Chapitre V
Pour un pacte de croissance écologiste
Naturellement, il ne suffit pas d’avoir remis en cause et dénoncé un certain nombre de comportements pour avoir pour autant résolu les problèmes qui se posent dans les relations entre l’homme et sa planète, et qui sont aujourd’hui dans une phase critique. Je combats la catégorie des gens qui ignorent les questions écologiques. Incontestablement, le fait que la population humaine atteindra 8 à 9 milliards en 2050 pose des questions fondamentales quant au devenir de la relation homme-planète. Avec d’autres, je n’ai cessé de tirer la sonnette d’alarme depuis plus de quinze ansxxvi pour sensibiliser mes concitoyens à ces problèmes. Mais l’approche que je veux développer tourne le dos à l’attitude de la secte verte.
Le premier principe qui doit animer notre action, c’est que la nature ne doit pas être privilégiée ni déifiée par rapport à l’homme et à la société. Mais à l’inverse, l’homme et la société doivent respecter la nature, vivre en harmonie avec elle. De même que, dans l’organisation politique, il ne faut pas privilégier le collectif par rapport à la liberté individuelle, ni l’individu par rapport à l’intérêt collectif, mais trouver un équilibre entre le respect des grands équilibres naturels et le développement de l’espèce humaine et des sociétés qu’elle a créées.
Nous pensons que le développement de la société ne peut se faire que dans le cadre économique de la croissance. Croissance qui ne doit pas être confondue avec le productivisme industriel, mais se situer dans le cadre de la société post-industrielle comme le développe Daniel Cohenxxvii. Tout autre programme est voué à l’échec.
À l’échelle de chaque nation, toute stratégie qui ne vise pas une amélioration du niveau de vie est rejetée tôt ou tard. La théorie de la génération sacrifiée en faveur des générations futures est vouée à l’échec.
S’il en fallait une preuve, le rejet des régimes communistes à la soviétique est un exemple, hélas sanglant. Mais c’est encore plus vrai aujourd’hui, à l’époque de la mondialisation. Comment peut-on penser que la Chine, l’Inde, le Brésil ou le Mexique, pour n’en citer que quelques-uns, accepteraient la non-croissance, même si les pays industrialisés adoptaient à partir de maintenant une stratégie de régression ! Ces pays n’acceptent de participer à des actions planétaires écologiques que si ces actions ne freinent pas ou, mieux encore, stimulent leur développement économique.
Or, l’idée que nous voulons développer ici, c’est que l’écologie peut être un puissant levier du développement économique et de la croissance dans les pays développés et dans les pays émergents ou en développement. En particulier, dans les pays industrialisés où rôde le spectre du chômage, l’écologie peut être un élément essentiel permettant de le résoudre.
Par une convergence qui n’est pas fortuite, et qui a la technologie spatiale pour manifestation ultime, nous sommes de plain-pied dans la globalisation. Globalisation économique et politique, donc globalisation des phénomènes écologiques.
Nous avons désormais à gérer la planète Terre sous toutes ses formes, et notre planète est un monde fini avec des ressources limitées et des équilibres fragiles qu’il ne faut pas détruire.
Mais il ne faut pas tout mélanger, ni tout confondre. Tout système complexe doit être analysé à ses diverses échelles d’espace et de temps. Certains problèmes écologiques ou économiques sont locaux ou nationaux, certains sont continentaux, d’autres globaux. Certains problèmes nécessitent des solutions en quelques mois, d’autres en quelques années, d’autres en un siècle. La vitesse des réponses doit être dans chaque cas proportionnée aux questions.
Dans le pacte que nous proposons, notre attitude cherche à être résolument rationnelle en faisant confiance aux savoirs tout en tenant compte de leurs limites.
Notre action doit être tournée vers une écologie réparatrice et évolutive, et non pas vers une écologie dénonciatrice et rétrograde tant économiquement que scientifiquement !
La première condition pour développer au mieux un tel projet est de savoir analyser les priorités et dans chaque cas d’esquisser les chemins à emprunter pour résoudre les problèmes posés.
Cela sera fait dans le dernier chapitre, nous essayerons de montrer comment toutes ces actions peuvent être des stimulants pour la croissance économique, non seulement chez nous mais dans le monde.
Le pacte que nous proposons à tous les responsables politiques et économiques (la plupart ne sont pas candidats à la présidence de la République française mais sont peut-être tout aussi importants et influents pour notre avenir), à tous les scientifiques, les ingénieurs, les intellectuels, les agriculteurs, les travailleurs, les chômeurs, c’est de travailler avec un seul et même but : résoudre des problèmes écologiques en faisant en sorte que cette solution stimule la croissance et crée des emplois, permette de combattre les inégalités, la pauvreté, la faim dans le monde, les épidémies.
Résoudre les problèmes en respectant la nature, mais en faisant de l’homme la première priorité.
Depuis quelques mois, on entend de bons esprits qui dénoncent tout en vrac : le réchauffement climatique, l’augmentation de la population mondiale, l’épuisement des ressources en eau, les menaces climatiques, les dangers des épidémies, l’épuisement du pétrole et des matières premières, la montée des fondamentalismes, l’épuisement des ressources de l’océan, la pollution, l’urbanisation galopante, les menaces terroristes, que sais-je encore ? Ils font tous des analyses subtiles et bien documentées, souvent pertinentes, ils analysent les pourquoi et les comment, ils démontrent le caractère inéluctable des évolutions, parfois ils décrivent même avec soin leurs péripéties.
Mais de solutions, point !
Le pacte que nous proposons à tous les hommes (et les femmes !) de bonne volonté, c’est qu’après avoir identifié un danger écologique, une rupture dans l’équilibre homme-nature, nous identifiions des solutions concrètes qui aillent dans la direction de plus de croissance, plus de justice sociale, moins de misère et de pauvreté sur la planète. Qu’ils s’engagent à mettre leurs imaginations, leurs énergies, leurs dynamismes à faire de l’écologie un moteur de la croissance et de la lutte contre les inégalités. C’est bien sûr plus difficile que de dénoncer en créant des apories !
La méthode, c’est d’abord de ne pas tout mélanger.
Ne pas mélanger les problèmes : l’effet de serre, la faim dans le monde, les OGM, etc., sont des problèmes certes interconnectés mais qui doivent d’abord être examinés séparément, les uns après les autres. Les interactions viennent après, sinon l’on propage les incertitudes des uns sur les autres et on termine dans le galimatias confus et donc catastrophiste.
Ne pas mélanger non plus les échelles d’espaces. Certains problèmes sont locaux, d’autres sont globaux ; chacun doit être traité à son échelle.
Ne pas confondre les échelles de temps. « À long terme nous serons tous morts », disait Keynes. Certes, il est important de ne pas transmettre à nos enfants une Terre invivable, mais il faut d’abord résoudre les problèmes qui se posent à « notre » Terre, c’est-à-dire pour les dix ans à venir, avant d’envisager les prédictions à l’échelle du siècle.
Clarté donc dans l’analyse des problèmes ; c’est essentiel car, actuellement, dans l’esprit des gens tout est confondu, mélangé, dénoncé.
Il faut distinguer clairement les problèmes qui se posent à l’échelle du monde et la manière dont la France peut contribuer à leurs solutions de ceux qui sont spécifiquement français et dont la solution dépend essentiellement de nous. Par exemple, la Chine et l’Inde se développeront, quoi qu’il arrive, croire le contraire, c’est se bercer d’illusions. La seule manière de les inciter à prendre des mesures favorables à l’environnement, c’est de leur procurer des technologies qui leur permettront de s’adapter sans freiner leur développement. Mieux même, des technologies qu’elles pourront maîtriser elles-mêmes et éventuellement vendre sur le marché mondial.
Vis-à-vis des États-Unis, il est clair que l’anti-américanisme systématique ne mène à rien. Il faut que l’Europe et les États-Unis mettent en place une coopération-compétition en matière technologique orientée vers la solution des problèmes écologiques actuels.
L’opposition État-entreprise est tout aussi stérile. L’État, garant de l’intérêt général, peut prendre des initiatives, tant que les entreprises ne s’y impliqueront pas, rien ne se développera.
La combinaison entre la méthode et la stratégie est de fixer des priorités avec chacune des constantes de temps. En n’oubliant jamais que les sociétés humaines n’acceptent les mesures de contrainte que durant un temps limité et que la meilleure manière de leur faire changer leurs habitudes, c’est de faire la démonstration que leur niveau de vie immédiat y gagnera. Dans la société des hommes, le long terme passe toujours par le court terme acceptable. C’est ce genre de chose que ne comprennent pas les éco-fondamentalistes (y compris Nicolas Hulot) qui veulent organiser et imposer la pénurie et la punition.
En suivant ces principes : quelles sont les priorités ?
• La première priorité, c’est l’eau. Le cycle de l’eau est détraqué, nous manquons d’eau potable, un milliard d’hommes sont menacés par le manque d’eau, 50 000 d’entre eux meurent chaque semaine. Il ne s’agit pas des prédictions de Michel de Nostradamus pour la fin du siècle, il s’agit d’une tragédie planétaire actuelle contre laquelle on ne fait rien. Nous manquons d’eau d’arrosage, et ce manque va être l’un des facteurs du problème de la faim dans le monde qui va se poser d’une façon cruciale puisqu’en vingt ans la population mondiale va passer de 6 à 9 milliards de bouches à nourrir. Nous avons saccagé l’océan et ses réserves de poissons s’épuisent. Or, c’est là la principale source de nourriture pour 1,5 milliard d’hommes.
C’est aussi la pollution entraînée par l’eau qui ruisselle et qui détruit les sols, dont le sol arable, et pollue l’océan.
C’est encore l’eau meurtrière, celle des inondations qui se multiplient et font de plus en plus de dégâts.
C’est enfin l’eau qui érode et qui détruit les sols, d’autant plus qu’ils sont mal aménagés et pollués par des surplus d’engrais ou d’insecticides.
• La deuxième priorité, ce sont les déchets urbains.
On l’a dit, un homme produit en ville 1,5 kilo de déchets par jour. Aujourd’hui, 3 milliards d’êtres humains vivent dans les villes. Ce qui fait que chaque année, ils produisent 1,5 milliard de tonnes de déchets urbains. C’est l’équivalent de l’érosion annuelle des continents.
Mais en 2050, c’est-à-dire demain avec la croissance démographique et celle de l’urbanisation, 7,5 milliards d’humains vivront dans les villes, produisant alors 4 milliards de tonnes de déchets urbains. Or, dans un monde où les matières premières devront être préservées, nous ne pouvons plus jeter les déchets n’importe comment.
La solution américaine de les jeter en mer est irresponsable, celle de les envoyer dans le tiers-monde inacceptable.
Pour développer des solutions pour demain, il faudra un effort gigantesque de recherches scientifiques qu’il faut entreprendre immédiatement, même si des initiatives et des exploitations remarquables existent déjà.
• Viennent ensuite bien sûr les questions d’énergie et du changement climatique dont l’homme aurait prétendument la responsabilité unique. C’est le dossier à la mode, niche du catastrophisme ambiant. Nous allons nous y appesantir largement.
• Il y a aussi celui des OGM qui dans les pays d’Europe soulève tant de controverses.
Ces deux derniers dossiers sont les plus brûlants et nous les traiterons en premier.
• Enfin, il y a le dossier de la biodiversité. C’est celui sur lequel je n’ai pas d’opposition frontale avec le « pactole » de M. Hulot, quoique… ma vision soit peut-être plus fondamentale, plus profonde et moins spectaculaire que les luttes écologistes pour la réimplantation des ours et des loups !
Dans chaque cas, pour être fidèle à nos engagements, nous proposerons des solutions susceptibles de stimuler la croissance, de créer des emplois et de réduire les inégalités sur notre Terre.
Mais avant de passer en revue chaque dossier, il faut sans doute lever un préalable qui donne lieu lui aussi à des fantasmes et des déclarations alarmistes, je veux parler de la démographie mondiale.
La population mondiale est passée de 2 milliards en 1950 à près de 6 milliards prévus pour 2010. Si on extrapole la courbe « naïvement », on arrive à 9 milliards en 2030 !
En fait, lorsqu’on examine le taux de croissance et plus encore l’accélération, on constate, avec les experts en démographie, que la population atteindra alors seulement 8 milliards, puis qu’à partir de 2050 et 2060, après être passée par un maximum autour de 9 milliards, elle commencera à décroître.
Cela a l’air moins alarmant, mais en fait ça l’est tout autant.
En effet, l’élément intéressant de cette évolution, c’est l’urbanisation. 70 % d’Indiens et 65 % de Chinois vivent aujourd’hui en milieu rural. Dans les pays développés, 80 % des habitants vivent dans les villes. Qu’en sera-t-il demain, alors qu’en 2005 la répartition mondiale de la population entre villes et campagnes a atteint 50 % et que la proportion de citadins continue à croître ? La seconde menace est qu’une partie importante de la croissance démographique va se produire dans la zone désertique ou semi-désertique où les problèmes de nourriture et d’eau vont donc être essentiels. Sans parler des problèmes liés aux fondamentalismes religieux ou au vieillissement des populations de presque tous les grands pays.
Mais là encore, il ne faut pas se mettre la tête dans le sable et prier pour que cela s’arrange. Il faut prendre à bras-le-corps le problème en soulignant que l’humanité a, grâce au contrôle des naissances, lui-même lié à l’éducation des femmes, réussi à ralentir et pratiquement contrôler sa population, qui décroîtra de nouveau à partir de 2050.
Il est exact que nous changeons de monde.
Nous vivions hier dans un monde où les ressources naturelles semblaient infinies, où l’homme était tout petit devant la nature. Nous nous réveillons aujourd’hui dans un monde à ressources finies et où l’homme par son activité brouillonne et débridée menace la nature. Et cela se produit au moment où l’économie s’est mondialisée et où les responsables politiques sont obligés de se situer dans ce contexte.
C’est un extraordinaire challenge à relever, c’est vrai, mais pourquoi l’homme ne serait-il pas capable de le faire ?