VI
LA GUERRE COUVERTE
Les questions espagnole, lorraine et
impériale : l’art de la diplomatie et ses limites
Philippe IV n’accorde pas asile à sa belle-mère sans
réticences, car les tensions entre la France et l’Espagne
n’ont jamais été aussi vives depuis l’affaire de Mantoue. Le gouvernement de Bruxelles désigne le peintre Pierre-Paul Rubens,
qui a réalisé quelques années auparavant une série de portraits de
Marie de Médicis, pour représenter l’infante
Isabelle-Claire-Eugénie auprès de la reine mère installée à
Avesnes. Au vrai, le comte-duc Olivarès doute du sérieux de
l’engagement de Marie de Médicis et de Gaston d’Orléans contre
Richelieu. Rubens est néanmoins chargé de transmettre à
Madrid et à Bruxelles l’assurance que les ducs de Guise,
d’Épernon et de Bouillon ont parti pris avec Monsieur, la place de
Sedan devant d’ailleurs ouvrir ses
portes aux séditieux.
La capitale des Pays-Bas
espagnols se transforme en foyer de complots. Gaston d’Orléans y
rejoint sa mère et obtient de l’infante Isabelle-Claire-Eugénie une
aide financière de cent mille écus. Monsieur peut procéder au
recrutement de soldats dans la région de Montbéliard et de Besançon. Dès le mois de septembre, environ huit
cents cavaliers, placés sous les ordres du marquis de Bressieux, un
proche de Marie de Médicis, se regroupent à Luxeuil. Viennent s’y ajouter un contingent de
dix-huit mille fantassins et plus de deux mille cavaliers envoyés
par le duc de Lorraine. Wallenstein
lui-même propose une armée pour une durée de trois ans, à condition
que les places dont il s’emparerait en France lui soient définitivement acquises.
La menace pour Richelieu et pour Louis XIII se fait
de plus en plus pressante. Depuis la chute de La Rochelle, le roi peut davantage s’occuper de
politique internationale et s’intéresser à l’Allemagne et à la Lorraine. Il offre à Charles IV la liquidation
amiable de leurs litiges. L’un des principaux soucis du souverain
très chrétien et de son gouvernement est la vulnérabilité de la
frontière du royaume de France, à la
limite orientale de la Champagne.
Louis XIII conserve un intérêt majeur à ne pas risquer une
offensive de la maison d’Autriche, car
depuis l’expiration de la Trêve de Douze ans, il observe, non sans
inquiétude, les passages des troupes espagnols par la Lorraine et par l’Alsace. Richelieu estime plus que jamais
indispensable de couper la route du Rhin pour pouvoir s’opposer
efficacement aux desseins de Madrid et
de Vienne[1].
À partir de 1628, Louis XIII a les moyens de
poursuivre la politique de progression vers le Rhin initiée
par Henri II au moment de l’occupation des Trois-Évêchés. Ni lui ni Richelieu n’en ont pour
autant la volonté d’entrer en guerre directe contre les Habsbourg.
Ils mettent au contraire tout en oeuvre pour retarder l’échéance.
Tous deux préfèrent poursuivre ce qui a été commencé en 1552 :
utiliser le système de protection, se rendre maîtres des passages
qui permettent aux secours espagnols de rejoindre les Autrichiens
et les Pays-Bas espagnols en
contournant la France, puis
éventuellement envahir le royaume et menacer Paris.
Les affaires de Lorraine
et d’Alsace sont étroitement liées à
ces aspects stratégiques[2]. Les deux régions constituent des carrefours
dont les noeuds sont Nancy et
Strasbourg. À l’est, sur la rive droite
du Rhin, en face de Strasbourg, s’étend la trouée de Pforzheim, qui ouvre l’accès au Danube supérieur et
à l’Allemagne centrale. À l’ouest, sur
la rive gauche, la trouée de Saverne
traverse les Vosges et débouche par Sarrebourg sur la route de
Nancy, et plus à l’ouest encore, par Moyenvic, Vic,
Stenay et Jametz, sur la route des Pays-Bas espagnols.
Pour Richelieu, comme d’ailleurs pour le maréchal de
Marillac et les dévots, le royaume ne peut mener seul une politique
contraire aux ambitions des Habsbourg. À défaut d’obtenir
l’adhésion de Charles IV de Lorraine,
qui a lui aussi des ambitions sur l’Alsace, Richelieu envisage,
toujours selon la tradition inaugurée par Henri II, des alliances
avec les ennemis des Habsbourg, les princes protestants,
essentiellement avec les calvinistes. Mais le cardinal, bon
catholique, doit à tout prix éviter une coalition réformée trop
puissante.
Louis XIII et Richelieu défendent pour
l’Europe le principe d’une chrétienté à
deux visages. Le but ultime du cardinal est de convertir les
protestants par la raison. Or l’objectif que se fixent le roi de
France et Richelieu n’est réalisable
qu’à une seule condition : que les Habsbourg, champions d’une
Europe catholique dominée par le Saint
Empire romain germanique, n’étendent pas leur hégémonie à
l’ensemble de l’Occident. La France
établie à Strasbourg barrerait les
communications entre le Milanais et les
Pays-Bas. Cantonnant des troupes en
Alsace et prenant le contrôle de la
Lorraine, elle lèserait directement
Ferdinand II comme protecteur des droits du Saint Empire et suzerain de la Lorraine et de
l’Alsace. C’est pourquoi, à l’aube des années 1630, Louis XIII
et Richelieu présentent la France comme
la garante des libertés des princes et des peuples contre les
aspirations de Ferdinand II et de Philippe IV. Le roi de
France ne dispose – semble-t-il – pas d’autres moyens
pour acquérir l’estime du plus grand nombre, ainsi que la gloire,
corollaire obligé des objectifs formulés par Richelieu. Il justifie
sa politique par l’accusation portée contre les Habsbourg de
vouloir établir une monarchie universelle : l’argument est
présent dans toutes les négociations entreprises à l’époque avec
les Provinces-Unies, comme avec les
États allemands et italiens. Il trouve un certain écho et une
portée non négligeable, puisque le roi de Suède Gustave-Adolphe, allié de la France, dans un
manifeste rédigé au mois de juin 1630, rappelle l’oppression
exercée par l’empereur à l’encontre des libertés germaniques et
déclare que tous les peuples et tous les États de la chrétienté
sont parfaitement conscients des visées expansionnistes de
l’Espagne et de l’Autriche. Vecteur de propagande fidèle à Richelieu,
Le Mercure français publie le texte qui
relaie de manière si opportune la position de Louis XIII.
L’instrument privilégié que se choisissent le roi et
son ministre est le système de la protection, tel qu’il s’est
développé dans les Trois-Évêchés.
Tutelle immédiate, la protection se manifeste par la présence d’une
garnison permanente, imposant ses nécessités militaires à l’entité
qui l’a réclamée ou à qui elle s’est imposée. La protection doit
garantir à ses bénéficiaires leurs institutions et le
rétablissement de leur situation politique antérieure à
l’apparition du danger. À un stade plus avancé, la protection
souveraine ajoute la notion d’obéissance au premier principe. Le
protégé doit serment de fidélité au protecteur, qualifié de
« souverain seigneur ». Dans le cas de la protection
souveraine, la soumission au protecteur est plus complète encore,
mais ce dernier garantit toujours au protégé ses « franchises,
privilèges et libertés ». Le protecteur peut, de là, aisément
rattacher de manière définitive à son territoire celui du protégé
et lui imposer ses lois, sa justice et son administration.
Cependant, le rattachement diffère de l’annexion en ce que le
protecteur continue à s’affirmer comme tel et à respecter certaines
des « franchises, libertés et privilèges ».
Louis XIII et Richelieu aimeraient pouvoir appliquer
le système de la protection à la Lorraine tout entière et convaincre Charles IV
d’en accepter les principes. Après les travaux de la commission Le
Bret, le roi de France et son ministre,
accaparés par les huguenots et les Grands du royaume, se sont
bornés à maintenir la situation héritée du siècle passé et du règne
d’Henri IV. Mais se ménager un accès aisé à la zone stratégique qui
s’étend de la Lorraine au Rhin devient indispensable à l’aube des
années 1630.
Le fleuve constitue un verrou par rapport aux États
germaniques et au Saint Empire.
Richelieu a impérativement besoin de passages sûrs pour pouvoir
intervenir contre l’expansion des Habsbourg et aider les petites
principautés rhénanes. La nécessité de contrôle de la région répond
autant à des préoccupations défensives, en cas d’attaque de la
France par les Impériaux, qu’à des
préoccupations offensives, en cas d’intervention française au-delà
du Rhin. La protection qui pourrait s’appliquer aux zones
frontalières à l’est du royaume, lieux de passage par excellence,
constitue l’unique alternative politique pacifique à une
intervention armée pour le contrôle des régions concernées.
Or, au début de cette année 1630, les Impériaux, en
passant par l’Alsace, s’emparent de
Moyenvic, dans l’évêché de Metz, place stratégique au regard des objectifs de
Richelieu. Ils entreprennent d’édifier une forteresse sur le site,
au bord de la Moselle, à faible distance de Nancy, pour barrer la route du Rhin et servir de
sentinelle à la Lorraine tout
entière.
Le coup de main des Impériaux prend totalement au
dépourvu le maréchal de Marillac, gouverneur de Verdun mais aussi commandant de l’armée du roi en
Champagne, qui devait protéger la
frontière orientale du royaume[3]. La majorité des forces françaises est à cette
époque engagée en Italie. Le maréchal
de Marillac lui-même reprend à son compte la méthode préconisée par
Richelieu pour garantir la sécurité de la région et conseille au
roi d’inviter les princes voisins à solliciter la protection
française. Dès lors, la France aurait
la possibilité d’occuper des places répondant, du point de vue
stratégique, à ses besoins défensifs et préventifs. Marillac
pourrait s’installer entre la Meuse et le Rhin, sans danger de
conflit ouvert avec Ferdinand II, sur le temporel de l’évêque de
Metz, ou sur les territoires de
l’électeur de Trèves, à Trèves même ou
à Coblence.
Il reste qu’une telle entente est inenvisageable
avec Charles IV de Lorraine ; et
le système de protection évêchois, protection souveraine ou
protection simple, l’est encore moins. C’est pourquoi, à l’heure où
le duc d’Orléans et Marie de Médicis, partis en exil, se font de
plus en plus menaçants, à l’heure de l’arrestation de Louis de
Marillac, parti en Italie à la demande
de Richelieu, une forte armée française se concentre près de la
frontière.
La succession au duché de Mantoue occupe encore un temps l’esprit de
Richelieu. La Savoie et le Piémont sont en partie occupés par les Français,
mais la victoire est loin d’être complète. Le conflit se termine
grâce à Mazarin au cours du printemps 1631 par le traité de
Cherasco, aux termes duquel Louis XIII
conserve Pignerol et Perosa, et donc
une porte vers l’Italie pour s’opposer aux Espagnols.
Depuis la journée des Dupes, le cardinal est parvenu
à restaurer l’autorité de la France sur
la scène internationale en dépêchant le baron de Charnacé, un
brillant diplomate, auprès du duc de Bavière, du roi de Danemark et de Gustave-Adolphe de Suède afin de leur proposer la médiation
française.
Le souverain Wasa, inquiet des prétentions de
Ferdinand II et de Wallenstein, a débarqué en Poméranie, dont le duc s’est placé sous sa
protection. Le roi de Suède s’est
emparé de la ville de Stettin, à
l’embouchure de l’Oder, et a engagé des pourparlers avec les deux
princes protestants d’Allemagne les
plus puissants, les électeurs de Saxe
et de Brandebourg[4]. Ces derniers tiennent à se ménager un appui
solide avant de s’engager dans une guerre contre Ferdinand II qui
pourrait leur être fatale. La présence de Gustave-Adolphe au nord
de l’Empire présente un autre intérêt pour la Saxe et le
Brandebourg, un moyen de pression sur les Habsbourg. À la fin de
l’année 1630, les deux électeurs se sentent suffisamment forts pour
réclamer l’abolition de l’édit de Restitution, sous peine d’un
engagement militaire du roi de Suède.
Puis, le 23 janvier 1631, la France et la Suède
concluent une alliance à laquelle sont associés les électeurs de
Saxe et de Brandebourg. Par le traité de Bärwald, le baron de Charnacé s’engage, au nom de
la France, à tout mettre en oeuvre pour que les princes spoliés par
l’empereur retrouvent leurs États et prérogatives, pour que la
liberté de commerce soit rétablie. La France promet de verser
chaque année à la Suède la somme d’un million de livres pour
équiper trente mille fantassins et six mille cavaliers chargés
d’accomplir le projet commun. En contrepartie, Gustave-Adolphe
respectera le culte catholique dans les principautés où
l’intervention française est nécessaire.
Ce n’est pas tout, puisque le 30 mai, à
Fontainebleau, Maximilien de Bavière
accepte de signer des accords de neutralité avec la France[5]. Le traité prévoit une
obligation de défense mutuelle pendant huit années consécutives.
Louis XIII s’engage à fournir le renfort de
9 000 hommes de pied et 2 000 chevaux pour la
défense du duché. En contrepartie, Maximilien promet
3 000 hommes et 1 000 chevaux pour aider le
roi. Enfin, le souverain français s’engage à défendre les
prétentions du duc de Bavière à l’Empire. Richelieu semble ainsi
occuper tous les fronts et y imposer l’autorité française, donnant
enfin à Louis XIII les moyens de ses ambitions européennes.
Le traité de Vic
Parallèlement, les représentants des principautés
protestantes du Saint Empire,
luthériennes et calvinistes, réunis à Leipzig, profitent du relatif affaiblissement de
Ferdinand II depuis la tenue de la diète de Ratisbonne et lui proposent leur alliance contre
toute agression extérieure, en échange du retrait de l’édit de
Restitution. Le danger est bien réel pour l’empereur, puisque
Gustave-Adolphe s’empare de Francfort-sur-l’Oder le 13 avril. En réponse,
les derniers éléments de l’armée impériale, confiés au général
Tilly depuis le renvoi de Wallenstein, mettent à sac la ville de
Magdebourg. Les protestants n’ont plus
le choix et se tournent définitivement vers Gustave-Adolphe,
d’autant que la ligue catholique, assemblée quant à elle à
Dunkelsbuhl, réclame au contraire le
maintien de l’édit de Restitution !
L’électeur de Brandebourg met rapidement à la disposition du roi
de Suède toutes les forces dont il
dispose ; le duc Bernard de Saxe-Weimar suit son exemple et
s’engage directement sous les ordres du Suédois. Le 22 août, le
landgrave de Hesse-Cassel autorise
Gustave-Adolphe à garder ses places fortes. Le 5 septembre,
l’électeur de Saxe appelle le roi de Suède contre la menace de
Tilly et joint son armée à celle du souverain Wasa.
La progression de Gustave-Adolphe dans le
Saint Empire est fulgurante.
Ferdinand II, pris au dépourvu, délivre au duc de Lorraine une
commission pour lever dix mille hommes de pied et deux mille
chevaux afin de s’opposer à l’avancée ennemie. Saverne et Haguenau lui
sont concédées comme places de sûreté. Charles IV décide de
mener lui-même ses hommes à l’empereur au mois de septembre 1631 et
franchit le Rhin à Worms.
Mais, le 17, coup de théâtre, le roi de Suède inflige une cuisante défaite aux troupes
impériales, lors de la bataille de Breitenfeld. Ferdinand II est humilié, les
troupes du général Tilly sont écrasées. Les Impériaux, inquiets de
la réputation du roi de Suède, abandonnent Charles IV, tandis que
Ferdinand II n’a plus qu’à rappeler Wallenstein. Les troupes
lorraines sont obligées de se replier vers le Rhin. Et
Gustave-Adolphe prend le même chemin, pour vivre aux dépens des
populations catholiques. La guerre est sa seule source de profit.
Il sait parfaitement que, pris à revers par l’empereur, il peut se
voir à tout instant abandonné par les princes protestants. À la
mi-octobre, il atteint Würzburg, siège
de l’un des évêchés les plus riches d’Allemagne.
Charles IV, inquiet des succès du roi de
Suède et des conséquences du traité de
Bärwald, décide aussitôt de se rendre en Bavière pour assister le duc Maximilien, son oncle.
Pour lui, la clause protégeant la neutralité du duché de
Bavière n’est pas respectée. Charles IV
réussit à convaincre Maximilien de lever une armée, alors que les
accords souscrits avec la France et la Suède le lui interdisaient.
Interprétant à son tour l’initiative comme un acte d’hostilité,
Gustave-Adolphe considère aussitôt que ses engagements vis-à-vis de
la Bavière sont devenus caducs.
Durant les dernières semaines de 1631, les Suédois
forcent encore les bourgeois de Francfort-sur-le-Main à s’allier avec eux, traitent
avec le landgrave de Hesse-Darmstadt,
font capituler la garnison espagnole que l’électeur de Mayence a appelée dans sa capitale et s’emparent de
Spire, Worms et Mannheim. Ils
sont les maîtres non seulement de l’archevêché de Mayence, mais aussi de la Thuringe et de la
Franconie. Le général Tilly n’a plus
d’armée, l’électeur de Saxe pénètre
sans difficulté en Bohême. Devant
l’impuissance de l’empereur, les petites principautés rhénanes, au
premier rang desquelles se place l’archevêché de Trèves, commencent à se tourner vers
Louis XIII.
Richelieu décide à la fois de répondre au
mécontentement exprimé par le roi de Suède à propos de la Lorraine et de la Bavière, de réagir à ses progrès, trop rapides pour
ne pas être inquiétants, et de prendre acte du non-respect du
traité de Bärwald, tout en tirant parti
des difficultés de Charles IV.
Le cardinal commence par diriger les forces dont il
dispose vers Sedan où le duc de
Bouillon accueille subrepticement les soldats de Gaston d’Orléans.
Le 17 novembre, les troupes du maréchal de La Force arrivent en vue
de la place rebelle. Le maître des lieux est absent ; sa mère,
la duchesse douairière, prend peur et se soumet immédiatement. La
garnison du duc de Bouillon doit prêter serment de fidélité au roi
de France, tandis que les soldats de
Monsieur, pris au piège, sont emprisonnés.
Le maréchal de La Force s’achemine ensuite vers la
frontière allemande. L’objectif de Richelieu est d’une part
d’intimider le roi de Suède, de
rassurer les princes catholiques rhénans, d’autre part de reprendre
Moyenvic aux Impériaux, de restituer la
place à l’évêque de Metz, de prendre
pied en Lorraine avec armes et bagages
et de faire pression sur Charles IV.
Simultanément, le comte de Brassac, ambassadeur du
roi de France à Rome, est chargé de proposer au pape une ligue à
laquelle adhéreraient les Vénitiens pour s’opposer à la fois aux
Suédois et aux Impériaux. Mais Urbain VIII refuse d’y prendre part
et de renoncer à son rôle de médiateur au sein de la
chrétienté.
Depuis la diète de Ratisbonne, le père Joseph n’est pas resté inactif
et s’est justement penché sur le problème des Trois-Évêchés, que l’assemblée a laissé en suspens.
Le capucin a chargé un diplomate lorrain de bonne volonté, le comte
de Marcheville, de recommander aux électeurs catholiques la cause
de l’évêque de Metz, Henri de
Bourbon-Verneuil, dont le diocèse est envahi par les troupes de
Ferdinand II. Il s’agit de faire entendre les griefs légitimes du
prélat et de souligner le danger occasionné par la présence
impériale en terre évêchoise. Comme Richelieu, le père Joseph
souhaite que Ferdinand II évacue l’évêché de Metz et démantèle
Moyenvic. La France serait alors en mesure d’agir plus librement
en Allemagne en faveur des princes qui
le souhaiteraient.
À la fin du mois de novembre 1631, le père Joseph
est aux côtés du roi de France qui
s’est déplacé jusqu’à Château-Thierry.
Il surveille les préparatifs de l’opération militaire décidée par
Richelieu sur Moyenvic, tout en
continuant à oeuvrer à un traité de neutralité qui unirait la ligue
catholique et la Suède[6]. Mais l’entente finale
s’avère impossible : menacé dans son duché même, le duc de
Bavière préfère se rapprocher de
Ferdinand II et se borne à confirmer la neutralité avec la
France.
Le 9 décembre, Louis XIII, après avoir affûté ses
armes, ordonne la prise de Moyenvic,
alors que son armée de Champagne marche
vers Metz, et décide son propre départ,
en compagnie de la cour, sur le terrain d’affrontement[7]. Ce n’est que vingt jours
plus tard que Moyenvic, défendue par le baron de Mercy, se rend aux
assaillants français commandés par le maréchal de La Force. L’armée
ducale, retenue en Allemagne, est dans
la totale incapacité d’intervenir.
Louis XIII dépêche spécialement à l’empereur le
beau-frère du père Joseph, Jean de Beaumont, seigneur de
Saint-Étienne. Les instructions dont celui-ci est porteur
condamnent le coup de main perpétré contre Moyenvic et refusent catégoriquement de reconnaître
les droits, jugés plus qu’hypothétiques, de Ferdinand II sur
le temporel de l’évêque de Metz comme
sur les États du duc de Mantoue[8]. Elles rappellent que tout
prince d’Empire est en droit de recourir à la protection de ses
voisins et que Moyenvic doit retrouver son statut antérieur à 1630.
L’argument de la protection s’avère bien commode pour évincer la
tutelle impériale des Trois-Évêchés et
confirmer les entreprises d’Henri IV[9].
Charles IV, apprenant par son frère, le cardinal
Nicolas-François de Lorraine, que le
roi de France s’est emparé de
Moyenvic, n’a plus qu’à voler au
secours de ses possessions. Dès son retour, le 2 janvier 1632,
le duc de Lorraine et de Bar, en tant que vassal du roi très chrétien, est
sommé de fournir des explications concernant ses campagnes
d’Allemagne et les usurpations territoriales dont il se serait
rendu coupable au détriment de la France[10]. Charles IV répond qu’il renonce aux
alliances contractées avec les ennemis de Louis XIII et s’engage
verbalement à remettre Marsal entre les
mains du roi[11].
Le 6, le conseil du roi se réunit en une assemblée
houleuse. La majorité de ceux qui y prennent part est convaincue de
la nécessité d’entrer en Allemagne,
d’attaquer Saverne et Haguenau, promises au duc de Lorraine par l’empereur, et de se saisir de
l’Alsace. Les tendances belliqueuses
prévalent ; seul, le père Joseph combat l’avis dominant. Pour
lui, rompre avec la maison d’Autriche,
abandonner le parti catholique au profit exclusif d’une alliance
avec les Suédois et les protestants, signifieraient la ruine de
tous les efforts d’équilibre consentis jusque-là. Le père Joseph
juge indispensable la reconnaissance de la France par les princes des diverses confessions
entre le Rhin et la Lorraine, en les affranchissant de la crainte
de Gustave-Adolphe. Son but est de les placer, de leur plein gré,
sous la dépendance du roi très chrétien, qui deviendrait un
médiateur incontournable. La France créerait du même coup une
ceinture défensive de principautés alliées, qui la mettrait à
l’abri des tentations de la famille de Habsbourg. Le système
présenterait de surcroît deux autres avantages essentiels :
Louis XIII disposerait en pays rhénans d’avant-postes contre
la maison d’Autriche et de moyens d’action contre la Lorraine. La
cohérence du père Joseph remporte l’adhésion de Richelieu[12].
Par souci de pacification, Charles IV doit donc se
soumettre à l’autorité du roi de France ; le contrôle de la Lorraine est indispensable. Si Richelieu s’ingénie
à placer les entreprises royales derrière le bouclier de la
protection, il ne s’agit que de ménager à Louis XIII la
possibilité de réclamer en bon droit à Charles IV des garanties de
soumission. Si le duc de Lorraine obtempérait, le roi de France ne
pourrait qu’y gagner en influence. Si Charles IV s’y refusait,
le souverain pourrait faire usage des armes en reprenant la même
argumentation, sa supériorité tactique lui garantissant le même
effet, la mainmise, au moins partielle, sur la Lorraine. Richelieu
a l’habileté de brandir la menace de la Suède. Alors que la protection devrait être
librement consentie par les parties contractantes, elle est imposée
à Charles IV[13].
À l’issue du Conseil, Louis XIII conclut le traité
de Vic avec le duc de Lorraine. Charles IV s’engage à subordonner ses
futures alliances au consentement préalable du roi de France. Un article secret stipule l’interdiction
formelle faite à la Lorraine de toute entente avec
Ferdinand II, Philippe IV d’Espagne ou un prince autrichien. Charles IV
s’oblige également à refuser l’asile à Gaston d’Orléans et à Marie
de Médicis, et doit subordonner ses alliances aux intérêts de la
France. Il est d’ailleurs précisé qu’aucune levée de troupes ne se
fera « contre le service de Sa Majesté ». Charles IV doit
encore laisser libre passage aux troupes françaises et leur fournir
les vivres. Il doit aussi livrer à Louis XIII un contingent de
quatre mille fantassins et de deux mille cavaliers. En dernier
lieu, la place de Marsal est remise
pour trois ans au roi de France, qui peut y installer une garnison.
Par la suite, une autre garnison permanente est maintenue à
Moyenvic[14].
L’ensemble des terres de l’évêché de Metz est désormais traité comme l’étaient jusque-là
la ville de Metz et le pays messin. L’occupation militaire y est
organisée et la population est contrainte de participer aux frais
d’entretien des soldats et à la remise en état des places fortes.
Le traité de Vic confirme les craintes
exprimées par Charles IV lors de la publication des
ordonnances de la commission Le Bret. Le système féodal et
judiciaire en vigueur dans les Trois-Évêchés est désormais dominé par la
France. En février, Louis XIII, au
terme de son séjour lorrain, parachève son oeuvre en décidant la
création à Metz d’une cour souveraine,
un parlement calqué sur le modèle français[15]. Le Conseil décide d’exploiter les conditions
favorables créées par le traité de Vic
et propose que le régime de protection soit accordé à tout prince
allemand qui le solliciterait et accepterait des garnisons
françaises dans ses places fortes. Richelieu et le roi caressent
l’espoir de convaincre les archevêques de Trèves, de Cologne et
de Mayence, lorsque le duc d’Orléans se
rappelle à leur bon souvenir.
Le mariage secret de Monsieur
Les rumeurs persistantes de la passion de Gaston
d’Orléans pour la princesse Marguerite inquiètent le roi. Claude
Bouthillier, lors de son séjour à Nancy
à la fin de l’année 1629, a déjà alerté Louis XIII et
Richelieu : le père du duc de Lorraine et de Marguerite, François de Vaudémont,
est favorable au projet d’union de sa fille cadette avec l’héritier
présomptif du trône de France[16]. L’amour de Gaston
d’Orléans pour Marguerite est sans doute sincère. Mais le frère du
roi a plus que jamais la volonté de susciter un soulèvement ;
c’est pourquoi il recherche de manière si assidue le soutien de
l’Espagne, de l’empereur et duc de
Lorraine.
Le 3 janvier 1632, trois jours avant la signature du
traité de Vic, le mariage de Monsieur
avec Marguerite de Lorraine est célébré clandestinement en l’église
de l’abbaye Notre-Dame de la Consolation à Nancy[17]. Charles IV n’est pas encore rentré dans sa
capitale, mais il a franchi les frontières de ses États. Le
consentement à l’union est donné par François de Vaudémont ;
les dispenses provisoires, en attendant celles du pape, sont
accordées par le cardinal de Lorraine, frère de la mariée, qui est
évêque de Toul. La bénédiction nuptiale
est prononcée par un cistercien attaché au service religieux de
l’abbaye de Remiremont, Albin Tellier.
La cérémonie a lieu vers sept heures du soir, en présence de
Catherine de Lorraine, abbesse de Remiremont, de la gouvernante de
la princesse Marguerite, du duc d’Elbeuf et de Puylaurens. Gaston
d’Orléans prend aussitôt la précaution d’informer le pape et de
faire confirmer les dispenses et la validité des sacrements[18].
Les conséquences du mariage secret sont
incalculables pour le roi de France et
la couronne. L’héritier présomptif du trône peut désormais assurer
sa descendance masculine. Le danger d’un glissement de l’héritage
capétien sur la tête de Monsieur prend une signification bien
réelle. De plus, l’union avec la maison de Lorraine pourrait réanimer les prétentions
dynastiques du duc de Lorraine. Le souvenir de la Ligue reste
vivace. Le danger est d’autant plus grand que Charles IV peut se
prévaloir du traditionnel esprit de croisade perpétué par sa
lignée. Il s’est engagé aux côtés de Ferdinand II dans le
combat contre les Suédois et contre les princes protestants
d’Allemagne. Il assume parfaitement la
tradition héritée du duc Antoine le Bon, et la revendique d’autant
plus volontiers qu’il est désormais en mesure d’influer à la fois
sur la politique intérieure, sur la politique extérieure et sur la
diplomatie de Richelieu. La cérémonie apparaît comme une alliance
de circonstances, celle de deux capacités belligérantes dont l’une
n’a d’autres intérêts que d’en découdre, pour substituer son
influence à celle de Richelieu et s’imposer non seulement comme
l’héritier présomptif de la couronne, mais comme le successeur
désigné au trône de France.
Le roi, pourtant, n’a jamais été aussi conciliant.
Monsieur refuse tout compromis et passe en territoire espagnol.
Tout espoir d’entente et de rapprochement est annihilé[19]. Louis XIII est
conscient de l’influence exercée sur son frère et soupçonne une
connivence entre la reine mère et les Espagnols. Ses craintes sont
rapidement confirmées par les avis de ses ambassadeurs et par le
voyage en Flandres du marquis de
Mirabel, représentant de Philippe IV à Paris[20]. Marie de Médicis a mis en gage ses
pierreries pour obtenir les liquidités nécessaires à une expédition
armée. Les troupes espagnoles se concentrent dans le Palatinat, sous le commandement de Don Gonzalès de
Cordoue ; un plan de campagne est combiné avec Madrid. Le 18 mai, le frère du roi prend la route
de Trèves, où l’armée mise à sa
disposition se rassemble, au grand dam de l’archevêque dont les
terres sont envahies. Même parmi ses proches, la trahison du duc
d’Orléans ne fait pas l’unanimité. Deux d’entre eux, Le Coigneux et
Monsigot, abandonnent le parti rebelle et trouvent un accord avec
Richelieu. Quant au duc de Bellegarde, il ne peut adhérer à une
révolte contre le roi et préfère solliciter des lettres de
rémission.
Le mariage du 3 janvier suscite très rapidement les
bruits les plus divers, ressentis par le roi de France à la fois comme une provocation du duc de
Lorraine et comme une humiliation
imposée par son propre frère. Le ressentiment est d’autant plus vif
contre Charles IV que celui-ci renoue dès les semaines qui suivent
le traité de Vic avec les ennemis de la
France. Il accueille à Nancy un envoyé
de l’empereur, Raimondo Montecuculli, et un envoyé du roi
d’Espagne, le baron de Leyde[21].
Le système de protection et ses limites
Retranché à Vienne,
Ferdinand II est en difficulté face aux Suédois. Son armée a été
mise en échec et il ne contrôle plus la situation. Début janvier,
fait symptomatique, deux ambassadeurs, celui du duc de Bavière et celui de l’archevêque de Cologne, cette fois, arrivent en Lorraine, mais auprès de Louis XIII, pour
solliciter une protection contre Gustave-Adolphe. Un accueil
chaleureux leur est réservé et l’accord est envisagé. Une démarche
similaire est bientôt entreprise par l’archevêque de Trèves et par l’évêque de Würzburg, ambassadeur de la ligue catholique.
L’archevêque de Mayence dépêche lui
aussi un représentant auprès du roi de France pour se faire rétablir dans sa
principauté.
Dans l’immédiat, Louis XIII et Richelieu
subordonnent la protection à un accord préalable de neutralité,
auquel souscriraient les princes de la ligue catholique et le roi
de Suède. Lui seul permettrait de
déboucher sur un accommodement général que la maison d’Autriche, placée devant le fait accompli, n’aurait
plus qu’à accepter. Le marquis de Brézé, beau-frère de Richelieu,
est chargé de la délicate mission de proposer l’accord de
neutralité à Gustave-Adolphe. Louis XIII pourrait ainsi pacifier
l’Allemagne[22]. Dans les instructions remises au marquis de
Brézé, le cardinal-ministre formule également le principe de la
restitution des territoires annexés par les princes réformés et par
la Suède aux princes catholiques
spoliés. Il évoque un traité d’alliance formelle qui rapprocherait
les membres de la ligue catholique du roi de France. Richelieu tient à rappeler au souverain
Wasa que Louis XIII est en position de force et que les victoires
remportées sur Ferdinand II sont fragiles, en raison notamment de
l’inconstance des princes protestants d’Allemagne. La France
tente de s’imposer comme médiatrice et de convaincre le roi de
Suède qu’il ne peut définitivement
vaincre l’empereur qu’en se ménageant la ligue catholique. C’est
alors qu’un ambassadeur suédois, le baron Gustave Horn, arrive à
Metz et annonce simplement que son
maître refuse de rendre Würzburg,
Bamberg et Mayence.
Quant à Ferdinand II, il fait tout son possible pour
rassembler les princes italiens autour de Philippe IV et les
convaincre de voler à son secours. Une seconde ligue catholique
voit le jour et les contacts avec Charles IV se multiplient. La
position du duc de Lorraine et celle de
Monsieur se compliquent alors singulièrement.
Tous deux jouent un double jeu en tentant d’obtenir
l’appui à la fois des Suédois et des Habsbourg contre l’ennemi
commun, la France. Louis Deshayes de
Cormenin, jadis ambassadeur du roi de France auprès de
Christian IV de Danemark, est
envoyé par Marie de Médicis et par Gaston d’Orléans auprès de
Gustave-Adolphe de Suède pour le gagner
à leur cause. Mais le baron de Charnacé découvre ces menées et
arrête l’émissaire des factieux[23].
Dans le même temps, Charles IV viole les engagements
contractés lors du traité de Vic :
sur les sollicitations de Montecuculli et du baron de Leyde, il
lève de nouvelles troupes contre la promesse de renforts armés. Le
duc de Lorraine prend pour prétexte la
menace de soldats suédois envoyés en avant-garde sur ses frontières
et enfreint sans vergogne l’interdiction faite par le roi de
France. Gustave-Adolphe s’adresse
directement à Charles IV afin d’éclaircir la situation[24]. Ce faisant, le roi de
Suède récuse la notion de guerre de
religion pour le conflit dans lequel il s’est engagé, proteste de
sa volonté de rétablir la paix… par les armes, et somme le duc de
Lorraine de prendre nettement position.
Ce dernier répond agir en prévention des conséquences prévisibles
de la défaite de Tilly. Nulle évocation de la France.
Louis XIII sollicite en vain Charles IV de lui
fournir les garanties de sa fidélité. Comme Bruxelles, Nancy est un
foyer d’intrigues et le décès de la duchesse douairière de
Lorraine, au mois de février, ajoute
encore à la confusion. Gaston d’Orléans reste au centre de tous les
conciliabules et le duc de Lorraine n’hésite pas à se plaindre du
logement des troupes françaises dans ses États[25]. L’entourage de Monsieur ne cache plus son
projet d’intervention armée dans le royaume[26]. À la fin du mois d’avril, Charles IV
fait marcher ses troupes vers le Luxembourg pour opérer leur
jonction avec celles du duc d’Orléans. Il attend cependant pour
prendre leur tête que son beau-frère en fasse autant avec ses
propres soldats. L’attitude du duc de Lorraine est paradoxale. Il fait preuve de
circonspection et de la plus grande prudence vis-à-vis de Monsieur,
attendant pour s’engager que celui-ci fasse le premier pas, et de
la plus totale témérité vis-à-vis de Louis XIII à qui il n’a
toujours pas rendu foi et hommage lige pour la Barrois mouvant[27].
L’Espagne et l’Empire
ont en réalité d’autres priorités que la Lorraine et la rébellion de Gaston d’Orléans. Si
Don Gonzalès de Cordoue stationne en Flandres, si le comte de Mérode procède au
recrutement de soldats au nom de Wallenstein dans la principauté de
Liège, la ligue catholique est de plus
en plus menacée par le roi de Suède et
Ferdinand II ne peut y rester insensible.
Le 15 avril, Gustave-Adolphe force le passage de la
Lech, défendu par Tilly, pénètre en Bavière et ravage le duché[28]. Tilly lui-même, ainsi que son principal
lieutenant, Aldringen, sont blessés. Inquiet, le résident français
à Munich, M. de Saint-Étienne,
prend l’initiative de rencontrer le roi de Suède dans son camp
d’Ingolstadt pour lui demander
d’épargner Maximilien[29]. Le duc de Lorraine s’en trouve beaucoup plus isolé qu’il ne
le souhaiterait.
L’armée de Charles IV s’est mise en marche,
officiellement pour aller contre Strasbourg, ville libre qui s’est rebellée contre
Ferdinand II et contre l’autorité de son évêque[30]. Les soldats lorrains
prennent en réalité la route du Luxembourg. Il ne peut être exclu
qu’ils se rendent à la rencontre de deux armées espagnoles, celle
de Don Gonzalès de Cordoue et celle du comte d’Emden, à la
rencontre de l’armée de Monsieur ou à la rencontre des hommes de
Wallenstein. Ce faisant, le duc de Lorraine couperait d’ailleurs le chemin de retraite
de l’armée française d’Allemagne. Les
négociations en cours avec le chancelier suédois Oxenstern, à
propos de la neutralité, sont suspendues, mais l’archevêque de
Trèves est disposé à remettre à la
France les places fortes prévues dans
le système de protection proposé par la France[31].
Le 10 mai 1632, Louis XIII et Richelieu partent vers
le nord du royaume pour inspecter les places de la frontière
picarde et prévenir toute incursion ennemie. Le 22, tous deux
arrivent à Calais. Le roi rachète alors
la charge de gouverneur de la ville, privant ainsi les rebelles et
les Espagnols d’un point d’appui qui aurait pu être déterminant
pour l’invasion du royaume. Le souverain annonce aussi au duc de
Lorraine qu’il confie le commandement
de son armée d’Allemagne aux maréchaux
d’Effiat et de La Force. Tous deux ont pour mission d’en renforcer
les effectifs et l’organisation, en vue d’une intervention dans
l’Empire et en Lorraine.
La promotion du marquis d’Effiat, devenu maréchal de
France, est toute récente.
Louis XIII le charge plus particulièrement de soutenir
l’archevêque de Trèves,
Philippe-Christophe von Soetern, dans son combat contre les soldats
de Philippe IV d’Espagne qui se sont emparés de Philippsbourg. La cité appartient à l’archevêque de
Trèves en qualité d’évêque de
Spire. Le prélat est totalement
désemparé : Gustave Horn a chassé les Espagnols de
Coblence et menace autant que ceux-ci.
Le seul secours sur lequel puisse compter l’archevêque est celui
que lui envoie le roi de France en
vertu des accords de protection conclus en avril.
Le maréchal d’Effiat rétablit rapidement la
situation et laisse des hommes à Philippsbourg et à Ehrenbreitstein. La signification de l’occupation
de ces forteresses dépasse vite la simple opération protectrice.
Philippe-Christophe von Soetern est contraint d’offrir à Richelieu
la coadjutorerie de l’évêché de Spire
et la dignité de grand prévôt du chapitre de Trèves pour préserver ses droits. Le
cardinal-ministre pousse le marchandage jusqu’à exiger que la
dignité de grand prévôt lui garantisse la succession à
l’archevêché. La protection prend l’allure d’annexion. L’évolution,
somme toute similaire à celle qui s’est opérée dans les
Trois-Évêchés, quoique plus brutale,
n’échoue que par le rapt de Philippe-Christophe von Soetern par les
Espagnols au mois de mars 1635.
L’application du système de protection permet à la
France d’occuper des positions très
avancées dans les pays rhénans. La sécurité de l’espace lorrain,
derrière les troupes françaises des maréchaux de La Force et
d’Effiat, acquiert une importance accrue, car les garnisons
stationnant en Allemagne dépendent
désormais des bonnes communications avec le royaume. Mais quel
crédit accorder à Charles IV ? Le maréchal d’Effiat lui-même
exhorte le roi à venir en Lorraine
puisque aucun danger ne semble peser sur la Picardie[32].
Fin mai, les troupes lorraines ont d’ailleurs
rejoint les armées espagnoles et Monsieur est parti pour
Trèves afin de prendre la tête des
contingents mis à sa disposition par Ferdinand II.
Le traité de Liverdun
Richelieu tente encore de négocier avec le duc de
Lorraine en lui demandant de céder à la
France, comme garantie de ses bonnes
intentions, les places de Stenay et de
Clermont-en-Argonne. Le 9 juin,
Richelieu lance un avertissement solennel à Charles IV[33] : il se heurte à un
mur d’obstination et de silence.
Deux jours plus tard, Louis XIII quitte la
Picardie pour la Champagne, puis les Trois-Évêchés[34]. Les maréchaux d’Effiat et de La Force sont
rappelés d’Allemagne et convergent vers
la Lorraine pour s’interposer entre le
roi de France et les armées espagnoles.
Ils ont ordre de ne plus négocier avec le duc de Lorraine.
Richelieu et Louis XIII sont persuadés que Don Gonzalès de
Cordoue, qui n’a pas suivi Monsieur, n’a pas davantage l’intention
d’aider Charles IV[35].
Le 13, le duc d’Orléans publie une supplique
« contre Jean Armand, cardinal de Richelieu, perturbateur du
repos public, ennemy du Roy et de la maison royalle, dissipateur de
l’Estat, usurpateur de toutes les meilleures places du royaume,
tyran d’un grand nombre de personnes de qualité… »[36]. Le signataire informe
solennellement les sujets du roi de France que leur souverain s’est trompé et qu’il
faut combattre la tyrannie de Richelieu et de ses complices :
la guerre civile est déclarée. Le même jour, les maréchaux de La
Force et d’Effiat installent leurs quartiers dans l’évêché de
Metz. Selon eux, face à l’armée de
Louis XIII, Monsieur ne peut que prendre la route de la
Franche-Comté puis du Gévaudan : leur analyse se révèle d’une rare
justesse.
Les armes paraissent le seul moyen de contraindre
Charles IV à satisfaire à ses obligations[37]. Le duc de Lorraine n’a pas les moyens de s’opposer aux forces
françaises. Par l’intermédiaire de l’infante, il a averti Don
Gonzalès de Cordoue du danger encouru, mais le général espagnol ne
cesse de se dérober. Il a trop à faire et ne peut qu’inciter
Charles IV à se soumettre. Wallenstein est pareillement sollicité,
sans plus de succès. Ni Wallenstein, ni Mérode, ni Montecuculli ne
disposent de contingents suffisants.
Dès la fin de juin, Louis XIII tient les
passages de la Meuse et de la Moselle. Nancy est directement menacée. Le marquis de
Bourbonne attire d’ailleurs l’attention de Richelieu sur la
vulnérabilité de la capitale ducale défendue par la princesse de
Phalsbourg. Le roi de France poursuit
aisément son périple en occupant Saint-Mihiel, capitale du Barrois non mouvant, puis Pont-à-Mousson, siège de l’université lorraine. La
campagne éclair de Louis XIII dévoile la fragilité des États
lorrains. Charles IV n’a plus qu’à négocier un nouveau traité
de paix.
L’accord est signé à Liverdun le 26 juin[38]. Il fixe sans équivoque l’attitude que le duc
de Lorraine doit observer.
Charles IV consent une participation financière et militaire
aux combats engagés par le roi de France, lui laissant libre passage en Lorraine.
L’aide à fournir à Louis XIII est prévue pour tous types de
conflits. En contrepartie, le roi de France s’engage à évacuer les
pays occupés et à remettre Bar,
Saint-Mihiel et Pont-à-Mousson, si symboliques de l’identité
lorraine, à leur légitime souverain. Charles IV laisse par
ailleurs au vainqueur Stenay et
Jametz pour une durée de quatre années.
Un article secret oblige le cardinal Nicolas-François de Lorraine,
frère de Charles IV, à se constituer otage si les places
n’étaient pas livrées à la France. Surtout le duc cède en toute
propriété le bailliage de Clermont-en-Argonne, moyennant un dédommagement
financier[39]. Enfin,
dans un délai d’un an, Charles IV est tenu de rendre hommage à
Louis XIII, selon le cérémonial réclamé par les juristes
français.
Le traité de Liverdun
permet l’implantation du royaume de France à l’angle nord-ouest des duchés de
Lorraine et de Bar ; il offre à Louis XIII le contrôle
des routes et des étapes vers l’Empire. Au cours des mois qui
suivent, l’acquis stratégique sur les voies de communication
s’avère encore plus important que les gains territoriaux[40].
La toute-puissance du cardinal-ministre, le procès
du maréchal de Marillac
Au cours des années 1631 et 1632, Richelieu profite
de l’assurance acquise lors de la journée des Dupes et consolide sa
position au sommet du pouvoir en éliminant ceux qu’il considère
autant comme ses ennemis personnels que comme les ennemis de
l’État. Il profite du règlement de la succession de Mantoue et de l’implication de la France dans les affaires d’Allemagne ; il cherche aussi prudemment à
éviter toute nouvelle révolte et à se ménager la sympathie de
Jean-Louis d’Épernon, gouverneur et représentant de l’autorité
militaire du roi de France dans les Trois-Évêchés.
Mais Richelieu ne peut se permettre de disperser ses
forces. Et Monsieur, dont le sort est lié à celui de Marie de
Médicis, requiert une vigilance de tous les instants. Le maréchal
de Marillac fait les frais de la vindicte qu’ils ne savent taire
depuis la journée des Dupes. Le sort réservé au gouverneur de
Verdun est exemplaire et se veut comme
tel. Richelieu ne pardonne pas ; il sait aussi que les Grands
du royaume l’observent[41].
Le 10 novembre 1630, conformément à la décision
prise par le conseil du roi, le frère de l’ancien garde des sceaux
a reçu une lettre de Louis XIII lui confiant le commandement
de l’armée d’Italie. Il ne s’agissait
nullement d’une promotion : deux jours plus tard, Louis XIII a
enjoint au maréchal de Schomberg de procéder à son arrestation. Un
autre grief anime le cardinal : Louis de Marillac est certes
le frère de Michel, disgracié et emprisonné, mais se trouve aussi à
la tête d’une armée de six à sept mille hommes.
La surprise est totale d’autant que Louis XIII
n’avance aucun motif et ne professe aucune accusation. Arrêté,
Louis de Marillac fait preuve d’une complète soumission et refuse
même un projet d’évasion fomenté par un de ses lieutenants, Le
Mesnil. Il est paradoxalement d’une parfaite lucidité quant aux
raisons profondes de son arrestation[42], mais reste convaincu que son innocence le
sauvera et que sa bonne conduite sera récompensée. Il tarde à
admettre d’où vient le coup et garde encore l’espoir qu’une
intervention de sa femme dissipera ce qu’il considère comme un
malentendu[43].
Pour Richelieu, maintenir Marillac en prison est une
nécessité. Le prisonnier est un excellent otage et un moyen de
pression efficace sur Marie de Médicis. Le cardinal compte utiliser
la situation, soit pour empêcher la reine mère d’en venir à des
décisions extrêmes, soit pour lui donner satisfaction si elle se
résolvait à la composition. Dans l’un ou l’autre cas, il a besoin
de réunir les charges les plus lourdes possibles pour dissimuler le
procès politique sous l’apparence d’un procès criminel. Richelieu
recourt aux services d’un homme de confiance, expert en la matière,
Isaac de Laffemas. Ancien comédien et poète, une réputation bien
établie lui vaut déjà le surnom de « bourreau du cardinal de
Richelieu ». D’une dureté exemplaire, Laffemas est le
spécialiste des mises en scène spectaculaires. Il reçoit commission
pour dresser l’inventaire des papiers saisis chez le maréchal de
Marillac, tandis qu’une armée d’agents de Richelieu amasse tous les
ragots possibles concernant les activités de l’ancien gouverneur de
Verdun, en particulier ses relations
avec Gaston d’Orléans et avec le duc de Lorraine.
L’interception d’une lettre du maréchal de Marillac
à son lieutenant Biscarras, lui ordonnant de remettre la citadelle
de Verdun au roi, est à elle seule le
symbole de la dureté et de la ruse dont peut faire preuve
Richelieu. Biscarras n’a jamais, et pour cause, connaissance de
l’ordre de Marillac, bientôt accusé de vouloir garder la place, et
Biscarras de fomenter une révolte. L’arrestation opportune de
quelques officiers ayant servi Marillac conforte la rumeur d’une
sédition imminente et le bien-fondé de son emprisonnement.
L’unique chance de salut de Marillac est de servir
de monnaie d’échange dans la réconciliation de Richelieu et de
Marie de Médicis. Si le prisonnier réussit à faire parvenir une
seconde missive à Biscarras, qui restitue Verdun, et à s’affranchir de l’accusation de
lèse-majesté, le cardinal-ministre est déterminé à lui faire payer
l’obstination de la reine mère et la fuite de Gaston d’Orléans hors
du royaume.
L’instruction du procès criminel du maréchal de
Marillac, confiée à Laffemas en même temps qu’à une autre créature
de Richelieu, Isaac de Moricq, débute fin janvier 1631. Le 29, le
maréchal de Marillac a l’habileté de faire saisir la grande chambre
du parlement de Paris d’une requête en
incompétence des commissaires spéciaux désignés pour instruire son
procès. Le Parlement est toujours hostile aux commissions
extraordinaires qui le dépouillent de ses prérogatives. L’assemblée
décide d’évoquer elle-même l’affaire. Le 6 février, un arrêt
du conseil du roi casse la décision du Parlement. Des remontrances
sont adressées au roi. Le maréchal de Marillac dépose une nouvelle
requête et le Parlement rend un deuxième arrêt en sa faveur.
Richelieu n’en tient aucun compte et confirme à Laffemas et à
Moricq qu’ils doivent poursuivre la tâche qui leur a été
confiée.
Puis la procédure se radicalise : ordre est
donné à la maréchale de Marillac et à sa nièce,
Mlle d’Attichy, de s’éloigner de Paris, et à un neveu du prisonnier, chanoine de la
cathédrale de Verdun, de quitter la
ville. Le 13 mai, un tribunal d’exception est institué. Il se
compose des deux rapporteurs déjà évoqués, de trois maîtres des
requêtes de l’hôtel supplémentaires, dont un personnage important,
Paul Hay du Châtelet, de deux présidents et de douze conseillers du
parlement de Dijon, où le prisonnier
est transféré. Le choix du parlement bourguignon est une véritable
offense faite à celui de Paris. Mais
une épidémie de peste oblige la commission à se replier à
Verdun. Laffemas et Moricq n’hésitent
pas à susciter dépositions et dénonciations concernant le
détournement supposé, par Marillac, de sommes réservées à la solde
et à l’entretien de son armée, concernant des malversations qu’il
aurait commises lors des travaux de fortification de la citadelle
et des abus d’autorité[44].
Les interrogatoires débutent au mois de juillet
1631. À cette époque, pour une raison inconnue, Laffemas demande à
être relevé de ses fonctions ; il est provisoirement remplacé
par un autre magistrat au parlement de Dijon, Antoine de Bretagne. Le tribunal d’exception
doit se réunir le 28 mais Antoine de Bretagne et Isaac de Moricq
répondent que l’instruction n’est pas terminée. Tandis que la cour
fait pression pour accélérer la procédure, un nouvel arrêt du
parlement de Paris interdit à la
chambre criminelle de poursuivre ses investigations et adresse de
nouvelles remontrances au roi. Le 12 septembre, Louis XIII
doit ordonner aux juges établis à Verdun de poursuivre leur tâche.
Au vrai, les hommes de loi chargés de l’instruction
doutent du bien-fondé et de la légalité de la procédure. Ils
autorisent le maréchal de Marillac à choisir un avocat, un
procureur et deux de ses parents comme solliciteurs. Le choix du
prisonnier se porte sur des avocats parisiens, ainsi que sur
Mlle d’Attichy et sur Jacques Jacob, un de ses familiers. Le
gouvernement réplique en exilant la nièce de Marillac et en
interdisant aux avocats de quitter Paris. La chambre criminelle de Verdun se montre de plus en plus rétive. La
procédure judiciaire s’enlise tandis que le maréchal de Marillac
multiplie les requêtes en récusation de ses juges. Furieux de voir
ses intentions déjouées, le cardinal-ministre décide alors de faire
« défense à la chambre souveraine établie à Verdun de plus s’assembler jusqu’à ce qu’il ait été
pourvu auxdites récusations »[45]. Les juges sont dessaisis et les commissaires
renvoyés chez eux.
Mme de Marillac vient de décéder. La nouvelle
frappe le prisonnier de plein fouet et au pire moment. Conservant
néanmoins quelques illusions, le maréchal de Marillac interprète le
désaveu du tribunal de Verdun comme un effet de la clémence de
Richelieu.
Au mois de décembre 1631, Louis XIII et sa cour
séjournant en Lorraine, Marillac tente
de sonder le gouvernement en lui envoyant son procureur, qui n’est
reçu ni par le roi, ni par Richelieu. Qui plus est, tous les
prisonniers détenus à Sainte-Menehould
sont libérés, sauf les gens du maréchal. Ce dernier persiste et
dépêche à Metz son avocat, Rouyer, les
réponses arrachées à Richelieu sont glaciales. Le prisonnier se
raccroche au moindre espoir. Dans l’éventualité d’un deuxième
entretien avec le cardinal, un mémoire justificatif est préparé. La
réponse est décevante : il faut laisser le procès se dérouler.
À cette fin, Marillac est transféré à Pontoise, puis à Rueil. L’ordre de s’y rendre porte
la date du 8 mars 1632 ; le procès entre dans sa phase
ultime.
La nouvelle chambre criminelle chargée d’instruire
le procès est composée de treize conseillers au parlement de
Dijon, qui a eu le bon goût de
condamner les complices de Marie de Médicis et de Gaston d’Orléans,
de deux conseillers d’État et de huit maîtres des requêtes. Elle
est présidée par le marquis de Châteauneuf, qui a été promu garde
des sceaux à la place de Michel de Marillac.
Les travaux débutent le 10 mars ; les requêtes
de l’accusé sont d’emblée écartées. Les charges qui lui sont
imputées sont les détournements opérés sur la subsistance et la
solde de l’armée de Champagne, les
malversations commises dans l’adjudication des travaux de
construction de la citadelle de Verdun,
les corvées et prestations en nature ou en argent abusivement
imposées aux communautés du pays. L’accusation de lèse-majesté
n’est pas explicitement formulée mais elle reste sous-jacente. Que
le maréchal de Marillac ait, ou non, commis des irrégularités,
Richelieu entend frapper de manière exemplaire l’ancien capitaine
des gardes de Marie de Médicis, le frère du garde des sceaux
disgracié, l’ami du cardinal de Bérulle, l’un des chefs de file du
parti dévot. Le cardinal-ministre a bien l’intention de lancer un
avertissement sans frais à tous ceux qui auraient l’outrecuidance
de s’opposer ou de critiquer la politique du gouvernement. Isaac de
Laffemas, de retour dans l’affaire, est chargé de mener le procès à
son terme[46].
Richelieu y tient d’autant plus que Marie de Médicis déclenche une
violente campagne de presse et de libelles dans le royaume pour
dénoncer les méthodes et les objectifs de son adversaire. Les
pamphlets attaquant le gouvernement et les juges de Marillac se
multiplient et se font de plus en plus acerbes[47].
Au début du printemps, le prisonnier dépose une
énième requête en récusation des membres de la commission chargée
d’instruire son procès et s’élève en particulier contre la présence
de Paul Hay du Châtelet[48], tandis que Marie de Médicis et Gaston
d’Orléans tentent encore d’intimider les juges par voie
épistolaire[49].
Le 28 avril, le maréchal de Marillac comparaît enfin
devant le tribunal d’exception réuni pour le juger. Les parents du
maréchal de Marillac réitèrent en son nom la récusation de Paul Hay
du Châtelet : l’acte fait état de paroles outrancières
prononcées par l’intéressé et d’un pamphlet haineux dont il serait
l’auteur. Mais la procédure doit être abandonnée : le maréchal
de Marillac, enfermé et étroitement surveillé, ne peut signer la
requête. Se voyant isolé de son entourage et privé de tout contact,
le prisonnier demande à être à nouveau entendu par la chambre de
justice du parlement de Paris. Le 4
mai, Louis XIII réunit son Conseil et convoque le garde des
sceaux ainsi que quelques juges, dont Paul Hay du Châtelet. Il
apparaît effectivement que ce dernier a porté des accusations trop
vives contre le prisonnier. Il est disgracié et à son tour
incarcéré[50].
Au sein du tribunal, les désaccords sur les charges
à retenir contre le maréchal de Marillac prolongent les
discussions. Les délibérations n’arrivent à leur terme que le 7
mai : treize juges se prononcent pour la mort, dix pour le
bannissement ou l’exil. Trois jours plus tard, Louis de Marillac
est exécuté en place de Grève. Aveu terrible de mauvaise
conscience, Louis XIII donne ordre, dès la fin du procès, de brûler
les procès-verbaux de la procédure originale. La brutalité de la
méthode souligne la volonté de Richelieu, appuyé par le roi,
d’affirmer son autorité et celle du principe monarchique. Elle
révèle aussi les freins opposés à la tendance pré-absolutiste par
les instances judiciaires françaises.
Au mois de décembre 1631, des édits de Louis XIII
portant création de commissions extraordinaires soulèvent une vive
agitation dans le milieu parlementaire. Richelieu et le roi
entendent attribuer le jugement des causes touchant l’ordre public
à des commissaires spécialement désignés. Une commission de justice
vient justement d’être mise en place à l’Arsenal de Paris afin de poursuivre des faux-monnayeurs. Le
parlement de Paris y voit une atteinte à ses prérogatives, et fait
tout pour s’opposer à l’enregistrement des édits de création des
commissions.
Le 30 janvier 1632, le roi, par la voix du marquis
de Châteauneuf, fait part de son mécontentement aux représentants
des parlementaires réunis à Metz. Le
souverain déclare refuser les remontrances de l’assemblée et
déchoit ses membres du titre de conseiller. Il rappelle le
caractère « monarchique » de l’État et entend faire
respecter son autorité. À la suite du discours du garde des sceaux,
le premier président au Parlement, Nicolas Le Jay, sollicite la
grâce du roi et le maintien des parlementaires dans leurs charges,
mais justifie leur attitude, à la grande colère de Louis XIII,
et au vif mécontentement de Richelieu et de Châteauneuf. Sous le
coup de l’émotion, le roi prend lui-même la parole et affirme sans
ambages la prééminence de l’autorité royale sur l’autorité
parlementaire. Puis le cardinal s’adresse à son tour aux
représentants du Parlement pour leur enjoindre d’obéir aux ordres
qui leur ont été donnés. Le cardinal-ministre se montre plus
conciliant que le souverain et se déclare favorable au maintien des
parlementaires dans leurs charges, sous réserve que ceux-ci
obéissent enfin au roi et enregistrent les édits nécessaires à la
réforme judiciaire. La querelle est d’autant plus importante que la
résistance opposée par les juges met en cause le système de justice
d’État voulu par Richelieu, et l’instruction du procès politique
par excellence, celui du maréchal de Marillac, que le
cardinal-ministre souhaite voir aboutir le plus rapidement
possible.
La chevauchée du Languedoc
C’est dans ces circonstances que Monsieur, début
juin, entre en armes dans le royaume. Le 13, il publie à
Andelot un Manifeste où il expose ses
objectifs et justifie le déclenchement de la guerre civile[51]. Le duc d’Orléans se
présente comme le libérateur de la tyrannie qu’exerce Richelieu sur
le roi et sur la population du royaume. Pour compenser la défection
du duc de Bellegarde, il compte sur le ralliement du duc de
Montmorency, gouverneur du Languedoc,
qui l’a pourtant mis en garde contre toute précipitation[52]. Le 15, le marquis de
Bourbonne annonce l’arrivée de Gaston devant Dijon[53]. La population de la ville est profondément
hostile à l’entreprise, car les troupes rebelles vivent à ses
dépens comme en pays conquis. Le frère du roi amorce une chevauchée
qui le conduit à mettre à feu et à sang les provinces qu’il
traverse. Il est sans pitié pour ceux qui lui résistent et
demeurent fidèles à Richelieu. Face, pourtant, à la détermination
des Bourguignons, il doit prendre le chemin de la Bresse. À la fin du mois de juin, le maréchal de
Créqui, à son tour, prend les mesures défensives nécessaires pour
empêcher les rebelles d’entrer dans le Dauphiné.
Depuis 1630, des troubles agitent le sud du royaume.
Les révoltes anti-fiscales se multiplient et le duc d’Orléans a
l’intention d’exploiter la situation. Le royaume est soumis à deux
régimes distincts de fiscalité : les pays d’états d’une part,
les pays d’élections de l’autre (environ les deux tiers du
territoire). Cinq provinces bénéficient du statut de pays
d’états : la Bourgogne, la
Bretagne, le Dauphiné, le Languedoc
et la Provence. Leurs habitants payent
la taille réelle, impôt foncier qui ne grève que la terre. Celui
qui n’en a pas est exempté. De plus, seules les terres de roturiers
sont taxées. Celles des nobles sont exemptées et une terre réputée
noble reste telle, quel que soit son acquéreur. À l’inverse, une
terre roturière le demeure également, même achetée par un noble,
qui doit alors acquitter la taille. Chaque année, la somme à payer
au trésor royal par les pays d’états est communiquée aux états
provinciaux. L’impôt est ensuite réparti entre les contribuables
par les députés des trois ordres des provinces concernées.
Dans les pays d’élection, au contraire, la taille
est personnelle. L’impôt est direct ; il affecte les revenus
des contribuables et est fixé chaque année arbitrairement par le
gouvernement. Infailliblement, les dépenses imprévues affluent en
cours d’exercice budgétaire, surtout en temps de guerre. Des levées
supplémentaires sont alors organisées et une « crue » est
ajoutée à la somme primitivement fixée. Les levées supplémentaires
deviennent tellement régulières que la crue finit par être
considérée comme un élément normal de la taille. Un procédé
similaire est employé pour les anticipations. À la suite de
prélèvements anticipés, la taille de l’année à venir peut être
épuisée avant même son échéance. Elle est alors mise à jour en
tenant les anticipations pour nulles et la taille est à nouveau
levée comme si rien n’avait été perçu auparavant. D’où un
doublement pur et simple de l’impôt ! On comprend l’intérêt du
gouvernement à préférer la taille personnelle à la taille réelle,
d’autant qu’aux crues ordinaires et extraordinaires peuvent même
s’ajouter des crues super extraordinaires et que la vente des
charges d’élus et d’officiers chargés de la levée de l’impôt est
une source de profit conséquente.
Les pays d’élection forment seize recettes générales
qui correspondent aux circonscriptions administratives, les
généralités. À la tête de chaque recette générale est placé un
général des finances. La recette elle-même se divise en plusieurs
entités, les élections, qui sont les unités fiscales de base. Le
général des finances est informé du montant de la somme assignée à
sa circonscription et procède à la répartition entre les élections
de son ressort.
À l’intérieur de chaque élection, la ventilation de
l’impôt est effectuée par les élus. Leur recrutement s’opère
surtout parmi les hommes de loi en possession d’un niveau de
fortune suffisant pour leur permettre de s’acquitter du prix de
leur charge. Les élus sont assistés dans l’exercice de leurs
fonctions par des lieutenants, primitivement de simples commis
choisis et rétribués par les élus eux-mêmes. Au début du
xvie siècle, cette hiérarchie est déjà une
source de revenus considérables. Mais il s’avère rapidement que les
officiers du fisc ne sont pas assez nombreux. Les charges de
contrôleur des tailles et de receveur des tailles sont créées. Puis
le nombre de receveurs est doublé par la mise en place dans chaque
emploi de deux titulaires alternatifs, l’un pour les années paires,
l’autre pour les années impaires. Un troisième officier leur est
adjoint dans une dernière étape, le receveur triennal qui n’opère
que tous les trois ans. À chaque office correspondent donc trois
titulaires qui ont payé leur charge mais que le gouvernement doit
rémunérer tous les ans alors qu’ils ne travaillent qu’une année sur
trois. Le clergé et la noblesse sont par ailleurs exemptés de la
taille ainsi que tous les officiers ayant acheté leur charge. Et le
gouvernement encourage les inégalités par la vente aux enchères de
privilèges individuels accordant dispense pour tous les impôts
directs ! Richelieu souhaite étendre le système en vigueur
dans les pays d’élections aux pays d’états. Les rentrées fiscales
immédiates dans les caisses du royaume seraient considérables. Mais
le projet suscite de vives oppositions.
En Provence, la
perception de l’impôt a été confiée à des agents du roi, en
remplacement des agents de la province, au vif mécontement de la
population. Sachant sa position fragile, le gouverneur de la
province, le duc de Guise, a laissé faire, avant de partir en exil,
menacé par l’armée de Condé. En 1632, tandis que Richelieu se
réserve personnellement l’intégralité des affaires maritimes, la
charge vacante est confiée au maréchal de Vitry.
En Languedoc, le projet
d’établir des élus a provoqué l’opposition des états et celle du
parlement de Toulouse. Le gouverneur,
Henri de Montmorency, semblait jusque-là soucieux de se ménager les
meilleures relations possibles avec le roi, afin de préserver son
indépendance personnelle.
Né en 1595, il est le fils du connétable
Henri ier de Montmorency, maréchal de France. Orphelin de père en 1614, il jouit très
jeune d’un pouvoir quasi absolu en Languedoc, d’une grande popularité et d’une vie
particulièrement luxueuse. Cinquante gentilshommes et trente pages
l’accompagnent dans tous ses déplacements. Maître des états du
Languedoc, le duc de Montmorency, qui
a, en outre, épousé une nièce du pape Sixte Quint, Marie-Félice des
Ursins, est un gouverneur tout-puissant dans une province éloignée
du pouvoir central et limitrophe de l’Espagne.
Il a soigneusement évité de prendre parti dans les
querelles de cour. En 1620, Marie de Médicis, en exil à
Angoulême, a tenté en vain de l’attirer
dans sa faction. Louis XIII a récompensé le gouverneur du
Languedoc en lui conférant le collier
de ses ordres. La même année, il s’est rangé aux côtés de son
souverain pour combattre les protestants et a dirigé le siège de
Montpellier face au duc de Rohan.
Mais la loyauté dont le duc de Montmorency a eu
l’intelligence de faire preuve n’a pas empêché son implication
involontaire dans les cabales dont Marie de Rohan-Montbazon,
devenue Mme de Luynes, a le secret. En 1618, la future
duchesse de Chevreuse a été nommée surintendante de la Maison de la
reine. Or la veuve du connétable de Montmorency venait d’accepter
la charge de dame d’honneur à condition qu’il n’y ait pas de
surintendante. Henri a pris le parti de sa belle-mère, Laurence de
Clermont-Montoison et protesté auprès du roi, sans rien
obtenir.
Quelque temps plus tard, est survenue une affaire
beaucoup plus grave. Le duc de Montmorency a rencontré Anne
d’Autriche en Languedoc en 1621. Le
26 février 1623, à la stupeur générale, lors d’une fête donnée
à la cour, le poète Théophile de Viau a donné lecture de vers
composés par le gouverneur du Languedoc, une déclaration d’amour à
la jeune reine, qui a reçu, semble-t-il, l’hommage avec faveur.
Louis XIII ne pouvait accepter un tel affront. Deux camps se
sont constitués à la cour : Montmorency et Bourbon autour
d’Anne d’Autriche, la duchesse de Chevreuse et les Guise autour du
roi. Marie de Médicis a alors obtenu qu’aucun homme ne puisse plus
entrer dans le cabinet de sa belle-fille. L’incident en est resté
là.
Le duc de Montmorency a pu poursuivre sa carrière,
non sans humiliations. Le 16 septembre 1625, il a remporté, en
tant qu’amiral, la victoire navale de l’île de
Ré. Mais celle-ci a été confiée à Toiras, inférieur en grade
au gouverneur du Languedoc. Richelieu
n’a jamais apprécié le duc de Montmorency, type même du prince dont
l’ostentation ne pouvait que nuire à la bonne gestion des
affaires[54].
Bien qu’il ait mis à la disposition du roi une
flotte et des troupes entretenues à ses frais, bien qu’il se soit
déclaré prêt à prendre La Rochelle avec
quelques contingents supplémentaires, il n’a pas été davantage
écouté. Richelieu l’a obligé, de surcroît, à se défaire de sa
charge d’amiral, moyennant, toutefois, plus d’un million de livres
de dédommagement.
Mécontent du sort qui lui a été réservé, le duc de
Montmorency s’est rapproché de Gaston d’Orléans. En 1627,
l’exécution de François de Montmorency-Bouteville, cousin du duc, a
encore ajouté à son amertume et à son ressentiment. L’année
suivante, il a pourtant repris la guerre contre le duc de Rohan,
participé au siège de Privas et, après
la paix d’Alès, reçu Richelieu dans son
château de La Grange-des-Prés, près de Pézenas.
Mais, au cours de l’été 1628, Louis XIII a augmenté
de deux cent mille livres la charge fiscale pesant sur le
Languedoc pour financer le siège de
La Rochelle. Les états ont eu beau
protester, revendiquant haut et fort leur droit à consentir
l’impôt, les trésoriers de France
installés dans les diocèses de la province ont établi les rôles, et
provoqué une levée de boucliers : receveurs diocésains,
consuls, syndics de communautés, le parlement de Toulouse, tous ont protesté. L’attachement de la
province à ses franchises régionales est apparu de manière plus
éclatante encore le 3 mai 1629 lorsque les états du
Languedoc, à leur tour, ont exprimé
leur désapprobation. Au début du mois de juillet, un conseiller
d’État, Viguier, et deux trésoriers de France sont arrivés sur place en tant que
commissaires du roi chargés de lever cinq cent mille écus pour
l’armée. Le 18, Richelieu lui-même se trouvant à Montpellier a établi des élus, sans obtenir l’aval
nécessaire des juges toulousains.
Le conflit dure plus de deux ans ; la
dissolution des états du Languedoc est
même prononcée par le roi. À Paris, le
duc de Montmorency tente de négocier. Il obtient le rétablissement
de l’assemblée, qui reçoit le droit de consentir les impôts
établis. Le projet d’installation des élus est provisoirement
remis. Mais des commissaires royaux chargés de l’assiette et de la
répartition de l’impôt doivent leur être substitués. Malgré toutes
ces difficultés et ses rancoeurs personnelles, Henri de Montmorency
reste encore quelque temps fidèle au roi et s’engage auprès de lui
lors de la campagne d’Italie, en
Savoie et en Piémont. La duchesse retrouve elle-même la cour à
Lyon et, pendant la maladie du roi, le
gouverneur du Languedoc offre une
retraite sûre à Richelieu.
Après la journée des Dupes, le duc de Montmorency
semble enfin récompensé : il est nommé maréchal de
France. On promet aussi le
rétablissement en sa faveur des titres de connétable et de grand
chambellan. Le 23 décembre 1630, Richelieu et Marie-Félice des
Ursins sont parrain et marraine du prince de Conti, second fils de
Condé. Mais, en 1631, au grand dam des états, deux nouveaux
commissaires royaux arrivent en Languedoc pour superviser les opérations de
recouvrement de l’impôt : il s’agit de Robert Miron et de
Michel Particelli d’Hémery. Des officiers subalternes sont
installés dans toute la province pour rétablir les tailles.
L’évêque d’Albi,
Alphonse d’Elbène, exerce une influence locale essentielle. Il
possède des parents dans l’entourage de Gaston d’Orléans, et comme
Marie-Félice des Ursins, il pousse le duc de Montmorency à agir
contre Richelieu, qui ne tient pas ses promesses et ne rétablit pas
les charges promises. Quoi qu’il arrive, le gouverneur du
Languedoc, qui se garde de rompre
ouvertement avec la cour, sait qu’il peut compter sur le soutien
d’une clientèle considérable : de vieilles familles féodales,
comme les Crussol, les Lévis ou les Polignac ; le haut
clergé ; quelques évêques d’origine italienne, comme Alphonse
d’Elbène ou Clément Bonzi, évêque de Béziers.
Le 23 janvier 1632, un autre prélat, celui-là
favorable à Richelieu et à Louis XIII, l’archevêque de Narbonne, Claude de Rebé, écrit au
cardinal-ministre son inquiétude et les difficultés que les
commissaires royaux rencontrent auprès de l’assemblée des états
réunie à Pézenas pour s’y faire
admettre. Les Languedociens expriment plus que jamais leur volonté
d’être maintenus dans leurs privilèges[55].
C’est à cette époque que s’expriment les premiers
doutes concernant la réelle loyauté du duc de Montmorency à l’égard
de son souverain. L’information, à défaut de pouvoir être infirmée
ou confirmée, est soigneusement conservée. Officiellement pour
parer à l’éventualité d’une révolte des protestants du Languedoc, le marquis de La Force est envoyé sur
place[56], bientôt
rejoint par son père, le maréchal, et par Henri de Schomberg.
Le frère du roi, après avoir vainement tenté de
soulever la Bourgogne, a passé la Loire
et se dirige vers l’Auvergne. Au début
du mois de juillet, la ville de Moulins
est menacée. Faute d’effectifs militaires suffisants, le lieutenant
général au gouvernement d’Auvergne, François de Noailles, n’a pas
les moyens de s’opposer au duc d’Orléans. Monsieur gagne sans
difficulté les portes de Vichy ;
il s’empare très provisoirement de la place de Cusset et reste trois jours aux environs de
Saint-Flour. La cité reste close. Les
rebelles prennent alors la route du Gévaudan et le château de Vodable.
Le duc de Montmorency, qui, après de longues
tractations, a accepté l’installation de six élus[57], assure la municipalité de
Narbonne de sa loyauté à l’égard du roi
et propose d’organiser la défense de la ville. Mais les habitants,
à la suite de leur archevêque, jugent l’attitude du gouverneur
suspecte. Leurs représentants déclarent l’autorité municipale
préférable à celle d’une seule et unique personne. Montmorency
ordonne alors le repli de ses troupes de la cité, où sévit la
peste, vers la citadelle. La mise en défense ouvre les yeux de
Particelli d’Hémery : la duplicité du gouverneur ne fait plus
aucun doute.
Le 22 juillet, Henri de Montmorency, au cours d’une
réunion des états, annonce lui-même son entrée en dissidence.
Malgré l’opposition de l’archevêque de Narbonne, qui est arrêté en même temps que le
représentant du roi, Particelli d’Hémery, les états décident de le
suivre[58].
Quelques jours plus tard, le maréchal de La Force, dont l’armée est
considérablement affaiblie, appelle Louis XIII à son
secours : le duc d’Orléans est arrivé à Lodève après s’être emparé de Lagrasse et de MontlaurLe maréchal de La Force à Richelieu, vers
le 5 août 1632, MAE, coll. MD France, vol. 802,
fol. 423-424..
Montmorency s’évertue à proclamer sa fidélité à
l’égard de Louis XIII et jure au comte d’Alès, Louis-Emmanuel de Valois, qu’il n’a aucun
contact avec Monsieur. Il considère comme injurieux la venue du
maréchal de La Force en Languedoc,
ainsi que le commandement qui lui a été confié à l’intérieur du
gouvernement, dont lui, duc de Montmorency, est en charge. Il
certifie même qu’aucun soldat n’était sur le pied de guerre avant
l’arrivée de l’armée royale[59] et opére sa jonction avec le frère du roi, à
Lunel, le 30 juillet.
Tous les Languedociens ne sont pas partisans d’une
telle attitude. Le parlement de Toulouse, en particulier, qui a appuyé la
résistance légale des états à l’installation des élus, refuse de
prendre part à la sédition. Tandis que Mazarin, au mois d’août,
interdit à Monsieur l’entrée à Avignon
et dans le Comtat Venaissin[60], Louis XIII quitte
Fontainebleau pour en finir. Le
maréchal de Vitry doit lui aussi venir prêter main-forte au
maréchal de La Force.
Le duc de Montmorency et Gaston d’Orléans ne
disposent que de moyens limités : à l’approche des troupes
royales, menées par le maréchal de Schomberg, ils entreprennent une
marche désespérée vers Castelnaudary.
La confrontation a lieu le 1er septembre : les rebelles sont
écrasés[61]. Le
comte de Moret trouve la mort ; le duc de Montmorency, blessé,
est capturé. Les habitants d’Albi
chassent leur évêque. Les places fortes tombées sous le joug du
parti adverse se rendent les unes après les autres aux soldats de
Louis XIII.
Le gouverneur du Languedoc est conduit à Lectoure puis à Toulouse, où s’ouvre son procès. Marie-Félice des
Ursins se place sous la protection de Monsieur, puis reçoit l’ordre
de se retirer au château de La
Grange-aux-Prés. Albi,
Beaucaire et Alès se soumettent au roi.
Gaston d’Orléans est, quant à lui, contraint de se
réfugier à Béziers ; il doit
désormais composer et discuter. Une semaine après la bataille, il
transmet ses desiderata à Richelieu : Monsieur réclame la
libération du duc de Montmorency, le rétablissement des ducs
d’Elbeuf et de Bellegarde dans leurs droits et prérogatives, ainsi
qu’une place de sûreté. Il exige aussi le rétablissement de la
reine mère dans ses biens et pensions et la restitution au duc de
Lorraine des places occupées par les
troupes françaises[62].
Louis XIII arrive en personne en Languedoc le 15 septembre, non sans avoir fait
saisir cinq cent cinquante mille livres à l’hôtel de Montmorency à
Paris et déclaré les propositions de
Monsieur inacceptables[63]. Les négociations s’engagent pourtant entre
le souverain et son cadet, grâce à la médiation de Claude de
Bullion. Le 23, les termes d’un accommodement sont établis.
Gaston doit promettre d’abandonner toute faction
hostile au roi de France. Aucune grâce
ne saurait être accordée aux étrangers enrôlés sous la bannière de
Monsieur, qui s’engage aussi à écarter de son entourage les
personnages les plus perturbateurs. Des préventions particulières
sont formulées contre Puylaurens[64]. Si le roi rétablit son frère dans ses
anciens privilèges, c’est Richelieu qui rédige lui-même les termes
du repentir que Monsieur doit signer. Louis XIII pardonne à
son cadet et à ses « domestiques », mais pas à
Montmorency ni aux partisans du duc d’Orléans restés à Bruxelles.
En octobre, le comte d’Argenson procède à
l’arrestation des gentilshommes qui se sont ralliés à Monsieur
pendant sa chevauchée. Certains tentent de se faire reconnaître la
qualité de « domestique » pour bénéficier de l’amnistie
royale[65]. Le duc
de Bellegarde, en raison de son attitude équivoque, est démis de
ses biens et de son gouvernement de Bourgogne par le parlement de Dijon. Il est reconnu coupable d’avoir accueilli le
duc d’Orléans dans sa province et de l’avoir suivi en Lorraine. Le malheureux n’a pourtant pas pris part
à la révolte armée ; il a même sollicité la clémence de son
souverain et lui est resté fidèle. La répression, une fois encore,
se veut exemplaire. Le gouvernement de Bourgogne est confié au
prince de Condé[66].
Le parlement de Toulouse
est parallèlement désigné pour juger le duc de Montmorency[67]. Le marquis de Châteauneuf
préside l’instruction. Les interrogatoires débutent le
28 octobre. Montmorency ne cherche pas à nier et ne se défend
pas. Il assume parfaitement sa conduite. La noblesse multiplie les
interventions pour le sauver, rien n’y fait[68]. Au terme d’une procédure plus qu’expéditive,
il est condamné à mort et exécuté[69].
La rapidité de l’instruction situe l’affaire dans la
droite ligne des procès politiques dont sont victimes les ennemis
du cardinal, à l’instar de Louis de Marillac ou de Louis Deshayes
de Cormenin. Mais la sanction revêt aussi un caractère singulier en
ce que le cardinal frappe celui qu’il considère comme le chef de
file des Grands, le représentant des princes qui ont fomenté tant
de révoltes, qui n’ont jamais cessé de jalouser le principal
ministre du roi[70].
Louis XIII soutient pleinement son ministre et publie une
lettre circulaire par laquelle il déclare vouloir faire du procès
du duc de Montmorency l’exemple même du châtiment qu’encourent les
rebelles à l’autorité du roi[71]. Le cardinal-ministre fait savoir aux Grands
qu’il bénéficie désormais d’un pouvoir suffisant pour pouvoir les
réduire au silence, et que nul n’est à l’abri. Marillac était de
naissance relativement modeste, mais Montmorency appartient à l’une
des plus grandes familles du royaume, dont sont issus nombre de
connétables, maréchaux ou amiraux. Le procès du duc de Montmorency
donne la mesure des progrès accomplis par Richelieu dans la
confiance du roi et dans l’affermissement de son pouvoir
personnel.
L’année 1632 est essentielle pour le pouvoir royal
et pour son serviteur le plus dévoué. Elle est marquée par la
volonté inébranlable de Richelieu d’imposer l’autorité de son
souverain, sans aucun conteste, de quelque nature que ce soit, mais
aussi d’affirmer son propre pouvoir. Le 12 août, Louis XIII
réunit un lit de justice pour faire enregistrer une déclaration
contre son frère et ses complices. Alors que la révolte du
Languedoc n’est pas encore matée, le
roi entend imposer au Parlement un acte de pure glorification
monarchique, par l’intermédiaire de son garde des sceaux, qui
réclame les honneurs dus à un chancelier. Le roi saisit l’occasion
pour faire valoir ses prérogatives souveraines et ordonne aux
présidents des parlements de se lever à l’entrée de Châteauneuf et
de le saluer. L’usage veut au contraire qu’un président de
Parlement ne suive un tel protocole qu’à l’arrivée du chancelier ou
à celle d’un autre président. Face aux prétentions renouvelées de
l’autorité judiciaire, il s’agit en fait de souligner la
restauration des prérogatives royales depuis la régence de Marie de
Médicis. Le parlement de Paris s’estime
au contraire libre d’appliquer le cérémonial que les usages ont
imposé. Pour lui, l’honneur rendu par les présidents n’est pas une
simple affaire de civilité. Le geste est institué de longue date
par lettres patentes enregistrées au Parlement. Il reviendrait
exclusivement à ce dernier à décider du cas du garde des sceaux.
Louis XIII impose cependant l’innovation. Puis la déclaration
du roi à propos du duc d’Orléans ayant été lue, et l’avocat général
Bignon s’étant exprimé, le marquis de Châteauneuf sollicite, comme
le veut la procédure, l’avis du souverain. Ce dernier appelle alors
à ses côtés les princes du sang, Condé et Soissons, ainsi que deux
prélats, les cardinaux de Richelieu et de La Valette. Or, à ce
stade de déroulement protocolaire, le roi devrait être seul. De
surcroît, il met à égalité et en concurrence les princes d’Église
et les princes du sang. Les présidents du Parlement ne peuvent,
quant à eux, s’exprimer qu’en troisième position. Désormais, la
coutume est subordonnée à la volonté du prince.
Le pouvoir royal, de plus en plus autoritaire, est
en mesure d’affirmer sa position centrale et centralisatrice, à
l’échelle du royaume et à celle de l’Europe. Le 11 octobre
1632, l’édit de Béziers supprime les
anciennes franchises accordées aux états du Languedoc. Le 27, le maréchal de Schomberg est reçu
par le parlement de Toulouse comme
nouveau gouverneur de la province, juste récompense décernée au
vainqueur de Castelnaudary. À la même
époque, pour combattre l’influence des courtisans pro-espagnols, le
maréchal de La Force est promu grand maître de la garde-robe du roi
et le marquis de Brézé maréchal de France. Richelieu prend soin de transmettre les
articles de la soumission de Monsieur au roi de Suède et de les faire traduire en allemand puis
imprimer pour les diffuser dans l’Empire et rassurer tous les
alliés de la France[72].
Mais, au début du mois de novembre, le duc d’Orléans
quitte la ville de Tours où Louis XIII
l’a autorisé à résider et gagne à nouveau Bruxelles. La pression de son entourage est
déterminante : Puylaurens, en particulier, craint de subir un
sort analogue à celui du duc de Montmorency[73]. Gaston est peut-être lui-même convaincu que
ses jours sont comptés. Son mariage avec la princesse Marguerite de
Lorraine a été révélé par le gouverneur de Languedoc lors de son
procès. La rupture avec le roi est irréversible. Monsieur, qui
subordonnait sa soumission au pardon de Montmorency, justifie sa
fuite en déclarant ne pouvoir se soumettre à l’assujettissement
exigé de lui, ni accepter le sort réservé au gouverneur du
Languedoc[74].
Au cours de l’hiver, Louis XIII regagne lentement
Paris par le Limousin. Richelieu, malade, suit un autre
itinéraire, en passant par Brouage et
La Rochelle, pour montrer le château de
Richelieu à la reine. Non sans
arrière-pensées, la duchesse de Chevreuse lui révèle qu’elle a
depuis longtemps connaissance de l’union contractée par Monsieur et
se déclare renseignée par son amant, le marquis de Châteauneuf. Le
cardinal souffre de rhumatismes et du mal qui le mine depuis
longtemps déjà, la rétention d’urine. La densité des événements qui
ont marqué les années 1631 et 1632 laisse des traces. Il se sent
fragilisé, surtout par rapport à Anne d’Autriche, qu’il aimerait
tenir sous sa coupe et qui ne cesse de le critiquer.
Le 25 février 1633, Châteauneuf est destitué puis
emprisonné au château d’Angoulême. Louis XIII ne lui pardonne pas
son échec, ou sa mauvaise volonté, à imposer l’autorité royale au
Parlement. Le garde des sceaux est arrêté en même temps qu’un
personnage au comportement depuis longtemps suspect, le chevalier
du Jars, qu’il a connu quelques années auparavant, en Angleterre,
au cours d’une mission diplomatique[75]. Miné par la maladie, Richelieu reproche à
Châteauneuf de l’avoir abandonné à la fin de l’année 1632. Le garde
des sceaux a aussi commis des maladresses au cours de négociations
secrètes menées en Lorraine avec M. de Verderone, représentant
de Puylaurens. Surtout, il a conservé une correspondance bien
malvenue avec Montagu, avec les comtes de Holland et de Carlisle,
avec la reine d’Angleterre[76], ainsi qu’avec Madame de Chevreuse, qu’il a
eu l’indiscrétion d’informer du projet d’intervention française à
Moyenvic en 1631[77]. Jaloux,
Richelieu ne peut, non plus, lui pardonner ses liens avec le
chevalier du Jars suspecté d’avoir fomenté le projet, dix-huit mois
plus tôt, de faire passer Marie de Médicis et Gaston d’Orléans
outre-Manche[78].
Châteauneuf connaissait ces intrigues d’autant, et peut-être
surtout, qu’il n’avait jamais rompu le contact avec la reine mère,
et qu’il échangeait des courriers réguliers avec Mme du
Fargis[79]. Il
était enfin resté en possession d’une cassette contenant des
lettres léguées par Michel de Marillac[80]. Coupable d’omission mais non de trahison,
Châteauneuf est la dernière victime de la journée des Dupes, mais
lui au moins a la vie sauve puisqu’il est libéré après la mort du
cardinal-ministre.
Quant à Monsieur, son séjour en Flandres s’avère plus difficile que les précédents.
L’infante Isabelle-Claire-Eugénie, qui a toujours accueilli
favorablement Marie de Médicis et son fils cadet, décède le
1er décembre 1633. Les Grands et
le peuple flamand craignent de retomber sous la coupe directe du
roi d’Espagne. La révolte gronde et les
exilés français doivent envisager l’éventualité de se replier à
Madrid. La reine mère est, de surcroît,
toujours aussi autoritaire et vindicative et Puylaurens et le père
Chanteloube sont désormais ennemis déclarés[81].
C’est également à cette époque que des érudits
renommés publient des ouvrages traitant des droits du roi ou des
attributs de la souveraineté. En 1632, Cardin Le Bret fait paraître
son traité intitulé De la Souveraineté du roi,
de son domaine et de la couronne. Charles Hersent,
chancelier de l’église cathédrale de Metz, formé à Paris,
évoque la souveraineté légitime de Louis XIII sur le pays
messin : l’ouvrage survient à point nommé pour préparer
l’opinion à l’établissement d’un parlement français en Lorraine. L’institution judiciaire voit
effectivement le jour au mois de janvier 1633. Le cas de la
Lorraine et des Trois-Évêchés détermine
aussi une étude des historiographes Pierre Dupuy et Théodore
Godefroy, Traité touchant les droits du roi
très chrétien sur plusieurs États et seigneuries possédés par
divers princes voisins… Si l’ensemble n’est publié qu’en
1655 par Jacques Dupuy, son élaboration date bien de 1632 et
justifie les prétentions territoriales du roi de France. Richelieu se dote également d’un organe de
presse destiné à incliner les esprits en sa faveur. En 1631, il
convainc Théophraste Renaudot de publier une feuille hebdomadaire
de nouvelles, La Gazette, complétée en
fin d’année par un cahier séparé, Les
nouvelles ordinaires, puis par des Extraordinaires. Toutes les affirmations de la
souveraineté française sont l’expression de la nécessité ressentie
par Richelieu d’assurer les conquêtes de Louis XIII, conquêtes
institutionnelles, politiques ou territoriales.
1-
Dès 1625, le cardinal-ministre envisage dans un
avis destiné au roi des acquisitions dans les territoires de Metz,
Toul et Verdun et ajoute : « […] sans ce qui se pourra
faire dans l’Alsace et le long du Rhin sur lequel il importe à la
France d’avoir un passage […] ». Un avis du 13 janvier 1629
reprend la même idée. Richelieu veut se ménager la possibilité
d’intervenir au-delà du Rhin de manière permanente, selon les
aléas, « tant pour la protection de ses alliés que pour
empêcher que ces pais ne tombent absolument soubz l’entière
domination de la maison d’Autriche ». Voir S. E. Gardiner,
« Un mémoire inédit de Richelieu », Revue historique, 1876, citations respectivement p.
235 et 229.
2-
Concernant l’Alsace,
voir L’Europe, l’Alsace et la
France. Problèmes
intérieurs et relations internationales à l’époque moderne. Études
réunies en l’honneur du doyen Georges Livet pour son 70e anniversaire, Colmar, les éditions d’Alsace, 1986 ; G.
Livet, L’Intendance de l’Alsace sous Louis
XIV, Strasbourg et Paris, Publications de l’Institut des Hautes Études
Alsaciennes, 1956.
6-
Le père Joseph doit également remplir une mission
autrement plus délicate : « Il avait été chargé d’apaiser
le dépit que le bruit d’un projet d’union de Gaston avec Marguerite
de Lorraine inspirait à Marie-Louise de Gonzague et qui risquait de
faire manquer un mariage pour lequel, depuis l’éloignement de la
Reine mère, le Roi et le cardinal ne cachaient plus leur
préférence », G. Fagniez, Le père
Joseph et Richelieu (1577-1638),
Paris, Hachette, 1894, t. 1, p. 580.
7-
Louis XIII au maréchal de La Force, Château-Thierry, 9 décembre 1631, dans
P. Grillon (éd.), Les Papiers de
Richelieu, t.
VI : 1631, ouv. cit.,
p. 712.
8-
L’héritier du duc Charles de Gonzague, le duc de
Rethélois, décède fin 1631, le roi de France prend à la même époque
la défense des droits de Marguerite de Gonzague, veuve du duc Henri
II de Lorraine, et de Marie de Gonzague
sur le duché de Mantoue. Toutes deux remercient Richelieu de l’aide
qu’elles reçoivent au début de l’année 1632. Voir la lettre inédite
de la duchesse douairière de Lorraine au cardinal-ministre, MAE,
coll. CP Lorraine, vol. 9, fol. 84 ; et celle de la duchesse
de Rethélois, ibid., fol. 87-88.
Jusqu’à son décès, Marguerite de Gonzague exprime ses ambitions
concernant le Montferrat.
10-
Mémoire concernant les
Affaires de Lorraine, s.l.s.d.,
MAE, coll. CP Lorraine, vol. 9, fol. 66-69.
11-
Richelieu à la duchesse de Chevreuse, 3 janvier
1632, MAE, coll. CP Lorraine,
vol. 9, fol. 193, publiée par L.-M. Avenel, Lettres et instructions…, ouv. cit., t. IV,
p. 237.
13-
Malgré l’importance diplomatique de Moyenvic, Richelieu, dans ses Mémoires, a quelques difficultés à justifier le
coup de force perpétré aux dépens de la Lorraine : « La prise de cette place
[Moyenvic] fortifiée en tant de temps, et conquise en si peu de
jours, donna une grande réputation à Sa Majesté. Il restoit à
savoir comme Sa Majesté se devoit gouverner avec le duc de
Lorraine. Il étoit certain qu’en l’état où le duc de Lorraine
s’étoit mis, il n’y avoit que le Roi, qui, après Dieu, pût le
protéger et empêcher qu’il ne fût dépouillé de ses Estats. L’état
présent des affaires du monde faisoit trop connaître cette vérité
pour qu’il fût besoin de la prouver. La misère de l’Empereur, la
foiblesse de l’Espagne, la ruine des
électeurs et de la Ligue catholique, la perte que ledit duc avoit
faite de toutes ses forces en faisoient une démonstration évidente.
[…] Il y avoit beaucoup à dire pour savoir si le Roi devoit
entreprendre la protection du duc de Lorraine. Plusieurs raisons l’en pouvoient
détourner : sa mauvaise conduite en son endroit, le juste
sujet qu’il lui avoit donné d’entreprendre contre lui, et
l’occasion qu’il avoit d’augmenter l’étendue de son royaume sans
rien commettre à la fortune, la considération qu’il devoit faire du
roi de Suède […] », dans
M. Petitot (éd.), Mémoires de
Richelieu, coll. des Mémoires relatifs
à l’histoire de France,
Paris, Foucault, 1823. L’extrait est
tiré du tome VII, p. 1.
14-
Les clauses du traité de Vic ont été publiées par M.-C. Vignal Souleyreau,
Richelieu et la Lorraine, ouv. cit., p. 373-375.
15-
Richelieu explique, dans ses Mémoires, qu’il s’agissait alors d’« arrêter
les entreprises continuelles du duc de Lorraine, veiller aux droits du Roy, établir
entièrement son autorité en ce pays […], y établir une bonne
justice, laquelle, par anciennes concessions des empereurs et rois
de France, ayant été laissée aux
particuliers sans appel en beaucoup de chefs, s’était exercée par
passion et injustice à la foule des peuples », cité par G.
Zeller, La Réunion
de Metz à la France, ouv. cit.,
vol. 2, p. 275, note 1.
16-
Bibliothèque nationale de France [ci-dessous
abrégée BnF], coll. Cinq cents de Colbert, vol. 83,
fol. 255 ro. Le père du duc de
Lorraine et de Marguerite déclare même : « Si ma fille
n’est propre à devenir un jour reine de France, elle sera du moins bonne à être abbesse de
Remiremont », cité par Dom Calmet,
Histoire de la Lorraine…, ouv. cit.,
t. VI, p. 69.
17-
Cette union a fait l’objet d’une étude détaillée,
mais ancienne, celle de l’abbé A. Degert, « Le Mariage de
Gaston d’Orléans et de Marguerite de Lorraine », Revue
historique, 1923, no 143,
p. 161-180 ; 1923, no 144,
p. 1-57.
18-
Le détail des événements est connu grâce à
l’attestation que le prêtre rédige pour authentifier la validité de
l’union qu’il consacre. Institut, coll. Godefroy, vol. 338,
fol. 313.
22-
Richelieu au roi de Suède, 7 janvier 1632, lettre publiée par L.-M.
Avenel, Lettres, instructions…, ouv.
cit., t. IV, p. 244.
23-
Comme le maréchal de Marillac, Deshayes de Cormenin
ne tarde pas à être jugé ; son procès se déroule au mois de
septembre 1632. Les procès-verbaux en sont conservés au MAE, coll.
MD France, vol. 803-805.
25-
Le baron de Chamblay, envoyé de Louis XIII en
Lorraine, à Richelieu, Nancy,
28 février 1632, MAE, CP Lorraine, vol. 9,
fol. 203-204.
27-
Une lettre de Matthieu Molé à Richelieu, fin mai
1632, souligne les manquements du duc de Lorraine, bibliothèque
Victor Cousin, coll. Richelieu, vol. 15, fol. 115.
29-
Par mesure de sécurité, la duchesse de Bavière a
même dû abandonner Munich : Jean
de Rechignevoisin, sieur de Guron, à Richelieu, Nancy, 15 avril 1632, MAE, coll. CP Lorraine, vol.
9, fol. 234-235.
30-
Abritée derrière de hautes murailles récemment
restaurées, la cité a cru trouver en Gustave-Adolphe un protecteur
efficace du protestantisme contre la Réforme catholique voulue par
les Habsbourg et a abandonné au début de l’année la neutralité
qu’elle observait jusqu’alors.
31-
Le maréchal d’Effiat à Richelieu, Saint-Avold, 26
mai 1632, MAE, coll. CP Lorraine, vol. 10, fol. 306-307.
33-
MAE, coll. CP Lorraine, vol. 9, fol. 270, L.-M.
Avenel (éd.), Lettres, instructions…,
ouv. cit., t. IV, p. 303.
35-
Louis XIII aux maréchaux de La Force et d’Effiat,
Laon, 12 juin 1632, MAE, coll. CP Lorraine, vol. 10,
fol. 386-387.
37-
MAE, coll. CP Lorraine, vol. 9, fol. 278 et 279. La
lettre de Richelieu a été publiée par L.-M. Avenel, Lettres, instructions…, ouv. cit., t. IV,
p. 311.
38-
Les clauses du traité de Liverdun ont été publiées par M.-C. Vignal
Souleyreau, Richelieu et la
Lorraine, ouv. cit.,
p. 375-376.
39-
En matière féodale, le territoire de Clermont relève de la suzeraineté impériale et fait
partie des réclamations formulées par la commission Le Bret.
40-
Le jugement que porte Richelieu, dans ses
Mémoires, sur le traité de Liverdun
constitue une véritable curiosité après ses propos sur le principe
de protection à appliquer en Lorraine. Le cardinal y présente de
manière sincère la position de Charles IV : « La plus
grande part du monde, jugeant de ce qui se passe, sans en
considérer les raisons, blâmèrent le duc de Lorraine d’avoir fait
ce traité, mais pour moi, je dirai franchement que, supposé les
fautes précédentes où il s’étoit laissé aller, c’est la seule
action de sagesse que j’ai remarquée en sa conduite. Il sera aisé
de le concevoir, si l’on considère que ce pauvre prince avoit si
mal pris son temps de se porter contre la France qu’il voyoit tous
ceux qui le pouvoient secourir contre elle en état de ne pouvoir
faire autre chose que le plaindre. L’impuissance de Monsieur, dont
les armes n’avoient force que pour brûler des maisons et des
villages entiers en France, faisoient que ses voeux lui étoient
fort inutiles. Le roi de Suède avois mis une si grande barrière
entre l’Empereur et lui, qu’à peine les souhaits de l’Empire
pouvoient-ils venir jusqu’à ses Estats ; les Hollandois
occupoient tellement les Espagnols qu’outre qu’ils jouoient de
malheurs depuis quelques temps, il ne leur estoit pas de temps pour
penser aux affaires d’autrui », dans M. Petitot (éd.),
Mémoires de Richelieu, ouv. cit., p.
119.
41-
Deux officiers ont fait le récit des événements
dans leurs mémoires : le vicomte de Puységur, Mémoires, Paris, Morel,
1690 ; et Louis du Pontis, Mémoires du
sieur du Pontis, Paris, 1837, coll. Nouvelle collection des mémoires pour servir l’histoire
de France, sous la dir. de
Michaud et Poujoulat, 2e série,
t. VI.
42-
Il déclare au maréchal de La Force :
« Monsieur, il n’est pas permis au sujet de murmurer contre
son maître, ni lui dire que les choses qu’il allègue sont fausses.
Je puis dire avec vérité n’avoir rien fait contre son service. La
vérité est que mon frère, le garde des sceaux, et moi avons
toujours été serviteurs de la Reine mère, qu’il faut qu’elle est du
dessous et que M. le cardinal de Richelieu l’ait emporté
contre elle et contre ses serviteurs. Mais il n’y a remède, il faut
souffrir. Je ne suis pas mal aisé à arrêter sans qu’il soit besoin
qu’on me garde ; je me rendrai en telle place et en telle
prison qu’il plaira au Roi m’ordonner », cité par
G. Mongrédien, La Journée des
Dupes, ouv. cit., p. 108.
43-
Lettre du maréchal de Marillac à son épouse, née
Catherine de Médicis, Embrun, 17 décembre 1631, dans G. Mongrédien,
La Journée des Dupes, ouv. cit.,
p. 11.
47-
Matthieu de Morgues, notamment, fait paraître une
Très humble, très véritable et très importante
remontrance au Roy.
48-
Le marquis de Châteauneuf à Richelieu, 20 et
21 mars 1632, MAE, coll. MD France, vol. 802, fol. 66-68.
51-
Monsieur, par la suite, nie être l’auteur du
Manifeste : le duc d’Orléans à Richelieu, Béziers, 29 septembre 1632, MAE, coll. MD France,
vol. 805, fol. 90 et 92.
52-
Ni l’un ni l’autre ne dispose des forces
suffisantes pour soutenir la lutte contre le pouvoir royal.
54-
Dès 1624, Richelieu a pris des mesures pour
s’opposer aux effets pervers d’un luxe trop marqué à la cour du
roi ; voir son mémoire déjà cité, « Pour remédier aux
désordres plus pressans ». P. Grillon (éd.), Les Papiers de Richelieu, tome I.
55-
Claude de Rebé à Richelieu, Pézenas, 23 janvier 1632, MAE,
coll. MD France, vol. 1628,
fol. 98-99.
56-
Mémoire des protestants de Nîmes, 8 juillet 1632, MAE,
coll. MD France, vol. 1628,
fol. 150-153. Le document assure cependant Louis XIII de la
loyauté du consistoire réformé de la province.
58-
Particelli d’Hémery à Richelieu, Avignon, 3 août 1632, MAE, coll. MD France, vol. 1628, fol. 191-197 ; lettre
publiée par Dom C. Devic, Histoire générale
du Languedoc, ouv. cité, t. XII,
preuve no 539, col. 1803.
59-
Le duc de Montmorency à Louis-Emmanuel de Valois,
comte d’Alès, Pézenas, 26 juillet 1632, MAE, MD France, vol. 1628, fol. 182-184.
61-
Le déroulement de la bataille est narré par la
Relation envoyée au Roy par
M. le mareschal de Schomberg
du combat fait entre les armes qu’il commande
et l’armée de Monsieur, prez de Castalnau-d’Ary, le premier jour de
septembre 1632, imprimé à Lyon, imprimerie de Simon
Rigaud, 1632, « avec privilège du Roy », MAE,
coll. MD France, vol. 803,
fol. 1-6.
63-
Louis XIII au duc d’Orléans, Pont-Saint-Esprit, 15
septembre 1632, dans L.-M. Avenel, Lettres,
instructions…, ouv. cit., t. IV, p. 368.
64-
MAE, coll. MD France,
vol. 803, fol. 80-81, publié par L.-M. Avenel, Lettres, instructions…, ouv. cit., t. IV,
p. 372.
65-
Le maréchal de Schomberg à Richelieu, Narbonne, 5 octobre 1632, MAE, coll. MD
France, vol. 803,
fol. 176-177.
66-
Le duc de Bellegarde ayant reconnu ses fautes, il
est peu après rétabli dans ses biens et dignités : lettres
d’abolition en faveur du duc de Bellegarde, octobre 1632, MAE,
coll. MD France, vol. 803, fol.
242.
67-
Par commission et lettres de cachet, datées du 25
octobre 1632, MAE, coll. MD France,
vol. 803, fol. 203-204.
68-
Le duc d’Angoulême, Charles de Valois (qui a épousé
la soeur consanguine du gouverneur du Languedoc), écrit à Richelieu
en ce sens le 15 septembre [MAE, coll. MD France, vol. 805, fol. 68-69]. Le prince et la
princesse de Condé, née Charlotte-Marguerite de Montmorency, font
de même. Louis XIII refuse toute clémence le 16 septembre
[Louis XIII à M. le Prince et sa femme, lettres publiées par
L.-M. Avenel, Lettres, instructions…,
ouv. cit., t. IV, p. 370 et 371].
69-
Les documents relatifs à l’instruction du procès du
duc de Montmorency sont conservés au MAE, coll. MD France, vol. 803, fol. 211-225.
70-
On trouve, parmi les documents laissés par le
cardinal de Richelieu, une « Dénonciation [à Louis XIII] faite
par un nommé La Rivière envoiée par M. le chevalier du Guet,
le VIe septembre 1633 » où
figure la mention : « la plupart des grands du royaume
[…] déclarant feu M. de Montmorency chef de toute la noblesse
[…] », MAE, MD France, vol. 808, fol. 6-9.
72-
Les alliés du roi de France doivent être assurés,
par un envoyé exprès, M. de La Grange-aux-Ormes, que Louis
XIII n’est pas affaibli par la conduite de son frère : La
Grange-aux-Ormes à Richelieu, Hanau, 21
novembre 1632, MAE, coll. MD France, vol. 805, fol. 132.
73-
Louis XIII à Richelieu, Saint-Marcel, 12 novembre
1632, Musée Condé de Chantilly, série I, t. III, fol. 29.
74-
Le duc d’Orléans à Louis XIII, Montereau-Faut-Yonne, 12 novembre 1632, MAE, coll.
MD France, vol. 803, fol. 253-255.
81-
Une lettre restée anonyme, adressée au duc de
Lorraine, de Gand, le 24 décembre 1632, figurant dans les
papiers de Richelieu [MAE, coll. MD France, vol. 805, fol.
181-182], est particulièrement révélatrice : l’auteur signale
que la correspondance du duc de Lorraine avec Monsieur, la reine
mère et lui-même semble régulièrement interceptée – la
présence de cette pièce dans les papiers de Richelieu confirme ses
soupçons. Marie de Médicis, partie à Gand, n’étant pas avertie de
l’arrivée de son fils à Bruxelles, ils
n’ont donc pu s’y rencontrer. L’auteur déplore surtout la
mésentente qui règne entre Marie de Médicis et Monsieur, nuisible à
leur parti.