Chapitre 24

EN CHEMIN, LE BIHAN raconta à Joséphine la lettre de Léonie et l’étrange histoire du manuscrit norvégien. Ils pressaient le pas, mais Le Bihan craignait qu’il ne fût déjà trop tard. Lorsqu’ils s’engagèrent dans la rue Martainville, ils comprirent qu’ils avaient été précédés. Une grande voiture noire bloquait l’entrée du passage qui menait à l’aître Saint-Maclou. Furieux d’avoir été doublé, Le Bihan lâcha un juron.

— Merde !

— Attends, rien n’est perdu, dit Joséphine qui ne voulait pas s’avouer vaincue. Si nous ne pouvons arriver avant eux, nous pourrons au moins les observer. Une de nos bonnes amies possède une vue imprenable sur l’aître.

Le Bihan ne comprenait pas un mot de ce que lui disait Joséphine, mais il avait pris l’habitude de la suivre sans trop poser de questions. Ils s’engouffrèrent dans une maison de pierres blanches à colombages bruns et s’engagèrent dans l’escalier.

— À propos, ajouta Joséphine, on dirait qu’elle en pince pour toi la petite paysanne !

— Mais, fit Le Bihan d’une voix étonnée, pourquoi tu dis ça ? Elle a seulement voulu nous aider. La pauvre petite a été choquée par la mort de Léonie, voilà tout. Et puis, est-ce que je t’ai encore parlé de ton Marc, moi ?

— Ah ! les hommes, dit Joséphine en souriant. Si vous n’êtes pas tous aveugles, vous faites en tout cas bien semblant de l’être. Et puis, c’est plutôt flatteur pour toi de lui avoir tapé dans l’oeil, non ? Enfin, nous en parlerons plus tard. Bon, je te préviens, Germaine Hérisson est la plus grande commère du quartier, mais au moins, rien ne lui échappe.

Joséphine frappa deux petits coups et puis un coup plus fort sur la porte à la peinture écaillée par le temps. Une vieille dame habillée d’une élégante robe bleu pervenche les fit rapidement entrer.

— Bonjour Madame Hérisson ! dit Joséphine non sans précipitation. Il faut que vous nous laissiez regarder par votre fenêtre, celle qui donne sur l’aître Saint-Maclou.

— Sur l’aître ? s’étonna la vieille femme en réajustant sa coiffure. J’ignorais que tu t’intéressais à notre héritage culturel. Moi qui ai toujours pensé que tu préférais faire la sortie des classes des garçons plutôt que de suivre les cours d’histoire à l’école. Enfin, c’est ce que ta pauvre mère me disait toujours !

Joséphine lui tira la langue et puis l’embrassa.

— Vous êtes une horrible commère doublée d’une redoutable langue de vipère, lui dit-elle, mais je vous adore.

— Je sais, répondit Germaine. De toute façon, je suppose que vous venez espionner les quatre Boches qui s’affairent dans la cour. Pour être honnête, je n’ai pas encore réussi à comprendre ce qu’ils chipotent... Ils font le tour des boiseries de la cour et ils essaient de les arracher. Si ce n’est pas malheureux ! Ah, si j’avais un fusil, je ferais un carton plein !

Les deux jeunes gens se mirent à la fenêtre en prenant garde de ne pas être vus. Storman et deux hommes s’affairaient en différents endroits de l’aître tandis qu’un SS montait la garde à l’entrée. Méthodiquement, les hommes en noir sondaient chacun des panneaux ornés d’une tête de mort. Leurs doigts couraient sur ces reliefs macabres avec l’agilité de ceux d’un malfaiteur occupé à percer le secret de la combinaison d’un coffre.

— C’est trop frustrant ! pesta Le Bihan. Si seulement nous avions été avertis un peu plus tôt !

— Je dois reconnaître que pour une fois, tu as raison, répondit Joséphine. Nous ne pourrons rien faire d’autre que constater s’ils vont trouver ce qu’ils cherchent. Après, il nous faudra accepter notre défaite.

— Regarde, s’exclama Le Bihan en tendant le doigt.

Joséphine et Germaine Hérisson plissèrent ensemble les yeux pour ne rien manquer de la scène. Un panneau situé à l’angle nord-ouest de l’aître s’était détaché sous la pression de Storman. L’Allemand plongea la main dans la petite niche qui avait été dégagée et en sortit une grosse enveloppe brune. À son air réjoui, le SS avait atteint le but de sa quête.

— Le voilà, lâcha Le Bihan sur un ton désabusé.

— Le voilà quoi ? fit Joséphine sans comprendre de quoi son compagnon voulait parler.

— Le manuscrit qu’Haraldsen avait confié à Léonie. La clé du secret de Rollon.

Dès lors, tout alla très vite. Storman remit la plaque de bois et la danse macabre déroula à nouveau sa séquence infernale tout autour de l’aître. Les SS quittèrent la cour et s’engagèrent dans le couloir qui menait à la rue. Leur voiture démarra en trombe, emportant avec eux les pages tellement convoitées.

Chez la vieille Hérisson, en revanche, l’ambiance était morose. Le Bihan regarda Joséphine avec désappointement et lui dit :

— À présent, il nous reste à espérer un miracle pour nous éclairer sur ce mystère.