Chapitre 29

LA VOITURE DE LA SS entra dans la cour de la Kommandantur. Elle s’arrêta devant le penon et les quatre hommes en jaillirent avant de gravir rapidement les marches du perron. Von Bilnitz se tenait devant l’entrée. Il s’adressa à Storman qui passait à côté de lui sans le regarder.

— À en juger par votre air maussade, Herr Storman, j’en déduis que votre traque n’a pas été fructueuse. Allez-vous enfin abandonner toutes ces chimères de l’Anticroix ?

— Je trouve particulièrement suspect votre comportement, répondit sèchement le SS. J’ai presque l’impression que vous vous réjouissez de savoir qu’un ennemi de l’Allemagne court en toute liberté dans cette ville...

— Vous vous trompez, répondit l’officier. Je suis un soldat loyal et à ce titre, j’aspire au moins autant que vous à la victoire de mon pays. J’obéis dès lors à mes supérieurs, même si je ne partage pas l’ensemble de leurs convictions.

Storman sentait qu’il se crispait de plus en plus. Il devait accomplir un grand effort sur lui-même pour ne pas lui dire tout ce qu’il avait sur le coeur. Finalement, il se retourna et regarda le Prussien à l’oeil fier.

— Von Bilnitz, poursuivit-il, prenez garde. Certaines personnes vous ont à l’oeil, en très haut lieu. Si j’étais vous, je ne jouerais pas avec le feu. Vous appartenez à un monde rassis qui se complaît dans le passé. Que vous le vouliez ou non, nous représentons l’avenir glorieux de la nouvelle Allemagne.

— En remuant les vieilles superstitions du passé ? coupa von Bilnitz. Votre quête est malsaine. Je dirais même qu’elle est pitoyable et dangereuse.

— Tout compte fait, répliqua Storman, vous me faites de la peine. Vous faites partie de ces hommes qui placent leur fidélité dans certaines valeurs dépassées comme la religion des sémites. Je suis certain que vous seriez prêt à accorder davantage votre confiance à un archevêque dégénéré qu’à un compatriote de l’Ordre Noir. Je vous le répète, mon cher, prenez garde ! Le conflit entre dans une phase décisive et nous ne nous encombrerons pas de traître. Mais il n’est pas trop tard pour accomplir votre examen de conscience.

Von Bilnitz prit Storman par le cou. Il serra son col jusqu’à le faire suffoquer, puis il finit par relâcher son étreinte.

— Ne me répétez plus jamais que je suis un traître, lui assena von Bilnitz, ivre de colère. À une autre époque, je vous aurais fait rendre gorge pour un pareil affront. Tenez-vous-le pour dit !

Storman se dégagea et remit son col en place. Il regarda l’officier dans le fond des yeux.

— Sachez que nous mettrons la main sur tous les terroristes qui nous mettent des bâtons dans les roues. Qu’ils soient laïques ou religieux, peu nous importe. Ils paieront le prix de leurs exactions. Rappelez-vous les paroles du Reichsfïihrer aux généraux SS rassemblés à Posen le 4 octobre 1943. « La loi de la nature est ainsi : ce qui est dur est bon, ce qui est fort est bon, ce qui procède de la lutte pour l’existence, au plan du corps, du caractère et de l’esprit, est bon du point de vue de la durée. Nos principes sont sang, élite et durée. » Méditez ces paroles, von Bilnitz, elles sont riches d’enseignements. À présent, je souhaiterais ne plus être dérangé. Le travail m’attend.

Storman laissa derrière lui von Bilnitz qui s’en voulait d’avoir ainsi exposé aux yeux de tous le poids de leur opposition. D’une façon ou d’une autre, il savait qu’il faudrait continuer à cohabiter et il craignait que ce ne fût à lui de mettre de l’eau dans son vin.