V

Nous sommes le 7 mars et la nuit est tombée doucement, vaguement inquiétante parce que je sais qu’il va encore m’arriver quelque chose. Mais quoi ? Ce gardien, à l’arraigo, m’a juste dit que j’allais partir ce soir et j’ai compris que je devais me tenir prête. J’ai donc pris une douche et mis mes habits beiges. J’attends là, assise sur le bord de mon lit, tremblante et perdue. Je commençais tout juste à me détendre ici, à reprendre un peu confiance. J’essaie d’imaginer ma prochaine destination et j’ai beau retourner le problème dans tous les sens, je ne trouve rien de très encourageant. Je suis arrivée au terme des quatre-vingt-dix jours donnés aux enquêteurs pour réunir des preuves : s’ils ne m’ont pas relâchée, c’est qu’ils comptent m’enfermer pour de bon en attendant un procès. M’enfermer dans un de ces pénitenciers dont j’ai entendu parler… J’en ai fait des cauchemars. Je me voyais dans ces geôles puantes, minée par la saleté et la violence : ici, ce n’est pas une légende ou du cinéma, c’est bien la réalité. Voilà pourquoi j’ai pris une douche : je ne sais pas s’il y en aura là où je vais, ni dans combien de temps je pourrai en prendre une. J’avais également pris la précaution de demander au consul de France quelques conseils vestimentaires. On m’avait prévenue : les détenus qui ne sont pas habillés de beige sont entièrement déshabillés à leur arrivée au pénitencier et on leur présente un tas de vêtements sales et usagés dans lequel ils doivent choisir. J’ai préféré éviter cela, au moins cela.

Au moindre bruit, je sursaute. J’essaie de contenir la panique qui me guette à nouveau, avec ces tremblements que je ne parviens pas à maîtriser. Je passe décidément par tous les états sans pouvoir contrôler quoi que ce soit. Il y a trois jours à peine, je me suis laissé prendre à un fol espoir quand on est venu me présenter un document sur lequel j’ai lu que je pourrais sortir dans quarante-huit heures. Sans réfléchir, j’ai sauté de joie. Je me suis dit : « Ça y est, ils ont compris que je suis innocente, ils ont enquêté et trouvé la vérité, je vais sortir ! ». J’ai appelé mes parents, folle de joie, je leur ai annoncé : « Je vais sortir, je vais sortir ! », et je tournais dans ma cellule en serrant les poings… Mais Me Jorge Ochoa m’a ramenée à la réalité. Lors de l’une de nos conversations téléphoniques, il m’a calmée d’un seul coup, en me faisant comprendre que je n’avais pas tout lu. Il s’agissait juste de la signification du délai des quatre-vingt-dix jours. Les documents disaient effectivement que l’une des deux possibilités était qu’on me remette en liberté si aucune preuve n’avait été trouvée contre moi ; mais il y avait aussi la deuxième, que je n’avais pas lue, sans doute guidée par mon inconscient : celle d’un placement en détention en vue du procès. Alors j’ai rappelé mes parents, mais je n’ai pas pu m’empêcher de garder espoir. De me laisser aspirer par cette évidence qu’un jour ils finiraient par reconnaître leur erreur, qu’ils découvriraient qu’on s’était assez servi de moi comme ça, que j’avais suffisamment souffert et qu’humainement on ne pouvait pas m’en faire plus. Dans un coin de ma tête, brille toujours cette lueur qui ne demande qu’à grandir.

Je suis là, dans le silence de cette nuit oppressante, assise au bord de mon lit à trembler, avec mes deux paires de chaussettes, mes deux soutiens-gorge et mes deux culottes sous mes habits beiges. C’est tout ce que j’ai. J’ai tout pris, tout mis sur moi, pour être sûre qu’on ne me confisque rien. On vient me chercher. Le gardien n’avait pas menti. Sans un mot, comme d’habitude, on m’entraîne par le bras, on m’installe dans une voiture avec des policiers de l’AFI, et la peur au ventre revient : je suis incapable de me raisonner ou de m’empêcher d’imaginer le pire. Et les quartiers que traverse la voiture, au fil de son parcours, sont de plus en plus inquiétants. Des rues sales, des trottoirs jonchés de pièces automobiles, de carcasses de motos, et des hommes au milieu de la rue, qui s’écartent à peine devant la voiture des policiers, comme par défi. J’attrape parfois leurs regards noirs qui me plongent encore plus dans l’angoisse de ce qui va m’arriver. Soudain, la voiture tourne à droite, dans une rue plus large : je vois la silhouette massive, cauchemardesque d’un pénitencier, avec ses hauts murs blancs et ses miradors, du fil de fer barbelé qui court tout le long des murs et cette vaste esplanade qui y mène, comme s’il n’y avait pas d’autre solution. C’est la prison pour femmes de Santa Martha Acatitla. Sans doute la plus connue du Mexique. La plus terrifiante, en tout cas, d’après ce qu’on m’a dit à l’arraigo. J’avais raison de craindre le pire. À ma descente de voiture, on m’ôte les menottes et j’entre dans la prison sous le regard de quelques caméras.

Qui a bien pu prévenir les journalistes ? Et pourquoi ?

Je ne vais pas me le demander longtemps. Les gardiens sont tous en uniforme noir, et ils me disent immédiatement que je dois les appeler jefe – « chef ». Je n’en reviens pas ! Cela me révolte d’être obligée de les appeler ainsi, tous ces arrogants, méprisants, ouvertement hostiles, qui semblent avoir tous les pouvoirs. Ce sont sans doute eux qui ont appelé les médias : ils me font comprendre d’emblée qu’ils me connaissent, qu’ils m’ont vue à la télévision, ces derniers temps, et qu’ils ont tout compris : je suis la Française ravisseuse d’enfants, ils ne me feront pas de cadeau. Il n’y a aucun doute sur ce qui m’attend.

Les types de l’AFI m’ont déposée là et ils sont repartis. Je suis maintenant entre les mains de ces jefes silencieux et patibulaires qui me poussent le long d’interminables couloirs sombres et sales, où les odeurs se mêlent sans qu’on puisse vraiment les reconnaître. Une seule chose est sûre : le mélange est écœurant, j’en ai la nausée. À l’étage, on marche encore un moment dans la pénombre et ils s’arrêtent devant une rangée de cellules fermées. Le couloir est vide, à l’exception d’une seule garde, sans doute la responsable de l’étage.

— Je t’explique les règles : ici, si tu te comportes bien, il ne t’arrive rien. Si tu ne te comportes pas bien, ce n’est pas pareil. Tu le regrettes rapidement et, crois-moi, tu ne fais pas le poids, me prévient-elle.

Je veux bien la croire ! J’ai tellement peur que je ne peux pas répondre. Alors, l’autre enchaîne :

— Tu vois, elle, elle a compris. Elle se comporte bien et on la laisse tranquille.

Je me retourne vers la personne dont il me parle. Je pousse un hurlement que je n’ai même pas pu retenir. C’est plus fort que moi. La femme que je vois se tient debout, dans le noir, derrière la grille de sa cellule, et ses yeux terrifiants me fixent durement. C’est un monstre. Elle mesure au moins un mètre quatre-vingt-dix, on dirait une catcheuse, avec des mains comme des battoirs et des bras énormes. C’est la Mataviejitas, la « tueuse de vieilles ». Je ne peux pas me tromper : depuis le mois de décembre, on la voit sans cesse à la télévision. C’est bien simple : il n’y en a que pour elle et moi, depuis trois mois. Elle a une tête incroyable de tueuse, des mâchoires fortes et serrées, des yeux enfoncés qui me glacent. J’ai l’impression d’être dans un film d’horreur. Je n’arrive pas à me détacher de ce regard et j’entends le gardien qui continue :

La Mataviejitas, elle se tient tranquille et tout va bien pour elle. Il faut que tu t’en inspires…

On me pousse alors dans la cellule voisine. Je me retrouve seule. J’essaie de contrôler l’effroi qui me secoue et me donne envie de pleurer : « OK, je suis là, il y a la Mataviejitas à côté, mais la grille est fermée, tout va bien… » Il fait un froid de canard, je suis assise sur une paillasse en fer, je ne sais pas quelle heure il est et j’ai mal à la tête. Est-ce la peur ? Ou peut-être l’odeur ? Je suis perdue. Je reste toute la nuit comme ça, les bras croisés, serrés contre moi pour avoir le moins froid possible, et je suis paralysée, incapable de bouger ou même de penser.

Au petit matin, quand la prison s’éveille, les bruits et les cris ne sont pas plus rassurants. Je les entends à peine, j’essaie de m’en extraire, comme si je pouvais échapper à mon sort, comme si je pouvais nier que je suis là, dans l’un des pires endroits de ce pays et que je ne sais pas ce qui m’attend.

— Tu vas au tribunal.

Je ne m’attendais pas à cela mais, sans que je sache exactement pourquoi, cette phrase me fait du bien. Je suis tellement positive, même dans ces moments-là. Je m’imagine qu’on va venir me chercher gentiment, quelques policiers de l’AFI dans une voiture, qu’on va me présenter devant un tribunal et que, là, quelqu’un va me dire : « Excusez-nous, mademoiselle, finalement nous n’avons rien à vous reprocher », et que tout cela va se régler dans la journée. Je ne vais tout de même pas rester dans cet endroit épouvantable, au risque d’y mourir de peur ! Je ne suis pas taillée pour cela, c’est au-dessus de mes forces. Et puis, j’ai la mentalité française. Chez moi, un endroit comme ça n’existe pas !

Mais on m’emmène vers un camion garé dans la cour, déjà chargé de près de trente filles, assises sur les banquettes fixées aux parois, ou debout au milieu, serrées, pressées, si mal installées qu’elles en sont agressives et s’insultent en hurlant, c’est incroyable. Quand je monte, il reste une place assise juste au bord, alors je m’installe là et je prends un grand coup de bâton dans les côtes parce que c’est la place du gardien – je n’avais pas compris ! Je n’ai pas d’autre choix que d’aller me coller à celles qui sont le plus au bord, de pousser comme font toutes les autres, pour que les gardiens puissent fermer la grille du camion cellulaire.

Cela ne dure pas longtemps. Deux autres gardiens arrivent en courant. Ils viennent chercher quelqu’un, et justement c’est moi qu’ils veulent. Les autres me regardent partir d’un air mauvais. On m’emmène vers les bureaux où on me prend en photo, où on me pose un tas de questions sur ce que je suis, ce que j’ai fait les dernières semaines, d’où je viens et toutes sortes de choses qu’ils écrivent dans un dossier. Cela dure une heure, au moins, et je crois naïvement que le fourgon est parti, que ce sera pour une autre fois, mais pas du tout ! Quand tout cela est terminé, on me ramène au camion cellulaire, qui est toujours là. Les trente filles ont attendu pendant tout ce temps, serrées, debout ou assises. Elles sont furieuses, et bien sûr, s’en prennent à moi. À peine montée, je reçois des coups de coude, des coups de poing, des coups de pied qui me viennent d’un peu partout. Bravache, je rends coup pour coup, je me débats et je garde la tête droite, les yeux dans ceux de mes voisines, espérant leur faire croire que je n’ai pas peur, que je ne me laisse pas impressionner. Et on dirait que ça marche. Non pas que les regards s’adoucissent, mais la pluie de coups cesse peu à peu et je me fais une place près de la barre verticale à laquelle je m’agrippe pendant que le fourgon roule et que nous sommes ballottées, cognées les unes contre les autres – ce qui ne diminue pas l’agressivité ambiante. Deux ou trois fois, mon regard croise celui d’une femme assise au fond, qui me fusille, ne me lâche pas, un regard que je n’arrive pas à soutenir, dur, méchant, qui vient d’un visage aussi masculin que celui de la Mataviejitas elle-même ; c’est une autre catcheuse, on dirait, elle semble m’en vouloir mais je ne sais pas pourquoi.

Une fois à l’arrêt, ma peur me fait bondir du camion. Mais où sommes-nous arrivées ? C’est un endroit encore pire que le pénitencier, ici. Je ne croyais même pas que c’était possible. Je vais de cauchemar en cauchemar, en descendant toujours plus au fond de l’horreur et en me demandant combien de temps je vais tenir dans ce monde infernal et violent. C’est une suite de longs couloirs répugnants – il semble qu’on ait encore franchi un palier dans l’abject –, un peu comme les boyaux d’un métro qu’on n’aurait jamais entretenu. Il y a des gens partout, mais uniquement des détenus, pas de gardiens. Il faut comprendre : ils n’étaient que quatre, dans le fourgon, pour une trentaine de détenues, alors ils nous poussent là-dedans et ferment les portes. À présent je suis livrée à cette jungle mixte, des hommes et des femmes qui déambulent, le plus souvent en donnant l’impression de savoir où ils vont – ce qui n’est pas du tout mon cas.

J’avance un moment au petit bonheur. Ce qui m’entoure est vraiment effrayant. Je cherche les toilettes et je finis par comprendre que ce sont ces ouvertures dans les murs, des trous sans porte où chacun vient faire ses besoins devant tout le monde, qui n’ont pas été nettoyés depuis des lustres, au point que tout empeste, que des milliers de mouches volent… et plus tard je verrai des rats, aussi. Je vois des filles qui essaient de faire pipi et des mecs qui regardent, goguenards ; moi je ne pourrai jamais. Pourtant j’ai mal au ventre et je me tords, mais il n’est pas question que je m’abaisse à ce point.

Quelqu’un m’appelle et vient me chercher pour m’emmener à l’audience. On m’avait prévenue que c’était à onze heures. D’ailleurs, ce sera toujours à onze heures. Au moment où je me laisse entraîner, je tombe nez à nez avec la fille du fourgon, celle qui me fixait de ses yeux d’homme, de son regard méchant. Elle me dit qu’elle va me tuer, qu’elle me fera avaler mes dents, elle hurle, et je cours pour échapper à sa folie de menaces. J’ai peur qu’elle en vienne à me frapper, aussi. Cette fois, je n’ai ni la présence d’esprit ni le cran de faire semblant de résister, je suis prise de panique.

Je ne sais pas très bien comment j’arrive devant cette porte, au bout de plusieurs couloirs, de marches qu’on m’a fait monter, descendre et monter encore, mais j’entre dans une espèce de petite cellule et la porte se referme derrière moi. Devant, il y a une grille, à hauteur d’homme : mon avocat Jorge Ochoa se trouve derrière et me regarde arriver tranquillement. Je lui saute presque dessus et je hurle qu’une femme veut me tuer, qu’elle me menace de me faire avaler mes dents, je crie, je pleure et je m’entends dire :

— Je veux faire pipi !

En fait, il y a un micro dans cette cellule, j’ai hurlé au micro que je veux faire pipi et tout le monde m’a entendue. Dans la cellule, à côté de moi, Israël vient d’arriver. Ce sera une audience commune. Dès qu’il entre, je le vois au bord des larmes. C’est bizarre, mais je ne ressens rien. Ni peur ni haine, c’est comme si je ne savais pas très bien qui il est. Ou que je ne le savais plus. J’en suis peut-être à me demander si je l’ai vraiment su un jour et je l’entends me jurer qu’il n’a rien fait, il le jure sur la tête de ses enfants, sur la tête de ses parents et des miens, il insiste et veut me convaincre, finalement je ne sais plus ce que je dois penser. Je ne lui dis rien, je le regarde pleurer devant moi, me demander pardon. Je pleure avec lui. Il y a longtemps que des larmes n’étaient pas sorties. Je n’arrête pas de le regarder, j’essaye de comprendre et je m’aperçois que j’ai envie de le croire. Moi, je n’ai rien fait et je suis là tout de même, alors pourquoi pas lui ? J’ai l’impression qu’il est dans le même état de désespoir que moi, qu’il a peur, lui aussi, et au bout du compte je le trouve assez convaincant. Mais je ne dis rien. Je comprends que mon procès est sur le point de commencer, ce n’est pas le moment de prendre des risques.

Notre procès débute. Israël parlera le premier. On me fait sortir de ce box et on m’installe avec un gardien sur le banc juste à l’extérieur. Israël, lui, est à l’intérieur. C’est sa première déclaration : il doit expliquer sa position, la manière dont il va se défendre des accusations d’enlèvements et de toutes les autres. En fait, Israël est accusé de neuf enlèvements au total et de la mort d’un homme ; à cela s’ajoutent détention d’armes et association de malfaiteurs, comme moi. Il parle, il parle, c’est interminable et j’attends toujours, assise sur ce banc, dans ce couloir sordide ou passent parfois d’autres détenus qui sont là pour leur procès, ou simplement parce que c’est leur prison.

En fait, le procès se tient dans la prison pour hommes. C’est pour ça qu’il y en a tant, quand on descend du fourgon. Je suis obligée d’emprunter différents couloirs avant d’arriver au tribunal. Et là tout peut arriver, même le pire. Entre les cellules, il n’y a pas de gardes, c’est une zone de non-droit où le plus fort fait la loi ; je ne m’habituerai jamais, mais je finirai par me faire respecter tant bien que mal. Le secret est de ne pas tramer, car on ne peut pas faire grand-chose quand une bande de types vous coincent. Ils se déplacent à plusieurs, parce qu’il y a une réelle rivalité entre eux : des voyous, des tatoués, des drogués… c’est une véritable jungle dans laquelle les faibles n’ont pas leur mot à dire. J’ai vu des femmes se faire violer, ici, et personne pour s’interposer parce que c’est trop dangereux. J’ai vu des règlements de comptes d’une violence inouïe. Et j’ai fait comme tout le monde : faisant semblant de ne rien avoir vu, j’ai continué mon chemin, pas fière mais pas inconsciente au point d’imaginer que je peux faire le poids.

Quand Israël sort enfin du box, il est vingt heures. Il a parlé pendant neuf heures ! Il me regarde, exténué, il a vraiment une sale tête. Alors c’est à mon tour, moi qui croyais, vu l’heure, qu’on rentrerait à Santa Martha. De l’autre côté de la grille, se trouve un bureau, et un autre un peu plus loin, avec des gens qui écrivent et posent des questions, parfois. Juste derrière la grille, ce sont les avocats. Et au fond, là-bas, quelques chaises et des gens assis dessus ; des spectateurs, parce que les procès sont publics. Juste derrière cette grille contre laquelle j’appuie mon visage, c’est la vie, la liberté, un monde complètement différent de la folie dans laquelle je suis plongée, et qui me paraît si loin et si proche à la fois. Presque à portée de main et parfaitement inaccessible.

Je dois raconter mon histoire, pour la première fois. Comment je suis arrivée au Mexique et comment j’ai rencontré Israël. J’imagine qu’il a dit la même chose avant moi, et je crois que cela va me servir si les juges se rendent compte que je ne le connais pas depuis si longtemps, s’il a dit lui aussi que nous nous sommes séparés, puis remis ensemble et séparés encore. Toute ma vie au Mexique défile à nouveau et je m’aperçois que cela me fait du bien d’en parler, d’expliquer que ma vie avec Israël était celle de n’importe quel couple tout neuf et que, pour moi, il travaillait dans les garages de ses frères. Je leur dis que j’allais parfois au garage, que je les voyais occupés, que je voyais aussi les voitures qui passaient au ranch. Je leur dis que je n’ai pas imaginé un instant qu’il pouvait y avoir autour de moi des histoires comme ces enlèvements. Je parle, je parle, pour essayer de les convaincre que je suis une fille comme tout le monde avec ses amis, ses amours, son travail. C’est juste que je m’imaginais pouvoir travailler ici comme je l’avais fait en France, voilà ce qui m’a manqué. Tout cela défile à mesure qu’on me demande, qu’on me laisse expliquer, et pour la première fois depuis le début de cette folle histoire, j’ai l’impression de renouer avec ma vraie vie, de m’extirper un peu de ce bourbier devenu encore un peu plus infâme depuis la veille au soir.