CHAPITRE XIII

Le Juge Suprême de la Beauté

 

En partant travailler ce matin-là, Mma Makutsi, directrice par intérim du garage Tlokweng Road Speedy Motors et assistante-détective à l’Agence No 1 des Dames Détectives, éprouvait une sourde inquiétude. Même si elle adorait les responsabilités et se félicitait des deux promotions dont elle avait bénéficié, elle avait, jusque-là, toujours compté sur la présence rassurante de Mma Ramotswe, vers qui elle pouvait se tourner à la moindre hésitation. Maintenant que cette dernière était partie, elle portait seule la responsabilité de deux entreprises et deux employés. Mma Ramotswe ne resterait pas plus de quatre ou cinq jours à la ferme, certes, mais en quatre ou cinq jours, il pouvait arriver bien des catastrophes, et la détective en chef étant injoignable, Mma Makutsi devrait répondre de tout. Pour le garage, elle savait que Mr. J.L.B. Matekoni séjournait à la ferme des orphelins, où l’on s’occupait bien de lui, et qu’il ne fallait pas chercher à le contacter tant qu’il n’était pas rétabli. Du repos et l’oubli des soucis professionnels, voilà ce qu’avait préconisé le Dr Moffat, et Mma Potokwane, qui n’avait pas l’habitude de contredire les médecins, mettrait tout en œuvre pour préserver son patient.

Mma Makutsi espérait donc secrètement qu’aucun client ne se présenterait à l’Agence No 1 des Dames Détectives avant le retour de Mma Ramotswe. Non qu’elle n’eût pas envie de mener des enquêtes – au contraire –, mais elle redoutait l’ampleur de la responsabilité qui pèserait alors sur ses épaules.

Bien entendu, un client apparut dès le matin. Pire, le problème qui l’amenait exigeait une attention immédiate.

Assise au bureau de Mr. J.L.B. Matekoni, Mma Makutsi établissait les factures lorsqu’un des apprentis passa la tête par la porte entrouverte.

— Il y a un gars du genre plutôt chic qui veut vous parler, Mma, annonça-t-il tout en essuyant ses mains couvertes de cambouis sur son bleu de travail. J’ai ouvert l’agence et je lui ai dit d’attendre.

Mma Makutsi fronça les sourcils.

— Du genre plutôt chic ?

— Beau costume, commenta l’apprenti. Enfin, vous voyez… Très beau, comme moi, mais dans un autre style. Avec des chaussures qui brillent. Le monsieur chic, quoi… Faites attention à vous, Mma. Les types comme ça cherchent toujours à faire du plat aux dames comme vous. Vous verrez ce que je vous dis…

— Ne t’essuie pas les mains sur ta combinaison, lança Mma Makutsi en se levant. On voit que ce n’est pas toi qui paies le nettoyage. On vous donne exprès des chiffons pour vous essuyer les mains. C’est à ça qu’ils servent, les chiffons. Mr. J.L.B. Matekoni ne vous l’a pas expliqué ?

— Peut-être, répondit l’apprenti. Ou peut-être pas. Il disait tellement de choses, le patron ! On ne peut pas se rappeler de tout…

Mma Makutsi le repoussa pour franchir la porte. Ces garçons étaient impossibles, songea-t-elle, mais au moins, ils se révélaient plus travailleurs que prévu.

Sans doute Mr. J.L.B. Matekoni s’était-il montré trop indulgent avec eux jusque-là. Il était si gentil ! Il n’était pas dans sa nature de critiquer les autres. Eh bien, pour elle, cela ne posait aucun problème : c’était dans sa nature ! Elle sortait de l’Institut de secrétariat du Botswana, où les professeurs disaient toujours : Ne craignez pas de critiquer – de façon constructive, évidemment – vos propres résultats et, si nécessaire, ceux des autres. Eh bien, voilà, Mma Makutsi avait critiqué et cela avait porté ses fruits. Le garage connaissait une belle prospérité et il semblait y avoir de plus en plus de travail.

Elle s’immobilisa à l’angle du bâtiment pour admirer le véhicule garé sous l’arbre derrière elle. Cet homme – « du genre plutôt chic », comme avait dit l’apprenti – possédait une très belle voiture. Elle laissa son regard s’attarder sur les lignes pures de la carrosserie et les deux antennes, l’une à l’avant, l’autre à l’arrière. Pourquoi deux antennes ? On ne pouvait écouter deux stations de radio à la fois ni passer deux coups de téléphone en conduisant. Quelle que fût la raison, toutefois, ces antennes ajoutaient au luxe et à l’impression de puissance qui émanaient du véhicule.

Elle poussa la porte. Installé dans un fauteuil face au bureau de Mma Ramotswe, les jambes croisées en une élégante décontraction, se trouvait Mr. Moemedi Pulani, identifiable au premier coup d’œil pour tout lecteur du Botswana Daily News, dans les colonnes duquel son beau visage plein d’assurance apparaissait souvent. La première pensée de Mma Makutsi en le découvrant fut de pester contre l’apprenti, qui aurait dû le reconnaître. L’espace d’un instant, elle fut contrariée de ce manquement, mais elle se souvint aussitôt que le garçon était apprenti mécanicien, et non apprenti détective, et qu’en outre elle ne l’avait jamais vu lire un journal. Les deux jeunes gens feuilletaient régulièrement un magazine automobile sud-africain, qui les plongeait dans une intense fascination, ainsi qu’une publication intitulée Filles de rêve, qu’ils tentaient de dissimuler chaque fois que Mma Makutsi surgissait près d’eux pendant la pause-déjeuner. Il n’y avait donc aucune raison, comprit-elle, qu’ils connaissent Mr. Pulani, son empire dans le domaine de la mode et son engagement en faveur d’œuvres caritatives locales.

Mr. Pulani se leva pour la saluer avec courtoisie. Ils échangèrent une poignée de main, puis Mma Makutsi contourna le bureau et prit place dans le fauteuil de Mma Ramotswe.

— Je suis ravi que vous puissiez me recevoir sans rendez-vous, Mma Ramotswe, déclara Mr. Pulani en sortant de sa poche-poitrine un étui à cigarettes en argent.

— Je ne suis pas Mma Ramotswe, Rra, rectifia-t-elle, avant de refuser d’un signe de tête la cigarette qu’il lui offrait. Je suis la directrice par intérim de l’agence.

Elle s’arrêta. Ce n’était pas la stricte vérité. À vrai dire, c’était même tout à fait faux. Toujours est-il qu’elle dirigeait bien l’agence en l’absence de Mma Ramotswe, ce qui justifiait certainement cette façon de présenter les choses.

— Ah bon, fit Mr. Pulani en allumant sa cigarette à l’aide d’un gros briquet plaqué or. J’aimerais parler à Mma Ramotswe en personne, je vous prie.

Mma Makutsi tressaillit lorsque le nuage de fumée lui parvint en plein visage.

— Je suis désolée, répondit-elle, mais ce ne sera pas possible avant plusieurs jours. Mma Ramotswe mène actuellement une enquête très importante à l’étranger.

Elle s’interrompit de nouveau. L’exagération lui était venue spontanément. Il était certes plus impressionnant de situer Mma Ramotswe à l’étranger – cela donnait à l’agence une envergure internationale –, mais tout de même, elle n’aurait pas dû dire cela.

— Je vois, fit Mr. Pulani. Eh bien, Mma, dans ce cas, c’est à vous que je vais parler.

— Je vous écoute, Rra.

Mr. Pulani s’adossa à son fauteuil.

— Il s’agit d’un problème très urgent. Pourrez-vous vous en occuper dès aujourd’hui, toutes affaires cessantes ?

Mma Makutsi s’emplit les poumons d’une grande bouffée d’air pur avant l’expulsion de fumée suivante.

— Nous sommes à votre disposition, assura-t-elle. Bien sûr, les tarifs sont plus élevés quand il y a urgence. Vous le comprendrez, Rra.

Il disqualifia la mise en garde d’un geste négligent.

— Peu importe le prix. Ce qui est en jeu ici, c’est l’avenir du concours de Miss Beauté et Intégrité.

Il se tut pour laisser ces paroles peser de tout leur poids. Mma Makutsi lui lança la réponse qu’il attendait.

— Oh ! Je vois qu’il s’agit d’une affaire très sérieuse.

Mr. Pulani acquiesça.

— Exactement, Mma. Et nous n’avons que trois jours pour la régler. À peine trois jours.

— Expliquez-moi ça, Rra. Je vous écoute.

 

— Il n’est pas inutile de rappeler certains faits, Mma, commença Mr. Pulani. L’histoire remonte, je pense, à des temps très, très anciens. En réalité, tout a commencé dans le jardin d’Éden, lorsque Dieu a créé Adam et Ève. Vous vous souvenez que si Ève est parvenue à tenter Adam, c’est en raison de sa grande beauté. Depuis, les femmes ont continué à être belles aux yeux des hommes, et elles le sont encore, comme vous le savez.

« Bon, les hommes du Botswana aiment les jolies femmes. Ils ne cessent de les regarder, même lorsqu’ils prennent de l’âge, et de se dire : “Cette femme est belle”, ou “Celle-ci est plus jolie que celle-là”, etc.

— Ils font la même chose avec le bétail, fit remarquer Mma Makutsi. Ils disent : « Cette vache-là est bonne », et « Celle-ci est moins bonne. » Le bétail. Les femmes. C’est la même chose pour les hommes.

Mr. Pulani lui jeta un regard en biais.

— Peut-être, admit-il. C’est une façon de voir les choses. Peut-être.

Il marqua un temps d’arrêt, avant de poursuivre :

— Quoi qu’il en soit, c’est cet intérêt des hommes pour les belles femmes qui fait des concours de beauté des événements si populaires au Botswana. Nous aimons trouver les plus jolies filles du pays et leur décerner des titres et des récompenses. C’est une forme de distraction très importante pour les hommes. Et je fais moi-même partie de ces hommes, Mma. Je suis investi dans le monde des reines de beauté depuis quinze ans, sans discontinuer. Je suis peut-être la personne la plus importante lorsqu’il est question de la beauté des choses.

— Je vous ai souvent vu dans les journaux, Rra, confirma Mma Makutsi. Je vous ai vu présenter les prix.

Mr. Pulani hocha la tête.

— J’ai lancé le concours Miss Prestige du Botswana il y a cinq ans et maintenant, c’est le numéro un. La femme qui remporte le titre se trouve toujours sélectionnée pour l’élection de Miss Botswana et on la voit parfois même concourir pour Miss Univers. Nous avons envoyé des femmes à New York et à Palm Springs. Elles ont reçu de très bonnes notes pour leur beauté. Certains affirment même que c’est notre meilleur produit d’exportation après les diamants.

— Et le bétail, ajouta Mma Makutsi.

— Oui, le bétail aussi, consentit Mr. Pulani. Seulement, voyez-vous, il y a toujours des gens mal intentionnés pour tirer sur nous à boulets rouges. Des gens qui écrivent aux journaux en prétendant qu’il est malsain d’encourager les femmes à se pomponner pour se pavaner devant des hommes. Ils disent que cela provoque l’émergence de fausses valeurs. Pouh ! Des fausses valeurs ? Ceux qui écrivent ça ne sont que des jaloux. Des personnes qui envient la beauté de ces filles. Qui savent qu’elles-mêmes ne seraient jamais sélectionnées pour participer à ces concours. Alors elles se plaignent et sont très contentes lorsqu’une compétition se passe mal. Elles oublient au passage que ces manifestations permettent de recueillir des fonds importants pour les œuvres caritatives. L’an dernier, Mma, nous avons récolté cinq mille pula pour l’hôpital, vingt mille pour la lutte contre la sécheresse – oui, Mma, vingt mille ! – et près de huit mille pour des bourses de formation d’infirmières. Ce sont des sommes considérables, Mma. Mais combien d’argent nos détracteurs ont-ils réuni, eux, je vous le demande ? Je peux vous donner la réponse : rien du tout.

« Seulement, nous devons nous montrer prudents. Nous recevons beaucoup d’argent des sponsors, et si les sponsors se retirent, nous rencontrerons des difficultés. Si quelque chose se passe mal lors d’un concours, ils peuvent très bien nous dire qu’ils ne veulent plus avoir affaire avec nous. Nous dire qu’ils n’ont pas envie de se retrouver en mauvaise posture à cause d’une publicité dévalorisante. Nous dire qu’ils paient pour de la bonne publicité, et pour rien d’autre.

— Et il y a eu un problème ?

Mr. Pulani tapota nerveusement le bureau.

— Oui. Il s’est passé des choses très graves. L’an dernier, on s’est aperçu que deux de nos reines de beauté étaient des femmes indignes de confiance. L’une d’elles a été arrêtée pour prostitution dans un grand hôtel. Ce n’était pas bon pour notre image. La deuxième a menti pour obtenir des marchandises et a utilisé une carte de crédit sans autorisation. Les journaux ont publié des dizaines de lettres dans le courrier des lecteurs. Nos ennemis pavoisaient : « Est-ce vraiment des filles comme celles-là qui doivent être les ambassadrices du Botswana ? » disaient-ils. Ou bien : « Pourquoi ne pas aller chercher directement des femmes dans les prisons du pays pour les nommer reines de beauté ? » Ils s’amusaient beaucoup avec ça, mais ce n’était pas drôle du tout. Du coup, certaines entreprises nous ont expliqué que, si un tel incident se reproduisait, elles cesseraient de nous sponsoriser. J’ai reçu quatre lettres qui disaient toutes la même chose.

« J’ai donc décidé que, cette année, le thème de notre concours serait Beauté et Intégrité. J’ai dit aux gens qui travaillent pour nous que nous devions choisir des reines de beauté qui soient aussi de bonnes citoyennes, afin qu’elles ne nous causent pas de tels soucis. C’est la seule façon de s’assurer la satisfaction de nos sponsors.

« Pour participer au premier tour, les candidates ont donc dû remplir un questionnaire que j’ai élaboré moi-même. Il contenait toutes sortes de questions sur leur façon de voir la vie. Nous demandions par exemple : Aimeriez-vous travailler pour une œuvre de bienfaisance ? Ou encore : Quelles sont les valeurs que doit soutenir un bon citoyen du Botswana ? Et : Vaut-il mieux donner ou recevoir ?

« Toutes les filles ont rempli ce questionnaire et seules celles qui ont montré qu’elles comprenaient le sens du mot citoyenneté ont été retenues pour la finale. Parmi ces filles, nous en avons ensuite choisi cinq. Je suis alors allé dans les rédactions des journaux pour expliquer que nous avions trouvé cinq très bonnes citoyennes qui croient aux vraies valeurs. Il y a eu un article dans le Botswana Daily News intitulé : Filles modèles pour prix de beauté.

« J’étais très heureux, et le silence s’est fait du côté de nos détracteurs, qui n’avaient plus qu’à se croiser les bras, étant donné qu’ils ne pouvaient critiquer des femmes qui exprimaient le désir d’être de bonnes citoyennes. Les sponsors m’ont téléphoné pour me signifier leur satisfaction d’être associés aux valeurs de la citoyenneté et leur désir de continuer à nous sponsoriser l’an prochain, si tout se passait bien. Et les œuvres caritatives elles-mêmes m’ont félicité de m’être engagé sur une bonne voie pour l’avenir.

Mr. Pulani se tut. Il regarda Mma Makutsi et, tout à coup, ses manières mondaines l’abandonnèrent pour faire place à un découragement patent.

— Et puis, hier soir, la mauvaise nouvelle est tombée. L’une des filles sélectionnées a été arrêtée par la police en flagrant délit de vol à l’étalage. Je l’ai appris de l’un de mes employés et lorsque j’ai vérifié auprès d’un ami commissaire, la chose a été confirmée. La fille avait été surprise en train de voler au supermarché Game. Elle tentait de dérober une poêle à frire, qu’elle avait glissée sous son chemisier. Seulement, elle n’avait pas vu que le manche dépassait sur le côté et les surveillants du magasin l’ont repérée. Heureusement, les journaux n’en ont pas parlé et, avec un peu de chance, ils n’en sauront rien, du moins avant que l’affaire ne soit jugée au tribunal.

Mma Makutsi ressentit un élan de sympathie pour Mr. Pulani. Malgré ses côtés m’as-tu-vu, il ne faisait aucun doute qu’il s’impliquait corps et âme dans les œuvres caritatives. Bien sûr, le monde de la mode ne pouvait être que m’as-tu-vu, mais cet homme n’était sans doute pas pire qu’un autre et, au moins, il agissait pour aider les gens dans le besoin. Et puis, les concours de beauté étaient une réalité de la vie que l’on ne pouvait espérer voir disparaître. S’il tentait de rendre le sien plus acceptable, il méritait d’être soutenu.

— Je suis désolée d’apprendre cela, Rra, dit-elle. Cela a dû être une très mauvaise nouvelle pour vous.

— Oui, répondit-il d’un ton misérable. Et c’est encore plus grave quand on sait que la finale a lieu dans trois jours. Il ne reste plus que quatre filles en lice, mais comment savoir si elles ne vont pas me causer de nouveaux problèmes ? Celle-ci a dû mentir en remplissant le questionnaire et elle a réussi à se faire passer pour une bonne citoyenne. Comment puis-je être sûr que les autres ne mentent pas quand elles affirment avoir envie de travailler pour des œuvres caritatives ? Comment le savoir ? Si nous élisons une fille qui a menti, on risque de découvrir bientôt que c’est une voleuse, ou pire encore… Ce qui signifie que nous courons à la catastrophe…

Mma Makutsi hocha la tête.

— C’est très délicat. Il faudrait pouvoir lire dans le cœur des quatre candidates restantes. S’il y en a une vraiment sincère parmi elles…

— S’il y en a une, coupa Mr. Pulani avec force, ce sera elle qui l’emportera. Je la ferai gagner.

— Mais… et les autres juges ? s’étonna Mma Makutsi.

— Je suis président du jury, expliqua Mr. Pulani. On pourrait m’appeler Juge Suprême de la Beauté. Mon vote est le seul qui compte.

— Je vois…

— Oui. C’est ainsi que les choses fonctionnent.

Mr. Pulani écrasa sa cigarette sur la semelle de sa chaussure.

— Vous savez tout, Mma. Voilà ce que je suis venu vous demander. Je vais vous donner les noms et adresses des quatre femmes en lice. J’aimerais que vous me disiez s’il y en a une parmi elles qui soit réellement honnête. Si vous découvrez qu’il n’y en a pas, j’aimerais au moins savoir laquelle est la moins malhonnête du lot. Ce serait un deuxième choix.

Mma Makutsi se mit à rire.

— Comment voulez-vous que je sonde les cœurs de ces filles en si peu de temps ? s’enquit-elle. Il faudrait que je parle à un très grand nombre de gens pour savoir vraiment ce que vaut chacune. Cela prendrait des semaines.

Mr. Pulani haussa les épaules.

— Vous n’avez pas des semaines, Mma. Vous n’avez que trois jours. Vous avez dit que vous pourriez m’aider.

— Oui, mais…

Mr. Pulani glissa la main dans sa poche et en tira une feuille de papier pliée en quatre.

— Voici la liste. J’ai noté l’adresse de chaque fille au-dessous de son nom. Elles vivent toutes à Gaborone.

Il posa la feuille sur le bureau, puis saisit un fin portefeuille de cuir dans une autre poche. Lorsqu’il l’ouvrit, Mma Makutsi vit qu’il contenait un carnet de chèques. Il posa celui-ci sur la table et commença à écrire.

— Et voici, Mma, un chèque de deux mille pula, à l’ordre de l’Agence No 1 des Dames Détectives. Tenez. Je l’ai postdaté. Si vous parvenez à me fournir les renseignements que je vous demande après-demain dernier délai, vous pourrez le présenter à la banque dans trois jours.

Mma Makutsi contempla le chèque en imaginant le sentiment qui l’étreindrait lorsqu’elle annoncerait à Mma Ramotswe : « J’ai fait gagner à l’agence deux mille pula, Mma, déjà payés. » Elle savait que Mma Ramotswe n’avait rien d’une femme cupide, mais qu’elle se souciait de la viabilité financière de l’agence. Des honoraires de ce montant seraient d’un grand secours et représenteraient, songea Mma Makutsi, une façon de récompenser la confiance que Mma Ramotswe lui avait témoignée.

Elle glissa le chèque dans un tiroir et vit Mr. Pulani se détendre.

— Je compte sur vous, Mma, dit-il. Je n’ai entendu que du bien de l’Agence No 1 des Dames Détectives. J’espère pouvoir vérifier cette bonne réputation par moi-même.

— Je l’espère aussi, Rra, répondit Mma Makutsi.

Toutefois, elle éprouvait déjà de sérieux doutes sur ses chances de réussite. Comment faudrait-il s’y prendre ? La tâche semblait irréalisable.

Elle raccompagna Mr. Pulani à la porte, remarquant pour la première fois qu’il portait des souliers blancs. Elle nota également les gros boutons de manchette en or et la cravate aux reflets soyeux. Je n’aimerais pas avoir un mari comme ça, songea-t-elle. Je serais obligée de passer mon temps dans les instituts de beauté pour être à la hauteur de la perfection qu’à n’en pas douter il attend d’une épouse. Bien sûr, ajouta-t-elle en son for intérieur après réflexion, il existe des femmes que cela ne gênerait pas du tout.