Chapitre III

Les vacances de M. Hulot

M. Hulot est à la mode. Pas celui qui prenait ses vacances sous l’œil malicieux de Jacques Tati, mais celui qui présente cette émission d’exploration, Ushuaïa, dont le titre évoque le bout du monde et l’aventure.

Pourquoi, de producteur-présentateur d’une émission de télévision à succès, s’est-il transformé en prophète écologiste puis en militant politique ? Je l’ignore. Comment, en revanche, je le conçois mieux. Dans cette période d’embrasement médiatique où la recherche du nouveau, du populaire, qui rime souvent avec populisme, fabrique des idoles aujourd’hui pour mieux les détruire ou les ignorer demain, on voit bien la démarche. Si le sympathique animateur télé a été atteint par le virus de la politique politicienne, qui s’allie désormais à la griserie médiatique, je lui souhaite de s’en guérir, et je sais que c’est possible.

En attendant, il fait la une des journaux, un hebdomadaire en recherche de nouveaux leaders lui offre le rôle de rédacteur en chef, un autre commente ses déclarations avec délectation. Bref, c’est la gloire.

En quelques mois, Nicolas Hulot est entré de plain-pied dans le « Hall of fame » des héros médiatico-scientistes où il côtoie désormais l’explorateur polaire Paul-Émile Victor, le commandant Jacques-Yves Cousteau, l’escaladeur de volcans Haroun Tazieff. Les trois mousquetaires ont enfin trouvé leur d’Artagnan. Mais s’il est certes le cousin germain de ces monstres sacrés du petit écran, il est aussi (ou il se veut ?) proche dans l’esprit de sœur Emmanuelle ou de l’abbé Pierre, c’est-à-dire des bienfaiteurs de l’humanité. L’homme qui a sauvé la planète et a indiqué à l’homme le chemin du salut ne devrait-il pas être mis sur le même piédestal ? En attendant le prix Nobel de la paix partagé avec Al Gore ?

Avec une mise en scène digne des grands acteurs de la politique, Nicolas Hulot a dans un premier temps organisé une conférence de presse en conviant beaucoup de beau monde – dont ceux qui auraient bien voulu jouer le rôle de Nicolas Hulot – afin de populariser un ouvrage, Pour un pacte écologique, qui se veut à l’écologie politique ce que devint le manifeste du Parti communiste pour l’idéologie soviétique. À la fois livre de référence et livre-programme. Avec un codicille menaçant pour le monde politique : « S’il n’est pas accepté par tous, je suis candidat à l’élection présidentielle. » Or, depuis le 21 avril 2002, chacun sait que toutes les voix comptent et que personne n’est assuré de figurer au second tour !

Effectivement, il n’en faut pas plus pour que les signatures approbatoires affluent. Dominique Voynet et Yves Cochet, le couple vert, d’abord, bien sûr, François Bayrou, Marie-George Buffet, Ségolène Royal et donc immanquablement Nicolas Sarkozy, se pressent pour approuver et signer son texte. Un ex-futur candidat aux plus hautes fonctions, qui n’est jamais avare de promesses démagogiques, est même allé plus loin. Il avait par avance fait entrer Nicolas Hulot au gouvernement comme vice-Premier ministre !

Dans un second temps, satisfait par l’efficacité de son attrape-mouches, M. Hulot annonce qu’il ne se présente pas. Mais, pour s’assurer de sa suzeraineté sur le sujet écologique, il convoque les candidats au musée des Arts premiers pour les adouber. Et, incroyable mais vrai, ils viennent, un par un, recevoir l’onction du gourou !

Cet unanimisme est impressionnant. La France politique est devenue écologiste. Bien que la projection du film d’Al Gore aux députés n’ait attiré que peu de monde, le ralliement au programme Hulot semble être la garantie que notre pays va s’engager résolument sur le chemin de l’écologie. Que les responsables politiques décident de se préoccuper de la planète, de l’équilibre homme-nature, des générations futures, voilà plutôt une bonne nouvelle. C’est même une révolution dans un milieu où le court terme, c’est-à-dire la réélection, l’emporte souvent sur les visions prospectives et l’intérêt général.

Ce succès politique, relayé par l’argument médiatique – les journaux assurant que les numéros consacrés à M. Hulot battent des records de vente – et par le succès de librairie du livre-projet, tout cela était de bon augure. Pour beaucoup de gens, dont je suis, il y avait là a priori une démarche utile, menée en outre par quelqu’un de sympathique, convaincu de l’importance de la question écologique, quelqu’un susceptible de remettre enfin de l’ordre dans une galaxie verte taraudée depuis dix ans par des luttes de personnes et de clans, au sein de laquelle les pires magouilles politiciennes ont occulté les débats de fond sur les vrais enjeux écologiques.

À priori favorable à l’esprit de la démarche, je fus un peu surpris par des déclarations de presse ou des commentaires de ses thuriféraires qui ne correspondaient pas à l’image que je me faisais de Nicolas Hulot après quelques échanges rapides sur un plateau de télévision. J’ai donc acheté son livre et je l’ai lu. C’est un livre étrange qui se compose de trois parties : une longue introduction de Nicolas Hulot qui est une lettre au futur président de la République, une série d’analyses des problèmes écologiques et quatre propositions finales. Ces deux dernières parties étant semble-t-il l’œuvre d’un groupe de personnes dont Nicolas Hulot s’est entouré, mais dont il cautionne les idées.

La lecture en est difficile, y compris celle de l’introduction, car le style répétitif adopté par M. Hulot évoque plutôt les motions de congrès d’un parti politique.

Si l’on franchit cette difficulté, on tombe sur un contenu surprenant. Dans la fameuse lettre-programme destinée au futur président, chaque paragraphe commence par des généralités généreuses, des remarques raisonnables et souvent pleines de sagesse, mais elles débouchent malheureusement sur des solutions ou des lignes politiques archaïques qui conduiraient la France à régresser d’un demi-siècle et enclencheraient irrémédiablement son déclin. Cette lecture a provoqué chez moi une réminiscence. Lorsque, étant jeune, je faisais une grosse bêtise et que j’expliquais à ma grand-mère que j’avais eu au départ un projet intéressant, généreux et novateur, elle me répondait invariablement par un proverbe : « L’enfer est pavé de bonnes intentions. » Eh bien, c’est parce que je ne souhaite pas que mon pays se retrouve en enfer à partir des bonnes intentions de Nicolas Hulot que j’ai décidé de réagir. Non pas en jetant l’anathème du haut de ma chaire, mais en essayant de faire usage de la raison, en faisant confiance au lecteur pour juger par lui-même, et puis, surtout, en proposant des solutions alternatives. Pour un pacte écologique, d’un autre type, au cœur duquel je placerai l’homme.

Le texte de M. Hulot est à mon avis dangereux car, au-delà d’un certain nombre d’affirmations et de dénonciations auxquelles tout honnête homme peut et doit adhérer, il implique une philosophie qui est exactement la même que celle du Club de Rome des années 1970. Il utilise ce qu’il appelle un « catastrophisme éclairé » pour sensibiliser les citoyens et proposer de s’engager résolument dans une stratégie de décroissance et de frugalité : une solution qui n’est ni réaliste ni opératoire.

Noyé dans les déclarations généreuses, ce projet est en fait dangereux parce qu’il mènerait la France à la ruine s’il était mis en œuvre.

Avant une analyse plus précise qu’exige la sévérité de mon jugement – que j’exprime à contrecœur, croyez-le bien – je vais donner ma conclusion. Sévère, elle aussi, mais, je crois, qui correspond à la réalité ! Si ce programme était appliqué tel quel en France, il créerait chaque année pendant dix ans plusieurs centaines de milliers de chômeurs supplémentaires dans l’industrie automobile, dans les transports, dans l’agriculture. Il conduirait à mettre en place un système de rationnement et de quotas comme nous n’en avons pas connu depuis l’occupation allemande. Comme les Français n’accepteraient pas ces contraintes – on le voit aujourd’hui avec l’allergie croissante à l’installation d’éoliennes –, il faudrait de plus en plus mettre en place un régime bureaucratique et policier. Rien, dans ce programme, n’est laissé à l’initiative des citoyens, sauf aux écologistes patentés. Tout est fait pour faire votre bonheur malgré vous !

Le niveau de vie de la France ressemblerait à celui qu’elle a connu au XIXe siècle – les plus pauvres, les exclus étant bien sûr les plus atteints, malgré les bonnes intentions de Nicolas Hulot qui ne dit jamais comment il va réduire les inégalités que, comme nous, il déplore. C’est un programme de décroissance qui tourne le dos au progrès. « Le progrès est devenu un risque ». « La croissance pose problème », écrit-il.

Sur le plan écologique lui-même, le programme est dangereusement déficient. Parmi les priorités, il n’y a pratiquement rien sur l’eau, ni sur l’océan, ni sur les déchets urbains. Ce sont pourtant à mon avis trois priorités essentielles qui méritent un traitement plus approfondi que celui qu’en fait M. Hulot.

Aujourd’hui, 50 000 personnes meurent chaque semaine faute d’eau potable et les inondations font chaque année plus de dégâts que toutes les autres catastrophes naturelles réunies. Il faut donc aménager le cycle de l’eau, c’est une évidence ! L’océan qui, rappelons-le, occupe les deux tiers de la surface du globe est le grand régulateur de la planète. Or, l’océan est malade car pollué et vidé de sa substance par l’excès de pêche. Il faut donc prendre des mesures pour l’océan et plus encore les mers fermées. J’y reviendrai.

Quant aux déchets urbains, il faut savoir que l’homme des villes crée 1,5 kilo de déchets par jour. Les États-Unis en produisent 300 millions de tonnes chaque année. Or, dans vingt ans, si la tendance actuelle se poursuit, 80 % de la population mondiale vivra dans les villes. Que fera-t-on des déchets ? C’est le problème no 1 de l’écologie des villes. Et il est urgent d’y apporter des solutions. L’absurde mode actuelle consistant à brûler les déchets pollue réellement l’atmosphère par de multiples produits toxiques. Ce n’est à l’évidence pas la bonne solution. Les exporter dans les pays du tiers-monde ou couler des barges au large de New York et polluer l’océan, non plus.

Quant à encourager le chauffage au bois sous prétexte qu’il s’agirait d’un recyclage du carbone absorbé par les plantes par la photosynthèse, cela conduirait inévitablement à détruire nos forêts comme l’ont fait les Écossais et les Islandais autrefois. En effet, pour brûler un arbre, il faut un jour ; pour le faire grandir, il faut dix à quinze ans ! Déduisez vous-même le résultat !

La proposition institutionnelle majeure de ce programme indique clairement que Nicolas Hulot n’a tiré aucun enseignement du passé. Il propose la création d’un vice-Premier ministre chargé de l’écologie et du développement durable. C’est de l’ordre du gadget. Il ne sait pas qu’il existe déjà en France une dyarchie à la tête du pouvoir et que le vice-Premier ministre ad hoc n’aurait que peu d’influence et aucun pouvoir, qu’il en serait donc réduit à entériner les arbitrages du Premier ministre, lesquels dans les faits se feront toujours en faveur de l’activité économique traditionnelle.

Ce qu’il faut faire, c’est d’une part mettre en place un ministère des Ressources naturelles avec une administration puissante rassemblant les corps des Ponts et Chaussées, des Eaux et Forêts et de l’Équipement, et chargé d’assurer le contrôle des transports, de l’aménagement du territoire, de la régionalisation. Un tel ministère serait aussi puissant que Bercy !

Car, en France, c’est la puissance de l’administration qui décide de tout !

Et d’autre part, il s’agit de changer notre manière de stimuler la croissance et l’emploi, comme je m’efforcerai de l’expliquer plus tard.

Le programme de M. Hulot tel qu’il est formulé comporte deux faiblesses majeures du point de vue économique. La première est le postulat d’un arrêt de la croissance, voire de la décroissance. « L’âge d’or c’est fini », « l’ère de l’abondance va s’achever, celle de la rareté commence » : on se croirait revenu au Club de Rome ! Je ne citerai que quelques exemples : « La croissance pose problème », une citation de Serge Latouche, le propagandiste de la décroissance : « Il faut planifier la décroissance », « Le progrès s’est transformé en risque », bref, c’est du discours écologique traditionnel et archaïque !

Car, sans croissance, il n’y a aucune politique de l’emploi ni aucune politique sociale possible, ni même aucune politique qui serait acceptée par les citoyens. Vouloir s’opposer à la croissance et au progrès technologique, c’est engager la France dans le déclin et la détérioration du niveau de vie des Français ! Il faut le leur dire.

La seconde faiblesse du projet est son absence de prise en compte de la mondialisation. Comme s’il se proposait de s’occuper de l’intérêt de la planète en ignorant la globalisation !

Or, l’Inde et la Chine vont à elles seules représenter un tiers de la population mondiale en 2050. Leurs économies sont en plein essor et elles n’ont pas l’intention de la ralentir. Certes, sur certains aspects, notamment ceux des ressources énergétiques, leur développement ne peut pas suivre le même chemin que celui des pays aujourd’hui industrialisés. Mais le seul moyen de les convaincre d’infléchir leur stratégie est de susciter l’émergence d’un nouveau mode de croissance qui ne ralentisse pas leur développement et qui leur permette même de l’accélérer.

Donc, là encore, c’est la croissance qui est la solution.

Le programme de M. Hulot est, à ce titre, totalement inadapté car il est fondé sur trois postulats que je crois erronés : premièrement, la réduction rapide des émissions de gaz à effet de serre (de trois quarts en dix ans !) ; deuxièmement, le refus du nucléaire et des centrales à charbon ou à pétrole ; troisièmement, le rejet des OGM. Je traiterai ces problèmes avec soin : sans être grand économiste, chacun peut voir avec un minimum de réflexion que l’application de ces principes conduirait au suicide de notre industrie et de notre agriculture. En fait, en lisant l’introduction signée Nicolas Hulot, on a l’impression que l’animateur est quelque peu conscient des limites mêmes de sa démarche. Il adopte un style à la russe, c’est-à-dire circulaire : on y répète inlassablement l’énumération des dangers, on inclut au milieu du texte de longues tirades critiques sur les pratiques des politiques ou l’incompétence des ministres (pour ajouter un peu plus loin qu’il ne faut pas critiquer les politiques), on dénonce l’intolérable dissymétrie Nord-Sud (« Humanité qui se gave – Humanité qui souffre »). Mais il n’apporte aucune solution concrète à ces questions préoccupantes. Il égrène à plusieurs reprises la liste des menaces qui pendent sur nos têtes, mêlant au passage les risques industriels aux risques naturels. Il cite Albert Einstein, Nelson Mandela, Victor Hugo, Alexandre Soljenitsyne, il ne manque que Gandhi, et il a oublié Mikhaïl Gorbatchev qui, il est vrai, travaille surtout sur le problème de l’eau !

Dans sa lettre, M. Hulot est relativement modéré sur le nucléaire, pourtant voué au sacrifice dans la suite du texte et les propositions. Il ne parle pas des OGM (sur lesquels il dit en privé s’interroger ; pourtant, dans le texte même, on leur tourne le dos) et, bien sûr, constate lucidement que faire accepter une politique de « frugalité » sera difficile.

Mais, après ces précautions, il revient chaque fois au galimatias des discours de l’écologie politique, avec des relents assez inquiétants.

Lorsqu’il écrit : « Pas plus moi que d’autres » ne pouvons prévoir l’avenir, quelle compétence aurait-il à le faire ? Quand il ajoute : « La modernité a profané la sphère du sacré en outrepassant les limites imparties à l’humanité », on s’interroge. On s’interroge encore plus lorsqu’il écrit : « Le temps de l’information, du débat, des controverses est révolu. » Quel régime alors nous propose-t-il ? La démocratie, la liberté de parole auraient-elles fait leur temps ? Est-ce cela, le « catastrophisme éclairé » dont il se réclame ?

Le cœur du texte, rédigé par un groupe dans lequel on retrouve les écologistes militants de trente ans qui ont « servi » sous diverses houlettes, est très inégal. On y trouve bien sûr des idées intéressantes, encore qu’aucune ne soit nouvelle. Pour ce qui me concerne, j’adhère à ce qui est dit sur la nécessaire protection de la biodiversité et la réduction des transports routiers. Malheureusement, sur ces deux sujets, après le constat, le mode d’action proposé est assez décevant.

Prenons l’exemple des transports. On nous dit : il faut avantager le rail (à condition de ne pas avoir privé ce dernier d’une partie de son électricité du fait du programme de réduction énergétique), mais tout le monde s’accorde sur ce point. Si on en reste là, on s’en tient aux incantations, car si l’on doublait en dix ans le transport par rail, la proportion du transport routier, qui représente aujourd’hui 70 % du transport des marchandises, tomberait à 69 % ! Entre-temps, si l’on ne fait rien, le transport sur route aurait en effet augmenté de 8 % par an ! Donc, ce n’est pas si simple. La seule solution est d’empêcher l’augmentation des échanges par route et de développer le rail-route. J’ai donné ailleurs quelques pistes pour le faireviii.

Sur la défense de la biodiversité, Nicolas Hulot ne dit pas grand-chose de concret.

Si l’on réfléchit à leurs conséquences, les chapitres sur la fiscalité, l’énergie, l’agriculture font froid dans le dos. Il s’agit ni plus ni moins que de dévaster le paysage économique français et le bureaucratiser encore un peu plus. On crée des agences, de nouvelles instances, des taxes fiscales et parafiscales, on punit ici, on taxe là, on lève de nouveaux impôts ailleurs. C’est l’écologie répressive dans toute son horreur.

Avec une naïveté touchante, on pense qu’avec la multiplication des débats publics, on fera admettre aux citoyens la marche du retour vers l’âge des cavernes ! Une utopie où le citoyen vivrait dans une ambiance de rationnement arbitraire.

Pour atteindre l’objectif de réduction en dix ans des trois quarts des émissions à effet de serre, et à supposer que la sortie du nucléaire ne se fasse qu’après cinq ans, il faudrait prendre des mesures radicales, comme l’évoque d’ailleurs le conseiller de M. Hulot, Jean-Marc Jancoviciix. Un rationnement des transports devrait être décrété : chaque citoyen aurait droit, par exemple, à un seul voyage en avion par an, 1 500 ou 2 000 kilomètres en voiture à une vitesse maximale de 40 kilomètres-heure. Sur les 250 000 personnes travaillant dans le transport aérien et 1 million de personnes vivant de la voiture, il est facile de penser qu’au bas mot la moitié se retrouverait sans travail, soit 375 000 chômeurs supplémentaires.

Pour arrêter les émissions de méthane, va-t-on équiper le cul des vaches de filtres absorbants ou va-t-on simplement les éliminer ? Quant au domaine de l’énergie, si on arrêtait les centrales nucléaires, c’est sans doute au moins 50 000 personnes qui se retrouveraient sans emploi.

De plus, pour compenser, il faudrait implanter en France plusieurs dizaines de milliers d’éoliennes. Les cimenteries qui dégagent beaucoup de CO2 devraient réduire leur activité d’un facteur deux. Quant au bâtiment et aux travaux publics, ils devraient réduire leur consommation d’énergie d’un facteur deux également. Voilà qui créerait encore plus de chômage !

J’arrête là cette énumération : chacun peut continuer l’exercice lui-même. Pourquoi la France se détruirait-elle dans un contexte international de haute compétitivité ? Pourquoi serions-nous les seuls à nous infliger ces punitions ? On baigne là dans l’écolo-maso !

Ne sait-on pas que notre agriculture est en pleine difficulté par suite de la stupide interdiction des OGM et de la concurrence mondiale et européenne croissante ? L’agriculture bio de proximité généralisée ne fera qu’accentuer l’exode rural et notre dépendance alimentaire vis-à-vis de l’extérieur.

Les solutions proposées conduisent au rationnement, comme l’écrivent d’ailleurs les conseillers de M. Hulot. L’un d’eux, Jean-Marc Jancovici, pour bien montrer le caractère régressif de ce programme, a inventé comme unité d’énergie l’« équivalent esclave ». Un litre d’essence est équivalent à 10 esclaves. Compte tenu de ce qu’il consomme en énergie, un Français moyen possède 100 esclaves virtuels ! Pour culpabiliser, on ne fait pas mieux !

Le chapitre le plus caricatural du livre de M. Hulot est sans doute celui consacré à la recherche scientifique. On propose de donner la priorité à la sociologie et surtout aux recherches sur la biodiversité et l’écologie scientifique.

Les nouvelles formes d’énergie comme la pile à hydrogène ou les piles à longue durée, la chimie de transformation qui permet le recyclage des déchets, la recherche biomédicale qui est l’espoir du siècle tant du point de vue de la santé publique que du développement industriel, l’informatique, etc., pas question ! Les biotechnologies ou les nanotechnologies ne sont même pas mentionnées !

Quand on voit la composition du groupe que fait travailler Nicolas Hulot, on ne peut être surpris : il s’agit là d’un réflexe corporatiste de gens qui réclament que leurs recherches soient prioritaires.

Ce qu’ignore sans doute le lecteur, c’est que l’écologie est déjà une priorité dans les programmes de recherche français depuis plus de quinze années, et que si ces programmes ne débouchent pas, c’est faute d’équipes françaises de qualité en nombre suffisant.

Avec un tel programme de recherche ce n’est pas la France du XXIe siècle que nous préparons, mais le retour aux cavernes !

La dernière priorité concerne l’Éducation nationale. On propose d’enseigner l’écologie à toutes les sauces, à tous les niveaux. Cela ressemble aux instructions sur l’éducation dans l’ex-URSS où les cours de communisme étaient obligatoires à tous les degrés et dans toutes les disciplines !

Depuis plusieurs années, l’écologie est déjà largement enseignée par les professeurs de sciences naturelles et de géographie et ce d’autant plus que la proportion de militants ou de sympathisants écologistes y est importante.

La priorité pour l’Éducation nationale, c’est que le nombre d’étudiants en science ne s’effondre pas, c’est que notre Université ait les moyens de se développer, et que la rigueur de pensée et les savoirs restent la base des raisonnements ! Tout le contraire du texte Hulot !

Bref, ce programme conduirait à fabriquer une France peureuse, en régression, bureaucratique, procédurière, avec des contrôles sur tout. C’est exactement ce que nous ne voulons pas ! Il conduirait petit à petit à instaurer un régime autoritaire, un régime de contrainte. Comme M. Hulot l’écrit maladroitement : « Fini, les discussions », fini, la contestation ! L’idéal serait-il un régime écolo-totalitaire ? Certes, je ne pense pas que Nicolas Hulot ait en tête l’instauration d’un tel régime, mais je dis que la logique de son programme y conduit. Vladimir Ilitch Oulianov ne pensait probablement pas, en 1917, que le régime qu’il instaurait allait devenir un régime de fer, privant les citoyens de liberté. C’est la logique des programmes qui donne ce genre de résultats.

Le fait que ce pacte écologique ait été signé par tous les candidats à l’élection présidentielle est significatif de la pauvreté du débat démocratique aujourd’hui ; c’est aussi inquiétant. Tout est dans l’apparence, dans les sondages, dans la démagogie, dans la publicité. On vend un candidat comme on vend une savonnette ! « L’écologie est à la mode, alors allons-y ! » On n’a pas lu et encore moins réfléchi sur le contenu du livre ? Peu importe, ce qui compte c’est d’être élu, après, on verra !

On a l’impression que, du côté de Nicolas Hulot, la démarche est symétrique. Nous n’avons aucune chance d’être élu, le mouvement écologiste est électoralement en déclin, il nous faut écrire un programme qui soit mobilisateur pour le grand public – les objectifs – et qui rassemble les militants écologistes – les solutions traditionnellement écolo –, de toute manière ce n’est pas important : ce programme ne sera jamais appliqué.

Il suffit de réfléchir un peu pour voir qu’à l’inverse de ce qu’il recherchait, M. Hulot a éliminé l’écologie du débat présidentiel. Puisque tout le monde est d’accord, ce n’est pas l’écologie qui fera la différence ! Pourquoi en parler ?

Notre conviction est diamétralement opposée. Nous nous moquons des manœuvres de la politique politicienne. Nous pensons que de sérieux problèmes homme/nature se posent, nous savons qu’ils ne seront résolus que si l’homme peut continuer à se développer. C’était l’idée initiale du « développement durable » de Gro Harlem Bruntland.

La moulinette écologique a, hélas, amplifié le mot « durable » et effacé le mot « développement » au fil des années. Nous revendiquons ici le respect de cette exigence dans son intégralité. Ce n’est pas parce qu’on défend la nature qu’on peut laisser de côté la culture.