V
RICHELIEU, CARDINAL
ET PRINCIPAL MINISTRE
L’indispensable conseiller
Richelieu a témoigné d’une indéniable habileté, même
si la paix d’Angoulême est source de
nouvelles dissensions. Homme d’Église, garant de bons offices pour
la papauté, il était bien l’homme de la situation. Mais, dans
l’entourage du roi, le cardinal de Retz reproche à Bérulle son rôle
dans les négociations. Marie de Médicis, de son côté, consent un
effort quasi insurmontable pour promettre à Luynes son
amitié.
La charge qui a été dévolue à Henri de Richelieu est
convoitée par plusieurs gentilshommes, dont le marquis de Thémines,
fils de celui qui a arrêté Condé. Jaloux, ce gentilhomme tient les
propos les plus injurieux contre son adversaire plus chanceux.
L’affaire tourne brusquement au drame lorsque, le 8 juillet, le
duel est choisi par les protagonistes pour régler leur
différend : Henri succombe à l’assaut de son adversaire. La
douleur de perdre un frère est immense, et pour le lignage la
disparition d’Henri est une catastrophe. Les dettes du défunt
viennent s’ajouter à celles de son père. Alphonse du Plessis est
chartreux et en dehors du monde : Armand Jean devient le chef
de famille, avec une conviction, la nécessité de consolider sa
position et d’assurer ses arrières.
De retour aux affaires, il commence par obtenir le
commandement de la place d’Angers pour
son oncle, Amador de La Porte et le gouvernement des
Ponts-de-Cé pour M. de
Béthencourt, l’un de ses proches. Il fait attribuer le château de
Chinon à l’un des conseillers de Marie
de Médicis, Jacques d’Apchon de Chanteloube, qu’il espère gagner à
sa cause.
Le décès du marquis de Richelieu a une autre
conséquence, la mise à l’écart définitive de Ruccelaï, concurrent
de l’évêque de Luçon dans les faveurs
de la reine mère, coupable d’avoir envenimé la querelle avec
M. de Thémines. Richelieu est désormais tout-puissant auprès
de la reine mère. Il songe dès cette époque au cardinalat[1].
La présentation des candidatures au Saint-Siège est
un privilège acquis par les souverains français. Malgré la
recommandation de sa protectrice, l’évêque de Luçon n’obtient rien du roi. Marie de Médicis
refusant catégoriquement de regagner Paris, Richelieu est soupçonné d’être à l’origine
de cet état d’esprit. À défaut de pourpre, le prélat parvient à
obtenir une audience de Louis XIII, à Tours. Seule une réconciliation complète du
souverain avec sa mère permettrait à Richelieu de progresser et de
parvenir à ses fins. Ce n’est qu’avec le concours de Luynes que les
retrouvailles sont enfin organisées.
Le 5 septembre 1619, Marie de Médicis retrouve
Louis XIII au château de Couzières, propriété du duc de Montbazon. La reine
mère est vite déçue : elle a perdu tout ascendant sur son
fils, qui semble lui préférer Anne d’Autriche. Dans l’espoir d’une
part d’obtenir un retour au Conseil, pour l’ancienne régente autant
que pour lui-même, d’autre part d’obtenir le chapeau de cardinal,
Richelieu n’a d’autre choix que de resserrer les liens avec le
favori. Mais Luynes fait en sorte que le candidat du roi au
cardinalat soit l’archevêque de Toulouse, Louis de La Valette, fils du duc
d’Épernon. Richelieu n’a plus qu’à retourner dans son diocèse,
tandis que Marie de Médicis gagne Angers.
La reine mère arrive dans son gouvernement le 16
octobre. L’accueil qui lui est réservé est celui d’une souveraine,
mais Louis XIII a pris ses précautions : les armes et les
munitions ont été soigneusement retirées de la place. Au même
moment, le roi attribue à nouveau à son frère cadet un gouverneur,
le maréchal d’Ornano, sans consulter leur mère. Les circonstances
qui président à la libération du prince de Condé, au mois
d’octobre, n’arrangent pas la situation.
Luynes insinue que la reine mère a tout fait pour
maintenir Monsieur le Prince en prison, alors que c’est elle qui,
en réalité, a réclamé sa libération pour rééquilibrer les forces en
présence. Il obtient à ce propos l’enregistrement au Parlement
d’une déclaration officielle, affirmant l’innocence du premier
prince du sang. Son emprisonnement s’expliquerait par un abus de
pouvoir. Louis XIII doit assurer sa mère qu’il ne s’agit pas
d’un désaveu à son encontre. Claude Barbin est également libéré, et
aussitôt expulsé du royaume. Dans l’ignorance des dispositions
d’esprit réelles de son fils, Marie de Médicis préfère camper sur
ses positions et refuse, dans l’immédiat, de se rendre au
Louvre.
C’est le moment que choisit Richelieu pour rejoindre
la reine mère à Angers. Attendre lui
est devenu insupportable. Il tente à nouveau de la fléchir, et de
la convaincre de regagner la cour, en vain. Par prudence, l’évêque
de Luçon écarte M. de Villesavin
et le remplace par Claude Bouthillier, frère de l’abbé de La
Cochère, à la charge de secrétaire des commandements de la
reine[2]. Il obtient aussi la nomination d’un ami,
Michel de Marillac, aux fonctions d’intendant de justice en
Anjou. Le demi-frère de ce dernier,
Louis, doit quant à lui coordonner les préparatifs militaires que
la reine mère voudrait mettre en oeuvre.
L’attitude de Luynes n’a que trop envenimé les
relations de Marie de Médicis et de son entourage avec
Louis XIII et son gouvernement. Le favori, de son côté,
s’estime trahi par l’évêque de Luçon.
Luynes dépêche alors à Angers son
beau-père, le duc de Montbazon, dans le but de faire revenir la
reine mère à Paris et de discréditer
Richelieu. La manoeuvre échoue. Au mois de mai 1620, M. de
Blainville prend le relais. Marie de Médicis refuse toute
discussion. Puis une véritable délégation est mise en branle :
le duc de Montbazon repart à la charge, accompagné du duc de
Bellegarde, de l’archevêque de Sens et
du président Jeannin. La reine ne baisse pas la garde, au
contraire. Elle se dote des moyens nécessaires à la lutte armée.
Richelieu est chargé de récolter les fonds nécessaires à la levée
et à l’entretien des troupes. Il supervise aussi le renforcement
des places dont dispose l’ancienne régente.
Marie de Médicis est moins isolée qu’à Blois : elle le sait et profite de la nouvelle
donne. Elle peut compter sur le soutien du second comte de
Soissons, Louis de Bourbon, qui ne cesse de se quereller avec
Condé ; sur celui du duc de Rohan, concurrent de Luynes à la
connétablie ; sur l’aide de Benjamin de Rohan, duc de Soubise,
frère d’Henri de Rohan. Le duc de Longueville et le prieur de
Vendôme se préparent déjà à la lutte en Normandie. Le duc d’Épernon, secondé par le duc du
Maine, maître de la Guyenne, mobilise
des hommes en Saintonge. La reine mère
réussit à rassembler autour d’elle un parti considérable, car les
princes sont indignés de l’influence croissante de Luynes,
récemment promu duc et pair.
Richelieu est quant à lui plus que jamais partisan
de la modération. Il craint que la reine mère ne tombe sous la
coupe des Grands et préférerait utiliser les forces réunies pour
contraindre Luynes à négocier. Mais la majeure partie du conseil de
la reine mère se déclare favorable au déclenchement, à vaste
échelle, des hostilités. Seuls Michel de Marillac, qui a connu les
guerres civiles sous les derniers Valois, et le père Suffren,
confesseur de la reine, soutiennent le point de vue de Richelieu.
Paradoxalement, c’est à lui, le conseiller indispensable, qu’il
revient d’organiser la campagne. Le prélat n’a d’ailleurs guère le
choix, s’il veut conserver un tant soit peu d’influence et
d’autorité.
La « drôlerie des Ponts-de-Cé » et le
traité d’Angers
Les préparatifs de Marie de Médicis et de ses
lieutenants s’organisent autour de la ville d’Angers. La reine peut s’appuyer sur la Normandie : les places de Rouen et du Havre sont
verrouillées par le duc de Longueville. Le comte de Soissons, quant
à lui, contrôle Dreux, La Ferté-Bernard, le Perche et une partie du Maine. Le maréchal de Boisdauphin tient
Château-Gontier et Sablé. Le duc de Vendôme contrôle une partie de la
Loire. Les ducs de La Trémoille et de Retz sont implantés en
Bretagne et en Poitou. La Saintonge se
tient prête grâce au duc d’Épernon. Les protestants eux-mêmes
pourraient prendre fait et cause pour la reine mère. Enfin, le
marquis de La Valette occupe la place de Metz et pourrait ménager à la rébellion une
ouverture vers l’Allemagne, essentielle
pour l’éventuel recrutement de mercenaires. Louis de Marillac, qui
reçoit et applique les directives de Richelieu, est placé à la tête
de l’armée de Marie de Médicis. Le passage stratégique de la Loire,
entre l’Anjou et le Poitou, doit s’effectuer aux Ponts-de-Cé.
Pour le pouvoir royal, la menace se fait imminente.
L’opinion s’en émeut d’autant plus facilement que Louis XIII
ne se prive pas de souligner les atteintes volontaires portées à
l’autorité souveraine. Dans son entourage, le prince de Condé se
déclare favorable à une riposte vigoureuse et rapide. Luynes défend
au contraire la solution du compromis et de la discussion. Le
2 juillet 1620, la Normandie entre
en dissidence : le gouvernement doit se réunir d’urgence et le
souverain choisit la répression par les armes.
Dès le 7 juillet, le monarque, accompagné de son
frère Gaston, de Condé, de trois chefs de guerre expérimentés,
Schomberg, Praslin et Créqui, et de quatre mille hommes, prend la
route de Rouen. Le duc de Longueville,
surpris par la vivacité de la réaction de Louis XIII, prend la
fuite et se replie à Caen en compagnie
du prieur de Vendôme. Le roi les suit. Caen et son château font
presque aussitôt leur soumission. Désorientés et pris de court, les
Grands ne savent déjà plus quelle attitude adopter.
Dès le début des opérations, Richelieu avertit Marie
de Médicis du danger et de la supériorité psychologique et morale
dont peut se prévaloir Louis XIII. Il met en avant l’inutilité
et le caractère inique d’une guerre déclarée par une mère à son
fils. Une nouvelle fois, l’évêque de Luçon est soupçonné de collusion avec Luynes. Il
est vrai que tous deux oeuvrent ensemble à un accommodement
pacifique.
À l’issue des victoires de Normandie, le favori dépêche à nouveau le président
Jeannin, le duc de Bellegarde et l’archevêque de Sens auprès des rebelles. Seul Richelieu se déclare
favorable à la paix. Le 2 août, Louis XIII fait son
entrée au Mans. La ville s’est soumise
au roi, qui, dès lors, peut directement se pencher sur le problème
posé par Angers.
L’armée de Marie de Médicis est plus nombreuse que
celle de son fils, mais la discorde règne entre ses chefs. Le
commandement, pourtant officiellement dévolu à Louis de Marillac,
est âprement disputé, à la fois par le duc de Vendôme, par le duc
de Nemours, par le maréchal de Boisdauphin et par le comte de
Soissons ! Non seulement les contingents n’arrivent plus en
Anjou, mais les soldats commencent à se
disperser.
Le 6 août, Louis XIII parvient aux Ponts-de-Cé. Des barricades ont été dressées dans
les faubourgs. C’est à ce moment crucial que le duc de Retz fait
défection. Les soldats de la reine mère battent en retraite dès la
troisième charge des troupes royales. Le roi est maître de la
situation et du passage sur la Loire en moins d’une demi-journée.
La « drôlerie des Ponts-de-Cé » ridiculise le camp de
Marie de Médicis.
Les plénipotentiaires de Louis XIII profitent
aussitôt de l’avantage acquis, bien que la reine mère s’obstine au
silence et à l’immobilité. Des pourparlers s’engagent grâce à
Richelieu. Pour Chanteloube, la responsabilité de l’échec des
armées rebelles n’incombe plus qu’à l’évêque de Luçon, et à lui seul. C’est pourtant grâce à
celui-ci que la paix est enfin signée.
Le traité d’Angers
confirme le statu quo prévu par celui d’Angoulême : l’amnistie est concédée aux
partisans de Marie de Médicis ; leurs places, charges et
dignités leur sont rendues ; les Ponts-de-Cé sont eux aussi rétrocédés à la reine
mère, avec une indemnité de trois cent mille livres pour payer ses
dettes. Deux nouveautés interviennent cependant et confirment, s’il
en était besoin, l’extrême habileté de Richelieu. La reine mère
s’engage à vivre en bonne intelligence avec la cour et avec Luynes.
En contrepartie, le retour au Conseil lui est garanti. Enfin, le
chapeau de cardinal est officiellement demandé au pape pour
l’évêque de Luçon. Louis XIII
adresse la requête officielle au souverain pontife le 22 août.
Les motifs politiques de la démarche sont mentionnés : il
s’agit du prix de la réconciliation entre le roi et sa mère.
Richelieu est plus que jamais convaincu, et à juste
titre, que la seule source de pouvoir au sein de la monarchie est
Louis XIII lui-même. Il a seulement besoin de la reine mère
pour se rapprocher du roi, et doit aussi tenir compte du favori en
titre. C’est pourquoi il compose. Un projet d’alliance matrimoniale
est élaboré : la nièce préférée de l’évêque de Luçon, Marie de Pont-Courlay, si jeune orpheline de
mère, est promise au neveu de Luynes, M. de Combalet.
Le favori conserve la confiance exclusive du roi,
mais son gouvernement connaît de graves difficultés.
Louis XIII a eu la faiblesse de lui octroyer d’importantes
prérogatives : il reçoit les ambassadeurs, donne des ordres
aux ministres… Et les finances sont au plus bas. Le parlement de
Paris est mécontent des édits bursaux
promulgués en février pour créer de nouveaux offices, notamment de
procureurs. Les deux guerres qui viennent d’opposer la mère et le
fils ont coûté très cher. Les Grands sont toujours avides de
pensions. Pour renflouer le Trésor, Luynes s’appuie plus que jamais
sur la paulette. En Béarn, la
restauration du catholicisme ne s’effectue pas sans difficulté et
se heurte même à de vives résistances : la querelle
confessionnelle est devenue politique. C’est alors que les
nouvelles les plus sombres arrivent de Bohême.
La défenestration de Prague
Au début du xviie siècle, le
Saint Empire romain germanique se
compose d’une multitude d’États, d’importances et de tailles très
diverses. L’empereur est désigné par sept électeurs : les
archevêques de Trèves, de Cologne, de Mayence, le
comte palatin du Rhin, le duc de Saxe,
le margrave de Brandebourg et le roi de
Bohême, dont la couronne, comme celle de l’Empire, est élective. Il
ne peut prendre de décisions importantes sans l’accord des princes
allemands réunis. Depuis de nombreuses années, la famille de
Habsbourg s’attache à conserver de manière de plus en plus étroite
la dignité impériale en son sein.
Par ailleurs, depuis la Réforme, chaque prince
impose sa religion dans son État. Bien que la confiscation des
biens cléricaux par les princes protestants soit interdite,
l’électeur palatin, calviniste, ne se prive pas de le faire. Aussi,
en ces premières années du xviie siècle, et
dans la lignée du concile de Trente,
les jésuites s’efforcent-ils de ramener l’Allemagne au catholicisme, avec succès en
Bavière et dans les États du sud de
l’Empire. Le père Lamormain se distingue particulièrement : il
entreprend la reconquête catholique par le royaume de Hongrie, bientôt suivie de persécutions contre les
protestants en Moravie et en
Bohême.
Cette dernière est un pays riche. Sa noblesse,
grande propriétaire terrienne, est puissante. La Bohême, comme la
Hongrie, possède une population en
majorité protestante. Elle est aussi la patrie des hussites, qui
donnent naissance à une puissante organisation, l’Unité des frères.
Celle-ci se rapproche des luthériens, et ensemble ils obtiennent,
en 1609, de l’empereur Rodolphe II, un rare privilège, la
Lettre de majesté, qui reconnaît une
seule et unique Église protestante, celle de la Confession tchèque.
La Lettre de majesté institue par
ailleurs un conseil de dix « Défenseurs de la foi »,
habilités à négocier avec les représentants de la couronne, de
confession catholique. La famille de Habsbourg doit faire des
concessions politiques et religieuses aux protestants et aux états
de Bohême qui ont accepté de la placer
sur le trône. La nécessité est d’autant plus vive que Vienne n’est pas si éloignée de Prague, que la menace turque fait de la Bohême et
de la Hongrie les frontières de la
chrétienté, que l’éventuelle élection d’un roi de Bohême protestant
accorderait la majorité du conseil électoral d’Empire aux
réformés.
L’empereur Mathias (1557-1619), qui succède à
Rodolphe II, souhaite lui aussi maintenir la paix. En 1617, il
décide de régler sa succession et se choisit autoritairement un
successeur au trône de Bohême :
n’ayant pas de fils, il désigne un catholique intransigeant,
Ferdinand de Styrie, son cousin, ancien élève des jésuites
d’Ingolstadt. En proposant la
candidature de Ferdinand à la diète de Bohême, Mathias remet
fondamentalement en question le fragile équilibre confessionnel de
la couronne élective. Il n’en reste pas moins que Ferdinand de
Styrie est élu et couronné à Prague le
19 juin 1617.
À peine désigné, le nouveau souverain met tout en
oeuvre pour ramener les sujets de tous ses États à la religion
catholique. Il incite même Mathias à bafouer les droits religieux
des protestants de Bohême. Au début de
l’année 1618, la destruction d’un temple, ordonnée par l’archevêque
de Prague, pousse les Défenseurs de la
foi à convoquer une diète, interdite par Mathias. Les événements se
précipitent alors.
Le 23 mai, au château de Prague, une délégation protestante croise quatre
représentants du roi. Une altercation se produit : les
premiers rendent les seconds responsables du refus opposé aux
Défenseurs de la foi. Deux serviteurs de Ferdinand, les comtes
Martinic et Slavata, ainsi que leur secrétaire Fabricius, sont
défenestrés et ne sont sauvés que par un tas de fumier.
Les hostilités sont déclarées : les rebelles
jugent que le roi est trompé par ses conseillers, et se soulèvent
par loyalisme envers lui. La politique centralisatrice de
Vienne n’est en fait plus acceptable
dans la mesure où les droits des protestants de Bohême sont quotidiennement bafoués. Un
gouvernement provisoire, composé de 36 directeurs, est mis sur
pied ; une armée est organisée. Ainsi débute la guerre de
Trente Ans. Moins d’un an plus tard, le
20 mars 1619, Mathias décède. La noblesse protestante conteste
aussitôt l’élection et le couronnement de Ferdinand de Styrie. Sa
déchéance, puis la vacance du trône de Bohême, sont prononcées. Le 27 août, les états
du pays élisent l’électeur palatin Frédéric V en lieu et place
du Habsbourg. Presque simultanément, Ferdinand se voit décerner la
couronne impériale par le conseil électoral réuni à Francfort.
L’élection se fait à l’unanimité, le représentant de
Frédéric V essayant ainsi de ménager Ferdinand de Styrie par
rapport aux états de Bohême.
Dans les mois qui suivent, le nouvel empereur
prépare la reconquête du trône qu’il a perdu et se ménage des
appuis au cas où le recours aux armes serait nécessaire. En
décembre 1619, Louis XIII, excédé par les soucis que lui
causent les huguenots du royaume, lui promet une aide militaire
contre les protestants de Bohême. Mais
le roi très chrétien a une autre priorité : faire face aux
dissensions internes du royaume, qui prennent une ampleur
inquiétante et auxquelles il doit remédier le plus rapidement et le
plus fermement possible.
Les huguenots du Béarn, de La Rochelle et de
Montauban
Après l’entrevue de Brissac, en effet, Louis XIII est contraint de
se rendre en Béarn pour y faire
appliquer les récents édits prévoyant la restitution à l’Église
catholique des biens et droits confisqués par Jeanne d’Albret. La
résistance des pasteurs et leur mauvaise volonté à exécuter les
décisions du gouvernement irritent d’autant plus le souverain qu’un
commissaire envoyé à Pau pour régler
l’affaire ne parvient à aucun résultat. Si le roi est décidé à
faire respecter son autorité, son entourage est lui divisé sur
l’attitude à adopter, rendant le souverain hésitant. Luynes et les
ministres qui ont servi Henri IV prônent la modération ;
les grands prélats, au contraire, comme le cardinal du Perron, le
père Joseph, le père Arnoux, ou Richelieu, préconisent une
intervention armée. Pour eux, le roi se doit de défendre la liberté
de culte des catholiques béarnais. S’il ne s’agissait de l’autorité
monarchique, Louis XIII inclinerait volontiers à la tolérance
et à l’indulgence, en raison de la fidélité dont les protestants
l’ont gratifié et de la mémoire familiale.
Le 19 septembre 1620, la cour arrive à Bordeaux, puis prend le chemin des Pyrénées. Luynes
refuse de suivre. À la mi-octobre, Louis XIII peut faire son
entrée à Pau. Tandis que les soldats du
roi pillent le pays, les protestants sont exclus du conseil
souverain de la vicomté de Béarn.
L’évêque de Lescar devient président des états. Le culte catholique
est rétabli ; les gouverneurs qui n’ont pas obéi sont
destitués. Le Béarn et la Navarre sont
définitivement réunis à la couronne. Si l’intervention royale dans
les Pyrénées s’avère facile, la question protestante ne tarde pas à
rebondir.
Dès le mois de décembre, une assemblée de
protestants se réunit à La Rochelle,
sans autorisation. Elle décide de se doter d’une organisation
militaire. Le risque de division du royaume est d’autant plus grave
que l’assemblée sollicite l’aide de l’Angleterre, de la Hollande et des princes protestants allemands de
l’Union évangélique. De surcroît, les huguenots réclament
l’annulation des mesures prises en Béarn. Louis XIII, ne pouvant accepter une
initiative aussi dangereuse, réplique en déclarant coupables de
lèse-majesté les députés de La Rochelle. Au mois de février 1621,
la rupture est consommée : les huguenots s’emparent de
Privas.
Le roi ne peut en tolérer davantage sans
intervenir et décide d’aller en personne châtier les rebelles.
Luynes, qui accède alors à la connétablie, prend la tête des armées
royales. Le maréchal de Lesdiguières, protestant mais loyal, doit
le seconder. Richelieu exhorte Marie de Médicis à aller soutenir
son fils, qui se méfie encore. Il confie au duc de Montbazon le
commandement de Paris et de
l’Île-de-France avant de partir pour
Saumur. Le duc d’Épernon est, quant à
lui, dépêché en éclaireur en Béarn pour
soumettre définitivement la province. Les villes n’opposent
quasiment aucune résistance. L’assemblée de La
Rochelle, de son côté, n’en divise pas moins la France protestante en huit circonscriptions
militaires. Chacun de ces cercles est placé sous l’autorité d’un
gouverneur. Les huguenots se dotent d’une armée, placée sous les
ordres de Soubise, qui tient la place de Saint-Jean-d’Angély. Les deniers royaux sont
saisis. Tous les protestants n’adhèrent cependant pas au
projet : le duc de Bouillon et le duc de Sully se tiennent sur
la réserve, tout comme les conseils de ville et la noblesse
seconde. En arrivant à Saumur le
14 mai, Louis XIII déclenche l’enthousiasme de la
population. Le même jour, Luynes entame le siège de Saint-Jean-d’Angély. Plusieurs villes du
Poitou, et non des moindres,
choisissent de faire allégeance au roi : Fontenay-le-Comte, Saint-Maixent, Maillezais, Marans et
Niort. Dans l’Orléanais, l’armée du souverain prend le contrôle
de Jargeau et de Sancerre. En Bretagne,
Vitré assure sa fidélité à Louis XIII.
Les huguenots sont rapidement désarmés. Le 24 juin, Soubise
capitule. Le roi lui accorde son pardon contre la promesse de ne
plus prendre les armes.
Le gouvernement souhaiterait s’en tenir là, car
l’horizon international s’assombrit dangereusement. Mais
Louis XIII, sans doute blessé dans sa dignité souveraine, est
décidé à donner une leçon aux rebelles. Marie de Médicis n’est pas,
non plus, favorable à l’acharnement et retourne à Tours, cette fois en accord total avec Richelieu.
Le roi, quant à lui, poursuit son offensive en direction du sud.
Autant la campagne avait bien commencé, autant elle se termine
mal.
Non seulement Luynes est un piètre commandant, mais
le duc d’Épernon ne reçoit pas de forces suffisantes pour le blocus
de La Rochelle, et le contingent
principal de l’armée royale est trop peu nombreux pour mener à bien
le siège de Montauban entrepris à
partir de la mi-août. Coup du sort, les intempéries s’abattent sur
les soldats de Louis XIII, et au cours de l’automne 1621,
Luynes accumule les erreurs stratégiques et les maladresses les
plus grossières.
Le duc du Maine, qui commande une partie des troupes
royales, trouve la mort le 17 septembre en faisant visiter au duc
de Guise les tranchées creusées autour de Montauban. En dépit des clauses du traité
d’Angers, le favori s’empresse de
déclarer qu’il s’agit du juste châtiment infligé à un dangereux
factieux. Une délégation du parlement de Bordeaux se rend auprès du roi et lui réclame un
nouveau gouverneur de Guyenne de valeur
équivalant à celle du défunt. La province peut ainsi se permettre
de rejeter par avance la nomination prévisible du duc de Chaulnes,
frère de Luynes.
La mort du duc du Maine a une autre conséquence.
Sitôt la nouvelle de son décès connue à Paris, des émeutes éclatent. La foule attribue le
décès à un coup de feu tiré par un protestant du haut des murailles
de Montauban. Elle brûle le temple de
Charenton. Un incendie ravage également
le Pont-marchand et le Pont-au-Change : les huguenots sont
accusés du sinistre.
Le maréchal de Lesdiguières fait également les frais
des suspicions et des jalousies du favori. Pressenti par
l’assemblée de La Rochelle pour diriger
le cercle protestant du Dauphiné,
l’homme de guerre est avant tout un excellent soldat, dévoué au
roi. Sa seule faute est de vouloir tenir Luynes éloigné des
opérations. Sous prétexte de troubles, Lesdiguières est renvoyé
dans son gouvernement.
À La Rochelle, la
situation n’est guère plus brillante pour Louis XIII. Deux de ses
vaisseaux sont capturés par les habitants, en même temps que des
dizaines de navires marchands. Deux autres navires armés par le duc
de Nevers en vue de sa croisade, et mis
à la disposition du roi, s’échouent près du port. Les Rochelais
s’en emparent.
Impuissant face à la dégradation de la situation,
Luynes, malgré l’opposition du souverain, décide de négocier avec
les insurgés de Montauban et de
solliciter la médiation de l’ambassadeur d’Angleterre, lord Hay. Louis XIII est humilié
par le procédé et ne peut plus faire confiance à celui qu’il s’est
choisi à la fois pour ami et pour connétable. Luynes garde
cependant encore suffisamment de pouvoir pour évincer le père
Arnoux et lui retirer la charge de confesseur du roi. Le
8 octobre, il rencontre le duc de Rohan. Les négociations
s’avèrent impossibles. Un mois plus tard, la déconfiture est
totale. L’armée royale lève le siège de Montauban. Louis XIII préfère se diriger vers
Toulouse. Luynes, atteint de fièvre
pourpre, trouve une mort prématurée le 14 décembre, au
soulagement général.
Richelieu contre Luynes
Après la signature du traité d’Angers, Richelieu et Luynes n’ont trouvé
d’éphémères accords que poussés par la nécessité politique. Le
favori ne parvient pas à taire la défiance qui l’anime. Malgré les
engagements souscrits par le roi, il tente encore tout ce qui est
en son pouvoir pour empêcher la nomination de l’évêque de
Luçon au cardinalat. Il convoque le
nonce apostolique, Bentivoglio, et n’hésite pas à lui déclarer que
le roi souhaite empêcher la nomination par le Saint-Siège ! La
proposition faite de l’évêque de Luçon pour le chapeau de cardinal
ne serait que de pure forme. Le représentant du pape doute d’autant
plus volontiers de la légitimité de la candidature de Richelieu que
Puisieux lui tient le même discours. À titre personnel, Bentivoglio
estime d’ailleurs l’attitude de la reine mère inacceptable et les
ambitions de l’évêque de Luçon excessivement dangereuses.
Au mois de novembre 1620, Luynes dépêche à
Rome M. de Marsillac, d’une part
afin de remercier Paul V des félicitations adressées à
Louis XIII pour son intervention en Béarn, d’autre part pour remettre au souverain
pontife une lettre confidentielle. Luynes y insiste pour que
Richelieu n’obtienne pas le cardinalat. C’est dans ces
circonstances qu’est célébré le mariage d’Antoine de Combalet et de
Marie de Pont-Courlay. Le favori de Louis XIII se perd alors
en contradictions : il écrit à Marsillac de ne plus faire
obstacle à la promotion de l’évêque de Luçon, puis refusant toute explication à
Bentivoglio, il se borne à lui adresser Puisieux et le duc de
Montbazon pour répéter l’opposition du gouvernement à la nomination
de Richelieu.
À Rome, l’administration
pontificale ne sait évidemment plus à quel saint se vouer !
Richelieu, quant à lui, semble informé des tractations en cours.
Pour défendre sa cause, il envoie à son tour à la Curie un de ses
amis, l’évêque d’Orléans. Le
11 janvier 1621, la promotion au cardinalat est rendue
publique. Conformément à la demande de Louis XIII expédiée
deux ans plus tôt, l’archevêque de Toulouse est inscrit sur la liste, tout comme
Bentivoglio. La duplicité de Luynes ne fait plus aucun doute.
Profitant des troubles confessionnels qui agitent le
royaume, Richelieu contre-attaque en mettant tout en oeuvre pour
discréditer le gouvernement du favori. L’évêque de Luçon mobilise d’abord la reine mère : Marie
de Médicis réclame son retour au Conseil et exprime son inquiétude
face aux problèmes religieux auxquels son fils doit faire face.
Prônant la modération et la prudence en politique intérieure, elle
dénonce avec habileté l’immobilisme de la politique extérieure
pratiquée par le gouvernement. Richelieu organise aussi une
violente campagne de pamphlets contre le favori ; l’opinion
publique est inondée des libelles les plus critiques.
L’échec de Louis XIII devant Montauban semble donner raison à l’évêque de
Luçon et la mort de Luynes déstabilise
l’équilibre émotionnel fragile du souverain. Louis de Marillac est
dépêché auprès de lui pour évaluer son état d’esprit. Indice de bon
augure : le meilleur accueil lui est réservé. À cet instant,
Louis XIII se trouve encore parmi ses troupes, et déclare même
son impatience de regagner Paris pour y
retrouver sa mère.
Pour Richelieu subsiste une difficulté de
taille : les ambitions du prince de Condé, de Sillery et de
Puisieux. Le prélat n’a qu’un but, le retour au pouvoir. La
confiance de Louis XIII reste à gagner. La seule véritable
alliée dont il dispose est Marie de Médicis, aux ambitions à la
mesure des siennes. Richelieu est fermement décidé à ne pas se
séparer de la veuve d’Henri IV. Dans l’immédiat, il sait qu’il
doit faire preuve de patience et dissimuler ses objectifs trop
personnels. Les péripéties de la première phase de la guerre de
Trente Ans lui apportent alors matière
à réflexion. Les événements le conduisent à élaborer un vaste
projet de politique étrangère à la gloire de l’État et de la
monarchie Bourbon, alors même que la voie prise par Luynes achève
de mener la France et son roi au
désastre diplomatique le plus complet.
La bataille de la Montagne Blanche
Ferdinand II, au lendemain de son accession à
l’Empire, entre en lutte contre les Tchèques et contre l’électeur
palatin. Sur les conseils de l’ambassadeur d’Espagne à Vienne,
Oñate, il a l’habileté de promettre au duc Maximilien de
Bavière la dignité électorale détenue
jusque-là par Frédéric V. Il se ménage de plus le soutien de
son cousin, Philippe III d’Espagne, celui, plus inattendu, de
l’électeur de Saxe, un des princes
protestants d’Allemagne les plus
puissants et les plus influents, et celui du roi de Pologne, Sigismond. Du côté de l’électeur palatin
s’assemblent les Provinces-Unies et la
Hongrie, qui vient elle-même d’élire
pour roi un membre de sa noblesse, Bethlem Gabor. Rapidement,
Frédéric V et les états de Bohême
se trouvent isolés et en position d’infériorité par rapport à
Ferdinand II. Madrid voit en effet
approcher l’expiration de la Trêve de Douze ans conclue avec les
Provinces-Unies en 1609. Les choix
respectifs des Espagnols et des Hollandais en ce qui concerne la
Bohême reflètent l’inquiétante
échéance. Philippe III est persuadé que le renforcement de la
position de la dynastie Habsbourg en Allemagne est la condition nécessaire au
renforcement de la position de Madrid face aux Provinces-Unies. Le
roi catholique se doit de contrôler les voies d’acheminement de ses
troupes du Milanais à la Hollande. En janvier 1620, il lève une armée de
vingt mille hommes pour occuper les possessions rhénanes de
Frédéric V. Les troupes sont confiées au commandement d’un
excellent stratège, le Génois Ambroise Spinola.
En France, Puisieux
parvient à convaincre Louis XIII de substituer à l’aide
militaire promise à Ferdinand II une offre de médiation.
L’Angleterre s’engage dans la même
voie, Frédéric V ayant épousé la fille de Jacques ier. Sur les
recommandations du père Joseph, une mission extraordinaire est
envoyée à Ulm pour limiter le conflit à
la Bohême. Le 3 juillet 1620, un
traité est signé. Pour le duc d’Angoulême, qui dirige la délégation française, il
ne s’agit que de la première étape d’un plan de paix plus vaste qui
doit inclure le royaume dissident. En vertu des accords conclus à
Ulm, luthériens et catholiques se
promettent mutuellement de pacifier tous les territoires composant
le Saint Empire. Ferdinand II
neutralise ainsi une partie de l’opposition religieuse qui minait
son autorité. Il peut surtout retourner ses forces contre
Frédéric V et les calvinistes, et profiter pleinement de la
division des protestants. L’intervention française autorise
l’empereur à dégarnir ses frontières occidentales et à concentrer
ses forces en Bohême. Toute discussion
est désormais inutile : la diplomatie française n’a plus voix
au chapitre. La France subit là un
échec cuisant, au grand dam de Louis XIII.
Entre le mois d’août et le mois de novembre 1620,
les troupes de Spinola conquièrent sans difficulté la
quasi-totalité du Palatinat rhénan.
Simultanément, une grande armée catholique se rassemble en
Autriche. Placée sous les ordres du duc
de Bavière, assisté du général
brabançon Tilly, elle regroupe des Espagnols, des Allemands de la
ligue formée par les principautés catholiques de l’Empire, des
Wallons et des Flamands. Les troupes catholiques foncent sur
Prague. Le 8 novembre, les soldats de
Frédéric V et de ses alliés sont écrasés à la bataille de la
Montagne Blanche. L’électeur palatin prend la fuite : il perd
non seulement la Bohême mais aussi ses
possessions héréditaires, et est mis au ban de l’Empire. Ses
territoires sont saisis, sa couronne est confisquée. Les
responsables de la défenestration de Prague sont jugés et
lourdement condamnés. Les révoltés protestants perdent toutes
libertés. Les jésuites peuvent mettre en oeuvre la reconquête
religieuse de la Bohême. Le Palatin perd enfin sa dignité
électorale, sans même pouvoir se défendre. Le 25 février 1623,
toutes ses prérogatives sont offertes au duc de Bavière, en
remerciement de son aide militaire. La Hongrie est également reconquise par Ferdinand
II : Bethlem Gabor capitule en 1622.
Face à l’empereur et à ses alliés, les princes
protestants d’Allemagne sont plus
divisés que jamais. Le sort réservé à la Bohême et à l’électeur palatin ne peut que les
inciter à la prudence. De surcroît, Ferdinand II accorde des
avantages territoriaux considérables à l’électeur de Saxe. Au mois de mai 1621, le pacte de l’Union
évangélique n’est pas renouvelé. Contrairement à Henri IV, et dans
le contexte du siège de Montauban,
Louis XIII lui refuse d’ailleurs tout soutien.
Par ailleurs et dès 1621, la guerre entre l’Espagne
et les Provinces-Unies reprend. Pour
Madrid, la Hollande représente un danger réel de concurrence
coloniale et commerciale. Mais Philippe
III est bien décidé à profiter d’une situation qui lui est
nettement favorable, puisque l’occupation du Bas-Palatinat facilite le déplacement des tercios, terreur des protestants. Au mois de
juillet, le gouverneur des Pays-Bas
espagnols décède. Sa veuve, l’infante Isabelle-Claire-Eugénie,
demeure gouvernante de la province, sous le contrôle de plus en
plus étroit du roi catholique. Lorsque Philippe IV hérite de la
situation, il place à la tête de son gouvernement le comte-duc
Olivarès, un autre favori à l’importance capitale en ces premières
décennies du xviie siècle. Tous deux disposent des moyens
nécessaires à la mise en oeuvre d’une politique internationale
énergique, fondée sur la défense de la foi catholique et le
rapprochement avec les Habsbourg de Vienne. La France
semble s’en tenir à la neutralité et le roi d’Angleterre ne souhaite que la paix.
La Valteline
Malgré les victoires qui s’ajoutent les unes aux
autres en Flandres et en Bohême, les communications entre les deux branches
de la dynastie fondée par Charles Quint restent tributaires du
passage par la Valteline. L’importance
de la vallée de l’Adda pour les Habsbourg est apparue en 1601 lors
de l’annexion de la Bresse et du
Bugey par Henri IV. Depuis cette date,
les troupes espagnoles ne peuvent plus aller d’Italie aux Pays-Bas en
traversant la Savoie, puis la
Franche-Comté et la Lorraine. Elles doivent passer par la Valteline. La
vallée est la seule route sûre entre le Milanais et le Tyrol.
Au sortir des Alpes, les tercios
peuvent descendre le Rhin par la rive droite, passer par
Brisach, par la Haute-Alsace, puis par la Lorraine jusqu’aux Pays-Bas.
Après la victoire de la Montagne Blanche, deux autres alternatives
s’offrent aussi au roi Philippe IV et à Olivarès : faire
passer leurs troupes plus au sud par Philippsbourg ; les faire passer plus au nord
par Coblence et Ehrenbreitstein, puis par le Bas-Palatinat.
Au mois de juillet 1620, les catholiques de la
Valteline se plaignent d’être malmenés
par leurs seigneurs protestants. Philippe III saisit le prétexte
pour intervenir et tenter de renforcer ses positions dans la
région, tout en profitant de l’affaiblissement de Louis XIII. Ordre
est donné au duc de Feria, gouverneur de Milan, d’occuper le passage afin d’aider et de
protéger la population contre les Grisons. Quatre forts sont
construits dans la vallée par les occupants. Aucun cas n’est fait
de la légitime autorité des Ligues grises. La loi du plus fort
l’emporte sur le droit féodal. Ce n’est qu’à la dernière extrémité
que, pris de scrupules, le roi catholique fait jurer à son fils de
rendre la Valteline aux Grisons.
La France, grâce aux
accords conclus avec ces derniers, a su se ménager une voie de
passage exclusive par les Alpes vers les principautés italiennes
qui lui sont traditionnellement alliées, que ce soient Venise, Mantoue ou
Ferrare, en évitant le danger du
Piémont et du Milanais. Comme l’Espagne, elle continue à recruter dans cette zone
des mercenaires dont elle apprécie la combativité. À ces enjeux
politiques s’ajoutent des enjeux religieux qui rendent plus âpres
les combats pour le contrôle des points d’accès. Tributaire des
accords passés par Henri IV, Louis XIII se résout à demander
conseil à sa mère sur la conduite à adopter en Valteline. Face à la gravité des événements et à
l’ampleur des enjeux, Marie de Médicis est de retour au
gouvernement. Elle obtient voix consultative au Conseil. Richelieu
tient déjà prêt l’avis qu’elle dispense à son fils : la
France a deux impératifs dans cette
affaire, d’une part faire respecter les traités signés dans les
toutes premières années du xviie siècle,
d’autre part éviter l’encerclement par les Habsbourg.
Le cardinal a tiré les enseignements de la phase
palatine de la guerre de Trente Ans.
Les territoires de Frédéric V confisqués et offerts au duc de
Bavière sont peu éloignés des
frontières françaises. Ferdinand II est suzerain d’une partie
des principautés indépendantes qui longent la route des
Flandres, tandis que Philippe IV
d’Espagne est souverain de l’autre
partie. Les Habsbourg ne cessent d’étendre leur domination en
Europe. Richelieu se forge une vive
conscience de cet état de fait. Louis XIII, en comparaison,
paraît dépassé par des querelles intestines qui monopolisent
énergie et crédits. Mais il a la sagesse de tenir compte de l’avis
exprimé par Marie de Médicis et par son conseiller. Il convainc
Philippe IV de négocier. Le 25 avril 1621, est signé le
traité de Madrid : les Grisons
sont rétablis dans la suzeraineté de la Valteline ; les Espagnols s’engagent à évacuer
les positions dont ils se sont emparés et obtiennent en échange des
garanties concernant l’exercice du culte catholique.
Sur le terrain, l’application des accords est une
tout autre affaire. Le duc de Feria poursuit sans vergogne
l’occupation de la Valteline. Dès la
fin de l’été, les Grisons reprennent les armes. Battus par les
Espagnols, ils sont contraints de se défendre sur leurs propres
terres. La supériorité militaire écrasante du gouverneur de
Milan abrège les combats. En janvier
1622, les Ligues grises doivent accepter de nouvelles conditions de
paix, beaucoup moins favorables que les précédentes : le
traité de Milan annule purement et simplement les dispositions du
traité de Madrid. Les Grisons renoncent
à la suzeraineté sur la Valteline, dont
le protestantisme est banni. Ils s’obligent à une alliance avec le
roi catholique.
Pour la seconde fois, la diplomatie française subit
une véritable humiliation. Grégoire XV lui-même, souverain
pontife récemment désigné, craint que le prestige de
Louis XIII ne soit à jamais terni et que les Habsbourg ne
parviennent à imposer à l’Europe
entière leur hégémonie. Le roi très chrétien, dans l’immédiat, est
dans l’incapacité de redresser la position de la France au plan international.
Le cardinalat, le traité de Paris, encore la
Valteline,
la Hollande et le Saint Empire !
la Hollande et le Saint Empire !
Après l’échec des armées royales devant Montauban, les protestants s’agitent de plus belle.
Encouragé par Condé, Louis XIII ne pense qu’à se venger. Contre
toute attente, Marie de Médicis, toujours à la suggestion de
Richelieu, préconise d’ajourner la lutte contre les huguenots. Il
lui paraît plus urgent de contraindre les Espagnols à respecter les
engagements pris lors du traité de Madrid : la France, en proie aux guerres civiles, pourrait
perdre tout prestige et toute autorité aux yeux de
Philippe IV. Mais aucun argument n’efface l’humiliation
infligée à Montauban une nouvelle expédition dans le Midi est
décidée.
Le roi repart en campagne en mars 1622. Sa mère
l’accompagne. Elle tient à être présente aux côtés de son fils dans
l’espoir de l’influencer, mais reste finalement à Nantes. Courant juin, Louis XIII s’empare de
Nègrepelisse, de Tonneins, puis se rend en Languedoc. Les protestants ont rassemblé leurs
forces à Montpellier, le duc de Rohan à
leur tête. Des négociations s’engagent et aboutissent, le 18
octobre, à la signature d’un accord : l’édit de Nantes est
renouvelé, l’interdiction des assemblées politiques est réitérée,
les protestants ne conservent que deux places fortes, La Rochelle et Montauban. En contrepartie, les chefs du parti
huguenot sont grassement indemnisés. Les assemblées protestantes à
caractère politique sont interdites, mais les synodes et les
réunions ecclésiastiques sont permis, sans autorisation préalable.
Les actes de guerre commis en 1621-1622 font l’objet d’une
amnistie. Les constitutions et franchises des cités révoltées sont
maintenues. Le duc de Rohan est nommé gouverneur des trois villes
de Castres, Nîmes et Uzès. Une
compensation financière importante lui est accordée pour les
gouvernements de Poitou et de
Saint-Jean-d’Angély qui lui sont
retirés. Dans l’entourage de la famille royale, les catholiques les
plus zélés, qui forment autour de Bérulle le parti dévot, parlent
d’une paix honteuse.
Richelieu, même si son avis n’a pas été suivi, ne
peut que se féliciter, car il voit enfin ses ambitions, ses efforts
et sa contribution aux affaires d’État récompensés. Le roi est
intervenu auprès du pape : le 5 septembre, la promotion de
l’évêque de Luçon au cardinalat est
officielle. Sans perdre une minute, le prélat rejoint
Louis XIII à Tarascon. Il est
urgent de redorer le blason de la royauté. La cour n’a pas le
loisir de s’attarder. Elle se rend à Avignon où arrivent à leur tour le duc de
Savoie, inquiet des progrès réalisés
par les Espagnols, l’ambassadeur de Venise et le maréchal de Lesdiguières, promu
connétable à l’occasion de sa conversion au catholicisme. La
Valteline est à l’ordre du jour.
Louis XIII préfère ne rien décider dans l’immédiat.
Il se rend à Lyon où Marie de Médicis
se déclare favorable à une expédition. C’est là que le roi remet le
chapeau de cardinal à Richelieu, qui a aussi été élu proviseur de
la Sorbonne[3]. À cette date, l’homme fort du gouvernement
reste Sillery, qui s’entête à tenir le prélat le plus loin possible
du gouvernement. Louis XIII se méfie d’ailleurs toujours. Et pour
ne rien arranger, Richelieu est malade. Il souffre de terribles
migraines et de douloureuses rétentions d’urine. Les malveillances,
les incessants conflits d’intérêts, les ambitions contrariées et
contradictoires rendent la lutte pour le pouvoir et pour le bien de
la royauté épuisante. Lui qui vient d’être promu cardinal ne peut
agir qu’en sous-main. Il compte sur les erreurs commises, qu’il
faut réparer, sur l’opinion publique, dont il sait qu’elle est
malléable, et sur ses amis.
Au mois de janvier 1623, Louis XIII effectue un
retour triomphal à Paris. Quelques
semaines plus tard, il adhère enfin à la ligue offensive et
défensive d’Avignon ayant pour objectif
la restitution de la Valteline aux
Grisons. La France, la Savoie et la république de Venise unissent leurs forces, mais l’alliance est
aussi ouverte au pape, à la Confédération suisse, à l’Angleterre et aux princes d’Allemagne et d’Italie.
Les coalisés prévoient le rassemblement d’une armée de
quarante-cinq mille hommes. Le traité formel est signé à Paris en
présence du connétable de Lesdiguières, de Sillery et de Puisieux.
Les ministres du roi sont pourtant dans leur majorité hostiles à la
prise d’armes. Le frère de Sillery, ambassadeur à Rome, suggère habilement au pape d’offrir sa
médiation. Le souverain pontife accepte. Il est prévu que les forts
espagnols et autrichiens construits sur les territoires des Grisons
soient confiés à la garde des troupes pontificales.
Les partenaires de la France se sentent aussitôt trahis. Louis XIII
se déconsidère aux yeux des princes protestants comme aux yeux des
chefs d’État catholiques. Au quotidien, le roi semble d’ailleurs se
désintéresser des affaires d’État et ne trouver goût qu’à la
fauconnerie. La réalité est que le couple royal est en crise depuis
1622. Anne d’Autriche a fait deux fausses couches, la seconde due à
une chute stupide. Le souverain reproche à son épouse sa frivolité
et sa légèreté. Tenant l’entourage de la reine responsable de ce
qui est arrivé, Louis XIII congédie tout le monde. Malgré sa
colère, Anne d’Autriche doit s’incliner. La mésentente s’installe
dans la durée, d’autant plus inquiétante que la succession au
trône, faute d’héritier mâle issu du mariage espagnol, est loin
d’être assurée, et que le prétendant à la couronne demeure le frère
cadet du roi, Gaston, duc d’Anjou.
Profitant de la fragilité psychologique et familiale de leur
souverain, Sillery et Puisieux prennent chaque jour davantage
d’initiatives. Ils réussissent à évincer le comte de Schomberg de
la surintendance des finances et à lui substituer le marquis de La
Vieuville. L’accaparement du pouvoir par le clan Sillery-Puisieux
déclenche bientôt une grave crise gouvernementale.
À la fin de l’année 1623, La Vieuville entreprend la
chasse aux dépenses inutiles et découvre d’importants détournements
de fonds. Les registres d’État attestent du versement de pensions
qui n’arrivent jamais à leurs bénéficiaires initiaux ; le
Trésor paie des soldes et des équipements militaires fictifs. Or il
apparaît que les bénéficiaires du système ne sont autres que
Sillery et Puisieux. La Vieuville ne doit sa promotion qu’à ces
derniers. Il leur est redevable. Mais le mal est fait, il a parlé
au cours de l’enquête, avant d’en connaître le résultat. Il ne peut
plus reculer. Le 1er janvier 1624,
il dévoile tout au roi. Sillery et Puisieux sont chassés. La
Vieuville devient principal ministre. Un nouveau gouvernement est
formé : les sceaux sont attribués à Étienne d’Aligre ;
les Affaires étrangères, briguées par Richelieu, sont partagées
entre quatre secrétaires d’État, et la reine mère, furieuse de voir
son protégé écarté, quitte le gouvernement.
Or la question de la Valteline prend un tour très inquiétant. Les
Espagnols tardent à évacuer les places fortes qu’ils étaient censés
remettre au pape. La France adresse ses
protestations à Grégoire XV, qui rétorque subordonner son
arbitrage à la conversion des Grisons au catholicisme, et pérennise
ainsi les annexions opérées par l’Espagne et par l’Autriche.
Sur le front des Provinces-Unies, l’impression n’est guère
meilleure. Les Hollandais se déchirent en luttes confessionnelles.
Les partisans d’une prédestination absolue, les gomaristes,
s’opposent aux arminiens, plus modérés, qui soutiennent que Dieu
n’a pas voulu la chute d’Adam. En 1618, le synode de Dordrecht a permis aux gomaristes d’imposer leur
point de vue dogmatique. Mais les différends religieux se doublent
de problèmes politiques. Deux hommes se disputent le pouvoir.
Oldenbarnevelt, grand pensionnaire de Hollande, l’un des fondateurs
de la république des Provinces-Unies,
est arminien. Il est le guide de l’État né de la scission avec les
Pays-Bas espagnols. Face à lui, Maurice
de Nassau, représentant de la maison d’Orange, son adversaire, est
gomariste. Ce dernier occupe les fonctions d’amiral et de
stathouder de la République. Il en est
le chef militaire. Profitant des moyens coercitifs à sa
disposition, Maurice de Nassau est parvenu à faire arrêter
Oldenbarnevelt lors du synode de Dordrecht et à le faire condamner
à mort.
En 1623, alors que Spinola vient d’entreprendre le
siège de Breda, une ambassade extraordinaire dépêchée par Maurice
de Nassau arrive à Paris pour
solliciter des subsides de la France.
Elle formule également son désir d’enrôler des gentilshommes
français sous la bannière hollandaise pour combattre l’Espagne. Au même moment, un mercenaire allemand, le
comte Ernest de Mansfeld, au service des princes protestants depuis
1610, offre ses services à Louis XIII, avec une armée privée
de vingt mille hommes prêts à secourir les assiégés de Breda.
Dans le Saint Empire,
l’année 1623 est celle d’une importante évolution. Jusqu’à cette
date, les princes allemands se montrent en réalité assez peu
préoccupés des initiatives et des victoires de Ferdinand II.
La plupart préfèrent se consacrer à la conquête des évêchés. Le
concordat germanique en vigueur dans le Saint Empire depuis 1448
prévoit la collation aux bénéfices épiscopaux par le système de
l’élection. Le chapitre de chaque église cathédrale peut désigner
un évêque, qui n’a pas forcément à recevoir l’investiture
spirituelle. Il n’est alors que l’administrateur du diocèse, mais
peut disposer des revenus de son temporel. Le système permet aux
grandes familles aristocratiques allemandes, qu’elles soient
catholiques ou protestantes, de placer leurs cadets et de
s’enrichir considérablement.
Ferdinand II mesure mal les intérêts en jeu. Après
la soumission de la Bohême, les princes
protestants demeurent relativement passifs. Mais les jésuites
exhortent l’empereur à mener plus avant la reconquête catholique.
Il interdit donc l’implantation de calvinistes ou de luthériens
dans certains évêchés. Tandis que Bethlem Gabor reprend les armes
au cours de l’hiver 1623-1624, et que les émigrés tchèques relèvent
la tête, les princes protestants, menacés dans leurs intérêts
financiers, s’organisent contre leur suzerain. L’empereur abuse
désormais clairement de son pouvoir. Les puissances du nord et de
l’ouest de l’Allemagne se sentant
menacées par la maison d’Autriche, naît
une volonté commune de rabaisser l’Empire et de refouler
l’Espagne en deçà des Pyrénées.
Pour le gouvernement au service de Louis XIII, les
affaires internationales prennent une proportion à laquelle il
devient tous les jours de plus en plus difficile de faire
face : la Valteline, la guerre en
Hollande, la guerre en Allemagne, auxquelles s’ajoute encore
l’Angleterre.
Contre toute logique religieuse, malgré les projets
matrimoniaux envisagés avec Henri IV, mais conformément à sa
volonté de paix, Jacques ier déclare son
intention d’unir le prince de Galles, futur
Charles ier, à une infante espagnole. Le prétendant à la
couronne d’Angleterre et d’Écosse se
rend même incognito à Madrid avec son
favori, le duc de Buckingham, pour accélérer les négociations. Le
projet d’union anglo-espagnole n’aboutit cependant pas, le procédé
employé par l’héritier de la couronne britannique et par son
compagnon étant fort peu apprécié. Même si Philippe IV aimerait
contrebalancer l’autorité acquise par Maximilien de Bavière et se rapprocher du Palatin, gendre de
Jacques ier, une alliance avec l’Angleterre est
fondamentalement contradictoire avec les principes de gouvernement
du souverain catholique le plus intransigeant qui soit.
La Vieuville est débordé par la situation. Les
affaires extérieures et diplomatiques ont pris un volume trop
important et une gravité à laquelle il est incapable de faire face.
Il multiplie les missions inutiles. Alors que le siège de
Breda bat son plein, il presse les
princes allemands d’adhérer à la ligue d’Avignon pour rétablir les Grisons dans leur bon
droit. Conscient de sa maladresse, de son isolement et de son
manque de tact en matière diplomatique, il se tourne vers Marie de
Médicis pour la prier de revenir au Conseil. La reine mère met un
prix à son retour : l’entrée de Richelieu au
gouvernement.
Dans un premier temps, La Vieuville tergiverse. Il
propose de créer un conseil des Dépêches, dont la direction, sans
réels pouvoirs, serait attribuée au prélat. Richelieu déjoue le
stratagème et, prétextant la faiblesse de son état de santé, il
décline l’offre qui lui est faite. Ce n’est que de guerre lasse que
La Vieuville, conscient de ses lacunes, finit par accepter
l’association du prélat aux affaires, avec voix consultative
uniquement.
Malgré les rancunes, le cardinal se sait en position
plus favorable. Le roi doute de La Vieuville et consulte de plus en
plus souvent sa mère. À la fin du mois d’avril 1624, Louis XIII et
le cardinal ont une entrevue secrète à Compiègne, au cours de laquelle le monarque demande
au conseiller de sa mère de devenir le sien. En contrepartie, le
prélat réclame toutes les attributions liées à son rang et à sa
dignité ecclésiastique. Le roi accepte à deux conditions :
qu’il ne s’occupe ni de la justice ni des finances. Richelieu peut
s’incliner : il a partie gagnée. Le 29, à la surprise
générale, il fait son entrée au Conseil, derrière le roi.
Le souverain connaît l’habileté du prélat, il a
besoin de lui. Le cardinal s’est montré capable d’affronter vents
et marées politiques pour atteindre son but. Avant lui, son père a
utilisé sa charge de grand prévôt de France pour interférer dans les affaires
financières du royaume. Richelieu s’est constitué un vaste réseau
de fidélités dans l’Église comme dans le parti dévot. Il est trop
pragmatique pour ne pas utiliser ses collègues évêques ou
cardinaux, ses clients et ses amis. Louis XIII le sait. Il veut
certes éviter que ne se reproduisent un cas d’enrichissement
personnel frauduleux et tout risque de mainmise sur l’appareil
judiciaire du royaume. C’est pourquoi Richelieu n’est autorisé qu’à
donner un simple avis et se trouve exclu des affaires financières
et juridiques de l’État. Mais ses attributions restent floues, à
dessein. Il lui est plus interdit qu’autorisé, interdit notamment
de recevoir à titre officiel des ambassadeurs chez lui et
d’accorder des audiences publiques. Qu’importe, la voie du pouvoir
lui est enfin ouverte !
Louis XIII est par ailleurs soucieux de gouverner en
tenant compte des opinions de tous. Il tient à prévenir la
dictature toujours possible d’une coterie sur une autre. Pour
contrebalancer l’influence de Marie de Médicis, il demande au
prince de Condé, retiré dans son gouvernement de Berry, de revenir à la cour. Monsieur le Prince
refuse. Cette attitude peu conciliatrice est d’autant plus gênante
pour le souverain que Condé se situe en seconde position, derrière
le duc d’Anjou, dans l’ordre de la
succession au trône.
Le cardinal de Richelieu, indispensable
ministre
Dès son retour au gouvernement, Richelieu se
rapproche du clan des Luynes et de son réseau d’influence. Le décès
de l’ancien favori n’a pas entraîné la mort politique de sa
famille. Son frère, Henri d’Albert, seigneur de Cadenet, devenu duc
de Chaulnes en 1621, est aussi lieutenant général de Picardie, province stratégique limitrophe des
Pays-Bas espagnols. Richelieu se
rapproche également d’un autre clan : celui des Montmorency,
qui tiennent le Languedoc.
Les affaires les plus délicates, celles
d’Espagne, de Suisse, de Valteline,
de Malte et du Levant, sont encore du ressort de Raymond
Phélypeaux d’Herbault. À la fin du mois de mai, Louis XIII convoque
les ambassadeurs de Savoie et de
Venise. Pour les recevoir, Louis XIII
désigne pourtant La Vieuville, Phélypeaux d’Herbault, d’Aligre, et
Richelieu. Indice d’évolution : les discussions se tiennent
chez ce dernier. Jusqu’en 1627, le cardinal n’intervient pas dans
le courrier diplomatique officiel. Pour se tenir informé, il
entretient en revanche une volumineuse correspondance privée,
notamment avec les ambassadeurs. Par honnêteté, le caractère
personnel de la démarche est répété, mais les missives obtenues de
tous côtés sont souvent communiquées au roi. Richelieu entre en
contacts épistolaires réguliers avec des chefs d’État ou des
princes étrangers, avec Mansfeld par exemple, ou encore avec le
jeune duc de Lorraine, Charles IV.
Ce dernier accède justement à la couronne ducale en 1624 grâce à
son épouse, Nicole, fille aînée et héritière du défunt duc Henri le
Bon.
Richelieu utilise enfin, et peut-être surtout, des
informateurs officieux, ecclésiastiques pour la plupart, comme
Denis-Simon de Marquemont, archevêque de Lyon, envoyé en mission à Rome, et les capucins, agents de renseignement
privilégiés, au premier rang desquels figure le père Joseph. Ce
dernier le met en relation avec ses confrères les plus éminents,
comme le père Alexandre, d’Alès, en
Bavière ; le père Hyacinthe, de
Casal, dépêché dans l’Empire ; le
père Ange de Raconis, en Angleterre.
Des négociants et de simples voyageurs renseignent aussi le
cardinal-ministre et complètent un vaste réseau de
« créatures », couvrant au fil des années non seulement
la France mais bientôt l’Europe entière.
Est-ce le fruit du hasard ? À partir de juin
1624, La Vieuville doit se défendre contre une virulente campagne
pamphlétaire qui l’accuse de prévarication. Tous les rivaux
potentiels de Richelieu sont curieusement touchés les uns après les
autres par des attaques de même nature. La
Chasse aux larrons brocarde le duc de Mayenne, le duc du
Lude, le maréchal de Vitry, le maréchal de Thémines et même le
cardinal de La Rochefoucauld. La cabale atteint son point d’orgue
lors de la parution d’une lettre ouverte à Louis XIII,
La Voix publique au roi. On ne sait
trop si l’auteur du libelle est Richelieu lui-même ou le chanoine
Fancan, la plume la plus talentueuse que le cardinal ait mise à son
service[4]. La malhonnêteté et la maladresse de La
Vieuville sont dénoncées, ainsi que l’ingérence permanente dans les
affaires d’État d’Étrangers aux intentions parfois douteuses, comme
le nonce apostolique.
Le rappel du souvenir laissé par les Italiens
survient à point nommé. Il faut dire que la politique étrangère de
la France est en sérieuse difficulté.
Le nouveau gouvernement est confronté à l’absolue nécessité de
rétablir l’influence du roi de France auprès de ses alliés
traditionnels. L’Angleterre opère à
point nommé un revirement complet de stratégie en faveur
du roi très chrétien : Jacques ier évoque à nouveau
un projet d’union entre le prince de Galles et Henriette de
France.
Richelieu est convaincu de l’importance des passages
des Alpes pour la France et ulcéré du
non-respect par les Espagnols de leurs engagements. Il souhaiterait
restaurer l’autorité de Louis XIII aux frontières orientales du
royaume et contraindre Madrid à
respecter la parole donnée. Si Philippe IV et Ferdinand II
parvenaient à s’emparer de la Valteline, la continuité des
territoires sous domination Habsbourg serait garantie. Et les
héritiers de Charles Quint contrôleraient de manière exclusive le
lieu de recrutement des meilleurs mercenaires d’Europe. La Vieuville paraît trop avoir failli à sa
tâche : au printemps 1624, Louis XIII offre la direction
du Conseil au cardinal, avec la liberté de constituer le
gouvernement de son choix. Sont proposés les noms du comte de
Schomberg, pour la surintendance des finances ; de Michel de
Marillac, pour les sceaux ; de Jean Bochart de Champigny, déjà
contrôleur des finances. Un véritable contrat moral lie le roi et
son serviteur : tous deux s’engagent à préserver la stabilité
du ministère ainsi constitué. Tous deux sont animés par la même
préoccupation : assurer la pérennité d’une action
gouvernementale efficace. Le 13 août, La Vieuville est convoqué à
Saint-Germain-en-Laye. À peine arrivé,
il est arrêté par le comte de Tresmes, capitaine des gardes du
corps du roi et incarcéré à Amboise.
Les premiers pas à la tête du gouvernement
À son arrivée aux plus hautes responsabilités
gouvernementales, Richelieu met en oeuvre un programme politique
complet, conforme aux idées et à la méthode dont il s’est depuis
longtemps doté.
À l’extérieur, la priorité est réservée à la
Valteline et à la reconstitution d’un
réseau d’alliances sur lequel puisse compter la France. Les pourparlers avec l’Angleterre sont activés. Pour Louis XIII et son
ministre, les avantages d’une telle union seraient
indéniables : France et Angleterre pourraient s’allier contre
l’Espagne, et les huguenots de La Rochelle perdraient leur
principal soutien maritime extérieur.
Deux difficultés principales surgissent lors des
négociations préalables au mariage : celle de la liberté de
conscience pour les catholiques anglais que réclame
Richelieu ; celle de la dispense qui doit être obtenue du
pape, ce dernier subordonnant son accord à des garanties pour les
catholiques équivalant à celles qui avaient été obtenues par
l’Espagne. Richelieu dépêche à Rome le père de Bérulle, secondé par
l’ambassadeur du roi, Philippe de Béthune, pour assurer
Urbain VIII que la France est en mesure d’offrir autant que
l’Espagne pour la défense de la religion catholique en Angleterre.
Le chef du parti dévot est également chargé d’affaires plus
générales : Richelieu conserve le souci de la réforme de
l’Église de France. Il fait dire au souverain pontife que son
indulgence pour certaines questions nuit à son prestige : sa
tolérance à l’égard du cumul des bénéfices détenus par le prince de
Condé, l’octroi d’indults à de simples évêques ou abbés, traités
comme des cardinaux, pour le plus grand scandale des parlements et
des cours souveraines du royaume ! Enfin, Bérulle est chargé
des intérêts personnels de Richelieu, en tant qu’homme d’Église
exerçant les fonctions d’homme d’État[5]. Il doit obtenir la permission, pour le
cardinal-ministre, « d’opiner aux affaires de guerre et de
justice, où étant question d’effusion de sang, il pourrait
s’ensuivre quelque irrégularité »[6]. Richelieu est prudent et soucieux de son
salut comme du respect de la hiérarchie ecclésiastique.
Urbain VIII, au mois de décembre 1624, lui concède les
autorisations nécessaires à l’exercice du gouvernement. Richelieu,
en conscience, a besoin de toute latitude. À l’intérieur du
royaume, de nombreuses réformes restent à entreprendre. Il faut
d’abord régler la question des Grands. Il s’agit, sans trop réduire
leurs prétentions, de ne plus les laisser agir à leur guise, au gré
de leurs caprices, et d’affranchir le gouvernement de leur
influence ou de leurs pressions[7].
La tâche la plus urgente définie par Richelieu est
donc celle de la Valteline. La fermeté
est désormais le maître mot de l’action gouvernementale et
diplomatique. Annibal d’Estrées, marquis de Coeuvres, est dépêché
en Suisse pour obtenir l’approbation de
la Confédération helvétique concernant les termes du traité de
Madrid signé en 1621. Il est également
chargé de recruter quatre mille Suisses aux frais du roi et de
financer le soulèvement des Grisons contre les armées étrangères
qui occupent leurs territoires. En France même, une petite armée se tient prête à
intervenir.
Le 25 novembre 1624, la France et les Ligues grises
renouvellent leur traité d’alliance. Le lendemain, celles-ci
entrent en rébellion contre les Autrichiens. Le marquis de Coeuvres
peut procéder à l’occupation des forts remis à la garde des troupes
pontificales sans qu’aucune résistance vienne contrarier la
manoeuvre. Le Saint-Siège ne tente d’obtenir le retrait des
Français que par la négociation. Le 13 janvier 1625, le nonce
apostolique, représentant du pape en France, Bernardino Spada,
proteste officiellement contre l’intervention française en
Valteline et réclame réparation[8]. Richelieu oppose une fin de
non-recevoir ; les garnisons du souverain pontife sont
expulsées.
Les contingents franco-suisses arrivent rapidement
au sud de la vallée, en face des retranchements espagnols. Les
forces du duc de Feria sont insuffisantes. Au mois de février 1625,
les Grisons sont libérés et les Espagnols sont chassés de la
Valteline. L’intervention française est un franc succès :
Philippe IV s’incline sans un mot. Les liens traditionnels
avec Venise sont consolidés. Le duc de
Savoie, avec l’appui du connétable de
Lesdiguières, et en échange de subsides français, en profite pour
attaquer le port de Gênes, dont
dépendent les communications maritimes du roi catholique avec
l’Italie du Nord.
À la même époque, l’alliance sollicitée par les
Hollandais est conclue. Les Provinces-Unies reçoivent des subsides qui se
montent à plus d’un million de livres, ainsi que la promesse de
versements ultérieurs. En contrepartie, les Bataves s’engagent à ne
pas conclure de paix avec l’Espagne
sans l’accord du roi de France. Enfin,
l’entente avec l’Angleterre est
rétablie, et les fiançailles du prince de Galles et d’Henriette de
France sont prévues au mois de mai.
Le pape est évidemment furieux. Urbain VIII a
succédé à Grégoire XV au cours de l’été 1623. L’ingérence
française aux portes de l’Italie et la
défense des intérêts protestants sont peu au goût du souverain
pontife. À la suite de l’échec de Bernardino Spada,
Urbain VIII dépêche à la cour du roi de France son propre
neveu et premier ministre, Francesco Barberini. Au mois de mai
1625, le légat réclame encore la restitution des forts de la
Valteline aux soldats pontificaux, ainsi qu’un règlement
garantissant aux Valtelins pleine liberté de culte.
Richelieu se déclare disposé à défendre les intérêts
catholiques, mais il réitère aussi sa volonté de maintenir à la
fois le droit de passage de la France et la souveraineté des
Grisons. Richelieu veille à expliquer au Saint-Siège le bien-fondé
de sa politique, en distinguant soigneusement les intérêts de
l’État et les intérêts de la religion. En gage de bonne volonté, il
consent à désavouer la rudesse du procédé utilisé par le marquis de
Coeuvres, pourtant promu maréchal de France en octobre 1626.
Surtout, il charge le père Joseph de défendre la
cause de Louis XIII à Rome. Le
capucin demeure quatre mois auprès d’Urbain VIII, qui le reçoit
régulièrement à propos de la croisade. Quand le père Joseph quitte
la Ville éternelle, il porte le titre de commissaire apostolique
aux missions. Il s’agit autant d’accentuer l’effort de reconquête
catholique, que de défendre la politique de Richelieu.
L’affaire de la Valteline trouve une curieuse conclusion
provisoire. Au mois de mars 1626, la France opère une volte-face aussi soudaine que
l’intervention de 1624. Le 5, la France et l’Espagne signent le
traité de Monçon. Philippe IV
accepte la neutralisation de la Valteline. Il s’engage à ne plus y
faire passer de troupes et à démolir les forts qu’il y a
construits, la France conservant son droit de passage. Le
catholicisme est la seule religion autorisée, mais les Grisons sont
reconnus comme suzerains incontestables.
Le traité de Monçon est
préparé par l’ambassadeur de France à
Madrid, Charles d’Angennes, sieur du
Fargis, proche de Bérulle et de Marie de Médicis, sans que
Richelieu soit systématiquement consulté. La reine mère commence à
davantage tenir compte de l’avis du père de l’Oratoire que de celui
du cardinal-ministre. Il accepte le traité de Monçon comme une
concession faite au parti adverse et ménage les catholiques les
plus intransigeants au moment où s’affirme une nouvelle
menace : le comportement du duc Charles IV de Lorraine.
À la fin de l’année 1625, une alliance rassemble une
partie des princes protestants allemands, l’Angleterre, les Provinces-Unies, et le roi du Danemark, Christian IV, lui aussi protestant, à qui
Louis XIII et Richelieu ont dépêché Louis Deshayes de Cormenin en
ambassade officielle. En tant que duc de Holstein, Christian IV est prince d’Empire. Un de
ses fils, Frédéric, est administrateur des évêchés de Verden et Halberstadt,
et convoite ceux de Brême et
d’Osnabrück. Christian IV est par
ailleurs gardien des détroits du Sund et aimerait étendre sa
domination. Il se trouve que les intérêts commerciaux du souverain
danois coïncident avec ceux des princes réformés allemands.
De la deuxième phase de la guerre de Trente Ans qui s’ouvre alors ne peut se dégager
qu’une alternative. Soit les Habsbourg imposent leur autorité à
l’ensemble du Saint Empire et à sa
périphérie, et y substituent la souveraineté à la
suzeraineté ; soit les petites et moyennes puissances
parviennent à sauvegarder leur indépendance. Entre France et
Empire, un ensemble de principautés de faibles étendues, imbriquées
les unes dans les autres, occupe une place essentielle. Il s’agit
des duchés de Lorraine et de
Bar, et des évêchés de Metz, Toul et
Verdun[9]. Le sort qui leur est réservé est très
révélateur de la politique mise en oeuvre par Richelieu.
Dans la première moitié du xviie siècle, la
Lorraine constitue un ensemble
totalement disparate. Pour bien comprendre les enjeux lorrains,
deux notions doivent être distinguées, telles qu’elles sont
définies à l’époque par l’humaniste Jean Bodin, par les
jurisconsultes Charles Loyseau et Cardin Le Bret : la notion
de souveraineté et celle de suzeraineté[10]. La souveraineté est l’autorité suprême
exercée par un prince, personne physique ou personne morale, pour
commander et contraindre un État. Les attributs de la souveraineté
sont multiples : dire le droit et faire la loi, gracier ou
condamner à mort, lever l’impôt, faire la guerre, battre monnaie,
anoblir. La souveraineté est indivisible et inaliénable. Elle est à
rapprocher de la foi monarchique : Dieu reste tout-puissant au
sein de l’État, et le conseil du souverain est par essence
bienfaisant.
La suzeraineté est la qualité de celui qui possède
un fief dont dépendent d’autres fiefs ou fiefs vassaux. La notion
de suzeraineté appartient au droit féodal. Vivace dans le
Saint Empire, la féodalité l’est
également dans le royaume de France et
à ses marges. Dès le Moyen Âge, les cités de Metz, Toul et
Verdun ont obtenu de l’Empire, dont
elles dépendaient féodalement, le statut de villes libres. Au
xvie siècle, elles sont passées sous protection
française. Toutes trois sont enclavées dans les duchés de
Lorraine et de Bar, comme les diocèses auxquels elles ont donné
leur nom.
Les duchés de Lorraine
et de Bar, quant à eux, ont été réunis
en une seule et unique couronne à la fin du xve siècle, à la
suite du mariage de René ier d’Anjou, héritier
du Barrois, avec Isabelle de Lorraine.
Le duché de Lorraine est un fief d’Empire. En 1542, la diète de
Nuremberg lui accorde une souveraineté
autonome et indépendante. Le duché de Bar reste au contraire en
partie assujetti à une suzeraineté française revendiquée. Ainsi se
distinguent Barrois mouvant (du roi de France) et Barrois non mouvant, dont le statut
féodal est identique à celui du duché de Lorraine[11]. La féodalité autant que la géographie
situent la Lorraine de l’époque moderne entre France et Empire.
Dans la partie méridionale des États que reçoit Charles IV en 1624,
les terres de surséance sont à elles seules les symboles de la
complexité lorraine[12]. Trois suzerainetés y cohabitent, celles de
la France, de la Lorraine et de la Franche-Comté, sans que les contemporains puissent
distinguer les parcelles relevant de telle ou telle autorité, d’où
d’incessants conflits.
Très tôt, la Lorraine
est écartelée entre les intérêts antagonistes de ses puissants
voisins. En 1477, le duc de Lorraine René II sauve les duchés de
l’annexion à l’État bourguignon en battant Charles le Téméraire
devant Nancy[13]. Son fils Antoine s’applique ensuite à
conserver la neutralité dans le conflit qui met aux prises Charles
Quint et François ier. Le début de l’époque moderne est déterminant.
Tous les éléments constitutifs de l’identité lorraine achèvent de
se former. En 1525, Antoine le Bon s’illustre dans la bataille
contre les « Rustauds », véritable croisade menée certes
contre une révolte populaire, mais davantage encore contre les
progrès de la Réforme protestante. Le duc de Lorraine devient le
champion de la cause catholique[14]. En 1542, c’est lui qui obtient
l’indépendance de fait des duchés de Lorraine et de Bar par rapport à l’Empire. La Lorraine, charnière
entre France, Empire et Franche-Comté, acquiert toute son importance
stratégique et militaire[15].
En 1552, le roi Henri II, ayant accordé son soutien
aux princes protestants allemands soulevés contre l’empereur,
s’avance avec une armée vers le Rhin et pénètre en Lorraine. Il peut imposer sa protection aux villes
de Metz, Toul et Verdun[16]. La France
dispose désormais de bases avancées vers l’Allemagne, et d’une présence militaire continuelle
au coeur même des duchés lorrains.
Le duc Charles III impose rapidement Nancy pour base logistique du parti catholique
français, dirigé par la famille de Guise, branche cadette de la
maison de Lorraine, joue un rôle
déterminant dans la constitution de la Sainte Ligue[17]. La victoire de 1525 contre les Rustauds
permet l’émergence d’un courant de pensée selon lequel le duc de
Lorraine, soldat de Dieu, est investi d’une mission providentielle,
celle de rétablir l’orthodoxie catholique dans toute la chrétienté.
Les ducs de Lorraine, descendants supposés de Godefroy de Bouillon,
auraient vocation à la croisade, aussi bien contre l’infidèle
musulman que contre l’infidèle réformé. C’est également par le
biais de l’hérédité que se forge le mythe de l’ascendance
carolingienne de Charles III. Établi par des généalogistes
complaisants, il permet au duc de Lorraine d’étayer ses prétentions
à la couronne de France après
l’assassinat d’Henri III et de s’opposer directement à la
candidature d’Henri de Navarre[18]. La victoire du Bourbon met cependant fin aux
ambitions de Charles III, aussi bien pour lui-même que pour
son fils.
La fondation de l’université de Pont-à-Mousson, sous l’influence du cardinal de
Lorraine et des jésuites, permet à la même époque la formation
juridique des spécialistes dont la Lorraine a besoin, mais
également les progrès de la Contre-Réforme en Lorraine[19]. Le renouveau catholique connaît dans les
duchés un essor extraordinaire, encouragé par les ducs. Pourtant,
Charles III ne peut obtenir la création d’un siège épiscopal à
Nancy, le territoire lorrain dépendant
en matière spirituelle des évêchés de Metz, de Verdun, et
surtout de celui de Toul.
Au tout début du xviie siècle,
l’ensemble constitué par les duchés de Lorraine et de Bar
atteint son apogée. L’accord trouvé par Charles III et
Henri IV, et peut-être plus encore la Trêve de Douze ans aux
Pays-Bas, permettent un essor
économique et démographique sans précédent. Lorraine et
Barrois restent des terres de seigneurs
et de paysans, d’autant moins sensibles aux bouleversements
religieux que la législation des ducs ne laisse aucune chance au
protestantisme. En revanche, l’adhésion des princes et du clergé
lorrains à la réforme tridentine confère aux duchés une importance
considérable dans la reconquête catholique. Les papes décident
d’ailleurs d’entreprendre la Contre-Réforme à partir de la
Lorraine[20].
Le règne du duc Henri II le Bon (1604-1624) met fin
à la période de prospérité. Il n’a que deux filles. En 1621, il
rédige son testament et désigne l’aînée, Nicole, pour lui
succéder. Le comte François de Vaudémont, frère cadet du duc Henri
II, et son fils Charles ne l’entendent pas de cette oreille. Ils se
réfèrent au testament du duc René II, rédigé au tout début du
xvie siècle, qui aurait instauré la loi salique
en Lorraine et la masculinité nécessaire de la couronne. Si le
testament de René II faisait jurisprudence, eux seuls pourraient
prétendre à la succession. Une médiation papale débouche finalement
sur l’adoption d’un compromis provisoire[21]. La princesse Nicole est mariée à son cousin
germain. À la mort d’Henri le Bon, en 1624, Charles, devenu Charles
IV, prend donc la tête des États lorrains au nom de son épouse.
L’autorité souveraine en Lorraine est exercée conjointement par
Nicole et par Charles[22]. Les arrêts sont prononcés en leurs deux
noms, la monnaie est frappée à leur effigie. Ils ont le droit de
condamner, de faire grâce, de déclarer la guerre et de traiter la
paix, de lever l’impôt.
Le mariage ne doit rien aux inclinations
personnelles réciproques. La mésentente des jeunes époux est
entretenue dès l’origine à la fois par François de Vaudémont, qui a
d’autres ambitions que la souveraineté par délégation, et par la
duchesse douairière, Marguerite de Gonzague, veuve d’Henri le Bon,
et nièce de Marie de Médicis. Pour protéger les intérêts de ses
filles, et les siens propres, Marguerite de Gonzague se fait la
championne de la succession en ligne féminine telle qu’elle
s’applique dans les duchés depuis la fin du Moyen Âge en l’absence
d’héritier mâle. À peine son aînée a-t-elle convolé, qu’elle
envisage de marier sa cadette, Claude, à un prince puissant. En cas
de décès prématuré de Nicole sans héritier, la couronne ducale
passerait en effet à Claude et à son mari. L’attitude de Marguerite
de Gonzague est d’autant plus gênante que le mariage de Charles et
Nicole demeure stérile.
Dans ces circonstances, l’original du testament de
René II, qui stipule que les duchés ne peuvent être dévolus
aux femmes, est retrouvé opportunément dans les archives de l’hôtel
de Guise à Paris, à la suite de
recherches commandées par François de Vaudémont et par son fils.
Les inventeurs peuvent donc confisquer la couronne ducale en leur
nom exclusif, à leur profit. De la manière la plus habile qui se
puisse concevoir, ils se défendent de la démarche de Marguerite de
Gonzague tout en imposant leurs intérêts. Le testament du duc René
II est utilisé comme précédent pour faire jurisprudence. Bien qu’il
n’y fasse aucune allusion ni référence, le texte est interprété
comme l’acte introductif en Lorraine de la loi salique en vigueur
dans le royaume de France. Il est
sciemment assimilé à la loi fondamentale française. François et
Charles de Vaudémont espèrent, par ce rapprochement, faire accepter
à leur puissant voisin la validité de l’acte et son application en
leur faveur. Déclarer le principe de masculinité nécessaire dans la
succession lorraine présente un autre intérêt : il permet aux
princes de Vaudémont d’échapper au système de fief français, où une
femme peut être seigneur. En imposant la loi salique en Lorraine,
Charles IV oblige le roi à reconnaître qu’au terme de la loi
française lui seul est à même de prêter serment pour le
Barrois mouvant et de régner. La
princesse Nicole est doublement évincée. Désormais, son nom ne
figure plus sur aucun acte officiel[23].
Ni Louis XIII ni Richelieu ne peuvent accepter
la démarche des princes de Vaudémont. Ceux-ci sont proches de
Ferdinand II et se sont engagés à ses côtés en Bohême. S’appuyant sur les travaux d’éminents
jurisconsultes, le cardinal arrête rapidement une ligne de
conduite. En s’emparant du pouvoir dans de telles conditions,
François et Charles de Vaudémont auraient opéré un détournement de
la mouvance barroise au détriment des attributs de souveraineté
auxquels prétend le roi très chrétien depuis le xvie siècle.
Louis XIII est en réalité suzerain du Barrois mouvant, non souverain. Un vassal ne peut
effectivement disposer de son fief comme il l’entend, ni l’aliéner
sans le consentement de son suzerain. En ce qui concerne l’attitude
à adopter vis-à-vis de Charles IV, Richelieu confond sciemment
suzeraineté et souveraineté[24]. En imposant le principe de succession
masculine dans le duché de Bar,
François et Charles de Vaudémont auraient non seulement contrevenu
au droit féodal, mais également à celui du roi de France, prince plus puissant, qui ne saurait être
placé devant le fait accompli.
Aussitôt après la réapparition du testament de René
II, au mois de novembre 1625, François de Vaudémont et son fils
convoquent les états généraux de Lorraine. Devant les trois ordres réunis, le père
prononce un discours en faveur de la succession masculine en
brandissant le précieux document. Puis il somme son fils de le
reconnaître pour légitime duc de Lorraine. La mise en scène a été
soigneusement préparée : Charles s’incline aussitôt. Il
reconnaît publiquement avoir été mis en possession de la
souveraineté en contravention des lois fondamentales des duchés de
Lorraine et Bar. Il déclare que
l’autorité appartient de droit à son père, comme plus proche d’un
degré du duc défunt, et qu’il la lui remet volontiers.
En dépit des dispositions prises par Henri II en
faveur de sa fille Nicole, Charles IV, puis les états généraux
de Lorraine, reconnaissent François de
Vaudémont seul et unique souverain des duchés de Lorraine et de
Bar, sous le nom de François II.
Le lendemain, 26 novembre 1625, François de Vaudémont prend soin
d’acquitter toutes ses dettes avec les deniers de l’État. Puis, au
cours d’une nouvelle assemblée, selon l’ordre de substitution porté
au testament de René II, il cède tous ses droits à son fils
Charles.
Devant la tournure des événements, Louis XIII
et Richelieu s’essaient à une délicate manoeuvre de manipulation,
dont l’instrument n’est autre que Marguerite de Gonzague. Sa
maladresse a précipité la succession des événements et accéléré
l’exécution du projet dynastique des Vaudémont. Devant le danger
représenté par l’affirmation, à la frontière orientale du royaume,
de souverains si proches des Habsbourg d’Autriche, le roi de France et son ministre
agissent. Courant 1625, Louis XIII et Richelieu transmettent à
la duchesse douairière une série de propositions et d’arguments
pour lui permettre de défendre sa position et celle des princesses
Nicole et [25]Claude. Ils choisissent l’ingérence dans les
affaires d’une principauté souveraine et forgent un raisonnement
qui souligne l’incompatibilité du coup d’État perpétré par François
II et Charles IV avec les intérêts de la couronne de
France. Rappelant que la princesse
Nicole a été reconnue héritière légitime de son père par les états
généraux de Lorraine, et prenant
officiellement fait et cause pour les filles d’Henri le Bon, au nom
de la solidarité familiale (la mère des princesses est aussi la
nièce de Marie de Médicis), Louis XIII énonce ses propres
prétentions à la couronne ducale et fourbit des arguments qui
pourraient justifier une annexion au royaume : l’argument
dynastique, par la succession au sein de la maison d’Anjou à
laquelle prétend le roi très chrétien ; l’argument juridique
concernant la souveraineté du duché de Bar, qui ne saurait être aliénée sans bafouer les
prérogatives royales et les lois fondamentales du royaume et des
duchés. Le roi de France précise qu’il s’estime redevable de
l’hommage lige pour le duché de Bar. Il prétend y exercer, et non
pas seulement sur le Barrois mouvant,
un droit de suzeraineté supérieur à celui qu’exerce l’empereur sur
le duché de Lorraine. Au xve siècle,
Sigismond est intervenu dans la succession du duché de Lorraine
pour imposer une héritière. A fortiori, le roi de France, au xviie siècle,
peut-il intervenir pour défendre le principe coutumier de la
succession en ligne féminine au duché de Bar !
La mère des princesses spoliées semble se conformer
aux recommandations qui lui sont transmises par les agents de
Richelieu. Au début de l’année 1626, Marguerite de Gonzague
engage une procédure judiciaire visant à prouver que le testament
de René II exhumé dans les archives de la maison de Guise est
un faux[26]. Outre le vice de forme, l’inaliénabilité des
États lorrains et de leurs coutumes est invoquée. La duchesse
douairière récuse également toute légitimité ou valeur à une
décision des états généraux touchant au principe de souveraineté.
Elle donne commission pour faire valoir les droits de ses filles et
dénoncer la confiscation de pouvoir et de souveraineté opérée par
les princes de Vaudémont. Mais séquestrée dans le duché de
Lorraine, où les officiers refusent de
recevoir ses plaintes, et dans l’impossibilité de se rendre en
France ou dans un État voisin et ami, elle ne peut que charger
Justiniano Priandi, résident du duc de Mantoue à Paris, de
faire rendre la justice[27]. Elle ne sollicite cependant ni
l’intervention directe du roi de France en tant que suzerain des
ducs de Bar, ni celle de l’empereur en
tant que suzerain des ducs de Lorraine. Marguerite de Gonzague
perçoit-elle le danger auquel seraient exposés les duchés si elle
appelait directement à son secours un souverain voisin ? Elle
se borne à solliciter une assistance juridique, non un secours
armé : Louis XIII et Richelieu voient leur procédé
circonvenu.
Le 1er mars 1626,
après la cession de François II, le jeune duc de Lorraine renouvelle son entrée solennelle à
Nancy. Il jure de maintenir les gens
d’Église, la noblesse et le tiers état en leurs droits, privilèges
et usages. Le lendemain, Charles IV réunit une nouvelle fois
l’assemblée dans sa capitale pour faire ratifier le transfert de
pouvoir et demander des subsides. Les ordres sont d’autant mieux
disposés à reconnaître la confiscation opérée par les princes de
Vaudémont que la coutume lorraine n’oblige en rien les ducs à les
consulter sur leur légitimité. La démarche de Charles IV est
flatteuse et est assimilée à un gage de reconnaissance et de
respect. Les états votent non seulement les subsides réclamés mais
consacrent la masculinité des duchés de Lorraine et de Bar au
nom de l’intérêt dynastique. Les princes de Vaudémont se placent
dans la lignée directe du duc Charles III et de ses pratiques
absolutistes à la française. Le père et le fils imposent
l’application d’un texte que la coutume, elle, n’a pas confirmé, et
que les états généraux n’ont aucun droit à entériner.
La difficulté pour Charles IV est de faire
admettre au plan extérieur la légitimité de son accession au
pouvoir, et d’être reconnu comme duc de Lorraine et de Bar par
les autres puissances européennes. Le marquis d’Haraucourt, bailli
de Nancy, ancien camérier du pape
Paul V, se rend à Rome pour sonder
Urbain VIII. Le souverain pontife reconnaît immédiatement le
nouveau duc de Lorraine, sur qui il compte pour la croisade contre
les Turcs. M. de Florainville de Cousance est quant à lui
dépêché auprès de l’empereur pour justifier la procédure employée
par les princes de Vaudémont.
Avant même de faire son entrée solennelle à
Nancy, Charles IV a levé une armée
en prévision d’une éventuelle agression des protestants. Ce
faisant, il avive encore la méfiance de Richelieu qui fait achever
la citadelle commencée à Verdun. Or
l’évêque de la ville, François de Lorraine-Chaligny, apparenté à la
famille ducale, s’oppose aux travaux. Le conflit s’envenime
aussitôt. Louis XIII est occupé à combattre les princes et les
protestants de son royaume. Le souverain préfère faire examiner la
question de la Lorraine par son conseil. Il charge le chancelier
d’Aligre d’entendre des députés envoyés par le duc de Lorraine. En
tant que vassal, Charles IV doit foi et hommage au roi de
France pour le Barrois mouvant. Louis XIII ne peut, et ne
veut, accepter le serment qu’au nom de la duchesse Nicole. Le duc,
de son côté, ne peut se plier aux contraintes du droit féodal que
le roi de France impose. Il compromettrait la crédibilité de la
succession en ligne masculine. La présence française dans les
Trois-Évêchés représente pour lui une
menace sérieuse. L’indépendance spirituelle de ses États est en
jeu[28]. Le duc de Lorraine n’ignore pas le danger
d’une absorption à plus ou moins long terme. Sous le règne
d’Henri IV, les Trois-Évêchés sont déjà passés du régime de
protection simple au régime de sujétion. Charles IV redoute
que sa liberté d’action ne soit de plus en plus entravée. Au mois
de janvier 1625, il fait part de ses craintes à l’empereur. Il
soupçonne que l’évêque de Metz, Henri
de Bourbon-Verneuil, demi-frère de Louis XIII, ne veuille
poursuivre le processus d’assimilation de la ville au royaume de
France en sollicitant un régime de protection souveraine.
Au printemps 1626, le chancelier d’Aligre récuse la
légitimité de Charles IV comme duc de Bar, faute d’assentiment du suzerain légitime. Le
Parlement se réunit plusieurs fois pour décider de la question. Le
procureur général opine même pour la saisie du fief. Mais
Louis XIII ne se prononce pas sur le cas du duc de
Lorraine. La conjoncture internationale
ne lui est pas aussi favorable qu’il le souhaiterait, malgré les
progrès indéniables réalisés par Richelieu.
Les Habsbourg triomphent à Madrid et à Vienne,
alors que la France est affaiblie par quatorze années de troubles.
Richelieu ne peut accepter l’avènement d’un duc de Lorraine dont les principaux appuis se situent en
Allemagne, et dont les sympathies
naturelles, comme les intérêts politiques les plus élémentaires,
vont vers l’empereur. Le cardinal souhaite assurer les marges
orientales du royaume et contrôler plus étroitement d’une part les
Trois-Évêchés, d’autre part les duchés
de Lorraine et de Bar. Il a déjà rédigé
un mémoire énumérant les moyens de s’opposer aux usurpations
lorraines en matière ecclésiastique. Le cas de la primatiale de
Nancy, établie au préjudice de l’abbaye
de Gorze, a été mis en exergue et une
enquête aux limites de la Champagne est
envisagée. Entré au conseil du roi le 29 avril, Richelieu, par
lettres patentes datées du 10 mai, renouvelle les textes de 1603
interdisant toute aliénation du temporel sans autorisation du
souverain français[29]. Puis il diligente une enquête confiée à
Cardin Le Bret.
Au cours de l’année 1624, Louis XIII a acheté
la seigneurie de Mars-la-Tour. Après le
décès du duc Henri le Bon, Charles de Vaudémont, tout récemment
promu à la tête des États de sa femme, s’en est inquiété. La
crainte de voir ses terres cernées par la France a engagé le nouveau duc à dépêcher
spécialement un ambassadeur à Paris,
Henri de Livron, marquis de Ville. Ce dernier a été chargé de
présenter au roi de France les actes établissant la suzeraineté
ducale sur Mars-la-Tour. Richelieu décide de ne pas en tenir
compte. La meilleure défense étant l’attaque, il saisit l’occasion
pour envoyer en Lorraine un des plus fidèles serviteurs de la cause
monarchique. Dès le mois de novembre, des lettres de commission
sont adressées à Cardin Le Bret[30].
Cardin Le Bret est avocat général au parlement de
Paris. Au mois de novembre 1624,
Richelieu le nomme intendant des Trois-Évêchés, chargé de l’enquête lorraine. Il est
secondé par Jean Delon, sieur de Lorme, trésorier de France, et par Pierre Dupuy, avocat au Parlement,
garde de la bibliothèque du roi et du trésor des chartes. Les trois
hommes sont rejoints par Michel Charpentier, président royal à
Metz.
La formation de la commission Le Bret est liée aux
habituelles tracasseries opposant Français et Lorrains à
Metz, Toul
et Verdun. Elle répond à quatre
préoccupations distinctes : la crise économique qui secoue
l’Europe de l’époque, la seigneurie de
Mars-la-Tour, les droits du roi en
Lorraine associés aux prétentions
françaises, les usurpations opérées en contravention au régime de
protection instauré par le roi Henri II sur les Trois-Évêchés. La tâche formelle assignée aux
quatre juristes est descriptive. Il s’agit de dresser un état des
lieux. S’il ne leur est pas demandé de remédier eux-mêmes à la
situation qu’ils ont la charge de présenter, il est en revanche
stipulé, dès le mois de novembre, par la lettre de commission
envoyée à Cardin Le Bret, que les conflits liés aux terres de
surséance devront être réglés par les envoyés du roi de
France. Les instructions
complémentaires transmises peu après au juriste distinguent les
lieux de contestation avérés des lieux de contestation potentiels à
établir lors de la mission[31].
Les conclusions rendues par Cardin Le Bret et ses
collègues sont impitoyables pour Charles IV. Mais aucune suite ne
peut leur être donnée dans l’immédiat. La méthode employée par la
commission est trop maladroite et trop excessive. Richelieu ne peut
encore se permettre de donner suite. Jusqu’en 1642, la Lorraine reste le lieu de tous les conflits, à la
frontière du Saint Empire où la guerre
de Trente Ans fait rage, à la limite du
royaume de France qui entend se ménager
un accès au Rhin et protéger ses marges orientales.
La notion de frontière n’est pas établie au
xviie siècle[32]. Les notions d’espace et de carrefour
dominent. L’espace lorrain est traversé par les tercios espagnols en route de Milan vers les Pays-Bas, lui conférant la valeur de passage
obligé. La politique de Richelieu à l’égard du duché de
Lorraine dès 1624-1625 répond à deux
préoccupations qui demeurent constantes : empêcher l’invasion
du royaume de France par sa frontière
est ; se ménager un accès sur le Rhin pour pouvoir intervenir
militairement dans le Saint Empire
romain germanique. Les rapports entretenus par Louis XIII et
le duc Charles IV s’inscrivent d’abord dans le conflit opposant le
souverain Bourbon à la famille de Habsbourg, à la fois à la branche
d’Autriche et à la branche
d’Espagne[33]. Les duchés de Lorraine et de Bar, tout autant que les Trois-Évêchés de Metz,
Toul et Verdun, se situent au coeur de la lutte engagée par
le roi de France et son principal ministre contre l’hégémonie de
l’empereur Ferdinand II et du roi Philippe IV d’Espagne en
Europe. Louis XIII et Richelieu
défendent une Europe chrétienne multiconfessionnelle, faite d’États
catholiques ou réformés indépendants, les plus forts protégeant les
plus faibles. Charles IV de Lorraine porte l’étendard d’une
Europe catholique, dont l’Empire serait l’unique garant. Ferdinand
II serait seul à même de garantir la cohésion politique du
continent, défenseur désigné de la religion légitime.
Et en 1625-1626, en effet, Louis XIII et Richelieu
ont trop à faire avec les huguenots à l’intérieur du royaume pour
pouvoir prétendre à un rôle efficace à l’extérieur. Le cardinal ne
peut que confirmer l’option choisie avant lui par La Vieuville. Au
travers de l’ambassade confiée à Marescot, un infléchissement a
déjà été donné à la politique étrangère de Louis XIII. Avec le
soutien des « bons Français », qui s’opposent aux dévots,
s’est amorcée la lutte contre les Habsbourg. Mais avant d’aller
plus loin, Richelieu se doit de pacifier le royaume, et d’y imposer
l’autorité du roi en même temps que la sienne.
Encore les protestants
Richelieu s’attache non seulement à consolider la
royauté et la position de son souverain, mais également sa propre
position de prélat et d’homme d’État. Le cardinal a hérité de ses
prédécesseurs aux affaires un Trésor qui n’a plus de trésor que le
nom. Les caisses du roi sont vides. Aux difficultés financières
s’ajoutent de constantes révoltes populaires. Les croquants du
Quercy prennent les armes en
1624 : ils s’insurgent contre l’impôt inégalitaire par
excellence, la taille, plus précisément contre la gestion des
tailles par les élus implantés à Cahors
et à Figeac[34]. La sédition est vaincue par le maréchal de
Thémines au mois de juin. La question des huguenots reste également
posée et ne tarde pas à trouver une nouvelle acuité.
Richelieu a parfaitement conscience de l’ampleur de
la tâche qui l’attend. Il souhaite, autant que faire se peut,
préserver la popularité du roi, mais également la sienne. C’est
pourquoi, dès cette époque, et jusqu’à sa mort, le cardinal se
construit un itinéraire pour démontrer la cohérence et la
légitimité de son action. Comme pour la Lorraine, Richelieu met à son service les plus
grands érudits de son temps, et place ses décisions dans
l’historicité. Il s’entoure d’un véritable cabinet de presse, à la
tête duquel est placé le père Joseph. Autour du capucin, se mettent
à l’oeuvre Fancan, Matthieu de Morgues, avant de se retourner
contre le cardinal[35], ou encore Jean Sirmond[36]. C’est à ce cercle que Richelieu doit les
fondements de la légende qu’il initie lui-même de son vivant, celle
d’un homme d’exception, prédestiné à la charge de principal
ministre. Ce sont ces mêmes érudits qui justifient, au moins dans
les premiers temps, l’action d’un ministre qui vit au siècle des
saints, celui de Bérulle et de François de Sales, qui ne fait
qu’appliquer « l’amour politique de Dieu »[37] à la raison d’État. Mais l’agitation gronde
et le cardinal est encore en grande partie redevable à Marie de
Médicis de l’ascension dont il a bénéficié.
Malgré le traité de Montpellier signé en 1622, le duc de Rohan ne peut
se défendre des pires préventions à l’égard du roi. Louis XIII
n’aurait qu’un objectif : éliminer le protestantisme du
royaume. Pour parer cette éventualité, le chef de file des
huguenots se constitue un vaste ensemble de territoires tenus par
ses coreligionnaires dans le centre-ouest de la France. Les points stratégiques en sont
l’île de Ré, l’île
d’Oléron, le Bas-Poitou et la
Saintonge, placés sous l’autorité de
parents ou alliés de la famille de Rohan. Au début de l’année 1625,
le duc adresse une série de doléances à Louis XIII pour se
plaindre du non-respect des accords de Montpellier. Le roi rejette systématiquement les
sollicitations et ordonne au marquis de Toiras, stationné dans le
Fort-Louis, près de La Rochelle, de
réprimer toute tentative insurrectionnelle.
Le duc de Soubise répond aussitôt aux mesures prises
par l’occupation de l’île de Ré et de
l’île d’Oléron. Le commandant des
Rochelais, Jean Guiton, un marin expérimenté, inflige des pertes
importantes à la flotte royale. Mais Louis XIII et Richelieu
entendent faire respecter leurs décisions et leur autorité. Le duc
de Montmorency, amiral de France, est
dépêché sur place. Il ne tarde pas à battre les navires de Guiton.
Le duc de Soubise subit également une lourde défaite dans les eaux
d’Ars-en-Ré, face à une flotte
hollandaise envoyée à la rescousse du roi de France. Richelieu,
profitant du peu d’autorité acquis au plan international, et des
accords récemment signés, convainc l’Angleterre et l’Espagne
de ne pas intervenir. Le 5 février 1626, le gouvernement parvient à
imposer ses conditions aux huguenots de La
Rochelle. Louis XIII maintient Fort-Louis pour surveiller la
place de sûreté protestante, ainsi que des garnisons dans
l’île de Ré et dans l’île d’Oléron. Accaparé par les huguenots, il
apprend la capitulation de Breda, dont
les Espagnols s’emparent le 25 mai. Les Provinces-Unies semblent d’autant plus éloignées
que le roi et son ministre doivent faire face à une nouvelle cabale
des princes.
Buckingham et l’« aversion au
mariage »
L’affaire de l’« aversion au mariage »
représente l’un des épisodes les plus critiques de l’agitation des
Grands qui mine la royauté depuis 1610, car elle concerne le propre
frère du roi, Gaston, duc d’Anjou puis duc d’Orléans. Tant que
Louis XIII et Anne d’Autriche n’ont pas d’enfant, Monsieur
reste l’héritier présomptif de la couronne. Son mariage revêt une
importance considérable. De son vivant, Henri IV a choisi de l’unir
à la plus riche héritière du royaume, Marie de Bourbon-Montpensier,
princesse du sang, fille du premier mariage d’Henriette-Catherine
de Joyeuse, remariée à Charles de Lorraine, duc de Guise.
Étroitement apparentée à la famille ducale de Lorraine, elle est immensément riche. Le mariage du
duc d’Anjou avec Mlle de
Montpensier semble d’autant plus important pour l’avenir du trône
de France qu’en 1625 la mésentente
éloigne toujours le roi de la reine.
Louis XIII ne pardonne pas à son épouse ses
imprudences, ni surtout son attachement à ses amies bannies de la
cour en 1622. Au premier rang d’entre elles, figure Marie de
Rohan-Montbazon, veuve de Luynes. Chassée du Louvre au mois d’avril
1622, elle est de retour trois mois plus tard. La veuve de Luynes a
eu du vivant même de son mari une liaison avec le duc de Chevreuse,
Claude, troisième fils du duc Henri de Guise, le Balafré. Au moment
de sa disgrâce, la veuve distingue une solution aisée pour revenir
au Louvre : épouser son amant. Un second mariage serait
d’autant plus valorisant pour Marie de Rohan-Montbazon que la
famille de Guise est prestigieuse et que le duc de Chevreuse
lui-même bénéficie d’une faveur exceptionnelle auprès de
Louis XIII, en raison de sa bravoure et de sa fidélité sans
faille. Le 20 avril, l’union est célébrée dans l’intimité. Le roi
entre dans une violente colère ; mais le duc de Chevreuse le
rejoint dans la campagne menée contre les huguenots et parvient à
lui arracher son consentement. La duchesse de Chevreuse peut faire
sa réapparition publique dès le début de l’été.
Louis XIII n’en conserve pas moins une violente
animosité à son égard : l’intrigante décide de se venger.
L’occasion lui est offerte par les préparatifs d’un autre mariage,
celui d’Henriette de France avec le
prince de Galles. Le duc de Chevreuse en est justement chargé.
C’est à cette époque que la duchesse s’éprend du négociateur
anglais, Henry Rich, comte de Holland. Le diplomate anglais est un
ami du duc de Buckingham, avec qui il s’est rendu à Madrid pour voir l’infante Maria, soeur d’Anne
d’Autriche, un temps promise au futur Charles ier.
La reine de France,
quant à elle, est délaissée par son époux. On l’a dit l’une des
plus belles femmes d’Europe, mais la
souveraine reste engoncée dans le carcan que lui impose son
éducation castillane. Louis XIII, de son côté, reporte toute
son affection sur son nouveau favori, François de Baradas. À la fin
de l’année, le prince de Galles devient roi d’Angleterre sous le nom de Charles ier. Ne pouvant se
permettre de quitter ses États, il est arrêté que le mariage ait
lieu par procuration le 11 mai 1625. Le pape Urbain VIII a fait
parvenir les dispenses nécessaires, après avoir obtenu la garantie
par la France que les catholiques anglais se verraient réserver un
sort meilleur.
La duchesse de Chevreuse noue alors une vaste
intrigue avec lord Holland. De retour à Londres, ce dernier met au défi le duc de
Buckingham de séduire Anne d’Autriche. En France, la duchesse de Chevreuse informe la reine
de la liaison qu’elle entretient avec lord Holland et lui suggère
de choisir elle aussi un chevalier servant. Elle lui indique même
le duc de Buckingham, désigné par Charles ier pour emmener
Henriette de France à Londres.
Buckingham arrive à Paris le 24 mai. Il se présente naturellement au
roi et à la reine. La situation est mûre pour le coup de foudre.
Marie de Médicis se rend compte de ce qui se trame et en informe
son fils. L’occasion est trop belle pour ruiner la réputation de sa
belle-fille, qu’elle n’aime pas. Richelieu n’apprécie pas non plus
Anne d’Autriche et redoute surtout son influence. L’intrigue entre
la reine régnante et le duc de Buckingham ne s’en développe pas
moins et, comme à Madrid, le
représentant de Charles ier fait
scandale.
Au début du mois de juin, Buckingham et Henriette de
France prennent la route de
l’Angleterre. L’étiquette stipule
qu’Anne d’Autriche les escorte jusqu’à
Boulogne-sur-Mer. Louis XIII, malade, est contraint de s’arrêter à
Compiègne. Marie de Médicis et sa
belle-fille continuent jusqu’à Amiens,
où la reine mère, à son tour, est victime d’une indisposition. Le
cortège royal s’immobilise quelques jours. Un soir, la duchesse de
Chevreuse propose ingénument une promenade. Buckingham a soudoyé
les domestiques de la reine régnante pour pouvoir être seul avec
elle et lui déclarer sa passion. Anne d’Autriche appelle ses femmes
à l’aide et doit repousser les ardeurs de son fougueux prétendant.
Mais l’aventure ne s’arrête pas là.
Le 16, Henriette de France et Buckingham partent pour Boulogne-sur-Mer.
Le soir même, l’Anglais revient sur ses pas. Anne d’Autriche le
reçoit dans sa chambre. Buckingham, en pleurs, se jette à ses
pieds. L’assistance ne sait quelle contenance adopter et demande au
visiteur de se retirer. Le lendemain, le duc repart définitivement,
tandis qu’Anne d’Autriche et Marie de Médicis regagnent
Paris. La reine mère fait un récit sans
bienveillance des incidents, même si rien ne peut être reproché à
sa bru. Louis XIII se sent la risée de tous. L’honneur du roi
et de la dynastie est en jeu. La suite d’Anne d’Autriche est encore
une fois congédiée.
Entre les époux, la méfiance ne fait que croître.
Richelieu place ses espions dans le nouvel entourage imposé à la
souveraine. Il se ménage aussi le concours d’informateurs en
Angleterre, car il craint que les
relations entre la cour de Londres et
celle de Paris ne pâtissent des
initiatives de Buckingham. Le cardinal recrute une espionne aussi
bien placée que passionnée par les événements : la comtesse de
Carlisle, ancienne maîtresse de Buckingham, qui ne pardonne rien.
Il est tout à fait plausible que l’amante trompée ait pu dérober
des ferrets. L’inventaire après décès d’Anne d’Autriche mentionne
une parure semblable, en diamants, évaluée à sept cents
livres.
Buckingham tente par tous les moyens de revenir en
France, notamment en organisant un
séjour au Louvre pour Henriette. Mais Louis XIII et Marie de
Médicis préfèrent renoncer à voir la reine d’Angleterre plutôt que d’accepter la présence en
France de l’homme par qui le scandale est arrivé. Le favori de
Charles ier rumine sa rancoeur et infléchit peu à peu la
politique du souverain Stuart. Ce dernier s’éloigne des intérêts de
sa belle-famille, tandis que la soeur du roi de France, peu encline
à la tolérance vis-à-vis de son environnement anglican et
volontiers ostentatoire dans ses dévotions, est victime de
vexations répétées.
L’incident d’Amiens a
d’importantes répercussions dans le royaume. Anne d’Autriche est
désormais l’ennemie irréconciliable de Louis XIII et de
Richelieu. La question de la succession au trône trouve une
nouvelle acuité. Anne d’Autriche est opposée au mariage de
Monsieur, car elle risquerait d’être effacée par une belle-soeur
féconde et pourrait même en être méprisée[38]. La famille de Condé adopte la même position,
car un hériter l’éloignerait de la couronne. Le comte de Soissons
est également contre : il est lui-même prétendant à la
succession et souhaite épouser Marie de Montpensier. Les
Longueville et les Vendôme, ennemis des Guise, sont hostiles au
mariage. Enfin, le frère du roi lui-même n’a aucune attirance pour
la promise[39].
Mais Marie de Médicis, elle, est attachée à cette
union, qui pourrait ouvrir à son fils cadet, préféré, la voie au
trône de France. Pour convaincre
Monsieur, elle décide de recourir à l’ancien gouverneur de ce
dernier, le maréchal de camp d’Ornano. Disgracié en mai 1624,
Ornano est enfermé au château de Caen.
La reine mère obtient son rappel, la charge de premier gentilhomme
de la chambre de Monsieur, puis, en 1626, le bâton de maréchal de
France. Mentor de son ancien élève,
Ornano obtient bientôt pour lui l’entrée au Conseil. Mais le
maréchal de France est déjà gagné à l’« aversion au
mariage » par la duchesse de Chevreuse et la princesse de
Condé. Marie de Rohan a conçu un projet des plus ambitieux :
remarier Anne d’Autriche à Gaston si Louis XIII venait à
disparaître. Bien qu’également étroitement apparentée à la famille
de Guise, elle a déjà convaincu le prince de Condé, le duc de
Montmorency, le comte de Soissons, la duchesse de Rohan, ainsi que
César et Alexandre de Vendôme, fils naturels d’Henri IV.
Ornano transforme rapidement la querelle dynastique
en affaire d’État : il ourdit un véritable complot en envoyant
des émissaires au prince de Piémont, au
duc de Buckingham, et à Aarsen, ambassadeur extraordinaire des
Provinces-Unies. Il écrit aussi à
certains gouverneurs de provinces pour leur demander si, au cas où
Monsieur quittait la cour, ils le recevraient et l’aideraient. Les
représentants du roi s’étonnent et communiquent les lettres à leur
souverain : la cabale est découverte.
Louis XIII consulte Schomberg et Richelieu à propos
de la conduite à tenir. Le cardinal recommande d’agir avec
circonspection mais le plus rapidement possible. Le 3 mai 1626, le
capitaine des gardes du corps, François de L’Hôpital, seigneur du
Hallier, procède à l’arrestation du maréchal d’Ornano et de ses
complices, Chaudebonne, Modène et Déageant,. Cette fois, le
duc d’Anjou est contraint à la
soumission, et signe un acte en ce sens dès le 31. Les princes
baissent également les armes, sauf Alexandre et César de Vendôme.
Louis XIII décide d’aller les châtier en Bretagne. Quant à Richelieu, malade, il doit
renoncer à le suivre. Le cardinal est totalement abattu par la
découverte d’une nouvelle facétie de la duchesse de
Chevreuse : un projet d’enlèvement de Monsieur, avec son
accord, pour provoquer un soulèvement général contre le roi.
Richelieu, par deux fois, présente sa démission. Le roi refuse et
lui renouvelle systématiquement sa confiance. C’est lui, et lui
seul, qui règle l’affaire.
Le souverain commence par modifier la composition de
son gouvernement. Étienne d’Aligre s’est rendu coupable d’avoir
prêté une oreille trop bienveillante au duc
d’Anjou ; les sceaux sont confiés à Michel de Marillac.
Celui-ci abandonne donc la surintendance des finances qui lui a été
dévolue en janvier et qui est accordée au marquis d’Effiat. De
nouvelles fonctions sont attribuées au comte de Schomberg, promu
maréchal de France l’année précédente,
et à Claude Bouthillier, qui demeurent les plus fidèles alliés de
Richelieu.
Puis Louis XIII parvient à convaincre le grand
prieur de Vendôme de faire venir son frère, gouverneur de Bretagne,
à Blois. Les deux hommes sont arrêtés
et écroués ; le gouvernement de Bretagne est confié au
maréchal de Thémines, tandis que Richelieu rejoint enfin le
roi[40].
La duchesse de Chevreuse, de son côté, poursuit ses
manigances. Elle dresse contre le mariage Henri de Talleyrand,
marquis de Chalais, grand maître de la garde-robe du roi, amoureux
d’elle, alors que Louis XIII fait venir à Blois Mlle de Montpensier. L’initiative finit
d’exaspérer l’hostilité de Monsieur. Un nouveau complot envisage
même d’« attenter à la personne du roi ». La révolte est
imminente en Normandie où la noblesse
promet des troupes au duc d’Anjou. Les
ducs de Longueville et de Nevers en font autant. C’est dans ces
circonstances qu’un ami de Chalais, le comte de Louvigny, se
brouille avec lui et révèle tout à Louis XIII. Le roi décide
de partir à Nantes où il doit présider
la réunion des états de Bretagne et introduire le maréchal de
Thémines. Il sait pouvoir y trouver un soutien militaire.
La cour arrive dans la capitale des ducs de
Bretagne le 3 juillet 1626.
Chalais fait partie de la suite. Il est arrêté cinq jours plus tard
et passe aux aveux. Le 28 août, le complice de la duchesse de
Chevreuse est convaincu de crime de lèse-majesté et condamné à
mort. Il est exécuté le lendemain. La conspiratrice a déjà pris le
chemin de l’exil, qui la conduit en Lorraine. Le comte de Soissons s’enfuit en
Italie. Monsieur, quant à lui, béni par
Richelieu, épouse Mlle de Montpensier. Le frère du roi reçoit
en apanage, outre une confortable pension, les duchés
d’Orléans et de Chartres.
Un mot encore du maréchal d’Ornano : il décède
peu après en captivité, des suites d’une rétention d’urine. Les
circonstances de sa disparition impressionnent vivement Richelieu,
qui souffre de plus en plus du même mal. Le grand prieur de Vendôme
ne survit pas non plus à son emprisonnement à Vincennes. Quant à César, il est libéré en 1630,
après la journée des Dupes. Le sort réservé aux comploteurs se veut
exemplaire. Louis XIII, tout autant que Richelieu, est plus
que jamais déterminé à faire respecter son autorité. Au mois de
septembre 1626, le roi est de retour à Paris. Le 10, Anne d’Autriche est convoquée devant
un Conseil étroit présidé par son mari. Lecture lui est faite de
procès-verbaux rédigés lors des instructions qui ont eu lieu pour
juger les rebelles. Ces pièces l’intéressent au premier chef, elle
y est citée. Puis le roi ordonne la destruction des documents. La
désunion du couple royal modifie l’équilibre des pouvoirs au sommet
de l’État. Marie de Médicis et Louis XIII se réconcilient.
Surtout, le roi se défait de toute appréhension à l’égard de
Richelieu. Le cardinal lui a prouvé son attachement à la couronne,
à sa personne, et a montré sa fragilité dans l’adversité. Le roi se
sent reconnu à la fois comme chef d’État, comme chef de famille et
sort affermi de l’épreuve. C’est lui désormais qui soutient son
serviteur.
Ainsi est acquise la confiance du roi, pour laquelle
Richelieu a déployé tant d’efforts, non pas l’exercice plein et
entier d’un pouvoir disputé par les dévots et par les Grands du
royaume. Après le décès du maréchal de Lesdiguières, la
connétablie, jugée trop dangereuse, est supprimée. Baradas, entré
en disgrâce, est remplacé dans le coeur de Louis XIII par
Claude de Rouvroy, seigneur de Saint-Simon, un ami du cardinal.
L’entente, pour un temps, semble parfaite entre le roi, la reine
mère et le ministre. Le triumvirat s’attelle à la réforme de
l’administration du royaume.
La réforme de l’administration et l’autorité
acquise
Au début de l’année 1626, Louis XIII crée une
nouvelle charge importante : celle de « grand maître et
surintendant général du commerce et de la navigation »,
confiée à Richelieu. Les fonctions d’amiral du Levant et d’amiral du Ponant, détenues
respectivement par le duc de Guise et par le duc de Montmorency,
lui sont rattachées, moyennant compensations financières. Le
cardinal prend non seulement le contrôle de la marine de commerce
et de la marine de guerre, mais également celui de puissantes
juridictions. Trois compagnies à vocation marchande, bénéficiant de
privilèges considérables, voient le jour : au mois de mars, la
compagnie du Morbihan, ou des Cent
associés ; au mois de mai, la compagnie de la Nacelle de
Saint-Pierre fleurdelisée ; au mois d’octobre, la compagnie de
Saint-Christophe.
C’est également le 5 mars 1626 qu’intervient le
traité de Monçon, pour la plus grande
satisfaction de Marie de Médicis et des dévots. Le lendemain,
Richelieu prend la responsabilité directe des Affaires étrangères.
Un édit organise autour de lui un véritable ministère avec quatre
secrétaires d’État et une importante équipe de collaborateurs.
S’ajoute à ce premier texte un règlement qui précise les
attributions dévolues à chacun. Richelieu bénéficie enfin d’une
place clairement définie au Conseil.
Au début du mois d’octobre, le gouvernement convoque
une assemblée des notables pour poursuivre les réformes. Il s’agit
d’un « conseil du roi élargi »[41], dont les participants sont choisis par le
souverain lui-même. L’assemblée des notables a un rôle purement
consultatif. Richelieu se méfie des états généraux, trop brouillons
et dominés par les querelles partisanes des trois ordres. La
multiplication des révoltes populaires contre la fiscalité, à
Tours, à Troyes, à Montélimar,
notamment, rend indispensable un débat de fond sur la situation
économique et financière du royaume.
Cinquante-cinq prélats, seigneurs et officiers de
cours souveraines se rassemblent. Le 2 décembre, Michel de
Marillac prononce le discours d’ouverture de l’assemblée. Le garde
des sceaux met l’accent sur les charges financières imposées par
les guerres civiles et sur les efforts consentis pour la
restauration de la marine et du commerce. Le maréchal de Schomberg
prend ensuite la parole. Il souligne la nécessité de se ménager des
sources de revenus extraordinaires réservés à l’armée. Il annonce
l’intention du gouvernement de réformer le système de rétribution
des soldats, ainsi que le mode de ravitaillement et d’entretien des
troupes. Richelieu complète les allocutions prononcées par ses
collègues en termes très généraux : il justifie les dépenses
de l’État et réitère la nécessité de trouver de nouvelles
ressources financières.
La réforme militaire est discutée jusqu’au 23
décembre. L’assemblée s’accorde sur le renforcement de la
discipline, sur la systématisation du recrutement, sur la mise en
place de magasins de vivres, sur la régularisation des soldes… et
sur leur propre exemption du logement des gens de
guerre !
Pour les finances, les débats sont plus houleux. La
noblesse de robe, la noblesse d’épée et les officiers ne cessent de
se quereller pour préserver leurs intérêts respectifs. Afin de
gagner du temps, Richelieu présente le 11 janvier 1627 un
mémoire reprenant l’essentiel des propositions gouvernementales. Le
mémoire est lu par le secrétaire de l’assemblée, Paul Ardier de
Beauregard[42]. Le point de vue est ensuite étayé par une
adresse du surintendant des finances, le marquis d’Effiat. Il est
envisagé de supprimer les offices et pensions inutiles, ou encore
de valoriser les enseignements scientifiques et techniques. Michel
de Marillac prononce un autre discours remarqué, constituant une
véritable apologie du mercantilisme. Une attention particulière est
réservée aux conditions de vie des petites gens. Concerné par le
développement de l’économie et les réformes fiscales, le peuple
l’est aussi par les réformes militaires visant à remédier au
problème de la vie des troupes sur le pays.
Deux commissions se forment pour examiner les
propositions du gouvernement. Les notables proposent de conserver
les forteresses du Poitou, occupées par
des garnisons royales, utiles contre les huguenots, nombreux, de la
région. Toutes les fortifications de l’Angoumois devraient, au contraire, être rasées. La
destruction systématique est également décidée pour la Provence, exception faite des frontières. Les
notables acceptent l’interdiction de traiter avec les ambassadeurs
étrangers, malgré le problème posé par le nonce apostolique. Quel
statut lui est-il réservé ? Personne n’est d’accord. Tous
approuvent en revanche l’interdiction des levées de troupes par une
autre autorité que celle du roi, l’introduction au Conseil de
membres de la noblesse seconde, la réglementation du commerce du
grain et la réorganisation de la taille. La proposition concernant
une chambre des Grands Jours est rendue caduque par les officiers
qui réclament que la nouvelle assemblée ne soit composée que de
parlementaires. Concernant l’entretien et le maintien de l’armée
dans les provinces, les notables font part de leur voeu que le
Trésor royal prenne en charge les deux tiers des frais ! La
construction de 45 navires de commerce et la fondation de
compagnies sont acceptées.
L’assemblée des notables se sépare le 24 février. Le
programme politique de Richelieu paraît avalisé, mais, encore une
fois, les conflits d’intérêts ont renvoyé les décisions importantes
à l’arbitrage royal. L’assemblée des notables s’avère aussi inutile
que les états généraux ; elle n’est plus réunie jusqu’en
1788.
Louis XIII et Richelieu ont un point commun qui les
rapproche : la volonté de se faire obéir. L’ordre du jour de
l’assemblée des notables de 1626 est révélateur. Au cours des mois
qui suivent, cet état d’esprit se confirme. Un gentilhomme en fait
les frais, François de Montmorency-Bouteville. Alors qu’en 1624,
malgré les dispositions royales prises par le passé pour interdire
les duels, il a tué l’un de ses adversaires, Thorigny, le roi
l’autorise à réapparaître en France,
mais pas à Paris. Le bretteur s’est
fait des ennemis, dont le marquis de Beuvron, un proche de
Thorigny. Par pure provocation, Bouteville décide de se battre
contre Beuvron sur la place Royale, en pleine capitale.
L’affrontement a lieu le 14 mai 1627. Selon les usages du temps,
les témoins se battent aussi. Celui de Beuvron, Bussy d’Amboise,
est tué par son adversaire, le comte Des Chapelles. Aussitôt,
Montmorency-Bouteville et Des Chapelles prennent la fuite. Ils sont
rattrapés sur la route de la Lorraine
et embastillés. La noblesse se mobilise en leur faveur. Bouteville
est un cousin du duc de Montmorency, et sa femme est enceinte. Rien
ni personne ne fléchit le roi. Le 22 juin, les fautifs sont
exécutés. L’événement frappe les esprits. Au début de l’été, onze
libelles circulent à Paris : cinq
demandent la grâce et six justifient l’exécution. Le Mercure français consacre une soixantaine de
pages à l’affaire.
La mort de Montmorency-Bouteville et de son complice
a de profondes conséquences psychologiques. La conscience
collective est durablement impressionnée. Un clivage apparaît dans
la société : d’une part, la noblesse terrienne et son assise
territoriale traditionnelle ; d’autre part, le pouvoir royal
et gouvernemental, de plus en plus autoritaire. En mettant en
oeuvre les réformes qu’il juge indispensables, en éliminant ses
adversaires et ceux de la royauté, Richelieu suscite les critiques
et une haine croissante, alors même que la guerre contre les
protestants reprend à l’intérieur du royaume. Le roi ne s’y trompe
pas. Dès le mois de mars, des lettres patentes accordent des
pouvoirs accrus au cardinal-ministre, qui obtient entrée et voix
délibérative au Parlement, avec le même rang que les pairs du
royaume.
Malgré les calomnies et les menaces véhiculées par
une violente campagne de libelles qui atteint toute l’Europe, 1625 et 1626 sont les deux années au cours
desquelles Richelieu gagne définitivement la confiance, le respect,
et sans doute même l’amitié du roi. En juin 1625, prétextant sa
mauvaise santé, le cardinal demande à Louis XIII
l’autorisation de céder ses fonctions. Le souverain, pour préserver
son ministre, le décharge simplement des visites et sollicitations
des particuliers. Un an plus, tard, presque jour pour jour, le roi
écrit à Richelieu de ne pas le quitter. Puis, à l’automne 1626, un
véritablement déferlement de haine s’abat sur le prélat. Tous ses
actes sont présentés comme odieux. Il est « l’homme
rouge » qui passe ses journées à épier Marie de Médicis. À
nouveau, Richelieu parle de démission. À nouveau, le souverain lui
conseille le repos et le calme, et fait renforcer sa garde. Les
érudits et publicistes au service du cardinal doivent déployer tous
les artifices de la rhétorique pour répondre au feu nourri des
attaques. Certains tentent même de discréditer Richelieu en
utilisant les difficultés auxquelles il se heurte depuis des années
pour améliorer sa situation financière personnelle. La liquidation
de la succession paternelle et la liquidation de celle d’Henri sont
en cours et suscitent procès sur procès. Ce n’est qu’en 1633 que
les ayants droit cèdent leur part à Richelieu et que se clôt le
problème. Il reste que, dès 1627, le cardinal a acquis suffisamment
de terres et réuni suffisamment de biens pour pouvoir prétendre à
l’érection de ses domaines en duché-pairie.
La Rochelle et la révolte protestante
L’agitation protestante ne s’est pas tue avec la
paix de Montpellier, bien au contraire.
Le duc de Rohan est persuadé que Louis XIII et Richelieu
souhaitent éradiquer le protestantisme du royaume. Par ailleurs,
les rapports entretenus avec Londres se
sont terriblement dégradés : le roi d’Angleterre n’a pas
respecté les engagements qu’il avait souscrits concernant les
catholiques anglais. La reine d’Angleterre, face aux brimades dont elle est chaque
jour victime, affiche un catholicisme volontairement ostentatoire,
tandis que Buckingham, grand amiral de la flotte anglaise, prépare
une expédition contre la France. Avec
la complicité du duc de Soubise, réfugié outre-Manche,
Charles ier souhaite s’opposer à la puissance maritime
de la France, aux progrès récemment
réalisés et aux ambitions commerciales du roi et de son
ministre.
De leur côté, les protestants français sont
inquiets : leurs forces sont amoindries et le bastion de
Fort-Louis a été maintenu en face de La
Rochelle. Des liens se nouent entre les huguenots et les
Anglais, appelés à la rescousse. Richelieu, dans le cadre de ses
fonctions de grand maître de la navigation, est accusé de vouloir
battre en brèche la puissance commerciale des Rochelais et plus
généralement les libertés et franchises des ports du royaume. La
ville de La Rochelle revendique sans complexe des traditions et
avantages qui lui assurent une quasi-autonomie à l’intérieur du
royaume. Son sentiment particulariste explique en grande partie
l’âpreté des événements qui se déroulent dans les mois qui
suivent.
En février 1627, les préparatifs dans les ports
anglais de la Manche s’accélèrent. Richelieu ne peut accepter une
telle menace, il prend une première série de mesures conservatoires
en faisant consolider la défense du littoral atlantique. Sur le
plan diplomatique, il renforce les liens unissant la France et les Provinces-Unies. Le cardinal se garantit aussi
d’une concurrence commerciale ou militaire qui pourrait s’avérer
préjudiciable. Puis, en avril, paradoxalement, c’est avec
l’Espagne qu’un traité est signé. Une
alliance offensive et défensive réunit le roi très chrétien et le
roi catholique contre l’Angleterre. Le
parti pro-espagnol français, celui des dévots, obtient gain de
cause. Les craintes des protestants se renforcent.
Une flotte anglaise quitte alors Portsmouth avec 90 vaisseaux, et Buckingham à
sa tête. Le 27 juillet, elle apparaît au large de
l’île de Ré. Buckingham et Soubise
débarquent, malgré la vive résistance opposée par le maréchal de
Toiras, gouverneur de l’Aunis, qui se replie dans le fort
Saint-Martin.
Les Anglais et la municipalité de La Rochelle entrent en pourparlers. Huit cents
volontaires français s’engagent aux côtés de Buckingham. Mais la
cité, avant tout soucieuse d’autonomie, refuse la venue du duc de
Soubise.
Au moment de l’arrivée des Anglais sur les côtes
françaises, Louis XIII est malade. Une forte fièvre le
contraint à garder le lit à Villeroy-en-Brie, alors qu’il s’apprêtait à
rejoindre ses troupes et le duc d’Angoulême en Bas-Poitou
pour obtenir la soumission des protestants. Comme le souverain, le
gouvernement est à bout de ressources. Pour faire face à la crise,
Richelieu emprunte un million et demi de livres sur son crédit
personnel et obtient une aide de quatre millions de livres du monde
financier.
La priorité du cardinal à la cuirasse, qui est aussi
gouverneur de Brouage, est de secourir
Toiras. La reconquête de l’île de Ré, nécessaire préalable à la
soumission de La Rochelle, est une affaire d’Église autant qu’une
affaire d’État[43]. Bérulle mobilise les prières des Carmélites.
Une armée d’environ dix mille hommes est rassemblée sur le
littoral. Le mois d’août 1627 est consacré aux marchandages entre
les agents de Richelieu et la municipalité de La Rochelle. Les pourparlers se soldent par un
échec. Les rebelles exigent la destruction de Fort-Louis, ce qui ne
peut être accepté. Début septembre, les troupes du roi sont
envoyées sur place, aussitôt prises pour cibles par les
Rochelais.
À peine rétabli, Louis XIII se rend sur le terrain
d’affrontement et installe son quartier général à Aytré. Une
expédition pour débloquer Toiras sur l’île de
Ré est prévue dans la nuit du 7 au 8 octobre. Les troupes du
roi se rassemblent autour de La
Rochelle lorsqu’un second foyer de rébellion se déclare en
Languedoc, sous la bannière du duc de
Rohan. Sans conviction, Richelieu demande le soutien de la flotte
espagnole de Dunkerque, tandis que le
prince de Condé est envoyé contre les protestants languedociens. Le
père Joseph arrive à La Rochelle et organise un véritable ballet
d’espions. La coordination de toutes ces actions permet de faire
passer à Toiras les deux tiers des secours qui lui étaient
destinés. Les Anglais se découragent : ils manquent de vivres
et le mauvais temps leur apporte son lot de fièvres. Octobre est le
mois des vendanges. Les Britanniques se ruent sur le raisin et
voient leurs rangs ravagés par la dysenterie. Le 20 octobre,
une offensive de Buckingham échoue encore contre les défenses de
Toiras. Les Français parviennent pour la seconde fois à percer les
lignes ennemies. Le maréchal de Schomberg peut se précipiter sur
l’île. Buckingham est pris en étau. Il tente un dernier assaut
contre les forts français, en vain. Le 7 novembre, la flotte
anglaise se retire. Les efforts de Louis XIII peuvent se
concentrer sur La Rochelle.
Richelieu craint un mouvement séparatiste de la cité
en faveur du roi d’Angleterre, qu’elle
pourrait reconnaître pour souverain. Le commandement effectif des
troupes est assuré par le cardinal. Le duc d’Angoulême collabore avec lui et les maréchaux de
Schomberg et de Bassompierre sont placés sous leurs ordres. La
construction d’une digue pour fermer le chenal d’accès à
La Rochelle débute rapidement. Les
travaux s’achèvent à la fin du mois de mars 1628. Au siège par la
terre, s’ajoute le blocus maritime. Le marquis de Spinola visite
l’ouvrage : il est impressionné. Pour honorer l’alliance de
1627, Philippe IV a dépêché sur place une escadre espagnole,
placée sous les ordres de Don Frédéric de Tolède, qu’accompagne
Spinola. Mais les vaisseaux du roi catholique ne s’attardent pas,
prétextant une querelle de protocole.
Au printemps, l’assemblée du clergé de France vote une subvention extraordinaire de trois
millions de livres pour aider Louis XIII. Au soutien
financier, les capucins ajoutent le soutien moral des troupes. Les
collaborateurs du père Joseph veillent au maintien de l’ordre et à
la bonne tenue des soldats. Le roi lui-même est en mauvaise santé,
le froid et le vent rendant les conditions de vie éprouvantes. À la
prière de Richelieu, le souverain regagne la cour et abandonne
l’entière direction des opérations à son ministre, promu lieutenant
général pour l’occasion, alors que les fonctions étaient jusque-là
détenues par le duc d’Orléans. L’honneur fait au cardinal est
immense, mais l’inquiète aussi. Monsieur, évincé, ne peut que lui
en vouloir, et la rancune domine désormais les relations entre les
deux hommes. En regagnant Paris,
Louis XIII s’expose également aux pressions exercées par les
adversaires du siège. Parmi ceux-ci, paradoxalement, les chefs du
parti dévot sont particulièrement virulents. Ils critiquent
ouvertement l’autoritarisme de Richelieu. Marie de Médicis
elle-même réclame un accommodement avec les rebelles. Le cardinal
ne peut s’empêcher d’y voir la main de Philippe IV, qui prône
le compromis. Et une seconde expédition anglaise est envisagée dans
l’entourage du roi d’Angleterre.
Charles ier ressent l’échec de ses navires face à
l’île de Ré comme une humiliation. Il
est décidé à se venger mais ses caisses sont aussi vides que celles
de Louis XIII. Le roi d’Angleterre
convoque donc le Parlement pour tenter d’obtenir des crédits. En ce
début d’année 1628, les marins de Portsmouth n’ont pas été payés depuis dix mois et
se mutinent. Richelieu essaie de tirer parti de la situation. Il
craint un enlisement du conflit qui pourrait lui être fatal. À la
mi-mars, il lance une brusque offensive contre La Rochelle, en vain. Dans le même temps, il
accélère la préparation d’une nouvelle flotte destinée à accueillir
les Anglais. Tous les bâtiments disponibles entre Bayonne et la Somme sont réquisitionnés. La
construction de trente vaisseaux de haut bord pour l’armée royale
est achevée. Les agents du cardinal basés en Hollande procèdent enfin à des achats de bateaux
supplémentaires. La France et
l’Angleterre se livrent à une véritable
course de vitesse. Londres parvient
enfin à payer les marins et à armer 53 navires. La flotte
anglaise prend la mer le 8 mai, sous les ordres de lord Denbigh,
beau-frère de Buckingham. Profondément impopulaire, inquiet pour sa
sécurité, celui-ci préfère ne pas quitter Londres et déléguer son
parent.
Les Anglais arrivent en vue de La Rochelle une semaine plus tard. Ils commencent
par bombarder la digue, en vain. Les batteries françaises
répliquent aussitôt, sous les yeux de Louis XIII, de retour sur
place. Le 18 mai, coup de théâtre : après avoir tenté de
mettre le feu aux ouvrages français, la flotte anglaise rebrousse
chemin : la retraite est totalement incompréhensible. Les
navires sont bientôt de retour dans leur port d’attache.
Charles ier ordonne leur renvoi à La
Rochelle, mais les attaques dont Buckingham fait l’objet
retardent le réarmement et le réapprovisionnement des vaisseaux de
guerre anglais. Au cours de l’été, le duc se décide à se rendre
lui-même à Portsmouth pour accélérer
les choses. Il s’apprête à reprendre la mer quand il est assassiné
par un puritain du nom de Felton.
À La Rochelle, les
bellicistes dominent. Ils remportent la municipalité et placent
Jean Guiton à la tête de la cité. L’arrivée de la flotte de lord
Denbigh suscite l’espoir des assiégés, vite déçus, et affamés. Au
mois de mai, toutes les bouches inutiles sont expulsées.
Vieillards, femmes et enfants agonisent entre les murailles et les
lignes royales, qui reçoivent l’ordre de les repousser. Au cours du
mois de juin, les provisions sont totalement épuisées, mais la
résolution de Jean Guiton reste inébranlable.
À la suite du décès du duc de Buckingham, lord
Lindsay est nommé commandant de la flotte anglaise. Le
17 septembre, une troisième expédition lève l’ancre. Dès la
fin du mois, 150 navires anglais font leur réapparition au
large de La Rochelle. Les canonnades
sont échangées d’un bord à l’autre, sans résultat. lord Lindsay se
résout à envoyer un émissaire auprès de Richelieu pour implorer la
clémence du roi à l’égard de La Rochelle. Il conseille aux
Rochelais de négocier, puis rentre en Angleterre.
Le 28 octobre 1628, la place se rend, à bout de
forces. Louis XIII fait preuve de la plus grande clémence. Il
laisse la vie sauve aux survivants et accorde la liberté d’exercice
du culte protestant. De vingt-huit mille âmes au début du siège, la
population est tombée à cinq mille cinq cents. Les seuls
protagonistes exclus de l’amnistie royale sont Jean Guiton, cinq
membres de la municipalité et la duchesse de Rohan. Tous doivent
quitter La Rochelle. En contrepartie,
le souverain rétablit le culte catholique dans la ville. La mairie,
l’administration et les franchises locales sont supprimées. Les
fortifications doivent être rasées. Il est prévu que Brouage soit transformé en port de commerce et de
guerre.