IV

Je suis contente que le mois de janvier soit fini. À l’époque de la nouvelle année, c’est encore pire d’être en prison. Cela va bientôt faire deux mois que je suis à l’arraigo et je ne comprends toujours pas ce qui m’arrive. L’avocat me dit que l’une des trois victimes m’accuse mais que les deux autres affirment qu’elles ne m’ont jamais vue. Il ne manquerait plus que ça !

Mais pourquoi l’un ment-il ? Il s’appelle Ezequiel, Ezequiel Elizalde. C’est un jeune homme, à peine plus de vingt ans, et son nom ne me dit rien. Dans sa première déposition à la police, il raconte qu’il me reconnaît à la couleur de mes cheveux, mais il dit qu’ils sont blonds ! Ça ne doit pas valoir grand-chose, une déclaration pareille : moi qui suis rousse depuis toujours ! Maître Ochoa me dit aussi qu’Israël a toujours affirmé, depuis le début, que je n’étais au courant de rien, qu’il séquestrait des gens ailleurs, que rien ne se passait au ranch et que notre vie à deux n’avait rien à voir avec tout cela. Je n’arrive pas à réaliser qu’Israël – l’homme charmant qui m’avait touchée par sa gentillesse et sa vie toute simple – puisse être cet homme-là, qui a reconnu une dizaine de séquestrations, plus la mort d’un homme !

Mais pour l’instant, il faut surtout que j’essaie de penser à moi. Et que puis-je bien faire, à part accorder ma confiance à Me Ochoa et continuer de dire que je suis innocente, que je n’ai rien fait à ces gens, que je ne savais pas et qu’on m’a emmenée là un matin alors que ma vie promettait justement de prendre de belles couleurs, ici, à Mexico ? Depuis le temps que j’attendais ça. Comme ça me paraît loin, maintenant…

Aujourd’hui, j’ai reçu un message étrange de mon avocat. Une personne l’a contacté par e-mail, elle veut que je l’appelle à la télévision où elle travaille. Elle s’appelle Denise Maerker : c’est une journaliste vedette qui anime une émission d’actualité très suivie le dimanche soir sur Televisa. Elle a la réputation d’être indépendante, pugnace ; les hommes politiques acceptent de se rendre à son émission parce qu’elle est crédible, justement. Elle a le courage de les contredire et c’est ce qui plaît au public. C’est ce qu’on m’en dit en tout cas. Enfin quelqu’un qui s’intéresse à moi ! C’est bien la première fois. Et une journaliste mexicaine, en plus !

Je l’appelle depuis la prison et elle me dit qu’elle a suivi mon histoire, qu’elle cherche à comprendre parce que c’est la première fois depuis longtemps que la police arrête un gang de cette sorte, qu’elle trouve étonnant que tout cela se soit passé devant la télévision et qu’elle a l’intention d’enquêter. Je n’en crois pas mes oreilles ! Je suis convaincue qu’elle va pouvoir m’apporter son aide. Elle semble même me croire quand je lui dis que je suis innocente, quand je lui raconte le montage de l’AFI, les otages qu’on a amenés au ranch et tous les détails de ma journée de cauchemar. C’est inouï ! Je n’en reviens pas et mon cœur bat comme un fou quand je raccroche. L’émission est pour bientôt : ce sera dimanche soir, dans trois jours. Denise Maerker, c’est toutes les semaines à la même heure et elle est très regardée. Alors, une enquête sur cette histoire de fous que je n’arrive pas moi-même à démêler, c’est peut-être ma chance de m’en sortir !

Ce sera tout l’inverse, d’ailleurs, mais pour l’instant je n’en sais rien. Je continue de vivre ici dans mon tee-shirt rouge, en pensant à cette femme qui s’intéresse à moi. C’est à mon histoire d’arrestation médiatique qu’elle s’intéresse, en fait. Qu’importe. Pour moi, l’essentiel est que quelqu’un – une grande journaliste ! – mette son nez dans ce montage grotesque. Que je ne sois plus seule à crier dans le vide.

J’y pense sans arrêt. Je suis impatiente d’être à dimanche soir, tellement impatiente que je vais peut-être commettre une imprudence. C’est la faute d’Armas, le directeur de la prison. Je ne connais pas son prénom, je sais juste qu’il s’appelle Armas, cet homme impressionnant au regard noir qui m’avait pointé un pistolet sur la tempe à mon arrivée ici. Comme j’ai pu en avoir peur, de ce type ! À trembler devant lui. Mais j’essayais toujours de ne pas le montrer, de donner le change. Et voilà qu’un soir il fait ouvrir la porte de ma cellule pour entrer, me demande si je vais bien et comment je tiens le coup. J’avais bien eu l’impression qu’il avait un peu changé de comportement vis-à-vis de moi, depuis quelque temps, mais je n’y croyais pas vraiment. Peut-être que je prenais mes désirs pour des réalités.

En tout cas, il est bel et bien là, dans ma cellule ; il s’est même assis sur le bord de mon lit, je n’en reviens pas. J’ai tellement besoin que quelqu’un m’écoute, me croie. Tellement envie que cette peur qui ne me quitte pas s’atténue un peu. Et qui mieux que lui peut m’aider à cela ? Il me parle doucement et je me sens en confiance pour la première fois depuis longtemps. J’ai envie de croire qu’il est sincère. Je ne me pose même pas la question, en fait. Je prends la précaution de ne pas lui parler du coup de fil à Denise Maerker, mais je lui dis que je vais passer à la télévision. C’est plus fort que moi, parce que c’est justement ce soir-là, quelques minutes plus tard, et que je ne tiens plus. Je n’aurais peut-être pas dû, mais ça m’a fait tant de bien de parler de cela avec quelqu’un ! Il m’écoute, j’ai même l’impression qu’il approuve, qu’il dit que c’est une bonne chose, juste d’un mouvement de la tête. Mais son téléphone sonne et il s’en va. Sans rien ajouter, sans s’étonner que je sache cela, sans se mettre en colère.

En tout cas, il m’a entendue parce que le soir il est devant sa télévision. Moi aussi, bien sûr, comme beaucoup d’autres dans la prison. Denise Maerker traite souvent des problèmes de sécurité, des crimes, des trafics de drogue et d’armes, des questions de justice : alors dans cette prison et dans toutes les autres, on la connaît ! Pour ma part, c’est la première fois que je la vois. C’est une dame un peu plus âgée que moi, les cheveux courts et le regard clair, plutôt jolie. Le ton de sa voix, son port de tête et d’autres choses imperceptibles lui donnent une autorité naturelle, un air de franchise décidée qui en impose. Ce soir, elle a deux invités à sa droite, deux hommes d’âge mûr, un magistrat et un policier de haut rang, Garcia Luna, mais elle n’est pas impressionnée. On jurerait même que ce sont les deux types qui sont le moins à l’aise. Des images de l’arrestation défilent. Je revois le ranch, je me découvre pour la première fois sur ces images qui ont fait le tour du monde et je m’entends crier devant les caméras que je suis innocente, que je ne comprends rien à tout cela, j’ai l’air complètement paniquée. J’ai une tête de revenante là-dessus, mais ce n’est pas étonnant : je viens de passer une nuit dans une camionnette. Il y a aussi les images d’Israël, celles où on me pose à côté de lui, contre la voiture siglée AFI, et puis les mots d’Ezequiel. Je ne les avais pas encore entendus non plus. Je les avais juste lus dans un procès-verbal. Je ne comprends pas pourquoi il dit tout cela, mais je ne conçois pas non plus qu’on puisse lui accorder du crédit. Il dit n’importe quoi à mon sujet ; il se trompe sur la couleur de mes cheveux, sur la description de mes mains…

Le sujet fait son effet. Quand on revient sur le plateau, on a encore les images en tête, des cris, des pleurs, et mon visage et celui d’Israël. Mais Denise Maerker enchaîne. Elle laisse à peine le temps au chef des flics de montrer sa satisfaction. Il peut à peine dire qu’il s’agit d’une dangereuse bande, on entend tout juste le mot « Zodiacos », qui serait le nom de cette bande, et le mien aussi, celui de « la Française », qu’il réussit à placer. La journaliste dit que, justement, elle m’a parlé au téléphone. Elle leur donne ma version des faits : les choses ne se sont pas du tout passées de cette manière, et surtout nous avions été arrêtés la veille. Elle répète mot pour mot tout le contenu de notre conversation trois jours plus tôt, je n’en reviens pas ! D’abord, le policier ne se démonte pas. C’est un homme solide, il a l’air terriblement sûr de lui et encore très content de l’effet du film que l’on vient de voir. Je comprends qu’il s’agit en fait du chef de l’Agence fédérale d’investigation. Il est venu là pour présenter un joli coup de filet : voilà pourquoi il a ce petit rictus au coin des lèvres. Son visage rond respire la satisfaction, ses yeux noirs lancent des éclairs, et on a l’impression que les questions de Denise Maerker lui glissent dessus :

Cette jeune femme ne doit pas être très bien dans sa tête !

Il est toujours plus satisfait de lui, presque souriant, alors mon sang ne fait qu’un tour. À la porte de ma cellule, j’appelle le garde dans le couloir et je vois le téléphone libre : coup de chance. Je lui dis que j’ai besoin d’appeler mes parents, que je sais bien qu’il est tard mais que c’est vraiment nécessaire. Je n’ai pas besoin de jouer l’affolement : ce que je viens de voir et d’entendre m’a mise hors de moi. En fait, je ne me contrôle plus. Un des moments les plus importants de ma vie est en train de se jouer, mais j’avance sans réellement penser à ce que je fais. Et certainement pas aux conséquences !

Devant le téléphone, je sors le papier avec le numéro que j’ai composé trois jours plus tôt. C’est sûrement l’assistante de Denise Maerker parce qu’on décroche au bout d’une ou deux sonneries, comme si on m’attendait. J’ai à peine le temps de me présenter que la voix me dit :

— Ne quittez pas.

— Allô, Florence ?

C’est Denise Maerker ! On vient de la prévenir que je suis au téléphone, alors elle a interrompu Garcia Luna et me prend en direct ! Je ne le vois pas, à ce moment-là, mais le chef de l’AFI perd un peu contenance. Il saisit un verre devant lui et fait mine de boire, il baisse la tête et regarde ailleurs. C’est ma voix qu’on entend. De nouveau, je raconte mon histoire. Je dis bien clairement que c’est au matin du 8 décembre que nous avons été arrêtés, et je parle de la camionnette toute la nuit, du retour au ranch ; encore une fois, je vais vite, j’essaie de ne rien oublier mais je sais que je n’ai pas trop de temps parce que tout s’agite autour de moi. Dans les cellules, ceux qui regardent l’émission commencent à crier, à applaudir, j’entends des bruits de bottes qui courent dans les couloirs, alors je jure que ce que je raconte est vrai, je leur demande même de me soumettre au détecteur de mensonges, et encore une fois je dis que je suis innocente, que je n’ai enlevé personne et que je n’étais au courant de rien. Dans la prison, c’est le branle-bas de combat. À quelques mètres de moi, de l’autre côté d’une grille, je vois une vingtaine de gardes se battre avec la serrure de la grille : ils me hurlent d’arrêter ça, de raccrocher et cela me fait paniquer. Je vais jusqu’au bout, mais la grille s’ouvre : je n’ai pas le temps de raccrocher, ils sont là, ils sautent sur moi et s’emparent du téléphone pendant que les autres détenus, dans les cellules, se sont passé le mot. Tout le monde a mis la télé, ils m’ont tous entendue, et maintenant ils hurlent et battent des mains, c’est la folie autour de moi, et la seule chose qui me vient à l’esprit, dans ce tumulte incroyable, au moment où je me sens soulagée de quelque chose, sereine et heureuse de ce que je viens de faire, malgré tout, c’est cette idée nouvelle : « Florence, tu vas t’en sortir ! ».

Je n’ai pas pensé une seule seconde aux conséquences de mes actes. Je ne les connais pas encore d’ailleurs, et j’ai de nouveau vaguement peur de la brutalité avec laquelle on m’emmène, de la férocité des cris. Un moment, je pense même qu’ils vont peut-être me tuer. Et en même temps, c’est incroyable, une partie de moi se sent vraiment bien ! Au fond, je crois que je suis fière. Je me rends compte qu’il était vital pour moi de lancer ce cri, de ne pas me laisser faire, ni croupir dans ma cellule pendant qu’un chef de la police dit n’importe quoi à mon sujet, que je suis une ravisseuse, une criminelle, et quoi encore ?

C’est comme si j’avais récupéré une partie de moi. Comme si j’avais enfin retrouvé le droit à la parole. On m’a tellement humiliée !

Les gardes m’emmènent chez Armas, le directeur de la prison, et j’ai de nouveau très peur de lui. Il a vu l’émission, lui aussi. Je sens qu’il m’attend de pied ferme et je sais que tout peut arriver. Mais il se comporte bien. Et même, il rit quand j’arrive dans son bureau :

— Alors là, bravo ! Toi, t’as des couilles…

Je suis sur mes gardes tout de même parce qu’il est de nouveau très impressionnant et ce qu’il dit n’est pas forcément rassurant.

— Tu vois, le gars que tu viens de ridiculiser en direct à la télévision, c’est mon supérieur.

Il est calme, étonnant de sérénité, et en même temps inquiétant.

— Toi et moi, on va avoir de graves ennuis…

Et à ce moment-là, on ne sait pas encore que son supérieur, Genaro Garcia Luna, deviendra ministre de la Sécurité publique quelques mois plus tard. Le ministre de l’Intérieur mexicain, en quelque sorte.

Armas veut savoir pourquoi Denise Maerker a dit qu’elle m’avait parlé au téléphone. Il a fait venir le registre des appels, avec les noms des prisonniers et la liste des numéros qu’ils demandent.

— Je ne vois pas le numéro de Televisa. Tu n’appelles que tes parents.

Mais parfois, les gardes font moins attention, c’est comme cela que j’ai appelé la journaliste – au culot. Il y a encore un silence qui me fait paniquer, mais Armas sourit de nouveau :

— Vraiment, toi, alors…

Il est agacé, je le sens bien, mais il n’explose pas. Je crois qu’il comprend ma position. Je le trouve très humain, finalement. Il me laisse rentrer dans ma cellule.

Sur le chemin du retour, je comprends tout de suite l’effet qu’ont produit cette émission et mon intervention intempestive. Apparemment, je suis la seule à ne pas avoir été devant la télévision à ce moment-là. Les autres détenus sont dans un tel état d’excitation que je ne sais plus que penser. Tout cela me touche beaucoup et me fait peur en même temps. J’entends leurs cris, leurs mots, et je ne réponds rien parce que cela me dépasse. Un type derrière les barreaux de sa cellule me lance une carte de téléphone, un autre me crie :

— T’es une chouette nana !

Et d’autres mots encore, des sifflets, des rires, et j’ai envie d’y voir un peu d’admiration, cela me fait du bien.

En tout cas, ma vie à l’arraigo change brutalement, à partir de ce jour. La promenade n’est plus un moment si douloureux. On me parle, on me fait des cadeaux, parfois juste un clin d’œil. Des gars que je ne connais pas achètent pour moi une tablette de chocolat au distributeur et me la tendent, avec quelques mots ou seulement un sourire. À leurs yeux, je ne suis plus la même. Ils me considèrent autrement, même si je ne sais pas précisément ce que cela veut dire. Est-ce que je les ai convaincus de mon innocence ? Peut-être, pour certains. Mais peut-être que d’autres estiment tout bonnement que j’ai eu du courage, et cela compte, en prison, pour être respecté. Ici, comme ailleurs, il y a de puissants trafiquants de drogue qui n’ont pas les mêmes conditions de détention que tout le monde. On dit qu’ils paient, que cela fait partie de la vie en prison, de la corruption au quotidien du Mexique. Justement, il y en a un, à mon étage, qui ne s’était jamais retourné sur moi. Un gros « narco », comme on dit ici, qui a ses hommes de main autour de lui, des gardiens bienveillants et une cellule pas tout à fait comme la mienne. Par exemple, il dispose d’une machine à café, au mépris du règlement de l’établissement qui l’interdit formellement, mais pour lui on ferme les yeux. Un jour, il m’a même fait porter un café.

Mais il y a aussi d’autres conséquences auxquelles je n’ai pas songé un instant. Les jours suivants, Armas vient plusieurs fois : il s’assied et me parle de ma situation, jamais de la sienne. Jamais je ne saurai s’il a eu des ennuis à cause de moi. En revanche, les miens reprennent de plus belle. La presse parle beaucoup de l’émission de Denise Maerker, et c’est aussi à ce moment précis que deux des trois personnes qui ont été présentées à la presse comme nos victimes le jour de notre arrestation changent radicalement de version. Jusque-là, Cristina Rios Valladares et son fils de onze ans, Cristian Hilario, ont toujours dit qu’ils ne me connaissaient pas et même qu’ils n’avaient jamais vu de fille parmi leurs kidnappeurs. Je me souviens même avoir entendu cette dame crier que nous n’y étions pour rien, dans l’affolement de la mise en scène au ranch, le matin du 9 décembre, quand sont arrivées les caméras de télévision. Mais voilà que les journaux mexicains sont pleins de nouvelles déclarations, maintenant, dans lesquelles Mme Valladares dit tout à fait le contraire. Elle ne sait plus si l’arrestation a eu lieu le 8 ou le 9 décembre, en tout cas elle me reconnaît désormais formellement. Selon elle, j’ai même fait une prise de sang à son fils ! Voilà qui fait boule de neige dans la presse mexicaine, dans les jours qui suivent l’émission de Denise Maerker au cours de laquelle j’ai bousculé la tranquille mauvaise foi de Genaro Garcia Luna. Personne ne peut croire qu’il s’agit d’une coïncidence. Autour de moi, tout le monde est convaincu que ces témoins ont été sollicités par le pouvoir, qu’ils ont peut-être été payés et qu’on leur a promis une protection et des conditions de vie meilleures. On m’a dit qu’ils étaient ensuite partis vivre dans le sud des États-Unis, là où se réfugient ceux qui ont besoin de se faire oublier.

Le résultat est catastrophique. La campagne de presse bat son plein pendant plusieurs jours et je n’ai aucun moyen de la contrecarrer. Les mensonges prennent toute la place et je suis plus que jamais Florence la kidnappeuse, Florence la Française du gang des Zodiacos, et on repasse les images du montage de mon arrestation, soigneusement choisies pour que j’y apparaisse inquiétante : on ne me voit plus crier mon innocence, on me présente surtout au côté d’Israël, quand il a la tête baissée et que je le regarde. On voit aussi cette image où je me reconnais à peine, en survêtement blanc, quand je sors d’une camionnette de l’AFI pour entrer à la Siedo, tête haute, apparemment sûre de moi, un léger rictus au bord des lèvres. Cette image me fait un mal fou auprès de l’opinion publique mexicaine, qui prend mon comportement pour de l’arrogance, alors qu’à cet instant j’étais morte de trouille…

Les nouvelles déclarations de Cristina Rios Valladares et de son fils ont tout changé. Je me demande s’ils pensent parfois à moi, s’ils ont conscience que je suis en prison à cause d’eux et comment ils font pour vivre avec ça… Moi, j’ai ma conscience, au moins. Je me dis qu’ils finiront par revenir sur leurs mensonges. Qu’ils diront la vérité. Ils ont sans doute été enlevés, mais je ne sais pas par qui ni où ils étaient. Je rêve de quelqu’un qui pourrait me dire : « Je vais t’expliquer ce qui s’est vraiment passé… »

Bien sûr, on me dira souvent, ensuite, que j’ai scellé moi-même mon sort le soir où j’ai téléphoné à Denise Maerker. On me l’a fait comprendre par A plus B. Frank Berton et Agustin Acosta, quand ils sont devenus mes avocats, et même l’ambassadeur. Mais bon sang, je l’ai fait parce que c’est ça que j’avais en moi à ce moment-là ! Je l’ai fait spontanément, sincèrement, parce que je croyais encore à la justice, et pas à la corruption. Alors j’ai crié la vérité, je croyais que c’était la meilleure de mes armes parce qu’elle était en moi. Me reprocher cette réaction, au fond, c’est comme si on me reprochait d’être rousse.

Heureusement, mes parents ne me blâmeront jamais pour ce coup de sang. Ils apprennent ce qui s’est passé et me disent qu’ils me trouvent courageuse. D’autres aussi, dans la prison, disent que j’ai été courageuse ; mais la vérité, c’est que j’ai été inconsciente parce que je suis innocente. Voilà pourquoi je n’ai pas réfléchi. Et je sais que mes parents n’ont jamais eu le moindre doute. C’est fou ce qu’ils me manquent ! J’ai envie de les voir, qu’ils me serrent dans leurs bras. En réalité, j’ai terriblement peur qu’on les arrête, eux aussi, et qu’on les emprisonne. C’est arrivé avec des familles, on les voit ensemble dans les promenades, et je ne veux surtout pas que ça nous arrive. Alors, même si cela me coûte terriblement, je leur dis de ne pas venir pour le moment et je continue de les appeler, jusqu’à trois fois par jour. Je sens bien, au début, que les gardiens sont plus attentifs, plus près de moi quand je fais le numéro, et puis cela s’estompe au bout d’un moment. Parfois, certains me donnent même des revues, me disent quelques mots ou me passent des messages d’autres détenus. Certains gardiens sont plus gentils que d’autres, bien sûr. C’est un de ceux-là qui vient dans ma cellule, un jour, et me dit de prendre une douche, de me changer et de mettre d’autres vêtements.

— Tu pars ce soir.