Chapitre 13

LA VOITURE DÉBOUCHA SUR LE PARVIS de la cathédrale à une heure très matinale où les passants étaient plutôt rares dans le quartier. Elle s’arrêta un court instant, le temps de laisser sortir deux hommes en habit ecclésiastique. Le véhicule redémarra instantanément et la frêle silhouette du bedeau sortit du vaste édifice. Il s’assura de ne pas être observé et fit rentrer les deux hommes à l’intérieur.

Monseigneur Battisti était fatigué du long voyage qu’il venait d’accomplir, mais l’appel de l’évêque l’avait convaincu de venir à Rouen sans perdre une seconde. À soixante-cinq ans, il avait acquis assez d’expérience dans son domaine très particulier pour être appelé dans toute l’Europe. Certes, il ne donnait pas toujours suite aux demandes qu’on lui adressait, loin de là ! Mais il s’agissait cette fois d’un cas bien particulier. Le genre de problème délicat qui pouvait avoir de terribles répercussions sur l’ensemble de la chrétienté. Dès lors, il ne cacha pas son impatience d’en savoir plus lorsqu’il vit arriver l’archevêque au fond de la nef. Le prélat leva les bras avec enthousiasme pour accueillir son visiteur. Un large sourire éclairait son visage.

— Monseigneur Battisti, c’est un honneur, mais aussi une joie de vous accueillir en cette maison, s’exclama-t-il.

— Je partage le même sentiment de joie, répondit le prélat romain. Et il me faut vous transmettre le meilleur souvenir ainsi que la bénédiction de notre Très Saint-Père. Le pape a personnellement insisté pour que j’accomplisse ce voyage sans attendre.

— Sa Sainteté est trop bonne de se préoccuper de nos affaires, poursuivit l’archevêque. Je sais à quel point la gestion des affaires l’accapare. Mais nous n’ignorons pas que le cas qui nous préoccupe est suffisamment important pour agir sans attendre.

Tout en continuant à parler, l’archevêque l’invita à le suivre dans la sacristie et lui proposa un café.

— Pour cause de restrictions, il ne nous en reste pas beaucoup, ajouta-t-il dans un sourire, mais nous en gardons une réserve de qualité réservée aux grandes occasions et aux invités de marque.

Le cardinal jeta un coup d’oeil alentour pour observer la pièce et répondit à son interlocuteur d’une voix qui trahissait l’impatience.

— J’accepte avec joie votre café, mais je vous confesse mon impatience. Ne pourrait-on pas le boire dans le lieu qui nous occupe ? Je pense que le Seigneur nous pardonnera volontiers ce petit sacrilège.

Monsignore Battisti et son secrétaire suivirent l’archevêque et Maurice Charmet dans la nef.

— Les origines de la cathédrale remontent à l’époque romaine, commenta le prélat. Charlemagne y fut fastueusement reçu en 769 et dès le IXe siècle, les Vikings causèrent de grands dégâts aux bâtiments. Après le traité de Saint-Clair-sur-Epte, notre premier duc de Normandie y reçut le baptême et les membres les plus éminents de sa dynastie y furent ensevelis par la suite. La cathédrale fut consacrée par l’archevêque Maurille, en présence du célèbre duc Guillaume et peu avant la conquête de l’Angleterre.

Tandis que l’envoyé du Vatican écoutait attentivement les explications de son hôte, ils se dirigeaient en une étrange procession matinale vers la chapelle du Petit-Saint-Romain. Ils s’arrêtèrent devant le gisant de Rollon et les quatre hommes se signèrent en même temps.

— Voici la tombe de Rollon, le premier duc de Normandie. L’homme qui a abjuré les croyances païennes de ses ancêtres pour embrasser la vraie foi. Le chef guerrier venu de Norvège qui a signé un traité de paix avec le roi de France pour s’établir en terre normande avec son peuple.

Monsignore Battisti s’approcha du gisant comme s’il voulait en estimer chaque détail, le moindre pli de la tunique ducale, tous les ornements de l’épée.

— Le voici donc, ce Rollon qui suscite autant de convoitises, murmura le Romain. Au point de provoquer la visite de ces nouveaux païens que sont les SS...

— Ils ont refermé la tombe, dit le bedeau avec empressement. Mais nous savons qu’ils ne sont pas partis les mains vides.

— Oui, poursuivit l’archevêque avec empressement, ils ont emporté une remarquable croix en or décorée de pierres précieuses dont nous ignorions jusqu’ici l’existence.

— Et rien d’autre ? demanda le cardinal. Pas le moindre ossement destiné à devenir une relique pour servir leurs rites sataniques ?

Le prélat normand frissonna avant de se signer. Le mot tant redouté avait été lancé. Son église était-elle le théâtre d’une lutte sur fond de gloire rendue à Satan ? Cette fois, Maurice Charmet n’était pas avare en confidence. Il poursuivit ses explications.

— Non, répondit-il d’une voix assurée. Ils n’ont emporté que cette croix. Puis, ils ont repoussé la pierre, mais de manière maladroite. C’est moi qui l’ai remise correctement à sa place.

Monsignore Battisti se baissa et observa la partie du tombeau où le couvercle reposait sur le sarcophage.

— Eh bien, mon cher, ajouta-t-il en plissant les yeux, il va falloir à nouveau bouger ce couvercle. Si nous voulons en avoir le coeur net.

— Mais... balbutia le bedeau, nul n’a jamais ouvert ce tombeau, il s’agirait d’une profanation !

Le cardinal se releva et balaya la remarque d’un coup de manche.

— Personne jusqu’à ce que les SS s’en mêlent. Si vous avez fait appel à l’exorciste le plus expérimenté du Vatican, je suppose que vous êtes disposés à obéir à ses ordres.

L’archevêque roula de gros yeux de reproche à l’égard de son bedeau. Se pouvait-il qu’il fût aussi maladroit ? Ce n’était pas tous les jours qu’on avait l’honneur d’accueillir à Rouen une personnalité comme Monsignore Battisti.

— Bien sûr que nous allons vous obéir, dit-il avec aplomb. Notre fidèle et dévoué bedeau va d’ailleurs se charger lui-même de cette lourde tâche.

Ce dernier inclina la tête en signe d’acceptation et alla chercher un pied-de-biche. Pendant ce temps, l’envoyé du Vatican sortit de sa mallette un bocal de sable.