A mort le foot

 

16 juin 1986

 

 

  Voici bientôt quatre longues semaines que les gens normaux, j'entends les gens issus de la norme, avec deux bras et deux jambes pour signifier qu'ils existent, subissent à longueur d'antenne les dégradantes contorsions manchotes des hordes encaleçonnées sudoripares qui se disputent sur gazon l'honneur minuscule d'être champions de la balle au pied.

 

  Voilà bien la différence entre le singe et le footbal-leur. Le premier a trop de mains ou pas assez de pieds pour s'abaisser à jouer au football.

 

  Le football. Quel sport est plus laid, plus balourd et moins gracieux que le football ? Quelle harmonie, quelle élégance l'esthète de base pourrait-il bien découvrir dans les trottinements patauds de vingt-deux handicapés velus qui poussent des balles comme on pousse un étron, en ahanant des râles vulgaires de boeufs éteints.

 

  Quel bâtard en rut de quel corniaud branlé oserait manifester publiquement sa libido en s'enlaçant frénétiquement comme ils le font par paquets de huit, à grands coups de pattes grasses et mouillées, en ululant des gutturalités simiesques à choquer un rocker d'usine ? Quelle brute glacée, quel monstre décérébré de quel ordre noir oserait rire sur des cadavres comme nous le vîmes en vérité, certain soir du Heysel où vos idoles, calamiteux goalistes extatiques, ont exulté de joie folle au milieu de quarante morts piétinés, tout ça parce que la baballe était dans les bois ?

 

  Je vous hais, footballeurs. Vous ne m'avez fait vibrer qu'une fois: le jour où j'ai appris que vous aviez attrapé la chiasse mexicaine en suçant des frites aztèques. J'eusse aimé que les amibes vous coupassent les pattes jusqu'à la fin du tournoi. Mais Dieu n'a pas voulu. Ça ne m'a pas surpris de sa part. Il est des vôtres. Il est comme vous. Il est partout, tout le temps, quoi qu'on fasse et où qu'on se planque, on ne peut y échapper.

 

  Quand j'étais petit garçon, je me suis cru longtemps anormal parce que je vous repoussais déjà. Je refusais systématiquement de jouer au foot, à l'école ou dans la rue. On me disait: « Ah, la fille ! » ou bien:« Tiens, il est malade », tellement l'idée d'anormalité est solidement solidaire de la non-footballité.

 

  Je vous emmerde. Je n'ai jamais été malade. Quant à la féminité que vous subodoriez, elle est toujours en moi. Et me pousse aux temps chauds à rechercher la compagnie des femmes. Y compris celle des vôtres que je ne rechigne pas à culbuter quand vous vibrez aux stades.

 

  Pouf, pouf.

 

  A part ça, je suis très content car les enfants m'écrivent. Une auditrice de neuf ans, qui a malheureusement oublié de me communiquer son adresse,me dit: « Non mais ça va pas la tête de dire des choses pareilles sur le bon Dieu. Crétin, va. Imbécile. » Signé Anne, neuf ans.

 

  Tu as raison, Anne, ça va pas la tête.

 

  Je ne le ferai plus, je te le promets.

 

  N'empêche que c'est pas moi, c'est le bon Dieu qui a commencé.

 

  Demande à ta mère de t'expliquer le comportement du bon Dieu avec les petites filles de neuf ans en Éthiopie ou au Liban. Moi, j'ai pas tout compris. Je t'embrasse, petite Anne.

 

 

Pouf, pouf.

 

 

  D'Alexandre Laumonier, dix ans: «J'écoute les Chroniques de la haine ordinaire. Je comprends pas tout. Quand j'entends rire les autres, ça m'énerve, je me dis: c'est pas juste.»

 

 

  C'est normal, Alexandre. A dix ans, on a l'esprit éveillé à d'autres altitudes que celles où plafonnent les vieux de trente ans et plus.

 

  A l'inverse, quand vous jouez à Zorro, nous ne comprenons pas tout. Par exemple, quand il y en a un qui dit « Pan t'es mort», on comprend pas pourquoi celui qui vient d'être touché se relève en disant: « Ça fait rien, on dirait que j'en serais un autre. »

 

  Chez les grands, quand on joue à la guerre, on n'en est jamais un autre. Je crois que c'est parce qu'on n'a pas l'intelligence. On comprend pas tout. Moi aussi, ça m'énerve.

Salut, Alexandre.

 

 

Pouf, pouf.

 

 

  Pour en finir avec ce douloureux problème de l'incommunicabilité entre les générations, une anecdote familiale.

 

  Un crétin mutin-j'en ai plein mes salons-m'a offert un gadget imbécile: une petite boîte en bois dont une face vitrée abrite un préservatif. Sur le côté, il y a un petit marteau pointu et une mise en garde tout à fait consternante: « En cas d'urgence, brisez la vitre. » J'en ris encore.

 

  -Maman, c'est quoi le truc dans la boîte ? demande une petite fille de onze ans qui m'est proche, à sa mere.

 

  Laquelle, ayant dépassé depuis longtemps le stade superbranché-Pernoud, bonjour la p'tite graine, est ce qu'on appelle une maman moderne. Un peu gênée tout de même (elle a fait huit ans chez les soeurs avant de voir le loup), elle se lance dans un cours sommaire de contraception élastique que l'enfant suit d'une oreille distraite sans le moindre ébahissement.

 

  -C'est super, commente-t-elle poliment. Mais enfin, bon, papa et toi, c'est pas votre problème.

 

  -Comment ça ?

 

  -Vous voulez plus d'enfant.

 

  -Et alors ?

 

  -Et alors, de toute façon, quand on veut plus d'enfant, on fait plus l'amour

-Mais si. Mais si.

 

-Pourquoi ?

 

-Pour... le plaisir.

 

-Ah ben alors, là, vous êtes vraiment des cochons tous les deux !

 

 

  Quant à ces féroces verrats, je le dis, c'est pas pour cafter, mais y font rien qu'à baiser dans nos campagnes.