Chapitre IV

La secte verte

L’urgence est aujourd’hui à la lutte contre tous les fondamentalismes, contre les gourous en tout genre, ceux qui escroquent des crédules pour leur bien-être personnel – bref : il s’agit de revenir à la raison. On pense bien sûr d’abord aux ayatollahs et autres mollahs qui maintiennent l’Iran ou le Soudan sous la dictature de fer de l’obscurantisme et de l’intégrisme religieux islamique. On pense aux gourous des sectes exploitant sans vergogne les individus en perte de repères et qui s’accrochent à eux parce qu’ils croient avoir trouvé les bergers du salut.

Mais il faut hélas classer aussi dans cette catégorie ceux qui ont bâti une secte verte contre la science et le progrès et dont l’activité menace désormais les fragiles économies de nos sociétés avec leurs programmes dangereux et irréalistes qui sont autant de régressions scientifiques, humaines et économiques.

Toutes les religions, toutes les sectes s’appuient sur de bons sentiments ainsi que sur des préceptes moraux irréfutables. Sinon, comment parviendraient-elles à convaincre ? Ces principes sont des références théoriques éloignées de l’action ! Qui pourrait être contre l’idée de sauver la planète du désastre ? Qui refuserait de lutter contre les nuisances et les pollutions que l’homme génère ? Qui ne s’identifierait pas à ceux qui luttent pour la sauvegarde du monde ? Aujourd’hui, l’écologie est incontournable. Et c’est pour moi positif !

Mais cet unanimisme est dangereux lorsque petit à petit émerge un dogme qui par définition doit être accepté comme tel, sans contestation possible. « Chercher à comprendre, c’est déjà commencer à désobéir », dit un vieil adage d’adjudant, adaptation militaire de l’ignorance pieuse chère à Bernard de Clairvaux.

Dans la « secte verte », il en est de même. Il n’y a rien à comprendre. La science n’est présente que lorsqu’elle conforte ce qu’on pense. Dès qu’un danger est annoncé comme possible, il est considéré comme certain et le principe de précaution justifie à lui seul l’attitude. C’est ainsi ! Un point, c’est tout. Questionner, c’est déjà être rebelle !

Bjørn Lomborg raconte que, dès qu’il a cherché à comprendre, qu’il a questionné les affirmations, il a été exclu de Greenpeacex.

D’ailleurs, les gourous qui les guident seraient bien incapables eux-mêmes de comprendre les données scientifiques qui sous-tendent leurs affirmations et que l’on peut résumer en quelques principes simplistes que voici : l’homme est par essence mauvais, égoïste, sans scrupule. Il détruit la planète sans se préoccuper du lendemain. Seules une action contraignante, une punition sévère peuvent l’obliger à respecter la nature. Le paradis terrestre c’est la frugalité. Comme le dit le sachem sioux : « La Terre n’appartient pas à l’homme, l’homme appartient à la Terrexi. »

La nature doit dominer l’homme

La nature est supérieure à l’homme, puisqu’elle le précède et lui survivra. Il faut donc respecter la nature avant l’homme. L’animal est l’égal de l’homme. Ne vit-on pas en Amérique un procès fait aux fabricants d’insecticides pour défendre les charançons ?

L’animal ou l’arbre doivent être protégés, respectés, pourquoi pas vénérés, et cela doit être inscrit dans la loi ! C’est la stratégie de la deep ecology qui poursuit en justice ceux qui coupent des arbres ou qui tuent les insectes avec le DDTxii.

Tout ce qui est naturel est bon. Donc tout ce qui modifie la nature est à poursuivre, à condamner.

L’homme et la société passent au second rang. Comme dit Marcel Gauchet, « l’amour de la nature dissimule mal la haine des hommesxiii ».

Finie, oubliée, la lutte que l’homme a menée contre la nature sauvage et hostile pour se développer, s’imposer, se multiplier, parvenir à se nourrir, à se loger, à développer l’élevage, la chasse. Ce n’est pas un hasard si les deux catégories les plus attaquées par les écologistes sont les chasseurs et les agriculteurs. Ils représentent le premier stade de cette conquête de l’homme sur la nature. Ils sont les symboles de la civilisation. Ils sont le commencement d’une longue chaîne d’innovations que l’on appelle progrès et dont le bout est constitué par les deux innovations symboliques que l’on combat aussi, l’énergie nucléaire et le génie génétique. Ces deux technologies peuvent nous permettre de résoudre le problème de l’énergie et celui de la faim dans le monde. L’un est l’éponyme de l’industrie, l’autre, l’espoir de l’agriculture. On s’attaque à la chaîne par les deux bouts. La philosophie sous-jacente n’est pas différente de celle du héros de Roy Lewis dans le roman Pourquoi j’ai mangé mon pèrexiv et sa fameuse phrase finale : « Back to the trees ! » Assez de progrès !

C’est bien ce que beaucoup d’écologistes nous promettent en combattant tout à la fois le nucléaire, le pétrole, le charbon, les barrages, les OGM, la croissance. Avec quoi produirons-nous demain l’énergie ? Avec du bois dans des huttes rustiques ?

La décroissance et les tabous

L’accusé no 1 est donc le progrès et sa conséquence, la croissance. Le slogan du Club de Rome des années 1970, on l’a vu, était plus franc : « Halte à la croissance ! » disait-il. Devant le fiasco politique de cet épisode, le slogan n’est plus repris tel quel, sauf par un économiste aussi hardi que Serge Latouche qui prône courageusement la « décroissance ».

Nicolas Hulot est plus prudent dans la forme, mais le fond de ses propositions est le même. L’emballage est plus présentable, mais le contenu identique.

Or, c’est exactement le contraire qui est souhaitable pour développer l’écologie. Il faut en faire le moteur d’une croissance vigoureuse, un élément essentiel du progrès économique et social !

Exactement l’inverse de ce que prêche la secte verte !

D’après elle, il faut arrêter le nucléaire. Ils ne parlent pas beaucoup de nucléaire militaire, celui qui a tué 300 000 Japonais à la fin de la Seconde Guerre mondiale non, pas ces armes terrifiantes, ces milliers de fusées à têtes nucléaires que détiennent les grandes puissances, pas ces armes menaçantes que veulent acquérir les protagonistes des zones dangereuses. La dénucléarisation du monde, c’est, pour eux, l’interdiction d’utiliser la technologie nucléaire à des fins pacifiques. C’est interdire le bien-être qu’a apporté l’atome civil depuis cinquante ans et qui permet aujourd’hui à 75 % des Français de s’éclairer et de se chauffer !

L’atome menace-t-il à brève échéance quiconque ? Oui, l’atome militaire menace, il menace partout où il y a des conflits, mais les menaces de l’atome civil ne viennent que bien loin après d’autres menaces plus sérieuses, et plus urgentes, qui pèsent sur la planète.

Ce qui ne veut pas dire qu’il ne faille pas progresser dans le domaine de l’énergie nucléaire et qu’il ne reste pas des progrès considérables à faire pour la rendre plus sûre, particulièrement en ce qui concerne les déchets, comme nous l’évoquerons au chapitre 7. La lucidité vis-à-vis des risques n’est pas synonyme d’arrêt du mouvement !

Second front : les OGM, voilà l’ennemi. Sait-on ce que sont les OGM ? Pas exactement, mais peu importe, c’est mauvais. On manipule le vivant. On trafique des gènes ! Comme disait un jour un célèbre acteur de cinéma à la télévision : « Je suis contre les OGM, car je ne veux pas manger des gènes. » Et le présentateur n’eut pas la présence d’esprit de lui dire : « Mais vous en mangez des millions chaque jour. Et lorsque vous mangez les gènes de salades, ça ne transforme pas vos oreilles en laitues ou en scaroles ! »

Notons que tout cela devrait être compris de tout élève sortant du collège si les programmes, moins gigantesques, permettaient de bien dégager les principes essentiels, par exemple celui de la séparation, dans tout être vivant, du soma et du germenxv.

La répulsion de certains contre les OGM touche au fanatisme. Je me souviens d’une confrontation judicieusement organisée par France 2 après un arrachage de maïs transgénique. Face à face deux faucheurs et une femme avec son enfant malade de la mucoviscidose. Les pieds de maïs arrachés étaient précisément destinés à expérimenter une transgenèse pour tenter de guérir cette terrible maladie. La mère dont le fils allait mourir expliquait aux faucheurs qu’ils avaient détruit un espoir de guérison. Elle se vit répondre par les deux faucheurs, les yeux illuminés (j’ai encore ce terrible souvenir en mémoire) : « Madame, nous protégeons l’avenir de l’humanité. » La paire de gifles fut évitée par le présentateur, mais de justesse !

Autre souvenir télé. Un brave paysan, moustachu à souhait, déclare avec emphase en roulant les r : « Je ne veux pas que mes salades bio soient contaminées par le maïs transgénique ! » Le présentateur, cette fois, ne parut pas troublé par cette forte déclaration. Il aurait pourtant pu lui répondre que la possibilité de contaminer une salade par du pollen de maïs était aussi forte que celle de voir un chat engrosser un canari ! Là encore, cela prouve la déficience de l’enseignement. L’inter-fécondité n’est possible qu’entre individus de même espèce. Lorsque les espèces sont voisines, il peut y avoir fécondation, mais les hybrides sont stériles. C’est le cas du mulet. Et, bien sûr, c’est vrai aussi pour les plantes. C’est ce qu’on appelle l’unité du vivant !

Après le nucléaire et les OGM, voici un nouveau tabou autour duquel on peut rassembler la tribu : le changement climatique. Le climat change, mais ce qui est important, c’est qu’on attribue ce changement – immédiatement considéré comme une dégradation – à l’homme, à son activité, à son industrie. La modification du climat résulte forcément d’une pollution humaine.

Ce qu’il y a d’inattendu dans ce phénomène, c’est qu’une certaine communauté scientifique appuie cette peur en défendant l’influence de l’homme sur le climat et les exagérations auxquelles cette idée donne lieu !

On voit là poindre une question essentielle de notre monde moderne, celle de l’avenir de la science face à l’influence de plus en plus grande des médias et de la société sur les programmes de recherches scientifiques et le comportement des scientifiques eux-mêmes. Le sujet est trop important pour que nous en parlions ici en quelques mots, nous y reviendrons.

La religion

Comme c’est désormais une religion, on peut anticiper un peu et imaginer ce que sera le dogme à faire apprendre par cœur aux « enfants verts » dès qu’on aura pris en main l’Éducation nationale.

Les Dix Commandements (selon le pacte de M. Hulot)

La Nature tu aimeras, plus que l’Homme assurément,

Nucléaire tu combattras, sans relâche continûment,

OGM tu détruiras, sans coup férir obstinément,

Effet de serre tu abhorreras, sans comprendre évidemment,

Désormais tu mangeras légumes bio uniquement,

Le mouton tu sacrifieras pour loups et ours sauvagement ;

Économie : tu ignoreras ses contraintes naturellement,

Du bois tu te chaufferas, croyant bien faire tout bonnement,

Progrès technique tu combattras, sans états d’âme et constamment,

La Planète tu vénéreras, sans les Humains évidemment.

À apprendre par cœur, obligatoire au bac !

Les gourous

Comme toute secte qui se respecte, la secte a ses gourous. On pourrait presque parodier Sergio Leone et les classer ainsi : le bon, la brute, le truand.

Le bon, c’est bien sûr Nicolas Hulot, qui cultive l’angélisme caché derrière ses magnifiques reportages, un discours aussi mobilisateur qu’imparfait et finalement dangereux, comme nous venons de le voir.

« Le grand méchant loup s’était déguisé en grand-mère », dit-on dans Le Petit Chaperon rouge.

La brute, c’est sans conteste José Bové. Son mode d’expression, c’est d’abord et avant tout la violence. Il a hérité cela de l’activisme qu’il pratique depuis Mai 68. On casse le McDonald’s de Millau, on casse une serre d’OGM à Montpellier, on fait le coup de poing à Seattle ou à Davos avec le service d’ordre, on organise les arrachages des champs d’OGM, on soutient les fanatiques du Hamas. Violence verbale dans la condamnation de tout, violence dans le non-respect systématique de la loi. La loi, c’est lui. On se fait justice soi-même. José Bové c’est le Far West écologique. Candidat à l’élection présidentielle, son programme est-il d’abolir la loi et de la remplacer par la loi du plus fort ? Il doit être en prison et y rester !

Le truand, c’est Al Gore. Je connais Al Gore depuis longtemps. Nous l’avions invité à Paris au sommet Planète Terre que nous avions organisé avec Hubert Curien. Il n’était que sénateur mais se faisait déjà le champion de la défense de l’environnement. C’était il y a quinze ans.

Je l’ai rencontré ensuite à la Maison-Blanche lorsqu’il était vice-président de Bill Clinton et que j’accompagnais le Premier ministre Lionel Jospin. Autant Bill Clinton m’avait fait une impression extraordinaire par son charisme, sa connaissance précise des dossiers et la sagesse de ses jugements, autant Al Gore m’avait profondément déçu. C’était l’archétype du politicien américain, professionnel, mécanique mais sans conviction claire ni vraie connaissance des dossiers. Alors que nous étions assis de part et d’autre d’une table, il parlait à Lionel Jospin en lisant des fiches ; sur l’une d’elles était même inscrite une plaisanterie sur la France qui ne fit rire que son collaborateur.

Depuis lors, il a organisé une gigantesque opération commerciale, une gigantesque pompe à fric. Voici quelques chiffres : une conférence lui rapporte 200 000 dollars l’heure, plus trois places d’avion en première classe. Son film au moins 50 millions de dollars.

Administrateur de la firme Enron dont les dirigeants sont en prison, aujourd’hui rémunéré par un autre fonds d’investissement, il est exactement le prototype de l’écolo-business que dénonce Michael Crichtonxvi.

Dans sa campagne, un ingrédient de base : la peur appuyée sur la subjectivité. Raconter que le niveau de la mer va augmenter de six mètres en un siècle et que Manhattan va se retrouver sous les eaux est totalement grotesque. Et il le sait bien. En un siècle, le niveau de la mer va peut-être augmenter de 2,5 millimètres par an, soit 30 centimètres (voire 50 centimètres au maximum)xvii.

Montrer la débâcle de l’Arctique et en déduire des élévations gigantesques du niveau de la mer, c’est faire semblant d’ignorer que 92 % de la glace sont stockés dans l’Antarctique qui, lui, ne fond pas ! Je pourrais multiplier les exemples.

La caractéristique des gourous est de ne pas appliquer à eux-mêmes ce qu’ils recommandent aux autres. C’était déjà le cas des évêques du XVIe siècle qui ignoraient la frugalité et ce fut, comme on sait, la première critique de Martin Luther contre la religion catholique. C’est le cas, bien sûr, des gourous de la secte verte. Al Gore vit comme un milliardaire et emprunte les avions privés pour se déplacer sans se préoccuper de la pollution qu’ils créent. Newsweek a révélé que la maison d’Al Gore a dépensé 220 000 kw/heure l’année dernière, soit vingt fois plus que la moyenne des maisons individuelles américaines ! José Bové vit bien, se déplace en avion et fait fonctionner sa ferme avec toute la technologie agricole moderne. Nicolas Hulot se déplace le plus souvent en hélicoptère, l’engin le plus polluant de la planète, non seulement pour tourner Ushuaïa, mais même pour aller en vacances dans sa maison de Corse. La frugalité, la restriction des dégagements de gaz à effet de serre, c’est pour les autres, et c’est pour demain !

L’agressivité verte

Comme dans toutes les sectes, l’attitude face aux opposants est d’abord le dénigrement et la violence.

La violence, nous l’avons vue au McDonald’s de Millau, nous l’avons vue lorsqu’on s’en est pris aux serres à Montpellier, nous la voyons lorsqu’on détruit consciencieusement les cultures OGM dont certaines représentent cinq ans de travail scientifique ou de revenu du travail d’un agriculteur.

Mais nous la voyons aussi dans les paroles. Roland Douce, éminent spécialiste de biologie végétale, présida la commission de l’Académie des sciences sur les OGM et fut pour cela menacé physiquement, réveillé au milieu de la nuit par des menaces du genre : « Salaud, on aura ta peau » et l’envoi par la poste de mini-cercueils. Richard Lindzen, professeur de météorologie au MIT, qui doute de l’influence primordiale de l’homme sur le climat, a été accusé d’être payé par la compagnie pétrolière Exxon, ce qui est totalement faux. Georges Charpak, prix Nobel, est considéré comme l’agent du lobby nucléaire. Ce qui est une conviction scientifique est transformé en compromission avec l’ennemi !

Je n’ai véritablement perçu cette violence que lorsque, en octobre 2006, j’ai publié ma chronique de L’Express en donnant deux exemples pour montrer que les « preuves » du réchauffement climatique n’étaient pas aussi directes que ce qu’en disait la presse. La disparition des neiges du Kilimandjaro n’est pas due à un réchauffement, mais à l’aridification de cette région d’Afrique. L’Antarctique ne perd pas de glace, bien que des pans de banquise se détruisent sur ses bords. Deux faits qui ont depuis été confirmés par les spécialistes, comme Mme Frédérique Rémy, du CNES de Toulouse. Pris dans une tempête médiatique orchestrée par un journaliste de Libération aussi agressif qu’incompétent, j’eus droit à toutes les injures. Et même à une pleine page dans Le Monde avec le qualificatif « scientifiquement incorrect » (ce qui me plaît !), sans parler des e-mails d’injures… Rassurez-vous, cela n’a pas entamé ma détermination. Au contrairexviii.

L’objectif de la secte verte, c’est pour l’homme la punition, la vie dure ; pour la société, c’est la contrainte, la réglementation. La méthode, c’est la peur, comme l’ont toujours utilisée les diverses Églises. Cette peur millénariste qui sévit aujourd’hui a pour cause première ce « nouvel ordre écologique », pour reprendre une formule de Luc Ferry. Peur du lendemain, peur de l’Europe, peur de la mondialisation, peur de tout ! Cette peur qui suscite chez l’autre la mauvaise conscience. Le terrorisme intellectuel est permanent ! Combien de scientifiques qui pensent comme moi n’osent pas s’exprimer de peur des représailles ? Ils me l’écrivent par e-mail.

L’éco-business

Il n’y a pas de secte qui ne se préoccupe d’argent, ne serait-ce que pour fournir une vie agréable aux gourous. J’ai parlé de l’entreprise Gore. Michael Crichton a décrit de manière romancée et sans doute outrée les associations écologiques américaines qui sont autant de business lucratifs pour des hommes d’affaires dont l’idéal écologique se localise près du porte-monnaie. Ce n’est, hélas, pas étranger à une certaine réalité. Ces associations bénéficient de l’aide financière et de la publicité de grandes stars d’Hollywood, celles qui, comme John Travolta ou Tom Cruise ne leur préfèrent pas les vraies sectes comme Moon ou l’Église de scientologie. En France, l’engagement d’un certain nombre de vedettes de cinéma derrière les gourous écologiques n’en est qu’à ses débuts. Peut-on dire à ces personnalités dont on a souvent apprécié le talent à l’écran que, si elles veulent avoir la conscience tranquille, tout en étant riches, elles pourraient participer financièrement aux initiatives en faveur du problème de l’eau en Afrique, contribuant ainsi à sauver des milliers de gens qui meurent chaque jour de stress hydrique ? Ce serait plus utile que d’arracher des pieds d’OGM quand José Bové est en prison.

Le brave Nicolas Hulot n’échappe pas lui-même à cette ambiance de fric dont il n’est d’ailleurs pas responsable. Car le fric coule de partout, il ruisselle et, naturellement, il corrompt, y compris, d’une autre manière, dans le domaine scientifique où l’attrait des crédits fait émettre par certains scientifiques bien des extrapolations qui excèdent l’étendue réelle de leur savoir.

Que les écologistes de tous bords sachent bien que le premier produit qui pollue la planète c’est l’argent ! En écologie comme ailleurs !

Les fondements et l’éco-fondamentalisme

Lorsqu’on recherche les origines de ce mouvement écologique, elles sont multiples.

En France, parmi les vétérans, le premier véritable écologiste a peut-être été René Dumont, ingénieur agronome, homme de conviction et de courage ; il a dénoncé tout à la fois les dommages que l’homme faisait subir à la planète et le scandale du sous-développement des pays africains. Homme de gauche, il refusait de s’y engager car il reprochait aux partis de gauche leur adhésion sous réserve au productivisme et à l’industrialisation à outrance, y compris dans l’agriculture.

Luc Ferry, qui a effectué une étude fouillée des origines de l’écologie, souligne que la pensée théorique écologiste est essentiellement américaine et allemande. Il y distingue deux tendances. L’une, qu’il qualifie d’« environnementaliste », est une prise de conscience des dégâts que l’homme fait subir à la planète et qui, à terme, pourraient mettre en péril l’homme lui-même. Dans cette école de pensée, l’homme est premier. On ne se préoccupe de la nature que dans l’intérêt de l’homme. Ceux qui adhèrent à ce point de vue remettent en cause l’utilisation que l’on fait du progrès, mais sûrement pas le progrès lui-même, encore moins le bien-être qu’il procure à l’homme. L’homme a négligé la nature et cela peut lui procurer de sérieux désagréments. Il faut aimer la nature d’abord par raison.

La seconde attitude est celle qu’on appelle l’« écologie fondamentaliste » (deep ecology en anglais). Dans cette tendance, c’est la nature qui est première ; l’homme n’est qu’un produit de la nature dans laquelle il doit se fondre. La phrase fameuse d’un des penseurs de l’écologie fondamentaliste, Aldo Léopold, c’est : « Il faut penser comme une montagne. » (Vaste programme, même pour un géologue comme moi !) C’est cette tendance qui, traduite sur le plan juridique, établit le droit des plantes ou le droit des animaux. Elle installe les arbres et les animaux dans la sphère du droit.

Curieusement, les scientifiques se sont partagés entre les deux tendances. La majorité des scientifiques conscients (je ne parle pas des productivistes « aveugles », car, hélas, il en existe encore) sont de type environnementaliste, mais il y a quelques années Alfred Kastler, Étienne Wolff et Rémy Chauvin avaient fondé la Ligue française pour les droits de l’animal, démarche se plaçant dans une tendance d’écologie fondamentaliste (curieux, pour le grand-père du laser, Alfred Kastler !).

Philosophiquement, on peut dire en schématisant que les deux attitudes se distinguent à la fois par rapport au progrès et par rapport à l’humanisme. Les environnementalistes sont des humanistes qui adhèrent au progrès, mais pas au productivisme. Ils critiquent le progrès et parfois l’humanisme, mais de l’intérieur. Les éco-fondamentalistes sont hostiles aux progrès et à l’humanisme, leurs critiques sont externes.

Michel Serres, qui fut un temps un penseur de l’éco-fondamentalisme en France, proposait de remplacer le contrat social de Jean-Jacques Rousseau par le contrat naturel. Luc Ferry a bien montré les lacunes d’un raisonnement qui prenait ses racines chez les éco-fondamentalistes californiens.

À l’inverse, Edgar Morin, qui a développé une pensée originale sur l’écologie, défend l’idée que l’étude des systèmes complexes naturels modifie radicalement notre manière de penser, mais il choisit clairement le camp de la culture et du social plutôt que celui de la nature. C’est sans doute la pensée théorique française la plus riche sur le sujet. On lira avec profit l’analyse de ces philosophes écologistes que fait l’ethnologue Philippe Descolaxix à partir de l’étude des sociétés primitives, et leurs liens avec des attitudes traditionnelles allant du totémisme au naturalisme en passant par l’animisme. Il n’en établit pas moins l’importance de la culture, même au sens primitif du terme, pour aborder la question du rapport de l’homme avec la nature.

Lorsqu’on glisse vers la politique, les choses deviennent complexes du côté de l’éco-fondamentalisme, car il y a incontestablement une convergence entre l’extrême droite et l’extrême gauche dans la condamnation de l’humanisme et du progrès censés profiter toujours à la classe dominante capitaliste. Cette convergence est très bien analysée par Jean Jacobxx qui écrit dans L’Humanité. Il montre que l’écologie met d’une part en relief les limites du productivisme, mais porte aussi une réhabilitation de valeurs, sur l’ordre du naturel, qui rappellent de bien mauvais souvenirs.

On peut très simplement noter que des responsables d’extrême droite comme Philippe de Villiers ou Bruno Gollnisch rejoignent sur ce sujet des responsables d’extrême gauche comme José Bové. La convergence aujourd’hui la plus intéressante est la condamnation, des deux côtés, des manipulations génétiques au nom du respect absolu de la nature, toujours justifié par des considérations religieuses.

On se souvient par ailleurs de la condamnation par les évêques français du Téléthon, coïncidant avec un discours de José Bové contre la manipulation du vivant.

Cette convergence des extrêmes et des archaïsmes sur le thème écologique n’explique pas pour autant la vogue actuelle que connaissent les idées qu’il véhicule.

Surfer sur les peurs

La raison psychologique profonde du succès écologique réside, d’après moi, dans le besoin qu’ont certains hommes de croire en quelque chose à une époque où les idéologies ont beaucoup souffert. Les religions chrétiennes ont perdu de leur influence. Ceux qui avaient cru pouvoir y substituer la croyance dans le communisme ont été déçus. L’écologie dans son aspect doctrinaire leur offre une nouvelle croyance, qui a en outre le mérite de rassembler beaucoup d’ingrédients des deux croyances précédentes. Le fondement en est bien sûr le péché originel. L’homme est coupable, l’homme est un pécheur fondamentalement mauvais. Pour expier ses fautes, il doit être puni. Et la punition la plus simple n’est-elle pas de le priver de ce qui est son orgueil et sa fierté : la croissance et le progrès ? L’homme doit expier ses fautes et notamment celle d’avoir « insulté » la nature (concept idéalisé où l’homme est considéré comme extérieur).

Comment obliger la société à accepter les mesures indispensables au salut humain et qui seront très dures, si ce n’est en réglementant étroitement la liberté individuelle, en organisant collectivement la répartition des ressources devenues rares ? C’est une société entièrement dominée par le collectif, par l’État, dans laquelle les entreprises libérales, surtout celles qui produisent des biens et donc du profit, doivent disparaître.

Il y a chez eux le même idéalisme affiché qu’autrefois chez les « bons communistes » : faire naître le paradis sur terre. Les pionniers communistes étaient des productivistes à outrance. Cette fois, la recette est d’organiser la vie frugale. Che Guevara et la distribution gratuite et obligatoire d’une ration de lait chaque matin ne sont pas loin !

Bien sûr, tout cela n’est pas explicite, la secte verte n’affiche pas ses objectifs de façon aussi précise. On finit par penser que les membres de la secte détestent l’Amérique autant parce qu’elle est le symbole du capitalisme technologique triomphant que parce qu’elle a inscrit dans sa Constitution le droit à la liberté et au bonheur pour ses citoyens !

Pour la secte verte, il faut en baver dans la joie. Voilà l’avenir.

Principe de précaution : piège à cons

La force de frappe de la secte écologique, ce qui lui permet de proposer n’importe quoi, n’importe comment, n’importe quand, c’est le principe de précautionxxi. Il permet tout, il justifie tout.

Le principe de précaution est né en Allemagne sous la plume de Konrad von Moltke, en 1976, dans un rapport sur la protection de l’environnement. En 1986, il entre dans une directive du gouvernement allemand, et en 1992 il est repris dans les conclusions du Sommet de Rio. Voici comment le principe est stipulé dans la Convention sur la diversité biologique : lorsqu’une menace pour l’environnement est « identifiée », « l’absence de certitude scientifique totale ne doit pas être invoquée comme une raison pour différer les mesures qui permettraient d’en atténuer le danger ».

Ce libellé sera repris dans la Convention sur le littoral de Barcelone (1995), dans la Convention sur les cours d’eau et les lacs (Helsinki, 1992), dans l’accord Meuse-Escaut (1994) – qui n’est pas appliqué soit dit en passant.

Il sera utilisé par la Nouvelle-Zélande pour attaquer les essais nucléaires français auprès de la Cour internationale de justice (1995).

Dans toutes ces déclarations, il y a un lien entre le degré de protection d’une part et l’évaluation scientifique de l’autre (François Ewaldxxii).

C’est ce qui est dit explicitement dans la déclaration de la Commission européenne auprès du Parlement européen et repris à la réunion du Conseil européen réuni à Nice du 7 au 9 décembre 2000 :

« Lorsqu’une évaluation scientifique objective et préliminaire indique qu’il est raisonnable de craindre que les effets potentiellement dangereux pour l’environnement ou la santé humaine soient possibles, il faut prendre, etc. »

Petit à petit le mot, le terme « évaluation scientifique » a disparu de l’énoncé. Écoutons Hubert Curienxxiii commenter ce que ce principe est devenu en France :

« La précaution conduit à envisager toutes sortes de choses qui ne peuvent être démontrées mais qui sont émotionnellement évoquées. On vous demande, quoi que vous fassiez, d’être en mesure de prévenir un événement qui n’est pas prévisible mais dont on ne peut dire qu’il n’aura pas lieu. » Nous sommes passés dans l’imaginaire. C’est ce que j’ai intitulé « quand on ne sait rien, on prévoit toutxxiv ».

Un second aspect a petit à petit disparu, c’est le côté économique. Ainsi, Philippe Kourilsky et Geneviève Vineyxxv ont bien insisté sur le fait qu’aucune décision ne pouvait être arrêtée sans la prise en compte de l’analyse scientifique mais aussi des problèmes économiques et sociaux afférents.

C’est ce qui avait été précisé aussi dans la loi Barnier qui stipulait « prévenir les risques… à coût économique acceptable ».

Tout cela a disparu du discours actuel, ni la science ni l’économie ne sont en piste. Le principe de précaution est devenu petit à petit « la précaution à n’importe quel prix ! ». Ainsi a-t-on dépensé 1,4 milliard d’euros pour le désamiantage de Jussieu.

Et Jacques Chirac, cédant à la démagogie et à l’illusion d’une seule réélection, a inscrit ce principe de précaution tronqué dans la Constitution avec l’approbation des socialistes !

Le principe de précaution, c’est l’arme contre le progrès, et les hommes politiques de tous bords l’ont approuvé en ne comprenant pas que ce principe était un boomerang qui se retournera un jour contre eux, tous autant qu’ils sont : maires, présidents de conseils généraux et régionaux, ministres, Premier ministre. Président peut-être.

Avec ce principe, chaque accident doit logiquement conduire à la sanction de quelqu’un ! Cet accident était imprévisible ? Vous avez eu tort de ne pas le prévoir !

On a voulu théoriser, trouver un juste milieu entre les adages populaires, « On ne prend jamais trop de précautions », et « Trop de précaution nuit », si bien que l’on a accouché de ce que j’appelle un « piège à cons » !

Chemin faisant, on a éliminé la notion de risque, c’est-à-dire la notion de vie. La vie c’est le risque, le risque zéro n’existe pas, sauf quand on est mort !

Voilà la force de frappe écologique. Seuls les Européens se sont enferrés dedans, sans doute pour se handicaper un peu plus dans la compétition mondiale. Sommes-nous tellement meilleurs que les autres ?

Les « écolos »

Pourtant, politiquement parlant, les partis écologistes ont perdu leur audience. Partout dans le monde. Comme une étoile filante, ils ont joué leur rôle. Ils ont éclairé la politique puis ont explosé en vol. Pour avoir trahi les idéaux qu’eux-mêmes portaient. Prenez le cas de la France. Lorsque les mouvements écologistes sont apparus, ils portaient un vrai message, celui de la nécessaire harmonie que l’homme devait trouver avec la nature. Mais ils portaient en outre un message de renouvellement politique qui plaisait : ils voulaient faire de la politique autrement. Nicolas Hulot reprend la même antienne. Souvenez-vous, ils étaient contre le cumul et la pérennisation des mandats électifs, pour la rotation des responsabilités. Résultat, ce sont depuis quinze ans les mêmes têtes qui se disputent les postes. Leurs débats internes se sont calqués sur les pires exemples des partis politiques : rivalités de personne, organisations claniques, coups tordus, tout est bon pour la conquête d’un illusoire pouvoir. Et le résultat ne s’est pas fait attendre, de scrutin en scrutin, leur audience diminue.

En Allemagne fédérale, leur entrée au gouvernement avec un leader de grand talent – ce qui n’a jamais été le cas en France –, Joska Fischer, et une présence constante au Parlement européen avec un autre leader tout aussi emblématique, Daniel Cohn-Bendit, ont constitué un vrai changement politique. Mais avec la grande coalition, leur sortie du gouvernement et la retraite de Joska Fischer, tous ces efforts sont chaque jour moins efficaces. Aux États-Unis, d’où les premiers mouvements écologistes sont partis, ils ne réussissent plus à faire passer le moindre texte dans les référendums d’États, et la candidature de Ralph Nader n’a eu pour résultat que d’amener George Bush à la présidence ! Contre Al Gore l’« écologiste » ! Là aussi, c’est assez tordu.

Naturellement, si on regarde du point de vue de l’Histoire, ces mouvements ont joué un rôle positif et leurs idées ont été récupérées même par les pires caciques de la politique politicienne.

En France, l’agitation autour de la candidature Verte à la prochaine élection présidentielle est grotesque. Deux pour cent, trois pour cent des votes, voilà l’enjeu. Un peu d’intelligence politique aurait dû les conduire à une négociation avec le PS pour récupérer quelques sièges de députés et agir. Mais l’ego de certaines personnalités est plus fort que l’intérêt du parti ou le triomphe des idées. D’ailleurs, quel combat d’idées ? Le mouvement Vert en France est celui qui est resté le plus arc-bouté sur des principes archaïques sans avoir été capable de les adapter ni de les dynamiser. Le refus d’intégrer véritablement Daniel Cohn-Bendit qui seul a essayé de faire évoluer les choses est à ce sujet l’image même de cette sclérose.

Pourquoi ce déclin ? D’abord parce que l’idée que l’humanité, qui comptera avant la fin du siècle 9 milliards d’individus, doit apprendre à respecter et à gérer la planète dont les dimensions et les ressources naturelles ne sont pas infinies a fait son chemin et que tous les partis ont aujourd’hui leur « garniture » écologique. Dans cet esprit, l’accord massif sur le pacte écologique de Nicolas Hulot sonne le glas de la spécificité écologique et le fait que beaucoup de militants écologistes voulaient voir Nicolas Hulot être lui-même candidat marque solennellement leur désarroi, leur perte de confiance dans leurs propres leaders, et l’absence même de programme spécifique.

J’ai appartenu à un gouvernement soutenu par le parti Vert. Qu’ont-ils apporté en cinq ans ? Rien ou presque. Sans leur participation, les décisions auraient été pratiquement identiques ! Et il n’est pas vrai de dire qu’ils ont été empêchés d’agir à leur guise.

La seconde raison de ce déclin irréversible, c’est que les dirigeants de ce parti en France étaient pour la plupart des « pastèques », verts dehors, rouges dedans. Et un rouge très vif. Le mouvement écologiste est pour une large part constitué de militants d’extrême gauche, ou de sensibilité d’extrême gauche qui ont pris les thèses écologistes pour déguisement. José Bové a bien compris cela. Lui qui conserve son idéologie soixante-huitarde s’est accroché à la lutte anti-OGM car elle lui permet politiquement de tenter un hold-up sur l’électorat de l’extrême gauche. L’OGM est une arme politique, comme il l’a lui-même expliqué à diverses occasions. L’antinucléaire ne mobilise plus, l’OGM permet de faire le lien entre ceux qui sont contre le progrès, donc contre le productivisme, les multinationales, la mondialisation, etc. José Bové est un fossile de Mai 68 n’ayant ni réussi ni évolué, et qui tente le tout pour le tout. Le malheur, c’est que son activité peut pénaliser la France et plus particulièrement son agriculture.

On peut être contre la mondialisation, mais on vit dans la mondialisation. Il est contradictoire de vouloir parler de la planète Terre et de restreindre la planète à une mosaïque d’États autarciques pratiquant l’agriculture du XVIIIe siècle !

Paradoxalement, on aime la planète, mais on déteste le monde !