V
RICHELIEU, CARDINAL
ET PRINCIPAL MINISTRE
L’indispensable conseiller
Richelieu a témoigné d’une indéniable habileté, même si la paix d’Angoulême est source de nouvelles dissensions. Homme d’Église, garant de bons offices pour la papauté, il était bien l’homme de la situation. Mais, dans l’entourage du roi, le cardinal de Retz reproche à Bérulle son rôle dans les négociations. Marie de Médicis, de son côté, consent un effort quasi insurmontable pour promettre à Luynes son amitié.
La charge qui a été dévolue à Henri de Richelieu est convoitée par plusieurs gentilshommes, dont le marquis de Thémines, fils de celui qui a arrêté Condé. Jaloux, ce gentilhomme tient les propos les plus injurieux contre son adversaire plus chanceux. L’affaire tourne brusquement au drame lorsque, le 8 juillet, le duel est choisi par les protagonistes pour régler leur différend : Henri succombe à l’assaut de son adversaire. La douleur de perdre un frère est immense, et pour le lignage la disparition d’Henri est une catastrophe. Les dettes du défunt viennent s’ajouter à celles de son père. Alphonse du Plessis est chartreux et en dehors du monde : Armand Jean devient le chef de famille, avec une conviction, la nécessité de consolider sa position et d’assurer ses arrières.
De retour aux affaires, il commence par obtenir le commandement de la place d’Angers pour son oncle, Amador de La Porte et le gouvernement des Ponts-de-Cé pour M. de Béthencourt, l’un de ses proches. Il fait attribuer le château de Chinon à l’un des conseillers de Marie de Médicis, Jacques d’Apchon de Chanteloube, qu’il espère gagner à sa cause.
Le décès du marquis de Richelieu a une autre conséquence, la mise à l’écart définitive de Ruccelaï, concurrent de l’évêque de Luçon dans les faveurs de la reine mère, coupable d’avoir envenimé la querelle avec M. de Thémines. Richelieu est désormais tout-puissant auprès de la reine mère. Il songe dès cette époque au cardinalat[1].
La présentation des candidatures au Saint-Siège est un privilège acquis par les souverains français. Malgré la recommandation de sa protectrice, l’évêque de Luçon n’obtient rien du roi. Marie de Médicis refusant catégoriquement de regagner Paris, Richelieu est soupçonné d’être à l’origine de cet état d’esprit. À défaut de pourpre, le prélat parvient à obtenir une audience de Louis XIII, à Tours. Seule une réconciliation complète du souverain avec sa mère permettrait à Richelieu de progresser et de parvenir à ses fins. Ce n’est qu’avec le concours de Luynes que les retrouvailles sont enfin organisées.
Le 5 septembre 1619, Marie de Médicis retrouve Louis XIII au château de Couzières, propriété du duc de Montbazon. La reine mère est vite déçue : elle a perdu tout ascendant sur son fils, qui semble lui préférer Anne d’Autriche. Dans l’espoir d’une part d’obtenir un retour au Conseil, pour l’ancienne régente autant que pour lui-même, d’autre part d’obtenir le chapeau de cardinal, Richelieu n’a d’autre choix que de resserrer les liens avec le favori. Mais Luynes fait en sorte que le candidat du roi au cardinalat soit l’archevêque de Toulouse, Louis de La Valette, fils du duc d’Épernon. Richelieu n’a plus qu’à retourner dans son diocèse, tandis que Marie de Médicis gagne Angers.
La reine mère arrive dans son gouvernement le 16 octobre. L’accueil qui lui est réservé est celui d’une souveraine, mais Louis XIII a pris ses précautions : les armes et les munitions ont été soigneusement retirées de la place. Au même moment, le roi attribue à nouveau à son frère cadet un gouverneur, le maréchal d’Ornano, sans consulter leur mère. Les circonstances qui président à la libération du prince de Condé, au mois d’octobre, n’arrangent pas la situation.
Luynes insinue que la reine mère a tout fait pour maintenir Monsieur le Prince en prison, alors que c’est elle qui, en réalité, a réclamé sa libération pour rééquilibrer les forces en présence. Il obtient à ce propos l’enregistrement au Parlement d’une déclaration officielle, affirmant l’innocence du premier prince du sang. Son emprisonnement s’expliquerait par un abus de pouvoir. Louis XIII doit assurer sa mère qu’il ne s’agit pas d’un désaveu à son encontre. Claude Barbin est également libéré, et aussitôt expulsé du royaume. Dans l’ignorance des dispositions d’esprit réelles de son fils, Marie de Médicis préfère camper sur ses positions et refuse, dans l’immédiat, de se rendre au Louvre.
C’est le moment que choisit Richelieu pour rejoindre la reine mère à Angers. Attendre lui est devenu insupportable. Il tente à nouveau de la fléchir, et de la convaincre de regagner la cour, en vain. Par prudence, l’évêque de Luçon écarte M. de Villesavin et le remplace par Claude Bouthillier, frère de l’abbé de La Cochère, à la charge de secrétaire des commandements de la reine[2]. Il obtient aussi la nomination d’un ami, Michel de Marillac, aux fonctions d’intendant de justice en Anjou. Le demi-frère de ce dernier, Louis, doit quant à lui coordonner les préparatifs militaires que la reine mère voudrait mettre en oeuvre.
L’attitude de Luynes n’a que trop envenimé les relations de Marie de Médicis et de son entourage avec Louis XIII et son gouvernement. Le favori, de son côté, s’estime trahi par l’évêque de Luçon. Luynes dépêche alors à Angers son beau-père, le duc de Montbazon, dans le but de faire revenir la reine mère à Paris et de discréditer Richelieu. La manoeuvre échoue. Au mois de mai 1620, M. de Blainville prend le relais. Marie de Médicis refuse toute discussion. Puis une véritable délégation est mise en branle : le duc de Montbazon repart à la charge, accompagné du duc de Bellegarde, de l’archevêque de Sens et du président Jeannin. La reine ne baisse pas la garde, au contraire. Elle se dote des moyens nécessaires à la lutte armée. Richelieu est chargé de récolter les fonds nécessaires à la levée et à l’entretien des troupes. Il supervise aussi le renforcement des places dont dispose l’ancienne régente.
Marie de Médicis est moins isolée qu’à Blois : elle le sait et profite de la nouvelle donne. Elle peut compter sur le soutien du second comte de Soissons, Louis de Bourbon, qui ne cesse de se quereller avec Condé ; sur celui du duc de Rohan, concurrent de Luynes à la connétablie ; sur l’aide de Benjamin de Rohan, duc de Soubise, frère d’Henri de Rohan. Le duc de Longueville et le prieur de Vendôme se préparent déjà à la lutte en Normandie. Le duc d’Épernon, secondé par le duc du Maine, maître de la Guyenne, mobilise des hommes en Saintonge. La reine mère réussit à rassembler autour d’elle un parti considérable, car les princes sont indignés de l’influence croissante de Luynes, récemment promu duc et pair.
Richelieu est quant à lui plus que jamais partisan de la modération. Il craint que la reine mère ne tombe sous la coupe des Grands et préférerait utiliser les forces réunies pour contraindre Luynes à négocier. Mais la majeure partie du conseil de la reine mère se déclare favorable au déclenchement, à vaste échelle, des hostilités. Seuls Michel de Marillac, qui a connu les guerres civiles sous les derniers Valois, et le père Suffren, confesseur de la reine, soutiennent le point de vue de Richelieu. Paradoxalement, c’est à lui, le conseiller indispensable, qu’il revient d’organiser la campagne. Le prélat n’a d’ailleurs guère le choix, s’il veut conserver un tant soit peu d’influence et d’autorité.
La « drôlerie des Ponts-de-Cé » et le traité d’Angers
Les préparatifs de Marie de Médicis et de ses lieutenants s’organisent autour de la ville d’Angers. La reine peut s’appuyer sur la Normandie : les places de Rouen et du Havre sont verrouillées par le duc de Longueville. Le comte de Soissons, quant à lui, contrôle Dreux, La Ferté-Bernard, le Perche et une partie du Maine. Le maréchal de Boisdauphin tient Château-Gontier et Sablé. Le duc de Vendôme contrôle une partie de la Loire. Les ducs de La Trémoille et de Retz sont implantés en Bretagne et en Poitou. La Saintonge se tient prête grâce au duc d’Épernon. Les protestants eux-mêmes pourraient prendre fait et cause pour la reine mère. Enfin, le marquis de La Valette occupe la place de Metz et pourrait ménager à la rébellion une ouverture vers l’Allemagne, essentielle pour l’éventuel recrutement de mercenaires. Louis de Marillac, qui reçoit et applique les directives de Richelieu, est placé à la tête de l’armée de Marie de Médicis. Le passage stratégique de la Loire, entre l’Anjou et le Poitou, doit s’effectuer aux Ponts-de-Cé.
Pour le pouvoir royal, la menace se fait imminente. L’opinion s’en émeut d’autant plus facilement que Louis XIII ne se prive pas de souligner les atteintes volontaires portées à l’autorité souveraine. Dans son entourage, le prince de Condé se déclare favorable à une riposte vigoureuse et rapide. Luynes défend au contraire la solution du compromis et de la discussion. Le 2 juillet 1620, la Normandie entre en dissidence : le gouvernement doit se réunir d’urgence et le souverain choisit la répression par les armes.
Dès le 7 juillet, le monarque, accompagné de son frère Gaston, de Condé, de trois chefs de guerre expérimentés, Schomberg, Praslin et Créqui, et de quatre mille hommes, prend la route de Rouen. Le duc de Longueville, surpris par la vivacité de la réaction de Louis XIII, prend la fuite et se replie à Caen en compagnie du prieur de Vendôme. Le roi les suit. Caen et son château font presque aussitôt leur soumission. Désorientés et pris de court, les Grands ne savent déjà plus quelle attitude adopter.
Dès le début des opérations, Richelieu avertit Marie de Médicis du danger et de la supériorité psychologique et morale dont peut se prévaloir Louis XIII. Il met en avant l’inutilité et le caractère inique d’une guerre déclarée par une mère à son fils. Une nouvelle fois, l’évêque de Luçon est soupçonné de collusion avec Luynes. Il est vrai que tous deux oeuvrent ensemble à un accommodement pacifique.
À l’issue des victoires de Normandie, le favori dépêche à nouveau le président Jeannin, le duc de Bellegarde et l’archevêque de Sens auprès des rebelles. Seul Richelieu se déclare favorable à la paix. Le 2 août, Louis XIII fait son entrée au Mans. La ville s’est soumise au roi, qui, dès lors, peut directement se pencher sur le problème posé par Angers.
L’armée de Marie de Médicis est plus nombreuse que celle de son fils, mais la discorde règne entre ses chefs. Le commandement, pourtant officiellement dévolu à Louis de Marillac, est âprement disputé, à la fois par le duc de Vendôme, par le duc de Nemours, par le maréchal de Boisdauphin et par le comte de Soissons ! Non seulement les contingents n’arrivent plus en Anjou, mais les soldats commencent à se disperser.
Le 6 août, Louis XIII parvient aux Ponts-de-Cé. Des barricades ont été dressées dans les faubourgs. C’est à ce moment crucial que le duc de Retz fait défection. Les soldats de la reine mère battent en retraite dès la troisième charge des troupes royales. Le roi est maître de la situation et du passage sur la Loire en moins d’une demi-journée. La « drôlerie des Ponts-de-Cé » ridiculise le camp de Marie de Médicis.
Les plénipotentiaires de Louis XIII profitent aussitôt de l’avantage acquis, bien que la reine mère s’obstine au silence et à l’immobilité. Des pourparlers s’engagent grâce à Richelieu. Pour Chanteloube, la responsabilité de l’échec des armées rebelles n’incombe plus qu’à l’évêque de Luçon, et à lui seul. C’est pourtant grâce à celui-ci que la paix est enfin signée.
Le traité d’Angers confirme le statu quo prévu par celui d’Angoulême : l’amnistie est concédée aux partisans de Marie de Médicis ; leurs places, charges et dignités leur sont rendues ; les Ponts-de-Cé sont eux aussi rétrocédés à la reine mère, avec une indemnité de trois cent mille livres pour payer ses dettes. Deux nouveautés interviennent cependant et confirment, s’il en était besoin, l’extrême habileté de Richelieu. La reine mère s’engage à vivre en bonne intelligence avec la cour et avec Luynes. En contrepartie, le retour au Conseil lui est garanti. Enfin, le chapeau de cardinal est officiellement demandé au pape pour l’évêque de Luçon. Louis XIII adresse la requête officielle au souverain pontife le 22 août. Les motifs politiques de la démarche sont mentionnés : il s’agit du prix de la réconciliation entre le roi et sa mère.
Richelieu est plus que jamais convaincu, et à juste titre, que la seule source de pouvoir au sein de la monarchie est Louis XIII lui-même. Il a seulement besoin de la reine mère pour se rapprocher du roi, et doit aussi tenir compte du favori en titre. C’est pourquoi il compose. Un projet d’alliance matrimoniale est élaboré : la nièce préférée de l’évêque de Luçon, Marie de Pont-Courlay, si jeune orpheline de mère, est promise au neveu de Luynes, M. de Combalet.
Le favori conserve la confiance exclusive du roi, mais son gouvernement connaît de graves difficultés. Louis XIII a eu la faiblesse de lui octroyer d’importantes prérogatives : il reçoit les ambassadeurs, donne des ordres aux ministres… Et les finances sont au plus bas. Le parlement de Paris est mécontent des édits bursaux promulgués en février pour créer de nouveaux offices, notamment de procureurs. Les deux guerres qui viennent d’opposer la mère et le fils ont coûté très cher. Les Grands sont toujours avides de pensions. Pour renflouer le Trésor, Luynes s’appuie plus que jamais sur la paulette. En Béarn, la restauration du catholicisme ne s’effectue pas sans difficulté et se heurte même à de vives résistances : la querelle confessionnelle est devenue politique. C’est alors que les nouvelles les plus sombres arrivent de Bohême.
La défenestration de Prague
Au début du xviie siècle, le Saint Empire romain germanique se compose d’une multitude d’États, d’importances et de tailles très diverses. L’empereur est désigné par sept électeurs : les archevêques de Trèves, de Cologne, de Mayence, le comte palatin du Rhin, le duc de Saxe, le margrave de Brandebourg et le roi de Bohême, dont la couronne, comme celle de l’Empire, est élective. Il ne peut prendre de décisions importantes sans l’accord des princes allemands réunis. Depuis de nombreuses années, la famille de Habsbourg s’attache à conserver de manière de plus en plus étroite la dignité impériale en son sein.
Par ailleurs, depuis la Réforme, chaque prince impose sa religion dans son État. Bien que la confiscation des biens cléricaux par les princes protestants soit interdite, l’électeur palatin, calviniste, ne se prive pas de le faire. Aussi, en ces premières années du xviie siècle, et dans la lignée du concile de Trente, les jésuites s’efforcent-ils de ramener l’Allemagne au catholicisme, avec succès en Bavière et dans les États du sud de l’Empire. Le père Lamormain se distingue particulièrement : il entreprend la reconquête catholique par le royaume de Hongrie, bientôt suivie de persécutions contre les protestants en Moravie et en Bohême.
Cette dernière est un pays riche. Sa noblesse, grande propriétaire terrienne, est puissante. La Bohême, comme la Hongrie, possède une population en majorité protestante. Elle est aussi la patrie des hussites, qui donnent naissance à une puissante organisation, l’Unité des frères. Celle-ci se rapproche des luthériens, et ensemble ils obtiennent, en 1609, de l’empereur Rodolphe II, un rare privilège, la Lettre de majesté, qui reconnaît une seule et unique Église protestante, celle de la Confession tchèque. La Lettre de majesté institue par ailleurs un conseil de dix « Défenseurs de la foi », habilités à négocier avec les représentants de la couronne, de confession catholique. La famille de Habsbourg doit faire des concessions politiques et religieuses aux protestants et aux états de Bohême qui ont accepté de la placer sur le trône. La nécessité est d’autant plus vive que Vienne n’est pas si éloignée de Prague, que la menace turque fait de la Bohême et de la Hongrie les frontières de la chrétienté, que l’éventuelle élection d’un roi de Bohême protestant accorderait la majorité du conseil électoral d’Empire aux réformés.
L’empereur Mathias (1557-1619), qui succède à Rodolphe II, souhaite lui aussi maintenir la paix. En 1617, il décide de régler sa succession et se choisit autoritairement un successeur au trône de Bohême : n’ayant pas de fils, il désigne un catholique intransigeant, Ferdinand de Styrie, son cousin, ancien élève des jésuites d’Ingolstadt. En proposant la candidature de Ferdinand à la diète de Bohême, Mathias remet fondamentalement en question le fragile équilibre confessionnel de la couronne élective. Il n’en reste pas moins que Ferdinand de Styrie est élu et couronné à Prague le 19 juin 1617.
À peine désigné, le nouveau souverain met tout en oeuvre pour ramener les sujets de tous ses États à la religion catholique. Il incite même Mathias à bafouer les droits religieux des protestants de Bohême. Au début de l’année 1618, la destruction d’un temple, ordonnée par l’archevêque de Prague, pousse les Défenseurs de la foi à convoquer une diète, interdite par Mathias. Les événements se précipitent alors.
Le 23 mai, au château de Prague, une délégation protestante croise quatre représentants du roi. Une altercation se produit : les premiers rendent les seconds responsables du refus opposé aux Défenseurs de la foi. Deux serviteurs de Ferdinand, les comtes Martinic et Slavata, ainsi que leur secrétaire Fabricius, sont défenestrés et ne sont sauvés que par un tas de fumier.
Les hostilités sont déclarées : les rebelles jugent que le roi est trompé par ses conseillers, et se soulèvent par loyalisme envers lui. La politique centralisatrice de Vienne n’est en fait plus acceptable dans la mesure où les droits des protestants de Bohême sont quotidiennement bafoués. Un gouvernement provisoire, composé de 36 directeurs, est mis sur pied ; une armée est organisée. Ainsi débute la guerre de Trente Ans. Moins d’un an plus tard, le 20 mars 1619, Mathias décède. La noblesse protestante conteste aussitôt l’élection et le couronnement de Ferdinand de Styrie. Sa déchéance, puis la vacance du trône de Bohême, sont prononcées. Le 27 août, les états du pays élisent l’électeur palatin Frédéric V en lieu et place du Habsbourg. Presque simultanément, Ferdinand se voit décerner la couronne impériale par le conseil électoral réuni à Francfort. L’élection se fait à l’unanimité, le représentant de Frédéric V essayant ainsi de ménager Ferdinand de Styrie par rapport aux états de Bohême.
Dans les mois qui suivent, le nouvel empereur prépare la reconquête du trône qu’il a perdu et se ménage des appuis au cas où le recours aux armes serait nécessaire. En décembre 1619, Louis XIII, excédé par les soucis que lui causent les huguenots du royaume, lui promet une aide militaire contre les protestants de Bohême. Mais le roi très chrétien a une autre priorité : faire face aux dissensions internes du royaume, qui prennent une ampleur inquiétante et auxquelles il doit remédier le plus rapidement et le plus fermement possible.
Les huguenots du Béarn, de La Rochelle et de Montauban
Après l’entrevue de Brissac, en effet, Louis XIII est contraint de se rendre en Béarn pour y faire appliquer les récents édits prévoyant la restitution à l’Église catholique des biens et droits confisqués par Jeanne d’Albret. La résistance des pasteurs et leur mauvaise volonté à exécuter les décisions du gouvernement irritent d’autant plus le souverain qu’un commissaire envoyé à Pau pour régler l’affaire ne parvient à aucun résultat. Si le roi est décidé à faire respecter son autorité, son entourage est lui divisé sur l’attitude à adopter, rendant le souverain hésitant. Luynes et les ministres qui ont servi Henri IV prônent la modération ; les grands prélats, au contraire, comme le cardinal du Perron, le père Joseph, le père Arnoux, ou Richelieu, préconisent une intervention armée. Pour eux, le roi se doit de défendre la liberté de culte des catholiques béarnais. S’il ne s’agissait de l’autorité monarchique, Louis XIII inclinerait volontiers à la tolérance et à l’indulgence, en raison de la fidélité dont les protestants l’ont gratifié et de la mémoire familiale.
Le 19 septembre 1620, la cour arrive à Bordeaux, puis prend le chemin des Pyrénées. Luynes refuse de suivre. À la mi-octobre, Louis XIII peut faire son entrée à Pau. Tandis que les soldats du roi pillent le pays, les protestants sont exclus du conseil souverain de la vicomté de Béarn. L’évêque de Lescar devient président des états. Le culte catholique est rétabli ; les gouverneurs qui n’ont pas obéi sont destitués. Le Béarn et la Navarre sont définitivement réunis à la couronne. Si l’intervention royale dans les Pyrénées s’avère facile, la question protestante ne tarde pas à rebondir.
Dès le mois de décembre, une assemblée de protestants se réunit à La Rochelle, sans autorisation. Elle décide de se doter d’une organisation militaire. Le risque de division du royaume est d’autant plus grave que l’assemblée sollicite l’aide de l’Angleterre, de la Hollande et des princes protestants allemands de l’Union évangélique. De surcroît, les huguenots réclament l’annulation des mesures prises en Béarn. Louis XIII, ne pouvant accepter une initiative aussi dangereuse, réplique en déclarant coupables de lèse-majesté les députés de La Rochelle. Au mois de février 1621, la rupture est consommée : les huguenots s’emparent de Privas.
Le roi ne peut en tolérer davantage sans intervenir et décide d’aller en personne châtier les rebelles. Luynes, qui accède alors à la connétablie, prend la tête des armées royales. Le maréchal de Lesdiguières, protestant mais loyal, doit le seconder. Richelieu exhorte Marie de Médicis à aller soutenir son fils, qui se méfie encore. Il confie au duc de Montbazon le commandement de Paris et de l’Île-de-France avant de partir pour Saumur. Le duc d’Épernon est, quant à lui, dépêché en éclaireur en Béarn pour soumettre définitivement la province. Les villes n’opposent quasiment aucune résistance. L’assemblée de La Rochelle, de son côté, n’en divise pas moins la France protestante en huit circonscriptions militaires. Chacun de ces cercles est placé sous l’autorité d’un gouverneur. Les huguenots se dotent d’une armée, placée sous les ordres de Soubise, qui tient la place de Saint-Jean-d’Angély. Les deniers royaux sont saisis. Tous les protestants n’adhèrent cependant pas au projet : le duc de Bouillon et le duc de Sully se tiennent sur la réserve, tout comme les conseils de ville et la noblesse seconde. En arrivant à Saumur le 14 mai, Louis XIII déclenche l’enthousiasme de la population. Le même jour, Luynes entame le siège de Saint-Jean-d’Angély. Plusieurs villes du Poitou, et non des moindres, choisissent de faire allégeance au roi : Fontenay-le-Comte, Saint-Maixent, Maillezais, Marans et Niort. Dans l’Orléanais, l’armée du souverain prend le contrôle de Jargeau et de Sancerre. En Bretagne, Vitré assure sa fidélité à Louis XIII. Les huguenots sont rapidement désarmés. Le 24 juin, Soubise capitule. Le roi lui accorde son pardon contre la promesse de ne plus prendre les armes.
Le gouvernement souhaiterait s’en tenir là, car l’horizon international s’assombrit dangereusement. Mais Louis XIII, sans doute blessé dans sa dignité souveraine, est décidé à donner une leçon aux rebelles. Marie de Médicis n’est pas, non plus, favorable à l’acharnement et retourne à Tours, cette fois en accord total avec Richelieu. Le roi, quant à lui, poursuit son offensive en direction du sud. Autant la campagne avait bien commencé, autant elle se termine mal.
Non seulement Luynes est un piètre commandant, mais le duc d’Épernon ne reçoit pas de forces suffisantes pour le blocus de La Rochelle, et le contingent principal de l’armée royale est trop peu nombreux pour mener à bien le siège de Montauban entrepris à partir de la mi-août. Coup du sort, les intempéries s’abattent sur les soldats de Louis XIII, et au cours de l’automne 1621, Luynes accumule les erreurs stratégiques et les maladresses les plus grossières.
Le duc du Maine, qui commande une partie des troupes royales, trouve la mort le 17 septembre en faisant visiter au duc de Guise les tranchées creusées autour de Montauban. En dépit des clauses du traité d’Angers, le favori s’empresse de déclarer qu’il s’agit du juste châtiment infligé à un dangereux factieux. Une délégation du parlement de Bordeaux se rend auprès du roi et lui réclame un nouveau gouverneur de Guyenne de valeur équivalant à celle du défunt. La province peut ainsi se permettre de rejeter par avance la nomination prévisible du duc de Chaulnes, frère de Luynes.
La mort du duc du Maine a une autre conséquence. Sitôt la nouvelle de son décès connue à Paris, des émeutes éclatent. La foule attribue le décès à un coup de feu tiré par un protestant du haut des murailles de Montauban. Elle brûle le temple de Charenton. Un incendie ravage également le Pont-marchand et le Pont-au-Change : les huguenots sont accusés du sinistre.
Le maréchal de Lesdiguières fait également les frais des suspicions et des jalousies du favori. Pressenti par l’assemblée de La Rochelle pour diriger le cercle protestant du Dauphiné, l’homme de guerre est avant tout un excellent soldat, dévoué au roi. Sa seule faute est de vouloir tenir Luynes éloigné des opérations. Sous prétexte de troubles, Lesdiguières est renvoyé dans son gouvernement.
À La Rochelle, la situation n’est guère plus brillante pour Louis XIII. Deux de ses vaisseaux sont capturés par les habitants, en même temps que des dizaines de navires marchands. Deux autres navires armés par le duc de Nevers en vue de sa croisade, et mis à la disposition du roi, s’échouent près du port. Les Rochelais s’en emparent.
Impuissant face à la dégradation de la situation, Luynes, malgré l’opposition du souverain, décide de négocier avec les insurgés de Montauban et de solliciter la médiation de l’ambassadeur d’Angleterre, lord Hay. Louis XIII est humilié par le procédé et ne peut plus faire confiance à celui qu’il s’est choisi à la fois pour ami et pour connétable. Luynes garde cependant encore suffisamment de pouvoir pour évincer le père Arnoux et lui retirer la charge de confesseur du roi. Le 8 octobre, il rencontre le duc de Rohan. Les négociations s’avèrent impossibles. Un mois plus tard, la déconfiture est totale. L’armée royale lève le siège de Montauban. Louis XIII préfère se diriger vers Toulouse. Luynes, atteint de fièvre pourpre, trouve une mort prématurée le 14 décembre, au soulagement général.
Richelieu contre Luynes
Après la signature du traité d’Angers, Richelieu et Luynes n’ont trouvé d’éphémères accords que poussés par la nécessité politique. Le favori ne parvient pas à taire la défiance qui l’anime. Malgré les engagements souscrits par le roi, il tente encore tout ce qui est en son pouvoir pour empêcher la nomination de l’évêque de Luçon au cardinalat. Il convoque le nonce apostolique, Bentivoglio, et n’hésite pas à lui déclarer que le roi souhaite empêcher la nomination par le Saint-Siège ! La proposition faite de l’évêque de Luçon pour le chapeau de cardinal ne serait que de pure forme. Le représentant du pape doute d’autant plus volontiers de la légitimité de la candidature de Richelieu que Puisieux lui tient le même discours. À titre personnel, Bentivoglio estime d’ailleurs l’attitude de la reine mère inacceptable et les ambitions de l’évêque de Luçon excessivement dangereuses.
Au mois de novembre 1620, Luynes dépêche à Rome M. de Marsillac, d’une part afin de remercier Paul V des félicitations adressées à Louis XIII pour son intervention en Béarn, d’autre part pour remettre au souverain pontife une lettre confidentielle. Luynes y insiste pour que Richelieu n’obtienne pas le cardinalat. C’est dans ces circonstances qu’est célébré le mariage d’Antoine de Combalet et de Marie de Pont-Courlay. Le favori de Louis XIII se perd alors en contradictions : il écrit à Marsillac de ne plus faire obstacle à la promotion de l’évêque de Luçon, puis refusant toute explication à Bentivoglio, il se borne à lui adresser Puisieux et le duc de Montbazon pour répéter l’opposition du gouvernement à la nomination de Richelieu.
À Rome, l’administration pontificale ne sait évidemment plus à quel saint se vouer ! Richelieu, quant à lui, semble informé des tractations en cours. Pour défendre sa cause, il envoie à son tour à la Curie un de ses amis, l’évêque d’Orléans. Le 11 janvier 1621, la promotion au cardinalat est rendue publique. Conformément à la demande de Louis XIII expédiée deux ans plus tôt, l’archevêque de Toulouse est inscrit sur la liste, tout comme Bentivoglio. La duplicité de Luynes ne fait plus aucun doute.
Profitant des troubles confessionnels qui agitent le royaume, Richelieu contre-attaque en mettant tout en oeuvre pour discréditer le gouvernement du favori. L’évêque de Luçon mobilise d’abord la reine mère : Marie de Médicis réclame son retour au Conseil et exprime son inquiétude face aux problèmes religieux auxquels son fils doit faire face. Prônant la modération et la prudence en politique intérieure, elle dénonce avec habileté l’immobilisme de la politique extérieure pratiquée par le gouvernement. Richelieu organise aussi une violente campagne de pamphlets contre le favori ; l’opinion publique est inondée des libelles les plus critiques.
L’échec de Louis XIII devant Montauban semble donner raison à l’évêque de Luçon et la mort de Luynes déstabilise l’équilibre émotionnel fragile du souverain. Louis de Marillac est dépêché auprès de lui pour évaluer son état d’esprit. Indice de bon augure : le meilleur accueil lui est réservé. À cet instant, Louis XIII se trouve encore parmi ses troupes, et déclare même son impatience de regagner Paris pour y retrouver sa mère.
Pour Richelieu subsiste une difficulté de taille : les ambitions du prince de Condé, de Sillery et de Puisieux. Le prélat n’a qu’un but, le retour au pouvoir. La confiance de Louis XIII reste à gagner. La seule véritable alliée dont il dispose est Marie de Médicis, aux ambitions à la mesure des siennes. Richelieu est fermement décidé à ne pas se séparer de la veuve d’Henri IV. Dans l’immédiat, il sait qu’il doit faire preuve de patience et dissimuler ses objectifs trop personnels. Les péripéties de la première phase de la guerre de Trente Ans lui apportent alors matière à réflexion. Les événements le conduisent à élaborer un vaste projet de politique étrangère à la gloire de l’État et de la monarchie Bourbon, alors même que la voie prise par Luynes achève de mener la France et son roi au désastre diplomatique le plus complet.
La bataille de la Montagne Blanche
Ferdinand II, au lendemain de son accession à l’Empire, entre en lutte contre les Tchèques et contre l’électeur palatin. Sur les conseils de l’ambassadeur d’Espagne à Vienne, Oñate, il a l’habileté de promettre au duc Maximilien de Bavière la dignité électorale détenue jusque-là par Frédéric V. Il se ménage de plus le soutien de son cousin, Philippe III d’Espagne, celui, plus inattendu, de l’électeur de Saxe, un des princes protestants d’Allemagne les plus puissants et les plus influents, et celui du roi de Pologne, Sigismond. Du côté de l’électeur palatin s’assemblent les Provinces-Unies et la Hongrie, qui vient elle-même d’élire pour roi un membre de sa noblesse, Bethlem Gabor. Rapidement, Frédéric V et les états de Bohême se trouvent isolés et en position d’infériorité par rapport à Ferdinand II. Madrid voit en effet approcher l’expiration de la Trêve de Douze ans conclue avec les Provinces-Unies en 1609. Les choix respectifs des Espagnols et des Hollandais en ce qui concerne la Bohême reflètent l’inquiétante échéance. Philippe III est persuadé que le renforcement de la position de la dynastie Habsbourg en Allemagne est la condition nécessaire au renforcement de la position de Madrid face aux Provinces-Unies. Le roi catholique se doit de contrôler les voies d’acheminement de ses troupes du Milanais à la Hollande. En janvier 1620, il lève une armée de vingt mille hommes pour occuper les possessions rhénanes de Frédéric V. Les troupes sont confiées au commandement d’un excellent stratège, le Génois Ambroise Spinola.
En France, Puisieux parvient à convaincre Louis XIII de substituer à l’aide militaire promise à Ferdinand II une offre de médiation. L’Angleterre s’engage dans la même voie, Frédéric V ayant épousé la fille de Jacques ier. Sur les recommandations du père Joseph, une mission extraordinaire est envoyée à Ulm pour limiter le conflit à la Bohême. Le 3 juillet 1620, un traité est signé. Pour le duc d’Angoulême, qui dirige la délégation française, il ne s’agit que de la première étape d’un plan de paix plus vaste qui doit inclure le royaume dissident. En vertu des accords conclus à Ulm, luthériens et catholiques se promettent mutuellement de pacifier tous les territoires composant le Saint Empire. Ferdinand II neutralise ainsi une partie de l’opposition religieuse qui minait son autorité. Il peut surtout retourner ses forces contre Frédéric V et les calvinistes, et profiter pleinement de la division des protestants. L’intervention française autorise l’empereur à dégarnir ses frontières occidentales et à concentrer ses forces en Bohême. Toute discussion est désormais inutile : la diplomatie française n’a plus voix au chapitre. La France subit là un échec cuisant, au grand dam de Louis XIII.
Entre le mois d’août et le mois de novembre 1620, les troupes de Spinola conquièrent sans difficulté la quasi-totalité du Palatinat rhénan. Simultanément, une grande armée catholique se rassemble en Autriche. Placée sous les ordres du duc de Bavière, assisté du général brabançon Tilly, elle regroupe des Espagnols, des Allemands de la ligue formée par les principautés catholiques de l’Empire, des Wallons et des Flamands. Les troupes catholiques foncent sur Prague. Le 8 novembre, les soldats de Frédéric V et de ses alliés sont écrasés à la bataille de la Montagne Blanche. L’électeur palatin prend la fuite : il perd non seulement la Bohême mais aussi ses possessions héréditaires, et est mis au ban de l’Empire. Ses territoires sont saisis, sa couronne est confisquée. Les responsables de la défenestration de Prague sont jugés et lourdement condamnés. Les révoltés protestants perdent toutes libertés. Les jésuites peuvent mettre en oeuvre la reconquête religieuse de la Bohême. Le Palatin perd enfin sa dignité électorale, sans même pouvoir se défendre. Le 25 février 1623, toutes ses prérogatives sont offertes au duc de Bavière, en remerciement de son aide militaire. La Hongrie est également reconquise par Ferdinand II : Bethlem Gabor capitule en 1622.
Face à l’empereur et à ses alliés, les princes protestants d’Allemagne sont plus divisés que jamais. Le sort réservé à la Bohême et à l’électeur palatin ne peut que les inciter à la prudence. De surcroît, Ferdinand II accorde des avantages territoriaux considérables à l’électeur de Saxe. Au mois de mai 1621, le pacte de l’Union évangélique n’est pas renouvelé. Contrairement à Henri IV, et dans le contexte du siège de Montauban, Louis XIII lui refuse d’ailleurs tout soutien.
Par ailleurs et dès 1621, la guerre entre l’Espagne et les Provinces-Unies reprend. Pour Madrid, la Hollande représente un danger réel de concurrence coloniale et commerciale. Mais Philippe III est bien décidé à profiter d’une situation qui lui est nettement favorable, puisque l’occupation du Bas-Palatinat facilite le déplacement des tercios, terreur des protestants. Au mois de juillet, le gouverneur des Pays-Bas espagnols décède. Sa veuve, l’infante Isabelle-Claire-Eugénie, demeure gouvernante de la province, sous le contrôle de plus en plus étroit du roi catholique. Lorsque Philippe IV hérite de la situation, il place à la tête de son gouvernement le comte-duc Olivarès, un autre favori à l’importance capitale en ces premières décennies du xviie siècle. Tous deux disposent des moyens nécessaires à la mise en oeuvre d’une politique internationale énergique, fondée sur la défense de la foi catholique et le rapprochement avec les Habsbourg de Vienne. La France semble s’en tenir à la neutralité et le roi d’Angleterre ne souhaite que la paix.
La Valteline
Malgré les victoires qui s’ajoutent les unes aux autres en Flandres et en Bohême, les communications entre les deux branches de la dynastie fondée par Charles Quint restent tributaires du passage par la Valteline. L’importance de la vallée de l’Adda pour les Habsbourg est apparue en 1601 lors de l’annexion de la Bresse et du Bugey par Henri IV. Depuis cette date, les troupes espagnoles ne peuvent plus aller d’Italie aux Pays-Bas en traversant la Savoie, puis la Franche-Comté et la Lorraine. Elles doivent passer par la Valteline. La vallée est la seule route sûre entre le Milanais et le Tyrol. Au sortir des Alpes, les tercios peuvent descendre le Rhin par la rive droite, passer par Brisach, par la Haute-Alsace, puis par la Lorraine jusqu’aux Pays-Bas. Après la victoire de la Montagne Blanche, deux autres alternatives s’offrent aussi au roi Philippe IV et à Olivarès : faire passer leurs troupes plus au sud par Philippsbourg ; les faire passer plus au nord par Coblence et Ehrenbreitstein, puis par le Bas-Palatinat.
Au mois de juillet 1620, les catholiques de la Valteline se plaignent d’être malmenés par leurs seigneurs protestants. Philippe III saisit le prétexte pour intervenir et tenter de renforcer ses positions dans la région, tout en profitant de l’affaiblissement de Louis XIII. Ordre est donné au duc de Feria, gouverneur de Milan, d’occuper le passage afin d’aider et de protéger la population contre les Grisons. Quatre forts sont construits dans la vallée par les occupants. Aucun cas n’est fait de la légitime autorité des Ligues grises. La loi du plus fort l’emporte sur le droit féodal. Ce n’est qu’à la dernière extrémité que, pris de scrupules, le roi catholique fait jurer à son fils de rendre la Valteline aux Grisons.
La France, grâce aux accords conclus avec ces derniers, a su se ménager une voie de passage exclusive par les Alpes vers les principautés italiennes qui lui sont traditionnellement alliées, que ce soient Venise, Mantoue ou Ferrare, en évitant le danger du Piémont et du Milanais. Comme l’Espagne, elle continue à recruter dans cette zone des mercenaires dont elle apprécie la combativité. À ces enjeux politiques s’ajoutent des enjeux religieux qui rendent plus âpres les combats pour le contrôle des points d’accès. Tributaire des accords passés par Henri IV, Louis XIII se résout à demander conseil à sa mère sur la conduite à adopter en Valteline. Face à la gravité des événements et à l’ampleur des enjeux, Marie de Médicis est de retour au gouvernement. Elle obtient voix consultative au Conseil. Richelieu tient déjà prêt l’avis qu’elle dispense à son fils : la France a deux impératifs dans cette affaire, d’une part faire respecter les traités signés dans les toutes premières années du xviie siècle, d’autre part éviter l’encerclement par les Habsbourg.
Le cardinal a tiré les enseignements de la phase palatine de la guerre de Trente Ans. Les territoires de Frédéric V confisqués et offerts au duc de Bavière sont peu éloignés des frontières françaises. Ferdinand II est suzerain d’une partie des principautés indépendantes qui longent la route des Flandres, tandis que Philippe IV d’Espagne est souverain de l’autre partie. Les Habsbourg ne cessent d’étendre leur domination en Europe. Richelieu se forge une vive conscience de cet état de fait. Louis XIII, en comparaison, paraît dépassé par des querelles intestines qui monopolisent énergie et crédits. Mais il a la sagesse de tenir compte de l’avis exprimé par Marie de Médicis et par son conseiller. Il convainc Philippe IV de négocier. Le 25 avril 1621, est signé le traité de Madrid : les Grisons sont rétablis dans la suzeraineté de la Valteline ; les Espagnols s’engagent à évacuer les positions dont ils se sont emparés et obtiennent en échange des garanties concernant l’exercice du culte catholique.
Sur le terrain, l’application des accords est une tout autre affaire. Le duc de Feria poursuit sans vergogne l’occupation de la Valteline. Dès la fin de l’été, les Grisons reprennent les armes. Battus par les Espagnols, ils sont contraints de se défendre sur leurs propres terres. La supériorité militaire écrasante du gouverneur de Milan abrège les combats. En janvier 1622, les Ligues grises doivent accepter de nouvelles conditions de paix, beaucoup moins favorables que les précédentes : le traité de Milan annule purement et simplement les dispositions du traité de Madrid. Les Grisons renoncent à la suzeraineté sur la Valteline, dont le protestantisme est banni. Ils s’obligent à une alliance avec le roi catholique.
Pour la seconde fois, la diplomatie française subit une véritable humiliation. Grégoire XV lui-même, souverain pontife récemment désigné, craint que le prestige de Louis XIII ne soit à jamais terni et que les Habsbourg ne parviennent à imposer à l’Europe entière leur hégémonie. Le roi très chrétien, dans l’immédiat, est dans l’incapacité de redresser la position de la France au plan international.
Le cardinalat, le traité de Paris, encore la Valteline,
la Hollande et le Saint Empire !
Après l’échec des armées royales devant Montauban, les protestants s’agitent de plus belle. Encouragé par Condé, Louis XIII ne pense qu’à se venger. Contre toute attente, Marie de Médicis, toujours à la suggestion de Richelieu, préconise d’ajourner la lutte contre les huguenots. Il lui paraît plus urgent de contraindre les Espagnols à respecter les engagements pris lors du traité de Madrid : la France, en proie aux guerres civiles, pourrait perdre tout prestige et toute autorité aux yeux de Philippe IV. Mais aucun argument n’efface l’humiliation infligée à Montauban une nouvelle expédition dans le Midi est décidée.
Le roi repart en campagne en mars 1622. Sa mère l’accompagne. Elle tient à être présente aux côtés de son fils dans l’espoir de l’influencer, mais reste finalement à Nantes. Courant juin, Louis XIII s’empare de Nègrepelisse, de Tonneins, puis se rend en Languedoc. Les protestants ont rassemblé leurs forces à Montpellier, le duc de Rohan à leur tête. Des négociations s’engagent et aboutissent, le 18 octobre, à la signature d’un accord : l’édit de Nantes est renouvelé, l’interdiction des assemblées politiques est réitérée, les protestants ne conservent que deux places fortes, La Rochelle et Montauban. En contrepartie, les chefs du parti huguenot sont grassement indemnisés. Les assemblées protestantes à caractère politique sont interdites, mais les synodes et les réunions ecclésiastiques sont permis, sans autorisation préalable. Les actes de guerre commis en 1621-1622 font l’objet d’une amnistie. Les constitutions et franchises des cités révoltées sont maintenues. Le duc de Rohan est nommé gouverneur des trois villes de Castres, Nîmes et Uzès. Une compensation financière importante lui est accordée pour les gouvernements de Poitou et de Saint-Jean-d’Angély qui lui sont retirés. Dans l’entourage de la famille royale, les catholiques les plus zélés, qui forment autour de Bérulle le parti dévot, parlent d’une paix honteuse.
Richelieu, même si son avis n’a pas été suivi, ne peut que se féliciter, car il voit enfin ses ambitions, ses efforts et sa contribution aux affaires d’État récompensés. Le roi est intervenu auprès du pape : le 5 septembre, la promotion de l’évêque de Luçon au cardinalat est officielle. Sans perdre une minute, le prélat rejoint Louis XIII à Tarascon. Il est urgent de redorer le blason de la royauté. La cour n’a pas le loisir de s’attarder. Elle se rend à Avignon où arrivent à leur tour le duc de Savoie, inquiet des progrès réalisés par les Espagnols, l’ambassadeur de Venise et le maréchal de Lesdiguières, promu connétable à l’occasion de sa conversion au catholicisme. La Valteline est à l’ordre du jour.
Louis XIII préfère ne rien décider dans l’immédiat. Il se rend à Lyon où Marie de Médicis se déclare favorable à une expédition. C’est là que le roi remet le chapeau de cardinal à Richelieu, qui a aussi été élu proviseur de la Sorbonne[3]. À cette date, l’homme fort du gouvernement reste Sillery, qui s’entête à tenir le prélat le plus loin possible du gouvernement. Louis XIII se méfie d’ailleurs toujours. Et pour ne rien arranger, Richelieu est malade. Il souffre de terribles migraines et de douloureuses rétentions d’urine. Les malveillances, les incessants conflits d’intérêts, les ambitions contrariées et contradictoires rendent la lutte pour le pouvoir et pour le bien de la royauté épuisante. Lui qui vient d’être promu cardinal ne peut agir qu’en sous-main. Il compte sur les erreurs commises, qu’il faut réparer, sur l’opinion publique, dont il sait qu’elle est malléable, et sur ses amis.
Au mois de janvier 1623, Louis XIII effectue un retour triomphal à Paris. Quelques semaines plus tard, il adhère enfin à la ligue offensive et défensive d’Avignon ayant pour objectif la restitution de la Valteline aux Grisons. La France, la Savoie et la république de Venise unissent leurs forces, mais l’alliance est aussi ouverte au pape, à la Confédération suisse, à l’Angleterre et aux princes d’Allemagne et d’Italie. Les coalisés prévoient le rassemblement d’une armée de quarante-cinq mille hommes. Le traité formel est signé à Paris en présence du connétable de Lesdiguières, de Sillery et de Puisieux. Les ministres du roi sont pourtant dans leur majorité hostiles à la prise d’armes. Le frère de Sillery, ambassadeur à Rome, suggère habilement au pape d’offrir sa médiation. Le souverain pontife accepte. Il est prévu que les forts espagnols et autrichiens construits sur les territoires des Grisons soient confiés à la garde des troupes pontificales.
Les partenaires de la France se sentent aussitôt trahis. Louis XIII se déconsidère aux yeux des princes protestants comme aux yeux des chefs d’État catholiques. Au quotidien, le roi semble d’ailleurs se désintéresser des affaires d’État et ne trouver goût qu’à la fauconnerie. La réalité est que le couple royal est en crise depuis 1622. Anne d’Autriche a fait deux fausses couches, la seconde due à une chute stupide. Le souverain reproche à son épouse sa frivolité et sa légèreté. Tenant l’entourage de la reine responsable de ce qui est arrivé, Louis XIII congédie tout le monde. Malgré sa colère, Anne d’Autriche doit s’incliner. La mésentente s’installe dans la durée, d’autant plus inquiétante que la succession au trône, faute d’héritier mâle issu du mariage espagnol, est loin d’être assurée, et que le prétendant à la couronne demeure le frère cadet du roi, Gaston, duc d’Anjou. Profitant de la fragilité psychologique et familiale de leur souverain, Sillery et Puisieux prennent chaque jour davantage d’initiatives. Ils réussissent à évincer le comte de Schomberg de la surintendance des finances et à lui substituer le marquis de La Vieuville. L’accaparement du pouvoir par le clan Sillery-Puisieux déclenche bientôt une grave crise gouvernementale.
À la fin de l’année 1623, La Vieuville entreprend la chasse aux dépenses inutiles et découvre d’importants détournements de fonds. Les registres d’État attestent du versement de pensions qui n’arrivent jamais à leurs bénéficiaires initiaux ; le Trésor paie des soldes et des équipements militaires fictifs. Or il apparaît que les bénéficiaires du système ne sont autres que Sillery et Puisieux. La Vieuville ne doit sa promotion qu’à ces derniers. Il leur est redevable. Mais le mal est fait, il a parlé au cours de l’enquête, avant d’en connaître le résultat. Il ne peut plus reculer. Le 1er janvier 1624, il dévoile tout au roi. Sillery et Puisieux sont chassés. La Vieuville devient principal ministre. Un nouveau gouvernement est formé : les sceaux sont attribués à Étienne d’Aligre ; les Affaires étrangères, briguées par Richelieu, sont partagées entre quatre secrétaires d’État, et la reine mère, furieuse de voir son protégé écarté, quitte le gouvernement.
Or la question de la Valteline prend un tour très inquiétant. Les Espagnols tardent à évacuer les places fortes qu’ils étaient censés remettre au pape. La France adresse ses protestations à Grégoire XV, qui rétorque subordonner son arbitrage à la conversion des Grisons au catholicisme, et pérennise ainsi les annexions opérées par l’Espagne et par l’Autriche.
Sur le front des Provinces-Unies, l’impression n’est guère meilleure. Les Hollandais se déchirent en luttes confessionnelles. Les partisans d’une prédestination absolue, les gomaristes, s’opposent aux arminiens, plus modérés, qui soutiennent que Dieu n’a pas voulu la chute d’Adam. En 1618, le synode de Dordrecht a permis aux gomaristes d’imposer leur point de vue dogmatique. Mais les différends religieux se doublent de problèmes politiques. Deux hommes se disputent le pouvoir. Oldenbarnevelt, grand pensionnaire de Hollande, l’un des fondateurs de la république des Provinces-Unies, est arminien. Il est le guide de l’État né de la scission avec les Pays-Bas espagnols. Face à lui, Maurice de Nassau, représentant de la maison d’Orange, son adversaire, est gomariste. Ce dernier occupe les fonctions d’amiral et de stathouder de la République. Il en est le chef militaire. Profitant des moyens coercitifs à sa disposition, Maurice de Nassau est parvenu à faire arrêter Oldenbarnevelt lors du synode de Dordrecht et à le faire condamner à mort.
En 1623, alors que Spinola vient d’entreprendre le siège de Breda, une ambassade extraordinaire dépêchée par Maurice de Nassau arrive à Paris pour solliciter des subsides de la France. Elle formule également son désir d’enrôler des gentilshommes français sous la bannière hollandaise pour combattre l’Espagne. Au même moment, un mercenaire allemand, le comte Ernest de Mansfeld, au service des princes protestants depuis 1610, offre ses services à Louis XIII, avec une armée privée de vingt mille hommes prêts à secourir les assiégés de Breda.
Dans le Saint Empire, l’année 1623 est celle d’une importante évolution. Jusqu’à cette date, les princes allemands se montrent en réalité assez peu préoccupés des initiatives et des victoires de Ferdinand II. La plupart préfèrent se consacrer à la conquête des évêchés. Le concordat germanique en vigueur dans le Saint Empire depuis 1448 prévoit la collation aux bénéfices épiscopaux par le système de l’élection. Le chapitre de chaque église cathédrale peut désigner un évêque, qui n’a pas forcément à recevoir l’investiture spirituelle. Il n’est alors que l’administrateur du diocèse, mais peut disposer des revenus de son temporel. Le système permet aux grandes familles aristocratiques allemandes, qu’elles soient catholiques ou protestantes, de placer leurs cadets et de s’enrichir considérablement.


Ferdinand II mesure mal les intérêts en jeu. Après la soumission de la Bohême, les princes protestants demeurent relativement passifs. Mais les jésuites exhortent l’empereur à mener plus avant la reconquête catholique. Il interdit donc l’implantation de calvinistes ou de luthériens dans certains évêchés. Tandis que Bethlem Gabor reprend les armes au cours de l’hiver 1623-1624, et que les émigrés tchèques relèvent la tête, les princes protestants, menacés dans leurs intérêts financiers, s’organisent contre leur suzerain. L’empereur abuse désormais clairement de son pouvoir. Les puissances du nord et de l’ouest de l’Allemagne se sentant menacées par la maison d’Autriche, naît une volonté commune de rabaisser l’Empire et de refouler l’Espagne en deçà des Pyrénées.


Pour le gouvernement au service de Louis XIII, les affaires internationales prennent une proportion à laquelle il devient tous les jours de plus en plus difficile de faire face : la Valteline, la guerre en Hollande, la guerre en Allemagne, auxquelles s’ajoute encore l’Angleterre.
Contre toute logique religieuse, malgré les projets matrimoniaux envisagés avec Henri IV, mais conformément à sa volonté de paix, Jacques ier déclare son intention d’unir le prince de Galles, futur Charles ier, à une infante espagnole. Le prétendant à la couronne d’Angleterre et d’Écosse se rend même incognito à Madrid avec son favori, le duc de Buckingham, pour accélérer les négociations. Le projet d’union anglo-espagnole n’aboutit cependant pas, le procédé employé par l’héritier de la couronne britannique et par son compagnon étant fort peu apprécié. Même si Philippe IV aimerait contrebalancer l’autorité acquise par Maximilien de Bavière et se rapprocher du Palatin, gendre de Jacques ier, une alliance avec l’Angleterre est fondamentalement contradictoire avec les principes de gouvernement du souverain catholique le plus intransigeant qui soit.
La Vieuville est débordé par la situation. Les affaires extérieures et diplomatiques ont pris un volume trop important et une gravité à laquelle il est incapable de faire face. Il multiplie les missions inutiles. Alors que le siège de Breda bat son plein, il presse les princes allemands d’adhérer à la ligue d’Avignon pour rétablir les Grisons dans leur bon droit. Conscient de sa maladresse, de son isolement et de son manque de tact en matière diplomatique, il se tourne vers Marie de Médicis pour la prier de revenir au Conseil. La reine mère met un prix à son retour : l’entrée de Richelieu au gouvernement.
Dans un premier temps, La Vieuville tergiverse. Il propose de créer un conseil des Dépêches, dont la direction, sans réels pouvoirs, serait attribuée au prélat. Richelieu déjoue le stratagème et, prétextant la faiblesse de son état de santé, il décline l’offre qui lui est faite. Ce n’est que de guerre lasse que La Vieuville, conscient de ses lacunes, finit par accepter l’association du prélat aux affaires, avec voix consultative uniquement.
Malgré les rancunes, le cardinal se sait en position plus favorable. Le roi doute de La Vieuville et consulte de plus en plus souvent sa mère. À la fin du mois d’avril 1624, Louis XIII et le cardinal ont une entrevue secrète à Compiègne, au cours de laquelle le monarque demande au conseiller de sa mère de devenir le sien. En contrepartie, le prélat réclame toutes les attributions liées à son rang et à sa dignité ecclésiastique. Le roi accepte à deux conditions : qu’il ne s’occupe ni de la justice ni des finances. Richelieu peut s’incliner : il a partie gagnée. Le 29, à la surprise générale, il fait son entrée au Conseil, derrière le roi.
Le souverain connaît l’habileté du prélat, il a besoin de lui. Le cardinal s’est montré capable d’affronter vents et marées politiques pour atteindre son but. Avant lui, son père a utilisé sa charge de grand prévôt de France pour interférer dans les affaires financières du royaume. Richelieu s’est constitué un vaste réseau de fidélités dans l’Église comme dans le parti dévot. Il est trop pragmatique pour ne pas utiliser ses collègues évêques ou cardinaux, ses clients et ses amis. Louis XIII le sait. Il veut certes éviter que ne se reproduisent un cas d’enrichissement personnel frauduleux et tout risque de mainmise sur l’appareil judiciaire du royaume. C’est pourquoi Richelieu n’est autorisé qu’à donner un simple avis et se trouve exclu des affaires financières et juridiques de l’État. Mais ses attributions restent floues, à dessein. Il lui est plus interdit qu’autorisé, interdit notamment de recevoir à titre officiel des ambassadeurs chez lui et d’accorder des audiences publiques. Qu’importe, la voie du pouvoir lui est enfin ouverte !
Louis XIII est par ailleurs soucieux de gouverner en tenant compte des opinions de tous. Il tient à prévenir la dictature toujours possible d’une coterie sur une autre. Pour contrebalancer l’influence de Marie de Médicis, il demande au prince de Condé, retiré dans son gouvernement de Berry, de revenir à la cour. Monsieur le Prince refuse. Cette attitude peu conciliatrice est d’autant plus gênante pour le souverain que Condé se situe en seconde position, derrière le duc d’Anjou, dans l’ordre de la succession au trône.
Le cardinal de Richelieu, indispensable ministre
Dès son retour au gouvernement, Richelieu se rapproche du clan des Luynes et de son réseau d’influence. Le décès de l’ancien favori n’a pas entraîné la mort politique de sa famille. Son frère, Henri d’Albert, seigneur de Cadenet, devenu duc de Chaulnes en 1621, est aussi lieutenant général de Picardie, province stratégique limitrophe des Pays-Bas espagnols. Richelieu se rapproche également d’un autre clan : celui des Montmorency, qui tiennent le Languedoc.
Les affaires les plus délicates, celles d’Espagne, de Suisse, de Valteline, de Malte et du Levant, sont encore du ressort de Raymond Phélypeaux d’Herbault. À la fin du mois de mai, Louis XIII convoque les ambassadeurs de Savoie et de Venise. Pour les recevoir, Louis XIII désigne pourtant La Vieuville, Phélypeaux d’Herbault, d’Aligre, et Richelieu. Indice d’évolution : les discussions se tiennent chez ce dernier. Jusqu’en 1627, le cardinal n’intervient pas dans le courrier diplomatique officiel. Pour se tenir informé, il entretient en revanche une volumineuse correspondance privée, notamment avec les ambassadeurs. Par honnêteté, le caractère personnel de la démarche est répété, mais les missives obtenues de tous côtés sont souvent communiquées au roi. Richelieu entre en contacts épistolaires réguliers avec des chefs d’État ou des princes étrangers, avec Mansfeld par exemple, ou encore avec le jeune duc de Lorraine, Charles IV. Ce dernier accède justement à la couronne ducale en 1624 grâce à son épouse, Nicole, fille aînée et héritière du défunt duc Henri le Bon.
Richelieu utilise enfin, et peut-être surtout, des informateurs officieux, ecclésiastiques pour la plupart, comme Denis-Simon de Marquemont, archevêque de Lyon, envoyé en mission à Rome, et les capucins, agents de renseignement privilégiés, au premier rang desquels figure le père Joseph. Ce dernier le met en relation avec ses confrères les plus éminents, comme le père Alexandre, d’Alès, en Bavière ; le père Hyacinthe, de Casal, dépêché dans l’Empire ; le père Ange de Raconis, en Angleterre. Des négociants et de simples voyageurs renseignent aussi le cardinal-ministre et complètent un vaste réseau de « créatures », couvrant au fil des années non seulement la France mais bientôt l’Europe entière.
Est-ce le fruit du hasard ? À partir de juin 1624, La Vieuville doit se défendre contre une virulente campagne pamphlétaire qui l’accuse de prévarication. Tous les rivaux potentiels de Richelieu sont curieusement touchés les uns après les autres par des attaques de même nature. La Chasse aux larrons brocarde le duc de Mayenne, le duc du Lude, le maréchal de Vitry, le maréchal de Thémines et même le cardinal de La Rochefoucauld. La cabale atteint son point d’orgue lors de la parution d’une lettre ouverte à Louis XIII, La Voix publique au roi. On ne sait trop si l’auteur du libelle est Richelieu lui-même ou le chanoine Fancan, la plume la plus talentueuse que le cardinal ait mise à son service[4]. La malhonnêteté et la maladresse de La Vieuville sont dénoncées, ainsi que l’ingérence permanente dans les affaires d’État d’Étrangers aux intentions parfois douteuses, comme le nonce apostolique.


Le rappel du souvenir laissé par les Italiens survient à point nommé. Il faut dire que la politique étrangère de la France est en sérieuse difficulté. Le nouveau gouvernement est confronté à l’absolue nécessité de rétablir l’influence du roi de France auprès de ses alliés traditionnels. L’Angleterre opère à point nommé un revirement complet de stratégie en faveur du roi très chrétien : Jacques ier évoque à nouveau un projet d’union entre le prince de Galles et Henriette de France.
Richelieu est convaincu de l’importance des passages des Alpes pour la France et ulcéré du non-respect par les Espagnols de leurs engagements. Il souhaiterait restaurer l’autorité de Louis XIII aux frontières orientales du royaume et contraindre Madrid à respecter la parole donnée. Si Philippe IV et Ferdinand II parvenaient à s’emparer de la Valteline, la continuité des territoires sous domination Habsbourg serait garantie. Et les héritiers de Charles Quint contrôleraient de manière exclusive le lieu de recrutement des meilleurs mercenaires d’Europe. La Vieuville paraît trop avoir failli à sa tâche : au printemps 1624, Louis XIII offre la direction du Conseil au cardinal, avec la liberté de constituer le gouvernement de son choix. Sont proposés les noms du comte de Schomberg, pour la surintendance des finances ; de Michel de Marillac, pour les sceaux ; de Jean Bochart de Champigny, déjà contrôleur des finances. Un véritable contrat moral lie le roi et son serviteur : tous deux s’engagent à préserver la stabilité du ministère ainsi constitué. Tous deux sont animés par la même préoccupation : assurer la pérennité d’une action gouvernementale efficace. Le 13 août, La Vieuville est convoqué à Saint-Germain-en-Laye. À peine arrivé, il est arrêté par le comte de Tresmes, capitaine des gardes du corps du roi et incarcéré à Amboise.
Les premiers pas à la tête du gouvernement
À son arrivée aux plus hautes responsabilités gouvernementales, Richelieu met en oeuvre un programme politique complet, conforme aux idées et à la méthode dont il s’est depuis longtemps doté.
À l’extérieur, la priorité est réservée à la Valteline et à la reconstitution d’un réseau d’alliances sur lequel puisse compter la France. Les pourparlers avec l’Angleterre sont activés. Pour Louis XIII et son ministre, les avantages d’une telle union seraient indéniables : France et Angleterre pourraient s’allier contre l’Espagne, et les huguenots de La Rochelle perdraient leur principal soutien maritime extérieur.
Deux difficultés principales surgissent lors des négociations préalables au mariage : celle de la liberté de conscience pour les catholiques anglais que réclame Richelieu ; celle de la dispense qui doit être obtenue du pape, ce dernier subordonnant son accord à des garanties pour les catholiques équivalant à celles qui avaient été obtenues par l’Espagne. Richelieu dépêche à Rome le père de Bérulle, secondé par l’ambassadeur du roi, Philippe de Béthune, pour assurer Urbain VIII que la France est en mesure d’offrir autant que l’Espagne pour la défense de la religion catholique en Angleterre. Le chef du parti dévot est également chargé d’affaires plus générales : Richelieu conserve le souci de la réforme de l’Église de France. Il fait dire au souverain pontife que son indulgence pour certaines questions nuit à son prestige : sa tolérance à l’égard du cumul des bénéfices détenus par le prince de Condé, l’octroi d’indults à de simples évêques ou abbés, traités comme des cardinaux, pour le plus grand scandale des parlements et des cours souveraines du royaume ! Enfin, Bérulle est chargé des intérêts personnels de Richelieu, en tant qu’homme d’Église exerçant les fonctions d’homme d’État[5]. Il doit obtenir la permission, pour le cardinal-ministre, « d’opiner aux affaires de guerre et de justice, où étant question d’effusion de sang, il pourrait s’ensuivre quelque irrégularité »[6]. Richelieu est prudent et soucieux de son salut comme du respect de la hiérarchie ecclésiastique. Urbain VIII, au mois de décembre 1624, lui concède les autorisations nécessaires à l’exercice du gouvernement. Richelieu, en conscience, a besoin de toute latitude. À l’intérieur du royaume, de nombreuses réformes restent à entreprendre. Il faut d’abord régler la question des Grands. Il s’agit, sans trop réduire leurs prétentions, de ne plus les laisser agir à leur guise, au gré de leurs caprices, et d’affranchir le gouvernement de leur influence ou de leurs pressions[7].


La tâche la plus urgente définie par Richelieu est donc celle de la Valteline. La fermeté est désormais le maître mot de l’action gouvernementale et diplomatique. Annibal d’Estrées, marquis de Coeuvres, est dépêché en Suisse pour obtenir l’approbation de la Confédération helvétique concernant les termes du traité de Madrid signé en 1621. Il est également chargé de recruter quatre mille Suisses aux frais du roi et de financer le soulèvement des Grisons contre les armées étrangères qui occupent leurs territoires. En France même, une petite armée se tient prête à intervenir.
Le 25 novembre 1624, la France et les Ligues grises renouvellent leur traité d’alliance. Le lendemain, celles-ci entrent en rébellion contre les Autrichiens. Le marquis de Coeuvres peut procéder à l’occupation des forts remis à la garde des troupes pontificales sans qu’aucune résistance vienne contrarier la manoeuvre. Le Saint-Siège ne tente d’obtenir le retrait des Français que par la négociation. Le 13 janvier 1625, le nonce apostolique, représentant du pape en France, Bernardino Spada, proteste officiellement contre l’intervention française en Valteline et réclame réparation[8]. Richelieu oppose une fin de non-recevoir ; les garnisons du souverain pontife sont expulsées.
Les contingents franco-suisses arrivent rapidement au sud de la vallée, en face des retranchements espagnols. Les forces du duc de Feria sont insuffisantes. Au mois de février 1625, les Grisons sont libérés et les Espagnols sont chassés de la Valteline. L’intervention française est un franc succès : Philippe IV s’incline sans un mot. Les liens traditionnels avec Venise sont consolidés. Le duc de Savoie, avec l’appui du connétable de Lesdiguières, et en échange de subsides français, en profite pour attaquer le port de Gênes, dont dépendent les communications maritimes du roi catholique avec l’Italie du Nord.
À la même époque, l’alliance sollicitée par les Hollandais est conclue. Les Provinces-Unies reçoivent des subsides qui se montent à plus d’un million de livres, ainsi que la promesse de versements ultérieurs. En contrepartie, les Bataves s’engagent à ne pas conclure de paix avec l’Espagne sans l’accord du roi de France. Enfin, l’entente avec l’Angleterre est rétablie, et les fiançailles du prince de Galles et d’Henriette de France sont prévues au mois de mai.
Le pape est évidemment furieux. Urbain VIII a succédé à Grégoire XV au cours de l’été 1623. L’ingérence française aux portes de l’Italie et la défense des intérêts protestants sont peu au goût du souverain pontife. À la suite de l’échec de Bernardino Spada, Urbain VIII dépêche à la cour du roi de France son propre neveu et premier ministre, Francesco Barberini. Au mois de mai 1625, le légat réclame encore la restitution des forts de la Valteline aux soldats pontificaux, ainsi qu’un règlement garantissant aux Valtelins pleine liberté de culte.
Richelieu se déclare disposé à défendre les intérêts catholiques, mais il réitère aussi sa volonté de maintenir à la fois le droit de passage de la France et la souveraineté des Grisons. Richelieu veille à expliquer au Saint-Siège le bien-fondé de sa politique, en distinguant soigneusement les intérêts de l’État et les intérêts de la religion. En gage de bonne volonté, il consent à désavouer la rudesse du procédé utilisé par le marquis de Coeuvres, pourtant promu maréchal de France en octobre 1626.
Surtout, il charge le père Joseph de défendre la cause de Louis XIII à Rome. Le capucin demeure quatre mois auprès d’Urbain VIII, qui le reçoit régulièrement à propos de la croisade. Quand le père Joseph quitte la Ville éternelle, il porte le titre de commissaire apostolique aux missions. Il s’agit autant d’accentuer l’effort de reconquête catholique, que de défendre la politique de Richelieu.
L’affaire de la Valteline trouve une curieuse conclusion provisoire. Au mois de mars 1626, la France opère une volte-face aussi soudaine que l’intervention de 1624. Le 5, la France et l’Espagne signent le traité de Monçon. Philippe IV accepte la neutralisation de la Valteline. Il s’engage à ne plus y faire passer de troupes et à démolir les forts qu’il y a construits, la France conservant son droit de passage. Le catholicisme est la seule religion autorisée, mais les Grisons sont reconnus comme suzerains incontestables.
Le traité de Monçon est préparé par l’ambassadeur de France à Madrid, Charles d’Angennes, sieur du Fargis, proche de Bérulle et de Marie de Médicis, sans que Richelieu soit systématiquement consulté. La reine mère commence à davantage tenir compte de l’avis du père de l’Oratoire que de celui du cardinal-ministre. Il accepte le traité de Monçon comme une concession faite au parti adverse et ménage les catholiques les plus intransigeants au moment où s’affirme une nouvelle menace : le comportement du duc Charles IV de Lorraine.


À la fin de l’année 1625, une alliance rassemble une partie des princes protestants allemands, l’Angleterre, les Provinces-Unies, et le roi du Danemark, Christian IV, lui aussi protestant, à qui Louis XIII et Richelieu ont dépêché Louis Deshayes de Cormenin en ambassade officielle. En tant que duc de Holstein, Christian IV est prince d’Empire. Un de ses fils, Frédéric, est administrateur des évêchés de Verden et Halberstadt, et convoite ceux de Brême et d’Osnabrück. Christian IV est par ailleurs gardien des détroits du Sund et aimerait étendre sa domination. Il se trouve que les intérêts commerciaux du souverain danois coïncident avec ceux des princes réformés allemands.
De la deuxième phase de la guerre de Trente Ans qui s’ouvre alors ne peut se dégager qu’une alternative. Soit les Habsbourg imposent leur autorité à l’ensemble du Saint Empire et à sa périphérie, et y substituent la souveraineté à la suzeraineté ; soit les petites et moyennes puissances parviennent à sauvegarder leur indépendance. Entre France et Empire, un ensemble de principautés de faibles étendues, imbriquées les unes dans les autres, occupe une place essentielle. Il s’agit des duchés de Lorraine et de Bar, et des évêchés de Metz, Toul et Verdun[9]. Le sort qui leur est réservé est très révélateur de la politique mise en oeuvre par Richelieu.
Dans la première moitié du xviie siècle, la Lorraine constitue un ensemble totalement disparate. Pour bien comprendre les enjeux lorrains, deux notions doivent être distinguées, telles qu’elles sont définies à l’époque par l’humaniste Jean Bodin, par les jurisconsultes Charles Loyseau et Cardin Le Bret : la notion de souveraineté et celle de suzeraineté[10]. La souveraineté est l’autorité suprême exercée par un prince, personne physique ou personne morale, pour commander et contraindre un État. Les attributs de la souveraineté sont multiples : dire le droit et faire la loi, gracier ou condamner à mort, lever l’impôt, faire la guerre, battre monnaie, anoblir. La souveraineté est indivisible et inaliénable. Elle est à rapprocher de la foi monarchique : Dieu reste tout-puissant au sein de l’État, et le conseil du souverain est par essence bienfaisant.
La suzeraineté est la qualité de celui qui possède un fief dont dépendent d’autres fiefs ou fiefs vassaux. La notion de suzeraineté appartient au droit féodal. Vivace dans le Saint Empire, la féodalité l’est également dans le royaume de France et à ses marges. Dès le Moyen Âge, les cités de Metz, Toul et Verdun ont obtenu de l’Empire, dont elles dépendaient féodalement, le statut de villes libres. Au xvie siècle, elles sont passées sous protection française. Toutes trois sont enclavées dans les duchés de Lorraine et de Bar, comme les diocèses auxquels elles ont donné leur nom.
Les duchés de Lorraine et de Bar, quant à eux, ont été réunis en une seule et unique couronne à la fin du xve siècle, à la suite du mariage de René ier d’Anjou, héritier du Barrois, avec Isabelle de Lorraine. Le duché de Lorraine est un fief d’Empire. En 1542, la diète de Nuremberg lui accorde une souveraineté autonome et indépendante. Le duché de Bar reste au contraire en partie assujetti à une suzeraineté française revendiquée. Ainsi se distinguent Barrois mouvant (du roi de France) et Barrois non mouvant, dont le statut féodal est identique à celui du duché de Lorraine[11]. La féodalité autant que la géographie situent la Lorraine de l’époque moderne entre France et Empire. Dans la partie méridionale des États que reçoit Charles IV en 1624, les terres de surséance sont à elles seules les symboles de la complexité lorraine[12]. Trois suzerainetés y cohabitent, celles de la France, de la Lorraine et de la Franche-Comté, sans que les contemporains puissent distinguer les parcelles relevant de telle ou telle autorité, d’où d’incessants conflits.
Très tôt, la Lorraine est écartelée entre les intérêts antagonistes de ses puissants voisins. En 1477, le duc de Lorraine René II sauve les duchés de l’annexion à l’État bourguignon en battant Charles le Téméraire devant Nancy[13]. Son fils Antoine s’applique ensuite à conserver la neutralité dans le conflit qui met aux prises Charles Quint et François ier. Le début de l’époque moderne est déterminant. Tous les éléments constitutifs de l’identité lorraine achèvent de se former. En 1525, Antoine le Bon s’illustre dans la bataille contre les « Rustauds », véritable croisade menée certes contre une révolte populaire, mais davantage encore contre les progrès de la Réforme protestante. Le duc de Lorraine devient le champion de la cause catholique[14]. En 1542, c’est lui qui obtient l’indépendance de fait des duchés de Lorraine et de Bar par rapport à l’Empire. La Lorraine, charnière entre France, Empire et Franche-Comté, acquiert toute son importance stratégique et militaire[15].
En 1552, le roi Henri II, ayant accordé son soutien aux princes protestants allemands soulevés contre l’empereur, s’avance avec une armée vers le Rhin et pénètre en Lorraine. Il peut imposer sa protection aux villes de Metz, Toul et Verdun[16]. La France dispose désormais de bases avancées vers l’Allemagne, et d’une présence militaire continuelle au coeur même des duchés lorrains.
Le duc Charles III impose rapidement Nancy pour base logistique du parti catholique français, dirigé par la famille de Guise, branche cadette de la maison de Lorraine, joue un rôle déterminant dans la constitution de la Sainte Ligue[17]. La victoire de 1525 contre les Rustauds permet l’émergence d’un courant de pensée selon lequel le duc de Lorraine, soldat de Dieu, est investi d’une mission providentielle, celle de rétablir l’orthodoxie catholique dans toute la chrétienté. Les ducs de Lorraine, descendants supposés de Godefroy de Bouillon, auraient vocation à la croisade, aussi bien contre l’infidèle musulman que contre l’infidèle réformé. C’est également par le biais de l’hérédité que se forge le mythe de l’ascendance carolingienne de Charles III. Établi par des généalogistes complaisants, il permet au duc de Lorraine d’étayer ses prétentions à la couronne de France après l’assassinat d’Henri III et de s’opposer directement à la candidature d’Henri de Navarre[18]. La victoire du Bourbon met cependant fin aux ambitions de Charles III, aussi bien pour lui-même que pour son fils.
La fondation de l’université de Pont-à-Mousson, sous l’influence du cardinal de Lorraine et des jésuites, permet à la même époque la formation juridique des spécialistes dont la Lorraine a besoin, mais également les progrès de la Contre-Réforme en Lorraine[19]. Le renouveau catholique connaît dans les duchés un essor extraordinaire, encouragé par les ducs. Pourtant, Charles III ne peut obtenir la création d’un siège épiscopal à Nancy, le territoire lorrain dépendant en matière spirituelle des évêchés de Metz, de Verdun, et surtout de celui de Toul.
Au tout début du xviie siècle, l’ensemble constitué par les duchés de Lorraine et de Bar atteint son apogée. L’accord trouvé par Charles III et Henri IV, et peut-être plus encore la Trêve de Douze ans aux Pays-Bas, permettent un essor économique et démographique sans précédent. Lorraine et Barrois restent des terres de seigneurs et de paysans, d’autant moins sensibles aux bouleversements religieux que la législation des ducs ne laisse aucune chance au protestantisme. En revanche, l’adhésion des princes et du clergé lorrains à la réforme tridentine confère aux duchés une importance considérable dans la reconquête catholique. Les papes décident d’ailleurs d’entreprendre la Contre-Réforme à partir de la Lorraine[20].
Le règne du duc Henri II le Bon (1604-1624) met fin à la période de prospérité. Il n’a que deux filles. En 1621, il rédige son testament et désigne l’aînée, Nicole, pour lui succéder. Le comte François de Vaudémont, frère cadet du duc Henri II, et son fils Charles ne l’entendent pas de cette oreille. Ils se réfèrent au testament du duc René II, rédigé au tout début du xvie siècle, qui aurait instauré la loi salique en Lorraine et la masculinité nécessaire de la couronne. Si le testament de René II faisait jurisprudence, eux seuls pourraient prétendre à la succession. Une médiation papale débouche finalement sur l’adoption d’un compromis provisoire[21]. La princesse Nicole est mariée à son cousin germain. À la mort d’Henri le Bon, en 1624, Charles, devenu Charles IV, prend donc la tête des États lorrains au nom de son épouse. L’autorité souveraine en Lorraine est exercée conjointement par Nicole et par Charles[22]. Les arrêts sont prononcés en leurs deux noms, la monnaie est frappée à leur effigie. Ils ont le droit de condamner, de faire grâce, de déclarer la guerre et de traiter la paix, de lever l’impôt.
Le mariage ne doit rien aux inclinations personnelles réciproques. La mésentente des jeunes époux est entretenue dès l’origine à la fois par François de Vaudémont, qui a d’autres ambitions que la souveraineté par délégation, et par la duchesse douairière, Marguerite de Gonzague, veuve d’Henri le Bon, et nièce de Marie de Médicis. Pour protéger les intérêts de ses filles, et les siens propres, Marguerite de Gonzague se fait la championne de la succession en ligne féminine telle qu’elle s’applique dans les duchés depuis la fin du Moyen Âge en l’absence d’héritier mâle. À peine son aînée a-t-elle convolé, qu’elle envisage de marier sa cadette, Claude, à un prince puissant. En cas de décès prématuré de Nicole sans héritier, la couronne ducale passerait en effet à Claude et à son mari. L’attitude de Marguerite de Gonzague est d’autant plus gênante que le mariage de Charles et Nicole demeure stérile.
Dans ces circonstances, l’original du testament de René II, qui stipule que les duchés ne peuvent être dévolus aux femmes, est retrouvé opportunément dans les archives de l’hôtel de Guise à Paris, à la suite de recherches commandées par François de Vaudémont et par son fils. Les inventeurs peuvent donc confisquer la couronne ducale en leur nom exclusif, à leur profit. De la manière la plus habile qui se puisse concevoir, ils se défendent de la démarche de Marguerite de Gonzague tout en imposant leurs intérêts. Le testament du duc René II est utilisé comme précédent pour faire jurisprudence. Bien qu’il n’y fasse aucune allusion ni référence, le texte est interprété comme l’acte introductif en Lorraine de la loi salique en vigueur dans le royaume de France. Il est sciemment assimilé à la loi fondamentale française. François et Charles de Vaudémont espèrent, par ce rapprochement, faire accepter à leur puissant voisin la validité de l’acte et son application en leur faveur. Déclarer le principe de masculinité nécessaire dans la succession lorraine présente un autre intérêt : il permet aux princes de Vaudémont d’échapper au système de fief français, où une femme peut être seigneur. En imposant la loi salique en Lorraine, Charles IV oblige le roi à reconnaître qu’au terme de la loi française lui seul est à même de prêter serment pour le Barrois mouvant et de régner. La princesse Nicole est doublement évincée. Désormais, son nom ne figure plus sur aucun acte officiel[23].
Ni Louis XIII ni Richelieu ne peuvent accepter la démarche des princes de Vaudémont. Ceux-ci sont proches de Ferdinand II et se sont engagés à ses côtés en Bohême. S’appuyant sur les travaux d’éminents jurisconsultes, le cardinal arrête rapidement une ligne de conduite. En s’emparant du pouvoir dans de telles conditions, François et Charles de Vaudémont auraient opéré un détournement de la mouvance barroise au détriment des attributs de souveraineté auxquels prétend le roi très chrétien depuis le xvie siècle. Louis XIII est en réalité suzerain du Barrois mouvant, non souverain. Un vassal ne peut effectivement disposer de son fief comme il l’entend, ni l’aliéner sans le consentement de son suzerain. En ce qui concerne l’attitude à adopter vis-à-vis de Charles IV, Richelieu confond sciemment suzeraineté et souveraineté[24]. En imposant le principe de succession masculine dans le duché de Bar, François et Charles de Vaudémont auraient non seulement contrevenu au droit féodal, mais également à celui du roi de France, prince plus puissant, qui ne saurait être placé devant le fait accompli.
Aussitôt après la réapparition du testament de René II, au mois de novembre 1625, François de Vaudémont et son fils convoquent les états généraux de Lorraine. Devant les trois ordres réunis, le père prononce un discours en faveur de la succession masculine en brandissant le précieux document. Puis il somme son fils de le reconnaître pour légitime duc de Lorraine. La mise en scène a été soigneusement préparée : Charles s’incline aussitôt. Il reconnaît publiquement avoir été mis en possession de la souveraineté en contravention des lois fondamentales des duchés de Lorraine et Bar. Il déclare que l’autorité appartient de droit à son père, comme plus proche d’un degré du duc défunt, et qu’il la lui remet volontiers.
En dépit des dispositions prises par Henri II en faveur de sa fille Nicole, Charles IV, puis les états généraux de Lorraine, reconnaissent François de Vaudémont seul et unique souverain des duchés de Lorraine et de Bar, sous le nom de François II. Le lendemain, 26 novembre 1625, François de Vaudémont prend soin d’acquitter toutes ses dettes avec les deniers de l’État. Puis, au cours d’une nouvelle assemblée, selon l’ordre de substitution porté au testament de René II, il cède tous ses droits à son fils Charles.
Devant la tournure des événements, Louis XIII et Richelieu s’essaient à une délicate manoeuvre de manipulation, dont l’instrument n’est autre que Marguerite de Gonzague. Sa maladresse a précipité la succession des événements et accéléré l’exécution du projet dynastique des Vaudémont. Devant le danger représenté par l’affirmation, à la frontière orientale du royaume, de souverains si proches des Habsbourg d’Autriche, le roi de France et son ministre agissent. Courant 1625, Louis XIII et Richelieu transmettent à la duchesse douairière une série de propositions et d’arguments pour lui permettre de défendre sa position et celle des princesses Nicole et [25]Claude. Ils choisissent l’ingérence dans les affaires d’une principauté souveraine et forgent un raisonnement qui souligne l’incompatibilité du coup d’État perpétré par François II et Charles IV avec les intérêts de la couronne de France. Rappelant que la princesse Nicole a été reconnue héritière légitime de son père par les états généraux de Lorraine, et prenant officiellement fait et cause pour les filles d’Henri le Bon, au nom de la solidarité familiale (la mère des princesses est aussi la nièce de Marie de Médicis), Louis XIII énonce ses propres prétentions à la couronne ducale et fourbit des arguments qui pourraient justifier une annexion au royaume : l’argument dynastique, par la succession au sein de la maison d’Anjou à laquelle prétend le roi très chrétien ; l’argument juridique concernant la souveraineté du duché de Bar, qui ne saurait être aliénée sans bafouer les prérogatives royales et les lois fondamentales du royaume et des duchés. Le roi de France précise qu’il s’estime redevable de l’hommage lige pour le duché de Bar. Il prétend y exercer, et non pas seulement sur le Barrois mouvant, un droit de suzeraineté supérieur à celui qu’exerce l’empereur sur le duché de Lorraine. Au xve siècle, Sigismond est intervenu dans la succession du duché de Lorraine pour imposer une héritière. A fortiori, le roi de France, au xviie siècle, peut-il intervenir pour défendre le principe coutumier de la succession en ligne féminine au duché de Bar !
La mère des princesses spoliées semble se conformer aux recommandations qui lui sont transmises par les agents de Richelieu. Au début de l’année 1626, Marguerite de Gonzague engage une procédure judiciaire visant à prouver que le testament de René II exhumé dans les archives de la maison de Guise est un faux[26]. Outre le vice de forme, l’inaliénabilité des États lorrains et de leurs coutumes est invoquée. La duchesse douairière récuse également toute légitimité ou valeur à une décision des états généraux touchant au principe de souveraineté. Elle donne commission pour faire valoir les droits de ses filles et dénoncer la confiscation de pouvoir et de souveraineté opérée par les princes de Vaudémont. Mais séquestrée dans le duché de Lorraine, où les officiers refusent de recevoir ses plaintes, et dans l’impossibilité de se rendre en France ou dans un État voisin et ami, elle ne peut que charger Justiniano Priandi, résident du duc de Mantoue à Paris, de faire rendre la justice[27]. Elle ne sollicite cependant ni l’intervention directe du roi de France en tant que suzerain des ducs de Bar, ni celle de l’empereur en tant que suzerain des ducs de Lorraine. Marguerite de Gonzague perçoit-elle le danger auquel seraient exposés les duchés si elle appelait directement à son secours un souverain voisin ? Elle se borne à solliciter une assistance juridique, non un secours armé : Louis XIII et Richelieu voient leur procédé circonvenu.
Le 1er mars 1626, après la cession de François II, le jeune duc de Lorraine renouvelle son entrée solennelle à Nancy. Il jure de maintenir les gens d’Église, la noblesse et le tiers état en leurs droits, privilèges et usages. Le lendemain, Charles IV réunit une nouvelle fois l’assemblée dans sa capitale pour faire ratifier le transfert de pouvoir et demander des subsides. Les ordres sont d’autant mieux disposés à reconnaître la confiscation opérée par les princes de Vaudémont que la coutume lorraine n’oblige en rien les ducs à les consulter sur leur légitimité. La démarche de Charles IV est flatteuse et est assimilée à un gage de reconnaissance et de respect. Les états votent non seulement les subsides réclamés mais consacrent la masculinité des duchés de Lorraine et de Bar au nom de l’intérêt dynastique. Les princes de Vaudémont se placent dans la lignée directe du duc Charles III et de ses pratiques absolutistes à la française. Le père et le fils imposent l’application d’un texte que la coutume, elle, n’a pas confirmé, et que les états généraux n’ont aucun droit à entériner.
La difficulté pour Charles IV est de faire admettre au plan extérieur la légitimité de son accession au pouvoir, et d’être reconnu comme duc de Lorraine et de Bar par les autres puissances européennes. Le marquis d’Haraucourt, bailli de Nancy, ancien camérier du pape Paul V, se rend à Rome pour sonder Urbain VIII. Le souverain pontife reconnaît immédiatement le nouveau duc de Lorraine, sur qui il compte pour la croisade contre les Turcs. M. de Florainville de Cousance est quant à lui dépêché auprès de l’empereur pour justifier la procédure employée par les princes de Vaudémont.
Avant même de faire son entrée solennelle à Nancy, Charles IV a levé une armée en prévision d’une éventuelle agression des protestants. Ce faisant, il avive encore la méfiance de Richelieu qui fait achever la citadelle commencée à Verdun. Or l’évêque de la ville, François de Lorraine-Chaligny, apparenté à la famille ducale, s’oppose aux travaux. Le conflit s’envenime aussitôt. Louis XIII est occupé à combattre les princes et les protestants de son royaume. Le souverain préfère faire examiner la question de la Lorraine par son conseil. Il charge le chancelier d’Aligre d’entendre des députés envoyés par le duc de Lorraine. En tant que vassal, Charles IV doit foi et hommage au roi de France pour le Barrois mouvant. Louis XIII ne peut, et ne veut, accepter le serment qu’au nom de la duchesse Nicole. Le duc, de son côté, ne peut se plier aux contraintes du droit féodal que le roi de France impose. Il compromettrait la crédibilité de la succession en ligne masculine. La présence française dans les Trois-Évêchés représente pour lui une menace sérieuse. L’indépendance spirituelle de ses États est en jeu[28]. Le duc de Lorraine n’ignore pas le danger d’une absorption à plus ou moins long terme. Sous le règne d’Henri IV, les Trois-Évêchés sont déjà passés du régime de protection simple au régime de sujétion. Charles IV redoute que sa liberté d’action ne soit de plus en plus entravée. Au mois de janvier 1625, il fait part de ses craintes à l’empereur. Il soupçonne que l’évêque de Metz, Henri de Bourbon-Verneuil, demi-frère de Louis XIII, ne veuille poursuivre le processus d’assimilation de la ville au royaume de France en sollicitant un régime de protection souveraine.
Au printemps 1626, le chancelier d’Aligre récuse la légitimité de Charles IV comme duc de Bar, faute d’assentiment du suzerain légitime. Le Parlement se réunit plusieurs fois pour décider de la question. Le procureur général opine même pour la saisie du fief. Mais Louis XIII ne se prononce pas sur le cas du duc de Lorraine. La conjoncture internationale ne lui est pas aussi favorable qu’il le souhaiterait, malgré les progrès indéniables réalisés par Richelieu.
Les Habsbourg triomphent à Madrid et à Vienne, alors que la France est affaiblie par quatorze années de troubles. Richelieu ne peut accepter l’avènement d’un duc de Lorraine dont les principaux appuis se situent en Allemagne, et dont les sympathies naturelles, comme les intérêts politiques les plus élémentaires, vont vers l’empereur. Le cardinal souhaite assurer les marges orientales du royaume et contrôler plus étroitement d’une part les Trois-Évêchés, d’autre part les duchés de Lorraine et de Bar. Il a déjà rédigé un mémoire énumérant les moyens de s’opposer aux usurpations lorraines en matière ecclésiastique. Le cas de la primatiale de Nancy, établie au préjudice de l’abbaye de Gorze, a été mis en exergue et une enquête aux limites de la Champagne est envisagée. Entré au conseil du roi le 29 avril, Richelieu, par lettres patentes datées du 10 mai, renouvelle les textes de 1603 interdisant toute aliénation du temporel sans autorisation du souverain français[29]. Puis il diligente une enquête confiée à Cardin Le Bret.
Au cours de l’année 1624, Louis XIII a acheté la seigneurie de Mars-la-Tour. Après le décès du duc Henri le Bon, Charles de Vaudémont, tout récemment promu à la tête des États de sa femme, s’en est inquiété. La crainte de voir ses terres cernées par la France a engagé le nouveau duc à dépêcher spécialement un ambassadeur à Paris, Henri de Livron, marquis de Ville. Ce dernier a été chargé de présenter au roi de France les actes établissant la suzeraineté ducale sur Mars-la-Tour. Richelieu décide de ne pas en tenir compte. La meilleure défense étant l’attaque, il saisit l’occasion pour envoyer en Lorraine un des plus fidèles serviteurs de la cause monarchique. Dès le mois de novembre, des lettres de commission sont adressées à Cardin Le Bret[30].
Cardin Le Bret est avocat général au parlement de Paris. Au mois de novembre 1624, Richelieu le nomme intendant des Trois-Évêchés, chargé de l’enquête lorraine. Il est secondé par Jean Delon, sieur de Lorme, trésorier de France, et par Pierre Dupuy, avocat au Parlement, garde de la bibliothèque du roi et du trésor des chartes. Les trois hommes sont rejoints par Michel Charpentier, président royal à Metz.
La formation de la commission Le Bret est liée aux habituelles tracasseries opposant Français et Lorrains à Metz, Toul et Verdun. Elle répond à quatre préoccupations distinctes : la crise économique qui secoue l’Europe de l’époque, la seigneurie de Mars-la-Tour, les droits du roi en Lorraine associés aux prétentions françaises, les usurpations opérées en contravention au régime de protection instauré par le roi Henri II sur les Trois-Évêchés. La tâche formelle assignée aux quatre juristes est descriptive. Il s’agit de dresser un état des lieux. S’il ne leur est pas demandé de remédier eux-mêmes à la situation qu’ils ont la charge de présenter, il est en revanche stipulé, dès le mois de novembre, par la lettre de commission envoyée à Cardin Le Bret, que les conflits liés aux terres de surséance devront être réglés par les envoyés du roi de France. Les instructions complémentaires transmises peu après au juriste distinguent les lieux de contestation avérés des lieux de contestation potentiels à établir lors de la mission[31].
Les conclusions rendues par Cardin Le Bret et ses collègues sont impitoyables pour Charles IV. Mais aucune suite ne peut leur être donnée dans l’immédiat. La méthode employée par la commission est trop maladroite et trop excessive. Richelieu ne peut encore se permettre de donner suite. Jusqu’en 1642, la Lorraine reste le lieu de tous les conflits, à la frontière du Saint Empire où la guerre de Trente Ans fait rage, à la limite du royaume de France qui entend se ménager un accès au Rhin et protéger ses marges orientales.


La notion de frontière n’est pas établie au xviie siècle[32]. Les notions d’espace et de carrefour dominent. L’espace lorrain est traversé par les tercios espagnols en route de Milan vers les Pays-Bas, lui conférant la valeur de passage obligé. La politique de Richelieu à l’égard du duché de Lorraine dès 1624-1625 répond à deux préoccupations qui demeurent constantes : empêcher l’invasion du royaume de France par sa frontière est ; se ménager un accès sur le Rhin pour pouvoir intervenir militairement dans le Saint Empire romain germanique. Les rapports entretenus par Louis XIII et le duc Charles IV s’inscrivent d’abord dans le conflit opposant le souverain Bourbon à la famille de Habsbourg, à la fois à la branche d’Autriche et à la branche d’Espagne[33]. Les duchés de Lorraine et de Bar, tout autant que les Trois-Évêchés de Metz, Toul et Verdun, se situent au coeur de la lutte engagée par le roi de France et son principal ministre contre l’hégémonie de l’empereur Ferdinand II et du roi Philippe IV d’Espagne en Europe. Louis XIII et Richelieu défendent une Europe chrétienne multiconfessionnelle, faite d’États catholiques ou réformés indépendants, les plus forts protégeant les plus faibles. Charles IV de Lorraine porte l’étendard d’une Europe catholique, dont l’Empire serait l’unique garant. Ferdinand II serait seul à même de garantir la cohésion politique du continent, défenseur désigné de la religion légitime.
Et en 1625-1626, en effet, Louis XIII et Richelieu ont trop à faire avec les huguenots à l’intérieur du royaume pour pouvoir prétendre à un rôle efficace à l’extérieur. Le cardinal ne peut que confirmer l’option choisie avant lui par La Vieuville. Au travers de l’ambassade confiée à Marescot, un infléchissement a déjà été donné à la politique étrangère de Louis XIII. Avec le soutien des « bons Français », qui s’opposent aux dévots, s’est amorcée la lutte contre les Habsbourg. Mais avant d’aller plus loin, Richelieu se doit de pacifier le royaume, et d’y imposer l’autorité du roi en même temps que la sienne.
Encore les protestants
Richelieu s’attache non seulement à consolider la royauté et la position de son souverain, mais également sa propre position de prélat et d’homme d’État. Le cardinal a hérité de ses prédécesseurs aux affaires un Trésor qui n’a plus de trésor que le nom. Les caisses du roi sont vides. Aux difficultés financières s’ajoutent de constantes révoltes populaires. Les croquants du Quercy prennent les armes en 1624 : ils s’insurgent contre l’impôt inégalitaire par excellence, la taille, plus précisément contre la gestion des tailles par les élus implantés à Cahors et à Figeac[34]. La sédition est vaincue par le maréchal de Thémines au mois de juin. La question des huguenots reste également posée et ne tarde pas à trouver une nouvelle acuité.
Richelieu a parfaitement conscience de l’ampleur de la tâche qui l’attend. Il souhaite, autant que faire se peut, préserver la popularité du roi, mais également la sienne. C’est pourquoi, dès cette époque, et jusqu’à sa mort, le cardinal se construit un itinéraire pour démontrer la cohérence et la légitimité de son action. Comme pour la Lorraine, Richelieu met à son service les plus grands érudits de son temps, et place ses décisions dans l’historicité. Il s’entoure d’un véritable cabinet de presse, à la tête duquel est placé le père Joseph. Autour du capucin, se mettent à l’oeuvre Fancan, Matthieu de Morgues, avant de se retourner contre le cardinal[35], ou encore Jean Sirmond[36]. C’est à ce cercle que Richelieu doit les fondements de la légende qu’il initie lui-même de son vivant, celle d’un homme d’exception, prédestiné à la charge de principal ministre. Ce sont ces mêmes érudits qui justifient, au moins dans les premiers temps, l’action d’un ministre qui vit au siècle des saints, celui de Bérulle et de François de Sales, qui ne fait qu’appliquer « l’amour politique de Dieu »[37] à la raison d’État. Mais l’agitation gronde et le cardinal est encore en grande partie redevable à Marie de Médicis de l’ascension dont il a bénéficié.
Malgré le traité de Montpellier signé en 1622, le duc de Rohan ne peut se défendre des pires préventions à l’égard du roi. Louis XIII n’aurait qu’un objectif : éliminer le protestantisme du royaume. Pour parer cette éventualité, le chef de file des huguenots se constitue un vaste ensemble de territoires tenus par ses coreligionnaires dans le centre-ouest de la France. Les points stratégiques en sont l’île de Ré, l’île d’Oléron, le Bas-Poitou et la Saintonge, placés sous l’autorité de parents ou alliés de la famille de Rohan. Au début de l’année 1625, le duc adresse une série de doléances à Louis XIII pour se plaindre du non-respect des accords de Montpellier. Le roi rejette systématiquement les sollicitations et ordonne au marquis de Toiras, stationné dans le Fort-Louis, près de La Rochelle, de réprimer toute tentative insurrectionnelle.
Le duc de Soubise répond aussitôt aux mesures prises par l’occupation de l’île de Ré et de l’île d’Oléron. Le commandant des Rochelais, Jean Guiton, un marin expérimenté, inflige des pertes importantes à la flotte royale. Mais Louis XIII et Richelieu entendent faire respecter leurs décisions et leur autorité. Le duc de Montmorency, amiral de France, est dépêché sur place. Il ne tarde pas à battre les navires de Guiton. Le duc de Soubise subit également une lourde défaite dans les eaux d’Ars-en-Ré, face à une flotte hollandaise envoyée à la rescousse du roi de France. Richelieu, profitant du peu d’autorité acquis au plan international, et des accords récemment signés, convainc l’Angleterre et l’Espagne de ne pas intervenir. Le 5 février 1626, le gouvernement parvient à imposer ses conditions aux huguenots de La Rochelle. Louis XIII maintient Fort-Louis pour surveiller la place de sûreté protestante, ainsi que des garnisons dans l’île de Ré et dans l’île d’Oléron. Accaparé par les huguenots, il apprend la capitulation de Breda, dont les Espagnols s’emparent le 25 mai. Les Provinces-Unies semblent d’autant plus éloignées que le roi et son ministre doivent faire face à une nouvelle cabale des princes.
Buckingham et l’« aversion au mariage »
L’affaire de l’« aversion au mariage » représente l’un des épisodes les plus critiques de l’agitation des Grands qui mine la royauté depuis 1610, car elle concerne le propre frère du roi, Gaston, duc d’Anjou puis duc d’Orléans. Tant que Louis XIII et Anne d’Autriche n’ont pas d’enfant, Monsieur reste l’héritier présomptif de la couronne. Son mariage revêt une importance considérable. De son vivant, Henri IV a choisi de l’unir à la plus riche héritière du royaume, Marie de Bourbon-Montpensier, princesse du sang, fille du premier mariage d’Henriette-Catherine de Joyeuse, remariée à Charles de Lorraine, duc de Guise. Étroitement apparentée à la famille ducale de Lorraine, elle est immensément riche. Le mariage du duc d’Anjou avec Mlle de Montpensier semble d’autant plus important pour l’avenir du trône de France qu’en 1625 la mésentente éloigne toujours le roi de la reine.
Louis XIII ne pardonne pas à son épouse ses imprudences, ni surtout son attachement à ses amies bannies de la cour en 1622. Au premier rang d’entre elles, figure Marie de Rohan-Montbazon, veuve de Luynes. Chassée du Louvre au mois d’avril 1622, elle est de retour trois mois plus tard. La veuve de Luynes a eu du vivant même de son mari une liaison avec le duc de Chevreuse, Claude, troisième fils du duc Henri de Guise, le Balafré. Au moment de sa disgrâce, la veuve distingue une solution aisée pour revenir au Louvre : épouser son amant. Un second mariage serait d’autant plus valorisant pour Marie de Rohan-Montbazon que la famille de Guise est prestigieuse et que le duc de Chevreuse lui-même bénéficie d’une faveur exceptionnelle auprès de Louis XIII, en raison de sa bravoure et de sa fidélité sans faille. Le 20 avril, l’union est célébrée dans l’intimité. Le roi entre dans une violente colère ; mais le duc de Chevreuse le rejoint dans la campagne menée contre les huguenots et parvient à lui arracher son consentement. La duchesse de Chevreuse peut faire sa réapparition publique dès le début de l’été.
Louis XIII n’en conserve pas moins une violente animosité à son égard : l’intrigante décide de se venger. L’occasion lui est offerte par les préparatifs d’un autre mariage, celui d’Henriette de France avec le prince de Galles. Le duc de Chevreuse en est justement chargé. C’est à cette époque que la duchesse s’éprend du négociateur anglais, Henry Rich, comte de Holland. Le diplomate anglais est un ami du duc de Buckingham, avec qui il s’est rendu à Madrid pour voir l’infante Maria, soeur d’Anne d’Autriche, un temps promise au futur Charles ier.
La reine de France, quant à elle, est délaissée par son époux. On l’a dit l’une des plus belles femmes d’Europe, mais la souveraine reste engoncée dans le carcan que lui impose son éducation castillane. Louis XIII, de son côté, reporte toute son affection sur son nouveau favori, François de Baradas. À la fin de l’année, le prince de Galles devient roi d’Angleterre sous le nom de Charles ier. Ne pouvant se permettre de quitter ses États, il est arrêté que le mariage ait lieu par procuration le 11 mai 1625. Le pape Urbain VIII a fait parvenir les dispenses nécessaires, après avoir obtenu la garantie par la France que les catholiques anglais se verraient réserver un sort meilleur.
La duchesse de Chevreuse noue alors une vaste intrigue avec lord Holland. De retour à Londres, ce dernier met au défi le duc de Buckingham de séduire Anne d’Autriche. En France, la duchesse de Chevreuse informe la reine de la liaison qu’elle entretient avec lord Holland et lui suggère de choisir elle aussi un chevalier servant. Elle lui indique même le duc de Buckingham, désigné par Charles ier pour emmener Henriette de France à Londres.
Buckingham arrive à Paris le 24 mai. Il se présente naturellement au roi et à la reine. La situation est mûre pour le coup de foudre. Marie de Médicis se rend compte de ce qui se trame et en informe son fils. L’occasion est trop belle pour ruiner la réputation de sa belle-fille, qu’elle n’aime pas. Richelieu n’apprécie pas non plus Anne d’Autriche et redoute surtout son influence. L’intrigue entre la reine régnante et le duc de Buckingham ne s’en développe pas moins et, comme à Madrid, le représentant de Charles ier fait scandale.
Au début du mois de juin, Buckingham et Henriette de France prennent la route de l’Angleterre. L’étiquette stipule qu’Anne d’Autriche les escorte jusqu’à Boulogne-sur-Mer. Louis XIII, malade, est contraint de s’arrêter à Compiègne. Marie de Médicis et sa belle-fille continuent jusqu’à Amiens, où la reine mère, à son tour, est victime d’une indisposition. Le cortège royal s’immobilise quelques jours. Un soir, la duchesse de Chevreuse propose ingénument une promenade. Buckingham a soudoyé les domestiques de la reine régnante pour pouvoir être seul avec elle et lui déclarer sa passion. Anne d’Autriche appelle ses femmes à l’aide et doit repousser les ardeurs de son fougueux prétendant. Mais l’aventure ne s’arrête pas là.
Le 16, Henriette de France et Buckingham partent pour Boulogne-sur-Mer. Le soir même, l’Anglais revient sur ses pas. Anne d’Autriche le reçoit dans sa chambre. Buckingham, en pleurs, se jette à ses pieds. L’assistance ne sait quelle contenance adopter et demande au visiteur de se retirer. Le lendemain, le duc repart définitivement, tandis qu’Anne d’Autriche et Marie de Médicis regagnent Paris. La reine mère fait un récit sans bienveillance des incidents, même si rien ne peut être reproché à sa bru. Louis XIII se sent la risée de tous. L’honneur du roi et de la dynastie est en jeu. La suite d’Anne d’Autriche est encore une fois congédiée.
Entre les époux, la méfiance ne fait que croître. Richelieu place ses espions dans le nouvel entourage imposé à la souveraine. Il se ménage aussi le concours d’informateurs en Angleterre, car il craint que les relations entre la cour de Londres et celle de Paris ne pâtissent des initiatives de Buckingham. Le cardinal recrute une espionne aussi bien placée que passionnée par les événements : la comtesse de Carlisle, ancienne maîtresse de Buckingham, qui ne pardonne rien. Il est tout à fait plausible que l’amante trompée ait pu dérober des ferrets. L’inventaire après décès d’Anne d’Autriche mentionne une parure semblable, en diamants, évaluée à sept cents livres.
Buckingham tente par tous les moyens de revenir en France, notamment en organisant un séjour au Louvre pour Henriette. Mais Louis XIII et Marie de Médicis préfèrent renoncer à voir la reine d’Angleterre plutôt que d’accepter la présence en France de l’homme par qui le scandale est arrivé. Le favori de Charles ier rumine sa rancoeur et infléchit peu à peu la politique du souverain Stuart. Ce dernier s’éloigne des intérêts de sa belle-famille, tandis que la soeur du roi de France, peu encline à la tolérance vis-à-vis de son environnement anglican et volontiers ostentatoire dans ses dévotions, est victime de vexations répétées.
L’incident d’Amiens a d’importantes répercussions dans le royaume. Anne d’Autriche est désormais l’ennemie irréconciliable de Louis XIII et de Richelieu. La question de la succession au trône trouve une nouvelle acuité. Anne d’Autriche est opposée au mariage de Monsieur, car elle risquerait d’être effacée par une belle-soeur féconde et pourrait même en être méprisée[38]. La famille de Condé adopte la même position, car un hériter l’éloignerait de la couronne. Le comte de Soissons est également contre : il est lui-même prétendant à la succession et souhaite épouser Marie de Montpensier. Les Longueville et les Vendôme, ennemis des Guise, sont hostiles au mariage. Enfin, le frère du roi lui-même n’a aucune attirance pour la promise[39].
Mais Marie de Médicis, elle, est attachée à cette union, qui pourrait ouvrir à son fils cadet, préféré, la voie au trône de France. Pour convaincre Monsieur, elle décide de recourir à l’ancien gouverneur de ce dernier, le maréchal de camp d’Ornano. Disgracié en mai 1624, Ornano est enfermé au château de Caen. La reine mère obtient son rappel, la charge de premier gentilhomme de la chambre de Monsieur, puis, en 1626, le bâton de maréchal de France. Mentor de son ancien élève, Ornano obtient bientôt pour lui l’entrée au Conseil. Mais le maréchal de France est déjà gagné à l’« aversion au mariage » par la duchesse de Chevreuse et la princesse de Condé. Marie de Rohan a conçu un projet des plus ambitieux : remarier Anne d’Autriche à Gaston si Louis XIII venait à disparaître. Bien qu’également étroitement apparentée à la famille de Guise, elle a déjà convaincu le prince de Condé, le duc de Montmorency, le comte de Soissons, la duchesse de Rohan, ainsi que César et Alexandre de Vendôme, fils naturels d’Henri IV.
Ornano transforme rapidement la querelle dynastique en affaire d’État : il ourdit un véritable complot en envoyant des émissaires au prince de Piémont, au duc de Buckingham, et à Aarsen, ambassadeur extraordinaire des Provinces-Unies. Il écrit aussi à certains gouverneurs de provinces pour leur demander si, au cas où Monsieur quittait la cour, ils le recevraient et l’aideraient. Les représentants du roi s’étonnent et communiquent les lettres à leur souverain : la cabale est découverte.
Louis XIII consulte Schomberg et Richelieu à propos de la conduite à tenir. Le cardinal recommande d’agir avec circonspection mais le plus rapidement possible. Le 3 mai 1626, le capitaine des gardes du corps, François de L’Hôpital, seigneur du Hallier, procède à l’arrestation du maréchal d’Ornano et de ses complices, Chaudebonne, Modène et Déageant,. Cette fois, le duc d’Anjou est contraint à la soumission, et signe un acte en ce sens dès le 31. Les princes baissent également les armes, sauf Alexandre et César de Vendôme. Louis XIII décide d’aller les châtier en Bretagne. Quant à Richelieu, malade, il doit renoncer à le suivre. Le cardinal est totalement abattu par la découverte d’une nouvelle facétie de la duchesse de Chevreuse : un projet d’enlèvement de Monsieur, avec son accord, pour provoquer un soulèvement général contre le roi. Richelieu, par deux fois, présente sa démission. Le roi refuse et lui renouvelle systématiquement sa confiance. C’est lui, et lui seul, qui règle l’affaire.
Le souverain commence par modifier la composition de son gouvernement. Étienne d’Aligre s’est rendu coupable d’avoir prêté une oreille trop bienveillante au duc d’Anjou ; les sceaux sont confiés à Michel de Marillac. Celui-ci abandonne donc la surintendance des finances qui lui a été dévolue en janvier et qui est accordée au marquis d’Effiat. De nouvelles fonctions sont attribuées au comte de Schomberg, promu maréchal de France l’année précédente, et à Claude Bouthillier, qui demeurent les plus fidèles alliés de Richelieu.
Puis Louis XIII parvient à convaincre le grand prieur de Vendôme de faire venir son frère, gouverneur de Bretagne, à Blois. Les deux hommes sont arrêtés et écroués ; le gouvernement de Bretagne est confié au maréchal de Thémines, tandis que Richelieu rejoint enfin le roi[40].
La duchesse de Chevreuse, de son côté, poursuit ses manigances. Elle dresse contre le mariage Henri de Talleyrand, marquis de Chalais, grand maître de la garde-robe du roi, amoureux d’elle, alors que Louis XIII fait venir à Blois Mlle de Montpensier. L’initiative finit d’exaspérer l’hostilité de Monsieur. Un nouveau complot envisage même d’« attenter à la personne du roi ». La révolte est imminente en Normandie où la noblesse promet des troupes au duc d’Anjou. Les ducs de Longueville et de Nevers en font autant. C’est dans ces circonstances qu’un ami de Chalais, le comte de Louvigny, se brouille avec lui et révèle tout à Louis XIII. Le roi décide de partir à Nantes où il doit présider la réunion des états de Bretagne et introduire le maréchal de Thémines. Il sait pouvoir y trouver un soutien militaire.
La cour arrive dans la capitale des ducs de Bretagne le 3 juillet 1626. Chalais fait partie de la suite. Il est arrêté cinq jours plus tard et passe aux aveux. Le 28 août, le complice de la duchesse de Chevreuse est convaincu de crime de lèse-majesté et condamné à mort. Il est exécuté le lendemain. La conspiratrice a déjà pris le chemin de l’exil, qui la conduit en Lorraine. Le comte de Soissons s’enfuit en Italie. Monsieur, quant à lui, béni par Richelieu, épouse Mlle de Montpensier. Le frère du roi reçoit en apanage, outre une confortable pension, les duchés d’Orléans et de Chartres.
Un mot encore du maréchal d’Ornano : il décède peu après en captivité, des suites d’une rétention d’urine. Les circonstances de sa disparition impressionnent vivement Richelieu, qui souffre de plus en plus du même mal. Le grand prieur de Vendôme ne survit pas non plus à son emprisonnement à Vincennes. Quant à César, il est libéré en 1630, après la journée des Dupes. Le sort réservé aux comploteurs se veut exemplaire. Louis XIII, tout autant que Richelieu, est plus que jamais déterminé à faire respecter son autorité. Au mois de septembre 1626, le roi est de retour à Paris. Le 10, Anne d’Autriche est convoquée devant un Conseil étroit présidé par son mari. Lecture lui est faite de procès-verbaux rédigés lors des instructions qui ont eu lieu pour juger les rebelles. Ces pièces l’intéressent au premier chef, elle y est citée. Puis le roi ordonne la destruction des documents. La désunion du couple royal modifie l’équilibre des pouvoirs au sommet de l’État. Marie de Médicis et Louis XIII se réconcilient. Surtout, le roi se défait de toute appréhension à l’égard de Richelieu. Le cardinal lui a prouvé son attachement à la couronne, à sa personne, et a montré sa fragilité dans l’adversité. Le roi se sent reconnu à la fois comme chef d’État, comme chef de famille et sort affermi de l’épreuve. C’est lui désormais qui soutient son serviteur.
Ainsi est acquise la confiance du roi, pour laquelle Richelieu a déployé tant d’efforts, non pas l’exercice plein et entier d’un pouvoir disputé par les dévots et par les Grands du royaume. Après le décès du maréchal de Lesdiguières, la connétablie, jugée trop dangereuse, est supprimée. Baradas, entré en disgrâce, est remplacé dans le coeur de Louis XIII par Claude de Rouvroy, seigneur de Saint-Simon, un ami du cardinal. L’entente, pour un temps, semble parfaite entre le roi, la reine mère et le ministre. Le triumvirat s’attelle à la réforme de l’administration du royaume.
La réforme de l’administration et l’autorité acquise
Au début de l’année 1626, Louis XIII crée une nouvelle charge importante : celle de « grand maître et surintendant général du commerce et de la navigation », confiée à Richelieu. Les fonctions d’amiral du Levant et d’amiral du Ponant, détenues respectivement par le duc de Guise et par le duc de Montmorency, lui sont rattachées, moyennant compensations financières. Le cardinal prend non seulement le contrôle de la marine de commerce et de la marine de guerre, mais également celui de puissantes juridictions. Trois compagnies à vocation marchande, bénéficiant de privilèges considérables, voient le jour : au mois de mars, la compagnie du Morbihan, ou des Cent associés ; au mois de mai, la compagnie de la Nacelle de Saint-Pierre fleurdelisée ; au mois d’octobre, la compagnie de Saint-Christophe.
C’est également le 5 mars 1626 qu’intervient le traité de Monçon, pour la plus grande satisfaction de Marie de Médicis et des dévots. Le lendemain, Richelieu prend la responsabilité directe des Affaires étrangères. Un édit organise autour de lui un véritable ministère avec quatre secrétaires d’État et une importante équipe de collaborateurs. S’ajoute à ce premier texte un règlement qui précise les attributions dévolues à chacun. Richelieu bénéficie enfin d’une place clairement définie au Conseil.
Au début du mois d’octobre, le gouvernement convoque une assemblée des notables pour poursuivre les réformes. Il s’agit d’un « conseil du roi élargi »[41], dont les participants sont choisis par le souverain lui-même. L’assemblée des notables a un rôle purement consultatif. Richelieu se méfie des états généraux, trop brouillons et dominés par les querelles partisanes des trois ordres. La multiplication des révoltes populaires contre la fiscalité, à Tours, à Troyes, à Montélimar, notamment, rend indispensable un débat de fond sur la situation économique et financière du royaume.
Cinquante-cinq prélats, seigneurs et officiers de cours souveraines se rassemblent. Le 2 décembre, Michel de Marillac prononce le discours d’ouverture de l’assemblée. Le garde des sceaux met l’accent sur les charges financières imposées par les guerres civiles et sur les efforts consentis pour la restauration de la marine et du commerce. Le maréchal de Schomberg prend ensuite la parole. Il souligne la nécessité de se ménager des sources de revenus extraordinaires réservés à l’armée. Il annonce l’intention du gouvernement de réformer le système de rétribution des soldats, ainsi que le mode de ravitaillement et d’entretien des troupes. Richelieu complète les allocutions prononcées par ses collègues en termes très généraux : il justifie les dépenses de l’État et réitère la nécessité de trouver de nouvelles ressources financières.
La réforme militaire est discutée jusqu’au 23 décembre. L’assemblée s’accorde sur le renforcement de la discipline, sur la systématisation du recrutement, sur la mise en place de magasins de vivres, sur la régularisation des soldes… et sur leur propre exemption du logement des gens de guerre !
Pour les finances, les débats sont plus houleux. La noblesse de robe, la noblesse d’épée et les officiers ne cessent de se quereller pour préserver leurs intérêts respectifs. Afin de gagner du temps, Richelieu présente le 11 janvier 1627 un mémoire reprenant l’essentiel des propositions gouvernementales. Le mémoire est lu par le secrétaire de l’assemblée, Paul Ardier de Beauregard[42]. Le point de vue est ensuite étayé par une adresse du surintendant des finances, le marquis d’Effiat. Il est envisagé de supprimer les offices et pensions inutiles, ou encore de valoriser les enseignements scientifiques et techniques. Michel de Marillac prononce un autre discours remarqué, constituant une véritable apologie du mercantilisme. Une attention particulière est réservée aux conditions de vie des petites gens. Concerné par le développement de l’économie et les réformes fiscales, le peuple l’est aussi par les réformes militaires visant à remédier au problème de la vie des troupes sur le pays.
Deux commissions se forment pour examiner les propositions du gouvernement. Les notables proposent de conserver les forteresses du Poitou, occupées par des garnisons royales, utiles contre les huguenots, nombreux, de la région. Toutes les fortifications de l’Angoumois devraient, au contraire, être rasées. La destruction systématique est également décidée pour la Provence, exception faite des frontières. Les notables acceptent l’interdiction de traiter avec les ambassadeurs étrangers, malgré le problème posé par le nonce apostolique. Quel statut lui est-il réservé ? Personne n’est d’accord. Tous approuvent en revanche l’interdiction des levées de troupes par une autre autorité que celle du roi, l’introduction au Conseil de membres de la noblesse seconde, la réglementation du commerce du grain et la réorganisation de la taille. La proposition concernant une chambre des Grands Jours est rendue caduque par les officiers qui réclament que la nouvelle assemblée ne soit composée que de parlementaires. Concernant l’entretien et le maintien de l’armée dans les provinces, les notables font part de leur voeu que le Trésor royal prenne en charge les deux tiers des frais ! La construction de 45 navires de commerce et la fondation de compagnies sont acceptées.
L’assemblée des notables se sépare le 24 février. Le programme politique de Richelieu paraît avalisé, mais, encore une fois, les conflits d’intérêts ont renvoyé les décisions importantes à l’arbitrage royal. L’assemblée des notables s’avère aussi inutile que les états généraux ; elle n’est plus réunie jusqu’en 1788.
Louis XIII et Richelieu ont un point commun qui les rapproche : la volonté de se faire obéir. L’ordre du jour de l’assemblée des notables de 1626 est révélateur. Au cours des mois qui suivent, cet état d’esprit se confirme. Un gentilhomme en fait les frais, François de Montmorency-Bouteville. Alors qu’en 1624, malgré les dispositions royales prises par le passé pour interdire les duels, il a tué l’un de ses adversaires, Thorigny, le roi l’autorise à réapparaître en France, mais pas à Paris. Le bretteur s’est fait des ennemis, dont le marquis de Beuvron, un proche de Thorigny. Par pure provocation, Bouteville décide de se battre contre Beuvron sur la place Royale, en pleine capitale. L’affrontement a lieu le 14 mai 1627. Selon les usages du temps, les témoins se battent aussi. Celui de Beuvron, Bussy d’Amboise, est tué par son adversaire, le comte Des Chapelles. Aussitôt, Montmorency-Bouteville et Des Chapelles prennent la fuite. Ils sont rattrapés sur la route de la Lorraine et embastillés. La noblesse se mobilise en leur faveur. Bouteville est un cousin du duc de Montmorency, et sa femme est enceinte. Rien ni personne ne fléchit le roi. Le 22 juin, les fautifs sont exécutés. L’événement frappe les esprits. Au début de l’été, onze libelles circulent à Paris : cinq demandent la grâce et six justifient l’exécution. Le Mercure français consacre une soixantaine de pages à l’affaire.
La mort de Montmorency-Bouteville et de son complice a de profondes conséquences psychologiques. La conscience collective est durablement impressionnée. Un clivage apparaît dans la société : d’une part, la noblesse terrienne et son assise territoriale traditionnelle ; d’autre part, le pouvoir royal et gouvernemental, de plus en plus autoritaire. En mettant en oeuvre les réformes qu’il juge indispensables, en éliminant ses adversaires et ceux de la royauté, Richelieu suscite les critiques et une haine croissante, alors même que la guerre contre les protestants reprend à l’intérieur du royaume. Le roi ne s’y trompe pas. Dès le mois de mars, des lettres patentes accordent des pouvoirs accrus au cardinal-ministre, qui obtient entrée et voix délibérative au Parlement, avec le même rang que les pairs du royaume.
Malgré les calomnies et les menaces véhiculées par une violente campagne de libelles qui atteint toute l’Europe, 1625 et 1626 sont les deux années au cours desquelles Richelieu gagne définitivement la confiance, le respect, et sans doute même l’amitié du roi. En juin 1625, prétextant sa mauvaise santé, le cardinal demande à Louis XIII l’autorisation de céder ses fonctions. Le souverain, pour préserver son ministre, le décharge simplement des visites et sollicitations des particuliers. Un an plus, tard, presque jour pour jour, le roi écrit à Richelieu de ne pas le quitter. Puis, à l’automne 1626, un véritablement déferlement de haine s’abat sur le prélat. Tous ses actes sont présentés comme odieux. Il est « l’homme rouge » qui passe ses journées à épier Marie de Médicis. À nouveau, Richelieu parle de démission. À nouveau, le souverain lui conseille le repos et le calme, et fait renforcer sa garde. Les érudits et publicistes au service du cardinal doivent déployer tous les artifices de la rhétorique pour répondre au feu nourri des attaques. Certains tentent même de discréditer Richelieu en utilisant les difficultés auxquelles il se heurte depuis des années pour améliorer sa situation financière personnelle. La liquidation de la succession paternelle et la liquidation de celle d’Henri sont en cours et suscitent procès sur procès. Ce n’est qu’en 1633 que les ayants droit cèdent leur part à Richelieu et que se clôt le problème. Il reste que, dès 1627, le cardinal a acquis suffisamment de terres et réuni suffisamment de biens pour pouvoir prétendre à l’érection de ses domaines en duché-pairie.
La Rochelle et la révolte protestante
L’agitation protestante ne s’est pas tue avec la paix de Montpellier, bien au contraire. Le duc de Rohan est persuadé que Louis XIII et Richelieu souhaitent éradiquer le protestantisme du royaume. Par ailleurs, les rapports entretenus avec Londres se sont terriblement dégradés : le roi d’Angleterre n’a pas respecté les engagements qu’il avait souscrits concernant les catholiques anglais. La reine d’Angleterre, face aux brimades dont elle est chaque jour victime, affiche un catholicisme volontairement ostentatoire, tandis que Buckingham, grand amiral de la flotte anglaise, prépare une expédition contre la France. Avec la complicité du duc de Soubise, réfugié outre-Manche, Charles ier souhaite s’opposer à la puissance maritime de la France, aux progrès récemment réalisés et aux ambitions commerciales du roi et de son ministre.
De leur côté, les protestants français sont inquiets : leurs forces sont amoindries et le bastion de Fort-Louis a été maintenu en face de La Rochelle. Des liens se nouent entre les huguenots et les Anglais, appelés à la rescousse. Richelieu, dans le cadre de ses fonctions de grand maître de la navigation, est accusé de vouloir battre en brèche la puissance commerciale des Rochelais et plus généralement les libertés et franchises des ports du royaume. La ville de La Rochelle revendique sans complexe des traditions et avantages qui lui assurent une quasi-autonomie à l’intérieur du royaume. Son sentiment particulariste explique en grande partie l’âpreté des événements qui se déroulent dans les mois qui suivent.
En février 1627, les préparatifs dans les ports anglais de la Manche s’accélèrent. Richelieu ne peut accepter une telle menace, il prend une première série de mesures conservatoires en faisant consolider la défense du littoral atlantique. Sur le plan diplomatique, il renforce les liens unissant la France et les Provinces-Unies. Le cardinal se garantit aussi d’une concurrence commerciale ou militaire qui pourrait s’avérer préjudiciable. Puis, en avril, paradoxalement, c’est avec l’Espagne qu’un traité est signé. Une alliance offensive et défensive réunit le roi très chrétien et le roi catholique contre l’Angleterre. Le parti pro-espagnol français, celui des dévots, obtient gain de cause. Les craintes des protestants se renforcent.
Une flotte anglaise quitte alors Portsmouth avec 90 vaisseaux, et Buckingham à sa tête. Le 27 juillet, elle apparaît au large de l’île de Ré. Buckingham et Soubise débarquent, malgré la vive résistance opposée par le maréchal de Toiras, gouverneur de l’Aunis, qui se replie dans le fort Saint-Martin.
Les Anglais et la municipalité de La Rochelle entrent en pourparlers. Huit cents volontaires français s’engagent aux côtés de Buckingham. Mais la cité, avant tout soucieuse d’autonomie, refuse la venue du duc de Soubise.
Au moment de l’arrivée des Anglais sur les côtes françaises, Louis XIII est malade. Une forte fièvre le contraint à garder le lit à Villeroy-en-Brie, alors qu’il s’apprêtait à rejoindre ses troupes et le duc d’Angoulême en Bas-Poitou pour obtenir la soumission des protestants. Comme le souverain, le gouvernement est à bout de ressources. Pour faire face à la crise, Richelieu emprunte un million et demi de livres sur son crédit personnel et obtient une aide de quatre millions de livres du monde financier.
La priorité du cardinal à la cuirasse, qui est aussi gouverneur de Brouage, est de secourir Toiras. La reconquête de l’île de Ré, nécessaire préalable à la soumission de La Rochelle, est une affaire d’Église autant qu’une affaire d’État[43]. Bérulle mobilise les prières des Carmélites. Une armée d’environ dix mille hommes est rassemblée sur le littoral. Le mois d’août 1627 est consacré aux marchandages entre les agents de Richelieu et la municipalité de La Rochelle. Les pourparlers se soldent par un échec. Les rebelles exigent la destruction de Fort-Louis, ce qui ne peut être accepté. Début septembre, les troupes du roi sont envoyées sur place, aussitôt prises pour cibles par les Rochelais.
À peine rétabli, Louis XIII se rend sur le terrain d’affrontement et installe son quartier général à Aytré. Une expédition pour débloquer Toiras sur l’île de Ré est prévue dans la nuit du 7 au 8 octobre. Les troupes du roi se rassemblent autour de La Rochelle lorsqu’un second foyer de rébellion se déclare en Languedoc, sous la bannière du duc de Rohan. Sans conviction, Richelieu demande le soutien de la flotte espagnole de Dunkerque, tandis que le prince de Condé est envoyé contre les protestants languedociens. Le père Joseph arrive à La Rochelle et organise un véritable ballet d’espions. La coordination de toutes ces actions permet de faire passer à Toiras les deux tiers des secours qui lui étaient destinés. Les Anglais se découragent : ils manquent de vivres et le mauvais temps leur apporte son lot de fièvres. Octobre est le mois des vendanges. Les Britanniques se ruent sur le raisin et voient leurs rangs ravagés par la dysenterie. Le 20 octobre, une offensive de Buckingham échoue encore contre les défenses de Toiras. Les Français parviennent pour la seconde fois à percer les lignes ennemies. Le maréchal de Schomberg peut se précipiter sur l’île. Buckingham est pris en étau. Il tente un dernier assaut contre les forts français, en vain. Le 7 novembre, la flotte anglaise se retire. Les efforts de Louis XIII peuvent se concentrer sur La Rochelle.
Richelieu craint un mouvement séparatiste de la cité en faveur du roi d’Angleterre, qu’elle pourrait reconnaître pour souverain. Le commandement effectif des troupes est assuré par le cardinal. Le duc d’Angoulême collabore avec lui et les maréchaux de Schomberg et de Bassompierre sont placés sous leurs ordres. La construction d’une digue pour fermer le chenal d’accès à La Rochelle débute rapidement. Les travaux s’achèvent à la fin du mois de mars 1628. Au siège par la terre, s’ajoute le blocus maritime. Le marquis de Spinola visite l’ouvrage : il est impressionné. Pour honorer l’alliance de 1627, Philippe IV a dépêché sur place une escadre espagnole, placée sous les ordres de Don Frédéric de Tolède, qu’accompagne Spinola. Mais les vaisseaux du roi catholique ne s’attardent pas, prétextant une querelle de protocole.
Au printemps, l’assemblée du clergé de France vote une subvention extraordinaire de trois millions de livres pour aider Louis XIII. Au soutien financier, les capucins ajoutent le soutien moral des troupes. Les collaborateurs du père Joseph veillent au maintien de l’ordre et à la bonne tenue des soldats. Le roi lui-même est en mauvaise santé, le froid et le vent rendant les conditions de vie éprouvantes. À la prière de Richelieu, le souverain regagne la cour et abandonne l’entière direction des opérations à son ministre, promu lieutenant général pour l’occasion, alors que les fonctions étaient jusque-là détenues par le duc d’Orléans. L’honneur fait au cardinal est immense, mais l’inquiète aussi. Monsieur, évincé, ne peut que lui en vouloir, et la rancune domine désormais les relations entre les deux hommes. En regagnant Paris, Louis XIII s’expose également aux pressions exercées par les adversaires du siège. Parmi ceux-ci, paradoxalement, les chefs du parti dévot sont particulièrement virulents. Ils critiquent ouvertement l’autoritarisme de Richelieu. Marie de Médicis elle-même réclame un accommodement avec les rebelles. Le cardinal ne peut s’empêcher d’y voir la main de Philippe IV, qui prône le compromis. Et une seconde expédition anglaise est envisagée dans l’entourage du roi d’Angleterre.
Charles ier ressent l’échec de ses navires face à l’île de Ré comme une humiliation. Il est décidé à se venger mais ses caisses sont aussi vides que celles de Louis XIII. Le roi d’Angleterre convoque donc le Parlement pour tenter d’obtenir des crédits. En ce début d’année 1628, les marins de Portsmouth n’ont pas été payés depuis dix mois et se mutinent. Richelieu essaie de tirer parti de la situation. Il craint un enlisement du conflit qui pourrait lui être fatal. À la mi-mars, il lance une brusque offensive contre La Rochelle, en vain. Dans le même temps, il accélère la préparation d’une nouvelle flotte destinée à accueillir les Anglais. Tous les bâtiments disponibles entre Bayonne et la Somme sont réquisitionnés. La construction de trente vaisseaux de haut bord pour l’armée royale est achevée. Les agents du cardinal basés en Hollande procèdent enfin à des achats de bateaux supplémentaires. La France et l’Angleterre se livrent à une véritable course de vitesse. Londres parvient enfin à payer les marins et à armer 53 navires. La flotte anglaise prend la mer le 8 mai, sous les ordres de lord Denbigh, beau-frère de Buckingham. Profondément impopulaire, inquiet pour sa sécurité, celui-ci préfère ne pas quitter Londres et déléguer son parent.
Les Anglais arrivent en vue de La Rochelle une semaine plus tard. Ils commencent par bombarder la digue, en vain. Les batteries françaises répliquent aussitôt, sous les yeux de Louis XIII, de retour sur place. Le 18 mai, coup de théâtre : après avoir tenté de mettre le feu aux ouvrages français, la flotte anglaise rebrousse chemin : la retraite est totalement incompréhensible. Les navires sont bientôt de retour dans leur port d’attache. Charles ier ordonne leur renvoi à La Rochelle, mais les attaques dont Buckingham fait l’objet retardent le réarmement et le réapprovisionnement des vaisseaux de guerre anglais. Au cours de l’été, le duc se décide à se rendre lui-même à Portsmouth pour accélérer les choses. Il s’apprête à reprendre la mer quand il est assassiné par un puritain du nom de Felton.
À La Rochelle, les bellicistes dominent. Ils remportent la municipalité et placent Jean Guiton à la tête de la cité. L’arrivée de la flotte de lord Denbigh suscite l’espoir des assiégés, vite déçus, et affamés. Au mois de mai, toutes les bouches inutiles sont expulsées. Vieillards, femmes et enfants agonisent entre les murailles et les lignes royales, qui reçoivent l’ordre de les repousser. Au cours du mois de juin, les provisions sont totalement épuisées, mais la résolution de Jean Guiton reste inébranlable.
À la suite du décès du duc de Buckingham, lord Lindsay est nommé commandant de la flotte anglaise. Le 17 septembre, une troisième expédition lève l’ancre. Dès la fin du mois, 150 navires anglais font leur réapparition au large de La Rochelle. Les canonnades sont échangées d’un bord à l’autre, sans résultat. lord Lindsay se résout à envoyer un émissaire auprès de Richelieu pour implorer la clémence du roi à l’égard de La Rochelle. Il conseille aux Rochelais de négocier, puis rentre en Angleterre.
Le 28 octobre 1628, la place se rend, à bout de forces. Louis XIII fait preuve de la plus grande clémence. Il laisse la vie sauve aux survivants et accorde la liberté d’exercice du culte protestant. De vingt-huit mille âmes au début du siège, la population est tombée à cinq mille cinq cents. Les seuls protagonistes exclus de l’amnistie royale sont Jean Guiton, cinq membres de la municipalité et la duchesse de Rohan. Tous doivent quitter La Rochelle. En contrepartie, le souverain rétablit le culte catholique dans la ville. La mairie, l’administration et les franchises locales sont supprimées. Les fortifications doivent être rasées. Il est prévu que Brouage soit transformé en port de commerce et de guerre.