429

qu’une idée forgée dans mon esprit. »

< 1 janvier 1969, p.660 >

André COMTE-SPONVILLE / Impromptus / PUF 1996

« On craint mille morts, et l’on n’en vit jamais qu’une... Toute angoisse est imaginaire ; le réel est son antidote. »

< p.18 >

SAGESSE

ÉRASME / Éloge de la Folie / Robert Laffont - Bouquins 1992

« Si les hommes qui se sont donnés à l’étude de la sagesse sont généralement malheureux, surtout dans leur progéniture, je pense que c’est parce que la nature, dans sa prévoyance, veille à ce que la contagion de la sagesse ne se répande pas trop parmi les mortels. C’est ainsi que Cicéron, comme on sait, eut un fils dégénéré et les enfants du sage Socrate, comme le fait remarquer justement un écrivain, ressemblaient plus à leur mère qu’à leur père, c’est-à-dire qu’ils étaient fous. »

< p.30-31 >

« Conviez un sage à un bon repas, il le troublera par son morne silence ou ses questions déplacées. Invitez-le au bal, vous croirez voir un chameau danser. Entraînez-le au spectacle, son seul visage empêchera le peuple de s’amuser et le sage Caton sera forcé de quitter le théâtre, faute d’avoir pu se dérider le sourcil.

S’il survient dans une conversation, c’est l’arrivée du loup de la fable. S’agit-il d’un achat, d’un contrat, bref d’un de ces actes nécessaires au cours ordinaire de la vie ? Votre sage a plutôt l’air d’une bûche que d’un homme. Ainsi ne peut-il être utile ni à lui-même, ni à sa patrie, ni aux siens dans la moindre circonstance, car il ignore tout des réalités les plus élémentaires et il est à mille lieues de l’opinion commune et des usages courants. Il est donc fatal qu’il soit détesté pour être aussi différent des autres par sa manière de vivre et de penser. En effet, tout ce qui se fait chez les mortels est plein de folie, fait par des fous, devant des fous. S’il en est un qui veuille s’opposer à tous les autres, je lui conseillerai de faire comme Timon, de partir dans un désert pour y jouir seul de sa sagesse. »

< p.31 >

Michel de MONTAIGNE / Essais / Garnier 1962

« L’ame qui loge la philosophie doit, par sa santé, rendre sain encores le corps. Elle doit faire luire jusques au dehors son repos et son ayse ; doit former à son moule le port exterieur, et l’armer par consequent d’une gratieuse fierté, d’un maintien actif et allegre, et d’une contenance contente et debonnaire. La plus expresse marque de la sagesse, c’est une esjouïssance constante ; son estat est comme des choses au dessus de la Lune : toujours serein. »

< t.1 p.173 livre I chap.XXVI >

LA ROCHEFOUCAULD / Maximes / Garnier 1967

« La sagesse est à l’âme ce que la santé est pour le corps. »

< M 42 p.170 >

« Les plus sages le sont dans les choses indifférentes, mais ils ne le sont presque jamais dans leurs plus sérieuses affaires. »

< MS 22 p.140 >

Blaise PASCAL / Pensées / Œuvres complètes / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1954

« Peu de tout. Puisqu’on ne peut être universel en sachant tout ce qui se peut savoir sur tout, il faut savoir peu de tout. Car il est bien plus beau de savoir quelque chose de tout que de savoir tout d’une chose ; cette universalité est la plus belle. Si on pouvait avoir les deux encore mieux, mais s’il faut choisir, il faut choisir celle-là, et le monde le sait et le fait, car le monde est un bon juge souvent. »

< 42 p.1098 >

430

SAGESSE

Charles de SAINT-ÉVREMOND / Œuvres mêlées (12) / Paris, C.Barbin 1693

« Il n’y a point de manie plus inutile que la sagesse de ces gens qui s’érigent en réformateurs du siècle. »

< Maximes, XXIX, p.231 >

Baltasar GRACIÁN / Maximes / Paris, Rollin fils 1730

« Un sage de l’antiquité réduisait la sagesse à la modération en tout. Une justice trop rigoureuse devient injuste ; Une orange trop pressée, devient amère ; Un plaisir outré n’est plus un plaisir ; Un esprit même qui subtilise trop, s’évapore ; Quand on veut tirer trop de lait le sang vient. »

< Maxime LXXXII Ne rafiner jamais, ni sur le bien, ni sur le mal, p.93 > Jean de LA BRUYÈRE / Les Caractères / Œuvres / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1951

« C’est la profonde ignorance qui inspire le ton dogmatique. Celui qui ne sait rien croit enseigner aux autres ce qu’il vient d’apprendre lui-même ; celui qui sait beaucoup pense à peine que ce qu’il dit puisse être ignoré, et parle plus indifféremment. »

< p.173 V (76) >

« L’esprit de modération et une certaine sagesse dans la conduite laissent les hommes dans l’obscurité ; il leur faut de grandes vertus pour être connus et admirés, ou peut-être de grands vices. »

< p.378 XIII (112) >

Joseph JOUBERT / Carnets / nrf Gallimard 1938-1994

« On peut bien dire à un homme sage "Vous êtes fou". On peut bien dire à un homme d’esprit "Vous êtes un sot". Mais le moyen de dire à un sot qu’il est un sot et à un fou qu’il est un fou? »

< t.1 p.75 >

« Une docte ignorance est une ignorance qui se connoît. »

< t.1 p.175 >

« Le mot sage dit à un enfant, c’est un mot qu’il comprend toujours et qu’on ne lui explique jamais. »

< 10 août 1813 t.2 p.393 >

CHAMFORT / Maximes et Pensées, Caractères et Anecdotes / Garnier-Flammarion 1968

« M... disait qu’un esprit sage, pénétrant et qui verrait la société telle qu’elle est, ne trouverait partout que de l’amertume. Il faut absolument diriger sa vue vers le côté plaisant, et s’accoutumer à ne regarder l’homme que comme un pantin et la société comme la planche sur laquelle il saute. Dès lors, tout change : l’esprit des différents états, la vanité particulière à chacun d’eux, ses différentes nuances dans les individus, les friponneries, etc., tout devient divertissant, et on conserve la santé. »

< 670 p.203 >

Arthur SCHOPENHAUER / Pensées et fragments / Alcan 1900 [BnF]

« "Ni aimer, ni haïr," c’est la moitié de la sagesse humaine : "ne rien dire et ne rien croire" l’autre moitié.

Mais avec quel plaisir on tourne le dos à un monde qui exige une pareille sagesse. »

< p.216 >

Friedrich NIETZSCHE / Humain, trop humain. (1878-1879) / Œuvres I / Robert Laffont - Bouquins 1990

« Ombre dans la flamme. - La flamme n’est pas aussi lumineuse pour elle-même que pour les autres qu’elle éclaire : de même aussi le sage. »

< 570 p.670 >

« Novices en philosophie. - Vient-on de recevoir la sagesse d’un philosophe, on s’en va par les rues avec le sentiment d’être réformé et devenu un grand homme ; car on ne trouve que des gens qui ne connaissent pas cette sagesse, par conséquent on a sur tout une nouvelle décision inconnue à proposer : parce qu’on reconnaît un code, on pense dès lors pouvoir se poser aussi en juge. »

< 594 p.675 >

SAGESSE

431

« Le sage qui se fait passer pour fou. - La charité du sage le pousse parfois à paraître ému, fâché, réjoui, pour ne pas blesser son entourage par la froideur et la lucidité de sa vraie nature. »

< 246 p.789 >

« A quoi l’on peut mesurer la sagesse. - L’augmentation de la sagesse se laisse mesurer exactement d’après la diminution de bile. »

< 348 p.953 >

Alphonse KARR / Les Guêpes (troisième série) / Calmann Lévy 1888

« Le vieillard n’a pas plus d’expérience pour la vieillesse que n’en a pour la jeunesse l’homme qui entre dans la vie ; le vieillard n’a d’expérience que celle qui ne peut plus lui servir ; — la plus grande sagesse à laquelle l’homme puisse arriver ne peut s’appliquer qu’à un temps qui ne lui appartient plus. »

< Novembre 1841, p.147 >

Henry MARET / Pensées et opinions / Paris, Flammarion 1903 [BnF]

« La sagesse du vieillard ne consiste que dans l’impuissance d’être fou. »

< p.283 >

Désiré NISARD / Ægri somnia - Pensées et caractères / Calmann Lévy 1889

« L’expérience se paye si cher, qu’il faut bien pardonner à ceux qui l’ont acquise de la prendre pour la sagesse. »

< p.3 >

Jules RENARD / Journal / Robert Laffont - Bouquins 1990

« La sagesse des Nations, cette imbécile. »

< 20 juillet 1898 p.390 >

Théodore MONOD / Et si l’aventure humaine devait échouer / Grasset & Fasquelle 2000

« Les lieux communs et les dictons de la prétendue "sagesse des nations" sont bien la forme la plus insidieuse et la plus malfaisante du mensonge. "L’argent n’a pas d’odeur"? Alors qu’il pue terriblement. Si vis pacem para bellum ? Alors qu’il n’est pas d’exemple dans l’histoire de course pacifique aux armements qui ne s’achève dans le sang. "La fin justifie les moyens" ? Et c’est la torture réinstallée dans la plupart des polices et toutes les armées du monde... Et, bien entendu, le fameux : "On n’arrête pas le progrès", argument péremptoire, définitif, dès qu’il s’agit de justifier une nouvelle sottise. »

< p.105 >

Paul VALÉRY / Cahiers I / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1973

« Sur la folie — Lettre à Dominique.

Les cas les plus intéressants sont ceux qui ne s’éloignent pas infiniment de la normale. On trouve alors que l’équilibre mental est une apparence, que le fou est un grossissement de l’homme sain, — que tout esprit sain vu à la loupe est un grouillement d’éléments de démence.

Peut-être dans le sage sont-ils assez divers pour se compenser à peu près et chez le fou, sont-ils moins variés, et les impulsions s’ajoutent-elles jusqu’à rompre tous les obstacles que la présence du réel oppose aux puissances nerveuses? »

< Psychologie p.982 >

Paul LÉAUTAUD / Journal littéraire / Mercure de France 1986

« ... il y a une part de bêtise chez le redresseur de torts, le redresseur d’erreurs. Le vrai sage c’est celui qui se dit : quels niais, tous ces gens qui se laisse duper. Après tout, si cela leur plaît? L’essentiel, c’est que moi, je ne sois pas dupe. Le misanthrope est comique qui dit son fait à tout le monde. Le redresseur d’erreurs peut l’être tout autant. »

< 21 septembre 1927 I p.2030 >

432

SAGESSE

Jean COCTEAU / Opium / Romans, Poésies, Œuvres diverses / La Pochothèque LdP 1995

« La sagesse est d’être fou lorsque les circonstances en valent la peine. »

< p.600 >

Antoine BLONDIN / Certificats d’études / Œuvres / Robert Laffont - Bouquins 1991

« Ce qui est troublant, chez Jean Cocteau, c’est qu’il faille le prendre au sérieux. On a tôt fait de déceler le déséquilibré quand il est précisément un équilibriste. »

< p.797 >

André GIDE / Journal 1889-1939 / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1951

« C’est une grande sagesse que d’oser paraître imbécile mais il y faut un certain courage que je n’ai pas toujours eu. »

< 14 janvier 1912 p.357 >

« Celui qui proteste fera plus tard, du savoir renoncer, la sagesse de sa vie. »

< p.394 >

« Toutes les pensées qu’alimentait naguère le désir, toutes les inquiétudes qu’il soulevait, ah ! qu’il devient difficile de les comprendre, alors que la source de la convoitise tarit. Et comment s’étonner dès lors de l’intransigeance de ceux qui n’ont jamais été menés par le désir ?...Il semble, l’âge venant, qu’on se soit surfait quelque peu ses exigences et l’on s’étonne de voir de plus jeunes que soi s’en laisser tourmenter encore. Les vagues retombent lorsque le vent ne souffle plus ; tout l’océan s’endort pour pouvoir refléter le ciel. Savoir souhaiter l’inévitable, toute la sagesse est là. Toute la sagesse du vieillard. »

< 23 octobre 1927 p.855 >

« La sagesse commence où finit la crainte de Dieu. Il n’est pas un progrès de la pensée qui n’ait paru d’abord attentatoire, impie. »

< 15 janvier 1929 p.906 >

« Sans doute, est-il bien peu de préceptes de sagesse (et je doute si même il y en a quelques-uns) qui, pris sous un certain biais, ne semble folie. »

< 4 juillet 1933 p.1176 >

André GIDE / Journal 1939-1949 Souvenirs / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1954

« Il y a quelque... romantisme à se désoler que les choses ne soient pas autrement qu’elles ne sont ; c’est-

à-dire qu’elles ne peuvent être. C’est sur le réel qu’il nous faut édifier notre sagesse, et non point sur l’imaginaire. Même la mort doit être admise par nous et nous devons nous élever jusqu’à la comprendre ; jusqu’à comprendre que l’émerveillante beauté de ce monde vient de ceci précisément que rien n’y dure et que sans cesse ceci doit céder place et matière pour permettre à cela, qui n’a pas encore été, de se produire ; le même, mais renouvelé, rajeuni ; le même, et pourtant imperceptiblement plus voisin de cette perfection à laquelle il tend sans le savoir et dont se forme lentement le visage même de Dieu. »

< 10 mai 1940 p.20 >

Sacha GUITRY / Les Femmes et l’Amour / Cinquante ans d’occupations / Omnibus Presses de la Cité 1993

« — Sois sage !

Ce conseil salutaire est ordinairement le premier qu’on nous donne. Combien il est prématuré ! On nous le donne sur tous les tons, du ton de la prière au ton de la menace, ce qui tend à le déconsidérer aux yeux mêmes de ceux qui nous proposent la sagesse. Ils y renoncent assez vite et, sitôt que nous avons l’âge dit

"de raison", il n’en est plus question — et il n’en est plus question d’ailleurs.

Jusqu’à l’âge de dix ans, nos parents nous recommandent d’être sages. De dix à vingt ans, nos professeurs nous invitent à être sérieux, puis viennent nos premières maîtresses qui nous supplient d’être gentils. Enfin, voici nos épouses qui nous demandent d’être bons — et qui vont nous prier bientôt d’être indulgents.

Et c’est alors qu’ayant bien travaillé, beaucoup souffert et bien aimé, nous nous apercevons qu’il faut avoir vécu pendant cinquante années pour suivre le conseil qu’on nous donnait jadis. Ayant atteint la soixantaine, nous nous efforçons en effet d’être sages. »

< p.230-231 >

SAGESSE

433

ALAIN / Mars ou la guerre jugée / Les Passions et la Sagesse / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1960

« Le défaut de l’homme inculte est qu’il croit trop. Un esprit cultivé allège ; comme si beaucoup d’idées y vivaient ensemble par une politique provisoire, sans s’accorder toutes ; et c’est le propre d’un esprit juste, dans tous les sens de ce mot, que le oui et le non y vivent en paix, comme on voit en Montaigne ; aussi les lourds et précipités jugeurs ne le peuvent suivre. Il est pourtant clair qu’il y a une manière d’être assuré en ses opinions qui n’est pas bonne, comme les fous et les maniaques le font voir.

Il est vrai qu’aussi le sage ne doute point de tout, et Montaigne non plus. Ces débats ne se terminent point en deux ou trois arguments. J’ai observé chez des hommes de sens une masse difficile à déplacer, reposant sur elle-même et bien assise, nullement prête à s’écrouler par ici ou par là. Je dirais d’eux non pas qu’ils doutent de beaucoup de choses, mais plutôt qu’ils sont assurés de beaucoup de choses. Et voilà un équilibre que ni les métiers ni les sciences ne peuvent donner, parce que le fait et l’argument y ont une force brutale ; la guerre habite en ces dogmatiques. »

< p.658 >

Emil CIORAN / De l’inconvénient d’être né (1973) / Œuvres / Quarto Gallimard 1995

« X m’insulte. Je m’apprête à le gifler. Réflexion faite, je m’abstiens.

Qui suis-je ? quel est mon vrai moi : celui de la réplique ou celui de la reculade ? Ma première réaction est toujours énergique ; la seconde, flasque. Ce qu’on appelle "sagesse" n’est au fond qu’une perpétuelle

"réflexion faite", c’est-à-dire la non-action comme premier mouvement. »

< p.1282 >

« Le sage est celui qui consent à tout, parce qu’il ne s’identifie avec rien. Un opportuniste sans désirs. »

< p.1300 >

Emil CIORAN / Carnets 1957-1972 / nrf Gallimard 1997

« Qu’est-ce qu’un sage? Un Lucifer gâteux. »

< 14 novembre 1972 p.998 >

André COMTE-SPONVILLE / L’amour la solitude / Ed. Paroles d’Aube 1996

« Il y a bien des années, quand je me piquais encore un peu de littérature, je me souviens avoir écrit une nouvelle très courte, la plus courte que j’aie jamais écrite, et dont je crois qu’elle fut aussi la dernière.

Elle tenait en une phrase, et devait s’appeler Le sage. La voici : "Tout à la fin de sa vie, le sage comprit que la sagesse non plus n’avait pas d’importance." C’était encore de la littérature. Que la sagesse n’ait pas d’importance, la plupart le comprennent bien avant, qui ne sont sages qu’à cette condition. La sagesse n’est qu’un rêve de philosophe, dont la philosophie doit aussi nous libérer. La sagesse n’existe pas : il n’y a que des sages, et ils sont tous différents, et aucun bien sûr ne croit à la sagesse... »

< p.39 >

Philippe BOUVARD / Journal 1992-1996 / Le cherche midi éditeur 1997

« Sagesse comparative : ce sont les trahisons qui donnent tout son prix à la fidélité, les maladies qui permettent d’apprécier, lorsqu’elle réapparaît, la bonne santé, la mort des autres qui incite à se féliciter égoïstement au sortir des cimetières d’être encore en vie. »

< p.105 >

Georges PICARD / Petit traité à l’usage de ceux qui veulent toujours avoir raison / José Corti 1999

« L’excès n’est pas toujours là où on l’attend : attention aux sages qui, au nom de la mesure, finissent par aplanir toute idée saillante et par recouvrir de sable les pistes les mieux tracées. Avec eux, il y a risque de tout perdre, à commencer par la compréhension de notre propre point de vue. »

< p.167 >

434

SCIENCE

SCEPTICISME

Edmond et Jules de GONCOURT / Journal (t.1) / Robert Laffont - Bouquins 1989

« La crédulité est un signe d’extraction : elle est peuple par essence. Le sceptique, l’esprit critique est l’aristocratie de l’intelligence. »

< 24 mai 1861, p.700 >

Emil CIORAN / Carnets 1957-1972 / nrf Gallimard 1997

« Le sceptique est le désespoir du diable. C’est que le sceptique, n’étant l’allié de personne, ne pourra aider ni au bien ni surtout au mal. Il ne coopère avec rien, même pas avec soi. »

< p.97 >

Jean-François REVEL / La cabale des dévots / Robert Laffont - Bouquins 1997

« L’éclectisme en philosophie est scepticisme.

Je parle ici d’un scepticisme stérile, c’est-à-dire, non pas de celui qui consiste à nier l’indémontrable ou l’inintelligible, mais de celui qui consiste à tout affirmer sans rien croire, ou à tout croire sans rien prouver, la crédulité ayant remplacé la certitude. »

< p.429-430 >

SCIENCE

François RABELAIS / Pantagruel / Œuvres complètes / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1955

Science sans conscience.

« Mais, parce que selon le saige Salomon sapience n’entre poinct en âme malivole et science sans conscience n’est que ruine de l’âme, il te convient servir, aymer et craindre Dieu, et en luy mettre toutes tes pensées et tout ton espoir, et par foy formée de charité, estre à luy adjoinct en sorte que jamais n’en soys desamparé par péché. »

< chap.VIII p.206 >

Michel de MONTAIGNE / Essais / Garnier 1962

« C’est une bonne drogue que la science ; mais nulle drogue n’est assez forte pour se preserver sans altera-tion et corruption, selon le vice du vase qui l’estuye. »

< t.1 p.151 livre I chap.XXV >

MONTESQUIEU / Mes pensées / Œuvres complètes I / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1949

« Si la Physique n’avoit d’autres inventions que celles de la poudre et du feu grégeois, on feroit fort bien de la bannir comme la Magie. »

< 600 p.1127 >

« Qui diroit que le stylocératohyoïdien soit un petit muscle qui ne sert (lui dixième) qu’à remuer un très petit os ? Un nom si grand et si grec ne semble-t-il pas promettre un agent qui remueroit toute notre machine ?

Et je suis persuadé que, quant aux vaisseaux omphalomésentériques, un simple petit monosyllabe auroit pu remplir avec honneur toutes les fonctions de ce magnifique terme. »

< 787 p.1217 >

Antoine de RIVAROL / Esprit de Rivarol [œuvres diverses] / Paris 1808 [BnF cote Z-24383]

« Les méthodes sont les habitudes de l’esprit et les économies de la mémoire. »

< Métaphysique p.15 >

Joseph JOUBERT / Carnets / nrf Gallimard 1938-1994

« Cette physique moderne si vantée, si inférieure cependant à celle d’Aristote si méconnue, n’a pour mérite propre qu’un peu d’industrie mécanique appliquée avec succès à mesurer quelques distances et à déterminer avec précision quelques formes. Des chiffres lui suffisent pour exprimer toutes ses découvertes, ce qui ne leur suppose pas une grande beauté. »

< 4 mai 1799 t.1 p.294 >

SCIENCE

435

« L’expérience fait l’art, l’inexpérience la fortune. On fait des découvertes en cherchant et des trouvailles par hasard. »

< 9 mars 1800 t.1 p.342 >

« Les théories ont causé plus d’expériences que les expériences n’ont causé de théories. On voit par là de quelle utilité est au progrès des arts ce qui est purement rationnel dans chaque science. »

< 4 avril 1800 t.1 p.349 >

François René de CHATEAUBRIAND / Génie du Christianisme (1802) / Garnier-Flammarion 1966

« Lorsqu’on a été témoin des jours de notre révolution ; lorsqu’on songe que c’est à la vanité du savoir que nous devons presque tous nos malheurs, n’est-on pas tenté de croire que l’homme a été sur le point de périr de nouveau pour avoir porté une seconde fois la main sur le fruit de science ? et que ceci nous soit matière de réflexion sur la faute originelle : les siècles savants ont toujours touché aux siècles de destruction. »

< Première partie, livre quatrième, ch.III, tome 1 p.142 > Charles-Augustin SAINTE-BEUVE / Portraits littéraires / Robert Laffont - Bouquins 1993

« Notre XIXe siècle, à la différence du XVIIIe , n’est pas dogmatique ; il semble éviter de se prononcer, il n’est pas pressé de conclure ; il y a même de petites réactions superficielles qu’il a l’air de favoriser en craignant de les combattre. Mais, patience ! sur tous les points on est à l’œuvre ; en physique, en chimie, en zoologie, en botanique, dans toutes les branches de l’histoire naturelle, en critique historique, philosophique, en études orientales, en archéologie, tout insensiblement change de face ; et le jour où le siècle prendra la peine de tirer ses conclusions, on verra qu’il est à cent lieues, à mille lieues de son point de départ. Le vaisseau est en pleine mer ; on file des nœuds sans compter ; le jour où l’on voudra relever le point, on sera tout étonné du chemin qu’on aura fait. »

< Pensées, p.1077 >

Isidore DUCASSE (LAUTRÉAMONT) / Poésies (1870) / GF 528 - Flammarion 1990

« Le phénomène passe. Je cherche les lois. »

< II p.353 >

Désiré NISARD / Ægri somnia - Pensées et caractères / Calmann Lévy 1889

« Les adversaires de Pasteur, au lieu de le réfuter par des expériences de laboratoire, insinuaient que sa première pensée avait été de faire confesser par la science ses croyances personnelles. À ce moment-là, il était dans la plénitude de cette joie dont je parlais tout à l’heure, et je me rappelle comment se peignaient sur son visage le sentiment de la possession de la vérité et le tranquille dédain de ses contradicteurs.

Nous en parlions souvent.

— Sans doute, me disait-il, si mes découvertes doivent venir en aide à la croyance en Dieu, je m’en félici-terai ! Mais je n’ai pas pensé un seul moment à leur donner cette croyance pour principe, ni pour fin. Mon opinion sur les infiniment petits est une conception purement scientifique. Aucune considération religieuse n’a dirigé mon œil et ma main, et si mes expériences m’avaient démontré l’existence de générations spontanées, sans hésité j’en aurais convenu. Les recherches sur la cause première ne sont pas du domaine de la science. Elle ne connaît que ce qu’elle peut démontrer, des faits, des causes secondes, des phénomènes. »

< p.242 >

Jules RENARD / Journal / Robert Laffont - Bouquins 1990

« Un savant, c’est un homme qui est à peu près certain. »

< 16 novembre 1896 p.280 >

Paul-Jean TOULET / Les trois impostures / Œuvres complètes / Robert Laffont - Bouquins 1986

« Quand les femmes seront enfin aussi savantes que des hommes — que des hommes savants — ô amour, vous ne serez plus le sel de la vie : vous en serez le chlorure de sodium. »

< 90 p.172 >

436

SCIENCE

Alphonse ALLAIS / Œuvres posthumes / Robert Laffont - Bouquins 1990

« Laissez-moi m’interrompre un instant pour, pendant que j’y pense, vous faire part de la réflexion que formulait l’autre jour François Coppée, devant dix personnes que je pourrais citer :

— C’est drôle, on parle souvent du pôle Nord, plus rarement du pôle Sud, et jamais du pôle Ouest ni du pôle Est. Pourquoi cette injustice?... ou cet oubli? »

< Le Sourire, 17 novembre 1900 - p.601 >

« Longtemps on admira la méthode scientifique de cette brute de saint Thomas, lequel ne croyait qu’aux choses qu’il avait de ses yeux vu, palpées de ses mains.

Homais, Bouvard, Pécuchet et Paul Leroy-Beaulieu répètent à chaque instant et non sans évidente satisfaction :

— Moi, je suis un type dans le genre de saint Thomas.

Propos qui ne saurait faire leur éloge.

Plus la science marche, et particulièrement depuis quelques années, plus on s’aperçoit qu’en dehors de ce qu’on voit et de ce qu’on touche, grouillent des mondes et des mondes de phénomènes, dont les manifestations échappent à la pitoyable perception de ces gauches moignons qui s’appellent nos cinq sens. »

< Le Sourire, 14 mai 1904 p.806 >

Léon BLOY / Exégèse des lieux communs / Mercure de France 1968

« La science.

Et voilà le labarum* des imbéciles. La science ! Avant le vingtième siècle, la médecine pour ne parler que de cette gueuse, n’avait aucun besoin de la science et daignait à peine s’en recommander. Depuis fort longtemps, elle croupissait dans les déjections de ses malades. Maintenant elle piaffe dans sa propre ordure.

La putréfaction se plaignait de n’avoir pas son prophète. Alors Pasteur est venu, Pasteur au nom doux et mélibéen, et le Microbe, en retard de soixante siècles sur la création, est enfin sorti du néant. Quelle révolution ! À partir de lui, tout change. La recherche de la petite bête remplace l’ancien esprit des Croisades.

On ne connaît plus que la science, et chaque matassin revendique son animalcule. Tous les sérums, toutes les pestes liquides, tous les écoulements des morts, tout ce qui se passait naguère au fond des sépulcres, est aujourd’hui restitué à la lumière, préconisé, mobilisé, injecté, avalé. La rage, la tuberculose et le choléra sont devenus des apéritifs ou des pousse-café. Le moujick** de la bande vient de découvrir même un jus contre la vieillesse. Il ne tient qu’aux parents d’avantager leurs enfants de quarante ferments d’infection, dès le berceau, et de faire de leurs corps des vases de purulence. Ils sont à l’Institut Pasteur tout un lot de citoyens utiles exclusivement voués à la recherche des moyens de pourrir. »

< p.135 >

* labarum : Étendard romain, qui consistait en une longue lance, surmontée d’un bâton qui la traversait à angles droits, d’où pendait une riche pièce d’étoffe couleur de pourpre et quelquefois enrichie de pierres précieuses ; jusqu’au temps de Constantin le Grand, elle portait la figure d’une aigle ; mais ce prince fit mettre à la place une croix avec un chiffre qui exprimait le nom de Jésus, à la suite, dit-on, d’une apparition dans les nues qui lui montrait ce signe et lui annonçait la victoire s’il l’adoptait. (Littré)

** Le moujick de la bande : allusion à Élie Metchnikov (1845-1916), biologiste russe, père de l’immunologie moderne. En 1888 Pasteur l’invite à poursuivre ses recherches à l’institut qu’il venait de créer ; il y passera le reste de sa carrière. Il participe à l’élaboration du sérum anticholérique et du vaccin antityphoï-dique. En 1908 il reçoit le prix Nobel de médecine pour ses travaux sur l’immunologie.

André GIDE / Journal 1889-1939 / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1951

« De Groux digérait mal (à la suite d’autres griefs) que Léon Bloy lui dise et lui répète :

"Il faut, voyez-vous... il faut se vomir... sur les autres." »

< 3 mai 1904 p.140 >

Paul LÉAUTAUD / Journal littéraire / Mercure de France 1986

« On nous annonce un nouveau timbre poste, à l’effigie Pasteur, ce savant imbécile qui croyait à la Sainte Vierge. On ne dira pas que nous ne vivons pas dans une époque d’idolâtrie. »

< 21 mai 1923 I p.1344 >

SCIENCE

437

« Extrait d’un discours du "savant" Jean Perrin, de l’Académie des Sciences, et quelque chose dans le gouvernement actuel :

Je ne pensais d’abord qu’à la recherche pure. C’est d’elle en effet, qu’est venu, outre tout l’élargissement de notre intelligence, le formidable accroissement de puissance, qui est le grand fait de l’histoire contemporaine.

C’est par elle seule que nous pouvons espérer quelque chose de vraiment beau, qui libérera tous les hommes de toute servitude, et leur donnera ainsi les nobles loisirs sans lesquels il n’est pas de haute culture . Et cette même recherche finira par nous épargner la déchéance et la maladie, transformant en une aventure éclatante la destinée médiocre qui nous semblait promise.

Encore un sot complet, - il en a d’ailleurs le visage, avec son air d’hurluberlu, - qui s’imagine que la science changera les hommes, les fera tous sensés, intelligents, généreux, les fera tous du même composé chimique et de la même structure organique, supprimera chez tous les passions, les rivalités, les haines, fera de tous des êtres de "haute culture", tous accessibles aux "nobles loisirs". Dire que toute notre époque, depuis la Révolution, repose sur ces âneries ! »

< 23 décembre 1936 II p.1752 >

Paul LÉAUTAUD / Propos d’un jour / Œuvres / Mercure de France 1988

« Une excellente définition du savant par M. Hector Talvart : "Un savant est un homme qui sait beaucoup de choses qu’il faudrait connaître mieux que lui pour savoir s’il n’est pas un âne." »

< p.368 >

Paul LÉAUTAUD / Le théâtre de Maurice Boissard / Œuvres / Mercure de France 1988

« La découverte scientifique n’est pas une preuve de génie, pas même d’intelligence. Il n’y faut que des connaissances techniques, servies par le hasard. Un "savant", qui mélange des corps, qui expérimente un sérum, qui "travaille" un animal tout vivant ligoté sur une table, ne sait pas ce qu’il produira, et cherche.

C’est un mot courant dans les recherches de laboratoires : le phénomène possible. Le mathématicien Henri Poincaré a raconté avoir trouvé la solution de son problème le plus difficile dans l’inconscience du premier sommeil. Nous les avons vus, au début de la guerre, ces "savants", renier d’un coup de plume tout ce qu’ils admiraient auparavant chez leurs confrères allemands. Quand se sont-il trompés? Quand ils admiraient, ou quand ils ont dénigré? Si leur science vaut leur jugement, on voit si nous devons être sceptique. »

< p.1356 >

Friedrich NIETZSCHE / Humain, trop humain. (1878-1879) / Œuvres I / Robert Laffont - Bouquins 1990

« Le pouvoir, non le savoir, exercé par la science.

La valeur d’avoir passé quelques temps à pratiquer exactement une science exacte ne réside pas dans ses résultats ; car, en proportion de la mer des objets de science, ceux-ci ne sont qu’une quantité insignifiante.

Mais on en tire un accroissement d’énergie, de capacité de raisonner, de constance à persévérer ; on a appris à atteindre une fin par des moyens appropriés à cette fin. C’est en ce sens qu’il est très précieux, en vue de tout ce que l’on fera plus tard, d’avoir été un jour homme de science. »

< 256 p.578 >

Anatole FRANCE / Le jardin d’Épicure (1894) / Calmann Lévy, Paris 1895 [BnF]

« Ce qui est admirable, ce n’est pas que le champ des étoiles soit si vaste, c’est que l’homme l’ait mesuré. »

< p.10 >

Albert EINSTEIN / Pensées intimes / Éditions du Rocher 2000

« L’éternel mystère du monde est son intelligibilité. »

< Physics and Reality, Franklin Institute Journal 221, n°3, mars 1936, p.349 >

« Il est étrange que la science, qui jadis semblait inoffensive, se soit transformée en un cauchemar faisant trembler tout le monde. »

< Lettre à la reine Élisabeth de Belgique, 28 mars 1954, Archives Einstein 32-410 ; p.160 > 438

SCIENCE

Marcel PAGNOL / Notes sur le rire / Editions de Fallois 1990

« Il est facile d’imiter les hommes de science. Leurs découvertes sont transmissibles, celles des artistes ne le sont pas. La contemplation prolongée de la Joconde ne nous donne pas le talent de Vinci. Mais, si un savant de génie invente la poudre et qu’il en donne la formule, tous les imbéciles en font : ils nous l’ont bien prouvé, et ce n’est pas fini. »

< p.25 >

Georges BERNANOS / La Grande Peur des bien-pensants (1931) / Essais et écrits de combats I / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1971

« [...] la science ne libère qu’un bien petit nombre d’esprits faits par elle, prédestinés. Elle asservit les autres. La complexité de son immense machinerie exige des sacrifices croissants, une discipline chaque jour plus stricte, la totale dépendance de l’ouvrier à l’outil merveilleux dont il ne connaît rien qu’un levier ou qu’un écrou ! Il serait fou d’imaginer un équipement planétaire arrivé au dernier degré de la perfection, et resté néanmoins sous le contrôle de la multitude. L’aristocratie polytechnique, à laquelle seront finalement remis les destins de notre minuscule univers, apparaîtra bientôt ce qu’elle est réellement, la plus inhumaine de toutes, la plus fermée. Une parole de roi pouvait changer jadis un pauvre diable en seigneur, il faudra demain vingt années d’études et une manière de génie pour faire un ingénieur capable d’utiliser quelques-uns des puissants moyens mis par la science au service du plus dangereux des êtres, dont le pouvoir de destruction est pratiquement sans limites, car il est le seul à préférer à ses besoins, à ses passions. »

< p.335 >

François JACOB / Le jeu des possibles / Fayard 1981

« Le début de la science moderne date du moment où aux questions générales se sont substituées des questions limitées ; où au lieu de demander : "Comment l’univers a-t-il été créé ? De quoi est faite la matière ?

Quelle est l’essence de la vie ?", on a commencé à se demander : "Comment tombe une pierre ? Comment l’eau coule-t-elle dans un tube ? Quel est le cours du sang dans le corps ?". Ce changement a eu un résultat surprenant. Alors que les questions générales ne recevaient que des réponses limitées, les questions limitées se trouvèrent conduire à des réponses de plus en plus générales. »

< p.27 >

« Contrairement à ce qu’on croit souvent, la démarche scientifique ne consiste pas simplement à observer, à accumuler des données expérimentales pour en déduire une théorie. On peut parfaitement examiner un objet pendant des années sans jamais en tirer la moindre observation d’intérêt scientifique. Pour apporter une observation de quelque valeur, il faut déjà, au départ, avoir une certaine idée de ce qu’il y a à observer.

Il faut déjà avoir décidé ce qui est possible. Si la science évolue, c’est souvent parce qu’un aspect encore inconnu des choses se dévoile soudain ; pas toujours comme conséquence de l’apparition d’un appareillage nouveau, mais grâce à une manière nouvelle d’examiner les objets, de les considérer sous un angle neuf.

Ce regard est nécessairement guidé par une certaine idée de ce que peut bien être la "réalité". Il implique toujours une certaine conception de l’inconnu, de cette zone située juste au-delà de ce que la logique et l’expérience autorisent à croire. »

< p.29-30 >

« La règle du jeu en science, c’est de ne pas tricher. Ni avec les idées, ni avec les faits. C’est un engagement aussi bien logique que moral. Celui qui triche manque simplement son but. Il assure sa propre défaite. Il se suicide. En fait, les fraudes en science sont à la fois surprenantes et intéressantes. Surprenantes parce que, sur des questions importantes, il est enfantin de penser que la supercherie passera longtemps inaperçue ; il faut donc que le tricheur croie dur comme fer non seulement à la possibilité, mais à la réalité du résultat qu’il entend démontrer par sa fraude. Intéressantes aussi parce que les fraudes vont du truquage délibéré des résultats à ce qui n’est que déviation légère, parfois même inconsciente, par rapport au comportement normal du scientifique. Elles touchent ainsi à des aspects psychologiques et idéologiques de la science et des scientifiques. Elles peuvent donc aider à comprendre certaines des idées préconçues qui, à une période donnée, font obstacle au développement scientifique. En ce sens, les fraudes font partie de l’histoire des sciences. »

< p.38-39 >

SCIENCE

439

« Il est vrai que les innovations de la science peuvent servir au meilleur comme au pire, qu’elles sont sources de malheurs comme de bienfaits. Mais ce qui tue et ce qui asservit, ce n’est pas la science. Ce sont l’intérêt et l’idéologie. Malgré le Dr Frankenstein et le Dr Folamour, les massacres de l’histoire sont plus le fait de prêtres et d’hommes politiques que de scientifiques. Et le mal ne vient pas seulement de situations où l’on utilise intentionnellement la science à des fins de destruction. Il peut aussi être une conséquence lointaine et imprévisible d’actions mises en œuvre pour le bien de l’humanité. Qui aurait pu prévoir la surpopulation comme suite aux développements de la médecine? Ou la dissémination de germes résistants aux antibiotiques comme suite à l’usage même de ces médicaments ? Ou la pollution comme suite à l’emploi d’engrais permettant d’améliorer les récoltes ? Tous problèmes pour lesquels ont été ou seront trouvées des solutions. »

< p.91-92 >

François CAVANNA / La belle fille sur le tas d’ordures / L’Archipel (LdP9667) 1991

« Que cesse l’opposition "Science contre Nature", "artificiel contre naturel". La science est l’étude de tout ce qui est, c’est-à-dire de la nature. La compréhension de la nature se fait par la science, et ne se fait que par elle. C’est la science qui a découvert, par exemple, le rôle des vitamines dans la santé, celui des micro-organismes dans la maladie, d’où la nécessité d’une nourriture équilibrée, de la propreté et de l’asepsie. Il n’y a qu’une manière d’aborder la compréhension de l’existant, c’est l’utilisation du seul outil que nous ayons : notre raison. Encore cet outil nécessite-t-il un apprentissage : ce que Descartes appelait

"la Méthode" et qui est tout simplement la logique scientifique stricte. »

< p.82 >

Robert MUSIL / L’homme sans qualités / Editions du Seuil - Points 1956

« Les spécialistes n’en ont jamais fini. Non qu’ils n’en aient pas fini, simplement, en ce moment : il leur est tout à fait impossible d’imaginer que leur activité prenne fin. Peut-être même de le souhaiter. Peut-on se figurer, par exemple, que l’homme aura encore une âme, quand la biologie et la psychologie lui auront appris à la comprendre, à la traiter dans son entier? Néanmoins, nous aspirons à ce moment ! Tout est là. Le savoir est une attitude, une passion. C’est même, au fond, une attitude illicite : comme le goût de l’alcool, de l’érotisme ou de la violence, le besoin de savoir entraîne la formation d’un caractère qui n’est plus en équilibre. Il est tout à fait faux de dire que le chercheur poursuive la vérité, c’est elle qui le poursuit. Il la subit. Le Vrai est vrai, le fait est réel indépendamment du chercheur : simplement le chercheur en a la passion ; la dipsomanie du fait détermine son caractère, et il se soucie comme d’une guigne de savoir si ses constatations engendreront quelque chose de total, d’humain, d’accompli, ou si elles engendreront quoi que ce soit. C’est une nature contradictoire, souffrante, et cependant extraordinairement énergique. »

< T.1 p.271 >

Emil CIORAN / Sur les cimes du désespoir / Œuvres / Quarto Gallimard 1995

« La connaissance à petite dose enchante ; a forte dose, elle déçoit. Plus on en sait, moins on veut en savoir.

Car celui qui n’a pas souffert de la connaissance n’aura rien connu. »

< p.101 >

Emil CIORAN / Syllogismes de l’amertume (1952) / Œuvres / Quarto Gallimard 1995

« Objection contre la science : ce monde ne mérite pas d’être connu. »

< p.757 >

Pierre DESPROGES / Vivons heureux en attendant la mort / Ed. du Seuil 1983

« L’homme de Science le sait bien, lui, que, sans la Science, l’homme ne serait qu’un stupide animal sottement occupé à s’adonner aux vains plaisirs de l’amour dans les folles prairies de l’insouciance, alors que la Science, et la Science seule, a pu, patiemment, au fil des siècles, lui apporter l’horloge pointeuse et le parcmètre automatique sans lesquels il n’est pas de bonheur terrestre possible. »

< p.123 >

440

SECRET

SCRUPULE

Jules RENARD / Journal / Robert Laffont - Bouquins 1990

« Scrupules, vermine de la volonté. »

< 23 janvier 1908 p.912 >

« Qui n’a point la maladie du scrupule ne doit même pas songer à être honnête. »

< 15 mars 1910 p.997 >

Vladimir JANKÉLÉVITCH / Philosophie morale / Mille&UnePages Flammarion 1998

« Il est ridicule d’être trop prudent — et pourtant bien des péchés s’inscrivent en quelque sorte dans notre âme à l’encre sympathique, et ne deviennent lisibles qu’à la chaleur des scrupules qui nous les font apparaître ; nos scrupules pourchassent les sophismes subtils de l’amour-propre, démasquent les péchés faussement véniels, nous rendent exigeants et impitoyables pour nous-mêmes. Hélas ! qui dira jamais à quel moment le scrupule moral devient manie et délire ! »

< La mauvaise conscience, p.167 >

SECRET

Jean de LA FONTAINE / Fables / La Pochothèque LdP 2000

« Rien ne pèse tant qu’un secret :

Le porter loin est difficile aux dames ;

Et je sais même sur ce fait

Bon nombre d’hommes qui sont femmes. »

< Livre huitième, VI Les femmes et le secret p.450 > Jean de LA BRUYÈRE / Les Caractères / Œuvres / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1951

« Un homme est plus fidèle au secret d’autrui qu’au sien propre ; une femme au contraire garde mieux son secret que celui d’autrui. »

< p.124 III (58) >

« Toute révélation d’un secret est la faute de celui qui l’a confié. »

< p.174 V (81) >

Charles de SAINT-ÉVREMOND / Œuvres mêlées (6) / Paris, C.Barbin 1684

« Ne vous plaignez jamais de ce que l’on ne vous a pas gardé le secret, sans commencer à vous plaindre de vous-même. Comment aura-t-on pour vous plus de fidélité que vous n’en avez eu. On ne doit pas espérer que l’on nous conservera ce que nous avons abandonné les premiers. »

< Pensées sur des sujets différents, p.98 >

Baltasar GRACIÁN / Maximes / Paris, Rollin fils 1730 [BnF]

« Ne point déclarer d’abord ses desseins, c’est tenir les hommes en suspens ; surtout dans un rang élevé, où l’on est l’objet de l’attente publique ; ce procédé fait soupçonner qu’il y a du mystère en tout ; et le mystère attire la vénération. Lors même qu’on s’explique, il faut se garder bien de le faire en termes trop clairs ; ainsi que dans le commerce ordinaire de la vie, on ne doit point ouvrir son cœur à tout le monde. Le silence concerté est le sanctuaire de la sagesse. »

< Maxime III Se conduire d’une manière à tenir les hommes en suspens, p.2 > Jean-Benjamin de LABORDE / Pensées et Maximes (1791) / Paris, Lamy 1802 [BnF]

« Le secret est ton esclave si tu le gardes, tu deviens le sien s’il t’échappe. »

< 133, p.23 >

SECTE

441

JEAN-PAUL / Pensées de Jean-Paul / Paris, Firmin Didot 1829 [BnF]

« N’ordonnez pas à un enfant de garder un secret, serait-ce même une surprise que vous ménagez à un être chéri ! La discrétion, cette vertu héroïque, demande pour être exercée la force d’une raison plus mûre ; la raison seule enseigne à se taire, le cœur n’apprend qu’à parler. »

< p.29 >

Sören KIERKEGAARD / Ou bien... Ou bien... (1843) / Tel 85 Gallimard 1943

« Il n’y a peut-être rien qui ennoblit plus un être humain que de savoir garder un secret. Cela donne à toute sa vie une signification, valable pour lui seul il est vrai, cela le délivre de tout vain égard vis-à-vis du monde qui l’entoure, il se suffit à lui-même et se sent heureux avec son secret, même, on peut presque le dire, si ce secret est des plus funestes. »

< p.122 >

Vladimir JANKÉLÉVITCH / L’ironie / Champs Flammarion 1964

« Un secret qu’on est vraiment seul à détenir, un tel secret rendrait malades les plus robustes, et on peut même se demander s’il existe une conscience assez intrépide pour supporter ce tête-à-tête, sans en mourir ; seule une psychanalyse appropriée, en divulguant le grand secret qui nous consume, nous rendrait le sommeil et l’appétit. Ce qu’il y a de plus puissant dans le secret, ce n’est donc pas le mutisme qu’il impose, c’est la complicité qu’il crée entre ceux qui en sont porteurs ; il est à la fois tacite et explicite, exclusif et confiant ; il ferme la bouche aux initiés, il calfeutre portes et fenêtres, mais ce silence dont il s’enveloppe est un silence qui en dit long. »

< p.48 >

Edouard HERRIOT / Jadis (**) D’une guerre à l’autre 1914-1936 / Flammarion 1952

« Autre règle : si peu que l’on parle, on parle toujours trop. Le chapeau d’un homme d’État ne devrait jamais savoir ce que pense sa tête. »

< p.306 >

SECTE

VOLTAIRE / Dictionnaire philosophique / Garnier 1967.

« Toute secte, en quelque genre que ce puisse être, est le ralliement du doute et de l’erreur.

Scotistes, thomistes, réaux, nominaux, papistes, calvinistes, molinistes, jansénistes ne sont que des noms de guerre.

Il n’y a point de secte en géométrie ; on ne dit point un euclidien, un archimédien.

Quand la vérité est évidente, il est impossible qu’il s’élève des partis et des factions. Jamais on n’a disputé s’il fait jour à midi. »

< p.385 >

SENS

ÉRASME / Éloge de la Folie / Robert Laffont - Bouquins 1992

« Le sage se réfugie dans les livres des Anciens où il n’apprend que de pures arguties de langage. Le fou aborde les réalités et en fait l’épreuve de près ; il acquiert par là, si je ne me trompe, le véritable bon sens.

C’est ce qu’Homère paraît avoir bien vu, tout aveugle qu’il était, quand il dit : "Le fou s’instruit à ses dépens." Il y a en effet deux obstacles principaux qui empêchent de parvenir à la connaissance des choses : l’hésitation, qui répand une fumée sur l’esprit, et la crainte, qui à la vue du péril vous détourne d’agir. Mais la Folie vous en délivre à merveille. Peu de mortels comprennent les nombreux avantages qu’il y a à être sans hésitation et à tout oser. »

< p.33 >

442

SENS

Thomas HOBBES / Léviathan (1651) / Dalloz 1999

« [...] telle est la nature des hommes, que, quelque supériorité qu’ils puissent reconnaître à beaucoup d’autres dans le domaine de l’esprit, de l’éloquence ou des connaissances, néanmoins, ils auront du mal à croire qu’il existe beaucoup de gens aussi sages qu’eux-mêmes. Car ils voient leur propre esprit de tout près et celui des autres de loin. Mais cela prouve l’égalité des hommes sur ce point, plutôt que leur inégalité.

Car d’ordinaire, il n’y a pas de meilleur signe d’une distribution égale de quoi que ce soit, que le fait que chacun soit satisfait de sa part. »

< Partie I ch.xiii De la condition naturelle des hommes, p.122 > DESCARTES / Discours de la méthode / Œuvres philosophiques Tome I / Garnier 1963

« Le bon sens est la chose du monde la mieux partagée : car chacun pense en être si bien pourvu, que ceux même qui sont les plus difficiles à contenter en toute autre chose, n’ont point coutume d’en désirer plus qu’ils en ont. En quoi il n’est pas vraisemblable que tous se trompent ; mais plutôt cela témoigne que la puissance de bien juger, et distinguer le vrai d’avec le faux, qui est proprement ce qu’on nomme le bon sens ou la raison, est naturellement égale en tous les hommes ; et ainsi que la diversité de nos opinions ne vient pas de ce que les uns sont plus raisonnables que les autres, mais seulement de ce que nous conduisons nos pensées par diverses voies, et ne considérons pas les mêmes choses. Car ce n’est pas assez d’avoir l’esprit bon, mais le principal est de l’appliquer bien. Les plus grandes âmes sont capables des plus grands vices, aussi bien que des plus grandes vertus ; et ceux qui ne marchent que fort lentement peuvent avancer beaucoup d’avantage, s’ils suivent toujours le droit chemin, que ne font ceux qui courent, et qui s’en éloignent. »

< p.568 >

André GIDE / Journal 1889-1939 / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1951

« Il reste extraordinaire et presque incompréhensible que Descartes estimât le bon sens "la chose du monde la mieux partagée" et "naturellement égale à tous les hommes". Je la tiens tout au contraire pour une qualité des plus rares... ou c’est que je comprend mal Descartes. »

< 16 octobre 1927 p.853-4 >

« Il faut déjà passablement d’intelligence pour souffrir de n’en avoir pas davantage. Rien de plus fat qu’un niais. »

< 21 mars 1930 p.976 >

Umberto ECO / Comment voyager avec un saumon / Grasset 1997

« Contrairement à ce que disait Descartes, la chose du monde la mieux partagée, ce n’est pas le bon sens, mais la bêtise : car chacun pense en être si bien dépourvu que ceux mêmes qui sont les plus difficiles à contenter en toute autre chose n’ont point coutume d’en désirer moins qu’ils en ont. »

< p.2 >

ARNAULD & NICOLE / La logique ou l’art de penser / Champs -Flammarion 1970

« Il n’y a rien de plus estimable que le bon sens et la justesse de l’esprit dans le discernement du vrai et du faux. Toutes les autres qualités d’esprit ont des usages bornés ; mais l’exactitude de la raison est généralement utile dans toutes les parties et dans tous les emplois de la vie. »

< p.36 >

« Le sens commun n’est pas une qualité si commune que l’on pense. Il y a une infinité d’esprits grossiers et stupides que l’on ne peut réformer en leur donnant l’intelligence de la vérité, mais en les retenant dans les choses qui sont à leur portée, et en les empêchant de juger de ce qu’ils ne sont pas capables de connaître. »

< p.37 >

LA ROCHEFOUCAULD / Maximes / Garnier 1967

« Tout le monde se plaint de sa mémoire, et personne ne se plaint de son jugement. »

< M 89 p.27 >

SENS

443

« On trouve des moyens pour guérir de la folie, mais on n’en trouve point pour redresser un esprit de travers. »

< M 318 p.78 >

« Nous ne trouvons guère de gens de bon sens, que ceux qui sont de notre avis. »

< M 347 p.83 >

Blaise PASCAL / Pensées / Œuvres complètes / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1954

« Quand on veut reprendre avec utilité, et montrer à un autre qu’il se trompe, il faut observer par quel côté il envisage la chose, car elle est vraie ordinairement de ce côté-là, et lui avouer cette vérité, mais lui découvrir le côté par où elle est fausse. Il se contente de cela, car il voit qu’il ne se trompait pas, et qu’il manquait seulement à voir tous les côtés ; or on ne se fâche pas de ne pas tout voir, mais on ne veut pas s’être trompé ; et peut-être que cela vient de ce que naturellement l’homme ne peut tout voir, et de ce que naturellement il ne se peut tromper dans le côté qu’il envisage, comme les appréhensions des sens sont toujours vraies. »

< 93 p.1114 >

« D’où vient qu’un boiteux ne nous irrite pas, et un esprit boiteux nous irrite ? À cause qu’un boiteux reconnaît que nous allons droit, et qu’un esprit boiteux dit que c’est nous qui boitons ; sans cela nous en aurions pitié et non colère. »

< 101 p.1115 >

Charles de SAINT-ÉVREMOND / Œuvres mêlées (12) / Paris, C.Barbin 1693

« Le bon sens n’est admiré quasi de personne, pour n’être connu que par des réflexions que peu de gens savent faire. »

< Maximes, III, p.224 >

VOLTAIRE / Dictionnaire philosophique / Garnier 1967.

« On dit quelquefois : "Le sens commun est fort rare" ; que signifie cette phrase ? Que dans plusieurs hommes la raison commencée est arrêtée dans ses progrès par quelques préjugés ; que tel homme qui juge très sainement dans une affaire, se trompera toujours grossièrement dans une autre. »

< p.388 >

« Nous avons des aveugles, des borgnes, des bigles, des louches, des vues longues, des vues courtes, ou distinctes, ou confuses, ou faibles, ou infatigables. Tout cela est une image assez fidèle de notre entendement ; mais on ne connaît guère de vues fausses. Il n’y a guère d’hommes qui prennent toujours un coq pour un cheval, ni un pot de chambre pour une maison. Pourquoi rencontre-t-on souvent des esprits, assez justes d’ailleurs, qui sont absolument faux sur des choses importantes?

...

Les plus grands génies peuvent avoir l’esprit faux sur un principe qu’ils ont reçu sans examen. Newton avait l’esprit très faux quand il commentait l’ Apocalypse. »

< p.183 >

Alphonse KARR / En fumant / M. Lévy frères 1862

« Le bon sens réunit tout d’abord la majorité mais contre lui. Ce n’est qu’après avoir épuisé toutes les formes de l’erreur, qu’on arrive à la vérité. »

< p.59 >

Ernest RENAN / L’Avenir de la science, Pensées de 1848 (1890) / GF 765 Flammarion 1995

« Tout est fécond excepté le bon sens. »

< p.434 >

Marcel BOLL / L’occultisme devant la science / Que sais-je? PUF 1944

« À l’égard des sciences occultes, le bon sens consiste souvent à prendre pour des vérités absolues l’énoncé tendancieux d’observations, que l’on croit scientifiquement valables. Le bon sens consiste à croire, en dépit de toutes les preuves expérimentales, "qu’il pourrait peut-être bien y avoir quelque chose de vrai là-dedans".

444

SEXUALITÉ

Le bon sens consiste à avoir un peu honte des superstitions, à affecter de les plaisanter devant témoins, quitte à accomplir quand même des pratiques magiques (en se cachant s’il y a lieu). »

< p.14-15 >

Jules RENARD / Journal / Robert Laffont - Bouquins 1990

« Ah ! tant pis pour moi ! La musique m’embête. La peinture, j’en ignore, et une sculpture me ravit autant qu’une figure de cire chez un coiffeur. Encore celle-ci est-elle animée ; elle semble vivre. Elle tourne lentement sur une vis, et elle soulève et abaisse comme un président de Cour, son toupet avec une régularité opiniâtre.

C’est qu’il vous manque un sens, me dira-t-on. La psychologie m’avait déjà dit que je n’en ai que cinq. Un sens de plus, un de moins, qu’importe, pourvu qu’il me reste le bon ! »

< 21 février 1890 p.44 >

Raymond DEVOS / Sens dessus dessous. (Sketches) / Stock 1976 LdP5102

« Méfiez-vous, parce que l’on commence par dire des âneries... Ensuite, on sort quelques balourdises...

Puis des stupidités, et de stupidités en stupidités... on en arrive aux inepties et, un jour on se surprend à proférer des énormités.

Il est trop tard, l’esprit est faussé ! »

< p.196 >

Philippe BOUVARD / Maximes au minimum / Robert Laffont 1984

« Faire comprendre des choses complexes à des gens simples frise souvent l’abus de confiance. »

< p.50 >

SEXUALITÉ

Diogène LAËRCE / Vies et doctrines des philosophes illustres / La Pochothèque LdP 1999

« Un jour qu’il [Diogène] se masturbait sur la place publique, il dit : "Si seulement en se frottant aussi le ventre, il était possible de calmer sa faim !" »

< VI 46 Diogène p.722 >

Charles BAUDELAIRE / Mon cœur mis à nu / Œuvres complètes I / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1975

« Plus l’homme cultive les arts, moins il bande.

Il se fait un divorce de plus en plus sensible entre l’esprit et la brute.

La brute seule bande bien, et la fouterie est le lyrisme du peuple. »

< p.702 >

« Foutre, c’est aspirer à entrer dans un autre, et l’artiste ne sort jamais de lui-même. »

< p.702 >

Edmond et Jules de GONCOURT / Journal (t.1) / Robert Laffont - Bouquins 1989

« Dieu a fait le coït, l’homme a fait l’amour. »

< juillet 1855, p.139 >

« Histoire de je ne sais plus qui, du Siècle, qui faisait toujours des enfants et que les rédacteurs étaient obligés d’aumôner : "Mais enfin" lui dit un jour Perrée devant Mme Perrée, "vous devriez prendre des précautions... — Comment voulez-vous? Ma femme a des hémorroïdes ! »

< 1 août 1856, p.196 >

SEXUALITÉ

445

Edmond et Jules de GONCOURT / Journal (t.2) / Robert Laffont - Bouquins 1989

« Paul Lacroix me confirme dans la confidence que m’avait faite Gavarni, sur l’économie que Balzac apportait dans la dépense de son sperme. La petite oie et l’amusette de l’amour jusqu’à l’éjaculation, très bien ! Mais jusqu’à l’éjaculation seulement ! Le sperme était pour lui une émission de pure substance cérébrale et comme une filtration, une perte, par la verge, d’une création ; et je ne sais à l’occasion de quel mauvais coup, pour lequel il avait oublié ses théories, il arriva chez Latouche en s’écriant : "J’ai perdu un livre ce matin !" »

< 30 mars 1875, p.639 >

« La toute dernière définition de pédéraste : c’est un homme qui s’amuse là où les autres s’emmerdent. »

< 10 février 1886, p.1217 >

Arthur SCHOPENHAUER / Pensées et fragments / Alcan 1900 [BnF]

« Imaginez un instant que l’acte de la génération ne soit ni un besoin ni une volupté, mais une affaire de réflexion pure et de raison : l’espèce humaine pourrait-elle encore subsister ? Chacun n’aurait-il pas eu plutôt assez pitié de la génération à venir, pour lui épargner le poids de l’existence, ou du moins n’aurait-il pas hésité à le lui imposer de sang-froid? »

< p.56 >

Friedrich NIETZSCHE / Par-delà le bien et le mal (1886) / Œuvres II / Robert Laffont - Bouquins 1990

« Le christianisme a fait boire du poison à Éros : il n’en est pas mort, mais il est devenu vicieux. »

< 168 p.627 >

Sigmund FREUD / Essais de psychanalyse / Petite Bibliothèque Payot (44) 1973

« Celui qui voit dans la sexualité quelque chose de honteux et d’humiliant pour la nature humaine, est libre de se servir des termes plus distingués Eros et Erotique. J’aurais pu en faire autant moi-même dès le début, ce qui m’aurait épargné pas mal d’objections. Mais je ne l’ai pas fait, car je n’aime pas céder à la pusillanimité. On ne sait jusqu’où on peut aller dans cette voie ; on commence par céder sur les mots et on finit parfois par céder sur les choses. Je ne trouve pas qu’il y ait un mérite à avoir honte de la sexualité ; le mot grec Eros, par lequel on prétend diminuer cette honte, n’est, au fond, pas autre chose que la traduction de notre mot Amour ; et, enfin, celui qui sait attendre n’a pas besoin de faire des concessions. »

< Psychologie collective et analyse du Moi, 1921 p.110 > Paul LÉAUTAUD / Propos d’un jour / Œuvres / Mercure de France 1988

« Ce petit appendice (à transformations !) que nous autres hommes nous avons au bas du ventre, qu’il nous fait faire de folies ! »

< p.324 >

Emil CIORAN / Syllogismes de l’amertume (1952) / Œuvres / Quarto Gallimard 1995

« Le spermatozoïde est le bandit à l’état pur. »

< p.812 >

Henri LABORIT / Éloge de la fuite / Robert Laffont 1976 - Gallimard folio-essais 7

« Affectivement, je me moque bien de l’avenir de l’espèce, c’est vrai. Si l’on me dit que c’est pour mes enfants et les enfants de mes enfants que je souhaite un monde différent, et que cela est "bien", je répondrai que ce n’est alors que l’expression de mon narcissisme, du besoin que j’éprouve de me prolonger, de truquer avec la mort à travers une descendance qui ne présente pour moi d’intérêt que parce qu’elle est issue de moi.

Ne vaut-il pas mieux alors rester célibataire, ne pas se reproduire, que de limiter les "autres" à cette petite fraction rapidement très mélangée et indiscernable de nous-mêmes? Sommes-nous si intéressants que nous devions infliger notre présence au monde futur à travers celle de notre progéniture? Depuis que j’ai compris cela, rien ne m’attriste autant que cet attachement narcissique des hommes aux quelques molécules d’acide désoxyribonucléique qui sortent un jour de leurs organes génitaux. »

< p.69 >

446

SHAKESPEARE

François JACOB / Le jeu des possibles / Fayard 1981

« Pourquoi faut-il se mettre à deux pour faire un troisième ? Pourquoi seule de toutes les fonctions du corps, la reproduction est-elle assurée par un organe dont un individu ne possède jamais que la moitié, ce qui l’oblige à dépenser beaucoup de temps et d’énergie pour trouver une autre moitié? »

< p.18 >

« Pour la biologie moderne, tout être vivant se forme par l’exécution d’un programme inscrit dans ses chro-mosomes. Chez les organismes sans sexe, se reproduisant par exemple par fission, le programme génétique est exactement recopié à chaque génération. Tous les individus de la population sont alors identiques, à l’exception de quelques rares mutants. De telles populations ne peuvent s’adapter que par sélection de ces mutants sous la pression du milieu. En revanche, dès lors que la sexualité devient condition nécessaire de la reproduction, chaque programme est formé, non plus par copie exacte d’un seul programme, mais par réassortiment de deux programmes différents. En conséquence, chaque programme génétique, c’est-à-dire chaque individu, devient différent de tous les autres, à l’exception des jumeaux identiques. Chaque enfant conçu par un couple donné est le résultat d’une loterie génétique.

[...]

Le réassortiment du matériel génétique à chaque génération permet de juxtaposer rapidement des mutations favorables qui, chez les organismes dépourvus de sexualité, resteraient séparées. Une population pourvue de sexualité peut donc évoluer plus vite qu’une population qui en est dépourvue. A long terme, les populations sexuées peuvent survivre là où s’éteindraient des populations asexuées. De plus, les organismes à reproduction sexuée offrent une plus grande diversité de phénotypes dans leur descendance. A court terme, ils ont donc plus de chances de produire des individus adaptés aux conditions nouvelles créées par des variations de l’environnement. La sexualité fournit ainsi une marge de sécurité contre les incertitudes du milieu. C’est une assurance sur l’imprévu. »

< p.23-25 >

Jean COCTEAU / Opium / Romans, Poésies, Œuvres diverses / La Pochothèque LdP 1995

« Un homme normal, au point de vue sexuel, devrait être capable de faire l’amour avec n’importe qui et même avec n’importe quoi, car l’instinct de l’espèce est aveugle ; il travaille en gros. C’est ce qui explique les mœurs coulantes, attribuées au vice, du peuple et surtout des marins. L’acte sexuel compte seul. Une brute s’inquiète peu des circonstances qui le provoquent. Je ne parle pas de l’amour.

Le vice commence au choix. Selon l’hérédité, l’intelligence, la fatigue nerveuse du sujet, ce choix se raffine jusqu’à devenir inexplicable, comique ou criminel. »

< p.628 >

Paul MORAND / Journal inutile 1968-1972 / nrf Gallimard 2001

« Je racontais à [Georges] Auric qu’une de nos amies, dame respectable qui tenait salon, patronnait , vers 1925, les jeunes auteurs, m’ayant, dans un bal masqué chez Drake (qui vendit sa maison rural aux Windsor), entraîné dans les bosquets, tout à coup, se transforma en fauve ; elle se troussa, m’offrant son derrière et (elle qui n’avait jamais été que très correcte et vouvoyante) s’écria : " Encule-moi !Position très gênante, répond Auric ; on n’a même pas, dans un cas pareil, la ressource de fuir en criant : Impossible ! Je suis pédéraste !" »

< 3 juin 1969, p.212 >

Emil CIORAN / Le crépuscule des pensées (1940) / Œuvres / Quarto Gallimard 1995

« La grandeur de la volupté procède de la perte de l’esprit. Si l’on ne se sentait pas devenir fou, la sexualité serait une saleté et un péché. »

< p.439 >

SHAKESPEARE

Johann Wolfgang von GOETHE / Maximes et réflexions / Paris, Brokhauss et Avenarius 1842 [BnF]

« La lecture de Shakespeare est dangereuse pour les talents naissants. Il les force à le reproduire et ils s’imaginent se produire eux-mêmes. »

< p.21 >

SI

447

Gustave FLAUBERT / Correspondance I / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1973

« Quand je lis Shakespeare, je deviens plus grand, plus intelligent et plus pur. Parvenu au sommet d’une de ses œuvres, il me semble que je suis sur une haute montagne. Tout disparaît, et tout apparaît. On n’est plus homme. On est œil. Des horizons nouveaux surgissent, et les perspectives se prolongent à l’infini ; on ne pense pas que l’on a vécu aussi dans ces cabanes que l’on distingue à peine, que l’on a bu à tous ces fleuves qui ont l’air plus petits que des ruisseaux, que l’on s’est agité enfin dans cette fourmilière et que l’on en fait partie. »

< À Louise Colet, 27 septembre 1846, p.364 >

Isidore DUCASSE (LAUTRÉAMONT) / Poésies (1870) / GF 528 - Flammarion 1990

« Chaque fois que j’ai lu Shakspeare, il m’a semblé que je déchiquette la cervelle d’un jaguar. »

< II p.345 >

SI

Blaise PASCAL / Pensées / Œuvres complètes / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1954

« Que je hais ces sottises, de ne pas croire l’Eucharistie, etc. Si l’Evangile est vrai, si Jésus-Christ est Dieu, quelle difficulté y a-t-il là? »

< 359 p.1182 >

Pierre DAC / Les Pensées / Le cherche midi éditeur 1972

« Si ma tante en avait on l’appellerait mon oncle, et si mon oncle en était on l’appellerait ma tante. »

< p.49 >

« Si, avec un si, on peut mettre Paris dans une bouteille, on doit pouvoir aussi, avec un si bémol ou naturel, mettre une contrebasse dans un porte-documents ou un hélicon dans un carton à chapeau. »

< p.155 >

Georg Christoph LICHTENBERG / Aphorismes / Collection Corps 16 - Éditions Findakly 1996

« La conviction certaine que l’on pourrait si l’on voulait est cause d’inertie chez maints bons esprits — et ce n’est pas sans raison. »

< p.61 >

Jules RENARD / Journal / Robert Laffont - Bouquins 1990

« Si j’avais du talent, on m’imiterait. Si l’on m’imitait, je deviendrait à la mode. Si je devenait à la mode, je passerais bientôt de mode. Donc, il vaut mieux que je n’aie pas de talent. »

< 21 avril 1896 p.260 >

« Si tous mes admirateurs achetaient mes livres, j’en aurais beaucoup moins. »

< 9 novembre 1896 p.278 >

Paul VALÉRY / Mélange (1939) / Œuvres I / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1957

« Un homme avait le numéro de loterie 60 015. Le 60 016 sortit. Cet homme crut avoir été près de gagner.

Tout le monde en toute occasion pense de même. J’ai failli tomber, mourir, faire fortune. L’histoire est pleine de ces raisonnements.

Ces proximités sont imaginaires.

Il n’y a de degrés que dans le SI... »

< p.382 >

Paul VALÉRY / Cahiers I / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1973

« Le Si est instrument essentiel de l’action mentale. »

< Psychologie p.1052 >

André GIDE / Journal 1889-1939 / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1951

« Si seulement... ! ainsi commencent les récriminations les plus vaines. Il faut prendre son parti de ses maux. »

< 19 novembre 1929 p.956 >

448

SILENCE

SIC

VOLTAIRE / Lettres Philosophiques / Mélanges / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1961

Logique ! (commentaire sur une pensée de Pascal)

« Toutes les fois qu’une proposition est inconcevable, il ne la faut pas nier à cette marque, mais examiner le contraire ; et si on le trouve manifestement faux, on peut affirmer le contraire, tout incompréhensible qu’il est.

Il me semble qu’il est évident que les deux contraires peuvent être faux. Un bœuf vole au sud avec des ailes, un bœuf vole au nord sans ailes ; vingt mille anges ont tué hier vingt mille hommes ; vingt mille hommes ont tué hier vingt mille anges ; ces propositions contraires sont évidemment fausses. »

< p.1403 >

Joseph JOUBERT / Carnets / nrf Gallimard 1938-1994

« Le serpent a ses pieds en dedans de lui-même : ses anneaux lui en tiennent lieu. »

< 5 décembre 1793 t.1 p.150 >

François René de CHATEAUBRIAND / Mémoires d’outre-tombe (t.1) / Flammarion 1982

« Les divers insectes carnivores, vus au microscope, sont des animaux formidables ; ils étaient peut-être ces dragons ailés dont on retrouve les anatomies : diminués de taille à mesure que la matière diminuait d’énergie, ces hydres, griffons et autres, se trouveraient aujourd’hui à l’état d’insectes. Les géants antédiluviens sont les petits hommes d’aujourd’hui. »

< Première partie, livre septième, chap.3 p.293 > Friedrich NIETZSCHE / Aurore. (1881) / Œuvres I / Robert Laffont - Bouquins 1990

« Crainte et intelligence. — Si ce que l’on affirme maintenant expressément est vrai, qu’il ne faut pas chercher dans la lumière la cause du pigment noir de la peau : ce phénomène pourrait peut-être rester le dernier effet de fréquents accès de rage accumulés pendant des siècles (et d’afflux de sang sous la peau) ? Tandis que, chez d’autres races plus intelligentes, le phénomène de pâleur et de frayeur, tout aussi fréquent, aurait fini par produire la couleur blanche de la peau ? - Car le degré de crainte est une mesure de l’intelligence : et le fait de s’abandonner souvent à une colère aveugle est le signe que l’animalité est encore toute proche et voudrait de nouveau prévaloir, — gris-brun, ce serait peut-être là la couleur primitive de l’homme, — quelque chose qui tient du singe et de l’ours, comme de juste. »

< 241 p.1109 >

Marcel CONCHE / Le fondement de la morale / PUF 1993

« Quand je dis vrai, je suis libre à l’égard de toute cause de détermination. C’est d’ailleurs parce que je suis libre à l’égard de ce dont je parle que je puis en parler "vraiment". La vérité-sur se fonde dans la liberté-à-l’égard-de. Si mon jugement était la conséquence d’un enchaînement causal, il ne pourrait être vrai : on ne peut dire que le perroquet qui dit "j’ai faim" (Ou, comme un que je connais, et qui répond au nom de Socrate : "Socrate a faim") dise vrai, même s’il a faim, car il dit qu’il a faim au moment où il a faim parce qu’il a faim et non parce qu’il est vrai qu’il ait faim. »

< p.37 >

SILENCE

Diogène LAËRCE / Vies et doctrines des philosophes illustres / La Pochothèque LdP 1999

« [Solon] disait que le sceau de la parole est le silence, le sceau du silence le moment opportun. »

< I 58 Solon p.104 >

« À celui qui, dans le banquet, gardait un silence complet , [Théophraste] dit "si tu es sot, tu fais sagement, mais si tu as de l’éducation, tu fais sottement". »

< V 40 Théophraste p.598 >

SILENCE

449

LA ROCHEFOUCAULD / Maximes / Garnier 1967

« Le silence est le parti le plus sûr de celui qui se défie de soi-même. »

< M 79 p.25 >

Jean de LA FONTAINE / Fables / La Pochothèque LdP 2000

« Il est bon de parler et meilleur de se taire ;

Mais tous deux sont mauvais alors qu’ils sont outrés. »

< Livre huitième, X L’ours et l’amateur de jardins p.461 > Jean de LA BRUYÈRE / Les Caractères / Œuvres / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1951

« L’on doit se taire sur les puissants : il y a presque toujours de la flatterie à en dire du bien ; il y a du péril à en dire du mal pendant qu’ils vivent, et de la lâcheté quand ils sont morts. »

< p.268 X (56) >

« L’on se repent rarement de parler peu, très souvent de trop parler ; maxime usée et triviale que tout le monde sait, et que tout le monde ne pratique pas. »

< p.340 XII (149) >

« Le stupide est un sot qui ne parle point, en cela plus supportable que le sot qui parle. »

< p.359 XIII (49) >

MONTESQUIEU / Mes pensées / Œuvres complètes I / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1949

« Ce qui manque aux orateurs en profondeur, ils vous le donnent en longueur. »

< 828 p.1226 >

« Ordinairement, un homme qui ne parle pas ne pense pas. Je parle de celui qui n’a pas de raisons pour ne pas parler. Chacun est bien aise de mettre au jour ce qu’il croit avoir bien pensé ; les hommes sont faits comme cela. »

< 1746 p.1418 >

Antoine de RIVAROL / Esprit de Rivarol [œuvres diverses] / Paris 1808 [BnF cote Z-24383]

« L’homme qui parle est l’homme qui pense tout haut. »

< Langue p.77 >

VOLTAIRE / Lettres Philosophiques / Mélanges / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1961

« Peut-être cet ouvrage est-il trop long : toute plaisanterie doit être courte, et même le sérieux devrait bien être court aussi. »

< p.1390 >

Joseph JOUBERT / Carnets / nrf Gallimard 1938-1994

« Qui ne sait pas se taire n’obtient point d’ascendant. »

< 14 mai 1799 t.1 p.297 >

« Réduire ses adversaires au silence n’est pas les convaincre, mais seulement les embarrasser, avantage ignoble. »

< 26 mars 1808 t.2 p.259 >

JEAN-PAUL / Pensées de Jean-Paul / Paris, Firmin Didot 1829 [BnF]

« On n’apprend jamais mieux à se taire qu’avec les indiscrets, ni à jaser qu’avec les mystérieux. »

< p.72 >

450

SILENCE

André DUPIN aîné / De l’improvisation / Paris, ou Le livre des Cent-et-Un (7) / Paris Ladvocat 1832

« L’éloquence militaire est un langage à part : il faut l’étudier, non pour y mettre de l’artifice, le soldat n’est pas rhétoricien ; mais pour prendre le ton qui convient. À la première revue passée par un roi dont les prémices furent populaires , un vieux soldat sortit des rangs, l’arme au bras, et lui dit : "Sire, vingt-un ans de service, trente campagnes, dix blessures méritent la croix, et je ne l’ai pas ! — Tu l’auras," dit le roi, —

Aussi brièvement et avec autant de justesse, à un soldat qui venait de lui dire : "Sire, deux mots : Congé, argent. — Soldat, quatre : " Ni l’un, ni l’autre," répondit Henri IV. »

< p.288 >

STENDHAL / Journal / Œuvres intimes I / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1981

« Quand tu t’imposes le silence, tu trouves des pensées ; quand tu te fais une loi de parler, tu ne trouves rien à dire. »

< 19 juin 1805 p.330 >

Victor HUGO / Faits et croyances / Océan / Œuvres complètes / Robert Laffont - Bouquins 1989

« Il n’y a d’incontesté que le silence. »

< 1860 p.223 >

Edmond et Jules de GONCOURT / Journal (t.2) / Robert Laffont - Bouquins 1989

« Hugo disait, ces jours-ci, à Burty : "Parler, c’est un effort pour moi. Un discours, ça me fatigue comme de décharger trois fois !" Et réfléchissant, il ajoute : "Quatre même !" »

< 26 mars 1872, p.505 >

Charles-Augustin SAINTE-BEUVE / Mes Poisons / Collection Romantique / José Corti 1988

« C’est ne pas mépriser assez certaines gens que de dire tout haut qu’on les méprise. Le silence seul est le souverain mépris. — Et ce que je dis ici est déjà trop. »

< p.144 >

Alphonse KARR / Une poignée de vérités / M. Lévy frères 1866

« Ce n’était pas un compliment sans portée que celui qu’on faisait en disant d’un homme : "Il a un grand talent pour le silence". »

< p.269 >

Jules RENARD / Journal / Robert Laffont - Bouquins 1990

« Le silence était si absolu que je me croyais sourd. »

< 30 mai 1890 p.52 >

« Il vaudrait mieux se taire toujours. On ne dit rien quand on parle. Ou les mots dépassent la pensée, ou ils la diminuent. Que d’aplomb chez les uns ! Que de restrictions de scrupules chez les autres ! »

< 30 janvier 1908 p.913 >

Paul-Jean TOULET / Les trois impostures / Œuvres complètes / Robert Laffont - Bouquins 1986

« On fait crédit d’esprit aux silencieux, comme jadis aux bâtards de naissance. »

< 249 p.194 >

Ludwig WITTGENSTEIN / Tractatus logico-philosophicus (1918) / Idées 264 nrf Gallimard 1961

« Ce dont on ne peut parler, il faut le taire. »

< 7 p.177 >

André GIDE / Journal 1939-1949 Souvenirs / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1954

« Le nombre de bêtises qu’une personne intelligente peut dire dans une journée n’est pas croyable. Et j’en dirais sans doute autant que les autres, si je ne me taisais plus souvent. »

< 13 septembre 1940 p.54 >

SILENCE

451

Sacha GUITRY / Mes Médecins / Cinquante ans d’occupations / Omnibus Presses de la Cité 1993

« C’est le tic-tac d’une pendule qui fait apprécier le silence. Sans ce tic-tac on est un sourd. »

< p.571 >

Emil CIORAN / Écartèlement (1979) / Œuvres / Quarto Gallimard 1995

« Un jeune homme et une jeune fille, tous les deux muets, se parlaient par gestes. Qu’ils avaient l’air heureux !

De toute évidence, la parole n’est pas, ne peut être, le véhicule du bonheur. »

< p.1468 >

Emil CIORAN / Aveux et anathèmes (1987) / Œuvres / Quarto Gallimard 1995

« Un silence abrupt au milieu d’une conversation nous ramène soudain à l’essentiel : il nous révèle de quel prix nous devons payer l’invention de la parole. »

< p.1656 >

Emil CIORAN / Carnets 1957-1972 / nrf Gallimard 1997

« Dans les pays latins où la parole ne coûte rien, le laconisme est tenu pour de la bêtise. »

< p.124 >

François CAVANNA / Lettre ouverte aux culs-bénits / Albin Michel 1994

« "Au commencement était le Verbe", dit le supposé Évangile du supposé Jean. Le Verbe, c’est à dire la parole, mais vous aviez compris. C’est-à-dire aussi le baratin, pour le cas où vous n’auriez compris que jusqu’à un certain point.

Quel aveu ! »

< p.167 >

Pierre DAC / Les Pensées / Le cherche midi éditeur 1972

« Parler pour ne rien dire et ne rien dire pour parler sont les deux principes majeurs et rigoureux de tous ceux qui feraient mieux de la fermer avant de l’ouvrir. »

< p.47 >

André COMTE-SPONVILLE / Une éducation philosophique / PUF 3e ed 1992

« On se tait aussi, dans les monastères, pour écouter Dieu. Et comme il ne dit rien ("Dieu ne parle pas me disait un prêtre, parce qu’Il écoute"), ce silence n’en finit pas : Dieu nous écoute l’écouter, et cela fait un grand silence, en effet, qui est le vrai de la religion. »

< p.378 >

« "Le contraire de prier c’est rire" ai-je écrit quelque part. Mais on ne peut pas toujours rire : devant les plus grandes choses, il faut prier, pleurer ou se taire.

Tais-toi. »

< p.380 >

Michel POLAC / Journal (1980-1998) / PUF 2000

« Le silence de Dieu : une chance ! S’il parlait, avec toutes les conneries qu’on fait, qu’est-ce qu’on enten-drait. »

< 5 avril 1996, p.467 >

Philippe BOUVARD / Maximes au minimum / Robert Laffont 1984

« C’est déjà assez triste de n’avoir rien à dire. Si, en plus, il fallait se taire... »

< p.110 >

José ARTUR / Les Pensées / Le cherche midi éditeur 1993

« "Y’aurait beaucoup à dire", phrase préférée des gens n’ayant rien à dire et qui sont obligés de faire semblant. »

< p.101 >

452

SOLITUDE

COLUCHE / Pensées et anecdotes / Le cherche midi éditeur 1995

« De tous ceux qui n’ont rien à dire, les plus agréables sont ceux qui se taisent. »

< p.202 >

Jean-François REVEL / Mémoires / Plon 1997

« Pourquoi l’homme se croit-il déshonoré s’il ne parle pas devant un tableau? Car le flot sonore des bêtises creuses que l’on entend malgré soi dans les musées constitue une telle torture qu’on devrait, dans une société policée, afficher partout : "Il est interdit de commenter à voix haute les œuvres d’art." Pourquoi le silence, obligatoire au théâtre et au concert, ne le serait-il pas dans les galeries? »

< p.196 >

SOLITUDE

Jean de LA BRUYÈRE / Les Caractères / Œuvres / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1951

« Tout notre mal vient de ne pouvoir être seuls : de là le jeu, le luxe, la dissipation, le vin, les femmes, l’ignorance, la médisance, l’envie, l’oubli de soi-même et de Dieu. »

< p.323 XII (99) >

Madame de LAMBERT / Traité de la vieillesse / Œuvres complètes / Paris L.Collin 1808 [BnF]

« Vivre dans l’embarras, c’est vivre à la hâte : le repos allonge la vie. Le monde nous dérobe à nous-mêmes, et la solitude nous y rend. Le monde n’est qu’une troupe de fugitifs d’eux-mêmes. »

< p.153 >

Alphonse de LAMARTINE / Méditations poétiques (1820) / Œuvres poétiques complètes / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1963

« Un seul être vous manque, et tout est dépeuplé. »

< L’isolement, p.3 >

Victor HUGO / Choses vues / Histoire / Œuvres complètes / Robert Laffont - Bouquins 1987

« La solitude est bonne aux grands esprits et mauvaise aux petits. La solitude trouble les cerveaux qu’elle n’illumine pas. »

< p.889 >

Arthur SCHOPENHAUER / Aphorismes sur la sagesse dans la vie (1851) / Collection Quadrige / PUF

1943

« L’homme intelligent aspirera avant tout à fuir toute douleur, toute tracasserie et à trouver le repos et les loisirs ; il recherchera donc une vie tranquille, modeste, abritée autant que possible contre les importuns ; après avoir entretenu pendant quelque temps des relations avec ce que l’on appelle les hommes, il préférera une existence retirée, et, si c’est un esprit tout à fait supérieur, il choisira la solitude. Car plus un homme possède en lui-même, moins il a besoin du monde extérieur et moins les autres peuvent lui être utiles.

Aussi la supériorité de l’intelligence conduit-elle à l’insociabilité. Ah ! si la qualité de la société pouvait être remplacée par la quantité, cela vaudrait alors la peine de vivre même dans le grand monde : mais, hélas ! cent fous mis en un tas ne font pas encore un homme raisonnable. »

< p.16 >

« On ne peut être vraiment soi qu’aussi longtemps qu’on est seul ; qui n’aime donc pas la solitude n’aime pas la liberté, car on n’est libre qu’étant seul. Toute société a pour compagne inséparable la contrainte et réclame des sacrifices qui coûtent d’autant plus cher que la propre individualité est plus marquante. Par conséquent, chacun fuira, supportera ou chérira la solitude en proportion exacte de la valeur de son propre moi. Car c’est là que le mesquin sent toute sa mesquinerie et le grand esprit toute sa grandeur ; bref, chacun s’y pèse à sa vraie valeur. »

< p.101 >

SOLITUDE

453

Friedrich NIETZSCHE / Humain, trop humain. (1878-1879) / Œuvres I / Robert Laffont - Bouquins 1990

« Du pays des anthropophages. - Dans la solitude le solitaire se ronge le cœur ; dans la multitude c’est la foule qui le lui ronge. Choisis donc ! »

< 348 p.814 >

Friedrich NIETZSCHE / Aurore. (1881) / Œuvres I / Robert Laffont - Bouquins 1990

« Pour l’éducation. — J’ai vu clair peu à peu sur le défaut le plus général de notre façon d’enseigner et d’éduquer. Personne n’apprend, personne n’aspire, personne n’enseigne — à supporter la solitude. »

< 443 p.1163 >

Charles-Augustin SAINTE-BEUVE / Portraits littéraires / Robert Laffont - Bouquins 1993

« Je ne demande plus aux hommes qu’une chose : c’est de me laisser beaucoup de temps à moi, beaucoup de solitude, et pourtant de se prêter quelquefois encore à mon observation. »

< Pensées, p.1072 >

Eugène DELACROIX / Journal 1822-1863 / Plon 1980

« Je me disais qu’une triste chose de notre condition misérable, était l’obligation d’être sans cesse vis-à-vis de soi-même. C’est ce qui rend si douce la société des gens aimables : ils vous font croire un instant qu’ils sont un peu vous ; mais vous retombez bien vite dans votre triste unité. Quoi ! l’ami le plus chéri, la femme la plus aimée et le méritant ne prendront jamais sur eux une partie du poids? Oui, quelques instants seulement. Mais ils ont le manteau de plomb à traîner. »

< 25 janvier 1824, p.48 >

Charles BAUDELAIRE / Le Spleen de Paris / Œuvres complètes I / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1975

« Multitude, solitude : termes égaux et convertibles pour le poète actif et fécond. Qui ne sait pas peupler sa solitude, ne sait pas non plus être seul dans une foule affairée. »

< p.291 >

Ambrose BIERCE / Le Dictionnaire du Diable (1911) / Éditions Rivages 1989

« Seul adj. En mauvaise compagnie. »

< p.260 >

Emil CIORAN / Le crépuscule des pensées (1940) / Œuvres / Quarto Gallimard 1995

« La solitude est l’aphrodisiaque de l’esprit, comme la conversation celui de l’intelligence. »

< p.469 >

Emil CIORAN / Carnets 1957-1972 / nrf Gallimard 1997

« Le grand avantage qu’il y a à aller voir du monde, c’est de se dire qu’on a tout pour être heureux pourvu qu’on reste seul avec soi. »

< 4 décembre 1965 p.319 >

« Il est inélégant de se plaindre de la vie tant qu’on peut s’aménager une heure de solitude par jour. »

< mai 1966 p.366 >

Paul MORAND / Journal inutile 1968-1972 / nrf Gallimard 2001

« La solitude est peu de chose en regard des inconvénients des visites, empiétements sur ma liberté ; on veut lire, il faut répondre, dormir, il faut parler, manger vite, rester à table, etc. »

< 18 juillet 1968, p.32 >

454

SOMMEIL

André COMTE-SPONVILLE / L’amour la solitude / Ed. Paroles d’Aube 1996

« Être seul, c’est être soi, rien d’autre. Comment serait-on autre chose ? Personne ne peut vivre à notre place, ni mourir à notre place, ni souffrir ou aimer à notre place, et c’est ce qu’on appelle la solitude : ce n’est qu’un autre nom pour l’effort d’exister. »

< p.27 >

Jean YANNE / Pensées, répliques, textes et anecdotes / Le cherche midi éditeur 1999

« Le plus beau compliment que je puisse faire à une femme est de lui dire : "Je suis aussi bien avec toi que si j’étais tout seul." »

< p.80 >

« La solitude, c’est l’impossibilité de vivre seul. »

< p.83 >

SOMMEIL

Victor HUGO / Philosophie prose / Océan / Œuvres complètes / Robert Laffont - Bouquins 1989

« Mieux vaut une conscience tranquille qu’une destinée prospère. J’aime mieux un bon sommeil qu’un bon lit. »

< 1846-48 p.85 >

Isidore DUCASSE (LAUTRÉAMONT) / Poésies (1870) / GF 528 - Flammarion 1990

« Le sommeil est une récompense pour les uns, un supplice pour les autres. Pour tous, il est une sanction. »

< II p.346 >

Georges FEYDEAU / Tailleur pour dames (1886) / Théâtre / Omnibus 1994

« Il est prouvé que c’est toujours au moment de se lever qu’on a le plus envie de dormir. Donc l’homme devrait attendre qu’il se lève pour se coucher ! »

< Acte I scène i, p.9 >

André GIDE / Journal 1939-1949 Souvenirs / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1954

« Non plus tempérée par la lumière, ni bridée par le monde extérieur, la pensée de l’insomnieux développe complaisamment ses branches et les étale jusqu’à l’énorme, jusqu’au monstrueux, dans la nuit. »

< 30 janvier 1945 p.282 >

Sacha GUITRY / Pensées / Cinquante ans d’occupations / Omnibus Presses de la Cité 1993

« Avez-vous remarqué que, quel que soit le bruit qui vous réveille, il cesse aussitôt que vous êtes éveillé? »

< p.49 >

Sacha GUITRY / Elles et Toi / Cinquante ans d’occupations / Omnibus Presses de la Cité 1993

« Son sommeil était, de beaucoup, ce qu’elle avait de plus profond. »

< p.115 >

ALAIN / Les idées et les âges / Les Passions et la Sagesse / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1960

« Le sommeil, faites-y attention, est bien plus tyrannique que la faim. On conçoit un état où l’homme se nourrirait sans peine, n’ayant qu’à cueillir. Mais rien ne le dispense de dormir ; rien n’abrégera le temps de dormir ; c’est le seul besoin peut-être auquel nos machines ne peuvent point pourvoir. Si fort, si audacieux, si ingénieux que soit l’homme, il sera sans perceptions, et par conséquent sans défense, pendant le tiers de sa vie. La société serait donc fille de peur, bien plutôt que de faim. »

< p.6 >

SOURIRE

455

« De deux hommes faisant société, il est naturel que l’un soit chasseur et l’autre forgeron, ce qui crée des différences et un certain empire à chacun sur certaines choses et sur certains outils ; mais il ne se peut point que, de deux hommes, un seul soit toujours gardien du sommeil. C’est peu de dire qu’on aurait alors un gardien mécontent ; on aurait premièrement un gardien somnolent. Cette part de repos et de garde éveillée, la même pour tous, est sans doute la plus ancienne loi. Au surplus, il y a égalité pour la garde. Un enfant bien éveillé peut garder Hercule dormant.

Ne perdons pas l’occasion de dire une chose vraie. La force en cette relation, ne donne aucun avantage.

Elle se trouve déchue par cette nécessité de dormir. Le plus fort, le plus brutal, le plus attentif, le plus soupçonneux, le plus redouté des hommes doit pourtant revenir à l’enfance, fermer les yeux, se confier, être gardé, lui qui gardait. »

< p.7 >

Louis-Ferdinand CÉLINE / Voyage au bout de la nuit (1932) / Romans (1) / Bibliothèque de la Pléiade

/ nrf Gallimard 1997

« Ne croyez donc jamais d’emblée au malheur des hommes. Demandez-leur seulement s’ils peuvent dormir encore?... Si oui, tout va bien. Ça suffit. »

< p.429 >

Louis-Ferdinand CÉLINE / Mort à crédit (1936) / Romans (1) / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1997

« Mon tourment à moi c’est le sommeil. Si j’avais bien dormi toujours j’aurais jamais écrit une ligne. »

< p.515 >

Emil CIORAN / Sur les cimes du désespoir / Œuvres / Quarto Gallimard 1995

« Le lien est indissoluble entre l’insomnie et le désespoir. Je crois bien que la perte totale de l’espérance ne se conçoit pas sans le concours de l’insomnie. Le paradis et l’enfer ne présentent d’autre différence que celle-ci : on peut dormir, au paradis, tout son soûl ; en enfer, on ne dort jamais. Dieu ne punit-il pas l’homme en lui ôtant le sommeil pour lui donner la connaissance? N’est-ce pas le châtiment le plus terrible que d’être interdit de sommeil? Impossible d’aimer la vie quand on ne peut dormir. »

< p.77-78 >

Emil CIORAN / Aveux et anathèmes (1987) / Œuvres / Quarto Gallimard 1995

« Bien plus que le temps, c’est le sommeil qui est l’antidote du chagrin. L’insomnie, en revanche, qui grossit la moindre contrariété et la convertit en coup du sort, veille sur nos blessures et les empêche de dépérir. »

< p.1686 >

Frédéric DARD / Les pensées de San-Antonio / Le cherche midi éditeur 1996

« Pour être heureux, il faut beaucoup dormir et bien déféquer. L’insomniaque et son cousin germain, le constipé, sont les damnés de la terre. »

< p.102 >

SOURIRE

Jean de LA BRUYÈRE / Les Caractères / Œuvres / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1951

« C’est rusticité que de donner de mauvaise grâce : le plus fort et le plus pénible est de donner ; que coûte-t-il d’y ajouter un sourire? »

< p.229 VII (45) >

Charles-Augustin SAINTE-BEUVE / Mes Poisons / Collection Romantique / José Corti 1988

« Le sourire est le signe le plus délicat et le plus sensible de la distinction et de la qualité de l’esprit. »

< p.34 >

456

SPINOZA

Friedrich NIETZSCHE / Humain, trop humain. (1878-1879) / Œuvres I / Robert Laffont - Bouquins 1990

« Esprit. - Les auteurs les plus spirituels produisent le plus imperceptible des sourires. »

< 186 p.542 >

Friedrich NIETZSCHE / Humain, trop humain. (1878-1879) / Œuvres I / Robert Laffont - Bouquins 1990

« Rire et sourire. - Plus l’esprit devient joyeux et sûr de lui-même, plus l’homme désapprend le rire bruyant ; en revanche il est pris sans cesse d’un sourire plus intellectuel, signe de son étonnement devant les innombrables charmes cachés de cette bonne existence. »

< 173 p.895 >

Jules RENARD / Journal / Robert Laffont - Bouquins 1990

« Ne plus sourire que d’une lèvre. »

< 24 novembre 1892 p.114 >

« Le sourire est le commencement de la grimace. »

< 7 janvier 1893 p.116 >

ALAIN / 81 chapitres sur l’esprit et les passions / Les Passions et la Sagesse / Bibliothèque de la Pléiade

/ nrf Gallimard 1960

« Le sourire est la perfection du rire. Car il y a toujours de l’inquiétude dans le rire, quoique aussitôt calmée ; mais dans le sourire tout se détend, sans aucune inquiétude ni défense. On peut donc dire que l’enfant sourit mieux encore à sa mère que sa mère ne lui sourit ; ainsi l’enfance est toujours la plus belle.

Mais dans tout sourire il y a de l’enfance ; c’est un oubli et un recommencement. Tous les muscles prennent leur repos et leur aisance, principalement ces muscles puissants des joues et des mâchoires, si naturellement contractés dans la colère, et déjà dans l’attention. Le sourire ne fait pas attention ; les yeux embrassent tout autour de leur centre. En même temps la respiration et le cœur travaillent largement et sans gêne, d’où cette couleur de vie et cet air de santé. Comme la défiance éveille la défiance, ainsi le sourire appelle le sourire ; il rassure l’autre sur soi et toutes choses autour. C’est pourquoi ceux qui sont heureux disent bien que tout leur sourit. Et l’on peut, d’un sourire, guérir les peines de quelqu’un qu’on ne connaît pas. C’est pourquoi le sourire est l’arme du sage, contre ses propres passions et contre celles d’autrui. Il les touche là dans leur centre et dans leur force, qui n’est jamais dans les idées ni dans les événements, mais dans cette colère armée qui ne peut sourire. »

< p.1218 >

SPINOZA

VOLTAIRE / Dictionnaire philosophique / Garnier 1967.

« Le grand dialecticien Bayle a réfuté Spinosa. Ce système n’est donc pas démontré comme une proposition d’Euclide. S’il l’était, on ne saurait le combattre. Il est donc au moins obscur.

J’ai toujours eu quelque soupçon que Spinosa, avec sa substance universelle, ses modes et ses accidents, avait entendu autre chose que ce que Bayle entend, et que par conséquent Bayle peut avoir eu raison sans avoir confondu Spinosa. J’ai toujours cru surtout que Spinosa ne s’entendait pas souvent lui-même, et que c’est la principale raison pour laquelle on ne l’a pas entendu. »

< p.511 >

« Virgile dit (Æ. VI, 727) :

Mens agitat molem, et magno se corpore miscet.

L’esprit régit le monde ; il s’y mêle, il l’anime.

Virgile a bien dit ; et Benoît Spinosa, qui n’a pas la clarté de Virgile, et qui ne le vaut pas, est forcé de reconnaître une intelligence qui préside à tout. S’il me l’avait niée, je lui aurais dit : "Benoît, tu es fou ; tu as une intelligence et tu la nies, et à qui la nies-tu?" »

< p.538-539 >

SPORT

457

« Vous êtes très confus, Baruch* Spinosa ; mais êtes-vous aussi dangereux qu’on le dit ? Je soutiens que non : et ma raison, c’est que vous êtes confus, que vous avez écrit en mauvais latin, et qu’il n’y a pas dix personnes en Europe qui vous lisent d’un bout à l’autre, quoiqu’on vous ait traduit en français. Quel est l’auteur dangereux? c’est celui qui est lu par les oisifs de la cour et par les dames. »

* Il s’appelle Baruch et non Benoît, car il ne fut jamais baptisé. ( Note de Voltaire)

< p.513 >

Paul VALÉRY / Cahiers I / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1973

« La pauvreté et inutilité de Spinoza me confond, comparée à son immense influence et réputation.

Le mot existence a causé de grands ravages. Du reste, le langage permettant de croire penser à des choses, quand on se borne à se dire et répéter des noms, et à croire séparer, et pouvoir être séparés, des facteurs qui sont inséparables — , on prend pour une analyse des choses ce qui n’est qu’une analyse d’un certain langage ou procédé conventionnel de notation. Ainsi, les pseudo-idées d’ Être, essence, substance, existence et toute la logique du vide. »

< Philosophie p.749 >

Paul VALÉRY / Degas Danse Dessin (1936) / Œuvres II / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1960

« Léon Brunschvicg m’a raconté qu’étant jeune étudiant en philosophie, il rencontra Degas, rue de Douai, chez Ludovic Halévy, et il lui fut présenté.

Degas, apprenant qu’il avait affaire à un métaphysicien, l’attira dans l’embrasure d’une fenêtre, et lui dit vivement : "Voyons jeune homme, SPINOZA, pouvez-vous m’expliquer cela en cinq minutes?"

Je trouve que cette question ahurissante donne à penser.

Peut-être ne serait-il pas tout à fait anti-philosophique, ni sans conséquences intéressantes de diviser toutes les connaissances en deux classes, celles qui peuvent s’expliquer en cinq minutes et les autres... »

< p.1216 >

SPORT

Antoine BLONDIN / Ma vie entre des lignes / Œuvres / Robert Laffont - Bouquins 1991

« Il nous arrive de moquer les Italiens pour le culte outrancier qu’ils vouent à leurs "campionissimi", leur partialité exclusive, leur mauvaise foi. Heureux "campionissimi" ! Pareille chose ne risque pas d’arriver à nos champions. Non, certes, que nous n’ayons besoin d’idoles, comme tout le monde. Nous savons même fort bien nous en forger quand le besoin s’en fait sentir. Mais nous avons trop d’esprit pour accepter généreusement d’être l’esclave de nos admirations. Le Français, né malin, a peur d’être dupe. »

< p.1031 >

« Il est toujours grandiose et significatif d’atteindre, au jour prescrit, l’objectif qu’on s’était fixé. Champion olympique avec préméditation, ça ira bien chercher dans les dix ans de frisson ferme. »

< p.1142 >

Philippe BOUVARD / Journal 1992-1996 / Le cherche midi éditeur 1997

« Je crois avoir identifié les raisons de l’extraordinaire engouement de mes contemporains pour des sports qu’ils n’exercent pas personnellement. C’est d’abord l’identification des freluquets aux gros bras. C’est ensuite une érudition à peu de frais. C’est enfin un folklore que la caution de quelques intellos finit par transformer en patrimoine. »

< p.78 >

STATISTIQUES

Louis-Ambroise de BONALD / Œuvres complètes t.3 / Paris, J-P Migne 1859

« Toute la science de la politique se réduit aujourd’hui à la statistique : c’est le triomphe et le chef-d’œuvre du petit esprit. On sait au juste (et j’en ai vu faire la question officielle) combien dans un pays les poules font d’œufs, et l’on connaît à fond la matière imposable. Ce qu’on connaît le moins sont les hommes ; et ce qu’on a tout à fait perdu de vue, sont les principes qui fondent et qui maintiennent les sociétés. L’art de l’administration a tué la science du gouvernement. »

< Pensées, p.1308 >

458

STYLE

Victor HUGO / Choses vues / Histoire / Œuvres complètes / Robert Laffont - Bouquins 1987

« À moins qu’elles ne viennent en aide à cette haute probité du savant qui s’appuie sur la conviction et sur les idées, on fait dire à peu près tout ce qu’on veut aux statistiques. Je n’en citerai qu’un exemple et qui, bien entendu, ne sera point emprunté à la discussion actuellement pendante devant la Chambre. Il y a quelque temps, un calculateur supputa qu’en dix ans, de 1829 à 1838, il avait comparu devant les assises 33 avocats et 33 prêtres, et il en conclut que la criminalité était identiquement la même pour les prêtres et les avocats. Cette opinion eut cours jusqu’au moment où survint un redresseur de chiffres qui dit : pardon : il y a 40 447 prêtres et 8 993 avocats. — Ce petit détail avait été oublié. »

< p.948 >

Edmond et Jules de GONCOURT / Journal (t.1) / Robert Laffont - Bouquins 1989

« La statistique est la première des sciences inexactes. »

< 14 janvier 1861, p.663 >

Alphonse ALLAIS / Œuvres posthumes / Robert Laffont - Bouquins 1990

« La statistique a démontré que la mortalité dans l’armée augmente sensiblement en temps de guerre. »

< Le Chat Noir, 11 janvier 1890 p.218 >

Auguste DETŒUF / Propos de O. L. Barenton, confiseur (1938) / Éditions d’Organisation 1982

« Nous ne demandons pas aux statistiques assez de renseignements et nous exigeons d’elles trop de conclusions. »

< p.150 >

Alfred SAUVY / Mythologie de notre temps / Petite Bibliothèque Payot (191) 1971

« Les chiffres sont des innocents qui avouent facilement sous la torture ; mais cette facilité même leur permet ensuite de reprendre vite leurs aveux. Que l’emploi de statistiques soit une façon de mentir n’est que trop évident, mais c’est le cas de tous les modes d’expression, parole, écriture, photographie, cinéma, etc. Chacun d’eux, dirait Joseph Prudhomme est un moyen de dire la vérité et au besoin de la travestir.

Ce n’est pas l’instrument qu’il faut incriminer, mais celui qui s’en sert ; un marteau peut servir à enfoncer des clous, mais aussi à défoncer un crâne. Jamais encore un juge d’instruction n’a traduit un marteau en cours d’assises. »

< p.35 >

André FROSSARD / Les Pensées / Le cherche midi éditeur 1994

« Semaine épouvantable : pas un seul sondage d’opinion. Tant pis, nous essaierons de deviner tout seuls nos propres intentions. »

< p.79 >

Frédéric DARD / Les pensées de San-Antonio / Le cherche midi éditeur 1996

« Selon les sondages, les Français consomment cinquante-huit rouleaux annuels de papier hygiénique par tête. Qu’est-ce qu’ils entendent par tête? »

< p.104 >

Michel AUDIARD / Audiard par Audiard / Ed. René Chateau 1995

« Dans les situations critiques, quand on parle avec un calibre bien en pogne, personne ne conteste plus.

Y’a des statistiques là-dessus. »

< Mélodie en Sous-Sol, p.65 >

STYLE

Blaise PASCAL / Pensées / Œuvres complètes / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1954

« Quand dans un discours se trouvent des mots répétés, et qu’essayant de les corriger, on les trouve si propres qu’on gâterait le discours, il les faut laisser, c’en est la marque ; et c’est là la part de l’envie, qui est aveugle, et qui ne sait pas que cette répétition n’est pas faute en cet endroit ; car il n’y a point de règle générale. »

< 61 p.1100 >

STYLE

459

MARIVAUX / Le Cabinet du philosophe (1734) / Journaux et Œuvres diverses / Classiques Garnier 1988

« Si Montaigne avait vécu de nos jours, que de critiques n’eût-on pas fait de son style ! car il ne parlait ni français, ni allemand, ni breton, ni suisse. Il pensait, il s’exprimait au gré d’une âme singulière et fine.

Montaigne est mort, on lui rend justice ; c’est cette singularité d’esprit, et conséquemment de style, qui fait aujourd’hui son mérite.

La Bruyère est plein de singularité ; aussi a-t-il pensé sur l’âme, matière pleine de choses singulières.

Combien Pascal n’a-t-il pas d’expressions de génie?

Qu’on me trouve un auteur célèbre qui ait approfondi l’âme, et qui dans les peintures qu’il fait de nous et de nos passions, n’ait pas le style un peu singulier? »

< p.388 >

Georges-Louis Leclerc, comte de BUFFON / Discours sur le style / Paris, J.Lecoffre 1872 [BnF]

Le style, c’est l’homme.

« Les ouvrages bien écrits seront les seuls qui passeront à la postérité : la quantité des connaissances, la singularité des faits, la nouveauté même des découvertes, ne sont pas de sûrs garants de l’immortalité : si les ouvrages qui les contiennent ne roulent que sur de petits objets, s’ils sont écrits sans goût, sans noblesse et sans génie, ils périront, parce que les connaissances, les faits et les découvertes s’enlèvent aisément, se transportent, et gagnent même à être mises en œuvre par des mains plus habiles. Ces choses sont hors de l’homme, le style est l’homme même. »

< Discours prononcé à l’Académie française le 25 août 1753, p.23 > Pierre-Augustin Caron de BEAUMARCHAIS / Le mariage de Figaro (1784) / Œuvres complètes /

Firmin-Didot 1865

« Un monsieur de beaucoup d’esprit, mais qui l’économise un peu trop, me disait un soir au spectacle : Expliquez-moi donc, je vous prie, pourquoi dans votre pièce on trouve autant de phrases négligées qui ne sont pas de votre style ? — De mon style, monsieur ! Si par malheur j’en avais un, je m’efforcerais de l’oublier quand je fais une comédie ; ne connaissant rien d’insipide au théâtre comme ces fades camaïeux où tout est bleu, où tout est rose, où tout est l’auteur, quel qu’il soit. »

< Préface p.115 >

Antoine de RIVAROL / L’Universalité de la langue française (1783) / arléa 1998

« L’homme le plus dépourvu d’imagination ne parle pas longtemps sans tomber dans la métaphore. Or c’est ce perpétuel mensonge de la parole, c’est le style métaphorique, qui porte un germe de corruption. Le style naturel ne peut être que vrai, et, quand il est faux, l’erreur est de fait, et nos sens la corrigent tôt ou tard ; mais les erreurs dans les figures ou dans les métaphores annoncent de la fausseté dans l’esprit et un amour de l’exagération qui ne se corrige guère. »

< p.83 >

Joseph JOUBERT / Carnets / nrf Gallimard 1938-1994

« On appelle maniéré en littérature ce qu’on ne peut pas lire sans l’imaginer aussitôt accompagné de quelque gesticulation menue, de quelque pincement de bouche ou de quelque contorsion, c’est à dire de quelque mouvement peu franc, peu partagé par la totalité de l’homme. Le maniéré où l’on imagine le geste est proprement le maniéré. Quand on y imagine le pincement, c’est le précieux, l’afféterie. Quand on y imagine la contorsion, c’est tout à fait le ridicule. »

< 21 octobre 1805 t.2 p.68 >

Victor HUGO / Littérature et philosophie mêlées / Critique / Œuvres complètes / Robert Laffont - Bouquins 1985

« C’est le style qui fait la durée de l’œuvre et l’immortalité du poète. La belle expression embellit la belle pensée et la conserve ; c’est tout à la fois une parure et une armure. Le style sur l’idée, c’est l’émail sur la dent. »

< mars 1834 p.56 >

460

STYLE

Victor HUGO / Faits et croyances / Océan / Œuvres complètes / Robert Laffont - Bouquins 1989

« Celui-là seul sait écrire qui écrit de telle sorte qu’une fois la chose faite, on n’y peut changer un mot. »

< 1845 p.159 >

« Montaigne luttant contre l’expression disait : — que le gascon y arrive si le français n’y peut aller. — »

< 1840 p.209 >

Gustave FLAUBERT / Correspondance I / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1973

« On n’arrive au style qu’avec un labeur atroce, avec une opiniâtreté fanatique et dévouée. Le mot de Buffon est un grand blasphème : le génie n’est pas une longue patience, mais il a du vrai et plus qu’on ne le croit de nos jours surtout. »

< À Louise Colet, 15 août 1846 p.303 >

« Il faut lire, méditer beaucoup, toujours penser au style et écrire le moins qu’on peut, uniquement pour calmer l’irritation de l’idée qui demande à prendre une forme et qui se retourne en nous jusqu’à ce que nous lui en ayons trouvé une exacte, précise, adéquate à elle-même. »

< À Louise Colet, 13 décembre 1846 p.417 >

Edmond et Jules de GONCOURT / Journal (t.3) / Robert Laffont - Bouquins 1989

« Quand je veux écrire un morceau de style, j’ai besoin de me laver les mains avant, je ne peux pas écrire les mains sales. »

< 9 décembre 1892, p.772 >

Francisque SARCEY / Quarante ans de théâtre (1) / Bibliothèque des Annales politiques et littéraires 1900

« La manière commence où le style fini.

Elle se compose des formes, tours, façons de parler, métaphores, et pour tout dire d’un mot, des procédés de langage au moyen desquels on déguise l’absence de l’idée première, à moins qu’ils ne servent simplement à relever l’insuffisance d’un lieu commun. C’est une anomalie étrange, mais bien souvent constatée : le public rechigne souvent à des idées nouvelles. Une manière nouvelle le séduit toujours.

En général, ce charme ne dure pas bien longtemps, et la postérité en fait toujours justice. Mais tant qu’il dure, il a pour la génération qui l’a vu naître, l’attrait irrésistible de la mode. Il n’y faut pas contredire ; il prévient les esprits les plus exempts de préjugés, il met des coquilles sur les yeux les mieux ouverts et les plus perçants. »

< Jules Janin, 29 juin 1874, p.76 >

Jules RENARD / Journal / Robert Laffont - Bouquins 1990

« Le style, c’est l’oubli de tous les styles. »

< 7 avril 1891 p.71 >

ALAIN / Propos I / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1956

« Il y eut un style de la plume d’oie, un style de la plume sergent-major ; il y a un style du stylo, et peut-

être un style de la machine à écrire ; car aucun de ces procédés ne manque d’arrêt ; tous offrent l’occasion d’attendre, et à un moment où on n’attendrait pas ; le corps humain se tord et détord, et nous fait ressentir la houle animale, c’est-à-dire la vraie difficulté de penser, qui n’est jamais où on la cherche. »

< 1 août 1933 p.1170 >

Jean COCTEAU / Journal (1942-1945) / Gallimard 1989

« Ce que nous prenons pour le style classique de Molière, était le charabia de l’époque, grossi. »

< 17 mars 1942, p.44 >

SUGGESTION

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Louis-Ferdinand CÉLINE / Louis-Ferdinand Céline vous parle (1957) / Romans (2) / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1996

« Je ne suis pas un homme à message. Je ne suis pas un homme à idées. Je suis un homme à style. Le style, dame, tout le monde s’arrête devant, personne n’y vient à ce truc-là. Parce que c’est un boulot très dur. Il consiste à prendre les phrases [...] en les sortant de leurs gonds. Ou une autre image : si vous prenez un bâton et si vous voulez le faire paraître droit dans l’eau, vous allez le courber d’abord, parce que la réfraction fait que si je mets ma canne dans l’eau, elle a l’air d’être cassée. Il faut la casser avant de la plonger dans l’eau. C’est un vrai travail. C’est le travail du styliste. »

< p.934 >

Georges POLYA / Comment poser et résoudre un problème / Dunod 1965

« Règles de style. La première de ces règles c’est avoir quelque chose à dire ; la deuxième, c’est, lorsqu’on a deux choses à dire, les énoncer l’une après l’autre, et non toutes deux en même temps. »

< p.199 >

Emil CIORAN / Carnets 1957-1972 / nrf Gallimard 1997

« On ne peut traduire que les auteurs sans style. D’où le succès des médiocres, ils passent facilement dans n’importe quelle langue ! »

< 11 octobre 1967 p.525 >

Paul MORAND / Journal inutile 1968-1972 / nrf Gallimard 2001

« La pensée est de tous les pays ; seul le style est national. »

< 21 décembre 1968, p.112 >

LE CORBUSIER / Vers une architecture (1923) / Champs Flammarion 1995

« L’architecture n’a rien à voir avec les "styles".

Les Louis XV, XVI, XIV ou le Gothique, sont à l’architecture ce qu’est une plume sur la tête d’une femme ; c’est parfois joli, mais pas toujours et rien de plus. »

< p.15 >

Michel AUDIARD / Audiard par Audiard / Ed. René Chateau 1995

« — Attention ! J’ai le glaive vengeur et le bras séculier ! L’aigle va fondre sur la vieille buse !...

— Un peu chouette comme métaphore, non?

— C’est pas une métaphore, c’est une périphrase.

— Fais pas chier !...

— Ça, c’est une métaphore. »

< Faut pas prendre les Enfants du Bon Dieu pour des Canards sauvages, p.99 > SUGGESTION

Blaise PASCAL / Pensées / Œuvres complètes / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1954

« L’homme est ainsi fait, qu’à force de lui dire qu’il est un sot, il le croit ; et, à force de se le dire à soi-même, on se le fait croire. Car l’homme fait lui seul une conversation intérieure, qu’il importe de bien régler : Corrumpunt mores bonos colloquia prava*. Il faut se tenir en silence autant qu’on peut, et ne s’entretenir que de Dieu, qu’on sait être la vérité ; et ainsi on se la persuade à soi-même. »

* Les mauvaises conversations corrompent les bonnes mœurs. (I Cor. XV, 33.)

< 102 p.1115 >

André GIDE / Journal 1939-1949 Souvenirs / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1954

« Autre bel exemple d’anacoluthe : "L’homme est ainsi fait, qu’à force de lui dire qu’il est un sot, il le croit." (Pascal.) Il faudrait, logiquement : " qu’à force de s’entendre dire qu’il est un sot...". »

< 7 mars 1943 p.209 >

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SUGGESTION

Jean de LA BRUYÈRE / Les Caractères / Œuvres / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1951

« Il y a des maux effroyables et d’horribles malheurs où l’on n’ose penser, et dont la seule vue fait frémir ; s’il arrive que l’on y tombe, l’on se trouve des ressources que l’on ne se connaissait point, l’on se roidit contre son infortune, et l’on fait mieux qu’on ne l’espérait. »

< p.303 XII (30) >

Antoine de RIVAROL / L’Universalité de la langue française (1783) / arléa 1998

« Telle est l’étroite dépendance où la parole met la pensée, qu’il n’est pas de courtisan un peu habile qui n’ait éprouvé qu’à force de dire du bien d’un sot ou d’un fripon en place, on finit part en penser. »

< p.102 >

Friedrich NIETZSCHE / Humain, trop humain. (1878-1879) / Œuvres I / Robert Laffont - Bouquins 1990