CHAPITRE VI

BÉLITA

Je garnis le poêle et m’en fus regarder par la fenêtre si le passage des Hautes-Formes n’avait pas bougé de place, depuis la veille. Il était toujours là, mais débarrassé du brouillard. Sous l’aube naissante, les contours des masures d’en face se précisaient. Je me tournai vers le lit. Je ne distinguais pas Bélita très nettement, mais je la devinais. Son joli visage têtu reposant dans le désordre de sa chevelure, elle dormait. Et voilà ! Bonnes ou mauvaises, les choses arrivent très vite, parfois.

***

img2.png Si tu veux, tu peux me tutoyer aussi, tu sais ?

Elle n’avait pas répondu. Elle avait pris et allumé une gitane. J’avais continué à grogner :

img2.png Un sale coin. J’y ai été écrasé, laminé, foulé aux pieds. Je ne peux pas l’aimer. Et il faut que Lenantais m’embringue dans un micmac qui se passe dans le secteur ou qui, tout au moins, y débute ? Mais, nom de Dieu ! il ne pouvait pas aller faire le chifforton à Saint-Ouen ?...

Je m’étais secoué et je ne sais pas si c’était l’effet de la secousse, mais j’avais égrené un chapelet de jurons :

img2.png Oh ! et puis, c’est class ! Qu’est-ce que j’ai, à gamberger comme ça ? C’est généralement quand je suis noir, que le cafard m’asticote. Je ne suis pourtant pas schlass. En tout cas, ce n’est pas ce que tu m’as fait boire, hein, Bélita ?

Elle avait ri :

img2.png Certainement pas.

Je m’étais levé, j’avais fait les cent pas dans la pièce, peut-être pour m’assurer que je ne titubais pas. Je ne titubais pas. Mais j’étais quand même soûl. J’allais et venais. Une lame du parquet raboteux, près du buffet, criait, lorsque j’y marchais dessus, semblant se foutre de ma gueule.

img2.png Ça ira mieux demain, avais-je dit. II paraît que je mets le mystère knock-out. J’essaierai de me le prouver à moi-même. Mais c’est égal, ce Lenantais... Pas possible, il a voulu me jouer une farce. Ça ne lui plaisait certainement pas que je sois devenu flic, même flic privé, et il a tout manigancé lui-même pour me faire endéver{13}. Allez, je me tire.

J’avais consulté ma montre. Me tirer ? Il y avait longtemps que le dernier métro était parvenu à sa station terminus. Quant à dégotter un taxi, à cette heure et dans ce coin... Le passage des Hautes-Formes, c’est au bout du monde. Est-ce que ça existe, seulement ? Et ce brouillard glacé qui enveloppait tout l II faisait bon, ici. Le poêle ronronnait doucement. Ce quartier, nom de Dieu ! je serais donc toujours obligé de l’arpenter à pinces, si je comprenais bien ?

img2.png Restez, avait dit Bélita, d’une voix douce.

Et brusquement, je m’étais souvenu de Dolorès et de sa clique de caraques qui suivait son imposante personne. Ou c’était des excuses que je me cherchais.

img2.png Je crois que ce sera mieux pour tout le monde, avais-je ricané. Je vais avoir besoin de tout mon flair pour élucider le mystère Lenantais. Si je poisse un rhume, mon flair en prendra un coup. Autant alors ne pas s’aventurer dans le froid. Et puis, si Dolorès revenait chercher son fouet, je serais désolé de ne pas le lui restituer moi-même. Et maintenant, plus un mot. Passe-moi une couverte, Bélita. Je vais pioncer par terre, près du poêle. Il y a longtemps que ça ne m’est pas arrivé, mais ce sont des trucs auxquels on se refait vite. Et toi, roupille aussi. Tu dois être fatiguée. Après la séance de ce soir... A propos, comment ça va ?

img2.png Ça ne me fait presque plus mal.

img2.png La sale vache !

Et j’avais fait en sorte que les oreilles lui sifflent, à la Dolorès, aussi bruyamment qu’une lanière de fouet. Cependant, Bélita avait ôté une couverture du plumard et me l’avait passée. J’avais déposé mon pétard sur la table, à ma portée. Je jouais les boy-scouts, ou presque. Drôle de boy-scout. J’avais regarni le poêle, je m’étais enroulé dans la couverture et Bélita avait éteint. Le poêle ronronnait, répandant sa douce chaleur. Il n’était plus très jeune, pas sans fissures, et il projetait sur le parquet et les murs de tremblantes et rougeoyantes lignes lumineuses.

img2.png Encore un truc qui me rappelle le Foyer végétalien, avais-je dit. Un jour...

Et j’y étais allé de l’anecdote. Une anecdote qui, en prenant de l’âge et du recul, ne conservait que son côté cocasse et pittoresque, et qui faisait marrer les gens, quand je la racontais dans un endroit douillet, bien éclairé, à des journalistes, des flics ou autres personnages bouffant à leur faim. Mais ici, passage des Hautes-Formes, ça rendait un son lugubre, malheureux comme les pierres ; elle était restituée à sa misérable intégrité. Qu’est-ce que j’avais, à raconter ça ? Ce n’était pas le lieu. Il ne faut pas parler de corde dans la maison du pendu, c’est bien connu. Je tournais dangereusement au masochisme, moi. C’était peut-être que je n’avais bu que de la flotte, en mangeant, et que le dernier apéro siroté en compagnie de Florimond Faroux était loin, aussi loin que ces putains de souvenirs.

img2.png Oui, avait dit Bélita, en commentaire à l’anecdote.

Elle s’était couchée et fumait. Le point incandescent de l’extrémité de sa cigarette brillait comme un phare, trouant l’obscurité. Puis, elle avait jeté le mégot dans le cendrier.

img2.png Bonsoir.

img2.png Bonsoir.

Le brouillard cernait la maison. On le devinait aux aguets, prêt à s’insinuer par la moindre brèche. La nuit était silencieuse comme aux premiers âges. Seule, de temps en temps, une des vieilles poutres de la charpente de la bicoque troublait le calme opaque d’un bref craquement... A un moment, j’avais entendu la gitane se lever et aller fourgonner dans ses ustensiles de cuisine.

img2.png Ça ne va pas ?

img2.png Si, ça va.

img2.png S’il faut allumer...

img2.png Non, ça ira.

Elle avait ouvert le poêle pour l’alimenter. Le brasier sur lequel elle se penchait avait illuminé le haut de son corps. Elle portait un peignoir dont les pans croisés s’entrebâillaient encore du fait de son attitude, ne dissimulant rien de son émouvante poitrine. Elle avait refermé le poêle. Une légère odeur de fumée de charbon avait flotté dans la pièce.

img2.png Tu regardes s’il fait beau ?

Elle avait glissé jusqu’à la fenêtre.

img2.png Il y a un peu de purée, pardon !

Je l’avais rejointe. La purée, c’était la spécialité du coin. J’avais essayé de percer l’épaisseur du brouillard. A quoi bon ? Je le savais hostile, fumeux et dégueulasse. Mais ici, on était bien.

img2.png Oui, on est bien.

Maintenant, nous étions l’un contre l’autre, à nous communiquer notre chaleur et à narguer le brouillard, ou essayer. Ma main avait effleuré un des seins de la fille. Elle avait reculé en chuchotant :

img2.png Non... il ne... il ne faut pas...

C’était un sale coin. J’y avais été écrasé, humilié, je n’y avais jamais été considéré comme un être humain... Je l’avais prise dans mes bras, la serrant fortement, meurtrissant ma poitrine contre ses seins durcis, mes lèvres sur sa bouche. Elle s’était dérobée... Un sale quartier, qui voulait encore se jouer de moi, comme si j’étais resté un gosse sans défense... Mais je ne pouvais tout de même pas me venger sur elle... J’avais relâché mon étreinte :

img2.png Et puis, tu es une gitane.

Le silence. Un silence ouaté, étouffant. Un morceau de charbon gras s’était enflammé en fusant dans le poêle, illuminant la pièce d’un bref éclair sanglant.

img2.png Oh ! avait-elle soupiré. Gitane ou pas...

Elle avait passé ses bras autour de mon cou, ses lèvres avaient cherché les miennes, nos deux cœurs battaient sur un même rythme, comme un lointain appel de tam-tam, et puis, plus rien n’avait existé. Même le brouillard avait été balayé.

***

Et voilà l Bonnes ou mauvaises, les choses arrivent très vite, parfois ! En tout cas, j’avais trouvé une excellente thérapeutique pour me débarrasser des complexes- que me flanquait ce quartier. J’étais un homme tout neuf, maintenant, et on allait voir ce qu’on allait voir. Enfin... j’allais essayer, parce que... Pour résoudre le problème posé par ce sacré Lenantais, je ne détenais toujours pas plus d’indices que la veille. Mais peut-être que le hasard... Je regardai Bélita qui s’éveillait avec des mines de chatte. Jusqu’à présent, il ne m’avait pas trop mal servi, le hasard. Je m’approchai du lit :

img2.png Pas un mot, dis-je, en caressant les cheveux de la gitane. Nous n’y pouvons rien, ni l’un, ni l’autre.

Elle sourit :

img2.png Qui te dit que je voulais dire quelque chose ?

img2.png Tu pourrais regretter...

Elle ne répondit pas.

img2.png ... Et, surtout, tu pourrais dire bonjour.

img2.png Bonjour.

Elle me prit la main gauche et promena ses doigts sur ma paume.

img2.png Que dit l’avenir ? demandai-je.

img2.png Tu sais bien que je ne sais pas lire dans les lignes, fit-elle, sèchement, en abandonnant ma main.

img2.png Polop. Tu n’y avais pas lu que nous dormirions ensemble ?

img2.png Peut-être.

img2.png Ah ! tu vois ! Et quoi d’autre ?

img2.png Rien.

Son visage se ferma. Je lui soulevai le menton et l’obligeai à me regarder :

img2.png Tu y as vu qu’une tuile allait me tomber sur le cigare.

Elle se dégagea :

img2.png Mais non. Tout ça, c’est de la bêtise.

img2.png Oui c’en est. Si c’en était pas, je t’embaucherais pour m’aider dans mes enquêtes et, en deux coups de cuillère à pot, tu expliquerais le message mystérieux de Lenantais. Mais, même si tu n’es pas sincère, en disant que c’est de la bêtise, ne t’en fais pas pour moi. Les tuiles qui me sont destinées atteignent rarement totalement leur but. Et, de plus, je suis le gars qui fait mentir les prophéties. Tiens, mon horoscope par exemple. Je lis dans le canard : Bonne semaine pour les natifs des Poissons. Rentrée d’argent. J’attends et rien ne vient ! Alors, tu vois ? Ils ont bonne mine, les astres, avec mézigue... Et à part ça, qu’est-ce que tu prends, à ton petit déjeuner ? C’est l’heure.

img2.png N’importe quoi.

img2.png Je vais aller chercher des croissants.

La pipe au bec, je descendis aux commissions. Il faisait frisquet, mais on n’aurait certainement pas de brouillard, aujourd’hui. Du moins, pas ce matin. Un soleil jaune léchait les acacias décharnés de la rue de Tolbiac. Des passants pressés allaient à leurs occupations. Comme partout ailleurs. Et comme partout ailleurs, les autos roulaient. C’était un arrondissement, un quartier semblable aux autres, avec ses boutiques de commerçants, ses bistrots et sa marchande de journaux, la même bonne femme tirée à presque autant d’exemplaires que sa camelote, enveloppée dans des fichus complètement fichus, le tarin rouge et, sortant des mitaines, des doigts noircis par l’encre d’imprimerie. J’achetai l’édition de cinq heures du Crépuscule et m’en fus la lire au tabac qui fait le coin de la rue Nationale, tout en buvant un jus et broutant un sandwich. Marc Covet ne m’avait pas laissé tomber. Conformément à mes instructions, il avait tartiné, sur la mort de Lenantais, un papier assez important qui se détachait du lot habituel des faits divers. Il en écrivait même plus que je ne lui en avais dit, rappelant l’histoire de faux monnayage dans laquelle la victime d’une “ agression de la part de Nord-Africains, un anarchiste assagi, de son vrai nom Albert Lenantais ”, demeurant passage des Hautes-Formes, avait été compromis. Marc Covet avait dû se renseigner et avait fait bien les choses. Maintenant, il ne restait plus qu’à souhaiter que cela serve, que quelqu’un lise cet article et agisse... Oui, mais qui ? Et agisse comment ? Oh ! pour être lu, ça serait lu. Et peut- être même qu’un lecteur du Crépuscule enverrait la coupure à la Radio, émission Faits divers, et qu’un auteur-maison, d’ici quelques mois, traiterait le sujet, m’apportant la solution après laquelle je courais. Eh bien, ce serait toujours ça. Il ne suffisait que d’être patient.

Je sortis du bistrot pour entrer dans une boulangerie et une crémerie, et je revins passage des Hautes-Formes, porteur de croissants et d’une carafe de lait. Dans la courette, Bélita s’activait, emplissant une poubelle, constituée par un ancien baril à carbure en tôle noire, des fleurs fanées dont j’avais, la nuit précédente, débarrassé le rez-de-chaussée. Son peignoir, ajusté à la diable, faisait plus que laisser deviner ses formes.

img2.png Ce n’est pas le moment de tomber malade, dis-je. Tu n’as pas froid ?

img2.png Non.

img2.png Moi non plus.

Je déposai la bouteille de lait sur le sol, attirai la jeune gitane à moi et l’embrassai goulûment. Un vrai collégien

img2.png Au tabac, au café et au jambon, rigolai-je.

Son visage se durcit. Très bien. Il me faudrait surveiller la qualité de mes plaisanteries. Celle-là ne semblait pas lui plaire. Pas du tout. Elle tenta de se dégager. La tête penchée sur le côté, elle regardait derrière moi, de ses grands yeux écarquillés. Je me retournai.

Les mains au fond des poches d’une veste de cuir craquelé aux pliures, il se tenait de l’autre côté de la grille. C’était un type de ma taille, jeune, avec une assez jolie gueule pour ceux qui aiment le genre carnassier. Des yeux d’un bleu perçant luisaient dans son visage basané. Une moustache frisée décorait sa lèvre supérieure. Un rictus méchant découvrait des dents pointues. Un galurin défraîchi s’inclinait sur son oreille droite, au lobe de laquelle pendait un anneau d’or. Un falzar bleu tire-bouchonnait sur des pompes presque neuves.

Je soufflai :

img2.png Salvador, hein ?

Pour toute réponse, Bélita ferma les yeux. Hier, Dolorès. Aujourd’hui, Salvador. Le diable emporte sa famille. Je fis un pas vers le zigue :

img2.png Qu’est-ce que c’est ? demandai-je.

L’homme ne bougea pas :

img2.png Il faut venir, fit-il.

img2.png Qui ça ? Moi ?

Le gitan ne répondit pas tout de suite. Il me fusilla du regard. Je ne lui chanterais jamais la fameuse chanson. Lui et moi, nous ne serions jamais potes.

img2.png Elle, dit-il, enfin, Isabelita. Alors, ça y est, hé, putain ?

img2.png C’est un mot de passe ?

img2.png Qué mot de passe ?

img2.png Je ne sais pas. Qu’est-ce qui y est ?

img2.png Ta gueule. Il faut venir, Isabelita !

Il ne bougeait toujours pas. C’était un gars qui ne doutait de rien. II s’imaginait qu’il n’avait qu’à ordonner : “ Il faut venir, Isabelita ”, pour que l’Isabelita rapplique aussi sec, comme ça. II y en a, je vous jure !

img2.png Polop, dis-je. Tu vas te casser en vitesse.

img2.png Vous êtes combien ? interrogea-t-il, méprisant. ;

img2.png Au moins deux...

Je sortis mon feu et m’approchai :

img2.png ... Barre- toi, Salvador.

Le soufflant le souffla. Il ne s’attendait pas à celle-là.

II abaissa son regard sur le pétard, le biglant comme s’il n’en avait jamais vu, à moins que l’arme ne lui fit autant d’effet, le moment de surprise passé, qu’une barre de chocolat. Ça encore, c’était possible.

img2.png Ça crache du plomb, expliquai-je. Tu n’es pas arriéré au point de ne pas savoir ça, hein ?

img2.png Enfant de putain, dit-il rageusement.

J’en avais marre, du folklore tzigane. D’abord, c’est surfait. Les mêmes mots, partout, désignent les mêmes choses.

img2.png Quand tu en auras une dragée dans les rotules, dis-je, tu ne pourras plus cavaler après les poulets de grain. Et ne crois pas que je bluffe. Il n’y a pas de témoins, ici...

Les persiennes de la maison voisine étaient obstinément closes. Si quelqu’un se rinçait l’œil derrière, d’abord sur Bélita en peignoir bâillant et maintenant sur notre escarmouche, il ne se manifestait pas.

img2.png ... Pas de témoins. Alors... un coup dans les guibolles, le second en l’air, pour la sommation. Fous le camp, va. C’est la dernière fois que je te le répète, Salvador...

 Il considérait toujours le revolver.

img2.png ... Et pas de connerie. On dirait que tu es en train d’en mijoter une. Arrête-toi à temps puisqu’il paraît que tu sais...

img2.png Oui, je sais...

Ses lèvres tremblaient. Il réfléchit. Ça lui prit du temps. Peut-être n’avait-il pas l’habitude. Enfin, il recula :

img2.png Je me tire, fit-il.

Il se racla la gorge, cracha et s’éloigna. Je ressentis immédiatement comme un étrange malaise. Cette victoire ne me plaisait pas. C’était trop beau. Ça cachait quelque chose, une entourloupe quelconque. Je franchis la grille et le suivis pendant quelques pas, pour le surveiller, le pétard dans ma poche, les doigts autour du canon. Lentement, il se dirigeait vers la rue Nationale. Brusquement, il pivota et me fit face. Ses yeux flamboyaient. Il se ramassa sur lui-même, prêt à bondir. Tant pis pour sa gueule. Je lui balançai un coup de crosse en plein front. Il chancela, rétablit son équilibre et se rua sur moi. Cette fois, il n’était pas seul. Son bras se prolongeait d’une rapière à cran d’arrêt. Encore une journée qui débutait bien. J’esquivai la lame, lui saisis le poignet dans ma main gauche. Nous étions l’un contre l’autre, tendus comme des cordes à violon, mêlant nos haleines. Je lui assenai un coup de crosse sur la main, au risque de la lui briser. Il lâcha sa rallonge. Elle tomba avec sonorité sur les pavés inégaux. Je shootai dedans, afin de la mettre hors de portée de son propriétaire, et elle glissa sous le portail de la remise de Lenantais, chiffons et matériaux divers. Comme ça il n’était pas à la veille de la récupérer.

img2.png Et maintenant, cesse de faire l’andouille, dis-je. On nous regarde.

Deux krouias, désœuvrés comme seuls savent être désœuvrés les krouias, étaient apparus sur le trottoir de la rue Nationale, traînant leurs guêtres, et suivaient avec intérêt les phases de la petite bigorne qui se déroulait dans le passage des Hautes-Formes. Salvador ne désirait pas plus qu’un autre se donner en spectacle. S’il avait eu une guitare, encore ! Mais il n’en avait pas. Il grogna, me repoussa violemment, m’envoyant dinguer contre le portail de l’entrepôt, prit ses jambes à son cou et disparut. Les sidis parurent déçus. Je m’ébrouai et rejoignis Bélita en vitesse. Maintenant que le Salvador savait que je couchais avec la Gitane, il n’allait pas falloir s’éterniser dans le coinsto. Le Salvador reviendrait certainement et pas seul. Quelle bande de cloches, avec leurs histoires de race ! Je me demande ce qu’on a reproché à Hitler.