache informe d'un gris plus sale que le ciel.

Poussant l'hélice à plein régime, il vira sur l'aile vers ce qui, bientôt, se révéla être une colonne de fumée déjetée vers le nord-est, tel un étendard crasseux flottant au vent.

En dépit des nuages qui s'interposaient entre le soleil bas de cette fin d'après-midi et les capteurs solaires de son aile. Tom s'efforça de prendre de l'altitude. Le tonnerre commençait de gronder et des éclairs embrasaient fugitivement de leur lumière crue l'immensité des flots.

Lorsqu'il se mit à pleuvoir, l'aiguille de l'ampèremètre bascula carrément dans le rouge. Le petit moteur commença de peiner.

Oui. C'était bien ça, une île ! Toutefois, une bonne distance l'en séparait encore... et elle était partiellement noyée dans une épaisse fumée.

Il aurait préféré une terre plus fréquentable, quelque chose d'un peu moins remuant. L'outrecuidance qu'il y avait à formuler des exigences lorsqu'on était dans sa position arracha un sourire à Orley. Contraint et forcé, il se serait même posé sur la mer puisque l'appareil était équipé de flotteurs.

La lumière faiblissait. Dans la pénombre croissante, Tom remarqua que la surface de l'océan avait changé de couleur. Dans sa texture également, quelque chose le rendait perplexe. Il n'arrivait pas à situer la différence.

Bientôt, il n'eut plus guère le temps d'y songer tant il avait à lutter avec son appareil pour chaque dizaine de centimètres d'altitude.

Et, sous une pluie battante, tout en espérant que le planeur consentirait à rester en l'air assez longtemps pour lui éviter d'amerrir en catastrophe, il maintint le cap sur le volcan.

Creideiki

Il n'aurait jamais cru que le vaisseau avait si vilaine allure.

Creideiki s'était personnellement occupé d'établir le diagnostic de chaque moteur, de chaque instrument avarié. Au cours des réparations, c'était encore lui ou Takkata-Jim qui avaient discrètement vérifié le travail par trois fois. La plupart des dégâts réparables n'étaient plus qu'un mauvais souvenir.

Mais en tant que maître du vaisseau, c'était également lui, et lui seul, qui avait dû prendre en considération les valeurs immatérielles. Il était essentiel qu'on se préoccupât d'esthétique, même si pareille notion n'était pas au premier rang des priorités. Et, quelque fût le succès des réparations d'ordre fonctionnel, le Streaker n'était plus un beau vaisseau.

C'était la première fois qu'il en sortait. Il s'était équipé d'un appareil respiratoire et nageait au-dessus de la coque balafrée pour en avoir une vue d'ensemble.

Les ailerons de stase et les principales commandes gravitiques étaient en état de marche. Emerson d'Anite et Takkata-Jim lui en avaient donné l'assurance mais il avait quand même vérifié. Une turbine de compression avait été détruite par un rayon d'antimatière à Morgran mais on pouvait encore se fier au réacteur survivant.

Toutefois, si la coque offrait la plus grande sécurité quant à sa solidité, elle n'était plus pour l'œil le même délice qu'autrefois. En deux endroits, de noires traînées en déparaient l'enveloppe externe, là où des rayons avaient réussi à percer les écrans.

Broodika lui avait même appris qu'en un point précis le métal s'était modifié, passant d'un alliage à un autre. Le vaisseau avait conservé son intégrité structurelle mais cela signifiait qu'on était passé horriblement près d'eux avec un distorseur de probabilité. Il y avait quelque chose de dérangeant dans l'idée que cette partie du Streaker s'était vue troquée contre un morceau d'un autre vaisseau semblable quoique légèrement différent, abritant des fugitifs semblables quoique légèrement différents, dans quelque hypothétique univers parallèle.

S'il fallait en croire la Bibliothèque, personne n'avait encore appris à maîtriser les distorseurs de références spatio-temporelles au point d'en faire un autre usage que celui d'arme. La rumeur prétendait néanmoins que certaines espèces très anciennes qui « dépassaient » la civilisation galactique découvraient de temps à autre un tel secret et s'en servaient pour quitter cette réalité par une porte dérobée.

Le concept d'univers parallèles s'étendant à l'infini était de ceux que les dauphins connaissaient bien avant que l'humanité n'eût acquis le feu. Il était indissociable du Songe Cétacé. Les jubartes, en particulier, se complaisaient à chanter la mélopée d'un monde indéfiniment mutable. En apprenant à se servir d'outils, les dauphins de la veine amicus avaient perdu ce grandiose détachement. À présent, c'était à peine s'ils comprenaient mieux la philosophie des baleines que les hommes.

Une version domestiquée du distorseur de probabilité constituait l'une de cette douzaine de méthodes connues des Galactiques pour ruser avec la vitesse de la lumière. Les races prudentes évitaient toutefois d'y avoir recours. Des vaisseaux disparaissaient en se servant de la propulsion probabiliste.

Creideiki s'imagina sortant de l'espace-temps pour se retrouver en présence d'un congrès de Streaker provenant tous d'un univers différent et tous commandés par une version légèrement modifiée de lui-même. D'une situation pareille, les baleines auraient vraisemblablement tiré une intense satisfaction philosophique. Il n'était pas sûr qu'il en fût de même pour lui.

D'ailleurs, en dépit de leur génie spéculatif, les baleines étaient d'une stupidité crasse en ce qui concernait les astronefs et les machines. Elles n'auraient pas mieux identifié une flotte qu'un chien n'est capable de reconnaître son propre reflet lorsqu'il se penche sur une flaque d'eau.

Moins de deux mois s'étaient écoulés depuis que Creideiki s'était retrouvé face à une flotte de vaisseaux abandonnés gros comme des planètes et vieux comme des étoiles au mitan de leur vie. Ça lui avait coûté une dizaine de fen de valeur et le fait de n'avoir pas cessé depuis de fuir devant d'autres flottes.

Creideiki nagea jusqu'à la crête d'une colline surplombant le vaisseau. La brillance des lampes à héliarc jetait de longues ombres dans ces eaux euphoriques. L'équipage avait fini de monter les pièces récupérées par Suessi sur l'épave thennanin. Il ne restait plus qu'à dégager le train d'atterrissage pour être en mesure de bouger.

Hikahi venait de partir quelques heures auparavant avec le canot et une équipe triée sur le volet. Creideiki aurait bien aimé pouvoir détacher plus de fen pour aider Suessi mais le Streaker était déjà bien en dessous de son effectif minimum.

Il ne voyait toujours pas d'alternative au plan d'Orley. Metz et Takkata-Jim s'étaient révélés incapables de rien proposer hormis la reddition au vainqueur, et c'était une chose dont Creideiki ne voulait pas entendre parler. Du moins tant qu'il resterait un espoir de faire autrement.

Les capteurs passifs montraient que, dans l'espace, la bataille ne cessait de croître en violence. D'ici quelques jours, elle atteindrait peut-être son point culminant et ce serait alors que se présenterait pour eux l'ultime opportunité de s'échapper sous un déguisement en profitant delà confusion.

J'espère que Tom est arrivé à bon port, se dit-il, et que son expérience est un succès.

Le grondement sourd des moteurs dont on faisait l'essai se répercutait dans l'eau. Creideiki avait lui-même calculé la marge de bruit tolérable. Les risques de trahir leur position étaient si divers... fuites neutriniennes du bloc d'alimentation, gravitons échappés de l'écran de stase, ondes métapsychiques émises par tout un chacun à bord. Le bruit était vraiment le cadet de ses soucis.

Alors qu'il remontait le long du flanc de la colline, Creideiki entendit remuer quelque chose au-dessus de lui. Son attention se porta vers la surface.

Près des bouées de détection, il y avait un fin isolé qui travaillait sur elles avec les manipulateurs de son harnais.

Creideiki s'en approcha.

 

: Y a-t-il un problème :

: Par ici qui motive Cette entorse au service ? :

 

Il reconnut le Sténo géant, K'tha-Jon. Le bosco sursauta. Ses yeux s'écarquillèrent et, l'espace d'un instant, Creideiki put voir le blanc qui entourait la pupille en navette.

K'tha-Jon se reprit très vite. Sa bouche s'ouvrit pour former un sourire.

 

: Un bruit de fond gênait :

: L'écoute neutronique L'auditrice n'avait :

: Plus d'échos des combats :

: Elle me dit à présent :

: « Fini les parasites ! » :

: Je vais donc sur l'instant Reprendre mon service :

 

De fait, il y avait eu de quoi s'inquiéter. Il était vital que la passerelle sût à tout moment ce qui se passait dans le ciel et fût en mesure de recevoir des nouvelles d'Orley.

Takkata-Jim aurait seulement dû envoyer quelqu'un d'autre faire la réparation. Les détecteurs étaient sous l'exclusive responsabilité de l'état-major. Toutefois, la majeure partie du personnel d'élite de la passerelle ayant quitté le vaisseau avec Tsh't ou Hikahi, K'tha-Jon pouvait avoir été le seul gradé disponible.

 

: Vu, Cascadeur :

: De hautes vagues Vile retrouve :

: Ceux qui t'attendent :

 

K'tha-Jon hocha la tête, les bras de son harnais repliés à leur place réglementaire. Sans prononcer un mot de plus, il émit un petit nuage de bulles et plongea vers l'ouverture brillamment éclairée du grand sas.

Creideiki regarda le géant s'éloigner.

En apparence du moins, K'tha-Jon semblait avoir mieux réagi que bon nombre de fen face à la situation quasi désespérée que connaissait le Streaker. Il avait même paru prendre plaisir au combat qui avait accompagné leur retraite à Morgran, se révélant d'une ardeur efficace et féroce dans le maniement d'une batterie de canons. C'était un sous-officier irréprochable.

Alors, pourquoi ai-je des picotements tout le long de l'échiné lorsqu'il est près de moi ? Ne serait-ce pas encore l'une de ces satanées expériences de Metz. ?

Je dois insister pour que le professeur Metz arrête de noyer le poisson et qu'il se décide à me montrer ses notes ! S'il le faut, j'irai jusqu'à forcer sa porte... et que le Protocole aille se faire foutre !

K'tha-Jon était à présent le compagnon inséparable du lieutenant Takkata-Jim. Ensemble avec Metz, ils étaient les trois principaux opposants au plan d'Orley. Creideiki n'avait pas fini de se faire du mauvais sang à ce sujet, d'autant que Takkata-Jim était encore plus taciturne qu'avant.

Le second commençait d'ailleurs à poser un réel problème. Creideiki éprouvait une certaine pitié à son égard. Ce n'était pas sa faute, après tout, si cette croisière s'était transformée en chemin de croix. Mais la compassion n'empêcherait pas le capitaine de promouvoir Hikahi au deuxième rang de la hiérarchie du Streaker sitôt que l'effectif serait de nouveau réuni.

Takkata-Jim était vraisemblablement conscient de ce qui lui pendait au-dessus de la tête... et conscient qu'à la suite du rapport que le commandant était obligé de faire pour le Centre de l'Élévation sur chacun de ses officiers son droit à un bonus de descendance risquait fort d'être remis en question.

Creideiki n'avait aucune peine à imaginer comment le lieutenant pouvait prendre la chose. Il y avait des moments où lui-même se sentait oppressé par cette Élévation envahissante au-delà de toute mesure, des moments où il avait presque envie de gueuler en primai : « Mais qui vous a donné ce droit ?» et de laisser la douce hypnose du Songe Cétacé le rappeler dans le giron des Anciens Dieux.

Mais ces moments avaient toujours une fin et il reprenait conscience qu'il n'était rien dans l'univers qui lui tînt plus à cœur que de commander un astronef, de collectionner des enregistrements de chants de l'espace et d'explorer les courants qui roulaient entre les étoiles.

Un banc de poissons indigènes passa non loin. Ils évoquaient un peu des mulets... des mulets rococo avec des plaques de métal aux couleurs criardes en guise d'écaillés.

Et il fut pris de la soudaine impulsion de les poursuivre, et d'appeler toute l'équipe qui travaillait autour du vaisseau à se joindre à lui pour une partie de chasse.

Il se représenta les fen placides qu'étaient ses mécanos et ses techs se débarrassant en toute hâte de leur harnais pour se précipiter en meute couinante sur les malheureuses créatures, les acculer habilement à la surface et les saisir au vol alors que, dans leur panique, elles sautaient au-dessus des flots.

Même si un ou deux fen devaient, emportés par leur élan, avaler un peu de métal, ça n'en serait pas moins resté bon pour le moral.

 

: Pluies de Printemps voir :

: Puis, dans le secret d'un soir, lune au creux des vagues... :

 

C'était un haïkaï de regret.

Ils n'avaient pas le loisir de s'adonner aux joies de la chasse, pas lorsque eux-mêmes étaient des proies.

Le carillon de son harnais lui annonça qu'il ne lui restait que trente minutes d'air. Il se secoua. Sa méditation se fût-elle faite plus profonde qu'il aurait peut-être eu la visite de Nukapaï. La chimérique déesse l'aurait grondé ; sa douce voix lui aurait rappelé l'absence d'Hikahi.

Les bouées de détection dansaient à proximité, retenues par de minces amarres ancrées dans le lit de l'océan. Il nagea jusqu'à l'ovoïde rouge et blanc sur lequel avait travaillé K'tha-Jon et remarqua que la trappe d'accès était restée ouverte.

La tête de Creideiki se mit à osciller tandis qu'il concentrait un mince faisceau sonore sur l'appareil. Dans l'étrange géométrie du détecteur et de ses amarres, il y avait quelque chose de vaguement perturbant.

Le sonarvox de son harnais bourdonna. Une voix amplifiée lui parvint par l'entremise de son branchement neural.

— Commandant, c'est Takkata-Jim. Nous venons juss-ste de terminer les essais des turbines et des générateurs de stase. Nous les avons réglés en fonction de vos derniers calculs. Nous avons également reçu un appel de Suessi ; il dit que l'é... le Cheval Marin de Troie arrive à destination. Hikahi est déjà là-bas et elle vous transmet ses salutations.

— Bien. (Il se contentait de penser les mots que la prise neurale transmettait au sonarvox.) Pas de nouvelles d'Orley ?

— Non, commandant. Il se fait tard pourtant. Êtes-vous sûr de toujours vouloir vous en tenir à son plan ? Et que se passera-t-il s'il n'arrive pas à nous faire parvenir un message par psi-bombe ?

— Nous avons examiné toutes les éventualités.

— Donc, on déplacera de toute manière le vaisseau ? Je continue de penser que nous devrions en parler encore une fois.

Creideiki sentit monter en lui une bouffée d'agacement.

— Nous n'allons pas nous mettre à discuter de problèmes tactiques sur un canal qui n'a rien de confidentiel, lieutenant. Par ailleurs, nous avons d'ores et déjà pris une décision. Je serai bientôt de retour au vaisseau. En m'attendant, traquez les tire-au-flanc et remettez-les au boulot à bons coups de dents. Nous devons être prêts lorsque Tom appellera.

— Bien, commandant.

Et Takkata-Jim coupa la communication sans avoir eu ne fût-ce qu'une nuance d'excuse dans la voix.

Creideiki avait perdu le compte du nombre de fois où on lui avait posé des questions mettant en doute la valeur de ce plan. Si leur manque de confiance provenait de ce qu'il n'était qu'un dauphin, ils auraient pu se donner la peine de songer que Thomas Orley était à l'origine du projet ! Et puis, après tout, n'était-il pas le commandant de ce vaisseau ? N'était-ce pas lui, Creideiki, qui avait la charge de sauver leur vie et leur honneur ?

Lorsqu'il avait servi à bord du vaisseau d'exploration James Cook, jamais il n'avait vu personne discuter les décisions de son commandant humain, la capitaine Alvarez.

Un moment, il fouetta violemment l'eau de sa caudale pour exhaler son trop-plein de colère puis il fit appel aux structures de relaxation du Keneenk pour parfaire ce retour au calme.

Laissons tomber, décida-t-il. La majorité de l'équipage ne pose pas de questions et les autres obéissent à leurs directives. Pour des sujets d'expérience confrontés à une situation des plus anormales, cela semble acceptable.

Là où l'esprit se pose, il trouve aussi la solution, enseignait le Keneenk. Tout problème contenait les éléments de sa réponse.

Il déploya ses bras manipulateurs et leur commanda d'atteindre la trappe d'accès de la bouée.

Si celle-ci était en ordre de marche, il aurait motif d'en féliciter Takkata-Jim. Ce pourrait être un moyen d'avoir prise sur le lieutenant, de le ramener dans la communauté du vaisseau, de rompre ce cercle vicieux du repli sur soi.

Là où l'esprit se pose...

Ça ne lui prendrait que quelques minutes pour en vérifier le fonctionnement. Creideiki brancha une rallonge de sa prise neurale sur le petit ordinateur du détecteur et il ordonna à la machine de faire un rapport sur son état.

L'éclair d'une décharge électrique flamboya devant lui. Creideiki poussa un cri tandis que la secousse court-circuitait les moteurs de son harnais et lui carbonisait la peau autour de son branchement neural.

Un courant de pénétration ! comprit Creideiki dans l'immobile éternité de la foudre. Mais comment... ?

Tout son univers perceptif était frappé de lenteur. Le courant luttait avec les diodes protectrices de son neurampli. Le coupe-circuit principal lâcha mais l'isolation se reforma presque immédiatement sous l'effet de la tension résiduelle.

Dans sa paralysie, Creideiki avait l'impression d'entendre une voix lancinante sur tous les champs de bataille de son organisme, une voix qui l'accablait de sarcasmes.

 

: Là où l'esprit se pose :

: il trouve :

: Là il trouve :

: aussi l'illusion L'illusion :

: là, là, il la trouve :

 

Dans un couinement de souffrance qui lui tendit le corps en arc, Creideiki poussa un cri unique et incontrôlé en primai, le premier de sa vie d'adulte. Puis il roula, ventre en l'air, et dériva dans des ténèbres plus épaisses que la nuit.