Livre Dix-Septième

LE PÈRE CLÉMENT fut tiré de sa lecture par le bruit des sabots des chevaux qui foulaient le sol. L’ecclésiastique s’étonna d’une pareille agitation à une heure où les habitants du hameau avaient l’habitude de rentrer dans leurs chaumières pour y prendre le repas du soir. Les récoltes avaient été bonnes cette année et l’on ne manquait de rien dans la vallée. Le curé supposa qu’il s’agissait d’étrangers voyageurs qui demandaient l’hospitalité pour la nuit. Il remonta rapidement la courte nef de son église et poussa la lourde porte de bois qui séparait la maison de Dieu du monde des humains.

Une fois dehors, il jeta un oeil alentour, mais il ne vit rien, si ce n’était deux chevaux qui broutaient un peu plus loin quelques herbes hautes. Le père Clément fronça les sourcils et regarda encore une fois autour de lui. Il n’était pas possible que ces chevaux soient arrivés seuls devant son église. Où étaient passés leurs cavaliers ? Peut-être étaient-ils descendus à la rivière pour se désaltérer après une longue route. Davantage intrigué que réellement inquiet, le prêtre tourna le dos pour rentrer dans sa petite église de bois et de torchis. À ce moment précis, il sentit le contact d’une lame froide dans le creux de son dos. Le curé frémit tandis qu’un gros rire retentit derrière lui.

— Alors, mon père, fit une voix d’homme, tu t’imaginais peut-être que ces chevaux étaient guidés par des anges envoyés du ciel ?

— Mais, balbutia le père Clément dont le corps était saisi d’un fort tremblement, qui êtes-vous ? Que me voulez-vous ?

Brusquement, l’ecclésiastique fut projeté à l’intérieur de l’église. Il trébucha sur le pied d’un banc de bois et alla rouler à terre. Lorsqu’il interrompit sa course dérisoire sur le sol, il vit pour la première fois ses agresseurs. Face à lui, se tenaient deux guerriers. Un grand homme aux longs cheveux et à la barbe rousse qui tenait une épée en main et à ses côtés, un autre, plus petit, mais très robuste, qui portait aussi de longs cheveux blonds à la mode viking. Le géant roux s’approcha de lui, l’air menaçant.

— Alors, curé, dit-il d’une voix forte, tu as peur ? Tu trembles ? Tu crains que ton dieu pourtant tellement adoré ne vienne pas à ton secours ? Ce serait bien ingrat de sa part, non ?

— Mais... répondit le père Clément en tremblant, vous êtes entrés dans la famille de Dieu. Vous vénérez, vous aussi, le Christ notre Seigneur. Ne souillez point sa maison, elle est sacrée.

Le guerrier roux recommença à rire de plus belle. En quatre enjambées, il parvint à la hauteur de l’autel sur lequel était placée une sculpture en bois de la crucifixion. Il la regarda un instant avec ironie avant de tendre son épée et de l’abattre sur la sculpture. Le coup était net et violent au point de trancher la tête du Christ qui tomba sur le sol dans un petit bruit sourd et dérisoire. Le Viking revint à la hauteur du curé qui s’était relevé entre-temps. Tandis que Clément s’était réfugié contre le mur en pleurant, le géant roux s’approcha.

— Tu vois, curé, dit-il sur un ton faussement désolé, je crois que je viens de souiller ton église. J’ai péché...

J’ai peur, vais-je rôtir dans les flammes de l’enfer. Brrrhhh... Je tremble !

Le Viking se remit à rire tandis que son compagnon, comme un enragé, entreprit de tout casser dans l’église. Il commença par arracher les deux tapisseries qui ornaient les murs avant de renverser les bancs. Il brisa ensuite les croix et une statue de la Sainte Vierge en pierre qu’il jeta à terre. Impuissant, le père Clément assistait à la destruction de ce qui faisait jusqu’à ce jour sa plus grande fierté. Il avait beau implorer la miséricorde divine au plus profond de lui-même, il n’y avait personne pour lui venir en aide.

Tout d’un coup, Skirnir le Roux cessa de rire. Son expression se fit subitement menaçante et il se dirigea vers le curé.

— Bon, j’ai assez perdu de temps, cria-t-il. Tu vas me dire où tu caches ton trésor... On m’a dit que tu avais de l’argent ici, alors n’essaie pas de me mentir, car cela risquerait de te coûter cher.

— Mais Seigneur, supplia l’ecclésiastique, il n’y a pas de trésor ici... Je ne suis que l’humble curé de cette petite église. Vous savez, les gens sont très pauvres dans la région.

— Je connais bien les menteurs de ton espèce, cria de plus en plus fort Skirnir en le prenant à la gorge. Ils profitent des deniers que leur donnent sottement les habitants des villages pour s’enrichir et engraisser leurs évêques. Alors, si tu refuses de m’écouter, tu risques de regretter ton entêtement.

Le père Clément finit par incliner la tête et courut vers le choeur de l’église. Il poussa une petite porte noire qui communiquait avec la sacristie où étaient entreposés tous les objets du culte. Il en ressortit bien vite en portant un coffret recouvert de cuir et orné de ferronneries. Il le porta au Viking qui, entre-temps, avait été rejoint par son compagnon.

— Voilà qui est plus raisonnable, dit Skirnir en souriant. Pourquoi faut-il toujours que les serviteurs de ce prétendu dieu soient aussi menteurs et lâches ? Peut-être parce que leur dieu est le plus grand des couards...

— De grâce... Ayez pitié, mon seigneur, implora le père Clément. Le duc Rollon est notre maître, il s’est placé sous la protection de notre Sainte Mère l’Église. Songez à lui.

— Hròlfr le Marcheur est un traître et il est temps que tout le monde le sache, lâcha Skirnir d’un ton méprisant. Olav ! Il fait froid dans cette église. Je crois qu’il serait temps de la livrer aux flammes. Aux flammes de nos dieux et aux flammes de leur diable.

L’autre Viking sourit et saisit un candélabre avec lequel il enflamma une tapisserie qu’il avait jetée au sol. L’angoisse se lut dans le regard du curé.

— Non ! cria-t-il, vous n’avez pas le droit de détruire cette maison. Je vous empêcherai de commettre pareil péché.

— Silence ! lui intima Skirnir. Décidément curé, tu geins beaucoup trop... Tu as même réussi à me fatiguer, moi qui étais de si bonne humeur aujourd’hui...

Il sortit son épée et la plongea dans le coeur du curé qui n’avait pas vu venir le coup. L’homme s’affaissa dans son sang qui avait commencé à se répandre sur le plancher de l’église. Mais déjà, Skirnir ne regardait plus sa victime. Il avait fait sauter les fragiles ferrures du coffre et observait son contenu en faisant la moue.

— Par Thor, lâcha-t-il, contrarié, le butin ne valait pas toute la peine que nous nous sommes donnée.

— Allons-y, Skirnir, s’écria Olav. Le feu a bien pris, il ne restera bientôt plus rien de l’église.

Skirnir serra le coffre contre lui et courut à l’extérieur. Sa bonne humeur semblait être revenue.

— Enfin, cela nous offre toujours un avant-goût des réjouissances qui seront les nôtres le jour où Hròlfr aura mordu la poussière. Le pays regorge d’églises à piller et de curés à saigner. Les chrétiens n’ont pas fini de trembler, crois-moi !

Il ne fallut qu’un instant aux deux hommes pour sauter sur leur monture et repartir au galop. Au moment où leurs silhouettes disparaissaient dans le lointain, les habitants du hameau avaient commencé à se presser devant leur église. Mais ils n’eurent que le temps de voir le petit clocher de bois s’effondrer. Les flammes avaient déjà eu raison de la maison de Dieu.