Chapitre X

Biosphère – Biodiversité

La biosphère est l’ensemble des êtres vivants qui existent à la surface du globe et qui constituent une mince pellicule sur cette surface. Elle se compose des animaux, des végétaux et des bactéries (dont le rôle apparaît de jour en jour plus essentiel).

L’homme fait partie de la biosphère, mais en même temps il joue un rôle à part tant son activité est devenue importante et modifie le reste de la biosphère. Faut-il parler d’anthrosphère ou de noosphère comme le proposait Teilhard de Chardin pour caractériser l’« espace terrestre » occupé par l’homme ?

Cette biosphère est un élément essentiel dans l’« équilibre » chimique de la surface de la Terre à travers ses échanges avec l’océan, l’atmosphère, et le rôle qu’elle joue dans l’érosion de la lithosphère.

La biosphère

Rappelons d’abord deux rôles géologiques essentiels qui font de la Terre une planète unique dans le système solaire.

C’est la biosphère qui a purgé l’atmosphère terrestre de 80 % de CO2 qu’elle contenait, il y a 4,5 milliards d’années. Ce sont des algues spéciales groupées en colonies qui ont provoqué la formation des calcaires, dans lesquels est aujourd’hui emprisonné le gaz carbonique primitif. Et aujourd’hui encore, on essaye de simuler cette réaction biochimique pour piéger le CO2 dégagé par l’homme !

C’est ensuite l’activité photosynthétique des algues et des archéobactéries qui, tout en piégeant le CO2, a dégagé l’oxygène. Ce sont les 20 % d’oxygène que contient l’atmosphère qui permettent les phénomènes de respiration des animaux (et des végétaux). Ils sont entièrement dus à l’activité photosynthétique.

Sans ces deux processus biochimiques fondamentaux, la surface de la Terre serait aussi impropre à la vie que celle de Vénus !

En fait, il n’y a pas de cycles des principaux éléments chimiques dans lesquels la biosphère ne joue pas un rôle déterminant, que ce soit pour le carbone d’abord bien sûr, l’azote, le phosphore, l’oxyde, le fer, le calcium ou le magnésium. Dans une théorie très excitante, mais non prouvée, appelée « Gaïa », l’Anglais James Lovelock défend l’idée que c’est la biosphère elle-même qui contrôle et stabilise la température du globe, en modifiant sa propre activité en fonction des fluctuations climatiques.

Cette biosphère s’est organisée au cours des temps géologiques grâce à la reproduction de la matière vivante qui s’est développée à partir des organismes vivants, tous différents, mais ayant une propriété commune : l’existence de l’ADN comme mémoire de leur identité et de leur fonctionnement.

Les diverses espèces vivantes se développent selon deux processus : la nutrition qui leur permet de s’alimenter en énergie (en particulier par l’intermédiaire du carbone) et la reproduction qui leur permet de se perpétuer. La matière vivante dans son ensemble est éternelle. Sa masse globale semble depuis 550 millions d’années plus ou moins constante.

À travers ces deux processus de recherche de la nourriture et de reproduction s’opère la sélection naturelle avec ses deux attributs, le hasard et la nécessité, autrement dit les mutations et la sélection naturelle. Ce double processus voit donc tout naturellement apparaître de nouvelles espèces et disparaître d’autres espèces moins bien adaptées aux conditions environnementales du moment.

Ce qui a émergé de tout cela après 4 milliards d’années d’histoire, mais disons surtout les derniers 700 millions d’années, c’est une extraordinaire diversité des espèces vivantes. Cette diversité s’organise autour de la chaîne alimentaire et de la niche écologique.

La chaîne alimentaire commence toujours par les plantes photosynthétiques (ou chimiosynthétiques), seules capables de transformer le carbone « minéral » ou gazeux en carbone organique, celui qui constitue le vivant. Elle se poursuit par toutes les étapes qui mettent en jeu les herbivores, les carnivores et les parasites. La niche écologique est constituée par l’unité de conditions externes qui accueillent les diverses espèces vivantes cohabitant en un même lieu.

La biosphère est donc un immense réservoir de matière vivante hiérarchisée et diversifiée.

Diversité biologique

Diversifié, maître mot sur lequel il faut s’arrêter. Pourquoi la diversité du vivant, l’existence d’espèces très nombreuses, toutes différentes, représentées par des individus tous semblables et pourtant tous uniques, est-elle une richesse à préserver absolument ?

Pour moi qui depuis cinquante ans me bats pour expliquer que la diversité dans un système est sa principale richesse, que c’est là qu’existent les réserves d’innovation, d’adaptation et d’évolution, l’importance de la diversité biologique est une évidence.

Je me suis battu contre les règlements uniformes, contre les programmes scolaires identiques, contre les concours de recrutement décalqués d’un modèle idéal unique, j’ai expliqué partout que l’égalité entre les hommes ce n’était pas de leur imposer une uniformité mais au contraire de reconnaître leur diversité, ce qui suppose la diversité de leurs talents, et qu’être bon en biologie, c’était aussi respectable qu’être bon en mathématiques !

Pour la biosphère, c’est identique.

On sent chez certains biologistes français une certaine difficulté à expliquer pourquoi la biodiversité est inexorablement liée à la notion même du vivant et en constitue la richesse fondamentale. Sans doute sont-ils trop imprégnés par l’éducation uniformisante et ultra-rationaliste française. Les Anglo-Saxons ont moins de mal avec ces notions.

La diversité du vivant, c’est ce qui lui permet de s’adapter et d’évoluer. Cette faculté d’adaptation à travers la diversité des espèces est attestée par la variété des niches écologiques et, corrélativement, des espèces de plantes et d’animaux qui y sont adaptées.

Lors des grandes crises climatiques qui, au cours des temps géologiques, ont secoué la planète et plus encore la biosphère, certaines espèces ont survécu, d’autres, qui semblaient pourtant bien adaptées, ont disparu.

S’il y avait eu moins d’espèces, la vie aurait eu du mal à ne pas disparaître.

En agriculture, on s’est aperçu qu’en sélectionnant une seule espèce, une seule variété de plante ou d’animal, la population était plus vulnérable face aux épidémies. Le maïs de Cuba a ainsi été décimé par le mildiou. Dans les sols, il existe des associations symbiotiques indispensables pour la vie sur terre. Des bactéries de type Rhizobium associées avec les racines de légumineuses (pois, soja, luzerne) qui forment des bulbes assimilent l’azote de l’air pour le transformer en ammoniaque, puis en nitrates assimilables par les plantes. Une autre association encore plus spectaculaire est celle des racines avec des champignons pour donner des filaments minuscules, mais très longs (on parle de 20 000 kilomètres dans un mètre cube de sol), qui permettent aux plantes d’absorber l’eau.

Or, on a observé que lorsque le nombre d’espèces de bactéries ou de champignons diminuait, ces symbioses avaient du mal à subsister, en particulier lorsque la nature des engrais ou des insecticides variait. Seule leur diversité assure la fertilité des sols. Qu’une seule espèce de champignons ou de bactéries disparaisse et l’équilibre du sol est mis en danger.

La diversité des espèces, et des variétés d’espèces, est une garantie d’adaptation, donc de survie.

Or, aujourd’hui, tout indique que l’homme est en train de tailler sans discernement dans la biosphère, détruisant à grands coups de serpe cette précieuse diversité biologique.

Tous les écologistes professionnels tirent la sonnette d’alarme et s’émeuvent de la diminution de la biodiversité. Sur ce point, je partage leur inquiétude. Je constate avec d’autres que, dans nos rivières, les écrevisses, les truites, les brochets, les ablettes, les goujons, les gardons, les sandres, les perches sont en diminution. Responsables de ce phénomène, la pollution et dans certains cas la sur-pêche. On m’a dit qu’en Égypte, il n’y avait plus de crocodiles dans le Nil. J’apprends avec stupeur que le nombre de tigres en Asie du Sud serait tombé à moins de 3 000 (dont seulement 600 en Asie du Sud-Est). J’entends prononcer des nombres « ridicules » pour les rhinocéros en Afrique (sans doute aussi celui d’Asie) ou le panda en Chine.

Mais je sais aussi qu’il s’agit là d’animaux « spectaculaires » comme beaucoup de ceux qui au cours de l’histoire ont disparu faute de capacité d’adaptation et qu’a priori, pour importants qu’ils soient, ces exemples ne me renseignent pas quantitativement sur le phénomène écologique global. Pourtant, à partir de là on tend à tout mélanger.

Il y a les « écologistes » qui considèrent que les arbres ou les insectes ont des droits au sens juridique du terme et que toute destruction d’un être vivant doit être punie pénalement. La deep ecology est basée là-dessus. L’hystérie actuelle pour protéger les ours dans les Pyrénées ou les loups dans les Alpes n’est pas loin de cette attitude qui n’a rien à voir avec la protection de la biodiversité. Car ni le loup ni l’ours ne sont en danger de disparition en Europe (Espagne, Italie, ex-Yougoslavie, Carpates, Russie…). Leur présence en France est une réintroduction (naturelle ?) récente.

Il y a aussi l’attitude, plus raisonnée et sympathique, des associations qui protègent les rivières en réimplantant des espèces autochtones et en combattant les pollutions qui les détruisent. Les associations bretonnes qui cherchent à réintroduire le castor ont adopté ce genre d’attitude louable.

Il y a la stratégie des parcs nationaux, partie des États-Unis et qui a gagné tous les pays du monde, que certains jugent « artificiels », mais qui ont pourtant été à l’origine de la conservation des espèces hier encore menacées de disparition, par exemple les lions ou les éléphants en Afrique. Cela constitue l’activité de la WCS (Wild Conservative Society).

Mais tout cela, qui est au demeurant très sympathique, n’a que de lointains rapports avec la défense de la biodiversité considérée comme une opération scientifiquement organisée et contrôlée. La défense de la biodiversité par émotion ou intuition est certes utile, ne serait-ce que pour sensibiliser le grand public, mais la transformation de cette pulsion en action rationnelle est plus délicate, comme nous allons le voir.

Examen rationnel de la diversité

Le premier obstacle réside dans le fait qu’on ne dispose pas d’un inventaire précis des espèces ni des individus de chaque espèce. On ne connaît même pas le nombre d’espèces vivantes qui existent sur Terre ! D’après Edward Wilsonlxxvii, il existerait 1,5 million d’espèces terrestres, 250 000 plantes, 1 million d’espèces animales dont 750 000 pour les insectes, le reste se distribuant entre bactéries, virus, algues et champignons.

Mais ce chiffre est considéré comme un minimum. Certains écologistes disent qu’il s’agit là des espèces découvertes et décrites, et qu’en réalité il y en aurait dix ou vingt fois plus !

Du coup, l’incertitude sur la disparition du nombre d’espèces est tout aussi grande. En 1979, Norman Myers parlait de 40 000 espèces disparaissant par an. Paul Ehrlich parle de 250 000 espèces par an. Edward Wilson situe la fourchette entre 25 000 et 100 000 espèceslxxviii.

Les chiffres se succèdent. Qui croire ?

Ce qui est important, c’est de situer ce taux de disparition par rapport à un taux naturel lié aux processus évolutifs et à la sélection naturelle. Là encore, rien n’est certain.

J. Lawson affirme que le taux d’extinction actuel est cent fois le taux d’extinction « naturel ». D’autres disent mille fois. Qui croirelxxix ?

Il nous faut donc définir une stratégie rationnelle dans un contexte totalement incertain. Et, en même temps, des observations multiples nous indiquent bien que l’homme détruit la biodiversité. Je crois que personne ne peut le nier.

Des études anciennes mais très soignées ont montré par exemple que l’arrivée de l’homme en Australie, en Nouvelle-Zélande, à Madagascar et dans les îles du Pacifique a fait décroître la diversité des espèces de 50 %.

Les paléontologistes affirment que, hors catastrophe, la durée de vie moyenne d’une espèce est de cinq millions d’années (cela me paraît personnellement un peu élevé). A partir de là, un calcul simple conduit à estimer qu’il doit disparaître 1 espèce sur 50 000 par sièclelxxx. Pour une biodiversité estimée à 10 millions d’espèces, 200 espèces devraient disparaître durant un siècle.

Admettons une erreur d’un facteur 10 dans ces calculs, on trouve 2 000 espèces par siècle. Or, les espèces menacées aujourd’hui d’extinction sont de l’ordre de 10 000 !

Ce calcul global indique que le facteur humain multiplicatif appliqué aux taux naturels d’extinction varie de 5 à 50 !

Mais est-ce uniforme sur toute la Terre ou spécifique à certaines zones ? Comment être plus précis ? Où faire porter l’effort ?

Les méthodes de l’écologie

Dans ce problème très difficile, les écologistes (professionnels) ont développé des méthodes très astucieuses dont aucune n’est absolument rigoureuse, mais dont la convergence des résultats est telle qu’elle oblige à les considérer comme sérieuses. On lira avec profit l’excellent livre de Robert Barbault, Un éléphant dans un jeu de quilleslxxxi, que j’ai déjà cité.

Une première approche a consisté à établir une relation entre le nombre d’espèces et les dimensions du territoire concerné. Une relation classique revient à dire que lorsque le territoire est multiplié par dix, le nombre d’espèces est multiplié par deux.

Utilisant cette relation, Edward Wilson en déduit que la destruction de la forêt tropicale a pour conséquence la disparition de 30 000 espèces par an. Cette méthode a été critiquée sur le plan quantitatif : établie sur les îles océaniques, puis sur des pans de forêt amazonienne, certains doutent qu’elle puisse s’appliquer telle quelle partout.

Personne ne nie la relation qui doit exister entre les deux paramètres, nombre d’espèces-étendue du territoire, mais peut-être chaque type biotope a-t-il sa propre relation ?

Une autre méthode met en jeu les bilans d’énergie. Les plantes vertes utilisent 10 % de l’énergie lumineuse, 10 % de ces 10 % sont utilisés par les chenilles, 10 % de cette dernière énergie est utilisée par les petits carnivores, etc. Quand on passe aux grands carnivores, c’est encore un facteur 10 qui s’applique.

Il en résulte que plus on avance dans la chaîne alimentaire, plus le nombre d’individus décroît. On a donc établi une relation entre le nombre d’individus et la position dans la chaîne alimentaire. De fil en aiguille, on déduit que la disparition des grandes espèces visibles correspond à des disparitions plus nombreuses, des espèces situées plus bas dans la même chaîne alimentaire. L’exemple souvent donné est celui de l’éléphant. En mesurant le taux de disparition des grosses espèces, on a donc directement une estimation de la disparition de toutes les espèces de la chaîne. Mais ce raisonnement n’est valable que dans un processus « naturel », où la chasse et les pêches industrielles ne viennent pas prélever directement les « grosses espèces ». Et quid des espèces pourtant essentielles de bactéries ou de champignons ? Qui les comptabilise ?

Comme on le voit, le problème est difficile à cerner.

En ce qui concerne la mer, qui couvre les deux tiers de la surface terrestre, la situation est encore plus difficile, car on est encore beaucoup plus loin d’avoir fait l’inventaire des espèces marines. Souvenez-vous que lors de l’exploration sous-marine des dorsales océaniques, on a découvert des sources chaudes qui entretenaient auprès d’elles des faunes et des flores particulières, avec des clams géants, des anémones de mer, etclxxxii. Philippe Cury, chercheur à l’IRDlxxxiii, nous dit que les océans (en particulier l’Atlantique) ont perdu de 50 à 90 % de leurs grands poissons prédateurs (mornes, églefins, raies, espadons, thons, etc.). Boris Worin, chercheur allemand, nous dit que 70 % des coraux ont disparu et que 10 % des espèces de poissons ont disparu depuis 1950.

On sait qu’il y a une dispute au sujet des réserves halieutiques de l’Atlantique nord entre les pêcheurs et les biologistes océanographes. Les premiers affirment à partir de leurs captures de pêche que les stocks de poissons décroissent moins vite que ce que les seconds affirment. On peut toujours nier et mettre cette affirmation sur le dos d’intérêts commerciaux, il faut reconnaître que sur le plan statistique les pêcheurs possèdent un échantillonnage plus représentatif sur certaines zones que les chercheurs ! Il serait donc urgent que ces deux communautés qui ont intérêt à sauver la diversité marine discutent, se disputent au besoin, mais mettent leurs chiffres et leurs arguments sur la table. C’est difficile, mais pas impossible.

Pourquoi le président de la République ne réunirait-il pas sous sa houlette pêcheurs de mer et océanographes biologistes pour les obliger à dialoguer au grand jour sur l’état de l’océan, au lieu de laisser des technocrates bruxellois décider brutalement de quotas de pêche sur des bases qui sont immédiatement contestées ?

Les études précises sur la mer sont d’autant plus difficiles qu’il existe des phénomènes naturels étranges. Ainsi, dans le Pacifique, il existe des cycles biologiques qui n’ont rien à voir avec l’intensité de la pêchelxxxiv. On constate des variations décennales, où alternent l’abondance des sardines et l’abondance des anchois. Quand l’eau est froide, les anchois sont dominants et les sardines disparaissent, quand l’eau est plus chaude c’est l’inverse. Ces cycles sont plus ou moins liés à El Nino, mais pas exactement. Des cycles de ce genre existent partout, mais on est loin de tous les connaître.

Pour établir une stratégie qui ne soit pas purement émotionnelle ou médiatique, il faut faire l’inventaire des nuisances humaines et ensuite identifier les cibles d’actions.

L’homme détruit la diversité biologique de diverses manières :

— En réduisant les espaces naturels, comme la forêt, les marécages et les mangroves, les lacs, les rivières.

— En détruisant directement les êtres vivants, soit par la chasse et la pêche, soit en coupant les arbres.

— En polluant les espaces naturels par les engrais, les produits chimiques domestiques, les insecticides, les pesticides, etc.

— En se mettant lui-même en compétition avec les espèces vivantes pour l’usage de l’eau, des sols, etc.

En face de ces agressions, l’activité humaine a-t-elle des aspects positifs ?

Oui, lorsqu’elle crée des parcs nationaux. Le premier du monde fut celui de Yellowstone, aux États-Unis. La France a suivi très tardivement cet exemple.

Oui, lorsqu’elle élève des espèces sauvages, que ce soit des poissons ou des mammifères, car les élevages permettent des programmes de réimplantation.

Mais c’est à peu près tout !

Stratégies

À partir de là, on peut se fixer des objectifs.

La première attitude, c’est de lutter pour la préservation de la biodiversité à l’échelle de la planète. C’est ce que font bon nombre d’écologistes professionnels. Et ils ont raison.

La conséquence de cette attitude, c’est qu’on se préoccupe fortement de la forêt tropicale, car sur 7 % du territoire mondial vivent paraît-il la moitié des espèces animales et végétales. Dans l’océan, ce sont les mers tropicales et en particulier les environnements coralliens qui sont les plus riches en espèces variées. Cette préservation globale de la biodiversité demande une coopération internationale et un financement qui doit provenir des pays riches. Outre la défense des forêts et l’établissement de sanctuaires comme on le fait au Costa Rica où des milliers d’espèces de papillons ont été sauvés, il faut mener une action vigoureuse pour la protection des grands singes (nos cousins), de la faune polaire (ours blancs, phoques, pingouins et manchots, orques et baleines). Il faut bien sûr une coopération internationale intensifiée pour protéger les richesses biologiques des océans du globe, d’abord l’Atlantique et la Méditerranée, mais aussi celles des îles lointaines comme la symbolique île de Pâques.

Faut-il confier cela à une nouvelle commission de l’ONU ou à un GIEB (calqué sur le GIEC) ? Ou faut-il aider les ONG de protection de la nature qui ont déjà fait leurs preuves ? Ou les deux ?

Il faut certes étudier et préserver les écosystèmes à l’échelle mondiale, mais faut-il se focaliser uniquement sur eux ?

On ne sait pas si l’Amazonie absorbe ou dégage du CO2 car, à la photosynthèse qui dégage de l’oxygène en absorbant le CO2, s’opposent les fermentations microbiennes par les levures qui, elles, dégagent du CO2. On sait en revanche que la forêt des zones tempérées moins luxuriante est une très puissante pompe à CO2. Alors faut-il se focaliser sur l’Amazonie et négliger les forêts tempérées ?

Biodiversités locales

Comme l’exprime le grand écologiste Robert May, c’est un paradoxe, « bien qu’on ne puisse la mesurer exactement, la perte de la biodiversité apparaît comme une évidence contre laquelle il faut lutter. Cette lutte doit se développer partout et pas seulement dans la forêt tropicale ».

Que dire en effet de notre responsabilité vis-à-vis de la forêt méditerranéenne, qui brûle tous les ans et dans laquelle on détruit une faune particulièrement riche (la disparition progressive des cigales en est l’indice le plus clair !) ?

Beaucoup trop de Français sont prompts à s’émouvoir lorsqu’on parle de la destruction de la forêt tropicale au Brésil ou en Malaisie, du recul des coraux de la grande barrière d’Australie ou de la disparition du tigre blanc de Sibérie, mais ne font rien ou presque pour préserver la biodiversité de leur propre pays, que ce soit dans leurs rivières ou leurs forêts. Pourtant, c’est d’abord à l’échelle locale qu’il faut se mobiliser.

Le problème de la survie du panda est un problème chinois, celui du tigre de Sibérie un problème russe, la déforestation de l’Amazonie une question pour le Brésil, le recul de la grande barrière de corail concerne d’abord l’Australie. Bien sûr, il peut, il doit exister un droit d’ingérence écologique, bien sûr, scientifiquement il faut coopérer pour sauver la planète, mais l’action commence à sa propre échelle. Les premiers efforts sont ceux qu’on fait soi-même chez soi, autour de soi.

Comment agir ?

— En développant les réserves de biosphère. En France, l’Unesco en a validé dix : Camargue, Cévennes, Tuamotu (Polynésie), vallée du Faugo (Corse), archipel de Guadeloupe, mer d’Iroise, mont Ventoux, pays de Fontainebleau, Lubéron et Vosges du Nord.

On pourrait se donner pour objectif de doubler ces réserves à terre et d’en créer cinq en mer, ce qui est indispensable. Dans ces réserves, on préserve vraiment la biodiversité.

— En reconquérant les biotopes naturels d’une manière plus diversifiée et plus progressive. Sur le plan de la forêt, la France a une attitude intéressante. La forêt couvre 30 % du territoire, soit 16,3 millions d’hectares. Elle s’est accrue de 6 millions d’hectares depuis le début du XXe siècle. Nous ne sommes pas mal placés dans le « palmarès » européen. Cela dit, il faut accroître encore la proportion de feuillus par rapport aux résineux dans nos forêts !

Par contre, en ce qui concerne les biotopes aqueux, la situation française est moins souriante. Nos rivières sont polluées et les espèces traditionnelles de poissons décimées.

À qui la faute ? À la pollution chimique venant soit de l’agriculture (surtout les pesticides), soit des détergents domestiques. Nos lacs naturels ou formés par des barrages sont menacés d’eutrophisation par suite des excès de phosphate dans les engrais agricoles. Il faut faire un plan de réduction progressive de l’usage des engrais agricoles ou de leur recyclage. Cela doit se faire bien sûr sans condamnation facile des paysans mais avec eux !

Nos côtes maritimes sont polluées et les espèces marines côtières diminuent malgré la création du Conservatoire du littoral, il faut continuer à les rénover et à les entretenir.

En France, pour amplifier une incontestable tendance à l’amélioration dans la protection de la biosphère, il serait souhaitable de regrouper divers services et organismes existants (Eaux et Forêts, Cemagref, certains services de l’Inra) au sein d’un service biologique national dont l’une des missions essentielles serait la mesure et la protection de la biosphère et de la biodiversité.

Il ne s’agit pas de créer un énième organisme, mais au contraire de rentabiliser et de coordonner ceux qui existent déjà.

Bien sûr, il y a des questions et des incertitudes, et tout ne sera pas simple. Va-t-on réintroduire les hordes de « rats des champs » que les céréaliers ont exterminées ? Va-t-on favoriser le développement des renards sous le prétexte qu’ils maintiennent les lapins à un niveau raisonnable ? Va-t-on favoriser le développement d’insectes (sauterelles, cafards, fourmis, termites, guêpes…) que l’homme a éliminés à l’aide d’insecticides ? Les bergers des Alpes et des Pyrénées considèrent que c’est ce que l’on fait avec les loups et les ours. Plus généralement, faut-il favoriser la prolifération des insectes sous le prétexte qu’ils constituent la majorité des espèces animales ? Faut-il au contraire continuer la lutte pour les contenir ?

À partir du moment où entrent en ligne de compte les notions d’animaux utiles et nuisibles, de parasites et de symbiose d’équilibre écologique, les choses deviennent très difficiles.

La grande inconnue, ce sont bien sûr les bactéries. La majorité des bactéries jouent un rôle « positif » et important dans l’équilibre de la planète, mais certaines sont des vecteurs de maladies terribles. On n’en connaît pas bien le nombre. Si l’on va au bout du raisonnement, va-t-on poursuivre les antibiotiques sous prétexte qu’ils détruisent la biodiversité des bactéries ?

Biogéochimielxxxv

Si on parvenait à établir des bilans globaux des divers éléments chimiques et des gaz de l’atmosphère, on pourrait décider ce qu’il nous faut préserver et ce qui au contraire menace l’homme, mais cet objectif est celui d’une discipline très ardue qu’on appelle biogéochimie et qui parvient difficilement à faire émerger ces résultats.

Car la difficulté dans ces études sur l’équilibre noosphère-biosphère, c’est que la nature n’est pas seulement « utile » et « bonne ». Dans beaucoup de cas, la nature agresse l’homme, que ce soit par le biais des maladies, des fléaux d’insectes ou même des proliférations excessives comme les lapins en Australie. Il faut déterminer les limites et ne pas tomber dans un amour de l’animal qui deviendrait de l’éco-fondamentalisme. Les problèmes sont sérieux, mais solubles.

Là comme ailleurs, il faut se garder du catastrophisme, y compris de celui propagé par les scientifiques.

Pendant trente ans, l’écologie a été le parent pauvre de la biologie. L’excitant développement de la biologie moléculaire a attiré l’essentiel des moyens et des cerveaux. Les écologistes en ont conçu une certaine frustration.

Aujourd’hui que leur discipline est à l’ordre du jour et devant le succès qu’a recueilli l’alarmisme des climatologues, ils ont tendance à les imiter. Donc à décrire des situations de manière apocalyptique et dénonciatrice.

Là aussi, il faut être déterminé, mais responsable. Un programme efficace pour défendre la biodiversité ne verra le jour que s’il est accepté par ceux qui sont concernés dans leur vie de tous les jours.

Il est indispensable qu’un dialogue s’engage entre les scientifiques écologistes et les chasseurs sur la protection des espèces menacées, avec les agriculteurs pour réduire la pollution des rivières et des lacs (les OGM y aideront). Le dialogue entre les marins pêcheurs et les océanographes doit se développer. Ce qui permettra de bien montrer que la pêche industrielle qui représente 1 % des pêcheurs est responsable de la moitié des disparitions de poissons et de la quasi-totalité de celle des cétacés.

Il faut aussi intégrer dans une stratégie d’ensemble les élevages et l’aquaculture, dont le développement en Asie est considérable.

Bref, il ne faut pas externaliser les problèmes.

Militer pour l’écologie ne consiste pas à dénoncer depuis les villes ceux qui vivent à la campagne – souvent difficilement – ou les paysans du tiers-monde qui défrichent la forêt pour survivre. Cela consiste plutôt à trouver ensemble des solutions qui permettent de protéger les équilibres fondamentaux tout en permettant à l’homme de vivre mieux sur sa planète.