VIII

Au premier coup de fil, c’est d’abord sa voix qui m’accroche. Une voix rauque, presque dure, qui traîne un peu mais qui sait ce qu’elle veut. C’est bête mais cela me rassure, je me sens en confiance.

— Maître Frank Berton à l’appareil. Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il n’en fait pas des tonnes. Il se présente en quelques mots, mais il veut surtout m’écouter. Il va au-devant de mes attentes : il va venir me voir.

Ce sont mes parents qui l’ont contacté. Ils n’ont de cesse de raconter mon histoire, afin que le plus grand nombre soit au courant. C’est ainsi qu’un jour, lors d’une cérémonie de mariage dans la famille, ils ont rencontré un homme qui à la suite de leur récit a immédiatement réagi : « Mon fils est député. Je crois qu’il peut vous aider. »Voilà comment j’ai fait la connaissance de Thierry Lazaro, député du Nord et maire de Phalempin, près de Lille. Voilà comment j’ai entendu parler de Frank Berton pour la première fois. Thierry Lazaro avait été séduit par sa force de conviction et son travail dans l’affaire d’Outreau. Je ne sais pas très bien ce que c’est, cette affaire, je suis si loin… Mais on me dit que certains avocats y ont joué un rôle immense et que le mien en fait partie : il a fait acquitter deux innocents. C’est un avocat de renom et il a fait forte impression aussi devant la commission parlementaire dont Thierry Lazaro était membre. Voilà pourquoi il a parlé de lui à mes parents. Jacques-Yves Tapon aussi leur a parlé de lui. Tout le monde semble d’accord, j’ai l’impression de mettre tous mes espoirs entre ses mains. Je lui dis que j’ai besoin d’un bulldozer, de quelqu’un qui fasse enfin bouger les choses en France, qui fasse enfin savoir à mon pays que je suis prisonnière ici, que je suis victime d’une injustice, et surtout que je suis innocente. Qu’il frappe à toutes les portes s’il veut, mais qu’on s’occupe enfin de moi ! Le silence, c’est fini, j’ai vu le résultat. Maintenant, j’ai soif de faire savoir à tout le monde qu’on joue avec moi, avec ma vie, et qu’on me vole plusieurs de mes plus belles années. J’ai perdu deux ans et demi, je ne veux plus croupir ici dans le silence à écouter des gens me dire que je dois être sage, faire confiance à la justice et me taire. Maître Berton me laisse expliquer tout cela, et quand j’ai fini j’entends sa grosse voix :

— Il n’est pas dans mes habitudes de rester discret.

C’est une voix ferme, décidée. Elle me rassure. C’est exactement ce qu’il me faut. Il est carré, direct. En fait c’est lui qui me réveille après le choc de la sentence, qui me remet les pieds sur terre. Il me dit :

— Voilà deux heures que je suis avec vos parents. Nous avons fait le tour de votre situation et je suis d’accord pour assurer votre défense, mais c’est vous qui décidez.

Cette détermination me remue. À partir de ce moment, je me dis qu’il est fort et qu’il va me falloir être à la hauteur, aussi forte.

Les jours suivants, au téléphone, je sens que mes parents ont repris espoir. Avec Sébastien, ils ont participé à une conférence de presse autour de mon nouvel avocat où les principaux médias français étaient présents. La presse écrite, les radios, les télévisions. J’ai l’impression que la France découvre qui je suis et ce qui m’arrive. Thierry Lazaro et Frank Berton iront avec mes parents et Sébastien à l’Élysée. Et c’est bien Nicolas Sarkozy lui-même, avec ses plus proches conseillers, qui les reçoit ! Deux ans à guetter un mouvement, la réaction de mon pays, la communication de mon histoire, et tout se déclenche en si peu de temps. Enfin l’espoir que j’attendais est arrivé.

Après cette entrevue, mon père me dit que le président a été formidable ; il leur a accordé plus d’une heure !

— Il a réagi en père de famille.

Mon père est touché. Le président de la République sait qui je suis maintenant, il va pouvoir m’aider et me sortir de là, c’est certain. Nous sommes le mercredi 7 mai, il n’y a même pas deux semaines que ma condamnation m’a été notifiée.

— Attention, il ne nous a pas fait de promesses précises, mais il nous a assuré qu’il veillerait à ce que tu aies un procès en appel équitable et rapide, dit ma mère.

Elle veut garder son calme, mais je sens bien qu’elle a retrouvé confiance, elle aussi :

— Maintenant, ton dossier sera suivi de près.

À la sortie de cet entretien, ils donnent une nouvelle conférence de presse, cette fois dans la cour de l’Élysée. Il y a encore beaucoup de journalistes, encore plus de presse nationale que la première fois, et aussi la chaîne de télévision mexicaine Televisa. Devant les caméras, Frank Berton et Thierry Lazaro insistent sur le message de Nicolas Sarkozy : il est extrêmement déterminé, mais il rappelle que le Mexique est un pays démocratique, sa justice y est indépendante. Il ne faut surtout pas froisser les autorités mexicaines, ont dit les conseillers du président. Du fond de ma cellule, j’ai le droit d’en penser ce que je veux ; mais, après tout, si c’est ainsi qu’ils comptent me ramener chez moi…

J’apprends tout ça à mon réveil. C’est déjà l’après-midi, en France. J’attends le soir et j’appelle Frank Berton chez lui. Il m’a donné son numéro personnel. Je sens qu’il est fatigué mais content :

— Le président avait lu en détail la note que je lui avais envoyée la veille. Il a tout de suite relevé le problème du montage de votre arrestation. Il a évoqué tous les problèmes de procédure et toutes les invraisemblances de l’accusation avec son conseiller pour les affaires judiciaires le plus proche.

Je l’écoute raconter cette incroyable entrevue à l’Élysée, et mon cœur bondit parce que j’entends ce qui compte le plus pour moi. Au beau milieu de l’entretien, Nicolas Sarkozy s’est tourné vers ma mère et, la regardant droit dans les yeux, lui a dit : « Je sais que votre fille est innocente. »

Bien sûr, il a précisé aussi que les relations diplomatiques entre les deux pays seraient un intérêt supérieur à mon cas personnel, mais son soutien semble total. Maître Berton me dit qu’en quelques jours mon dossier a pris une véritable ampleur, qu’il va soulever l’opinion publique, un peu comme pour Ingrid Bétancourt, toujours prisonnière dans la jungle colombienne et pour laquelle Nicolas Sarkozy s’investit beaucoup.

— Le président va nous aider, Florence. Pas à démontrer votre innocence, ça, c’est mon travail.

Mais il veillera à ce que les choses se passent de manière équitable, ce qui n’a pas toujours été le cas jusqu’ici.

Et puis, avant de les laisser s’en aller, il leur a fait une promesse qui me transporte : « Je vais écrire personnellement à Felipe Calderón. »

Tout cela n’échappe pas à la presse mexicaine. De nouveau, quelques articles parlent de moi, dans les journaux. On dirait qu’ils sont plus neutres qu’au début, moins catégoriques. En revanche, je n’ai toujours pas de nouvelles de l’ambassade, mais c’est une habitude. Maître Berton m’a d’ailleurs dit que le président Sarkozy n’était pas content d’apprendre mon histoire de cette manière. Ses conseillers ont avoué qu’ils n’avaient reçu qu’un minimum de notes, au travers desquelles il était difficile de comprendre ce qui m’arrivait, et qu’ils n’avaient pas de trace de compte rendu de mon procès. Cela n’a rien de surprenant : je n’ai jamais vu le moindre représentant des autorités consulaires, au procès. Ils devaient être persuadés de ma culpabilité, eux aussi, et se disaient sans doute que je n’avais que ce que je méritais. Maintenant, ils vont sans doute le regretter : à l’Élysée, les hommes du président ont dit : « Il n’est pas normal que cette affaire nous pète à la gueule de cette manière. »

Je n’ai pas le temps de me laisser griser. J’ai bien compris qu’on me demande de ne pas être euphorique, et d’ailleurs j’ai dépassé ce stade. La douche glacée de ma condamnation a laissé un souvenir douloureux. Mais il n’y a plus le moindre risque que je me laisse aller à l’euphorie : moins d’une semaine après cette visite de mes parents à l’Élysée et les paroles qui ont suivi, retransmises à l’opinion mexicaine, le parquet de Mexico annonce qu’il fait appel de ma condamnation à quatre-vingt-seize ans de prison. Motif : elle lui semble trop légère ! Pour Frank Berton, il n’y a aucun doute : c’est la réponse du pouvoir mexicain à la médiatisation de la semaine précédente et à la mise en cause implicite de Genaro Garcia Luna. On nous fait savoir qu’il est intouchable. On dirait que les conseillers de Nicolas Sarkozy ont raison : il faut être déterminé mais prudent. Surtout ne pas froisser les susceptibilités mexicaines, ne pas commettre de faux pas. En fait, cela me ramène à février 2006, quand je suis intervenue sans réfléchir dans l’émission de Denise Maerker. Quelques jours plus tard, Cristina Rios Valladares et son fils Cristian Hilario changeaient leurs déclarations et m’accusaient directement. C’était évidemment une réaction à mon intervention : il fallait éviter que l’opinion ait le temps de douter, renforcer à tout prix ce dossier qui ne tenait pas. Et tant pis si ce changement brutal et opportun paraît peu crédible : la presse s’est chargée de le relayer comme si c’était une bombe. La décision du parquet de Mexico est reprise de la même manière : on explique qu’il faut être intraitable avec les preneurs d’otage, et on suscite une réaction nationaliste en dénonçant la France qui se mêle des affaires mexicaines sans en connaître les enjeux. C’est le début d’une épreuve de force, le ton est donné. En d’autres temps, cela m’aurait affolée de me savoir au milieu d’un tel affrontement, mais maintenant je suis soutenue, je ne suis plus seule. Je dois me montrer à la hauteur !

Frank Berton organise des rendez-vous avec la presse française. C’est nouveau pour moi. J’appelle son cabinet et les journalistes sont là, rassemblés autour d’un téléphone avec haut-parleur. Mon avocat me dit qu’il est important qu’ils puissent m’enregistrer, parce que cela leur permet de diffuser ce que je leur dis sur les antennes. Les Français vont apprendre à me connaître, cela me fait un peu de bien et ce n’est pas du luxe car l’acharnement que je sens au Mexique me pèse énormément. En réponse à toute cette médiatisation, le ministre Garcia Luna et ses sbires réaffirment des choses totalement fausses, s’appuient sur des témoignages qui n’existent pas pour convaincre encore et encore l’opinion mexicaine de ma culpabilité, se vantent d’avoir réalisé une grosse prise en arrêtant ce qu’ils appellent la bande des Zodiacos et que le peuple doit leur faire confiance : ils luttent contre ce fléau profond qu’est la criminalité. Il ne faut pas être très malin pour comprendre qu’ils ne reconnaîtront pas si facilement le montage.

Je m’accroche au soutien qui me vient de France. Mes parents vont bientôt venir et Frank Berton aussi. C’est la fin du mois de mai, l’été arrive sur Mexico et je suis toujours là, enfermée à Tepepan, dans une prison à taille humaine, c’est vrai, mais que je ne supporte plus. Je n’ai plus d’amie, ici. Et ces cris qu’on entend à travers les pièces à longueur de journée me glacent – les filles ne savent pas se parler sans hurler. Heureusement, je reçois du courrier, maintenant, et de plus en plus depuis quelques semaines. La médiatisation en France a fait son œuvre. On m’envoie des lettres et des cartes d’un peu partout, avec plein de mots gentils, beaucoup d’encouragements. Maître Berton et Me Garcia m’ont parlé de libération conditionnelle. Ils ont même déposé une demande officielle. Je sais que je ne devrais pas, mais c’est plus fort que moi : je ne pense plus qu’à cela à longueur de jour et de nuit.

Quand mes parents arrivent, ils sont impatients que je rencontre mon nouvel avocat. Il y a comme une flamme nouvelle en eux, et ils me communiquent leur enthousiasme. Je suis tellement contente de les voir ainsi, un peu revigorés, moins minés de l’intérieur qu’ils ne l’étaient pendant tous ces mois où ils vieillissaient à vue d’œil. Ils ont pris rendez-vous à l’ambassade où ils ont l’intention de demander quelques comptes. C’est à l’Élysée qu’on les y a encouragés, alors ils n’hésitent pas. Ils sont remontés.

Frank Berton arrive un vendredi matin, accompagné d’Horacio Garcia. Je l’attendais depuis une heure au bout du couloir, impatiente parce que c’est forcément un moment important. Et le voilà qui déboule. Je crois qu’il est aussi anxieux que moi, mais il ne le montre pas. Il est exactement comme je l’imaginais. Je crois qu’en prison on développe des sens nouveaux, on fait attention à des choses qu’on ne remarque pas à l’extérieur. Au téléphone, on est attentif aux intonations, à la manière de dire bonjour, de passer le combiné à quelqu’un d’autre. Et ensuite, puisqu’on n’a que cela à faire, on pense à tout ce que l’on a entendu, on se repasse les conversations et on s’imagine comment est l’autre, qu’on ne connaît que par sa voix. J’avais donc deviné cette « gueule », cette force qui se dégage de lui. Il arrive à peine, mais j’ai l’impression que je le connais depuis le premier jour. Il est comme je le rêvais. Si on m’avait demandé comment je le voulais, mon nouvel avocat, je crois que j’aurais fait ce portrait-là. C’est important : mon sort dépend de lui, maintenant.

C’est moi qui assure la traduction entre mes deux avocats et je les vois se mettre au travail immédiatement, se plonger dans le dossier qu’a apporté Horacio Garcia, avec complicité mais chacun dans son style : plutôt protocolaire et sobre pour Me Garcia, plus cassant et vite ulcéré pour Me Berton.

Il est porteur d’un message de Nicolas Sarkozy. Un soutien ferme et sans équivoque. Et il nous montre une copie de la lettre que le président français a envoyée, comme promis, à son homologue mexicain, « Son Excellence M. Felipe Calderón Hinojosa, président des États-Unis du Mexique ».

 

Monsieur le Président,

La confiance qui caractérise nos relations personnelles me conduit à vous entretenir d’un cas délicat et douloureux.

Mademoiselle Florence Cassez est une ressortissante française incarcérée au Mexique depuis le 8 décembre 2005. Elle a été condamnée le 25 avril 2008 à une lourde peine de prison pour, principalement, infraction à la loi fédérale contre le crime organisé, enlèvement et séquestration de personnes.

La situation de Mlle Florence Cassez suscite en France une réelle émotion.

J’ai récemment reçu sa famille qui m’a fait valoir les éléments troublants qui existeraient dans ce dossier, notamment sur les circonstances de l’arrestation, les témoignages à charge et la lenteur de la procédure. L’avocat de Mlle Cassez a interjeté appel de la condamnation prononcée en première instance. Une demande de mise en liberté provisoire est également en cours d’examen par la Cour suprême.

Je m’adresse à vous, Monsieur le Président, pour vous transmettre l’espoir de la famille de Mlle Cassez que la justice mexicaine se prononce dans le respect de ses droits fondamentaux, en particulier celui d’être jugée dans un délai raisonnable.

Il va de soi que les autorités françaises traiteront ce cas dans le prolongement de la protection consulaire, dans le respect de la souveraineté du Mexique et de l’indépendance de sa justice.

Je vous prie d’agréer, Monsieur le Président, l’assurance de ma très haute considération.

Nicolas Sarkozy

 

C’est le premier geste concret que l’on fait pour moi depuis la France, mais quel geste ! J’en suis honorée. Je regarde mes deux avocats décortiquer toute la procédure qui m’enferme ici, Garcia toujours très calme et méthodique, Berton de plus en plus bouillant à mesure que l’autre lui tend les pièces annotées. Quand Horacio Garcia lui apprend que ma nuit dans la camionnette de l’AFI, juste après notre arrestation et avant le montage devant les caméras de télévision, est une violation flagrante de la Constitution mexicaine, Frank Berton bondit. Il se fait expliquer : l’article 16 du texte fondateur des États-Unis du Mexique prévoit que toute personne interpellée par les forces de l’ordre doit être présentée immédiatement aux autorités judiciaires. Cela n’a pas été mon cas, évidemment, puisqu’il s’est écoulé vingt-quatre heures avant qu’on m’amène à la Siedo pour y être interrogée. La réaction de mon avocat français est immédiate :

— Nous avons ici un argument en béton : cette violation de la Constitution est établie puisque Garcia Luna a reconnu le montage de l’arrestation, et votre présentation le lendemain à la Siedo figure sur le registre !

Puis il se tourne vers Horacio Garcia et s’étonne :

— Mais pourquoi n’avez-vous pas immédiatement déposé un recours en annulation de toute la procédure ?

Éberlué, l’autre avoue n’y avoir même pas pensé. Ce n’est pas dans les usages, ici. Il finit par me dire :

— Vous savez, au Mexique, tout le monde s’en moque, de l’article 16…

Puis ils s’attaquent aux témoignages : celui d’Ezequiel Elizalde, cet homme barbu que j’ai découvert derrière le panneau de bois, dans la cabane du jardin, au ranch, au moment de la fausse arrestation, qui me décrit en blonde aux cheveux courts et m’accuse de lui avoir fait une piqûre au doigt pour l’anesthésier. Il a l’air malin, maintenant, avec l’expertise qui prouve qu’il s’agit d’une tache de naissance ! Mais tout cela ne bouscule pas la justice mexicaine autant que Me Berton. Je le vois qui prend des notes et encore des notes sur les feuilles de son grand cahier, et surtout sans rien oublier : les déclarations changeantes de Cristina Rios Valladares et de son fils Cristian Hilario, les erreurs de date et le plus fort de tout, peut-être, pour lui qui découvre seulement le dossier : la perquisition dans la maison de Lupita.

— Comment ? Deux des victimes reconnaissent une autre maison ? Mais cela prouve que vous ne pouvez pas les avoir vues ! Et l’occupante de l’autre maison n’a même pas été interrogée ?…

J’ai enfin le sentiment que quelqu’un est sur la même longueur d’onde que moi. Cela dure toute la journée. Ils relèvent encore, ensemble, d’autres violations flagrantes, du code pénal cette fois, comme l’absence d’avocat à mes premiers interrogatoires. À la fin de la journée, Frank Berton a l’air satisfait de leur travail et Horacio Garcia semble ravi de ne plus être seul. Quand ils s’en vont, je dois me retenir pour ne pas croire très fort en mes chances, mais ils m’ont prévenue : la procédure d’appel doit aller à son terme, maintenant, le juge vient d’ailleurs d’être désigné. Et malheureusement cela ne se passe pas comme en France : il n’y a pas de procès, même pas de rencontre avec le magistrat. Celui-ci étudie tout le dossier sur papier, ainsi que les nouvelles pièces que lui communiqueront les avocats, mais il ne voit personne. Même pas moi. Pas une seule fois ! Quand il estime avoir fait le tour de la question, il rend son jugement, et voilà tout ! Frank Berton, plaideur insatiable en France, est au sommet de la frustration.

Mais il décide de mettre toutes les chances de notre côté : il se rendra donc le lendemain à un mystérieux rendez-vous dont il n’a jamais voulu me donner les détails. Je sais juste qu’on l’a emmené dans la montagne, à deux ou trois heures de route du centre de Mexico, qu’il était accompagné de gardes du corps, et qu’il a été reçu par un haut magistrat désireux de l’instruire des usages de la justice mexicaine. Bertrand Rosenthal, journaliste de l’Agence France-Presse à Mexico, l’a guidé. Je ne sais pas comment ils se sont rencontrés, mais il est évident qu’ils se sont bien entendus et que mon avocat a été vraiment aidé par le journaliste. Pourtant, il ne croyait pas à mon innocence, celui-là. On le sentait bien au ton des dépêches qu’il envoyait. Mes parents ont même eu des mots avec lui. Mais il n’avait sans doute pas tous les éléments pour juger et l’évolution de son comportement me donne confiance. C’est le sens du travail de Frank Berton.

En tout cas, ce dernier revient stupéfait de son escapade en montagne.

— On m’a dit que les juges, souvent, n’assistaient même pas au procès.

Il a raison : la juge Sanchez, qui m’a condamnée à quatre-vingt-seize ans de prison, n’a été présente qu’à une seule audience en près de deux ans.

Il paraît que c’est par manque de temps, par manque d’organisation. On m’a dit aussi que de nombreux juges se laissent corrompre et que les autres vivent dans la peur. On m’a fait une peinture catastrophique de l’état de la justice au Mexique, Florence. Il paraît que nous avons intérêt à nous adjoindre un avocat qui connaît les ficelles, et introduit auprès de la Cour d’appel fédérale, si nous voulons avoir une chance de peser un peu dans la décision.

Il a déjà eu au téléphone un avocat réputé, Agustin Acosta. Il doit en rencontrer d’autres et choisir, en accord avec mes parents.

Je suis réapparue à la télévision et dans les journaux. Tout d’abord dans l’hebdomadaire Proceso, plutôt classé dans l’opposition de gauche, qui a publié un long sujet sur la venue de mon nouvel avocat et repris ses déclarations depuis la France. C’est la première fois qu’un article m’est aussi favorable. Il ne dit pas que je suis innocente, mais il relève toutes les faiblesses de l’accusation, les ficelles de Garcia Luna dans d’autres histoires et la manière dont ont été modifiés les témoignages après mon coup de fil à la télévision. Des choses connues en France, mais pour les Mexicains c’est nouveau. Cet article, qui fait planer une ombre mafieuse sur mon histoire, a considérablement tendu l’ambiance, à Mexico. Au point que le consulat a conseillé à Frank Berton de faire appel à des gardes du corps. Quand il est arrivé à l’aéroport, une voiture blindée l’attendait, et ses « gorilles » ne le quitteront pas de tout son séjour.

Après sa visite si mystérieuse dans la montagne, Frank donne une conférence de presse, sur la terrasse de son hôtel, en plein centre de Mexico. Il y a là des journalistes français, et quelques représentants de la presse mexicaine, curieux, plutôt sceptiques, mais intéressés par mon histoire. Ils en ont pour la première fois une autre version, avec des éléments qu’on ne leur a jamais donnés. Frank leur ouvre son dossier. Il insiste sur les conditions de mon arrestation, la nuit que j’ai passée dans cette camionnette, en dehors de toute légalité, de tout cadre judiciaire, et sur la description de la maison de Lupita par Cristina Rios Valladares et son fils. Il insiste parce que c’est un élément capital aussi pour l’opinion publique. L’homme de la rue, au Mexique comme en France, m’a condamnée d’emblée parce que j’étais avec Israël et que le montage de l’arrestation, pour la télévision, a fait croire que les personnes séquestrées étaient gardées dans le cabanon du ranch. « Comment est-il possible qu’elle ait vécu là et qu’elle n’ait pas vu que plusieurs personnes y étaient séquestrées ? Non, c’est impossible ! » Voilà ce que disent les gens, je le sais bien. Et c’est bien vrai que ce serait impossible. Mais la maison que reconnaissent Cristina et son fils, ce n’est pas le ranch ! Voilà ce que dit Frank Berton. Et c’est la première fois que quelqu’un insiste là-dessus. La maison de Lupita et Alejandro Mejilla se trouve à trente kilomètres du ranch, par la route. Je n’y suis allée que deux ou trois fois, avec Israël, mais je me souviens bien de cette maison. Il y a une grande porte verte pour fermer la cour, et juste deux fenêtres qui donnent sur la rue, avec un marchand de jouets à côté. Il y a des voisins, là-bas ; il suffirait d’aller les interroger, ils ont sûrement des choses à dire, mais la police ne l’a jamais fait. Et quand des journalistes le feront, un peu plus tard, ils ne voudront pas parler. Il faut les comprendre. Depuis que l’État français s’est mêlé de mon histoire, elle fait peur. Parce que la police et la justice mexicaines ont considérablement durci le ton de leurs interventions. Sur quelles recommandations ? Tous les regards se tournent vers Genaro Garcia Luna, mais personne ne veut l’interroger pour l’instant. Et lui aussi, quand il sera sollicité, refusera de parler. Les journaux commencent à évoquer un affrontement entre la France et le Mexique.

— C’est exactement le contraire de ce que nous souhaitons, dit Frank Berton dans sa conférence de presse. Nous voulons plutôt une collaboration.

C’est incroyable : il fait preuve de diplomatie. Et pour que son message passe bien auprès de la presse mexicaine, il ose une comparaison :

— La juge peut parfaitement s’être trompée. Nous pouvons le comprendre : chez nous, dans l’affaire d’Outreau, un juge s’est trompé treize fois. Alors ici, elle peut bien s’être trompée une fois…

Enfin, il donne une dernière indication, pour montrer que la justice mexicaine a peut-être manqué de rigueur. Il détaille la peine de quatre-vingt-seize ans qui m’a été infligée :

— Quatre fois vingt ans, pour quatre enlèvements. Ezequiel, Cristian Hilario, Cristina et… son mari, qui n’a jamais été détenu et dit n’avoir rencontré que des hommes, lors de l’enlèvement de son épouse et de son fils. Ces hommes l’ont immédiatement relâché pour qu’il puisse s’occuper de rassembler la rançon. Florence n’était même pas inculpée pour son enlèvement, lors du procès, et elle est condamnée tout de même. Et puis quatre ans pour possession d’armes, quatre autres années pour possession de munitions réservées à l’armée. Et enfin, huit années pour association de malfaiteurs, alors que la loi de votre pays dit qu’il faut au moins trois personnes pour définir une association de malfaiteurs. Ici, il n’y en a que deux, et la deuxième personne, Israël Vallarta, n’est même pas encore condamnée…

Le lendemain, les principaux quotidiens reprennent ses mots, publient sa photo et racontent toute sa détermination. Je sens, depuis le fond de ma cellule, que certains journalistes commencent à changer de ton et se montrent enfin critiques sur la manière dont ont été conduits mon arrestation et mon procès. Mais ce ne sont que quelques articles… et quand Frank Berton reprend l’avion, après être passé me voir encore une fois pour m’assurer qu’il allait faire le maximum pour me sortir de là, et surtout relayer tout cela à l’Élysée, je sais que quelque chose a définitivement changé, ici. Si une partie de l’opinion doute de ce qu’on lui raconte dans la majorité des médias, le pouvoir mexicain s’est considérablement radicalisé contre moi. Il va falloir beaucoup d’habileté à ceux qui veulent bien m’aider. La solution ne sera pas que juridique, je l’ai bien compris. Elle sera également politique, et même diplomatique.

Après tout ce remue-ménage, après le départ de mon avocat et de mes parents, je me retrouve seule ; l’excitation de ces quelques jours importants retombe. C’est un sentiment bizarre, ce vide qui reste quand tout est fini, quand ils sont tous rentrés en France et que je suis toujours là, enfermée, empêchée de vivre normalement et toute petite au milieu d’une histoire qui me dépasse désormais.

Pour garder le contact, j’appelle Frank Berton tous les jours. Ce coup de fil est devenu aussi important que celui que je donne à mes parents chaque matin, depuis le début. J’ai besoin de sa voix, de sa force, et de l’entendre dire : « On va faire ça, ça et ça ! ».

C’est à ce moment que se développe mon comité de soutien, en France. Jean-Luc Romero est à l’origine de cette idée et il a bien du travail. Il est né à Béthune, lui aussi a rencontré mes parents : il a cherché à en savoir plus, à se faire expliquer ce qui s’est réellement passé. Et même s’il vit à Paris et qu’il est conseiller général dans la région parisienne, dès qu’il a été convaincu de mon innocence, il s’est jeté dans la bataille. Et avec quelle générosité ! Je déborde de reconnaissance pour lui et tous ceux qui animent le site Internet, organisent des réunions, parlent de moi dès qu’ils en ont l’occasion. Je sais qu’ils se heurtent à une drôle de suspicion : c’est d’autant plus remarquable. Je suis ici, toute seule, des journées entières, et il m’arrive de flancher : je pense alors à toutes ces personnes et je me dis que, au fond, j’ai de la chance de les avoir. Derrière moi, il y a mes parents. Depuis toujours, depuis le début. Je me répète encore et encore que c’est un trésor d’avoir leur amour si fort qu’ils ne se sont jamais demandé si j’avais quelque chose à me reprocher. Qu’est-ce que je serais devenue s’ils avaient douté de moi ? Et s’ils ne m’avaient pas aidée au point de tout me donner ?

Et mon avocat, maintenant. Ce n’est pas n’importe qui, je sens qu’il me porte, lui aussi, comme me portent Jean-Luc et tous ceux autour de lui. Comme me porte Thierry Lazaro, mon sauf-conduit pour l’Élysée. Quelle énergie, lui aussi. Ma mère m’a raconté comment il l’avait regardée, un jour, pour l’assurer de son soutien : « Je suis convaincu de l’innocence de votre fille, Madame. » Jusqu’au président lui-même qui croit en moi, qui se remue comme tous les autres – mais à son niveau tout de même, ce n’est pas rien ! Et moi, tout ce que j’ai à faire, c’est tenir. Voilà ce que je me dis quand je sens mon moral vaciller. Je me répète qu’ils ne me demandent rien d’autre en échange de tout ce qu’ils font pour moi. Par moments, quand je manque d’énergie, je peux passer un mois sans les appeler et ils ne me le reprochent même pas. Ils comprennent tous que j’ai des hauts et des bas, que parfois je n’en peux plus et que dans ces moments-là je me terre dans ma cellule sans vouloir rien entendre.

Encore un été qui passe. Un automne qui revient, pendant qu’un juge – le juge Fermin – travaille sur mon dossier dans le secret de son bureau, sans que je sache à quelle vitesse il avance ni quelle idée il se fait de mon cas. Il faut surtout que j’essaie de ne pas y penser. C’est trop difficile. Pour passer le temps, à la prison, je me suis trouvé quelques activités. Je fais du sport, en fin de journée, avec un prof qui vient là presque tous les jours. Du step et de la musculation, bien à fond, en donnant tout ce que je peux, parce que je vais ensuite me coucher et après tout cela je m’endors rapidement. La directrice m’a aussi proposé de donner des cours de français à quelques-unes de mes codétenues. Je n’ai jamais eu une âme d’enseignante, je n’ai surtout jamais fait de pédagogie, mais je me débrouille en commençant par des phrases simples et cela semble intéresser quelques filles. Je ne sais pas si elles ont réellement l’intention d’apprendre à parler ma langue, ou si elles sont là pour passer un peu de temps, mais elles s’intéressent au cours et ces moments sont plutôt agréables.

Je m’occupe de mon courrier, aussi. Un courrier de ministre ! De plus en plus de courrier, qui arrive par paquets. Il peut se passer une semaine, parfois deux, sans que je reçoive une lettre, puis tout m’arrive d’un seul coup. Les cartes postales, les mots d’encouragement, les colis, et parfois des livres. Je réponds à tout le monde, c’est la moindre des choses. Du moins je fais mon maximum, mais j’avoue avoir laissé de côté quelques courriers. En particulier ceux qui arrivent dans mes périodes de dépression les plus sombres, quand je n’ai plus de goût à rien, que mes forces m’ont quittée. Je ne peux même pas lire, dans ces moments-là.

Le sport, les cours de français m’aident à passer le temps et je me suis aussi lancée dans la fabrication de bijoux. Des colliers, des bracelets, avec des perles et des accessoires qu’on m’apporte. C’est une amie de Soraya qui m’a donné l’envie de me lancer, une dame qui venait voir ma copine de cellule et porte toujours beaucoup de bijoux. Une femme soignée, gentille. Quand Soraya a été libérée, qu’elle est repartie en Colombie, cette dame a compris que j’aurais de la peine et elle a continué ses visites. Pour moi. Ce sont des choses qui me touchent. D’ailleurs, j’ai eu d’autres marques d’intérêt de cet ordre. Cela se passe toujours de la même façon : une personne qui me connaît parle de moi à une autre personne, alors celle-là demande à venir me voir, souvent par gentillesse – parfois par curiosité, je le sais bien, mais je préfère ne pas y penser. Il suffit alors que je fasse noter ce nouveau nom sur le registre de mes visites, et cette personne-là aura le droit d’entrer, en principe. Évidemment, il ne faut pas avoir peur de l’ambiance, des fouilles et de la promiscuité. Mais, souvent, mes visiteurs font l’effort de paraître très détendus. Et moi, j’accepte tout le monde : une journée avec une visite, c’est une journée qui passe plus vite.

Finalement, il n’y a peut-être qu’avec l’ancien consul de France et son épouse que les choses ne se sont pas bien passées. Je me suis braquée. D’abord parce que j’ai bien senti qu’ils ne croyaient pas à mon histoire et qu’ils ont pensé d’emblée que j’étais coupable de ces enlèvements – ou, pour le moins, que je « devais bien savoir quelque chose ». Ils m’ont tout de suite considérée comme une écervelée. Et ils ne m’ont pas beaucoup soutenue, même dans le cadre de l’activité consulaire. D’ailleurs, Frank Berton ne s’est pas gêné pour le leur dire, lors de sa visite. Un soir, à son hôtel, l’ambassadeur et le consul sont passés le voir. Mes parents ont assisté à l’entretien, qui ne s’est pas bien passé. Mon avocat a reproché vertement aux fonctionnaires leur attitude et leur a dit tout le bien que l’Élysée en pensait. Les conseillers de Nicolas Sarkozy n’avaient même pas de dossier sur moi ! Ils ont commencé à en constituer un en mai 2008, quand Me Berton leur a envoyé une première note, juste avant d’être reçu. Avant, je n’existais pas pour la diplomatie française. D’ailleurs, quand mes parents ont demandé à être reçus, avant les élections présidentielles, Jacques Chirac leur a répondu qu’il ne pouvait rien faire et Philippe Douste-Blazy, alors ministre des Affaires étrangères, n’a rien répondu du tout.

Aujourd’hui, ce n’est plus pareil. L’ambassadeur et le consul ont été nommés ailleurs, il paraît qu’ils m’en veulent un peu, et ne disent pas que du bien de moi. Cela m’est égal. Leurs successeurs n’ont pas le même comportement, et c’est un autre soutien de taille. C’est mon pays qui est à mes côtés, à travers eux. Vera Valenza, la consule générale, est une femme charmante qui vient me rendre visite régulièrement. Si nos rapports étaient un peu tendus, au début, c’est sans doute que je me méfiais : j’avais été échaudée. Maintenant, je suis heureuse de la voir et on me dit que Daniel Parfait, l’ambassadeur, se tient très précisément informé de ma situation, qu’il connaît mon dossier sur le bout des doigts. S’il peut m’aider, il le fera, je le sais.

Toutes ces petites choses comptent énormément. Toutes les attentions. La plus charmante, en cette fin d’année, a sans doute été celle de Pascal et Vincent. Je ne les connaissais pas, je n’avais jamais entendu parler d’eux. Ce sont deux Français installés à Mexico, où ils ont monté une entreprise de surveillance et de sécurité. Ils ont du travail, ici. Ils étaient les gardes du corps de Frank Berton lors de sa visite. Ces deux colosses ont un point commun avec mon avocat : un cœur immense. C’en est craquant. Ils ont demandé à me voir, j’ai accepté, bien sûr ; et le jour de mon anniversaire, ils sont arrivés avec des moules et des frites sous vide ! Ils avaient juste demandé quel était mon plat préféré. J’en ai eu les larmes aux yeux. Il y a des choses qui prennent des proportions énormes, en prison.

Je sais aussi qu’en France la mobilisation continue. Thierry Lazaro a obtenu que soit posée à l’Assemblée nationale une question au sujet de ma situation et de la manière dont le gouvernement français peut me soutenir. Et il a convaincu un autre député de ma région, qui n’est pas de son bord politique, de s’associer à lui. Pour montrer l’union qui se fait derrière moi. C’est Frédéric Cuvillier, maire de Boulogne-sur-Mer, socialiste, qui posera la question. Ce n’est pas rien, ça : je fais mon entrée à l’Assemblée nationale. Mes parents sont là, ce jour-là, bien sûr, et Frank Berton également. C’est un mercredi, le 26 novembre. Neuf jours après mon anniversaire, c’est un joli cadeau aussi. Frédéric Cuvillier pose sa question et martèle sa conviction que je suis innocente :

— Tous ceux qui se sont penchés sur son dossier sont stupéfaits du caractère hautement fantaisiste des accusations. Aucune charge sérieuse ne peut être retenue contre elle.

Mes parents sont aux anges : quand le maire de Boulogne a terminé, tous les députés l’applaudissent. À gauche comme à droite. On se dit qu’avec un tel soutien, on a raison d’espérer. Thierry Lazaro a fait circuler une pétition dans l’hémicycle, elle a été signée par plus de cent députés dès le premier jour. Il en viendra d’autres, après, quand ils auront pris la peine de se renseigner, pour savoir ce qu’ils signaient, à qui ils avaient affaire. Et je les comprends. Je ne demande que cela : qu’on étudie mon dossier, qu’on se renseigne, qu’on enquête, j’ai tout à y gagner !

Enfin, Rama Yade, secrétaire d’État aux Droits de l’homme, fait une réponse très diplomatique, à l’Assemblée. C’est son rôle. Mais le message est clair : « Cette affaire est suivie de très près au plus haut niveau de l’État. » Je ne sais pas encore à quel point ce sera vrai.

Personne ne le sait, d’ailleurs. Nicolas Sarkozy choisit pour l’instant de rester discret. Pourtant, il tente un coup osé. Une sorte d’atout qu’il avait dans sa manche et qu’il sort en y croyant très fort. Depuis quelques mois, il est très proche d’Ingrid Bétancourt et de sa famille. Ce n’est pas un hasard si elle a choisi de revenir en France aussitôt après sa libération : c’est parce qu’elle considère qu’elle doit une fière chandelle à l’obstination du président. Elle lui est reconnaissante et il le sait.

L’annonce de sa libération a été bouleversante. Elle est très populaire en Amérique du Sud, et particulièrement au Mexique. Pendant tout le mois de juillet, on ne voyait qu’elle à la télévision. Quel choc, pour moi ! Combien de fois en ai-je pleuré ? Je la voyais à côté du président, de Carla Bruni, et j’étais en admiration. Quelle force, quelle tenue ! Je lui ai écrit une lettre pour lui expliquer le symbole qu’elle représentait pour moi. Et combien de fois en ai-je rêvé ? Toutes les nuits, toujours le même rêve : c’était moi qui descendais de l’avion, qui marchais vers le président et son épouse, mais je n’avais pas sa réserve, sa maîtrise, moi ! J’embrassais tout le monde, c’était plus fort que moi, je ressentais un bonheur fou, une immense émotion impossible à contrôler, et je sautais dans tous les sens. C’est peut-être ainsi que je le vivrai un jour. En attendant, je me réveille chaque fois en sursaut. Comme un gamin qui a vu un film avec un héros et en rêve la nuit.

J’ai été surprise de l’entendre parler de sa foi, de la ferveur que sa visite au pape a soulevée ici, au mois de septembre, puis de l’entendre, elle qui avait passé plus de six ans dans la jungle, parler de pardon. Et puis, je me suis dit : « Quelle force ! ». Elle est devenue mon exemple. Mon espoir, aussi. Ingrid Bétancourt sauvée, cela me fait rêver…

Je suis donc bouleversée quand j’apprends que Nicolas Sarkozy fait appel à elle. Et elle ne s’engage pas les yeux fermés. Elle demande à étudier mon dossier, à se faire une idée sur mon innocence ou ma culpabilité, et c’est Frank Berton qui lui transmet les pièces dont elle a besoin. Cela lui prend deux jours, pas plus. Elle rappelle Nicolas Sarkozy et lui confirme son engagement. Elle va intervenir pour moi. Je le crois à peine ! Et ce qu’on ne sait pas, alors, c’est qu’elle connaît bien Felipe Calderón. Et depuis longtemps : ils ont fait leurs études ensemble. C’est inespéré. D’autant qu’elle est devenue un soutien farouche, elle comprend ma situation. Un voyage est donc organisé à Mexico, une visite comme elle en fera dans d’autres pays d’Amérique latine. Elle se recueille devant la vierge de Guadalupe, que vénèrent les Mexicains, et cela la rend encore plus populaire. C’est un pays très croyant, très pratiquant. Il y a une ferveur incroyable, les jours de fête religieuse, et la venue d’Ingrid, c’est comme une fête. Que diraient les Mexicains s’ils savaient qu’elle croit à mon innocence, et même qu’elle parle de moi à Felipe Calderón, pour lui demander de considérer ma situation ? J’aimerais tant qu’elle puisse l’afficher, ce soutien. Mais Sarkozy ne le veut pas et, manifestement, c’est la même chose pour Felipe Calderón. Alors, l’entretien reste secret. Et même s’ils se sont embrassés, s’ils étaient, paraît-il, ravis de se revoir, tous les deux, le président mexicain n’a rien promis à Ingrid. Et il faudra bien se rendre à l’évidence : il ne fera rien.

Au moins, j’aurai rêvé un peu.