VII
« EN PASSANT PAR LA LORRAINE »
L’Alsace et la Lorraine
Depuis plusieurs années, l’évêque de Toul, frère du duc Charles IV de Lorraine, Nicolas-François, empêche les levées des décimes dans son diocèse. Il a concédé l’impôt pour une durée de cinq ans à son aîné, qui cherche à obtenir la perpétuité de la concession[1]. Le roi de France n’a, bien sûr, pas été informé des transactions. Richelieu ne peut accepter ce qu’il considère comme un camouflet, car Louis XIII revendique, comme ses prédécesseurs, un droit de regard sur les bénéfices ecclésiastiques et les temporels des évêques du royaume et de Lorraine.
Une autre personnalité lorraine est depuis longtemps hostile à la France : l’évêque de Verdun, François de Lorraine-Chaligny, lui aussi apparenté à Charles IV. Il s’est vivement opposé à la construction de la citadelle imposée à la cité par Henri IV et mise en oeuvre par le maréchal de Marillac. Un Mémoire pour M. l’évêque et comte de Verdun, que François de Lorraine-Chaligny fait rédiger pour défendre ses intérêts et prérogatives, ajoute encore un peu d’huile sur le feu[2]. L’évêque bénéficie traditionnellement du droit de régale sur les bénéfices ecclésiastiques de son diocèse (il peut pourvoir aux bénéfices vacants et en percevoir les bénéfices jusqu’à l’entrée en fonction du nouveau titulaire choisi par lui) et des droits de basse, moyenne et haute justice. Lors de la dernière épidémie de peste qui touche la ville de Verdun, les officiers du roi contestent cependant les droits de police détenus par François de Lorraine-Chaligny. L’évêque, en effet, par peur de la contagion, interdit une foire, mais les hommes de Louis XIII interprètent la décision comme un attentat à l’autorité royale. Les incidents se multiplient et l’évêque de Verdun porte l’affaire devant le parlement de Paris en 1632, espérant que l’assemblée révoque les officiers du roi.
On comprend l’agacement de Richelieu et de Louis XIII face aux procédés mis en oeuvre autant par le duc de Lorraine lui-même que par son entourage, car Charles IV ne respecte pas plus les clauses du traité de Liverdun que celles du traité de Vic. Il cède bien les places promises, mais élude ses autres engagements. Au cours de l’été 1632, il ne cesse de se plaindre du serment de fidélité que doivent prêter au roi les habitants de Clermont, Stenay et Jametz et, plus grave, se dérobe à l’engagement de joindre ses troupes à celles du maréchal d’Effiat reparti à Trèves. Le 7 septembre, injonction lui est faite de fournir les contingents promis. Le duc de Lorraine se résout enfin à sacrifier un effectif de 761 hommes, répartis en quatre régiments. Il sait qu’il n’a plus rien à attendre de la chevauchée du Languedoc et que Louis XIII ne peut que lui tenir rigueur du mariage de Marguerite. Charles IV se désolidarise de la cause de Monsieur. Son pragmatisme le détourne de vaines espérances alors que les Suédois font leur apparition en Alsace et que son beau-frère courtise publiquement la fille d’un seigneur des Flandres, Bianca Colonna[3].


Jusqu’à la naissance du dauphin en 1638, le danger représenté par l’instabilité de Monsieur et par la duplicité du duc de Lorraine ne cesse de préoccuper Richelieu. La menace est celle de voir le trône de France passer au duc d’Orléans ou sous la coupe de la famille de Lorraine. Le roi de France et le cardinal accordent une importance considérable à la réfutation des prétentions dynastiques de la famille ducale. Le mythe de l’ascendance carolingienne est battu en brèche par Théodore Godefroy et la légitimité de Charles IV fait l’objet de longues investigations[4].
À l’automne 1632, la France se ménage un soutien indirect dans les affaires de Lorraine en la personne, décidément incontournable, de l’archevêque de Trèves. Après lui avoir offert l’aide militaire, Richelieu prend la défense de ses prérogatives spirituelles et temporelles sur les États lorrains, malgré les querelles bénéficiales à Metz, Toul et Verdun et la substitution à la chambre impériale de Spire, qui jugeait en dernier ressort bon nombre de conflits lorrains, de la juridiction française. Depuis de nombreuses années opposé à l’érection d’un siège épiscopal à Nancy, Philippe-Christophe von Soetern apprécie peu la monopolisation de la primatiale par la famille ducale depuis sa création trente ans plus tôt. Or le duc de Lorraine et le cardinal son frère tentent aussi d’imposer leur candidat à la coadjutorerie de l’évêché de Toul, vacante au mois d’octobre. On comprend mieux l’enjeu de la querelle quand on sait que le coadjuteur administre le temporel de l’évêché et en tire de substantiels revenus.
Par ailleurs, Charles IV persiste à se dérober à l’hommage lige qu’il doit au roi de France pour le Barrois mouvant et n’hésite pas à donner l’ordre de se disperser aux hommes envoyés au maréchal d’Effiat. Les troupes que le duc de Lorraine s’ingénie à lever dans les duchés, malgré l’interdiction qui lui a été faite, rejoignent l’armée de l’empereur ou celle du roi d’Espagne. Pendant trois mois, Montecuculli, au service de Ferdinand II en Haute-Alsace, et le général Bentivoglio, à la solde de Philippe IV, recrutent même directement sur les terres lorraines !
Les intérêts de Charles IV et de Ferdinand II ne sont pourtant pas toujours concordants, surtout en Alsace. En 1624, l’archevêque Léopold a démissionné du siège épiscopal de Strasbourg. François de Vaudémont a alors réclamé le bénéfice pour son cadet, Nicolas-François, mais Ferdinand a fait élire son propre fils puîné, Léopold-Guillaume. En janvier 1630, à la suite des progrès opérés par les Français à ses dépens, Charles IV a envoyé à Vienne un conseiller pour réclamer la forteresse alsacienne d’Herrenstein. La remise de la place au duc de Lorraine empêcherait l’avancée du système de protection que la France est en train de mettre en oeuvre. Herrenstein est partagée depuis plusieurs années entre l’évêché de Metz, la ville de Strasbourg et le comté de Hanau. L’empereur refuse d’accorder la place au duc de Lorraine. Mais, à la fin de l’été 1632, les Suédois arrivent en Alsace.
Charles IV, inquiet pour ses ambitions et pour ses possessions, sollicite à la fois la protection de Ferdinand II et des garanties de Louis XIII. Les soldats de Gustave-Adolphe assiègent Benfeld, sur la route de la Haute-Alsace et de Brisach. La forteresse dépend de l’évêché de Strasbourg. C’est alors que l’évêque, le comte de Salm (administrateur de l’évêché) et la cour de Vienne demandent à leur tour au duc de Lorraine de leur prêter secours. Charles IV ne peut se mêler directement de l’affaire en raison du danger représenté par les Suédois pour ses propres États et des traités qui le lient avec la France. Il préfère détourner la protection française à son avantage en intriguant auprès des Suédois pour obtenir une neutralité qui leur serait imposée par l’alliance avec Louis XIII. Dans le même temps, il réclame à Léopold-Guillaume la place de Saverne et montre à Ferdinand II que la perte de Benfeld entraînerait inévitablement celle d’Haguenau, de Saverne, de Colmar et de Brisach. À la crainte exprimée par les conseillers de l’évêque de Strasbourg que Charles IV ne veuille s’installer définitivement dans les villes qu’il réclame, le duc de Lorraine a l’habileté de répondre qu’en tant que prince d’Empire, son devoir est simplement de soutenir l’évêché de Strasbourg.
Le 8 novembre, Benfeld capitule. Charles IV cherche aussitôt à obtenir de Gustave Horn la reconnaissance de la neutralité lorraine pour Saverne et Dachstein. Il pousse même la forfaiture jusqu’à demander la remise des places dépendant de l’évêché de Strasbourg en échange d’une aide militaire contre les Impériaux et réclame à Léopold-Guillaume que Saverne soit placée sous protection lorraine. La régie de Strasbourg n’est pas dupe et envisage sérieusement de recourir à la protection française. Seule la prise de Colmar par la Suède précipite les décisions : Charles IV obtient de Ferdinand II et de son fils, impuissants à défendre leurs intérêts, la protection de Saverne et de Dachstein, avec une autorité militaire sans limites.
Moins d’une semaine plus tard, le 16 novembre, l’armée impériale, commandée par Wallenstein, est encore une fois battue à plate couture par Gustave-Adolphe à Lützen. La victoire suédoise est cette fois bien moins éclatante qu’à Breitenfeld, le souverain Wasa trouve la mort lors de l’engagement. La France perd un allié précieux quoique encombrant[5]. La fille du défunt, Christine, n’a que six ans : la régence du royaume de Suède est confiée au chancelier Oxenstern.


Alors que François de Vaudémont vient lui aussi de s’éteindre, Charles IV de Lorraine apparaît plus que jamais comme l’élément perturbateur et déstabilisateur de la région rhénane. Pour Richelieu, il est plus que temps de mettre un terme aux agissements du duc. Ses choix diplomatiques et militaires constituent une véritable provocation. En tant que vassal, son attitude rend la saisie du fief légitime. À ces éléments viennent encore s’ajouter le mariage de Gaston et de Marguerite, ainsi que le non-respect des traités de Vic et de Liverdun. Les charges sont lourdes. Le duc de Lorraine est d’autant moins pardonnable que les places alsaciennes de Haguenau, Colmar et Sélestat lui sont concédées par Ferdinand II en échange de troupes fraîches. Richelieu et Louis XIII ne peuvent accepter un camouflet de plus. Ils décident de concentrer leurs objectifs sur la capitale ducale, Nancy, redoutable point stratégique entre la Marne et le Rhin. Des contacts sont pris avec Wallenstein et un émissaire français, le baron du Hamel, est dépêché à Prague. Le piège se referme sur le duc de Lorraine.
Le parlement de Metz
Le parlement de Metz voit le jour le 15 janvier 1633, deux mois après la bataille de Lützen. Il est conçu comme une instance judiciaire supérieure, placée au-dessus des justices de la ville et de l’évêque. Il met fin à l’autonomie judiciaire que l’Empire réservait jusque-là à la cité messine et permet à Louis XIII d’étendre sa souveraineté. Le ressort de la nouvelle cour de justice couvre en effet l’ensemble des Trois-Évêchés et les « pays adjacents », c’est-à-dire les villes de Metz, Toul, Verdun, Vic, Moyenvic, Gorze, Mouzon, Beaumont-en-Argonne, Château-Renaud et Mohon, ainsi que leurs dépendances. Quant aux compétences du Parlement, elles s’étendent sur toutes matières civiles et criminelles, comme au parlement de Paris[6].
Dès la parution de l’édit d’institution, les offices attachés à la nouvelle cour sont mis en vente et attirent les membres les plus influents de la cour et du gouvernement de Louis XIII. Les plus dignes représentants des grandes familles parisiennes tentent d’obtenir des charges pour leurs enfants, parents ou alliés. Les finances des offices s’élèvent globalement à trois millions de livres en 1633. La composition du parlement de Metz est le reflet de la stabilité et de la considération que le roi de France souhaite conférer au nouvel établissement. Bien que certaines charges soient réservées aux Lorrains, Louis XIII et Richelieu ont la volonté de ne recourir qu’à d’éminentes personnalités. L’enjeu se situe au niveau le plus haut du fonctionnement de l’État monarchique. Il s’agit d’étendre la souveraineté du roi à de nouveaux territoires, d’organiser une annexion de fait, d’établir un bastion français inexpugnable au coeur des pays lorrains et des duchés de Charles IV. L’importance revêtue par le nouvel établissement est telle que l’installation de la cour a lieu avant même que toutes les charges créées ne soient levées.
Le 7 juillet 1633, Louis XIII nomme officiellement les commissaires chargés de procéder à l’établissement de la cour de justice de Metz. C’est Antoine de Bretagne, en tant que premier président, qui est chargé de mener à bien la procédure. Le pouvoir absolu des évêques de Toul et de Verdun dans leur diocèse, ainsi que l’autorité de l’évêque de Metz, indépendante du pouvoir municipal, sont réduits à néant. L’établissement d’une cour souveraine de justice annihile également les hautes juridictions des maîtres-échevins, tout comme les petites justices souveraines tenues en franc-alleu et ne ressortissant d’aucun tribunal supérieur, même pas de la chambre impériale de Spire. Sa première décision prévoit symboliquement la suppression du conseil du maître-échevin de Metz. Le droit de vie et de mort est désormais exercé par le Parlement. Le droit de grâce ne doit plus non plus rester à la disposition des maîtres-échevins, des évêques et de certains hauts justiciers. L’établissement français a pour avantage de supprimer un moyen fréquemment utilisé pour rançonner les innocents et vendre l’impunité aux coupables. La colère des bénéficiaires lésés est facilement imaginable. L’exploitation du droit de justice souveraine et de grâce est essentielle pour les seigneurs qui le possédaient. L’abolition du droit de justice entraîne pour les possesseurs de ces seigneuries une perte qui peut s’évaluer à la moitié de leurs revenus ! D’autres mesures suivent rapidement, qui complètent la nouvelle institution et achèvent de dresser les opinions contre lui.
Au mois de septembre 1633, un nouvel édit royal instaure un impôt sur le sel de cinq sols sur chaque pinte de sel pour payer les gages de la nouvelle cour. Il s’étend à tout le ressort du parlement de Metz, qui en organise la perception. Or, jusque-là, le commerce du sel était entièrement libre dans les Trois-Évêchés. La taxe est particulièrement impopulaire, à une époque où la guerre et les épidémies font rage. Au mois de mai 1634, des commissaires de la cour de justice sont dépêchés dans le duché de Lorraine pour étendre sa juridiction et faire admettre l’impôt sur le sel. Les ducs de Lorraine, possesseurs des salines, bénéficiaient jusque-là du monopole sur le commerce du sel. Ils puisaient leurs revenus à la production et non sur le transmis, sans porter atteinte aux intérêts et aux finances de leurs sujets. L’impôt du roi est directement préjudiciable aux Évêchois et aux Lorrains et compromet les exportations des salines vers l’Italie et l’Allemagne, en raison de la hausse des prix inévitable qui doit découler de l’impôt. En juin, Louis XIII préfère différer les mesures financières prévues. En septembre, elles sont définitivement reportées.
Mais la première difficulté à laquelle se heurte la cour de justice est sans aucun doute la guerre. Au moment de l’installation du parlement de Metz, les Trois-Évêchés et les provinces qui les entourent sont dévorés par les luttes armées et par la peste. En 1632 et 1633, plus de deux mille personnes trouvent la mort dans la ville de Toul. Nancy enregistre vingt-cinq à trente décès par jour à la même époque.
La création du parlement de Metz constitue une première étape dans la politique de Richelieu visant à intégrer la Lorraine, au sens large du terme, au royaume de France. Les Trois-Évêchés ne sont pas seuls concernés. Les incidents suscités par l’établissement de l’impôt sur le sel en témoignent. L’objectif poursuivi par le cardinal-ministre vise autant Metz, Toul et Verdun que les duchés de Lorraine et de Bar. Les événements de 1633-1634 le confirment. Il ne s’agit plus de conforter la protection française sur les terres évêchoises, mais de s’emparer des États de Charles IV pour sécuriser les marges orientales du royaume, et se ménager des têtes de pont sûres vers l’Empire et les principautés allemandes. Il s’agit d’éliminer un adversaire secondaire pour mieux affronter l’adversaire principal, la famille de Habsbourg.
En février 1633, Louis XIII décide la tenue à Liverdun d’une conférence pour régler les différends féodaux et territoriaux qui opposent la France et la Lorraine. Charles IV fortifie déjà les villes importantes de son duché, Nancy, Lunéville et Pont-à-Mousson. Durant les premiers jours de mai, les espions de Richelieu observent que les courriers de Charles IV envoyés à Bruxelles empruntent des chemins de traverse, déguisés en paysans[7].
Au mois de juin, le duc de Lorraine voit ses efforts, et surtout ses intrigues, définitivement récompensés. Avec l’accord de l’empereur, l’évêché de Strasbourg dépêche le comte de Salm à Nancy pour placer sous la protection de Charles IV les forteresses de Haguenau et de Hohbar, ainsi que leurs dépendances. La Suède elle-même admet la tutelle lorraine sur Saverne, Dachstein, Haguenau et Hohbar, accorde le principe de neutralité. Oxenstern peut considérer que la place de Haguenau est aux mains d’un ami, ce qui lui épargne un siège long et difficile[8]. Le duc de Lorraine achève pourtant de mettre ses États sur le pied de guerre. Dans le courant de l’été, il n’hésite pas à accueillir les ennemis de la Suède dans Dachstein et Saverne, et y organise des préparatifs de guerre.
Richelieu ne manque pas d’observer l’opposition fondamentale entre les intérêts de Charles IV et ceux de la reine Christine. La France est officiellement alliée à la Suède et renouvelle ses engagements à Heilbronn au mois d’avril. Son devoir est de ramener la Lorraine à la raison. Les motifs de mécontentement de la France à l’égard de la Lorraine sont désormais trop nombreux.
La saisie féodale du Barrois
Dans un premier temps, Louis XIII et Richelieu décident de faire pression sur Charles IV pour le ramener à la discipline énoncée et acceptée à Liverdun, tout en faisant en sorte que les Suédois n’entrent pas en Lorraine. Or, à la mi-juillet 1633, Charles IV avertit Louis XIII qu’il se prépare à affronter la menace suédoise. Le duc de Lorraine ne fait que bafouer une énième fois les engagements pris en janvier et en juin 1632. Il approche ses régiments de Saverne dans la perspective d’une intervention en Alsace et reçoit des émissaires venus de Bruxelles, de Munich et de Cologne. Charles IV cherche à obtenir des Suédois qu’ils lèvent le siège d’Haguenau où la garnison impériale est bloquée. À la fin du mois de juillet, il demande au général Birkenfeld, qui dirige l’investissement, que la place soit remise à Ferdinand II. Le duc de Lorraine espère que l’autorité impériale reconnue, son suzerain lui en sera reconnaissant et remettra la place sous la protection lorraine. Dans le même temps, une puissante armée espagnole se rassemble en Italie pour rétablir l’autorité de Philippe IV et de l’empereur sur le Haut-Rhin.
Le 9 août, les soldats de Charles IV quittent Saverne pour intervenir directement à Haguenau. Le lendemain, les Lorrains rencontrent les régiments suédois devant le village de Pfaffenhofen : Birkenfeld et l’infanterie allemande au service d’Oxenstern, commandée par le général Rantzau, prennent le dessus. Les Lorrains subissent une défaite et des pertes humaines considérables[9]. Louis XIII, comme le chancelier suédois, ne peuvent plus tolérer la duplicité et la mauvaise foi de Charles IV[10].
Le 30 juillet 1633, avant même la déconfiture du duc de Lorraine, le parlement de Paris a arrêté la saisie du Barrois. La confiscation du fief a été prononcée parce que Charles IV n’a pas rendu foi et hommage au roi de France comme il s’y était engagé. La décision judiciaire a, en outre, bien précisé que le duc de Lorraine, ravalé au rang de prince consort, ne tenait ses droits que de sa femme. Sont concernés le Barrois mouvant, mais aussi le Barrois non mouvant. Le parlement de Paris n’a aucun pouvoir ni légitimité à légiférer sur cette seconde partie du duché de Bar. La saisie du Barrois, dans son intégralité, n’en est pas moins commise à Samuel de La Nauve[11], tandis que Louis XIII s’avance en personne vers la Lorraine pour donner à l’officier les moyens d’agir.
Le 14 août, le roi de France ordonne au gouverneur militaire des Trois-Évêchés, le marquis de Saint-Chamond, de placer ses troupes entre Nancy et l’armée lorraine, qui se trouve en Alsace[12]. C’est alors que survient la déroute de Charles IV à Pfaffenhofen. Louis XIII modifie aussitôt ses instructions afin de se garantir la mainmise sur Nancy et interpose les troupes de Saint-Chamond entre la capitale ducale et l’armée suédoise[13]. Fin août, l’arrêt de saisie du Barrois est affiché dans la ville même de Bar. Fait d’une grande rareté, la saisie et l’annexion au royaume de France se déroulent sans réelle opposition. Après Pfaffenhofen, Charles IV n’en a d’ailleurs plus les moyens militaires. Si la soumission du Barrois est une étape essentielle pour la sécurisation de la région, la prise de Nancy semble davantage occuper les esprits de Louis XIII, de Richelieu et de Charles IV.
Le siège de Nancy
La place a les moyens de résister grâce à une artillerie puissante. Le plan militaire français prévoit le regroupement des forces françaises près de Châlons-sur-Marne. C’est là que le roi est rejoint, dès la fin du mois de juillet, par Alphonse d’Elbène. L’évêque d’Albi, compromis dans la chevauchée de Languedoc, est chargé par Monsieur d’annoncer à Louis XIII qu’il est prêt à lui donner satisfaction, mais doit aussi avouer, de vive voix et directement, le mariage avec la princesse Marguerite.
L’attaque directe de la Lorraine par les contingents français, par l’ouest, doit intervenir au moment où le marquis de Saint-Chamond, venant de Metz, atteindra Nancy. La seule issue offerte à Charles IV est celle des pourparlers. Craignant pour la sécurité de sa personne, le duc préfère déléguer au roi de France son frère Nicolas-François, dans l’espoir de gagner du temps[14]. Louis XIII accepte de recevoir le cardinal de Lorraine à Château-Thierry, mais le renvoie impitoyablement à Richelieu pour toute proposition émise au nom de Charles IV.
Le cardinal présente la liste des manquements du duc aux traités de Vic et de Liverdun : Nicolas-François de Lorraine ne peut que déclarer ne pas y avoir participé. La question du mariage de Monsieur est également évoquée. Le frère de Charles IV est contraint d’avouer officiellement, au nom de la famille ducale, l’union de sa soeur. Il nie cependant la consommation, que d’Elbène, de son côté, n’a pas de scrupules à évoquer. Il confirme également les liens de son frère avec les Espagnols. Le cardinal de Lorraine, pour apaiser le courroux du roi de France, ne peut que se retrancher derrière le droit féodal qui oblige d’abord le duc de Lorraine vis-à-vis de l’empereur, puis proposer des demi-mesures : prêter hommage pour le Barrois au nom de son frère ; la dissolution du mariage, alors que Charles IV ne peut s’y engager à la place de Monsieur ; la remise de Saverne et de Dachstein. Richelieu rétorque immédiatement « que la rupture du mariage n’estoit pas en la disposition de M. de Lorraine » et que seule la reddition de Nancy pourrait satisfaire le roi, accompagnée de l’hommage au nom de la princesse Nicole[15]. La médiation du cardinal de Lorraine paraît bien maladroite au regard des enjeux discutés, l’indépendance et la souveraineté des duchés. Et Richelieu n’hésite plus à exprimer les prétentions françaises sur l’ensemble des États de Charles IV.
Face aux réponses obtenues de Richelieu, Nicolas-François préfère retourner à Nancy pour consulter son frère. Le 23 août, Louis XIII lui accorde personnellement une audience à Saint-Dizier, mais réclame encore Nancy comme garantie de la bonne foi du duc de Lorraine à vouloir la paix. Le cadet de Lorraine sollicite alors la main de Mme de Combalet, et propose que le commandant lorrain de la place de Nancy, le marquis Henri de Mouy, premier prince lorrain du sang, prête serment de fidélité au roi[16]. Charles IV et la princesse Nicole n’ayant pas d’héritier, les enfants nés de l’union de Nicolas-François de Lorraine et de la nièce de Richelieu deviendraient les héritiers de la Lorraine. Le cardinal-ministre refuse le mariage qui lui est proposé. Son interlocuteur surenchérit en s’offrant en otage de la foi de son frère et en se proposant lui-même à prêter serment de fidélité au roi. Il n’est pas davantage écouté.
Pour sauver ses possessions et assurer sa propre sécurité, le duc de Lorraine laisse alors la défense de Nancy au marquis de Mouy et se retire dans les montagnes. Il envoie une nouvelle fois le cardinal de Lorraine auprès de Louis XIII. Les deux hommes se rencontrent à Pont-à-Mousson. Nicolas-François de Lorraine transmet le consentement de Charles IV à livrer Saverne, Dachstein, la forteresse de La Mothe, et leur soeur Marguerite, jusqu’à ce que le destin du mariage soit fixé. Le duc de Lorraine s’engage à ne plus entrer dans Nancy, que son porte-parole offre même de remettre au pape, et à ne plus intervenir dans l’administration des duchés. Richelieu est déterminé à perdre totalement le duc. Il campe sur une position intransigeante et s’obstine à réclamer Nancy. Les négociations sont dans une impasse. Le cardinal de Lorraine retrouve son frère réfugié dans le Val d’Ajol, où, conseillés par Pierre Fourier, curé de Mattaincourt, tous deux envisagent que l’aîné cède ses États au cadet pour vaincre les scrupules de Richelieu[17].
À la fin du mois d’août 1633, Richelieu et le roi viennent reconnaître les fortifications de Nancy dans la perspective du siège. La ville est totalement isolée. Les ponts sur la Meurthe et la Moselle ont été coupés par les Français jusqu’à Pont-à-Mousson. Seuls ceux de Frouard et de Gondreville ont été conservés pour permettre le passage vers la France. Les armées du roi réduisent une à une les places fortes et châteaux qui pourraient porter secours à la capitale ducale. Une longue circonvallation, de plus de vingt kilomètres de long, est érigée autour de Nancy, avec tranchées et fortins. Plus de six mille soldats et mille deux cents paysans travaillent à l’édification de l’ouvrage. Les uns sont requis sur place, les autres sont recrutés en Champagne. Le quartier général de Louis XIII est installé à La Neuveville.
À l’intérieur de Nancy, l’armée lorraine est composée d’environ trois mille fantassins et deux cents cavaliers. En quittant sa capitale, Charles IV a recommandé au marquis de Mouy de ne pas nuire aux négociations par un acte d’hostilité. Le duc redoute sans doute une initiative malheureuse de sa soeur Henriette, qui prend une part active à la défense de la ville, et cherche à gagner du temps dans l’hypothétique espoir de recevoir des renforts espagnols, italiens ou allemands.
Richelieu déclare désormais ne rien pouvoir conclure avant que le duc de Lorraine n’ait remis Marguerite et Nancy entre les mains de Louis XIII. Mais, le 4 septembre, le cardinal de Lorraine organise la fuite de sa soeur cadette, déguisée en homme, dans son propre carrosse. Dans des conditions rocambolesques, Marguerite de Lorraine quitte Nancy et part retrouver Gaston d’Orléans à Bruxelles[18]. La fureur du roi de France est à son comble, Richelieu lui-même ne s’est pas méfié. Puis Nicolas-François, nanti des pouvoirs requis, engage les préliminaires d’un nouveau traité, celui de La Neuveville.
Les traités de La Neuveville et de Charmes
Charles IV promet de se conformer à l’alliance française et d’éloigner ses troupes si le chancelier Oxenstern s’obligeait à épargner la Lorraine. Il s’engage à livrer la ville de Nancy au roi jusqu’au rétablissement de la paix en Allemagne, ou jusqu’à ce que le mariage de Gaston d’Orléans et de la princesse Marguerite « soit déclaré nul par voies légitimes et valables ». La soeur de Charles IV doit être confiée à la cour de France. Il est encore prévu que la ville de Bar reste entre les mains du roi jusqu’au serment de foi et hommage auquel Charles IV s’est soustrait. Le destin de Marsal, Stenay et Jametz est lié à la fidélité du duc de Lorraine envers ses engagements passés. Nicolas-François de Lorraine pourrait résider dans la vieille ville de Nancy, en tant que gouverneur, en compagnie de cent hommes de garde. Enfin, au cas où la guerre en Allemagne durerait plus de quatre ans, la capitale ducale serait rendue à son ancien détenteur.
Le 13 septembre, Louis XIII tente une première fois d’entrer dans Nancy, dont le gouverneur lorrain lui refuse l’accès. La cour est d’autant plus contrariée qu’à cette époque le duc de Feria se dirige vers Constance, en violation du traité de Monçon. Quant à Wallenstein, il fait savoir à Charles IV qu’il est hors de question qu’il lui fournisse des secours, tout en lui attribuant la responsabilité de la défaite de Pfaffenhofen.
Dans la nuit du 14 au 15 septembre 1633, deux arches du pont de Malzéville sont détruites par les Français. Le bétail est confisqué par l’assiégeant tandis que la crainte de la famine gagne les assiégés. Les 16 et 17, l’artillerie lorraine réplique et bombarde à son tour les positions françaises. Le roi de France envoie le maréchal de La Force et son lieutenant Camprémy occuper respectivement Épinal et Mirecourt. À cette époque, Charmes s’est rendu au comte de La Suze. Outre Condé-sur-Moselle, des garnisons françaises sont installées dans les châteaux de La Chaussée, Conflans-en-Jarnisy, Trongnon, Mars-la-Tour, Preny, Bouconville et Mandres-aux-Quatre-Tours. Charles IV ne peut plus ni tergiverser ni se soustraire à ses responsabilités.
C’est également le 13 septembre que Charles IV tente une dernière fois d’infléchir les pourparlers en cours avec la France[19]. Il réclame un délai de quatre jours après l’exécution du traité final, pour quitter le pays en toute sécurité. Il sollicite que Saverne et Dachstein restent sous l’autorité de son frère. Le lendemain, la réponse de Louis XIII s’articule autour de trois points :
– les articles demandés sont accordés à condition que Charles IV ne fasse pas de levées de troupes en Lorraine et ne conclue aucune alliance défavorable à la France ;
– le roi s’engage à assurer la sécurité du duc de Lorraine, ainsi que celle de vingt personnes de son entourage, sans y comprendre les gens de guerre ;
– Saverne et l’évêché de Strasbourg pourraient être confiés en dépôt à la France, qui deviendrait ainsi bénéficiaire des acquis obtenus par Charles IV auprès de Ferdinand II[20].


Richelieu et Louis XIII sont parfaitement conscients que le duc de Lorraine ne cherche qu’à sauver sa personne en attendant l’arrivée des Espagnols. Le 14 septembre, ordre est donné au maréchal de La Force d’aller avec une troupe importante à Remiremont pour attaquer les soldats que le duc de Lorraine veut joindre aux armées espagnoles d’Italie ou de Franche-Comté. Charles IV demande alors une entrevue à Richelieu, qui se déroule peu après à Charmes. Les entretiens aboutissent à la reconnaissance des grandes lignes d’un second traité, signé le 26. Des modifications mineures sont apportées au premier : le duc obtient un séjour illimité à Nancy et donne par anticipation son assentiment à la dissolution du mariage de Marguerite par toutes voies compétentes et raisonnables. Charles IV renonce aussi à toute alliance avec la maison d’Autriche. Il est tenu de désarmer dès que le chancelier Oxenstern aura retiré ses troupes des comtés de Saverne et Bouquenom et s’engage à ne rien entreprendre contre la Suède. La saisie du Barrois est maintenue jusqu’à l’hommage de Nicole et de Charles IV. La place de Nancy est par ailleurs déposée entre les mains du roi pour y recevoir une garnison, la place devant être restituée dès l’application des autres clauses.
Le 23 septembre 1633, les troupes lorraines évacuent Nancy. Deux jours après, Louis XIII fait son entrée solennelle dans la capitale de Charles IV[21]. Le 26, le duc fait une courte réapparition pour organiser le transfert de six coffres d’archives du palais ducal dans la forteresse de La Mothe, et mettre à l’abri des convoitises françaises les papiers d’État qu’il estime les plus importants, ceux qui prouvent l’indépendance et la souveraineté des duchés, ainsi que sa légitimité[22].
Le premier gouverneur français de Nancy est le comte Jean de Brassac. Il reçoit la mission non seulement de commander l’armée royale mais aussi de surveiller la famille ducale et la population nancéenne. Le roi de France s’engage à ne pas toucher aux revenus du duché mais se réserve la possibilité de raser les fortifications de Nancy lors de la restitution de la place. La victoire du souverain français est complète. La création du parlement de Metz, la saisie féodale du Barrois, et l’occupation de la place forte de Nancy lui permettent enfin de contrôler l’ensemble de l’espace lorrain et de disposer d’un accès à l’Allemagne. Dès le mois d’octobre, le roi de France et Richelieu regagnent la France. Coïncidence ? Tout comme à l’automne 1632, sur le chemin du retour, le cardinal tombe gravement malade[23].
La souveraineté lorraine
À la fin de l’année 1633, les troupes de Louis XIII contrôlent les routes et de nombreuses places fortes de Lorraine. L’armée et la diplomatie française préparent le régime de protection pour le comté de Salm, Saverne et Haguenau. Charles IV réside à Lunéville ou à Mirecourt. Sommé de venir à Paris rendre foi et hommage pour le Barrois, craignant d’être retenu prisonnier, le duc de Lorraine prétexte des exactions commises par les Suédois pour ne pas se rendre auprès du roi et délègue une seconde fois son frère.
Nicolas-François arrive à Paris le 17 novembre 1633, avec l’espoir d’obtenir la modération des termes des traités de La Neuveville et de Charmes. Richelieu se voit à nouveau proposer le mariage pour sa nièce, mais réclame en contrepartie le duché de Bar et cent mille écus de rentes héréditaires pour Mme de Combalet. Le cardinal de Lorraine surestime le prestige de la maison de Lorraine dans l’esprit de Richelieu et sous-estime ses scrupules à entrer dans la belle-famille de Louis XIII. Il entreprend surtout trop maladroitement et trop prématurément de rattraper ses maladresses récentes. Son séjour à Paris n’est cependant pas vain. Charles IV est dispensé de venir en personne à la cour de France. La jouissance des revenus du duché de Bar saisi lui est accordée, ainsi qu’un délai pour venir prêter foi et hommage. La restitution des places occupées par les Suédois est envisagée.
Or le duc de Lorraine poursuit ses intrigues avec les Espagnols, les Impériaux et Gaston d’Orléans. Une enquête au parlement de Paris est ouverte à propos du mariage de l’héritier du trône avec Marguerite de Lorraine. Quant au projet d’alliance de Nicolas-François avec la nièce de Richelieu, il se heurte à un refus catégorique et sans appel. Le cardinal-ministre répond que Mme de Combalet désire entrer dans les ordres. Le cadet de Lorraine quitte Paris le 20 décembre 1633 et repart sur ses terres pour recevoir la démission officielle de son frère.
Malgré le traité de Charmes, ou plus exactement à cause de lui, Charles IV multiplie les contacts avec ses alliés espagnols. Il se plaint au maréchal de La Force et au comte de Brassac des menaces que font peser les Suédois à la fois sur ses terres et sur sa personne. Les soldats d’Oxenstern, sous les ordres du rhingrave Othon-Louis, se sont avancés jusqu’aux environs de Lixheim. Fin octobre, Richelieu avertit le duc de Lorraine qu’il doit remplir ses obligations et joindre ses troupes à celles du maréchal de La Force. Mais Charles IV continue à tergiverser, et donne le change par l’intermédiaire de Nicolas-François. Pendant le séjour du cardinal de Lorraine à la cour, Richelieu ne cesse de recevoir des avis secrets dénonçant les armements illicites auxquels se livre Charles IV[24]. Ses intrigues avec Monsieur, Bruxelles et l’Angleterre sont mises en exergue. Un corps de cavalerie lorrain commandé par le baron de Mercy se rassemblerait près de Briey et un autre à Fontenoy-le-Château. Le comte de Mérode, à l’appel de Charles IV, s’apprêterait à sortir du Luxembourg et à franchir la Moselle aux environ de Sierck.
En décembre, Richelieu acquiert la certitude que le duc de Lorraine contracte de nouvelles alliances avec la maison d’Autriche[25]. Il est entré en rapport avec le comte d’Emden, gouverneur espagnol de Thionville, par l’intermédiaire d’un certain La Porte. Ce dernier est un ennemi déclaré de Richelieu[26]. Le marquis de Trichâteau est envoyé en Angleterre pour solliciter de Charles ier une diversion sur les côtes françaises. Charles IV conserve enfin l’espoir d’entraîner le duc de Savoie dans une coalition avec l’Angleterre. Il multiplie les intrigues sans suite efficace et son entourage familial le plus proche est divisé. Le duc de Lorraine ne bénéficie que d’un seul appui infaillible, celui de se soeur Henriette. Elle pousse son frère aîné aux résolutions les plus extrêmes et a défendu Nancy jusqu’à la dernière minute. Maîtresse de Puylaurens, elle a lié sa cause à celle de Marguerite. Veuve, elle affiche sa liaison et entre en lutte contre Richelieu, qui l’accuse de fabriquer de la fausse monnaie.
Charles IV et Henriette ont non seulement les mêmes intérêts personnels, mais sont tous deux également attachés à la sauvegarde de la couronne ducale et à l’honneur dynastique dont ils sont les dépositaires. Leur cousine Nicole leur est ouvertement hostile. Elle n’oublie pas qu’elle est la légitime héritière des duchés de Lorraine et de Bar, et que Charles n’est attaché à elle que pour cette raison. Le mariage de Nicole et de Charles demeurant stérile, les manoeuvres du mari lèsent la fille aînée du duc Henri II autant que sa soeur Claude. La cadette est d’autant plus proche de Nicole en cette fin d’année 1633 que son beau-frère projette, contre son gré, de lui faire épouser le duc de Neubourg, Wolfgang-Guillaume, l’un des prétendants à la succession de Clèves et de Juliers[27]. Nicole et Claude choisissent alors de se rapprocher de la France[28]. Les deux soeurs refusent catégoriquement de se laisser enfermer à La Mothe et quittent non sans réticence Nancy pour rejoindre le duc de Lorraine à Mirecourt. Le comte de Brassac entame à cette époque des négociations pour les faire venir à Paris, le roi de France s’engageant à faire valoir leurs droits. Quant au cardinal de Lorraine, la suite des événements montre son habileté à défendre avant tout ses intérêts personnels et une particulière dextérité à leur subordonner les intérêts dynastiques de la couronne ducale.
Dans les derniers jours de 1633, Charles IV arrive subitement à Nancy. Brassac, craignant un coup de main contre la garnison française stationnée dans la capitale ducale, s’attache depuis quelques jours à renforcer la défense de la ville en tenant prêt le canon qui se trouve sur le bastion de Notre-Dame et sur le bastion de Vaudémont. Le duc de Lorraine, en constatant le renforcement de la défense française, interprète les mesures prises par le gouverneur comme les préparatifs d’un attentat contre sa personne. Il préfère passer une nuit blanche aux aguets et quitte Nancy dès le lendemain[29]. Le 26 décembre, Louis XIII ordonne à Charles IV de placer son armée sous le commandement du maréchal de La Force, de cesser les nouvelles levées de troupes, et lui annonce que sa présence à Nancy n’est plus souhaitée.
Pour Richelieu, le duc de Lorraine n’a plus aucun sujet de plainte. À la suite des démarches du cardinal de Lorraine, Louis XIII a demandé aux Suédois de ne plus ravager les duchés et ordre a été transmis au parlement de Metz de ne pas étendre sa juridiction sur les États de Charles. Le duc de Lorraine obtempère en effet et ne revient plus dans sa capitale[30].
Au début de l’année 1634, le Parlement peut réclamer la cession de territoires lorrains en faveur du roi de France. À cette date, seule la place de Sierck échappe au plan de destruction des forteresses lorraines qu’élabore Richelieu. Située sur la frontière de l’électorat de Trèves et du Luxembourg, au confluent de deux vallées étroites et profondes, celle de la Moselle et celle du ruisseau de Montenach, la forteresse a été construite sur une éminence difficilement accessible, dominant la ville étalée à ses pieds. Sierck est l’une des résidences préférées des ducs de Lorraine. Le promontoire barre la route du Rhin qui suit la vallée de la Moselle. Il constitue un obstacle pour les armées venant de France pour se rendre dans les États allemands. Son intérêt n’a pas échappé aux Français. Le roi souhaite contrôler la place pour surveiller les armées espagnoles stationnées à proximité. Il considère la cession comme une juste compensation à la fuite de la princesse Marguerite dont le traité de Charmes prévoyait l’envoi à Paris.
Le 2 janvier, Louis XIII exige que la place de Sierck soit mise à sa disposition pour deux ou trois mois et s’engage à la rendre telle qu’il la recevra. Le duc de Lorraine sait qu’il ne peut compter ni sur l’empereur ni sur Philippe IV. Il n’a plus les moyens de résister à la volonté du roi et n’a plus qu’à commander au gouverneur lorrain de Sierck, le sieur de Stainville, de laisser entrer une garnison française. Charles IV semble céder au découragement[31]. Il perd non seulement sa capitale, mais également l’une de ses résidences favorites. Il est parfaitement conscient que Louis XIII a désormais les moyens logistiques de faire main basse sur l’ensemble de ses États et d’y imposer la souveraineté française, notamment en matière judiciaire. La cession de Sierck est peut-être également envisagée par le duc de Lorraine comme une concession indispensable, alors que depuis la fin du mois de décembre le roi de France s’est décidé à entreprendre contre lui une action judiciaire au parlement de Paris en même temps que la procédure engagée à propos du mariage du duc d’Orléans. Le motif invoqué est le rapt qui aurait été perpétré à l’encontre de Monsieur par la famille de Lorraine. Charles IV garde encore l’espoir de faire renoncer le roi de France. Dans ce but, il dépêche à la cour le sieur de Villiers, exempt de ses gardes, qui s’était déjà rendu à Paris au mois d’octobre 1633 pour se plaindre des incursions des Suédois. Le 1er janvier 1634, Richelieu transmet ses instructions à Brassac[32] : le gouverneur de Nancy doit se procurer auprès de Charles IV tous les renseignements nécessaires concernant le mariage de Monsieur et de la princesse Marguerite. Il est même chargé de lui arracher des aveux en présence de Claude Gobelin, maître des requêtes ordinaires de l’hôtel, qui a ordre de les enregistrer par procès-verbal. Il doit également réunir les preuves de l’invalidité de la cérémonie, notamment en ce qui concerne la publication des bans. Le 4, une requête est déposée au parlement de Paris : elle demande la permission « d’informer du rapt commis en la personne de Monsieur le duc d’Orléans et de la clandestinité de son mariage »[33].
Richelieu a pour objectif d’obtenir un écrit de Charles IV par lequel ce dernier reconnaîtrait que le mariage de la princesse Marguerite s’est fait sans son consentement, et surtout sans celui de Louis XIII. Le cardinal-ministre pourrait ainsi exhiber la preuve irréfutable de la réalité d’un mariage, qui aurait été célébré hors la loi. À défaut d’un écrit, un témoignage verbal, dans le même sens, enregistré par Gobelin, pourrait servir la cause du roi dans la procédure judiciaire lancée au parlement de Paris. Le cardinal-ministre tente de manipuler le duc de Lorraine en faisant abstraction de toute considération religieuse et sacramentaire. La tâche confiée au comte de Brassac est ardue[34]. Retenu à Nancy, ce dernier charge un de ses lieutenants, M. de Miraumont, de régler l’affaire.
Ce même 10 janvier, le duc de Lorraine met ses troupes en marche dans la direction d’Épinal pour les faire sortir de Lorraine. Des nouvelles instructions sont envoyées au gouverneur de Verdun afin qu’il voie Charles IV le plus rapidement possible. Brassac dépêche alors auprès du duc le sieur du Carnet pour obtenir un rendez-vous. Charles IV se sent menacé. Le marquis de La Force, fils du maréchal, s’avance de l’électorat de Trèves vers l’Alsace pour couper le chemin au comte de Salm, sorti de Haguenau. L’administrateur de l’évêché de Strasbourg souhaite se retirer vers Brisach. Le marquis de La Force s’oppose non seulement à sa retraite, mais l’oblige à un repli au château du Hohbar et à capituler. Le 31 janvier 1634, le comte de Salm signe un traité par lequel il s’engage à livrer à Louis XIII les places de Haguenau et de Saverne. Charles IV est encore persuadé que le mouvement du marquis de La Force est dirigé contre lui ; il décide de quitter ses États.
Quelques jours plus tôt, le 19, le duc de Lorraine a signé un acte d’abdication en faveur de son frère[35]. Le cardinal Nicolas-François a accepté la passation de pouvoir par une déclaration datée du même jour. Le duc de Lorraine démissionnaire quitte aussitôt Mirecourt pour un pèlerinage à Notre-Dame de Sion et fait savoir à Brassac qu’il ne peut le recevoir. Entouré de nobles, de seize cornettes de cavalerie et de deux mille hommes de pied, Charles IV gagne la ville de Thann, puis passe le Rhin à Brisach[36]. L’abdication est ratifiée par Nicole de Lorraine. Les motifs du geste de Charles IV restent obscurs : lui était-il impossible de vivre dans un pays occupé par l’ennemi ? L’abdication est-elle pour lui le seul moyen de sauver l’indépendance des duchés face à la France ? L’appel de l’aventure a-t-il été le plus fort ?
Charles IV se prépare à un long voyage, tandis que la rumeur d’un mariage du nouveau duc en titre avec la princesse Claude s’affirme.
Richelieu est rapidement informé de l’abdication. Il ne s’oppose pas immédiatement au changement mais évite de reconnaître le nouveau duc de manière formelle[37]. Les deux frères disposent des duchés comme bon leur semble, confondant domaine privé et domaine public associés à la couronne, considérant comme acquis le principe de succession en ligne masculine. Richelieu contraint d’abord Nicolas-François de Lorraine à soumettre l’acte d’abdication de son frère à Louis XIII. Puis il déclare le nouveau duc solidaire des promesses de Charles IV. Richelieu rappelle que l’essentiel aux yeux de la France est l’application du traité de Charmes. Il exige à nouveau la dissolution du mariage de Marguerite. Surtout, le ministre de Louis XIII conteste la validité du transport de souveraineté entre deux princes qui ne peuvent être considérés ni comme possesseurs ni même comme usufruitiers des duchés de Lorraine et de Bar puisque la princesse Claude deviendrait héritière du duché si Nicole mourait sans enfant. Pas plus que la cession de 1625, Richelieu ne peut accepter le transport de 1634. Le procédé a permis une première fois à Charles IV de confisquer à son profit la souveraineté sur les duchés de Lorraine et de Bar. Reconnaître la validité du transport opéré en faveur de Nicolas-François de Lorraine reviendrait à entériner la validité de la cession de François de Vaudémont en faveur de son fils aîné et à confirmer l’éviction définitive des princesses Nicole et Claude de Lorraine. Le roi de France et son ministre préfèrent traiter le nouveau duc de Lorraine en simple particulier. Défense lui est faite de recevoir le serment de fidélité des officiers de justice et de l’hôtel de ville de Nancy. Le gouverneur a ordre de ne pas l’appeler « Altesse ». Nicolas-François est cependant beaucoup plus habile que ne le laissent penser les apparences. La démission apparaît vite comme un leurre.
Le cardinal de Lorraine n’a reçu que les ordres mineurs et peut retourner à l’état laïc. Au début de l’année 1634, il renonce définitivement à son projet d’union avec Mme de Combalet. Pour renforcer ses droits et éviter les désavantages d’une alliance de la dernière héritière du duché de Lorraine avec un prince français, il offre le mariage à sa cousine Claude. Le 17 février, en tant qu’évêque de Toul, Nicolas-François s’octroie les dispenses de parenté et de bans nécessaires au mariage avec sa cousine germaine. Il renonce aux dignités d’évêque et de cardinal. Le lendemain, il convole avec la princesse Claude. La cérémonie nuptiale est célébrée par un chanoine de l’abbaye Saint-Remi de Lunéville, en présence de la princesse Nicole et de quatre témoins. L’union est aussitôt consommée afin qu’elle ne puisse être défaite.
Sur le chemin de retour vers la capitale du duché, la cour lorraine est arrêtée par les troupes françaises. Le duc et la duchesse, la princesse Nicole et la princesse de Phalsbourg sont gardés à vue au palais ducal. Jugeant Nancy peu sûre pour la surveillance de la famille ducale, le comte de Brassac demande de nouvelles instructions à Paris[38]. Le 24 février, Louis XIII répond en insistant sur l’attention à porter à la princesse de Phalsbourg, qui aurait l’intention de se rendre en Flandres. Le roi demande au comte de Brassac de l’empêcher de sortir de Nancy. Il ordonne ensuite au gouverneur de négocier, en compagnie de Claude Gobelin, avec le nouveau duc de Lorraine à propos du mariage de la princesse Marguerite. Louis XIII complète enfin ses directives en donnant l’autorisation au comte de Brassac de laisser sortir Nicolas-François de Nancy et de retenir « civilement » Nicole et Claude de Lorraine[39]. Le 6 mars, à la grande honte du comte de Brassac, et malgré les dispositions prises, Henriette de Lorraine parvient à s’échapper de Nancy, cachée dans le carrosse de Broons, écuyer du prince de Phalsbourg, gouverneur de Damvillers et d’Yvoy[40]. Elle gagne rapidement la Franche-Comté. Dans la nuit du 31 mars au 1er avril, Nicolas-François et son épouse parviennent à leur tour à sortir du palais. Un carrosse les attend effectivement au Crosne, près du pont de Malzéville. Il roule pendant quatre heures avant que l’alerte ne soit donnée. Après une halte au château de Menoux près de Vesoul, le couple gagne Florence[41].
Le mariage de Nicolas-François et de Claude de Lorraine confond les droits à la couronne ducale de la branche aînée et de la branche cadette de la famille. L’opposition du régime de la quenouille à la loi salique pour la succession aux duchés n’a plus lieu d’être. Seule Nicole reste à Nancy, malade. Le mariage de Claude bouleverse le point de vue et les intérêts de sa soeur aînée[42]. Après onze jours de fièvre tierce, celle-ci est conduite en France ; elle arrive à Paris le 7 mai et ne retourne plus en Lorraine jusqu’à sa mort.
Quant à Charles IV, il séjourne à Besançon et observe les changements qui s’opèrent à la tête des armées impériales : le 15 février, Wallenstein, convaincu de trahison, notamment au profit de la France, est assassiné sur ordre de Ferdinand II, et remplacé par les généraux Gallas et Piccolomini ; puis, le 24, le duc de Feria décède à son tour.
À la même époque, des dispositions sont prises pour assiéger Bitche et La Mothe, les deux seules forteresses importantes restées aux mains des Lorrains. Pour sauver ce qui lui reste de ses États, Charles IV décide de réunir son armée à Thann, sous le commandement du marquis de Bade et du comte de Salm. La bataille s’engage entre l’armée lorraine et celle de la ligue catholique, d’une part, et l’armée du rhingrave Othon-Louis, désormais allié de la France, d’autre part. Les troupes lorraines et impériales subissent une lourde défaite dans la plaine de Cernay. Le comte de Salm et Mercy sont prisonniers.
L’exil de Nicolas-François et de Claude de Lorraine entraîne de fait la vacance du pouvoir en Lorraine. Pour faire face à la carence gouvernementale engendrée par la dispersion de la famille ducale, Louis XIII et Richelieu, dès le 1er avril 1634, étendent les responsabilités dévolues au comte de Brassac à toute la Lorraine[43].
Mais Charles IV n’a pas dit son dernier mot et s’estime en devoir de recouvrer la dignité ducale. Il le fait savoir par un manifeste qu’il parvient à faire diffuser et placarder à Nancy au mois de juinPlacard du duc de Lorraine, Besançon, 13 juin 1634, MAE, coll. CP Lorraine, vol. 14, fol. 549-550.. Le duc démissionnaire s’insurge contre les établissements mis en place en Lorraine par Louis XIII et revendique ses propres droits à la souveraineté. Il intime l’ordre à ses sujets d’entrer en résistance contre l’autorité royale. Pour faire pièce au parlement de Metz, le duc de Lorraine institue une cour souveraine de Lorraine, composée de conseillers fugitifs, qui rend ses propres ordonnances. Pour Charles IV, une telle institution revêt une portée symbolique essentielle : celle de la réalité et de la légitimité de son autorité souveraine. Le roi de France et Richelieu saisissent la portée de la création du duc de Lorraine. À la cour ambulatoire, ils opposent, en cette même année 1634, un conseil souverain, installé à Nancy, et la domination militaire sur l’ensemble des duchés de Lorraine et de Bar.
Après la prise de La Mothe et la défaite des troupes lorraines à Cernay, Charles IV préfère passer au service de Ferdinand II et de la ligue catholique. Au mois de juin, il quitte Besançon pour Innsbruck, au Tyrol, et rejoint, avec ses hommes, le cardinal-infant, Don Juan d’Autriche, frère cadet de Philippe IV, placé à la tête des armées espagnoles d’Italie du nord. Le 28 juillet, ont été réunies suffisamment de forces pour chasser les Suédois des États de Maximilien et reprendre Ratisbonne. Les 5 et 6 septembre suivants, Charles IV contribue à la victoire du cardinal-infant et du roi de Hongrie, fils de Ferdinand II, à Nordlingen[44]. Une sanglante défaite est infligée à l’armée germano-suédoise : le maréchal Horn est capturé et le duc Bernard de Saxe-Weimar est blessé. Dans la foulée, le duc de Lorraine s’empare de Louvain et de Tübingen, puis bat le rhingrave Othon-Louis, près de Strasbourg. La ligue catholique triomphe. La reine Christine perd la suprématie tactique de son père ; les Suédois sont, au demeurant, presque anéantis, tandis que l’électeur de Saxe, déjà hésitant, se retire des combats.
Le 14 septembre, la France obtient enfin la cession de la place de Philippsbourg. Prenant acte du rétablissement des Habsbourg, Richelieu met sur pied une nouvelle armée, placée sous les ordres des maréchaux de Brézé et de La Force, pour assurer la position de Louis XIII dans la région rhénane.
Le spectre de la guerre
Malgré les injonctions du chancelier Oxenstern, Richelieu ne peut se résoudre à entrer officiellement en guerre. Les finances du royaume ne pourraient supporter un effort supplémentaire et la situation en Lorraine est loin d’être stable. Le cardinal préfère surseoir et asseoir un peu plus la position de la France au plan international. Les intérêts du royaume par rapport aux Habsbourg obligent le roi très chrétien à contrôler le plus étroitement possible aussi bien la Lorraine que l’Alsace. Il est également indispensable que les Suédois respectent la volonté de la France de se ménager une zone frontière, à la fois glacis protecteur par rapport à Vienne et base d’entretien pour les armées envoyées outre-Rhin.
Le cardinal-ministre juge indispensable d’élargir l’éventail de ses alliés, et renoue le fil des négociations à la fois avec la Suède, les Pays-Bas, l’Italie et l’Angleterre. Le 1er novembre 1634, le traité de Paris renouvelle celui d’Heilbronn. Louis XIII obtient l’assurance que les électeurs de Saxe et de Brandebourg, ainsi que les autres princes et États de Haute et Basse-Saxe, ne traiteront avec les Habsbourg qu’en accord avec la France et ses alliés. En cas de guerre ouverte, le roi s’engage à rétribuer, jusqu’au retour de la paix, douze mille hommes de pied. En échange, les confédérés acceptent la mise en dépôt et la mise sous protection de l’Alsace.
À la même époque, Ferdinand II, par les préliminaires de Pirna, s’engage enfin à suspendre l’édit de Restitution et trouve un terrain d’entente avec le duc de Saxe. Ces nouvelles circonstances déterminent Oxenstern à refuser la ratification des accords de Paris. Il envoie Grotius à la cour de France pour de nouvelles négociations. De son côté, Richelieu préférerait redonner vie au projet de ligue catholique envisagée en 1631-1632. Il tente une nouvelle démarche à Rome, autour du pape, pour réunir les princes italiens, les Suisses catholiques et la Bavière. Mazarin est même chargé d’ébaucher une correspondance avec Maximilien de Bavière. Urbain VIII oppose une fin de non-recevoir. Richelieu doit se contenter de dépêcher le président de Bellièvre aux princes italiens pour discuter d’une attaque contre le Milanais.
Puis, le 22 décembre, le maréchal de La Force s’empare d’Heidelberg. La place est d’importance. Le duc de Bavière la considère comme sienne depuis que Frédéric V a été dépouillé par Ferdinand II. Le but de l’opération est d’arrêter l’armée autrichienne. Dans le même temps, le rhingrave Othon, affaibli, abandonne au roi toutes les places du Haut Rhin occupées par les confédérés protestants. Strasbourg et Colmar reçoivent des garnisons françaises. Le maréchal de La Force se porte ensuite au secours de Bernard de Saxe-Weimar, qui s’avance vers Francfort, à la rencontre du comte Ernest de Mansfeld et des troupes impériales. Pour Richelieu, il est désormais nécessaire de se déclarer. Si la France n’intervient pas dans la guerre de Trente Ans, la Suède est perdue. Et si la Suède et la Hollande traitent séparément avec l’empereur, la France se retrouve seule contre les Habsbourg.
Le duc d’Orléans, quant à lui, n’est pas resté inactif. Le 12 mai, il a signé un accord secret avec l’Espagne et accepté une pension de quinze mille écus. Monsieur s’est engagé à ne pas traiter avec Louis XIII sans le consentement de Philippe IV pendant deux années et demie. Le frère du roi se prépare déjà à livrer une bataille d’une tout autre nature contre Richelieu, celle de son mariage.
1-
MAE, coll. CP Lorraine, vol. 9, fol. 333.
2-
MAE, coll. CP Lorraine, vol. 9, fol. 338-341.
3-
Guron à Richelieu, Nancy, 24 mai 1632, MAE, coll. CP Lorraine, vol. 9, fol. 237-238. « Monsieur estoit désespéré du secours d’hommes et d’argent, qu’il estoit mal satisfait de tout le monde et qu’il ne songeoit qu’à l’amour de la fille de Carlo Colonna […] »
4-
Matthieu Molé à Pierre Dupuy, septembre 1632 : « Monsieur, j’ai été bien aise d’apprendre le particulier des entrevues de Monsieur. Je souhaite que ce soit la dernière pour telle cause. Si vous en sçavez quelque autre chose, vous m’en ferez part. J’ai reçu de M. Godefroi la copie du titre scellé de vingt-quatre sceaux : il sert non seulement pour justifier nos inductions passées, mais aussi pour combattre leur loi salique, laquelle néanmoins nous avons prise à nostre avantage. S’il trouve ce testament de René, il importe d’en observer la forme, puisqu’il a tousjours esté suspect […] », dans A. Champollion-Figeac (éd.), Mémoires de Matthieu Molé, Paris, Société de l’histoire de France, 1855-1857, vol. 2, p. 160.
5-
Le comte de Brassac, futur gouverneur de Nancy, écrit dans ses Mémoires : « Cette mort commança à tirer M. le cardinal de Richelieu hors de l’inquiétude en laquelle il estoit, et cependant [il] mesnageoit Walstein, se voulant servir de luy pour faire tomber le duc de Lorraine dans la faute qu’il fit de contrevenir au traitté de Liverdun, afin d’avoir sujert de luy demander la ville de Nancy, absolument nécessaire pour l’exécution de ses devoirs. » C. Pfister (éd.), « Les Mémoires du comte de Brassac gouverneur de Nancy (1633-1635) », Mémoires de la Société d’archéologie lorraine, 1898, p. 303-424.
6-
Ordonnance portant l’installation d’une cour de Parlement à Metz, MAE, coll. CP Lorraine, vol. 11, fol. 5-9.
7-
Saint-Chamond à Richelieu, Metz, 1er mai 1633, MAE, coll. CP Lorraine, vol. 11, fol. 193-194.
8-
Guron à Léon Bouthillier de Chavigny, 19 juin 1633, MAE, coll. CP Lorraine, vol. 13, fol. 116-117.
9-
Un plan de la bataille est conservé au MAE, coll. CP Lorraine, vol. 13, fol. 258.
10-
Dom Calmet, Histoire de la Lorraine…, ouv. cit., p. 84-85.
11-
Procès-verbal fait en l’exécution de l’arrest de la cour et des lettres patentes du Roy pour la saisie du duché de Bar, MAE, coll. CP Lorraine, vol. 12, fol. 5-225.
12-
MAE, coll. CP Lorraine, vol. 13, fol. 303-304.
13-
Louis XIII à Saint-Chamond, 14 août 1633, MAE, coll. CP Lorraine, vol. 13, fol. 305.
14-
Saint-Chamond à Louis XIII, Saint-Nicolas, 22 août 1633, MAE, coll. CP Lorraine, vol. 13, fol. 323.
15-
Relation de Monsieur le garde des seaux [Pierre Séguier] de ce qui s’est passé en Lorraine lors du voyage et traitté de Nancy, MAE, coll. CP Lorraine, vol. 11, fol. 348-356.
16-
« Mais tout cela ne fut escouté, quoy que le nonce [Alexandre Bichi] fist de sa part tout son possible pour dismouvoir le Roy du dessein qu’il avoit de se rendre maistre de Nancy. » C. Pfister (éd.), « Les Mémoires du comte de Brassac… », article cité, p. 324.
17-
C. Pfister (éd.), « Les Mémoires du comte de Brassac… », article cité, p. 325-326.
18-
Mémoire anonyme de Bruxelles, 9 septembre 1633, MAE, coll. CP Lorraine, vol. 13, fol. 381-382.
19-
Articles proposés au Roi, MAE, coll. CP Lorraine, vol. 11, fol. 342.
20-
MAE, coll. CP Lorraine, vol. 11, fol. 343-345.
21-
MAE, coll. CP Lorraine, vol. 13, fol. 444.
22-
Une note conservée parmi les papiers de Richelieu en souligne l’importance : « On tient que les principaux tiltres du duché de Loraine sont dans le chasteau de la Mothe affin que quand il se rendra, on ne les laisse emporter. Entre iceux est le testament de René que l’on prétend estre falsiffié et que l’on y a adjousté les clauses selon le dessein que l’on a depuis peu exécuté. S’ilz ne sont à La Mothe, on se peult enquérir du lieu où ilz sont et s’en saisyr soubz quelque spécieux prétexte. Il nous manque le contrat de mariage de Charles du premier may 1631 avec la princesse Nicole, fille aisnée de Henry qui est précédent son testament cy-enclos. S’il vous plaisoit de commander que l’on en fit recherche à Nancy, on le trouveroit aysément puisqu’il a esté passé par devant les notaires du lieu », MAE, coll. CP Lorraine, vol. 14, fol. 2.
23-
Claude Rouvroy de Saint-Simon à Léon Bouthillier, Commercy, 11 octobre 1633, MAE, coll. MD France, vol 808, fol. 69-70.
24-
La duchesse de Croÿ à Claude Bouthillier, Nancy, 11 novembre 1633, MAE, coll. CP Lorraine, vol. 13, fol. 583-584.
25-
Le maréchal de La Force à Richelieu, Metz, 13 décembre 1633, MAE, coll. CP Lorraine, vol. 13, fol. 667-668.
26-
La Porte a été arrêté en janvier 1630, pendant le séjour de la cour à Lyon, puis emprisonné à Pierre-Encise, d’où il s’est évadé. Cf. Richelieu à Claude Bouthillier, 15 janvier 1634, L.-M. Avenel (éd.), Lettres, instructions…, ouv. cit., t. V, p. 571.
27-
Le comte de Brassac à Léon Bouthillier de Chavigny, Nancy, 14 décembre 1633, MAE, coll. CP Lorraine, vol. 13, fol. 669-670.
28-
C. Pfister (éd.), « Les Mémoires du comte de Brassac… », article cité, p. 339.
29-
Le comte de Brassac à Léon Bouthillier de Chavigny, Nancy, 21 décembre 1633, MAE, coll. CP Lorraine, vol. 13, fol. 681-682.
30-
Le comte de Brassac à Léon Bouthillier de Chavigny, Nancy, 31 décembre 1633, MAE, coll. CP Lorraine, vol. 13, fol. 710-711.
31-
Charles IV à Louis XIII, Mirecourt, l5 janvier 1634, MAE, coll. CP Lorraine, vol. 14, fol. 25-26.
32-
L.-M. Avenel (éd.), Lettres, instructions…, ouv. cit., t. IV, p. 512-519.
33-
C. Pfister (éd.), « Les Mémoires du comte de Brassac… », article cité, p. 343.
34-
MAE, coll. CP Lorraine, vol. 14, fol. 52-53.
35-
MAE, coll. CP Lorraine, vol. 14, fol. 91-92.
36-
F. des Robert, Les Campagnes de Charles IV… 1634-1638, Paris, H. Champion, 1883, p. 1-2.
37-
Matthieu Molé a, dès le mois de septembre 1633, parfaitement évalué les implications de la démission de Charles IV. Il a d’ailleurs mis Pierre Séguier soigneusement en garde : « […] Je ne doute point qu’en la démission des États on ne désire principalement celle de la duchesse [Nicole de Lorraine] et l’autorité de son mari seulement à cet effet. Autrement, ce seroit confirmer leur prétendue loi salique, et lui donner un pouvoir qu’elle n’a pas. Par ce moyen, le cardinal frère lui rendra son État, aussi facilement qu’il l’a reçu et ne le gardera peut-être qu’un jour, comme le duc de Vaudémont père fit, quand il se voulut faire déclarer duc François. Je ne parle pas de la jeune soeur [la princesse Claude], d’autant que le père, par son testament, en a disposé au profit de l’aînée. Si on rend ces États, retenons pour le moins ce qu’il a usurpé sur la France et sur les évêchés, et si l’on accorde délai pour l’hommage, qu’il ne jouisse plus à l’avenir des droits souverains qui lui ont été honteusement délaissés. Il semble que si la paix est faite en Lorraine, qu’il ne sera plus nécessaire d’envoyer ni galériens ni vagabonds […] » Cf. Mémoires de Matthieu Molé, ouv. cit., vol. 2, p. 181-182.
38-
Le comte de Brassac à Léon Bouthillier de Chavigny, Nancy, 21 février 1634, MAE, coll. CP Lorraine, vol. 14, fol. 229-230.
39-
Instructions de Louis XIII au comte de Brassac, 24 février 1634, MAE, coll. CP Lorraine, vol. 14, fol. 235-240.
40-
Du Carnet à Léon Bouthillier de Chavigny, Nancy, 8 mars 1634, MAE, coll. CP Lorraine, vol. 14, fol. 265-266.
41-
La scène se passe à l’aube du 1er avril : Nicolas-François aurait été reconnu par une paysanne, celle-ci aurait averti un soldat, l’homme en aurait référé à un officier, qui, croyant d’abord à une plaisanterie, aurait tout de même averti le comte de Brassac… C. Pfister (éd.), « Les Mémoires du comte de Brassac… », article cité, p. 378.
42-
Juste avant que l’union de Claude et de Nicolas-François de Lorraine ne soit célébrée, la duchesse Nicole rédige un écrit selon lequel elle se déclare prête à céder ses droits à sa soeur cadette. MAE, coll. CP Lorraine, vol. 13, fol. 723-724.
43-
L’introduction de l’administration française dans les duchés est devenue inévitable après la prise de Nancy et la démission de Charles IV. La fuite de Nicolas-François de Lorraine accélère encore le processus. La promotion du comte de Brassac est prévue dès le mois de novembre 1633. Il reçoit ses lettres de provisions de gouverneur de Lorraine le 6 décembre. Au gouverneur de Lorraine revient la responsabilité de superviser la mainmise française sur les États lorrains. La famille ducale n’a cependant pas totalement abandonné l’administration du pays en choisissant l’exil. À partir d’avril 1634, la justice est dirigée par le chef des conseils, garde des sceaux de Lorraine, Charles de Remoncourt, abbé de Gorze, fils bâtard du duc Charles III.
44-
F. des Robert, Les Campagnes de Charles IV… 1634-1638, ouv. cit., p. 38-39.