ÉPILOGUE
On ne se joue jamais des rois sans en être
puni.
Cardinal de
Retz
Le jeudi 20 février, Lavalée, Rivoux et le
marquis de Ranreuil rendirent les derniers devoirs à la dépouille
de Freluche. Seul Nicolas mesurait l'ironie de leur réunion. Une
messe de requiem à Saint-Étienne du Mont précéda l'inhumation au
cimetière de Clamart. Non loin de là, anonyme, reposait Saül
Francis Peilly.
Le jeudi 27 février, alors que tout
s'apprêtait pour la messe de mariage de la fille de M. Le
Noir, les invités apprirent la mort subite de M. de
Saint-Florentin, duc de la Vrillière. Le vieux ministre avait
succombé à une attaque à la suite d'une querelle de famille.
Nicolas en éprouva de la peine. Un autre lien avec le feu roi se
rompait. Ainsi le temps faisait son œuvre et isolait chacun.
Le 1er mars, deux
fourgons entourés chacun d'un gros de cavalerie quittaient à grande
allure le Châtelet pour des destinations inconnues. Nul n'entendit
plus jamais parler d'Armand Deplat ni d'Agnès Guinguet.
Le même jour, à Lorient, le vaisseau de ligne
La Surprise, en partance pour
Pondichéry, recevait à son bord le chevalier Tadeusz von Issen. Son
commandant avait reçu instructions de le tenir consigné dans sa
cabine sans contact avec l'équipage et de le débarquer au
Cap.
Lettre du marquis de Pons,
ministre du roi à Berlin, à M. de Vergennes, le 5 avril
1777
Monsieur le
comte,
La santé du roy de Prusse
paroit se soutenir assés constamment bonne. On remarque cependant
que, depuis le 25 du mois dernier que les exercices ont recommencé,
Sa Majesté prussienne ne s'est encore montrée ni à la parade ni aux
différentes écoles des régiments de la garnison et que ses
promenades à cheval sont rares et peu longues. La saison, il est
vrai, est encore assés mauvaise pour avoir déterminé Sa Majesté
prussienne à prolonger un peu davantage les précautions, mais elles
lui sont habituellement si étrangères qu'on doit juger que ce
prince croit en avoir besoin pour se préparer d'avance aux fatigues
des revues.
Ce n'est pas sans nécessité
que le roy de Prusse s'écarte de la règle de ses habitudes
militaires dont il s'étoit toujours fait un principe invariable et
c'est à cela qu'on peut s'apercevoir plus sûrement que le
dépérissement de ses forces ne lui permet plus aujourd'huy une
fatigue suivie. Le travail même du cabinet commence à devenir pour
ce prince une chose pénible. Je sais de bonne part qu'il lui est
échapé de se plaindre dernièrement dans un moment d'humeur d'être
surchargé de travail, en ajoutant qu'il étoit bien fâcheux pour lui
de n'avoir dans sa vieillesse personne sur qui pouvoir s'en
remettre avec confiance de la moindre partie de ses affaires. C'est
un malheur à la vérité qu'il doit sentir tous les jours de plus en
plus ; mais que ce prince s'est préparé par la forme
d'administration que son caractère défiant lui a fait
introduire.
J'avais naguère signalé
l'étrange évanouissement des cabinets intérieurs de Sa Majesté
prussienne d'un objet rare auquel ce souverain tenoit fort. Dans
les mêmes et identiques conditions, l'objet en question a réapparu.
Cette affaire occupe et fait plus de bruit encore qu'elle n'en
devroit faire par elle-même parce que c'est le roy lui-même qui,
tout en jubilation et ricanements, a proclamé la chose devant la
cour assemblée.
Lundi 31 du mois dernier, la
cour a pris le deuil pour un mois à l'occasion de la mort du roi de
Portugal et de la princesse Frédérique-Charlotte de Hesse-Cassel,
mère de madame la princesse Henri de Prusse.
M. Elliot est arrivé ici
pour résider en cette cour en qualité de ministre d'Angleterre. M.
de Stutterheim, ministre de Saxe, a reçu son rappel, il sera
remplacé ici par M. De Zinzendorff, ministre de la cour de
Dresde à celle de Copenhague.
Plusieurs Français sont ici
de passage. Le comte de Merens de retour de Russie m'a rapporté de
curieuses anecdotes sur l'impératrice. Sur votre recommandation,
j'ai prié à souper le marquis de Ranreuil, accompagné du docteur
Semacgus, original des plus disert, qui court les jardins et les
cabinets de curiosités.
Je suis avec respect,
monsieur le comte, votre très humble et très obéissant serviteur,
le marquis de Pons.
Le comte de Creutz, ministre
à Paris de Sa Majesté Gustave III, roi de Suède.
Très humble apostille du
10 mars 1977
… Si la Reine s'était
conduite avec sagesse et avec dignité elle aurait sûrement pris le
dessus et se seroit emparée de l'esprit du Roy. Mais elle est
inconséquente, légère et donne sans cesse prise sur elle par ses
étourderies. L'affaire de Mme Cahouet luy a fait un tort
infini. Cette femme qui a manqué d'être la maîtresse de Louis
quinze lorsque ce Prince prit Mme du Barry a trouvé moyen
d'entrer dans la confidence de la Reine. Elle est galante,
intrigante et folle. Elle a fait au nom de la Reine pour quatre
cent mille livres de dettes. On l'a découvert et elle a été mise au
château de Vincennes ; on a saisi tous ses papiers,
heureusement on n'y a rien contre la Reine, mais cette affaire a
fait un bruit scandaleux et depuys ce temps le Roy a boudé cette
princesse, mais cela passera comme les autres orages qui se sont
élevés entre eux.
Je suis avec le plus profond
respect
Sire
De Votre
Majesté
Le très humble très
obéissant et très
Soumis serviteur et
sujet
Gustave Creutz
Nouvelles à la main,
Versailles le 5 octobre 1777
La dame de Villers, dont je
vous ai parlé il y a quelque temps, est sortie de la Bastille, avec
ordre verbal de se retirer au couvent des Filles de Saint-Thomas,
rue de Seine. Cette nouvelle existence ne convient pas à ce qu'on
dit à son humeur enjouée. Il est à prévoir qu'elle y languira et ne
tardera pas à dépérir.
Ivry – La Bretesche – Glane – Bissao
Janvier 2006 – Mai 2007