IV
L’EXIL À Avignon
Le « coup d’État » de Louis XIII et l’assassinat de Concini
En ce printemps 1617, Concini, tout-puissant, se fait détester par sa suffisance. Son mépris pour le roi, surtout, le rend insupportable à tous. Le favori de la reine mère est parfaitement renseigné sur la haine qu’il suscite par un réseau d’espions à sa solde. Il crée une milice privée chargée de sa sécurité, et pour frapper les imaginations, sa garde rapprochée érige cinquante potences à Paris. Maître du gouvernement de Normandie, le favori de Marie de Médicis décide de fortifier la place de Quillebeuf, au cas où il aurait besoin d’un bastion de repli. Richelieu a beau mettre Concini en garde, celui-ci persiste dans ce qu’il faut bien appeler des préparatifs de guerre, bien que le duc de Mayenne, bloqué à Soissons, ait sollicité une capitulation honorable. Le maréchal d’Ancre se lance dans l’acquisition des gouvernements de Meulan, Pontoise et Corbeil, ainsi que dans l’achat de la connétablie, puis il recrute trois mille mercenaires dont il propose les services à Louis XIII. C’en est trop : le roi ne peut supporter davantage d’insolence.
Le 2 janvier, la fille des Concini est décédée. Pour Léonora Galigaï, le signe est clair et des plus funestes. Depuis lors, elle répète son désir de rentrer en Italie, mais son mari s’y refuse et convainc d’ailleurs Marie de Médicis que céder à Léonora, ou aux princes, ses ennemis, ne serait que faiblesse. Le maréchal d’Ancre est tout aussi méfiant à l’égard de Richelieu. La situation devient tellement intolérable que le prélat présente sa démission à Marie de Médicis, qui la refuse. Le favori entame même une campagne de calomnies contre les ministres qu’il a lui-même choisis, Mangot, Barbin et Richelieu. Pour l’opinion publique cependant, et pour le roi, les protagonistes restent complices. L’évêque de Luçon, objet de toutes les suspicions, offre ses services personnels à Louis XIII, par l’intermédiaire de Luynes, et leur propose de trahir la reine et Concini. En vain. Pour la seconde fois, Richelieu présente sa démission à la veuve d’Henri IV, qui continue à tergiverser. C’est alors que Louis XIII, par un rocambolesque retournement de situation, fomente un véritable coup d’État et évince sa mère du pouvoir.
Depuis la fin de l’année précédente, le roi réunit un petit Conseil personnel dominé par Charles d’Albert de Luynes. Maître du cabinet des oiseaux, gouverneur d’Amboise, capitaine du Louvre, son ascendant n’a cessé de croître. Parmi les autres personnalités qui composent l’assemblée, se trouve Claude Guichard Déageant. Secrétaire ordinaire de la reine mère, il est promu premier commis de Claude Barbin dans le ministère Concini. C’est lui qui instruit le roi des affaires financières et économiques du royaume. Luynes introduit également dans le petit cercle un juriste de qualité, Louis Tronson. Concini est l’objet principal des discussions.
L’entourage du roi tente d’abord la conciliation. Non seulement le favori ne répond que par le mépris, menace directement Luynes, mais semble plus puissant que le souverain, dont il contrôle jusqu’aux déplacements. Par ailleurs, Louis XIII déteste le clan espagnol qui vit à la cour, non seulement autour de Marie de Médicis, mais aussi autour d’Anne d’Autriche. C’est dans ce contexte que survient la goutte qui fait déborder le vase : le royaume lui-même en appelle à son souverain pour « sauver [le pays] de la domination de ces étrangers », selon les termes utilisés par les états de Guyenne réunis à Agen en 1617.
Le petit Conseil décide d’abord d’intervenir auprès de Marie de Médicis, selon une méthode pour le moins informelle, l’envoi de lettres anonymes, dont se charge Déageant. Dans un second temps, Louis XIII et Luynes, jugeant la situation suffisamment grave et la reine suffisamment alarmée, lui dépêchent l’évêque de Carcassonne, M. de L’Estang,, afin de la presser de se séparer de Concini. La veuve d’Henri IV se confie à Léonora Galigaï qui se désolidarise d’un mari dont les ambitions lui paraissent désormais excessives et vouées au courroux des Cieux ! Concini, en voyage en Normandie, rentre à Paris le 17 avril ; ses espions lui ont déjà appris le complot du petit Conseil. Le maréchal d’Ancre se permet d’annoncer son intention de retenir le roi prisonnier au Louvre. Louis XIII refuse de fuir ou de se soustraire au danger : il est temps désormais de faire face.
N’est envisagée au départ que l’arrestation du favori. Concini aurait ensuite été livré au Parlement pour être jugé. Luynes, Déageant, et le marquis de Vitry,, capitaine des gardes du roi, parviennent à convaincre Louis XIII du risque que représenterait toute résistance opposée par le prisonnier. L’assassinat s’impose dès lors comme le seul recours possible : il est perpétré par Vitry, dans l’une des cours du Louvre, le 24 avril. Léonora Galigaï est arrêtée peu après.
La réaction à l’encontre du maréchal d’Ancre ne s’arrête pas là : la foule, apprenant la nouvelle, et l’inhumation de l’Italien, se déchaîne et met en pièces le cadavre après l’avoir exhumé. Richelieu lui-même est pris à partie sur le Pont-Neuf, alors qu’il se rend chez le nonce apostolique, Bentivoglio. À cet instant, la populace, au comble de l’excitation, s’apprête à pendre le cadavre du favori à une des potences que le Florentin a lui-même fait dresser. Elle n’identifie pas le propriétaire de l’attelage, ce qui lui sauve peut-être la vie. Richelieu est traumatisé par la violence de la scène.
Concini avait entrepris une politique autoritaire, méfiante à l’égard des Grands comme à l’égard des ministres d’Henri IV, ces « barbons » renvoyés en 1616. Après la mort du Florentin, et jusqu’en 1624, date du retour de Richelieu au Conseil, le gouvernement royal se montre beaucoup plus conciliant avec les princes. Quant à Louis XIII, sa résolution est désormais inébranlable : c’est à lui qu’il revient d’exercer le pouvoir et de conserver tous les attributs de la souveraineté. Si le régime des favoris et des coteries se perpétue en la personne de Luynes, il ne s’agit plus fondamentalement de déléguer les affaires d’État, mais simplement de s’entourer de ceux qu’il aime.
La fuite de l’évêque de Luçonet l’assignation à résidence
Au moment précis de l’assassinat de Concini, Richelieu est absent du Louvre, et proprement ébahi de l’événement. En choisissant d’ignorer le roi, l’évêque de Luçon s’est totalement aveuglé. Dès qu’il apprend l’élimination du favori, il se précipite. En compagnie de Barbin et Mangot, il sollicite l’aide de Marie de Médicis. La reine mère répond qu’elle ne peut intervenir qu’en faveur de Barbin, et qu’elle ne peut rien pour le prélat. Richelieu demande alors une audience du roi. « Eh bien, Luçon me voilà débarrassé de votre tyrannie », tels auraient été les termes employés par Louis XIII pour accueillir le ministre de Concini[1].


La participation de Richelieu au gouvernement est désormais exclue. Les fonctions qu’il détenait sont rendues à Villeroy. Le roi rappelle les ministres de son père : Villeroy et Puisieux en tête, à la Guerre et aux Affaires étrangères ; le président Jeannin, à la surintendance des finances, remplacé, en raison de son grand âge, par Henri de Schomberg en juin 1619 ; Guillaume du Vair, garde des sceaux ; Sillery, promu à la chancellerie en 1607, devient chef du Conseil. Vitry accède au grade de maréchal de France. Déageant, fait lui aussi parti du gouvernement, mais des paroles outrancières ne tardent pas à le discréditer. De surcroît, cherchant à se ménager des appuis de toute part, il communique des renseignements à tort et à travers, notamment à Richelieu. Il est soupçonné de traîtrise. Dès la fin 1618, Luynes lui demande de ne plus assister au Conseil.
Le nouveau gouvernement pare au plus pressé : se réconcilier avec les princes. Il bénéficie dans les premiers temps de l’impopularité de Concini et de la satisfaction des Grands. Louis XIII assiste à tous les conseils traitant des affaires d’État, se tient informé de tout, écoute soigneusement les avis de ses ministres et délivre ensuite son appréciation. Ses jugements s’avèrent d’une grande pertinence. De même, il reçoit longuement les ambassadeurs pour s’enquérir des affaires diplomatiques. Le monarque se montre soucieux du bien public et de la paix qu’il doit s’attacher à sauvegarder. Il se considère comme le dépositaire exclusif de l’autorité royale, qu’il place au-dessus de tout autre potentat en matière de gouvernement. Sa sensibilité – voire sa jalousie – à cet égard, est extrême. C’est bel et bien Louis XIII qui dirige l’administration du royaume. Luynes n’est qu’un favori, couvert de richesses et d’honneurs. Si la rumeur publique en fait un principal ministre, son incompétence l’exclut en réalité de toute décision importante. Il n’est présent auprès du souverain qu’en raison de l’affection que celui-ci lui porte, et n’est dangereux que par les passions qu’il suscite.
Marie de Médicis, quant à elle, est provisoirement prisonnière au Louvre. Son fils aîné refuse de lui parler. Elle reste enfermée quatre jours durant ! Le 1er mai 1617, sortant de son mutisme, elle fait présenter au roi, par Richelieu, cinq requêtes : être autorisée à quitter Paris ; bénéficier de toute autorité dans la ville où elle ira résider ; conserver ses revenus, apanages et appointements ; connaître les personnes dont elle sera entourée ; voir le roi avant de partir. Louis XIII accède à tous ses désirs ; l’unique restriction qui y est faite concerne les soeurs du roi, tenues de rester à Paris.
Le souverain a déjà décidé d’envoyer sa mère à Blois. Sur les instances de la nonciature apostolique, Richelieu est choisi comme intermédiaire entre le gouvernement et Marie de Médicis, qui, malgré une attitude bien timorée à la mort de Concini, vient de faire de l’évêque de Luçon le chef de son Conseil. Le départ est fixé au 3 mai. Le prélat demande à faire partie du voyage et obtient une autorisation écrite du roi. Le jeune évêque ambitieux garde le secret espoir de n’être pas définitivement exclu des arcanes du pouvoir. Conscient de la précarité de sa position, il s’entremet une dernière fois auprès de Luynes et offre au favori de le tenir informé de l’état d’esprit de la reine mère. Courant mai, Marie de Médicis prend donc ses quartiers sur les bords de la Loire. Sa suite partage son sort : son aumônier, Philippe Hurault ; son premier écuyer, M. de Bressieux ; le cardinal Jean de Bonzy, évêque de Béziers ; de nombreux Italiens ; M. de Villesavin, secrétaire aux commandements de la reine, responsable de sa correspondance, devenu son confident.
Villesavin déteste Richelieu et ne tarde pas à le dénoncer comme espion de Luynes et de Louis XIII. L’évêque de Luçon sollicite dès le 8 mai un chiffre pour pouvoir correspondre avec Déageant,. Il n’hésite pas à faire parvenir à Paris des rapports aussi complets que ceux d’un espion. Villesavin et Bonzy n’ignorent rien du zèle policier auquel s’adonne Richelieu. Mais l’ardeur de l’évêque de Luçon éveille aussi la méfiance de Luynes. Déageant, avertit le prélat que la rumeur l’accuse de trahir tout le monde. Richelieu ne trouve d’autre issue immédiate qu’une maladroite justification. La reine mère n’est pas insensible à la loyauté affectée par le chef de son Conseil. Les soupçons ne cessent pourtant de croître à son encontre. Les ministres de Louis XIII considèrent l’évêque de Luçon comme un dangereux intrigant. Ils finissent par demander le renvoi du prélat sur ses terres. Le roi garde encore le silence et attend. Henri de Richelieu est informé par le marquis de Châteauneuf que son frère encourt un ordre d’exil permanent ; l’aîné avertit aussitôt son cadet. Armand Jean prend peur et obtient de Marie de Médicis l’autorisation de se rendre à Coussay pour s’y reposer une semaine. Le prélat est décidé à ne plus s’exposer aux critiques et à se faire oublier, au moins pour un temps. Le 11 juin, il quitte Blois sans demander son reste.
La fuite de l’évêque de Luçon irrite Marie de Médicis au plus haut point. La reine mère adresse missive sur missive au prieuré de Coussay, sans obtenir la moindre réponse. Elle réclame à cor et à cri le retour de son conseiller : Richelieu est terré et attend la suite des événements avec la plus vive inquiétude. Il redoute par-dessus tout la colère de son souverain. Marie de Médicis le comprend enfin, qui écrit à son fils et à Luynes afin de solliciter leur clémence. Prémonition ? Richelieu lui-même prend la plume pour demander au roi où il doit résider.
Le 26 octobre, Louis XIII, prenant acte du retrait de l’évêque de Luçon, lui enjoint de ne plus quitter son diocèse jusqu’à nouvel ordre. L’assignation à résidence équivaut déjà à un ordre d’exil. La reine mère, isolée, rend sa confiance à Richelieu, qui lui conseille la modération. Est-ce peur ou pragmatisme ? Il écrit le moins possible. Dans ses échanges épistolaires avec Marie de Médicis, il se borne à la stricte politesse. Cette dernière ne s’en formalise pas, mais une telle modération, alors que les usages de l’époque requièrent volontiers l’ostentation, révèle le malaise du prélat à l’endroit de celle qui, après tout, reste sa protectrice. Richelieu est à nouveau au service exclusif de Marie de Médicis, mais doit se montrer prudent et sait que son sort ne dépend plus désormais que du bon vouloir de Louis XIII. La mère du roi, qui plus est, de par son expérience des affaires, ne peut être définitivement écartée de la cour. Tel est le constat, et l’espoir, de l’évêque de Luçon, qui se façonne une contenance et une conscience, en restant fidèle à sa ligne de conduite : servir la royauté.
Aux traces écrites, Richelieu préfère substituer de furtives allées et venues entre Blois et Coussay. La surveillance exercée par les espions de Luynes s’intensifie en proportion. Le roi souhaite contrôler de plus en plus étroitement les faits et gestes de Marie de Médicis, et le favori est déterminé à tenir la mère et le fils, autant que la reine et l’évêque de Luçon, séparés. Marie de Médicis ne tarde pas à dénoncer le véritable procès d’intention que Luynes s’acharne à instruire contre elle. Au mois de septembre 1617, Richelieu est contraint de sortir de sa réserve pour se plaindre au roi des calomnies dont il fait l’objet. Louis XIII continue à se taire. Le seul soutien sur lequel puisse compter l’évêque de Luçon est celui de son fidèle ami, l’abbé Sébastien Bouthillier de La Cochère. Le père Joseph, quant à lui, séjourne à Rome, où, sur les sollicitations du duc de Nevers, appelé à l’aide par les Grecs, il tente d’organiser une croisade contre les Turcs et former une coalition de princes chrétiens sous le patronage du pape Paul V.
De son côté, Richelieu met à profit le retrait qui lui est imposé pour se consacrer à l’étude et à l’écriture. Le climat religieux dans le royaume reste orageux. Au début de l’été 1617, à l’occasion de l’assemblée générale du clergé de France, l’évêque de Mâcon transmet au roi des remontrances dénonçant la situation lamentable du catholicisme dans le Béarn. Le 25 juin, Louis XIII répond à la sollicitation qui lui est faite, rétablit le culte catholique dans la province qui a vu naître son père, et restitue à l’Église locale tous les biens qu’elle avait perdus. En contrepartie, le souverain accepte de prendre en charge, sur sa cassette personnelle, l’entretien des pasteurs et des écoles protestantes. Les huguenots béarnais font aussitôt part de leur émotion. Au mois de septembre, un nouvel arrêt ordonne l’exécution des décisions prises. La polémique entre catholiques et huguenots fait rage : tandis que le confesseur du roi, le père Arnoux, rédige un virulent sermon en faveur de la catholicité, quatre pasteurs du temple de Charenton ripostent par une adresse au souverain, qui en condamne officiellement la préface. Richelieu entre dans le débat et rédige une réfutation du mémoire élaboré par les protestants.
L’essai de l’évêque de Luçon est intitulé Défense des principaux points de la foi catholique contre la lettre des quatre ministres de Charenton. Il paraît dès le mois d’octobre 1617. L’écriture et la controverse sont, pour lui, des moyens de participer à la vie du royaume et aux affaires. Elles lui permettent de mieux vivre une période de doutes et d’incertitudes, et de rappeler que son existence n’est vouée qu’à l’obéissance au roi et à l’Église. C’est également à cette époque qu’il achève son Instruction du Chrétien. L’engagement religieux se fait inséparable de l’engagement politique, et ils font, ensemble, la force du prélat.
Luynes, pragmatique en la matière, se méfie toujours de lui. Le gouvernement, sous la houlette de Villeroy et du président Jeannin, remporte un certain succès. Le maréchal de Lesdiguières s’est retiré d’Italie à la mort de Concini, par crainte des troubles. Le duc de Savoie se retrouve donc seul face aux Espagnols. Le 25 juillet, les soldats du roi catholique s’emparent de Verceil. Charles-Emmanuel ier implore à nouveau l’aide de Louis XIII. Alors que le siège bat son plein, l’ambassadeur de Madrid à Paris, le comte de Monteleone, affirme au roi de France que son maître n’a aucun dessein conquérant et que son seul objectif est de faciliter les négociations entre le duché de Savoie et celui de Mantoue ! Mais, à l’issue de la reddition de Verceil, le gouverneur de Milan entame l’investissement d’Asti.
Louis XIII décide de renvoyer Lesdiguières en Italie, avec le renfort du duc de Rohan et du comte de Schomberg. Dès le 1er septembre, les Espagnols sont battus. Dans les jours qui suivent, de nouveaux succès français entraînent la retraite des troupes de Philippe III. Le 9 octobre, la diplomatie française peut imposer aux protagonistes la signature du traité de Pavie. Les territoires indûment occupés sont restitués à leur légitime détenteur. C’est encore à cette époque que l’archiduc Ferdinand de Styrie, désigné par l’empereur Mathias comme son successeur, trouve un accord satisfaisant avec la république de Venise.
Au plan intérieur également, Louis XIII ne peut que se féliciter de l’action de son gouvernement : les Grands ont regagné la cour et les alliés de Marie de Médicis restent sur leurs terres. Le duc d’Épernon, gouverneur de Metz, mais aussi de la Saintonge et de l’Angoumois, colonel général de l’infanterie française, est cantonné dans les Trois-Évêchés ; et Condé reste enfermé à la Bastille. Profitant du contexte, Luynes convoque une assemblée des notables à Rouen à la fin de l’année. La réunion se déroule du 4 au 26 décembre. Villeroy vient de mourir. Le but du favori est de faire reconnaître ses succès personnels, et les notables lui décernent effectivement une motion de félicitation ! Dans les premiers jours de 1618, Luynes peut prendre la tête du Conseil. Un décret du gouvernement remanié abolit la paulette. Malgré l’autorité acquise par Louis XIII, la dictature de Luynes semble bien succéder à celle de Concini.
La toute-puissance de Luynes et l’ordre d’exil
Le favori du roi ne cache ni ses ambitions ni son avidité. Il s’est fait attribuer deux millions de livres de créances détenues par le maréchal d’Ancre, le gouvernement de Normandie, ainsi que les places de Quillebeuf et de Pont-de-l’Arche. Cependant, la majeure partie de la fortune des Concini appartient toujours à Léonora Galigaï, mariée sous le régime de la séparation de biens. Insatiable, Luynes met tout en oeuvre pour s’en emparer et organise le procès de la maréchale.
L’instruction débute le 9 mai 1617. La procédure ne concerne pas que l’ancienne dame d’atour de Marie de Médicis. La reine mère elle-même est mise en cause pour d’obscures opérations financières. Richelieu, Mangot et Barbin sont à leur tour cités. Les papiers de Concini, passés au crible, recèlent des missives compromettantes pour l’évêque de Luçon. En raison des pressions exercées sur la cour de justice, le chef de sorcellerie est requis contre la Galigaï. La veuve de Concini est déclarée coupable et criminelle de « lèse-majesté divine et humaine ». Le 12 août, la fortune du couple, évaluée à quinze millions de livres, est confisquée par le roi et attribuée à Luynes. Un mois plus tard, ce dernier peut épouser l’héritière de l’un des noms les plus prestigieux de France, Marie de Rohan, fille du duc de Montbazon.
Le déroulement du procès de Léonora Galigaï ne fait que renforcer les craintes de Marie de Médicis et de son entourage. C’est le moment que choisit Louis XIII pour dépêcher à Blois M. de Roissy promu autoritairement chef du Conseil de la reine, en lieu et place de Richelieu. Marie de Médicis n’est pas plus consultée pour les fiançailles de Christine de France, soeur du roi, avec le prince de Piémont, héritier de Savoie. De même, M. de Brèves, le gouverneur de Gaston, duc d’Anjou, est remplacé sans son avis.
Poursuivant son oeuvre, Luynes tente d’obtenir de Marie de Médicis une lettre où serait reconnue une mauvaise gestion des affaires du royaume. Le favori de Louis XIII décide d’utiliser Barbin, traduit en justice à l’automne 1617. L’accusé et la reine mère sont autorisés à correspondre : Luynes intercepte toutes leurs lettres sans avertir le roi. Au début de l’année 1618, l’opinion publique commence à s’émouvoir du traitement infligé à l’ancienne régente et peut surtout constater que le nouveau gouvernement n’est guère plus efficace en matière financière et fiscale que celui de Concini. Les princes n’obtiennent plus rien et la libération de Condé n’est plus à l’ordre du jour. Beaucoup se tournent à nouveau vers Marie de Médicis. Le duc de Rohan lui-même, beau-père de Luynes, est de ceux-là. Au mois d’avril, le favori, en réaction, exhibe la correspondance entretenue par Barbin et la mère du roi.
L’impression de complot est si douloureuse pour Louis XIII que Luynes est autorisé à punir les coupables. L’un des premiers concernés est Richelieu, bien qu’il n’ait rien à voir dans les liens qui se sont établis entre Barbin et Marie de Médicis. Luynes veut l’éloigner davantage. Luçon est considéré comme trop proche de Blois. Le 7 avril 1618, Louis XIII rédige un ordre d’exil réel : Richelieu, son frère Henri et leur beau-frère de Pont-Courlay doivent partir à Avignon.
Les trois hommes arrivent dans la cité des papes le 12 mai, accueillis avec bienveillance par le vice-légat Giovanni Francesco di Bagno[2]. L’évêque de Luçon est menacé d’une inculpation judiciaire pour manoeuvres financières douteuses au profit de Concini. La haute trahison semble même être évoquée : à peine arrivé, Richelieu prépare sa défense en rédigeant un plaidoyer intitulé Caput apologeticum. Son exil à Avignon déclenche du moins une protestation importante : celle du souverain pontife, car l’évêque de Luçon ne peut plus effectuer les visites pastorales que son sacerdoce lui impose. Paul V convoque même l’ambassadeur de France à Rome, M. de Marquemont. Le secrétaire d’État aux Affaires étrangères, Puisieux, confirme cependant la décision du roi.
Dans le même temps, l’instruction du procès de Claude Barbin se poursuit. L’ancien ministre n’est d’abord condamné qu’à une peine légère, mais Luynes intervient et obtient de Louis XIII l’aggravation de la sanction. Barbin est jeté en prison. La manipulation éclate au grand jour. Le gouvernement ne peut rester insensible à des manoeuvres plus proches du règlement de compte que d’une procédure équitable. Le chancelier, le garde des sceaux et le président Jeannin souhaiteraient que plus d’égards soient réservés à Marie de Médicis et à ceux qui l’ont servie. Un véritable climat de suspicion s’instaure : le secrétaire de Louis XIII est arrêté et le même sort est réservé au fils du représentant à Paris du duc de Lorraine. On craint qu’il ne soit à la solde du duc d’Épernon et de la reine mère.
La surveillance dont celle-ci fait l’objet ne se relâche pas. La visite de l’ambassadeur du grand-duc de Toscane lui est refusée. Tout semble fait pour inquiéter la reine mère et la pousser à quitter le royaume. Le gouvernement envisage même explicitement son départ pour Florence, puisque des pourparlers sont engagés en ce sens avec Cosme II de Médicis, qui oppose une fin de non-recevoir. En apprenant la démarche initiée par son fils aîné, la reine mère tombe malade.
Luynes connaît la sensibilité de Louis XIII et veut avant tout se garantir des conséquences d’un mouvement de compassion toujours possible. À la fin de l’été 1618, le père Arnoux se rend auprès de la reine mère pour l’assurer de l’affection de son fils, mais aussi pour obtenir un renoncement formel à toute rébellion. Le révérend père jésuite abrite cette exigence derrière un argument simple : au cas où Marie de Médicis reviendrait à Paris, Louis XIII serait dans l’obligation de libérer Condé. La reine n’est pas sans ignorer que tout nouvel antagonisme avec Monsieur le Prince serait désastreux pour l’État. La démarche, bien que peu flatteuse pour Marie de Médicis, a la vertu de lui rendre l’espoir de pouvoir regagner le Louvre dans un avenir proche. La reine mère promet tout ce qui est exigé d’elle. En contrepartie, Louis XIII décide de desserrer l’étau qui étouffe la résidence de Blois. Il rappelle M. de Roissy et éloigne les compagnies de cavalerie qui encerclent le château. Puis il autorise les visites à Marie de Médicis. Dès le mois d’octobre, les intrigues retrouvent toute leur vigueur.
L’évêque de Luçon, quant à lui, subit les coups du sort : en cet automne 1618, la marquise de Richelieu décède en donnant le jour à un fils. Henri de Richelieu et M. de Pont-Courlay obtiennent l’autorisation de revenir en France, non leur parent. Le nouveau-né ne survit pas à sa mère et décède à son tour en décembre. Louis XIII persiste dans son refus que l’évêque de Luçon rejoigne sa famille. Le coup est si rude que, souffrant, le prélat rédige un testament à l’âge de trente-quatre ans !
Au même moment, le père Arnoux est de retour auprès de Marie de Médicis, afin de lui faire signer une lettre par laquelle elle reconnaîtrait ses erreurs passées et s’engagerait à ne revenir au Louvre qu’avec l’accord du roi. Marie de Médicis a déjà arrêté son plan : profiter du relâchement de la surveillance exercée contre elle, des meilleures dispositions d’esprit de son fils, et s’échapper. Le 3 novembre, elle signe la missive qui lui est présentée. Elle obtient en échange un écrit de son fils affirmant qu’elle n’est pas prisonnière et qu’elle peut quitter le château de Blois. Elle a l’habileté de ne pas céder à la précipitation et d’y demeurer jusqu’au début de l’année suivante.
La fuite de Marie de Médicis
La résidence surveillée à Blois n’a pas que des inconvénients pour Marie de Médicis. Les protestations qu’elle répète contre le sort qui lui est réservé lui permettent de préparer l’opinion au bien-fondé d’une évasion. L’âme du complot est un abbé, Italien de naissance, de l’entourage de la reine mère, Ruccelaï, qui mène des tractations avec le duc d’Épernon. Ce dernier a provoqué un esclandre à Saint-Germain-l’Auxerrois pour une question de préséance, en chassant de l’église le garde des sceaux, Guillaume du Vair. Conscient de la maladresse de son geste, le duc d’Épernon a rapidement regagné les Trois-Évêchés, où Ruccelaï vient le solliciter de la part de Marie de Médicis. En décembre 1618 et janvier 1619, les émissaires secrets ne cessent d’aller et venir entre Blois et la Lorraine. Puis Épernon demande à Louis XIII l’autorisation de se rendre dans son autre gouvernement, celui d’Angoulême. Le roi refuse, le duc passe outre. Au lieu de rejoindre la destination annoncée, il prend le chemin de Blois. Le souverain choisit le même moment pour annoncer son intention de rendre visite à sa mère. L’arrivée du duc d’Épernon à Loches étant prévue le 22 février 1619, Marie de Médicis décide de s’évader dans la nuit du 22 au 23.
Duplessis, secrétaire du gouverneur rebelle, organise minutieusement la fuite du château de Blois : la reine mère, malgré son embonpoint, enjambe le rebord d’une fenêtre, descend une échelle de corde puis profite de travaux de rénovation pour se laisser glisser jusqu’à terre sur un tas d’éboulis ! Un carrosse l’attend, et lui permet de rejoindre sans encombre son complice. Tous deux s’installent à Angoulême. À la cour, l’émotion est à son comble. Le gouvernement fait même dire que la reine mère a été enlevée. Louis XIII décide d’aller en personne punir le gouverneur de Metz. Face au cumul des charges détenues par le duc d’Épernon et face à sa puissance, le souverain en est réduit à recruter une troupe de mercenaires. Plus d’un million d’écus sont nécessaires : la paulette est rétablie.
Richelieu : le réconciliateur
Hasard de calendrier ou de circonstances ? Richelieu résilie le bail de sa résidence à Avignon dès la fin du mois de janvier 1619. Certains ont émis l’hypothèse que le prélat ait été prévenu de bonne heure du projet de fuite de la reine mère. Richelieu se sait peut-être l’homme providentiel : il charge en tout cas Bouthillier de La Cochère et le père Joseph d’en convaincre la cour, tandis que Déageant, accepte de se faire son avocat auprès de Louis XIII. Le roi et son favori se laissent convaincre. Le 7 mars, un cavalier arrive dans la cité des papes. Il s’agit de M. du Tremblay, frère du père Joseph. Il est porteur d’une lettre du souverain : Richelieu a ordre de se rendre à Angoulême pour reprendre ses fonctions auprès de la reine mère.
Malgré l’indigence des finances royales, Louis XIII a réussi à mettre trois armées sur le pied de guerre. La première est réunie en Champagne pour s’avancer vers le fils du duc d’Épernon, le duc de La Valette, qui entretient la rébellion à Metz. La seconde armée se trouve en Guyenne, pour contenir les huguenots. Le troisième corps de troupes est placé sous les ordres du roi en personne et s’apprête à gagner le Poitou et la Saintonge.
De Rome, le pape observe ces préparatifs avec la plus grande crainte. Il dépêche le nonce apostolique auprès de Louis XIII, pour le convaincre d’envoyer au préalable une mission de bons offices à Angoulême. Les médiateurs seraient le comte de Béthune et le père de Bérulle, introducteur de l’Oratoire en France. Mais Marie de Médicis subordonne toute discussion au licenciement des troupes levées. Son entourage proche la pousse à la confrontation militaire et le duc d’Épernon a peu de chose à dire. L’ancienne régente en vient à confisquer les recettes des impôts royaux et à rassembler une armée ; elle entame aussi des démarches auprès des Grands du royaume, qui ont la sagesse de faire la sourde oreille.
En arrivant à Angoulême le 2 avril, Richelieu trouve une situation pour le moins difficile. Dès l’abord, il se heurte à un mur inattendu, celui des conseillers de la reine. Dans un premier temps, l’évêque de Luçon se tient en dehors du cercle pour prévenir les suspicions d’ambition ou de trahison. Il parvient à se ménager quelques entretiens particuliers avec Marie de Médicis, qui le réintroduit au Conseil. Le prélat a préparé un mémoire invitant la mère à se réconcilier avec son fils. Les négociations entamées par le comte de Béthune et par le père de Bérulle n’ont porté aucun fruit. Au mois d’avril, Paul V préfère leur adjoindre le renfort du cardinal de La Rochefoucauld. Louis XIII reprend alors l’initiative : il ordonne au duc de Mayenne de s’avancer vers Angoulême, tandis que le comte de Schomberg s’empare de la ville d’Uzerche. Jugeant le moment opportun, Richelieu intervient enfin : il convainc la reine mère de négocier, et se rapproche de Bérulle et de La Rochefoucauld. Les hommes d’Église savent s’entendre et entendre raison. Un accord est trouvé en trois jours. Le 30 avril 1619, Marie de Médicis signe le traité d’Angoulême, que Louis XIII ratifie peu après. Renonçant au gouvernement de Normandie, la reine mère obtient celui de l’Anjou, avec les places fortes d’Angers, de Chinon et des Ponts-de-Cé. Elle conserve ses revenus et dignités, et est autorisée à entrer immédiatement en possession de son gouvernement, avant même son retour à la cour. Elle a par ailleurs autorité pour désigner les commandants des places fortes angevines. Le roi prend à sa charge le paiement de ses dettes et accorde son pardon au duc d’Épernon. Richelieu est confirmé à la tête du Conseil de la reine mère et obtient pour son frère Henri la capitainerie d’Angers. L’ambitieux prélat s’est acquitté au mieux de sa mission : il est de retour aux affaires.
1-
P. Chevallier, Louis XIII, ouv. cit., p. 175.
2-
P. Blet, Richelieu et l’Église, ouv. cité, p. 22-23.