VI
DISPARADES
Le renard est fameux par ses ruses.
Buffon
Bourdeau, qui tenait de Nicolas l’art de présenter son propos, avait serré1 une dernière nouvelle pour la bonne bouche. Comme prévu, il avait rencontré l’inspecteur Marais du bureau des mœurs et le commissaire Foucauld qui organisait les patrouilles de surveillance dans les lieux publics pour y pourchasser les antiphysiques. Il ressortait de leurs réticentes informations que Renard apparaissait souvent au détour de leurs comptes-rendus sans que cela lui soit porté à tort. Selon eux, sa fréquentation du Paris luxurieux pouvait s’expliquer par la recherche de réseaux d’informateurs et le recueil de situations scabreuses alimentant chantages et pressions. Ces pratiques souterraines permettaient de faciliter sa tâche en ce qui touchait la librairie, son domaine. C’est en tout cas ce que les deux policiers avançaient, feignant de prendre pour argent comptant les prétextes d’un confrère réputé bien en cour.
— Les appuis qu’on lui prête jouent dans un rapport de forces qui lui est favorable. Cela impose une urgente conversation avec sa proie du Vauxhall. Je dois voir Le Hibou à six heures à ce sujet. Nul doute qu’il mette la main sur le greluchon.
— Ce n’est pas tout, j’ai parlé au vieux Mathiet.
Nicolas parut pensif à l’évocation de ce nom.
— Ne travaillait-il pas avec le commissaire Lardin2 jadis ?
— Tu as bonne mémoire. Spécialiste de la cocange, il tenait avec soin les registres des tripots de jeu clandestins. Honnête homme s’il en fût, il n’a pas été entraîné dans la chute de la maison Lardin. Depuis il travaille aux archives où ses dons se sont épanouis. Il compile et classe avec gourmandise. Il m’a prié de saluer le jeune Le Floch.
— Bon ! Le vieil homme lui en est fort reconnaissant.
— Ah ! Ah ! La flèche est restée fichée. J’ai réclamé le dossier de Renard. Il a fait une grimace éloquente et n’a pas bougé.
— Hé, quoi ! Te l’aurait-il refusé ?
— Point de méchanceté chez lui de ce style. Le vrai dossier a disparu, et depuis longtemps. Note que le vieux Mathiet, encore un vieil homme…
— Cela va bien.
— … est un fin matois à qui on ne la joue pas.
— Donc j’en déduis qu’il conservait des doubles.
— Cela eût été bien périlleux !
— Alors ?
— Alors ? L’astucieux dressait des fiches en écriture indéchiffrable pour d’autres que lui. Il y résumait les dossiers douteux.
— Mais pourquoi l’avait-il fait pour celui concernant Renard ?
— Je te l’ai dit, il ne pratiquait la chose qu’autant qu’un dossier contenait des indications compromettantes ! Comme celui de l’intéressé !
— Ah ! je brûle.
— Tu peux, mais ne te réjouis pas trop vite. Il avait dressé son particulier aide-mémoire avant que le dossier de Renard ne disparaisse, remplacé par un faux à son nom, contrefait, riche de mensonges et de faussetés ! Le fûté avait prévu qu’on chercherait un jour à le consulter. Reste la fiche de Mathiet qui offre sur l’origine de la carrière de l’inspecteur d’étonnantes lumières.
Derechef Nicolas mesura la justesse des vues de M. de Noblecourt qui avait estimé primordial de mesurer le degré de corruption de l’inspecteur Renard. Ce qu’il présumait n’était pas toujours certain, mais la plupart du temps les faits venaient le confirmer.
— Si tu m’en veux croire, il y a du secret d’État dans tout cela, et qui remonte à longtemps. De fait, il y a bien des années, Renard fut convaincu d’être l’auteur de libelles publiés, de faire commerce de leurs saisies, de profiter du trouble des individus qu’il arrêtait pour les dépouiller. Or, argent, bijoux des détenus, tout y passait. Et le pire est à venir. Il fut emprisonné à Bicêtre pour escroqueries pendant que Mme Renard, sa complice, était incarcérée à la Salpêtrière3.
— Et comment s’en sont-ils sortis ?
— Il était d’une adresse dans son domaine, et d’un entregent… Une influence a joué. J’ai ma petite idée là-dessus. On a utilisé son expérience. C’était avant Sartine…
— Il paraît donc avoir repris ses vieilles habitudes. Mais comment sa femme a-t-elle pu parvenir au plus près de la reine ?
— Cela montre le degré grandissant de la corruption, murmura Bourdeau l’air farouche. Il faudra bien un jour y porter le fer !
— Et s’il était, dans ce cas précis, l’auteur du pamphlet ?
Quelque chose se mit soudain en branle dans la tête de Nicolas. Il sortit de sa poche l’exemplaire du libelle confié par Le Noir, approcha une chandelle, et le compara à celui de Madame Adélaïde. Il prit une lentille grossissante dans le tiroir du bureau et commença un minutieux examen des documents.
— Considère cela à ton tour. Que vois-tu, en bas à droite de chaque page ?
Bourdeau mit ses besicles, se pencha et considéra les pages avec attention.
— Ma foi, j’observe deux taches d’encre identiques, bien distinctes… On dirait des empreintes de doigts, de pouce même, vu la largeur.
— Cela est évident, mais regarde mieux. Considère cette césure qui traverse obliquement ces empreintes. Sais-tu à quoi elle peut correspondre ?
— Comment veux-tu ? …
— Ah ! Ah ! Mais pour moi le souvenir est très précis. Je revois le pouce droit de Renard souillé d’encre et coupé par le milieu.
— Cela prouve-t-il quelque chose ?
— Mais qu’il était présent quand le pamphlet a été imprimé, sinon il n’y aurait pas eu de tache d’encre. Et son pouce en était encore distinctement marqué. Et tu sais combien il est difficile de se débarrasser des traces de l’encre grasse d’imprimerie. Il y faut force cendres.
— Et maintenant, que comptes-tu faire ?
— Resserrer le renard dans des rets bien établis en l’enchaînant dans notre surveillance, car il n’est qu’un anneau d’une suite à remonter. Pierre, tu dois sur-le-champ t’atteler à cette tâche ingrate. Il ne faut pas qu’il nous échappe et rien de ce qu’il fera désormais, de jour comme de nuit, ne saurait nous être étranger. Cela dit, j’ai relevé dans ton propos une réticence sur un fait ou sur…
— C’est bien vrai et j’allais omettre l’essentiel. Imagine que dans la fiche de Mathiet, mais également dans celle en trompe-l’œil du dossier Renard, j’ai trouvé de très élogieuses appréciations d’un censeur royal. Vous me direz que pour un inspecteur de la librairie, c’est assez normal.
— Un censeur royal ! Rien que cela ? Peste, l’animal ne se mouche pas du pied !
— Oui, de M. Pidansat de Mairobert4. Sache que tout censeur qu’il soit, il est l’auteur de pamphlets interdits. Il en a commis sur Maupeou, puis sur la du Barry. Souviens-toi de ces anecdotes graveleuses qu’on attribuait à Theveneau de Morande5.
— Celui-là même que je rencontrai à Londres ?
— Le même ! Il paraît être aussi l’auteur de l’Espion anglais, ou correspondance secrète entre Milord All’Eye et Milord All’Ear, publié à Londres et à Amsterdam. Et outre cela…
— Ciel ! Pierre, cela en est trop, je vais périr d’indigestion.
— Tu peux. De surcroît, l’homme est secrétaire des commandements du duc de Chartres et je ne désespère point lui découvrir d’autres accointances. Ah ! J’oubliais, votre Hibou est réputé son ami.
— C’est un bon point. Celui-là, j’ai quelques moyens de le faire parler.
— Enfin, j’ai comparé l’écriture du bout de papier découvert dans le portefeuille du sieur Simon avec celle de Pidansat. Elles sont identiques, sans doute aucun !
— Ainsi donc, à t’en croire, Pidansat, auteur de libelles, protecteur de Renard, aurait été en relation avec Simon dans le but vraisemblable d’introduire dans le royaume des ouvrages imprimés en Hollande ou en Angleterre ?
— Et peut-être, ajouta Bourdeau, que les titres et reliures d’auteurs latins dissimulent d’autres écrits qui doivent entrer sans être repérés ?
— C’est de l’ordre du possible. Cependant, que ce trafic illicite et condamnable conduise à mort d’homme me paraît peu convaincant. J’ai le sentiment qu’une apparence nous est seule opposée, un transparent qui exige un flux de lumière pour prendre épaisseur et couleur. Il n’y a pas de temps à perdre. Je vois Le Hibou à six heures. Pour Simon…
— Les mesures ont été prises pour le suivre pas à pas jusqu’à sa sortie du royaume.
— Tu sais ce qu’il te reste à faire avec Renard. Quant au censeur, nous ne devons pas l’approcher, cela donnerait l’éveil. Je vais de ce pas rue Neuve-Saint-Augustin prendre l’avis de Le Noir sur ces nouveaux développements.
— Point du tout, vous avez mieux à faire.
— Et quoi donc ?
— Enfin, Nicolas ! Aimée vous attend au fond de sa voiture.
Nicolas se frappa la tête de la main.
— C’est vrai ! Merci de me le rappeler. Il faut parfois savoir préférer Vénus à Mercure.
Il se précipita autant que l’autorisait la raideur occasionnée par ses blessures.

Aimée, un peu boudeuse d’avoir trop attendu, lui conta par le menu ses occupations de la veille. Après une longue séance chez le docteur Mesmer, elle avait passé la fin de la journée à la foire Saint-Laurent. Ses amies regrettaient comme elle-même l’interdiction de la foire Saint-Ovide depuis l’incendie qui l’avait ravagée l’année précédente. Son joyeux désordre leur manquait avec sa promenade en galerie tout autour de la place Louis XV, ses baraques en charpentes dressées en cercle et ses spectacles populaires. Finis les monstres, les animaux des antipodes, les cracheurs de feu, les acrobates et les marionnettes qui suscitaient tant d’émotions. À la foire Saint-Laurent tout était plus calme et moins excitant. Elles avaient musé dans les étals de petite bijouterie, des modistes, des perruquiers et des spectacles de comédie et de pantomimes. Une jeune femme, Mlle Tussaud6, qui apprenait la sculpture à Madame Élisabeth, les avait présentées à l’homme qui l’avait élevée et qu’elle appelait son oncle. Ce docteur Curtius7 tenait un cabinet de figures de cire. On y admirait cette année les portraits de Voltaire, Jean-Jacques, et Benjamin Franklin.
— La représentation en était-elle fidèle ?
— Des originaux, je n’avais rencontré que Franklin. Il m’a semblé qu’en gros et de loin la vérité y était. De près tout cela est un peu raide avec des expressions figées et de tenues étranges.

À l’hostellerie du Grand Cerf, ils furent accueillis par Gaspard, l’ancien garçon bleu de La Borde, et aussitôt entraînés vers leur table favorite.
— Monsieur le marquis, Madame a commandé. Vous commenterai-je le menu ?
— Je vous en prie, dit Nicolas que la faim soudain se mit à tenailler.
— Nous commencerons par des culs d’artichauts aux huîtres que suivra un plat…
— La manière, Gaspard, la manière ?
— Des petits artichauts bien verts à qui on ne laisse au cul que ce qui est bon à manger. Point de barbe au menton ! À bouillonner dans de l’eau salée et à citronner qu’ils ne noircissent. On vérifie que tout est mollet sans plus aucune dureté. Ensuite on ouvrira les huîtres qu’on laissera blanchir dans leur eau sans bouillir. Alors là, nous les épongeons pour les hacher de façon grossière avec de la chair de turbot, le tout manié de beurre, échalotes, persil, ciboules, et des truffes sans rien pleurer. Une pincée de farine, un verre de xérès et autant de bouillon maigre. Le hachis doit cuire gentiment jusqu’au moment où il n’y a plus de sauce. Alors, et alors seulement, vous y jetterez trois jaunes d’œufs délayés dans de la crème. Surtout, hein, hors du feu ! On nappe chaque cul, bien chaud le cul, de ce mélange et…
— Et ? répéta Nicolas dont les yeux brillaient.
— Et ? On déguste, monsieur le marquis, on déguste.
— Suis-je sot ! Cela va de soi. Et quelle merveille prendra-t-elle la suite ?
— Une petite chose qu’apprécie Madame. Une salade de perdreaux dépecés. Simple et qui tient son excellence de la rapidité de son exécution. Usez de quatre pièces braisées. Il suffit de placer dans un saladier les filets émincés avec l’huile, le vinaigre à l’estragon, sel, poivre, champignons, persil, échalote, cornichons hachés, petits croûtons revenus et lamelles de gelée de viande. On retourne en prestesse et délicatesse. On dresse le tout entouré de rondelles d’œufs durs, de filets d’anchois et de cœurs de laitue et de chicorée.
— Tout cela est du dernier gourmand !
— Et par cette canicule, d’une fraîcheur ! J’étais assurée, mon ami, que cela vous plairait.
— Pour achever en finesse, car harmonie et légèreté sont les maîtres mots de ce repas, des groseilles perlées.
— Des groseilles perlées ?
— De très belles grappes de groseilles cueillies ce matin pour vous à Charenton. Il suffit de les humecter dans de l’eau fraîche à laquelle seront ajoutés deux blancs d’œufs battus. Les grappes sont égouttées quelques instants, puis roulées dans du sucre en poudre et séchées sur du papier. Le sucre se cristallise autour de chaque petit grain. Cela est du plus joli effet et procure la vue de l’hiver en été ! Et l’acide du fruit est ainsi tempéré. Et sur tout cela le nectar préféré de Madame, un flacon de vin des coteaux de l’Aubance.
— Gaspard, votre maison ne cessera de me surprendre.
L’ancien garçon bleu parut marquer une certaine émotion.
— Elle ne vous rendra, murmura-t-il, jamais ce qu’elle vous doit.
Aimée haussa les sourcils en manière d’interrogation. Nicolas sourit en mettant un doigt sur ses lèvres. Elle était ravissante dans sa robe d’été en cotonnade. Elle venait de retirer son chapeau de paille retenu par un ruban cerise. Après les feux premiers de leur amour, une période difficile avait suivi, faisant succéder querelles, provocations et inquiétudes. Chacun avait poussé l’autre dans ses retranchements comme s’il cherchait à vérifier la force de son attachement. La maturité venue, Nicolas en était d’autant plus éprouvé qu’il constatait qu’elle demeurait inchangée et immuable dans ce printemps des femmes qui dure souvent si longtemps. Durant cette période, tout et le pire aurait pu survenir. Pourtant il existait entre eux un lien puissant noué le jour où il l’avait relevée, meurtrie et mouillée, dans les bois de Fausses-Reposes. Le cœur lui battait toujours à l’évocation de cette première rencontre. Quant à elle, elle avait pris conscience du besoin qu’elle avait de sa force, de sa protection et de sa gravité. Au bout du compte, elle mesurait que, au-delà de l’apparente dureté imposée par une carrière ouverte à tous les dangers, et de son courage, il persistait chez lui une fragilité, une mélancolie qu’elle seule était à même de distinguer et de soigner. Du moins en était-elle convaincue. Cette découverte l’avait plongée dans une jubilation sans mélange et nourri une reconnaissance éperdue envers l’homme qui lui avait procuré ce sentiment. Ainsi étaient-ils entrés dans la période où, ayant découvert ce qui les unissait, l’apaisement dominait sans que s’en trouve diminué le flamboiement renouvelé de leur passion.

Le repas tenait ses promesses et ils s’y consacrèrent tout d’abord.
— Mon Dieu ! remarqua Nicolas, un pan de mon passé resurgit. Quand j’arrivai de ma province rue des Blancs-Manteaux, la cuisinière du commissaire Lardin, c’était notre Catherine, apprêtait un potage de chapon aux huîtres. Il m’en souvient encore. J’en étais demeuré béant tant l’idée de les cuire, alors que je les avais toujours mangées crues et vivantes, m’appa raissait barbare. La surprise amenant la méprise, je la crus, sans le lui marquer, ignorante de l’obligé et naturel traitement des huîtres.
— Ce que l’on découvre pour la première fois offre toujours l’impression d’un mystère ou d’une erreur.
— À propos, et cette visite chez le docteur… Quel est son nom ? Je l’ai pourtant lu sur les rapports des mouches et vous m’en avez parlé.
— Mesmer. Docteur Anton Mesmer.
— Et alors ? dit-il, faisant glisser deux culs d’artichauts dans son assiette, doublant ainsi la mise initiale. De quel récit pouvez-vous me régaler, ma petite mouche ?
— Mouche ! Voyez-vous cela. Compte tenu de votre état, je veux consentir à oublier la forme. Mouche ! Moi !
— Alors, madame, cette escapade magnétique ?
— On nous fit entrer après avoir traversé avec peine une foule nombreuse où tous les étages de la société se trouvaient représentés.
— Et vous passâtes en corps devant tout le monde ?
— Vous persiflez, ce me semble ! Informé de notre visite, on nous attendait. Et nous étions dans une voiture de la cour.
— Bien, bien, vous m’en direz tant ! Je me tais et promets de vous écouter sans interrompre.
— Vous ferez bien, dit Aimée, se retenant de rire. Un valet nous fit entrer dans une pièce au milieu de laquelle trônait l’instrument. Comment le décrire exactement ? Un tonneau, une caque, un baril, il tenait de tout cela. De loin il ressemblait à un grand tambour militaire orné de métal et de corde.
— Plein ou creux ?
— Paix ! Où avez-vous vu des tambours pleins ? On nous expliqua doctement que ce récipient, par consé quent creux, était empli d’eau magnétique, de verre pilé, de limaille de fer et de poudre de sidérite. Un couvercle de métal percé de trous fermait l’ensemble. Il en sortait des tiges de fer coudées et mobiles. Des cordes tressées pendaient et correspondaient aux utilisateurs. La salle était plongée dans la pénombre, rideaux tirés, avec aux murs de grands miroirs dont les reflets se renvoyaient. Ces explications nous mirent en confiance, éloignant de nous la crainte d’avoir affaire à ces escamoteurs que multiplie la crédulité publique. Un assistant réclama le silence et nous prîmes place sur des chaises disposées tout autour du récipient, une main sur une tige métallique et l’autre tenant la corde qui nous reliait tous et devait permettre de produire une communion d’impressions. Vous ne dites rien ?
— Je tiens ma promesse. Mais, comme vous êtes si attachée à mon babil, je vous demanderai ce que vous avez ressenti ?
— Je n’ai éprouvé qu’une espèce de chatouillis, un peu comme revient la sensation dans un membre gourd. La petite Lavarelle a été saisie d’un fou rire qu’elle ne parvenait pas à réprimer, la pauvre ! Quant à notre amie La Borde, elle devenait de plus en plus livide et je m’inquiétais de son état. À ce moment, le docteur Mesmer est entré, vêtu d’une longue tunique de soie lilas, qui, si vous m’en voulez croire, n’ajoutait rien à la chose. C’est un bel homme fort bien proportionné.
— Vous étiez en effet des plus attentive.
— Je ne répondrai point. Il a fait lentement le tour de notre groupe alors que des accords mélodieux s’élevaient dans le lointain, ajoutant au mystère de la scène. Il fit des passes de haut en bas et de droite à gauche et se pencha, plongeant des yeux effrayants de fixité dans nos regards.
— Et comment réagit Mme de la Borde devant cet épouvantail agité ?
— Silence, votre promesse ! J’y viens.
Gaspard desservait et revint aussitôt avec la salade de perdreaux. La multiplicité des ingrédients, et surtout les lamelles ambrées de gelée de viande, produisait un tableau d’une telle variété qu’il les força à s’interrompre et à en admirer l’appareil.
— … Nous la surveillions. Elle paraissait ne rien ressentir quand soudain sa bouche s’ouvrit et aussitôt un affreux hurlement s’éleva. La tête en arrière, écumante, notre amie entra en convulsions. Le démiurge donna un ordre et deux valets la portèrent sur un sofa dans une pièce voisine. En dépit de son geste impérieux qui nous repoussait, nous suivîmes le docteur en désordre. Il insista pour nous faire sortir sans que nous cédions. Alors il lui prit les deux mains. Elle nous effraya ; elle ressemblait à s’y méprendre à un automate de M. de Vaucanson. Tout d’abord ce furent des phrases sans suite énoncées sur un ton étrange et plaintif dont le sens se fit bientôt entendre. En hâte Mme des Sablons fit sortir les plus jeunes d’entre nous.
— Et vous de déguerpir, je suppose ?
— Vous êtes bien aimable, monsieur, mais je ne suis point un lièvre. La curiosité n’attend pas le nombre des années. Mais laissez-moi apprécier cette salade dont je raffole et me désaltérer de ce frais nectar de l’Aubance. C’est une grappe mûre qu’on croit écraser dans sa bouche. Je vous sens sur les charbons et vous attendrez donc.
Gaspard demeurait debout devant leur table. Il considérait Nicolas avec une sollicitude et une admiration marquées.
— Si j’ose me permettre. Madame m’a confié que M. le marquis avait été blessé au cours du glorieux combat d’Ouessant. J’ai donc beaucoup réfléchi pour concilier vos préférences respectives, tout en m’attachant particulièrement à des mets qui flattent le goût sans compromettre la santé, surtout celle de quelqu’un qui vient de subir les flèches de Mars. Ainsi l’artichaut, aliment très sain, nourrissant et stomachique, parfait pour les personnes délicates et les estomacs faibles.
— C’est votre portrait tout craché, murmura Aimée, perfide.
— Même chose pour l’huître, savoureuse, aisée à digérer en raison de sa salure, laxative et propre à purifier les humeurs…
— Les déguster en votre aimable compagnie, c’est risquer de n’en manger point, tant vous les grugez vite, dit Nicolas, suave.
— Enfin le perdreau, délicat et léger, surtout rôti, convient bien aux convalescents. Il s’est imposé de lui-même.
— Et que me direz-vous des groseilles et de leurs vertus ?
— Oh ! Monsieur le marquis, elles sont rafraîchissantes à souhait, calment les échauffements, épurent la bile et activent la cicatrisation.
— Ainsi, mon cher Gaspard, grâce à vous je sortirai de cette table heureux, repu et guéri !
— J’y compte bien, répondit l’ancien garçon bleu, en remplissant les verres avant de se retirer.
— C’est étonnant à quel point vous traînez après vous dévouements et fidélités, constata Aimée, pensive. Soit l’on vous hait, soit l’on vous aime, et cela pour la même raison.
— Et laquelle s’il vous plaît ?
— Je ne vous le dirai pas, cela nourrirait votre trop habituelle suffisance.
Elle tendit la main vers son visage pour une tape qui s’acheva en caresse.
— Bon, fit Nicolas ému, et Mme de La Borde ? Quels propos tenait-elle que les plus jeunes et les moins expérimentées d’entre vous ne pouvaient entendre ?
— La chose est délicate. La Borde est votre ami.
— Vous en avez trop dit et je le crois incapable d’une vilenie.
— Mais d’une maladresse à coup sûr. Sachez qu’il a sans doute… Comment traiter la chose galamment ? Qu’il a malheureusement exprimé sa fougue de jeune époux, en usant de l’expérience trop avertie d’un vieux libertin. Ni son amour pour sa femme ni son quotidien dévouement n’ont permis d’effacer le souvenir de cette première nuit. De là ces vapeurs, cette somnolence languissante dont l’origine, je le pense, est tout autant morale que la conséquence obligée des potions délétères que des médicastres lui font, à tout propos, absorber. Il est résulté de cette crise que notre amie a paru apaisée. Le docteur Mesmer a souhaité la revoir. Il aimerait rencontrer La Borde. Enfin, elle m’est apparue soulagée, comme libérée d’un poids. Oh ! Cette vision d’un matin d’hiver !
Gaspard apportait un buisson immobile de groseilles givrées par le sucre.
— Voyez-vous, mon ami, le baquet a du bon !
Nicolas songeait combien Aimée était sensée et capable de comprendre, de faire le tri des apparences pour s’en tenir à l’évidence. Sa phrase soudain le frappa, le laissant interdit, le front plissé de contention.
— Mon Dieu ! Que dites-vous là ?
— Je prétends que le baquet, enfin c’est ainsi que le peuple l’appelle, ce tonneau, a du bon.
Intriguée, Aimée le vit fouiller ses poches pour en tirer son petit carnet noir qu’il feuilleta avec impatience. La remarque d’Aimée lui faisait souvenir d’une phrase, surprise lors d’une conversation, dans un mauvais lieu de Brest, entre le duc de Chartres et son valet Lamaure. Il en retrouva enfin les termes. Non seulement ils parlaient d’expériences, mais évoquaient précisément des soirées de baquet. Pour faire bonne mesure, il constata avec stupeur que le prince parlait d’Horace, non comme d’un auteur ou d’un cheval, mais bien en tant qu’acteur d’une intrigue en cours. La preuve lui crevait les yeux qu’il s’agissait bien d’un inconnu, sans doute mêlé à cette affaire, et rien ne s’éclairerait tant qu’il n’aurait pas mis un nom sur ce fantôme. Il se reprocha son inattention. Il est vrai que la croisière sur Le Saint-Esprit et le combat d‘Ouessant avaient contribué à effacer tout cela. Ses blessures, sa fatigue ainsi que la suite des événements de Paris et de Versailles l’avaient chaque fois projeté en avant sans lui laisser le temps de revenir en réflexion sur un passé pourtant proche.
— Aimée, il me faut vous quitter.
— Comment ! Il n’en est pas question.
— Je dois…
— Nullement. J’ai interrogé Bourdeau. Il m’a assuré que rien de prévu ne vous retenait cet après-midi. Dans votre état il faut prendre du repos et respecter la méridienne, Semacgus l’a bien recommandé.
À vrai dire aucune urgence ne s’imposait avant son rendez-vous de six heures avec Restif de la Bretonne. M. Le Noir pouvait attendre, il le verrait dans la soirée. Gaspard, discret et complice, les conduisit dans un appartement où ils avaient leurs habitudes quand les vicissitudes de l’emploi du temps du policier les faisaient se croiser à Paris.
Dès qu’ils furent seuls, Aimée se pendit à son cou, l’enveloppant de son parfum de jasmin. Il la porta sur le lit où elle entreprit de le dévêtir avec délicatesse. Espiègle, elle lui murmura qu’il sentait moins le furet qu’à son retour de Brest. Il se laissa aller et Aimée s’évertua. Il n’y eut pas de sortes de volupté qu’elle n’essayât dont ils ne furent tous les deux heureux.

Quand Nicolas se réveilla cinq heures venaient de sonner. Aimée avait disparu. Il se sentait reposé et dispos. Gaspard vint l’aider à s’habiller et le raccompagna à la porte. Il héla une voiture rue des Deux-Chaises, hésita un moment, puis décida de gagner à pied la taverne de la place du Chevalier du Guet, où Le Hibou l’attendait.
Tout ce dont Bourdeau lui avait rendu compte, à quoi s’ajoutait la lumineuse allusion d’Aimée au baquet de Mesmer, se devait d’être remâché, non d’une manière volontaire, mais dans cette demi-conscience la plus propre à faciliter l’action de l’imagination. Sartine, qui le connaissait bien, avait raison de ne point vouloir intervenir au début d’une enquête, persuadé que le don du commissaire était d’éclairer les faits à la lumière de son intuition.

Tandis qu’il se perdait dans le lacis des ruelles, le spectacle de la rue parisienne assoupissait sa réflexion. Le soleil déclinait sans que pour autant l’écrasante chaleur diminuât. Moins piquante qu’à midi, elle n’en demeurait pas moins étouffante, enfermant la ville sous une chape de plomb. De vieilles femmes en cotte, le cheveu défait, affalées à califour chon sur des chaises de paille, s’alignaient le long des murs. Autour des fontaines, des gamins à moitié nus s’éclaboussaient au milieu des envols des moineaux assoiffés. De jeunes femmes, le corsage ouvert et les jupes relevées sur les genoux, cherchaient à se rafraîchir, le regard perdu. Des gagne-deniers déguenillés, dépoitraillés d’indécente façon, jurant et crachant, s’agglutinaient autour des cabarets pour se désaltérer de limonades, de ginguet ou de mauvaise bière. Toutes et tous paraissaient écrasés d’une torpeur languissante qui écartait toute pudeur. Dans des recoins pleins d’ordures des mendiants, allongés tels des cadavres, attiraient des chiens affamés et des corbeaux attentifs. Des attelages poussifs traînaient les pieds, conduits par des cochers en chemise et sans chapeau. Parfois la sonnette d’un enfant de chœur, annonçant qu’un prêtre portait le viatique à un mourant, jetait chacun dans son trou ; seuls quelques bourgeois à genoux saluaient la procession. Des rafales sèches de poussière enveloppaient choses et gens, gazant les lointains d’un invisible linceul.
Nicolas, qui avait tombé l’habit et le tricorne, fut saisi de cette vision inhabituelle de la ville. Il se crut encore endormi en proie à l’un de ces cauchemars morbides qui parfois le visitaient. Le claquement d’un fouet et le bruit assourdissant d’un équipage le ramenèrent à la réalité. Il replongea dans sa rumination. Quelques faits surnageaient en certitude au milieu des idées insensées qui lui traversaient l’esprit. L’inspecteur Renard demeurait un suspect qu’accusaient de multiples présomptions. Pourquoi pourtant s’en être pris à Lamaure ? Pourquoi, s’il fallait faire disparaître le valet, n’avait-on pas agi à Paris ? Pourquoi toute cette mise en scène à Versailles et autour du Grand Canal ? Un lien ténu, mais sans doute décisif, reliait ces faits les uns aux autres. Ainsi de Renard, Lamaure, Chartres et du mystérieux Horace qu’il fallait à tout coup démasquer. Et quid encore de ce Simon, boîte aux lettres, mêlé lui aussi de diverses manières aux protagonistes principaux ? Et toujours à l’affût, en retrait, l’ennemi anglais… Et ces bribes qui ne possédaient aucun sens, papier de Simon, papier de Lamaure, liste d’équivoques vraisemblablement chiffrée, partition au nom de Renard ayant sans doute contenu un message disparu. Et cette allusion à des cérémonies de baquet évoquées à Brest par le duc de Chartres ? Cela impliquait, il le sentait bien, d’avoir à rencontrer ce docteur Mesmer afin de déterminer si quelque lien étrange existait entre le prince et le magnétiseur.

Quand il pénétra dans l’antre de fraîcheur et d’obscurité de la taverne, place du Chevalier du Guet, Restif l’attendait déjà en compagnie d’un pichet de vin. Nicolas commanda une bolée de cidre frais tiré et considéra son vis-à-vis. D’évidence cette seconde convocation l’inquiétait.
— Mon cher Restif, vous me voyez dans l’obligation de m’en remettre à vous dans le cadre d’une enquête à laquelle vous avez déjà apporté une aide précieuse dont nous nous souviendrons. Cette proie que Renard a pêchée au Vauxhall d’été, celle qu’il a ramenée à son logis, il faut me la retrouver.
— Ce petit merle que j’ai filé ? Rien de plus aisé.
— Sans doute a-t-il ses habitudes et ses terrains de chasse ?
— S’il n’y a que cela pour vous satisfaire, escomptez que la chose est déjà faite. Je vous enverrai un vas-y-dire dès que j’aurais une certitude.
— Bien, vous n’imaginez ma satisfaction de vos bonnes dispositions. Retrouvez-le-moi très vite. Autre chose…
Le Hibou se tassa sur sa chaise et avala d’un trait son verre de vin.
— Ah ! Il y a autre chose ?
— Vous connaissez M. Pidansat de Mairobert.
— Pourquoi le connaîtrais-je ?
Le visage de Restif prit une expression composée, un air de cafardise que Nicolas détestait.
— Répondez à ma question.
— J’en ai entendu parler, comme tout le monde.
— Oh ! Vous n’êtes pas tout le monde. C’est tout ?
— Qu’aurais-je à en dire ?
— Vous le savez mieux que moi. Pensez-vous la pousse si stupide ? Cher Restif, vous êtes payé pour savoir mieux l’apprécier.
Il feuilletait d’un air attentif des pages blanches de son carnet.
— Que voulez-vous dire ?
— Que j’ai toutes informations sous les yeux, précises et circonstanciées, qui relatent de très étroites relations entre vous et le censeur royal.
— Il est possible qu’en raison de mes écrits j’aie eu l’occasion de le croiser.
— Nous voilà déjà sur une route différente et mieux sablée que la précédente. Encore un effort, que pouvez-vous m’en dire ?
— C’est un homme fort cultivé.
— On le serait à moins dans sa charge. Et encore.
— Rien de plus.
— Restif, Restif… Monsieur de la Bretonne… Mon vieil ami ! Dans votre situation… Moi, à votre place, je m’évertuerais à donner satisfaction sur-le-champ à ceux qui recouvrent du secret le plus absolu des tur pitudes que toutes les censures religieuses et civiles condamnent…
— Je ne puis inventer pour vous complaire des informations dont je ne dispose pas.
— Allons, allons, un peu de sérieux. Ne soyez pas si modeste, vous l’Asmodée, le diable boiteux, qui soulève les toits de cette ville, à qui aucune intimité ne résiste, dont le regard insidieux pénètre tous les secrets, vous ne savez rien de Pidansat alors que le plus inconnu des Parisiens vous est transparent ! À qui ferez-vous accroire cette fable ? Devons-nous, pour vous convaincre, lever la main qui depuis tant d’années vous protège et, j’ajoute, vous nourrit ?
Nicolas était bien conscient qu’il ne possédait aucun moyen pour vérifier l’exactitude de ce que lâcherait un Restif, retors et alourdi par ses propres faiblesses pour résister longtemps. Ses paroles distillées à regret compteraient pour rien par rapport à ce qu’il conserverait à part lui. Pour l’heure, il demeurait silencieux et Nicolas se résigna à avancer un dernier argument.
— Comment vont vos filles, monsieur Restif ? Et leurs mères ?
— Que signifie ?
— Rien de plus qu’une question d’honnête civilité. Vous savez bien ce qu’on rapporte et que justifie trop souvent votre jactance de fanfaron du vice. Imaginez qu’on vous prenne au mot, qu’on informe, qu’on instruise… Restif, un père qui…
Au fond de lui-même, Nicolas se reprochait d’user de tels procédés. Il était à cet égard le bon élève de Sartine qui soutenait en fermeté que la justice du roi se devait d’emprunter des chemins de traverse dans lesquels la moralité des procédés employés n’avait pas sa place. Dans certains cas la fin justifiait les moyens et, ajoutait-il, cela ne valait-il pas mieux qu’une séance de question ordinaire – ou pire extraordinaire – dont le résultat n’était guère convaincant, celle d’une parole arrachée au moment où, dans la souffrance la plus extrême, l’esprit ne maîtrisait plus rien et en était réduit à tous les aveux ? Dieu merci, il n’en était pas à ce choix-là !
— Je ne suis pas sûr que vous aimiez ce que vous faites là, mon gentilhomme, dit Restif, perspicace.
— La question ne se pose pas. Répondez. Que savez-vous de Pidansat ?
— Comme auteur je le connais. Nous autres pour vivre petitement devons publier et vendre nos œuvres. Pour que nos livres circulent, l’approbation des autorités est nécessaire ou, à tout le moins, qu’on ferme les yeux sur leur existence.
— Soit. Et encore ?
— Pidansat est un proche du duc de Chartres, dont il est secrétaire des commandements.
— Je vous sais gré, c’est de notoriété. Je consulte souvent L’Almanach royal. C’est mon livre de chevet !
— Alors, que souhaitez-vous savoir de plus ?
— Ce qu’Asmodée peut avoir remarqué.
— Je ne soulève pas, hélas, tous les toits… L’homme est aussi l’inspirateur de…
— De pamphlets assez étranges. Restif, cela aussi nous le savons. Craignez de lasser ma patience.
— Qu’ajouter en surcroît ? Qu’il est réputé empêtré dans des affaires, des emprunts… Avec sur sa tête de scabreuses dettes et des billets en attente. La rumeur murmure qu’il servirait de prête-nom à de puissants intérêts… Que ceux-ci ne souhaiteraient pas se compromettre en première ligne. Et que pour livrer le fond de ma pensée, je le tiens pour un insolent fieffé, très bas et surtout très méchant, de cette méchanceté rare qui fait le mal pour le mal et ne mord que pour avoir le plaisir de déchirer.
Le Hibou s’était soudain débondé.
— Il semble en effet que vous le connaissiez de loin. Quelle rancœur ! Mais, il me faut des noms, Restif, des noms.
Restif balançait son gobelet vide, le contemplant, indécis.
— Vous m’embarrassez… Enfin, après tout je ne ferai que répéter les bruits rampants de la cour et de la ville. Du bouche à oreille dans les coins. Tout le monde…
— Tout le monde ? Guast ! Moi je n’ai rien entendu. Et pourtant…
— Certaines personnes avisées, informées et attentives. Au vrai il serait l’homme des affaires financières pour le compte du gros Provence, le frère du roi, et, pour l’heure, successeur en titre de Sa Majesté, l’héritier du trône. En particulier, il agirait en sous-main pour accélérer la ruine d’un demi-fol, confit en dévotion, le marquis de Brunoy.
— Celui qui dépensa naguère cinq cent mille livres pour une procession ?
— … le même. Laquelle fête s’acheva par un banquet qui tourna en beuverie. Cette ruine escomptée et organisée de longue main viserait à favoriser l’achat à vil prix par le prince, bien sûr par un prête-nom, du domaine du marquis contraint à la banqueroute.
— Voilà des précisions plus congrues et qui donnent quelque aliment à la réflexion. Voyez donc ! Pourquoi me pousser à me montrer si pressant alors qu’il était si aisé de converser sincèrement avec un vieil ami ?
Le gris visage de Restif se crispa dans une grimace qui se voulait un sourire. Il se levait déjà, impatient de mettre un terme à l’entretien, mais Nicolas lui fit signe de s’asseoir.
— Un instant. Une petite chose encore. Lorsque à ma demande vous avez suivi l’inspecteur Renard jusqu’à sa demeure rue du Paon, avez-vous en permanence conservé sa voiture sous votre regard ?
Restif parut soulagé de l’insignifiance de la question.
— Peu importait, je connaissais l’adresse. Pour ne pas lui donner l’éveil dans ce Paris désert de la nuit, j’ai à deux reprises pris des raccourcis qui ne risquaient pas de me le faire perdre.
— Et au terme de la filature, l’avez-vous vu descendre avec son compagnon du Vauxhall ?
— Ah, ça non ! La maison possède une porte cochère. Ne voulant pas me faire remarquer, j’étais demeuré assez éloigné de la maison. La voiture est entrée et en est ressortie, vide. De cela je suis assuré, l’ayant vérifié de près.
— Bien, dit Nicolas qui notait tout cela dans son petit carnet noir. Autre chose. Le secret le plus absolu sur tout ceci. Restif, j’y compte essentiellement.

Dans le fiacre qui le conduisait au pas rue Neuve-Saint-Augustin, Nicolas tentait de classer les idées qui se bousculaient. Elles se chevauchaient et se mélangeaient en dépit de ses tentatives en vue de les ordonner. Deux informations surnageaient dans ce fatras ; elles ressortaient des propos arrachés à Restif. Primo, Pidansat de Mairobert l’intriguait. Étrangement il jouissait d’une réputation entachée de louche du fait de sa double appartenance à l’autorité et à ceux qui, par des écrits scandaleux et clandestins, ne cessaient sans vergogne de la braver. Outre cela, il se trouvait impliqué, englué même, dans de sombres trafics financiers et, proche de Chartres, apparaissait aussi comme l’homme de paille du comte de Provence. Les deux princes pour des raisons différentes, l’un ouvertement, l’autre insidieusement, s’attachaient à nourrir des oppositions et à saper l’autorité royale. Le second point, constat amer, multipliait les conjectures sur la véracité d’un rapport de Restif : certes Renard paraissait avoir rejoint son logis, pourtant la filature dont il était l’objet avait pu être traversée. C’était un policier d’expérience et Nicolas lui faisait crédit de savoir la déceler. Et même s’il avait atteint la rue du Paon, rien ne prouvait, une fois Restif reparti, que l’inspecteur fût demeuré chez lui. Dans ce cas, le départ du Vauxhall d’été avec un petit merle n’était que faux-semblant et poudre aux yeux destinés à égarer le suiveur dûment repéré. Retrouver ce personnage était indispensable pour vérifier la chronologie de cette nuit. De son témoignage volontaire ou forcé beaucoup dépendrait. Enfin, une visite au docteur Mesmer s’imposait.

À l’Hôtel de Police, M. Le Noir l’accueillit sans perruque en habit léger de coutil piqué blanc. Il s’épongeait le front sans relâche. Les grandes croisées ouvertes ne laissaient entrer aucun souffle et les branches qui frôlaient la façade de l’hôtel de Grammont ne bougeaient pas, pétrifiées. Il fut écouté avec attention.
— Tout cela m’entête, cher Nicolas. Il me faudrait des heures et du calme pour faire le tri de tout ce que vous m’avancez. Quel ramas de cartons découpés ! Si vous parveniez à replacer bout à bout tous ces éléments, peut-être alors découvririez-vous un décor éloquent et qui nous ouvrirait des coulisses ? Primo, nous ne devons pas lâcher Renard en veillant à ne point lui donner l’alarme. Secundo il vous faut retrouver l’ambigu du Vauxhall. Quant à votre baquet, je ne vois dans ce rapprochement aucune piste crédible.
Nicolas évoqua Pidansat et ce que lui avait révélé Le Hibou. Le Noir paraissait pensif.
— Parbleu ! s’écria-t-il soudain, votre Horace me met la puce à l’oreille. À qui songez-vous quand ce nom retentit ? Ne répondez pas. Au personnage de Corneille ou à l’auteur latin, bien sûr. Eh bien ! Monsieur, qui selon vous éprouve une particulière dilection pour ce Romain ? Qui possède toujours un petit volume de ses œuvres en poche, qui le cite sans arrêt et le donne en modèle ? Qui, qui, qui ?
— J’attends, monseigneur, que vous me le révéliez.
— Mais Provence, mon ami, Provence. Le frère du roi. Ajustez votre lunette et revoyez vos informations à la lumière de cette découverte-là.
Le Noir se mordit les lèvres, le teint pourpre.
— Je me laisse aller dans le feu du débat et me licencie à citer de tels noms ! La reine, Chartres, Madame Adélaïde et maintenant Provence, la tête me tourne. J’entends résonner des échos qui sollicitent notre circonspection. Il faut toujours redouter ces dangereux rapprochements qui peuvent nous faire chavirer, nous faibles autorités ! Que votre expérience et votre sagacité vous tracent le chemin. Qu’elles vous rendent prudent et vous invitent aux réserves salutaires.
Avant de quitter le lieutenant général de police, Nicolas l’interrogea à tout hasard sur le docteur Mesmer. Le Noir lui remit une fiche de police qui traînait sur son bureau ; l’homme à la mode intriguait et une surveillance étroite l’entourait.
Il reprit sa voiture sans illusions, si toutefois tant d’années au service du trône autorisaient qu’il en conservât quelques-unes. Comme toujours l’enquêteur aux affaires extraordinaires serait seul, s’éclairant dans les ténèbres d’une lanterne sourde, méprisant les tentations d’abandon, résistant aux ordres impérieux ou insidieux sans tenter d’en décrypter les arrière-pensées contradictoires. Et pour finir le dénouement interviendrait dans le secret le plus absolu sans qu’en surface il en résultât nul remous. Et lui, comme toujours, se tairait.

Quand il arriva rue Montmartre, Catherine lui dit d’un air pincé qu’une vieille gaupe, déjà vue au logis et qui l’avait traitée de haut, refusant même de donner son nom, s’entretenait avec M. de Noblecourt et que sa propre présence à l’étage était souhaitée dès qu’il paraîtrait.
Dans l’escalier une forte odeur de parfum et de poudre lui monta au nez et, sans la précision de Catherine, il aurait pu croire que le maréchal de Richelieu était dans les lieux. À l’entrée de la chambre une masse de mousseline rose le frappa. Elle enveloppait une personne assise en face du magistrat qui, souriant, prêtait une attention bienveillante aux propos qu’on lui tenait. Il reconnut la voix de la Paulet.
— Ma foi, mon bon gentilhomme, c’est plaisir de vous revoir et bien urbain à vous de rafraîchir ma carcasse par cette chaleur.
Le claquement d’un éventail qu’on fermait retentit.
— Votre mixture…
— C’est de la liqueur de mirabelle, madame.
— Belle et bonne ! Ça vaut pas mon ratafia d’antan, mais c’est, ma foi, réconfortant. Fort, ça oui ! Mais sauf votre respect, j’ai la gueule ferrée depuis l’enfance. On n’avait pas eu de revoyure depuis quelques années. La précédente, c’était pour le petit à la Satin. Oh ! C’est un beau cadet maintenant. Il m’appelait sa tante, le mignon ! Un poulet tendre. Mais vous ! J’en suis assommée, quelle belle mine pour un vieux, rose et replet à souhait ! Un teint qu’une donzelle comme moi vous envierait. Mais foi, on en croquerait encore, quoique, pour me répéter, je soye une jouvencelle par rapport à vous.
Nicolas s’avança.
— Pour le salut de ma vertu, murmura Noblecourt, la police arrive à temps.
La masse se retourna.
— Ah ! C’est-y pas mon bon Nicolas ?
La Paulet tenta de se lever du fauteuil qui l’emprisonnait et retomba essoufflée de son effort dans un nuage de poudre. Il frémit tant la face grimaçante qui le regardait évoquait quelque épouvantable figure de Méduse. Une longue perruque blonde et poudrée dont les boucles se répandaient en torsades serpentines encadrait un visage mafflu, cérusé à l’excès comme à l’accoutumée. Les pommettes et les lèvres incarnates, les yeux cernés d’un noir brillant ajoutaient à l’aspect théâtral de l’idole de la rue du Faubourg Saint-Honoré. Des mouches, boutons malsains, constellaient ce champ du désastre. Le reste n’était plus que bajoues, fanons pendants et débâcle d’une chair que dissimulaient mal des voiles de mousseline au travers desquels transparaissaient les raides baleines d’un busc monstrueux. Elle lui tendit une joue qu’il baisa de bon cœur avec l’impression de frôler un mur de plâtre fissuré.
— Quel bon vent nous vaut le plaisir de votre visite, chère Paulet ?
— Mon amitié pour toi et le souci de ta sauvegarde.
— Serviteur. C’est trop d’honneur ! Vous voilà bien grave ! Comment vont les affaires ?
— Pouf ! fit-elle, s’éventant. On n’en cause point. J’ai fourni ma carrière de cette engeance-là. J’ai plus d’affaires.
Elle se mit à renifler, puis s’étouffa en graillonnant. Aussitôt M. de Noblecourt lui servit un verre qu’elle vida d’un trait, le bras levé.
— Oui, du nanan ! Sais-tu, Nicolas, qu’il est plaisant ce petit grison-là. C’est de ça que j’aurais dû m’enticher au lieu de ce grand maroufle de garde-française, ce penaillon !
D’hilarité contenue M. de Noblecourt s’étranglait à son tour.
— Faut savoir ce que j’ai enduré. Il faisait à peine une poste quand il en faisait trois avec une autre. Au vrai, une viande creuse qui ne rassasiait point. Quand on sait pas faire frétiller8 sa femelle, mieux vaut disparaître. Il n’était pas toujours aussi réfrigératif et avec la petite je suis assurée qu’il bandait comme un carme ! Tu me connais et tu le sais, j’ai vite écumé leurs manigances. A mieux valu qu’il soit parti avec elle, car j’aurais fini par furibonder et y aurait eu du carillon. Fallait pas mettre la morue avant les œufs.
— La charrue avant les bœufs, dit Nicolas.
— Quoi ! Ah ! tiens, tu m’énerves, faut-y que tu saches pas causer. Quant à l’autre il osait plus me frapper, depuis que tu l’avais effrayé.
Elle se mit à pleurer, rassotant ses misères avec des détails infâmes. Il ressortait de sa litanie que le Dauphin couronné, devenu une pétaudière sans foi ni loi, courait à sa perte, que Bonjean9, son amant, vidait d’un côté ce qui entrait de l’autre, la trompait avec sa femme de chambre, la négresse, une petite élevée avec amour qu’elle considérait comme son enfant. Qu’ils s’étaient enfuis en la dépouillant. Que le milieu de la galanterie allait vau-l’eau. La maison désormais faisait pension et louait des chambres à l’heure et à la journée. Et pour joindre l’utile à l’agréable, toujours soucieuse du bien-être de ses obligés, elle tenait commerce de redingotes anglaises, de chocolats et pastilles aphrodisiaques, de gâteaux mercuriels, d’emplâtres spécifiques, de caleçons antivénériens et de liqueur préservative du docteur de Préval. Enfin, chaque chose mise bout à bout, la Paulet agrémentait son revenu, en tenant de surcroît officine de divination. Le négoce fonctionnait bellement : au rez-de-chaussée on interrogeait les astres et dans les étages on gagnait, l’épicerie de Vénus aidant, le septième ciel. Oubliant dans son bagout à qui elle s’adressait, elle ajouta qu’à l’occasion quelques soirées de jeu clandestin ou de théâtre galant complétaient un tableau sur lequel elle avait joué à fond afin de rétablir ses affaires.
— Pourquoi fronces-tu les yeux ainsi, Nicolas ? Je songeais à toi l’autre soir en maniant mes cartes devant ma coupe d’eau claire. Ce sont là mes instruments habituels de travail. C’est cela qui m’amène Soudain, j’ai eu comme un coup à la tête, une espèce d’éblouissement, de vertige…
Sans doute, pensa Nicolas, un abus de ratafia. Au même instant, Noblecourt cligna de l’œil, en tapotant le flacon de mirabelle.
— J’étais toute derne10, comme un malot11 qu’avions reçu un coup de chapeau. Le sentiment de tourner sur moi-même. L’eau se troublait. Des formes diffuses et embrouillées apparaissaient qui m’intriguaient. J’avais des gourmades dans les jambes qui s’agitaient malgré moi. À ce moment j’te vois.
— Comment cela ?
— Dans l’eau de la coupe. Tu montais un escalier. Oh ! pas d’une maison. Je ne sais point dire quel endroit. Cela ressemblait à un moulin. J’y entendis un drôle de bruit. Clic, clic. Puis une cloche a sonné. Et soudain… Ah ! L’horreur ! Puis un claquement. Je sens que tu es menacé. Ha ! Oui… Non… Ah !
La Paulet se tenait la gorge de ses doigts boudinés, la bouche ouverte, cherchant à reprendre son souffle comme un poisson jeté soudain sur la berge. Elle s’affaissa, inconsciente. Nicolas bondit, appela Catherine qui surgit aussitôt. Sans doute intriguée par l’étrange visiteuse, elle était demeurée dans l’escalier pour, le cas échéant, prêter main-forte à son maître. On l’étendit par terre, Noblecourt l’éventa. Catherine après de rudes efforts finit par ouvrir le busc. Les chairs se répandirent et le corps de la Paulet sembla doubler de volume. On la hissa sur un sofa dont les délicates membrures craquèrent de manière inquiétante. Allongée, un carreau sous la nuque, son crâne chauve dénudé, elle finit par revenir à elle après avoir respiré un peu de vinaigre. Elle poussa un cri en portant la main à sa tête, réclama sa perruque qu’elle enfila de travers, demanda de l’aide pour se redresser et réclama une rasade de mirabelle qu’elle avala cul sec. Catherine qui lui tamponnait les tempes avec du vinaigre se vit repousser avec fureur et quitta la chambre ulcérée du traitement. Ces soins avaient brouillé les fards et le visage de la Paulet tenait désormais de la palette d’un peintre.
— Tu vois dans quel état tu me jettes, dit-elle d’un ton plaintif. La vision me taraude de t’avoir senti en danger.
— Mais, sans vous pousser dans vos retranchements, tout cela est bien vague.
Elle prit un air pitoyable.
— J’en opine tout comme toi. Que ce soye plus clair, je l’aurais bien voulu, mais tu vois bien que je ne peux point en dire plus. J’ai rien vu de bien net à m’en souvenir.
Elle paraissait abattue. Elle finit par se lever en titubant. Nicolas s’affaira à la soutenir. M. de Noblecourt sonna Catherine qui réapparut, l’air buté. Il lui fut requis d’appeler un fiacre. Nicolas accompagna la maquerelle dans l’escalier qu’elle descendit lourdement une marche après l’autre. Catherine revint avec la voiture trouvée devant Saint-Eustache. La Paulet y fut enfournée sous les regards curieux et rieurs des mitrons de la boulangerie. Nicolas paya le cocher et donna la destination, puis remonta rejoindre M. de Noblecourt.
— Furieusement distrayante, cette soirée ! dit celui-ci mi-figue mi-raisin. Et de surcroît, me voilà en passe de ma dernière conquête !
— Pourquoi la dernière ? Le résultat de votre rajeunissement soudain. C’est la faute à Voltaire… Au vrai que vous inspire cette scène ?
— Si vous m’en croyez, ne négligez pas ce qui est, quelle qu’en soit la nature, un avertissement. Soit elle possède des dons qu’on ne lui connaissait pas et, vous tenant en affection, elle a souhaité vous avertir tant cette femme est un mélange étonnant de vices éclatants et de quelques vertus cachées. Soit la démarche lui a été inspirée et elle a valeur d’avertissement. Le tout menaçant à l’extrême, car au bout du compte c’est de votre vie qu’elle était en souci. Dans tous les cas je le répète, prenez vos précautions. Vous abordez sans doute des terrains interdits et l’on vous somme de n’y point pénétrer. Le cap des tempêtes…
Sur les rives d’Argos, près de ces bords arides
Où la mer vient briser ses flots impérieux
— Alors ?
— Je suis un vieux sceptique, je crois peu aux devins et encore moins aux divinations. Quoique…
— Le danger n’a cessé de m’accompagner comme une ombre attachée à mes pas. Ce n’est pas cela qui me fera reculer.
— Et c’est parce que je vous connais que je ne vous donne pas de conseils. Reste que la prudence s’impose au sage qui veut atteindre son but. L’avenir nous éclairera, c’est le meilleur des devins. Quant à notre Paulet, je crains que son pouvoir pythique ne soit favorisé par l’abus du ratafia. Quelle figure cette mégère ! Et pourtant j’éprouve à son endroit un peu d’amitié à la mesure de l’affection qu’elle vous porte.
— Antoinette et Louis lui doivent beaucoup, remarqua Nicolas pensif.
— Autre chose. Le morceau de partition que vous m’avez confié, celui-là même trouvé sur Lamaure. Je l’ai déchiffré et même joué au violon. C’est une pièce de sopraniste, de celles réservées en général aux castrats.
— Des castrats ! Il n’y a pas de castrats en France.
— Ah ! Mon ami, votre ignorance me surprend, surtout de la part de quelqu’un si au fait des choses et des gens de la cour et de la ville. J’ai interrogé notre ami Balbastre. Il est votre serviteur et m’a prié de vous le dire. Ne grimacez point ! Il m’a indiqué que la chapelle du roi à Versailles en compte encore plusieurs. Il m’a même précisé que, ces dernières semaines, la reine, incommodée par sa grossesse, ne pouvait s’endormir qu’après avoir respiré l’air plus frais de la nuit…
— Quel rapport avec…
— Ah ! Peste de l’importun, écoutez-moi. L’idée est venue à Sa Majesté et à ses beaux-frères et belles-sœurs de jouir de l’effet d’une belle musique. Les musiciens et les chanteurs, parmi lesquels nos castrats, eurent ordre d’exécuter des cantates. On fit construire des gradins pour eux, dans le parc du Château, mais aussi dans les jardins de Trianon, la reine ayant été importunée par les habitants de Versailles qui se rassemblaient en foule pour profiter du spectacle nocturne. J’ignore si cela peut avoir rapport aux événements sur lesquels vous enquêtez. Je vous livre la chose tout rondement.
— Soyez assuré que j’en ferai mon profit.
— Sur ce, cher ami, la soirée m’a fatigué. Peut-être ai-je par trop cédé à la mirabelle ? J’ai moi aussi des impatiences dans les jambes. Pourvu que… Je me couche de ce pas.
Nicolas refusa les offres de souper présentées par Catherine. Il s’endormit sans état d’âme. Pourtant, sous le coup de trois heures, un rêve qui revenait souvent le ramena à son enfance à Guérande. Dans les hautes herbes des marais de Brière, une couleuvre géante aux yeux de malheur lui barrait le chemin, sa tête menaçante oscillant de gauche à droite.