DÉTERMINISME
Friedrich NIETZSCHE / Humain, trop humain. (1878-1879) / Œuvres I / Robert Laffont - Bouquins 1990
« Puissance sans victoires. - La connaissance la plus forte (celle de l’absolue non-liberté de la volonté humaine) est pourtant celle qui aboutit aux résultats les plus pauvres : car elle a toujours eu l’adversaire le 130
DEVOIR
plus fort, la vanité humaine. »
< 50 p.723 >
Paul VALÉRY / Regards sur le monde actuel / Œuvres II / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1960
« Le "déterministe" nous jure que si l’on savait tout, l’on saurait aussi déduire et prédire la conduite de chacun en toute circonstance, ce qui est assez évident. Le malheur veut que " tout savoir" n’ait aucun sens. »
< p.952 >
Paul VALÉRY / Cahiers I / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1973
« Le "déterminisme" est la seule manière de se représenter le monde. Et l’indéterminisme, la seule manière d’y exister. »
< Philosophie p.531 >
André GIDE / Journal 1889-1939 / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1951
« Le déterminisme auquel il semble bien que notre esprit, non plus que notre corps, ne puisse échapper est si subtil, répond à des causes si diverses, si multiples et si ténues, qu’il paraît enfantin de chercher à les dénombrer, et plus encore à les réduire. Et je consens que l’homme ne soit jamais libre ; mais le plus simple et le plus honnête est de faire comme s’il l’était. On risque moins, ainsi, de se blouser qu’en cherchant sans cesse à reconnaître dans tous ses gestes une grossière motivation et influence de sa race, de son hérédité et de l’époque et du climat. »
< p.813 >
DEVOIR
Michel de MONTAIGNE / Essais / Garnier 1962
« Ce grand precepte est souvent allegué en Platon : "Fay ton faict et te cognoy." Chascun de ces deux membres enveloppe generallement tout nostre devoir, et semblablement enveloppe son campagnon. Qui auroit à faire son faict, verroit que sa premiere leçon, c’est cognoistre ce qu’il est et ce qui luy est propre.
Et qui se cognoist, ne prend plus l’estranger faict pour le sien ; s’ayme et se cultive avant toute autre chose ; refuse les occupations superflues et les pensées et propositions inutiles. »
< t.1 p.11 livre I chap.III >
Friedrich NIETZSCHE / Aurore. (1881) / Œuvres I / Robert Laffont - Bouquins 1990
« Nos devoirs — ce sont les droits que les autres ont sur nous. »
< 112 p.1033 >
Friedrich NIETZSCHE / Le Gai Savoir. (1882-1887) / Œuvres II / Robert Laffont - Bouquins 1990
« Devoirs absolus. — Tous les hommes qui sentent qu’il leur faut les paroles et les intonations les plus violentes, les attitudes et les gestes les plus éloquents, pour pouvoir agir, les politiciens révolutionnaires, les socialistes, les prédicateurs, avec ou sans christianisme, tous ceux qui veulent éviter les demi-succès : tous ceux-là parlent de "devoirs", et toujours de devoirs qui ont un caractère absolu — autrement ils n’auraient point droit à leur pathos démesuré : ils le savent fort bien. »
< 5 p.55 >
Jules RENARD / Journal / Robert Laffont - Bouquins 1990
« Si tu veux être sûr de toujours faire ton devoir, fais ce qui t’es désagréable. »
< 8 août 1898 p.394 >
Paul LÉAUTAUD / Passe-temps / Œuvres / Mercure de France 1988
« Au-dessus du devoir, il y a le bonheur. »
< p.227 >
DIEU
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Paul LÉAUTAUD / Le théâtre de Maurice Boissard / Œuvres / Mercure de France 1988
« Le devoir est une chose triste, laide, inventée pour abêtir et duper les hommes. Rien que le mot est disgracieux. Il éveille la contrainte, l’ennui. Il n’y a que les sots pour le prendre au sérieux. Regardez la figure niaise d’un homme qui se félicite d’accomplir son devoir. Voyez comme sont peu aimables les femmes qui n’ont jamais oublié leur devoir. Rappelez-vous toutes les phrases hypocrites et creuses avec lesquelles on célèbre le devoir. Il en est du devoir comme de la vertu : chose et mot, c’est haïssable. Le plaisir est bien autrement important. Il ne faut jamais hésiter à le faire passer avant. La vie est si courte, si rapide ! Serons-nous encore là demain ? Il faut détester tout ce qui, sous une forme ou une autre, s’oppose au plaisir. »
< p.1639 >
DIEU
François RABELAIS / Le Tiers Livre / Œuvres complètes / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1955
« En ceste façon nostre âme, lorsque le corps dort et que la concoction [= digestion] est de tous endroictz parachevée, rien plus n’y estant nécessaire jusques au réveil, s’esbat et reveoit sa patrie, qui est le ciel.
De là receoit participation insigne de sa prime et divine origine, et en contemplation de ceste infinie et intellectuale sphære, le centre de laquelle est en chascun lieu de l’univers, la circunférence poinct (c’est Dieu scelon la doctrine de Hermès Trismegistus) à laquelle rien ne advient, rien ne passe, rien ne déchet, tous temps sont præsens, note non seulement les choses passées mouvemens inférieurs, mais aussi les futures, et, les raportent à son corps, et par les sens et organes d’icelluy les exposant aux amis, est dicte vaticinatrice et prophète. »
< Chapitre XIII, p.371 >
Blaise PASCAL / Pensées / Œuvres complètes / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1954
« Que l’homme contemple [...] la nature entière dans sa haute et pleine majesté ; qu’il éloigne sa vue des objets bas qui l’environnent. Qu’il regarde cette éclatante lumière, mise comme une lampe éternelle pour éclairer l’univers ; que la terre lui paraisse comme un point au prix du vaste tour que cet astre décrit, et qu’il s’étonne de ce que ce vaste tour lui-même n’est qu’une pointe très délicate à l’égard de celui que les astres qui roulent dans le firmament embrassent. Mais si notre vue s’arrête là, que l’imagination passe outre ; elle se lassera plutôt de concevoir, que la nature de fournir. Tout ce monde visible n’est qu’un trait imperceptible dans l’ample sein de la nature. Nulle idée n’en approche. Nous avons beau enfler nos conceptions au-delà des espaces imaginables, nous n’enfantons que des atomes, au prix de la réalité des choses. C’est une sphère infinie dont le centre est partout, la circonférence nulle part*. »
< Premère partie, chapitre I, Disproportion de l’homme. p.1105 >
* Contrairement aux (mauvaises) citations qu’on lit parfois, pour Pascal, ce n’est pas Dieu, mais la nature qui est une sphère infinie dont le centre est partout, la circonférence nulle part. Le texte de la Pléiade est identique à celui de l’édition de 1670 (Chapitre XXII Connaissance générale de l’homme, p.170).
Jean de LA BRUYÈRE / Les Caractères / Œuvres / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1951
« L’impossibilité où je suis de prouver que Dieu n’est pas me découvre son existence. »
< p.452 XVII (13) >
« La religion est vraie, ou elle est fausse : si elle n’est qu’une vaine fiction, voilà, si l’on veut, soixante années perdues pour l’homme de bien, pour le chartreux ou le solitaire : ils ne courent pas un autre risque.
Mais si elle est fondée sur la vérité même, c’est alors un épouvantable malheur pour l’homme vicieux : l’idée seule des maux qu’il se prépare me trouble l’imagination ; la pensée est trop faible pour les concevoir, et les paroles trop vaines pour les exprimer. Certes, en supposant même dans le monde moins de certitude qu’il ne s’en trouve en effet sur la vérité de la religion, il n’y a point pour l’homme un meilleur parti que la vertu. »
< p.461 XVII (35) >
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DIEU
MONTESQUIEU / Spicilège / Œuvres complètes II / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1951
« Mystère de la Grâce. On voit dans la même chaire Dieu tendre la main au pécheur le plus endurci et réprouver le juste pour quelques fautes. »
< p.1307 >
VOLTAIRE / Dictionnaire philosophique / Garnier 1967.
Nécessité pratique de l’existence de Dieu :
« Je ne voudrais pas avoir affaire à un prince athée, qui trouverait son intérêt à me faire piler dans un mortier : je suis bien sûr que je serais pilé. Je ne voudrais pas, si j’étais souverain, avoir affaire à des courtisans athées, dont l’intérêt serait de m’empoisonner : il me faudrait prendre au hasard du contre-poison tous les jours. Il est donc absolument nécessaire pour les princes et pour les peuples, que l’idée d’un Etre suprême, créateur, gouverneur, rémunérateur et vengeur, soit profondément gravée dans les esprits. »
< p.43 article Athée, Athéisme >
« Le grand objet, le grand intérêt, ce me semble, n’est pas d’argumenter en métaphysique, mais de peser s’il faut, pour le bien commun de nous autres animaux misérables et pensants, admettre un Dieu rémunérateur et vengeur, qui nous serve à la fois de frein et de consolation, ou de rejeter cette idée en nous abandonnant à nos calamités sans espérances, et à nos crimes sans remords. »
< p.518 >
Insuffisance de la justice humaine :
« Dès que les hommes vécurent en société, ils durent s’apercevoir que plusieurs coupables échappaient à la sévérité des lois. Ils punissaient les crimes publics : il fallut établir un frein pour les crimes secrets ; la religion seule pouvait être ce frein. »
< p.178 >
Le supérieur ne peut provenir de l’inférieur :
« Nous sommes des êtres intelligents ; or des êtres intelligents ne peuvent avoir été formés par un être brut, aveugle, insensible : il y a certainement quelques différences entre les idées de Newton et des crottes de mulet. L’intelligence de Newton venait donc d’une autre intelligence. »
< p.459-460 >
Argument d’intention : Toute machine a un constructeur :
« Quand nous voyons une belle machine, nous disons qu’il y a un bon machiniste, et que, ce machiniste a un excellent entendement. Le monde est assurément une machine admirable : donc il y a dans le monde une admirable intelligence, quelque part où elle soit. Cet argument est vieux et n’en est pas plus mauvais. »
< p.460 >
Argument d’autorité :
« ... Spinosa lui-même admet cette intelligence, c’est la base de son système. Vous ne l’avez pas lu et il faut le lire. Pourquoi voulez-vous aller plus loin que lui, et plonger par un sot orgueil votre faible raison dans un abîme où Spinosa n’a pas osé descendre? »
< p.461 >
Sur les idolâtres :
« L’erreur n’était pas d’adorer un morceau de bois ou de marbre, mais d’adorer une fausse divinité représentée par ce bois et ce marbre. La différence entre eux et nous n’est pas qu’ils eussent des images et que nous n’en ayons point : la différence est que leurs images figuraient des êtres fantastiques dans une religion fausse, et que la nôtre figurent des êtres réels dans une religion véritable. »
< p.238 >
VOLTAIRE / Œuvres de Voltaire (tome 13) / Paris, Firmin-Didot 1833 [BnF]
«
Si les cieux, dépouillés de son empreinte auguste,
Pouvaient cesser jamais de le manifester,
Si Dieu n’existait pas, il faudrait l’inventer.
DIEU
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»
< Épitre CXI, À l’auteur du livre des trois imposteurs, p.265 > Denis DIDEROT / Pensées philosophiques / Œuvres / t.I Philosophie / Robert Laffont - Bouquins 1994
« Il y a des gens dont il ne faut pas dire qu’ils craignent Dieu, mais bien qu’ils en ont peur. »
< 8 p.20 >
« Le Dieu des chrétiens est un père qui fait grand cas de ses pommes, et fort peu de ses enfants. »
< 16 p.42 >
CHAMFORT / Maximes et Pensées, Caractères et Anecdotes / Garnier-Flammarion 1968
« À propos des choses de ce bas monde, qui vont de mal en pis, M... disait : "J’ai lu quelque part, qu’en politique il n’y avait rien de si malheureux pour les peuples que les règnes trop longs. J’entends dire que Dieu est éternel ; tout est dit." »
< 769 p.223 >
Louis-Ambroise de BONALD / Œuvres complètes t.3 / Paris, J-P Migne 1859
« Les gens qui aiment la dispute devraient ne disputer que sur ce qu’ils ne peuvent jamais éclaircir ; alors la dispute serait intéressante, parce qu’elle serait interminable. Mais disputer sur l’existence de Dieu, l’immortalité de l’âme, la vie future, etc., ce n’est pas la peine. Il n’y a qu’à attendre. »
< Pensées, p.1383 >
Victor HUGO / Choses vues / Histoire / Œuvres complètes / Robert Laffont - Bouquins 1987
« M. Arago avait une anecdote favorite. Quand Laplace eut publié sa Mécanique céleste, disait-il, l’empereur le fit venir. L’empereur était furieux. " — Comment, s’écria-t-il en apercevant Laplace, vous fait tout le système du monde, vous donnez les lois de toute la création et dans tout votre livre vous ne parlez pas une seule fois de l’existence de Dieu ! — Sire, répondit Laplace, je n’avais pas besoin de cette hypothèse." »
< p.686 >
Edmond et Jules de GONCOURT / Journal (t.1) / Robert Laffont - Bouquins 1989
« Il y a des gens qui admirent Dieu en tout : s’il a fait des champignons vénéneux, c’est pour être la providence des faits divers. »
< 16 août 1865 p.1185 >
Le Comte de LAUTRÉAMONT / Les chants de Maldoror (1869) / GF 528 - Flammarion 1990
« L’Éternel a créé le monde tel qu’il est : il montrerait beaucoup de sagesse si, pendant le temps strictement nécessaire pour briser d’un coup de marteau la tête d’une femme, il oubliait sa majesté sidérale, afin de nous révéler les mystères au milieu desquels notre existence étouffe, comme un poisson au fond d’une barque. »
< II 3 p.139 >
Friedrich NIETZSCHE / Le Gai Savoir. (1882-1887) / Œuvres II / Robert Laffont - Bouquins 1990
« "Est-il vrai que le bon Dieu est présent partout ? demanda une petite fille à sa mère : mais je trouve cela inconvenant." — Une indication pour les philosophes ! »
< p.32 >
« Luttes nouvelles. — Après la mort de Bouddha, l’on montra encore pendant des siècles son ombre dans une caverne, — une ombre énorme et épouvantable. Dieu est mort : mais, à la façon dont sont faits les hommes, il y aura peut-être encore pendant des milliers d’années des cavernes où l’on montrera son ombre. — Et nous — il nous faut encore vaincre son ombre ! »
< 108 p.121 >
« Si Dieu avait voulu devenir un objet d’amour, il aurait dû commencer par renoncer à rendre la justice : —
un juge, et même un juge clément, n’est pas un objet d’amour. »
< 140 p.138 >
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DIEU
Charles BAUDELAIRE / Fusées / Œuvres complètes I / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1975
« Dieu est le seul être qui, pour régner, n’ait même pas besoin d’exister. »
< p.649 >
Lorédan LARCHEY / L’Esprit de tout le monde - Riposteurs (1893) / Berger-Levrault 1893
« Présenté par Arsène Houssaye à Louis Veuillot, Baudelaire dit à brûle-pourpoint avec le ton incisif qui lui était particulier quand il voulait stupéfier :
— Je ne crois pas en Dieu.
— Oh ! qu’il en sera contrarié ! fait Veuillot d’un air dolent. »
< p.134 >
« Entendant dire que Dieu avait fait l’homme à son image, Fontenelle murmura :
— L’homme le lui a bien rendu. »
< p.39 >
Émile BERGERAT / Les soirées de Calibangrève / Flammarion 1892 [BnF cote 8-Z-13067]
« Dieu, pour se prouver, devait faire la faim plus rare et le meurtre moins facile. »
< Cinquante pensées noires, p.113 >
Alphonse ALLAIS / Œuvres posthumes / Robert Laffont - Bouquins 1990
« Quand le bon Dieu, sortant enfin de son antique routine, se résolut à mettre un peu d’ordre dans le chaos, il s’occupa d’abord de séparer la Lumière des Ténèbres.
Les mémoires de l’époque sont assez chiches de détails sur la façon dont s’opéra cette division.
Les ecclésiastiques prétendent que le Créateur n’eut qu’à prononcer les mots Fiat lux et que la lumière fut ; mais pour tout homme un peu versé dans la pratique des sciences physiques, il est clair que les choses ne s’accomplirent pas aussi facilement.
Quoi qu’il en soit, l’opération laissa fort à désirer.
La science actuelle, qui a déjà construit des appareils photographiques infiniment plus parfaits que l’œil humain, est en train de reconnaître le peu de conscience ou tout au moins l’étrange ignorance dont Dieu fit preuve en cette occasion.
Dieu, à qui nous reconnaissons, d’ailleurs, une foule d’autres mérites, a agi, dans tout cela, comme un enfant. »
< Le Journal, 28 février 1896 p.301 >
Jules RENARD / Journal / Robert Laffont - Bouquins 1990
« Dieu, celui que tout le monde connaît, de nom. »
< 14 avril 1894 p.171 >
« Je croirai à tout ce qu’on voudra, mais la justice de ce monde ne me donne pas une rassurante idée de la justice dans l’autre. Dieu, je le crains, fera encore des bêtises : il accueillera les méchants au Paradis et foutra les bons dans l’Enfer.
Un chat qui dort vingt heures sur vingt-quatre, c’est peut-être ce que Dieu a fait de plus réussi.
Oui, Dieu existe, mais il n’y entend rien, pas plus que nous.
Ah ! il l’a, lui, le divin sourire !
C’est à nous de réparer ses injustices ! Nous sommes plus que des dieux.
J’ignore s’il existe, mais il vaudrait mieux, pour son honneur, qu’il n’existât point. »
< 26 janvier 1906 p.812 >
« Dieu, modeste, n’ose pas se vanter d’avoir créé le monde. »
< 3 septembre 1906 p.845 >
« Très attaqué, Dieu se défend par le mépris, en ne répondant pas. »
< 28 janvier 1908 p.913 >
DIEU
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Paul-Jean TOULET / Monsieur du Paur homme public / Œuvres complètes / Robert Laffont - Bouquins 1986
« On raconte que Dieu a créé l’homme à son image. Il nous a donné là une faible idée de ses charmes. Toutes fois que je rencontre N... qui est bas de ventre, court-jambé, avec une tête piriforme et des aubergines pour mains, j’ai envie de lui dire : Est-ce que vous n’avez pas honte de représenter la divinité de cette façon-là? »
< §a p.262 >
Paul-Jean TOULET / Le carnet de monsieur du Paur / Œuvres complètes / Robert Laffont - Bouquins 1986
« C’est encore adorer ses Dieux que de leur jeter des pierres. »
< p.288 >
Antoine de SAINT-EXUPÉRY / Carnets / folio Gallimard 1999
« Que m’importe que Dieu n’existe pas ! Dieu donne à l’homme de la divinité. »
< p.106 >
Albert EINSTEIN / Pensées intimes / Éditions du Rocher 2000
« Je ne crois pas en un Dieu personnel et je ne l’ai jamais caché. Bien au contraire, je l’ai exprimé clairement. S’il y a quelque chose en moi qui peut être qualifié de religieux, c’est l’admiration sans limites pour la structure du monde, pour autant que la science soit en mesure de la révéler. »
< Lettre à un admirateur, 22 mars 1954, Archives Einstein 39-525. p.144 > Dieu ne joue pas aux dés.
« La mécanique des quanta est tout à fait digne de considération. Mais une voix intérieure me dit que ce n’est pas le vrai Jacob. La théorie a beaucoup à offrir, mais elle ne nous rapproche guère des secrets de l’Ancien. En tout cas, je suis convaincu qu’Il ne joue pas aux dés. »
< Lettre à Max Born, 4 décembre 1926, Archives Einstein 8-180.p.153 > André GIDE / Journal 1939-1949 Souvenirs / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1954
« Il est bon de laisser croire à l’enfant que Dieu le voit, car il doit agir comme sous le regard de Dieu et faire de cela sa conscience. »
< 10 avril 1942 p.114 >
Paul VALÉRY / Mélange (1939) / Œuvres I / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1957
« L’homme vaut-il la peine de déranger un Dieu pour le "créer"? »
< p.314 >
Paul VALÉRY / Mauvaises pensées et autres / Œuvres II / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1960
« EX NIHILO : Dieu a tout fait de rien. Mais le rien perce. »
< p.907 >
Paul LÉAUTAUD / Journal littéraire / Mercure de France 1986
« Je me disais en descendant qu’il n’est décidément pas drôle d’être né à cette époque, bien que toutes aient dû se valoir et avoir leurs événements embêtants. Etre né Adam, par exemple, Adam avec Eve. Il est vrai qu’ils devaient être assommés par le Seigneur, avec ses observations à chaque instant : "Vous abîmez le jardin. Marchez dans les allées. Faites attention aux fleurs, etc., etc." Pas moyen d’être tranquilles. »
< 6 août 1936 II p.1677 >
Woody ALLEN / Pour en finir une bonne fois pour toutes avec la culture. Opus 2. / Solar 1973
« Non seulement Dieu n’existe pas, mais essayez d’avoir un plombier pendant le week-end ! »
< p.43 >
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DIEU
André GIDE / Journal 1889-1939 / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1951
« Je ne puis me satisfaire du nihilisme absolu de Roger Martin du Gard. Je ne m’en écarte pas, ne le repousse pas, mais prétends passer outre, le traverser. C’est par-delà, que je veux reconstruire. Il me parait monstrueux que l’homme ait besoin de l’idée de Dieu pour se sentir d’aplomb sur terre ; qu’il soit forcé de consentir à des absurdités pour édifier quoi que ce soit de solide ; qu’il se reconnaisse incapable d’exiger de lui-même ce qu’obtenaient artificiellement de lui des convictions religieuses, de sorte qu’il laisse aller tout à néant sitôt qu’on dépeuple son ciel. »
< 20 octobre 1927 p.854 >
Raymond QUENEAU / Journaux (1914-1965) / nrf Gallimard 1996
« L’infini n’existe pas. L’univers est fini quoique illimité. Il n’y a pas de place pour Dieu. »
< 18 mai 1920 p.65 >
François JACOB / Le jeu des possibles / Fayard 1981
Contre l’argument d’intention :
« Tout au long de l’ Origine des espèces, Darwin insiste sur les imperfections de structure et de fonction du monde vivant. Il ne cesse de souligner les bizarreries, les solutions étranges qu’un Dieu raisonnable n’aurait jamais utilisées. Et l’un des meilleurs arguments contre la perfection vient de l’extinction des espèces. On peut estimer à plusieurs millions le nombre des espèces animales vivant actuellement. Mais le nombre des espèces qui ont disparu après avoir peuplé la terre à une époque ou une autre doit, d’après un calcul de G.G. Simpson, s’élever à quelques cinq cents millions au moins. »
< p.70 >
Philippe BOUVARD / Maximes au minimum / Robert Laffont 1984
« Si Dieu nous avait vraiment fait à son image, il y aurait moins de chirurgiens esthétiques. »
< p.37 >
Roland TOPOR / Pense-bêtes / Le cherche midi éditeur 1992
« Dieu voit tout, entend tout, confond tout. »
< p.65 >
François CAVANNA / Lettre ouverte aux culs-bénits / Albin Michel 1994
« Que Dieu existe ou non n’a aucune importance. Il ne s’ensuit aucune influence sur notre conduite.
Dieu, par définition, est inconnaissable. Sa nature et, à plus forte raison, ses desseins, ne nous sont pas accessibles. Si vraiment il existe et nous a voulus tels que nous sommes, c’est-à-dire incapables de le concevoir tout en étant torturés par la question de son existence et par celle de nos fins dernières, laissons-lui le soin de gérer tout cela. Il l’a créé? Qu’il s’en démerde ! »
< p.14 >
« Si vraiment ce monde où nous sommes a été créé, créé par quelqu’un qu’il est convenu d’appeler Dieu, alors tout se passe comme si ce personnage doué du pouvoir de créer (par définition) était un arriéré mental incohérent et brouillon, un impulsif à tendances sadiques, un caractériel infantile... En somme, un enfant dieu débile et dangereux qu’on aurait isolé dans un coin lointain d’univers pour qu’il fiche la paix au monde en faisant joujou sur son tas de sable à arracher les pattes des mouches. Les mouches, c’est nous. »
< p.135 >
José ARTUR / Les Pensées / Le cherche midi éditeur 1993
« Dieu ne recevra jamais le prix Nobel de la paix. »
< p.23 >
« "Mon Dieu, soyez humain" est l’invocation la plus bête du monde. »
< p.39 >
DIMANCHE
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COLUCHE / Pensées et anecdotes / Le cherche midi éditeur 1995
« Dieu a créé l’homme à son image, et la gonzesse à l’idée qu’il s’en faisait, ça peut paraître dégueulasse, mais ça partait d’un bon sentiment. »
< p.154 >
Emil CIORAN / Des larmes et des saints (1937) / Œuvres / Quarto Gallimard 1995
« Il m’arrive d’éprouver une sorte de stupeur à l’idée qu’il ait pu exister des "fous de Dieu", qui lui ont tout sacrifié, à commencer par leur raison. Souvent il me semble entrevoir comment on peut se détruire pour lui dans un élan morbide, dans une désagrégation de l’âme et du corps. D’où l’aspiration immatérielle à la mort. Il y a quelque chose de pourri dans l’idée de Dieu ! »
< p.311 >
Emil CIORAN / De l’inconvénient d’être né (1973) / Œuvres / Quarto Gallimard 1995
« Il tombe sous le sens que Dieu était une solution, et qu’on n’en trouvera jamais une aussi satisfaisante. »
< p.1340 >
Philippe BOUVARD / Journal 1992-1996 / Le cherche midi éditeur 1997
« Qu’adviendra-t-il de l’humanité si, dans un siècle ou dans un millénaire, l’homme s’avisait avec certitude que Dieu n’existe pas ? Les religions — et les guerres qu’elles ont suscitées — deviendraient sans objet, la moitié de la littérature n’aurait plus aucun sens, des centaines de partitions seraient privées de leur substance, des milliers de tableaux deviendraient ridicules, les trois quarts de la morale s’écrouleraient tandis que des dizaines de milliers de professionnels de la génuflexion se retrouveraient à la rue. On conserverait la foi pour moins que cela. »
< p.88 >
« Si Dieu n’existe pas, je plains ceux qui, pour conquérir là-haut un paradis hypothétique, ont transformé ici-bas leur vie en un enfer de contraintes et de renoncements. »
< p.116 >
« Si l’homme est vraiment ce que le créateur a fait de mieux, ça ne vaut pas la peine de s’agenouiller devant lui. »
< p.122 >
François NOURISSIER / À défaut de génie / nrf Gallimard 2000
« La rhétorique de la foi, la majuscule mise à Dieu et même à Ses pronoms personnels, la déférence qui entoure, où qu’on regarde, les zélateurs du sentiment religieux, tout ce battage métaphysique me paraît appartenir, mystérieusement, au même ordre que la convention qui confère leur valeur vénale à l’or, au diamant, au saphir, à l’émeraude. Cailloux ! Simples conventions, mises au point en leur temps par des négociants, par commodité, et qu’on s’étonne de voir encore respectées. »
< p.102 >
Robert JOLY / Dieu vous interpelle? Moi, il m’évite... / Editions EPO 2000
« "Expliquer" l’univers par un Créateur n’est en aucune façon une explication. Nous connaissons l’univers, au moins en partie, et déjà pas mal, et de plus en plus. Un Dieu créateur est lui, totalement inconnu et inexplicable. On n’explique pas le peu (admettons) connu par l’inconnaissable. Cela ne revient qu’à multiplier l’obscurité, obscurum per obscurius. »
< p.30 >
DIMANCHE
Georg Christoph LICHTENBERG / Le miroir de l’âme / Domaine romantique José Corti 1997
« La religion : une affaire du dimanche. »
< L 368 p.544 >
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DOGMATISME
STENDHAL / Vie de Henry Brulard / Œuvres intimes II / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1982
« Je ne puis pas encore m’expliquer aujourd’hui, à cinquante-deux ans, la disposition au malheur que me donne le dimanche. Cela est au point que je suis gai et content ; au bout de deux cents pas dans la rue, je m’aperçois que les boutiques sont fermées : "Ah ! c’est dimanche", me dis-je.
À l’instant toute disposition intérieure au bonheur s’envole.
Est-ce envie pour l’air content des ouvriers ou des bourgeois endimanchés?
J’ai beau me dire : "Mais je perds ainsi cinquante-deux dimanches par an et peut-être dix fêtes." La chose est plus forte que moi. Je n’ai de ressource qu’un travail obstiné. »
< ch. XXI p.730 >
Friedrich NIETZSCHE / Par-delà le bien et le mal (1886) / Œuvres II / Robert Laffont - Bouquins 1990
« L’oisiveté pèse aux races laborieuses. Ce fut un coup de maître de l’ instinct anglais de faire du dimanche une journée si sainte et si ennuyeuse, que l’Anglais en vient, à son insu, à désirer le retour des jours de semaine et de travail. »
< 189 p.635 >
Jules RENARD / Journal / Robert Laffont - Bouquins 1990
« Je sais pourquoi je déteste le dimanche : c’est parce que des gens , occupés à rien, se permettent d’être oisifs comme moi. »
< 29 juin 1895 p.221 >
Paul MORAND / Journal inutile 1968-1972 / nrf Gallimard 2001
« Le dimanche, on échange les ennuis de la semaine contre l’Ennui. »
< 24 juin 1969, p.225 >
Georges PERROS / En vue d’un éloge de la paresse - Lettre préface / Le Passeur 1995
« Le dimanche est ennuyeux parce qu’il est dimanche pour tout le monde. »
< p.23 >
DOGMATISME
MARIVAUX / Lettres sur les habitants de Paris (1718) / Journaux et Œuvres diverses / Classiques Garnier 1988
« Pourquoi donc pense-t-on plus respectueusement du philosophe que du bel esprit? Ne serait-ce pas que le philosophe, ou bien l’homme au système, nous proposant une connaissance expresse de nous-mêmes, nous fait penser que nous sommes difficiles à comprendre, et par là importants ; au lieu que le philosophe qui fait un poème ou une ode semble ne nous exposer à nos propres yeux que pour nous divertir : ce dessein-là ne nous fait pas tant d’honneur. »
< p.35 >
Georg Christoph LICHTENBERG / Le miroir de l’âme / Domaine romantique José Corti 1997
« La dogmatique, mère fertile et complaisante de la polémique. »
< J 1226 p.463 >
Joseph JOUBERT / Carnets / nrf Gallimard 1938-1994
« L’exception vient toujours de la raison de la règle. »
< 27 février 1805 t.2 p.34 >
« La règle nous délivre des fantaisies, des tourments de l’incertitude. »
< 9 septembre 1813 t.2 p.401 >
Alphonse KARR / Les Guêpes (première série) / Calmann Lévy 1898
« L’incertitude est le pire de tous les maux, jusqu’au moment où la réalité nous fait regretter l’incertitude. »
< Juillet 1840, p.296 >
DOGMATISME
139
Victor HUGO / Faits et croyances / Océan / Œuvres complètes / Robert Laffont - Bouquins 1989
« Les règles sont utiles aux talents et nuisibles aux génies. »
< 1835-40 p.150 >
Gustave FLAUBERT / Dictionnaire des idées reçues / Bouvard et Pécuchet / Garnier-Flammarion 1966
« EXCEPTION. - Dites qu’elle confirme la règle. Ne vous risquez pas à expliquer comment*. »
< p.351 >
* L’exception confirme la règle, c’est-à-dire l’exception, manifestant la règle, la constate. (Littré) Autrement dit, s’il y a une exception c’est qu’il y a une règle !
Ernest RENAN / L’Avenir de la science, Pensées de 1848 (1890) / GF 765 Flammarion 1995
« Un système, c’est une épopée sur les choses. Il serait aussi absurde qu’un système renfermât le dernier mot de la réalité qu’il le serait qu’une épopée épuisât le cercle entier de la beauté. Une épopée est d’autant plus parfaite qu’elle correspond mieux à toute l’humanité, et pourtant, après la plus parfaite épopée, le thème est encore nouveau et peut prêter à d’infinies variations, selon le caractère individuel du poète, son siècle ou la nation à laquelle il appartient. »
< p.123 >
« Si une doctrine est vraie, il ne faut pas la craindre ; si elle est fausse, encore moins, car elle tombera d’elle-même. Ceux qui parlent de doctrines dangereuses devraient toujours ajouter dangereuses pour moi. »
< p.451 >
Oscar WILDE / Intentions / Œuvres / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1996
« Qui veut de la cohérence ? Les imbéciles et les doctrinaires, les ennuyeux qui poussent leurs principes jusqu’à la fin amère de l’action, jusqu’à la reductio ad absurdum de leur mise en pratique. Pas moi. »
< p.775 >
Rémy de GOURMONT / Épilogues (2) / Mercure de France 1923
« Les idées abstraites sont malsaines pour les cerveaux vulgaires, qui en demeurent suffoqués. Quels despotes que les principes ! Avec les anciens dieux qui avaient quelque chose d’humain, on discutait, on s’ar-rangeait ; les principes sont inflexibles et poussent les hommes aux extrémités de la sottise. À moins qu’on n’ait appris l’art de les discipliner et de les régir. Seul le grand seigneur de vastes domaines intellectuels peut se permettre le luxe d’une telle meute. Cela sert à chasser la grosse bête ; mais que fatigués et repus, les chiens rentrent le soir au chenil et se taisent, car rien n’est meilleur que le sommeil. Il faut dormir, puisqu’il faut vivre. »
< juillet 1900, p.157 >
Jules RENARD / Journal / Robert Laffont - Bouquins 1990
« Les gens qui veulent suivre des règles m’amusent, car il n’y a dans la vie que de l’exceptionnel. »
< 31 mars 1894 p.168 >
Georges BERNANOS / Lettre aux Anglais (1942) / Essais et écrits de combats II / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1995
« Je n’ai pas de système, parce que l’esprit de système est une forme de la folie, les systèmes ne servent qu’aux fous. Le bon sens nous enseigne qu’en prétendant simplifier ils compliquent tout, au lieu que la vie, en ayant l’air de compliquer, simplifie tout. Et je n’ai pas de principes pour la raison que je n’éprouve nullement le besoin d’imposer une espèce de constitution à ma conscience, de vivre avec ma conscience sous un régime constitutionnel. Ce mot de principe est d’ailleurs tellement dégradé par l’usage que dire aujourd’hui d’un homme qu’il a des principes équivaut presque à dire qu’il a des rentes. »
< p.56 >
Antoine de SAINT-EXUPÉRY / Carnets / folio Gallimard 1999
« On attaque les principes au nom de l’homme. Mais l’homme est tel à cause des principes qui l’ont formé.
Ainsi chaque libération est destructive. »
< p.121 >
140
DOGMATISME
Paul VALÉRY / Mauvaises pensées et autres / Œuvres II / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1960
« Un homme compétent est un homme qui se trompe selon les règles. »
< p.887 >
Henri LABORIT / Éloge de la fuite / Robert Laffont 1976 - Gallimard folio-essais 7
« Ce n’est pas l’Utopie qui est dangereuse, car elle est indispensable à l’évolution. C’est le dogmatisme, que certains utilisent pour maintenir leur pouvoir, leurs prérogatives et leur dominance. »
< p.164 >
Paul VALÉRY / Tel Quel / Œuvres II / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1960
« Il y a de grandes perturbations dans le monde, qui sont dues à la coexistence de "vérités", d’idéaux, de valeur comparable, et difficiles à distinguer.
Les débats les plus violents ont toujours eu lieu entre des doctrines ou des dogmes très peu différents.
Lutte plus aigre et plus aiguë entre orthodoxes et hérétiques qu’entre l’orthodoxe et le païen.
Le degré de précision d’une dispute en accroît la violence et l’acharnement. On se bat plus furieusement pour une lointaine décimale. »
< p.517 >
Raymond QUENEAU / Journaux (1914-1965) / nrf Gallimard 1996
« Avoir un système borne son horizon ; n’en avoir pas est impossible. Le mieux est d’en posséder plusieurs. »
< 14 septembre 1920 p.68 >
François JACOB / Le jeu des possibles / Fayard 1981
« Ce n’est pas seulement l’intérêt qui fait s’entre-tuer les hommes. C’est aussi le dogmatisme. Rien n’est aussi dangereux que la certitude d’avoir raison. Rien ne cause autant de destruction que l’obsession d’une vérité considérée comme absolue. Tous les crimes de l’histoire sont des conséquences de quelque fanatisme.
Tous les massacres ont été accomplis par vertu, au nom de la religion vraie, du nationalisme légitime, de la politique idoine, de l’idéologie juste ; bref au nom du combat contre la vérité de l’autre, du combat contre Satan. »
< p.12 >
« Il devrait être bien clair aujourd’hui qu’on n’expliquera pas l’univers dans tous ses détails par une seule formule ou par une seule théorie. Et pourtant le cerveau humain a un tel besoin d’unité et de cohérence que toute théorie de quelque importance risque d’être utilisée de manière abusive et de déraper vers le mythe. »
< p.48 >
Robert MUSIL / L’homme sans qualités / Editions du Seuil - Points 1956
« Les idéaux ont de curieuses qualités, entre autres celle de se transformer brusquement en absurdité quand on essaie de s’y conformer strictement. »
< T 1 p.289 >
Emil CIORAN / Carnets 1957-1972 / nrf Gallimard 1997
« L’orgueil philosophique est le plus stupide de tous. Si un jour par miracle la tolérance s’instaure parmi les hommes, les philosophes seront les seuls à ne pas en vouloir et à ne pas en bénéficier. C’est qu’une vision du monde ne peut pas s’accorder avec une autre vision, ni l’admettre, encore moins la justifier. Être philosophe, c’est croire que vous êtes le seul à l’être, que personne d’autre ne peut avoir cette qualité. Seuls les fondateurs de religions ont une mentalité pareille. Construire un système, c’est de la religion en plus bête. »
< 19 juin 1966 p.373 >
« Les doctrines passent — les anecdotes demeurent. »
< 27 mai 1969 p.729 >
DOULEUR
141
DOULEUR
ÉPICURE / Sentences vaticanes / Lettres, maximes, sentences / Livre de Poche (4628) 1994
« Toute douleur est facile à mépriser : celle dont la peine est intense est d’une brève durée, celle qui dure dans la chair s’accompagne d’une faible peine. »
< 4 p.209 >
Charles BAUDELAIRE / Les Paradis artificiels / Œuvres complètes I / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1975
« Malgré les admirables services qu’ont rendus l’éther et le chloroforme, il me semble qu’au point de vue de la philosophie spiritualiste, la même flétrissure morale s’applique à toutes les inventions modernes qui tendent à diminuer la liberté humaine et l’indispensable douleur. Ce n’est pas sans une certaine admiration que j’entendis une fois le paradoxe d’un officier qui me racontait l’opération cruelle pratiquée sur un général français à El-Aghouat, et dont celui-ci mourut malgré le chloroforme. Ce général était un homme très brave, et même quelque chose de plus, une de ces âmes à qui s’applique naturellement le terme : chevaleresque.
"Ce n’était pas, me disait-il, du chloroforme qu’il lui fallait, mais les regards de toute l’armée et la musique des régiments. Ainsi peut-être il eût été sauvé !" Le chirurgien n’était pas de l’avis de cet officier ; mais l’aumônier aurait sans doute admiré ces sentiments. »
< p.439 >
Isidore DUCASSE (LAUTRÉAMONT) / Poésies (1870) / GF 528 - Flammarion 1990
« Souffrir est une faiblesse, lorsqu’on peut s’en empêcher et faire quelque chose de mieux. »
< I p.335 >
Friedrich NIETZSCHE / Le Gai Savoir. (1882-1887) / Œuvres II / Robert Laffont - Bouquins 1990
« Sagesse dans la douleur. — Dans la douleur il y a autant de sagesse que dans le plaisir : tous deux sont au premier chef des forces conservatrices de l’espèce. S’il n’en était pas ainsi de la douleur, il y a longtemps qu’elle aurait disparu ; qu’elle fasse mal, ce n’est pas là un argument contre elle, c’est au contraire son essence. J’entends dans la douleur le commandement du capitaine de vaisseau : "Amenez les voiles !"
L’intrépide navigateur "homme" doit s’être exercé à disposer les voiles de mille manières, autrement il en serait trop vite fait de lui, et l’océan bientôt l’engloutirait. Il faut aussi que nous sachions vivre avec une énergie réduite : aussitôt que la douleur donne son signal de sûreté, il est temps de réduire cette énergie, —
quelque grand danger, une tempête se prépare et nous agissons prudemment en nous "gonflant" aussi peu que possible. »
< 318 p.187 >
Jules RENARD / Journal / Robert Laffont - Bouquins 1990
« Nous nous avouons ceci, quand un être qui nous est cher est malade, et que la mort est toute prête, nous souffrons d’avance des gestes qu’il faudra faire pour montrer notre douleur, mais nous ne pensons pas à l’être qui nous est cher. »
< 20 mars 1891 p.71 >
« Il faut gémir, mais en cadence. »
< 25 décembre 1896 p.290 >
Léon BLOY / Exégèse des lieux communs / Mercure de France 1968
« Les grandes douleurs sont muettes.
Essayez de vous représenter un fabricant de tubes en caoutchouc, un constructeur de ressorts à boudin pour les sommiers élastiques, un gommeur de papier à lettres, un agent voyer de première classe ou bien un architecte vérificateur poussant des cris effroyables et dégainant le lyrisme d’un Sophocle pour déplorer le trépas d’une personne de sa famille ! »
< p.90 >
142
DOULEUR
Paul-Jean TOULET / Les trois impostures / Œuvres complètes / Robert Laffont - Bouquins 1986
« On dirait que la douleur donne à certaines âmes une espèce de conscience.
C’est comme aux huîtres le citron. »
< 75 p.170 >
« Si tu pleures de joie, ne sèche pas tes larmes : tu les voles à la douleur. »
< 229 p.192 >
Paul VALÉRY / Cahiers I / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1973
« La plus grande partie du corps ne parle que pour souffrir. Tout organe qui se fait connaître est déjà suspect de désordre. Silence bienheureux des machines qui marchent bien. »
< Soma et CEM p.1119 >
« La douleur est toujours question et le plaisir, réponse. »
< Sensibilité p.1175 >
Paul LÉAUTAUD / Journal littéraire / Mercure de France 1986
« Ce vers, de Vigny, je crois, me revenait tantôt :
J’aime la majesté des souffrances humaines.
Où a-t-il vu des souffrances humaines avoir de la majesté? A ajouter à ce que j’ai dit des choses qu’on écrit parce que cela fait bien. »
< 25 février 1947 III p.1547 >
Jean COCTEAU / Opium / Romans, Poésies, Œuvres diverses / La Pochothèque LdP 1995
« Progrès. Est-il bon d’accoucher à l’américaine (sommeil et forceps) et ce progrès qui consiste à souffrir moins n’est-il pas, comme la machine, le symptôme d’un univers où l’homme épuisé substitue d’autres forces à la sienne, évite les secousses d’un système nerveux affaibli? »
< p.575 >
Jean COCTEAU / La difficulté d’être / Romans, Poésies, Œuvres diverses / La Pochothèque LdP 1995
« Je tire de la douleur un bénéfice : elle me rappelle sans cesse à l’ordre. Les longs temps où je ne pensais à aucune chose, ne laissant naviguer en moi que les mots : chaise, lampe, porte, ou autres objets sur quoi se promenaient mes yeux, ces longs temps de néant n’existent plus. La douleur me harcèle et je dois penser pour m’en distraire. C’est à l’inverse de Descartes. Je suis, donc je pense. Sans la douleur je n’étais pas. »
< p.912 >
Henri LABORIT / Éloge de la fuite / Robert Laffont 1976 - Gallimard folio-essais 7
« En ce qui concerne la douleur, je ne puis me convaincre qu’elle élève, et les hommes que j’ai vus souffrir m’ont toujours paru enfermés dans leur douleur et non point ouverts sur des vues cosmiques. Si la douleur élève, je voudrais savoir vers quoi. »
< p.88 >
André COMTE-SPONVILLE / Une éducation philosophique / PUF 3e ed 1992
« D’abord, ne pas interpréter, ni justifier. La douleur est un fait, et ne veut rien dire. Elle n’a pas de sens, pas de valeur, pas d’excuses. Même atroce, elle est insignifiante (et cela est le plus atroce peut-être, qu’elle ne signifie rien) ; même légère, elle est insensée. Quoi de plus bête qu’une rage de dents ? Le réel se reconnaît là, qui se contente d’exister. " Pourquoi ? ", demande-t-on devant celui qui souffre. Mais il n’y a pas de réponse (on souffre toujours pour rien), ni même, en vérité, de question. Le corps hurle, mais n’interroge pas. On parle pourtant des leçons de la douleur, et chacun, qui l’a vécue, y reconnaît quelque chose de son expérience. Mais ces leçons sont toutes négatives, ou critiques : la douleur n’apprend rien, qu’en annulant ce qu’on croyait savoir. Sa leçon est une anti-leçon : tout discours doit cesser, devant elle, qui parait ridicule, insupportable ou lâche. Non pas tout discours, pourtant. Et cela fait un sacré tri. Combien de livres supportent la proximité immédiate de l’horreur? »
< p.323 >
DOUTE
143
Emil CIORAN / Carnets 1957-1972 / nrf Gallimard 1997
« Ne désespère pas : si tout le monde t’abandonne, tu pourras toujours compter sur tes douleurs. »
< mars 1965 p.273 >
DOUTE
Joseph JOUBERT / Carnets / nrf Gallimard 1938-1994
« Le doute sage et vraiment philosophique (s’il existait) consisterait donc à éteindre (ou plutôt à voiler) les lumières qui nous éblouissent, pour juger par un autre organe de l’esprit que celui de sa vue. »
< 24 avril 1808 t.2 p.265 >
« Douter, c’est sortir d’une erreur, et souvent d’une vérité. »
< 14 mai 1812 t.2 p.349 >
Georg Christoph LICHTENBERG / Le miroir de l’âme / Domaine romantique José Corti 1997
« Douter ne signifie rien d’autre que d’être vigilant, sinon cela peut être dangereux. »
< F 447 p.300 >
Isidore DUCASSE (LAUTRÉAMONT) / Poésies (1870) / GF 528 - Flammarion 1990
« Le doute est un hommage rendu à l’espoir. Ce n’est pas un hommage volontaire. L’espoir ne consentirait pas à n’être qu’un hommage. »
< II p.350 >
ALAIN / Les idées et les âges / Les Passions et la Sagesse / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1960
« Quand un homme doute au sujet de ses propres entreprises, il craint toujours trois choses ensemble, les autres hommes, la nécessité extérieure, et lui-même. Or c’est de lui même qu’il doit s’assurer d’abord ; car, qui doute s’il sautera le fossé, par ce seul doute il y tombe. Vouloir sans croire que l’on saura vouloir, sans se faire à soi-même un grand serment, sans prendre, comme dit Descartes, la résolution de ne jamais manquer de libre arbitre, ce n’est point vouloir. Qui se prévoit lui-même faible et inconstant, il l’est déjà.
C’est se battre en vaincu. Quand on voit qu’un homme qui entreprend quelque chose doute déjà de réussir avant d’avoir essayé, on dit qu’il n’a pas la foi. Ainsi l’usage commun nous rappelle que la foi habite aussi cette terre, et que le plus humble travail l’enferme toute. Encore plus sublime sans promesse ; au fond, toujours sans promesse. Car le parti de croire en soi n’enferme pas que tous les chemins s’ouvriront par la foi ; mais il est sûr seulement que tous les chemins seront fermés et tous les bonheurs retranchés si vous n’avez pas d’abord la foi. »
< p.186 >
« La foi ne peut aller sans l’espérance. Quand les grimpeurs observent de loin la montagne, tout est obstacle ; c’est en avançant qu’ils trouvent des passages. Mais ils n’avanceraient point s’ils n’espéraient pas de leur propre foi. En revanche, qui romprait sa propre espérance, toute de foi, romprait sa foi aussi. Essayer avec l’idée que la route est barrée, ce n’est pas essayer. Décider d’avance que les choses feront obstacle au vouloir, ce n’est pas vouloir. Aussi voit-on que les inventeurs, explorateurs, réformateurs sont des hommes qui ne croient pas à ce barrage imaginaire que fait la montagne de loin ; mais plutôt ils ont le sentiment juste, et finalement vérifié, mais seulement pour ceux qui osent, que la variété des choses, qui est indifférente, n’est ni pour nous ni contre nous, d’où vient que l’on trouve toujours occasion et place pour le pied.
Et cette vertu, d’essayer aussitôt et devant soi, est bien l’espérance. »
< p.187 >
ALAIN / Propos I / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1956
« La liberté intellectuelle, ou Sagesse, c’est le doute. Cela n’est pas bien compris, communément. Mais pourquoi? Parce que nous prenons comme douteurs des gens qui pensent par jeu, sans ténacité, sans suite ; des paresseux enfin. Il faut bien se garder de cette confusion. Douter, c’est examiner, c’est démonter et remonter les idées comme des rouages, sans prévention et sans précipitation, contre la puissance de croire qui est formidable en chacun de nous. »
< 8 juin 1912 p.134 >
144
DROGUE
« Le principe du vrai courage, c’est le doute. L’idée de secouer une pensée à laquelle on se fiait est une idée brave. Tout inventeur a mis en doute ce dont personne ne doutait. C’était l’impiété essentielle. »
< 12 octobre 1935 p.1286 >
Vladimir JANKÉLÉVITCH / Philosophie morale / Mille&UnePages Flammarion 1998
« Le professeur de philosophie qui doute professionnellement de l’existence de cette table ne tient pas particulièrement compte dans sa vie des conséquences d’une telle négation. Le cœur n’y est pas, et cette méfiance n’est pas véritablement convaincue : c’est en classe seulement que les tables sont douteuses, et pour les besoins d’une leçon sur l’idéalisme, mais non pas le soir quand le philosophe se met à table pour souper. »
< L’austérité et la vie morale, p.428 >
DROGUE
Charles BAUDELAIRE / Les Paradis artificiels / Œuvres complètes I / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1975
« Voici la drogue sous vos yeux : un peu de confiture verte, gros comme une noix, singulièrement odorante, à ce point qu’elle soulève une certaine répulsion et des velléités de nausées, comme le ferait, du reste, toute odeur fine et même agréable, portée à son maximum de force et pour ainsi dire de densité. Qu’il me soit permis de remarquer, en passant, que cette proposition peut être inversée, et que le parfum le plus répugnant, le plus révoltant, deviendrait peut-être plaisir s’il était réduit à son minimum de quantité et d’expansion. - Voilà donc le bonheur ! il remplit la capacité d’une petite cuiller ! le bonheur avec toutes ses ivresses, toutes ses folies, tous ses enfantillages ! Vous pouvez avaler sans crainte ; on n’en meurt pas. Vos organes physiques n’en recevront aucune atteinte. Plus tard peut-être un trop fréquent appel au sortilège diminuera-t-il la force de votre volonté, peut-être serez-vous moins homme que vous ne l’êtes aujourd’hui ; mais le châtiment est si lointain, et le désastre futur d’une nature si difficile à définir ! Que risquez-vous ?
demain un peu de fatigue nerveuse. Ne risquez-vous pas tous les jours de plus grands châtiments pour de moindres récompenses ? Ainsi, c’est dit : vous avez même, pour lui donner plus de force et d’expansion, délayé votre dose d’extrait gras dans une tasse de café noir ; vous avez pris soin d’avoir l’estomac libre, reculant vers neuf ou dix heures du soir le repas substantiel, pour livrer au poison toute liberté d’action ; tout au plus dans une heure prendrez-vous une légère soupe. Vous êtes maintenant suffisamment lesté pour un long et singulier voyage. La vapeur a sifflé, la voiture est orientée, et vous avez sur les voyageurs ordinaires ce curieux privilège d’ignorer où vous allez. Vous l’avez voulu ; vive la fatalité ! »
< p.409 >
« Si encore, au prix de sa dignité, de son honnêteté et de son libre arbitre, l’homme pouvait tirer du haschisch de grands bénéfices spirituels, en faire une espèce de machine à penser, un instrument fécond ?
C’est une question que j’ai souvent entendue poser, et j’y réponds. D’abord, comme je l’ai longuement expliqué, le haschisch ne révèle à l’individu rien que l’individu lui-même. Il est vrai que cet individu est pour ainsi dire cubé et poussé à l’extrême, et comme il est également certain que la mémoire des impressions survit à l’orgie, l’espérance de ces utilitaires, ne paraît pas au premier aspect tout à fait dénuée de raison. Mais je les prierai d’observer que les pensées, dont ils comptent tirer un si grand parti, ne sont pas réellement aussi belles qu’elles le paraissent sous leur travestissement momentané et recouvertes d’ori-peaux magiques. Elles tiennent de la terre plutôt que du ciel, et doivent une grande partie de leur beauté à l’agitation nerveuse, à l’avidité avec laquelle l’esprit se jette sur elles. Ensuite, cette espérance est un cercle vicieux : admettons un instant que le haschisch donne, ou du moins augmente le génie, ils oublient qu’il est de la nature du haschisch de diminuer la volonté, et qu’ainsi il accorde d’un côté ce qu’il retire de l’autre, c’est-à-dire l’imagination sans la faculté d’en profiter. Enfin il faut songer, en supposant un homme assez adroit et assez vigoureux pour se soustraire à cette alternative, à un autre danger, fatal, terrible, qui est celui de toutes les accoutumances. Toutes se transforment bientôt en nécessités. Celui qui aura recours à un poison pour penser ne pourra bientôt plus penser sans poison. »
< p.440 >
DROITE
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Jean COCTEAU / Opium / Romans, Poésies, Œuvres diverses / La Pochothèque LdP 1995
« N’attendez pas de moi que je trahisse. Naturellement l’opium reste unique et son euphorie supérieure à celle de la santé. Je lui dois mes heures parfaites. Il est dommage qu’au lieu de perfectionner la désintoxication, la médecine n’essaye pas de rendre l’opium inoffensif.
Mais là, nous retombons sur le problème du progrès. La souffrance est-elle une règle ou un lyrisme?
Il me semble que, sur une terre si vieille, si ridée, si replâtrée, où tant de compromis sévissent et de conventions risibles, l’opium éliminable adoucirait les mœurs et causerait plus de bien que la fièvre d’agir ne fait de mal. »
< p.576-7 >
« L’opium permet de donner forme à l’informe ; il empêche, hélas ! de communiquer ce privilège à autrui.
Quitte à perdre le sommeil, je guetterai le moment unique d’une désintoxication où cette faculté fonction-nera encore un peu et coïncidera, par mégarde, avec le retour du pouvoir communicatif. »
< p.636 >
« L’opium dégage l’esprit. Jamais il ne rend spirituel. Il éploie l’esprit. Il ne le met pas en pointe. »
< p.648 >
« L’opium nous désocialise et nous éloigne de la communauté. Du reste la communauté se venge. La persécution des fumeurs est une défense instinctive de la société contre un geste antisocial. »
< p.656 >
Sacha GUITRY /L’Esprit / Cinquante ans d’occupations / Omnibus Presses de la Cité 1993
« Les Européens qui fument de l’opium me font penser aux Chinois qui portent des chapeaux melon. »
< p.265 >
Sigmund FREUD / Le mot d’esprit et ses rapports avec l’inconscient (1905) / Gallimard 1930 idées 198
« La modification de l’humeur est ce que l’alcool peut offrir de plus précieux à l’homme et ce qui fait que tous les hommes ne renoncent pas avec la même facilité à ce "poison". L’humeur enjouée, d’origine endogène ou toxique, abaisse les forces d’inhibition, la critique en particulier, et rend par là de nouveau abordables des sources de plaisir dont la répression fermait l’accès. Il est fort instructif de noter combien l’exaltation de l’humeur nous rend peu exigeants sur la qualité de l’esprit. C’est que l’humeur supplée à l’esprit, comme l’esprit doit s’efforcer de suppléer à cette humeur qui offre des possibilités de jouissance habituellement inhibées, et, parmi ces dernières, le plaisir de l’absurde. »
< p.209 >
DROITE
Désiré NISARD / Ægri somnia - Pensées et caractères / Calmann Lévy 1889
« Le libéral, c’est quiconque a une convoitise. Voilà pourquoi il y a tant de libéraux.
La qualité de la convoitise fait la qualité du libéral. Celui qui convoite le pouvoir vaut mieux que celui qui convoite l’argent. Mais tenez pour sûr que ni l’un ni l’autre ne se soucie de la liberté. »
< 1869, p.105 >
Alphonse KARR / Les Guêpes (sixième série) / Calmann Lévy 1891
« Définition du parfait conservateur : — Conserve ce que tu as pris, et tâche de prendre ce que les autres ne conservent pas assez. »
< avril 1847 p.204 >
Léon DAUDET / Souvenirs / Robert Laffont - Bouquins 1992
« Axiome : les maux qu’engendre la littérature ne peuvent être guéris que par la littérature.
Corollaire : Un volume erroné se réfute, non par une brochure accessible à tous, sommaire ou primaire, du genre "bon pour le peuple", mais par un autre volume allant à la racine du fléau, ou par une longue série d’actions fortement pensées et solidement déduites.
N’oublions jamais que ce sont les encyclopédistes qui ont préparé la Révolution. Ces erreurs meurtrières 146
ÉCOLOGIE
ne pouvaient être détruites que par un corps de doctrine approfondie, que par une propagande intellectuelle de niveau supérieur. Dans toute affection du système nerveux central, il faut soigner le cerveau et la moelle, non les nerfs. »
< p.260 >
« Il n’est pas de contact plus agréable, ni plus chaud et roboratif que celui d’un officier de carrière, et je donnerais la conversation de dix académiciens pour celle d’un général Mercier, d’un Marchand ou d’un Baratier. »
< p.363 >
Léon DAUDET / Le stupide XIXe siècle (1922) / Souvenirs et polémiques / Robert Laffont - Bouquins 1992
« Vous distinguerez d’emblée le libéral à la crainte qu’il a d’être taxé de réactionnaire. Est-il rien de plus beau, de plus net, de plus harmonieux, de plus efficace aussi, je vous le demande, que de s’affirmer en réaction contre la sottise et le mal, ceux-ci eussent-ils pour eux le nombre et la force ? Comment le corps humain sort-il de la maladie ? Par la réaction. C’est cette réaction que cherche le médecin hardi et intelligent, tant que les sources de la vie ne sont point taries, tant que le grand ressort n’est pas brisé. Il en est de même en politique. »
< p.1205 >
Ambrose BIERCE / Le Dictionnaire du Diable (1911) / Éditions Rivages 1989
« Conservateur n. Politicien qui affectionne les maux existants, qu’il ne faut pas confondre avec le Libéral qui souhaite les remplacer par d’autres. »
< p.59 >
ÉCOLOGIE
Victor HUGO / Philosophie prose / Océan / Œuvres complètes / Robert Laffont - Bouquins 1989
« La vie systématique, qui ne gêne en rien la liberté individuelle, n’existe encore nulle part et pour aucun peuple à la surface du globe. L’hygiène du genre humain n’est pas encore créée. Un jour on comprendra que tous les éléments dont le globe se compose, toutes les productions qu’il engendre, toutes les effluves
[sic] qu’il rayonne, toutes les forces qu’il dégage doivent se mettre en équilibre avec la vie humaine et que le secret de la vie est là tout entier. C’est ce que l’avenir saura et verra. »
< 1852 p.62 >
Henry D. THOREAU / La vie sans principes (1863) / Désobéir / Bibliothèques 10/18 (2832) Éd. de L’Herne 1994
« Si, par amour des bois, un homme s’y promène pendant la moitié de la journée, il risque fort de passer pour un fainéant. Si, au contraire, il emploie toutes ses journées à spéculer, à raser les bois et à rendre la terre chauve avant son heure, on le tiendra en haute estime, on verra en lui un homme industrieux et entreprenant. Est-ce donc qu’une ville ne porte d’intérêt à ses forêts que pour les faire abattre? »
< p.128 >
Emil CIORAN / De l’inconvénient d’être né (1973) / Œuvres / Quarto Gallimard 1995
« En permettant l’homme, la nature a commis beaucoup plus qu’une erreur de calcul : un attentat contre elle-même. »
< p.1318 >
François CAVANNA / La belle fille sur le tas d’ordures / L’Archipel (LdP9667) 1991
« La forêt, partout on la rase, cette inutile, cette grande feignasse. Tiens, les Brésiliens : la fameuse forêt vierge amazonienne, "le poumon du monde", eh bien, ils sont en train de la supprimer. Et tu sais pourquoi?
Pour cultiver massivement de la canne à sucre. Mais du sucre, on a déjà trop, on sait pas quoi en faire, on en crève, du sucre ! Oui, mais les Brésiliens, eux, ils en font de l’alcool. Pas de l’alcool pour boire, non, de l’alcool pour remplacer l’essence dans les voitures. Alors, là, je m’incline. Préférer la forêt à la bagnole, ÉCONOMIE
147
faudrait être maso, fou dingue dans sa tête. Et où ils iront avec leurs voitures, les Brésiliens ? Oh, ils iront à l’hôtel de la Forêt, au camping des Trois Acajous Géants, dont les noms romantiques leur diront que, là, autrefois, à ce qu’on dit, il y avait une forêt.
On la tolère encore un peu, la forêt, pour la hacher en pâte à papier ou la laminer en simili-massif. Le jour où la civilisation n’aura plus besoin de papier ni de maquiller le plastique en faux bois, adieu le dernier arbre !
Oh, et puis, hein, qu’est-ce qu’on en a à foutre, de la forêt? Une grande dalle de ciment d’un pôle à l’autre, peinte en vert, si tu veux, pour nos rallyes et nos Tours de France, un peu d’eau sale pour nos planches à voile, des parasols pour picoler à l’ombre... Le bonheur. »
< p.45-46 >
Définition :
« Le dictionnaire nous dit que l’écologie est l’étude des rapports existants entre les êtres vivants et leur milieu (en gros, ça doit être ça, j’écris en voltige, pas de dico sous la main). Mais c’était avant la survenue du
"mouvement écologique". Depuis, le mot "écologie" a pris de l’ampleur et de l’ambition. Je crois pouvoir le définir en disant qu’il exprime l’inquiétude d’UN être vivant (l’homme civilisé) devant la dégradation accélérée de son propre milieu d’existence. Je pense que cette définition est suffisamment générale pour mettre tout le monde d’accord.
Si maintenant on veut un peu affiner, par exemple poser les questions du "pourquoi", du "comment" et du
"qu’est-ce qu’il faut faire?", ça diverge tout de suite. »
< p.79 >
« L’illusion écologique est un consolationnisme comme tous les systèmes fondés sur la donnée de base que l’homme veut avant tout vivre heureux dans un monde heureux et harmonieux. C’est le principe, proclamé et allant de soi, de toutes les utopies sociales, que ce soit les innombrables variétés du socialisme, de l’anarchie, du communisme... De l’écologie. Toutes entrevoient les lendemains radieux dans un avenir à portée de main, il suffit d’en mettre un bon coup, par la révolution ou par l’éducation des masses, pour que le bon sens et l’altruisme prennent enfin les commandes.
Ce ne sont que des aide-à-vivre, des, comme je disais, consolationnismes, des, si vous préférez, eupho-risants, qui, d’abord, rejettent le pessimisme insupportable et le remplacent par l’agréable espoir, ensuite placent cet espoir au bout d’un effort à accomplir, c’est à dire débouchent sur l’action. Espoir et action, c’est tout ce que demandent nos petites machineries intimes pour tuer l’angoisse ou, du moins, l’oublier.
Toute utopie, tout système "généreux" a pour but - non avoué, mais bien réel - de faire oublier l’angoisse dite "existentielle" à ceux dont le psychisme n’est pas suffisamment polarisé sur cette autre illusion : l’ambition personnelle, le désir de "réussir sa vie", dans quelque domaine que ce soit et quelles que soient les motivations intimes, qui ne sont que des justifications modulées par le hasard (hasard de la distribution des gènes ou hasards des circonstances de la vie...) Dévouement, vengeance, arrivisme, volonté de puissance, art, cupidité, ascétisme pieux...ceux que l’une ou l’autre de ces passions anime n’ont pas besoin de consolationnisme. Leur drogue apaisante-stimulante, il la sécrète eux-même.
L’écologie, comme toutes les utopies sociales, est une religion. Une religion sans dieu, mais une religion n’a pas forcément besoin d’un dieu. La foi suffit. Et aussi le dogme. »
< p.105-106 >
« "Ah, vous êtes écolo ?" Succès de rire assuré. En France , en tout cas. Ailleurs, je ne sais pas. Parait qu’en Allemagne les Verts sont pris au sérieux. Les Allemands n’ont aucun sens de l’humour. »
< p.144 >
ÉCONOMIE
René-Louis de Voyer marquis d’ARGENSON / Mémoires et journal inédit (t.5) / Paris, Plon 1858 [BnF]
« — Laisser faire*, telle devrait être la devise de toute puissance publique, depuis que le monde est civilisé. Les hommes sont sortis de la barbarie ; ils cultivent très bien les arts ; ils ont des lois, des modèles, des essais en tous genres pour connaître où sont les bonnes pratiques. Laissez-les faire, et vous observerez que là où l’on suit le mieux cette maxime tout s’en ressent. Dans les républiques, les patrimoines particuliers engraissent et fleurissent ; chacun y jouit de son bien ; on y voit prospérer les arts utiles. Il en est de même 148
ÉCONOMIE
en nos pays d’État : tout ce qui échappe à l’autorité et laisse l’action de l’homme plus libre prend son essor et fructifie. »
< p.364 >
* Cette formule célèbre, reprise par tous les partisans du libéralisme économique, est attribuée à l’écono-miste Vincent de Gournay (1712-1759) ; mais c’est dans les mémoires du marquis d’Argenson (ministre des Affaires étrangères sous Louis XV, 1694-1757) qu’on en trouve la première trace écrite.
VOLTAIRE / Idées républicaines (1762) / Mélanges / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1961
« On ne doit pas plus régler les habits, du riche que les haillons du pauvre. Tous deux, également citoyens, doivent être également libres. Chacun s’habille, se nourrit, se loge, comme il peut. Si vous défendez au riche de manger des gelinottes, vous volez le pauvre, qui entretiendrait sa famille du gibier qu’il vendrait au riche. Si vous ne voulez pas que le riche orne sa maison, vous ruinez cent artistes. Le citoyen qui par son faste humilie le pauvre enrichit le pauvre par ce même faste beaucoup plus qu’il ne l’humilie. L’indigence doit travailler pour l’opulence, afin de s’égaler un jour à elle. »
< XXI p.508 >
Victor HUGO / Choses vues / Histoire / Œuvres complètes / Robert Laffont - Bouquins 1987
« Le luxe est un besoin des grands états et des grandes civilisations. Cependant il y a des heures où il ne faut pas que le peuple le voie. Mais qu’est-ce qu’un luxe qu’on ne voit pas ? Problème. Une magnificence dans l’ombre, une profusion dans l’obscurité, un faste qui ne se montre pas, une splendeur qui ne fait mal aux yeux à personne. Cela est-il possible ? Il faut y songer pourtant. Quand on montre le luxe au peuple dans des jours de disette et de détresse, son esprit, qui est un esprit d’enfant, franchit tout de suite une foule de degrés ; il ne se dit pas que ce luxe le fait vivre, que ce luxe lui est utile, que ce luxe lui est nécessaire. Il se dit qu’il souffre, et que voilà des gens qui jouissent. Il se demande pourquoi tout cela n’est pas à lui. Il examine toutes ces choses non avec sa pauvreté qui a besoin de travail et par conséquent besoin des riches, mais avec son envie. Ne croyez pas qu’il conclura de là : Eh bien ! cela va me donner des semaines de salaire, et de bonnes journées. Non, il veut, lui aussi, non le travail, non le salaire, mais du loisir, du plaisir, des voitures, des chevaux, des laquais, des duchesses. Ce n’est pas du pain qu’il veut, c’est du luxe. Il étend la main en frémissant vers toutes ces réalités resplendissantes qui ne seraient plus que des ombres s’il y touchait. Le jour où la misère de tous saisit la richesse de quelques-uns, la nuit se fait, il n’y a plus rien. »
< p.718-719 >
Friedrich NIETZSCHE / Humain, trop humain. (1878-1879) / Œuvres I / Robert Laffont - Bouquins 1990
« L’impôt du luxe. - On achète dans les magasins les choses nécessaires et les plus indispensables et on les paye fort cher, car on vous fait payer en même temps pour ce qu’il y a d’autre à vendre et qui ne trouve que rarement acquéreur : les objets de luxe et les fantaisies. C’est ainsi que le luxe met un impôt continuel sur les choses simples qui peuvent se passer de lui. »
< 238 p.920 >
Louis-Ambroise de BONALD / Œuvres complètes t.3 / Paris, J-P Migne 1859
« Partout où il y a beaucoup de machines pour remplacer les hommes, il y aura beaucoup d’hommes qui ne seront que des machines. L’effet des machines, en épargnant les hommes, doit être à la longue de diminuer la population. »
< Pensées, p.1284 >
« Le luxe n’est souvent qu’une recherche inquiète de perfection ; le faste, au contraire, est un étalage insolent et sans goût de la richesse : voilà pourquoi le faste se trouve presque toujours avec la sottise, et le luxe avec les délicatesses de l’esprit et l’élévation des sentiments. »
< Pensées, p.1375 >
Benjamin FRANKLIN / Mélanges de Morale, d’Économie et de Politique (t.2) / Paris, J.Renouard 1826
[BnF]
« L’espérance d’arriver un jour à pouvoir se procurer les objets de luxe, n’est-elle pas un puissant aiguillon pour le travail et pour l’industrie? Le luxe ne peut-il pas alors produire plus qu’il ne consomme, s’il est vrai ÉCONOMIE
149
que, faute de cet aiguillon, les hommes seraient paresseux et indolents, comme ils sont assez généralement portés à l’être? »
< Réflexions sur le luxe, p.114 >
Benjamin CONSTANT / De l’esprit de conquête et de l’usurpation (1814) / GF 456 Flammarion 1986
« La guerre et le commerce ne sont que deux moyens différents d’arriver au même but, celui de posséder ce que l’on désire. Le commerce n’est autre chose qu’un hommage rendu à la force du possesseur par l’as-pirant à la possession. C’est une tentative pour obtenir de gré à gré ce qu’on n’espère plus conquérir par la violence. Un homme qui serait toujours le plus fort n’aurait jamais l’idée du commerce. C’est l’expérience qui, en lui prouvant que la guerre, c’est-à-dire, l’emploi de sa force contre la force d’autrui, est exposée à diverses résistances et à divers échecs, le porte à recourir au commerce, c’est-à-dire, à un moyen plus doux et plus sûr d’engager l’intérêt des autres à consentir à ce qui convient à son intérêt. »
< p.87 >
« Le commerce donne à la propriété une qualité nouvelle, la circulation. Sans circulation, la propriété n’est qu’un usufruit. L’autorité peut toujours influer sur l’usufruit ; car elle peut enlever la jouissance. Mais la circulation met un obstacle invisible et invincible à cette action du pouvoir social. »
< p.223 >
NAPOLÉON Ier / Maximes de guerre et pensées / J. Dumaine Ed., Paris 1863
« Le commerce unit les hommes, tout ce qui les unit les coalise ; donc le commerce est nuisible au pouvoir despotique. »
< 116 p.241 >
Georges COURTELINE / Philosophie / Œuvres / Robert Laffont - Bouquins 1990
« Il y a des gens chez lesquels la simple certitude de les pouvoir satisfaire fait naître des besoins spontanés. »
< p.806 >
Antoine de SAINT-EXUPÉRY / Carnets / folio Gallimard 1999
« À la pédagogie normale s’ajoute une pédagogie incessante et d’une efficacité extraordinaire, et qui est la publicité. Une industrie basée sur le profit tend à créer — par l’éducation — des hommes pour les chewing-gums et non du chewing-gum pour les hommes. Ainsi de la nécessité pour l’automobile de créer la valeur "automobile" est né le stupide petit gigolo de 1926 exclusivement animé dans les bars par des images et comparaisons de carrosseries. Ainsi, du film, est née, dans la pâte humaine la plus admirable du monde, la star vide et stupide entre les stupides. Cet animal creux, et dont je ne crois même point qu’elle s’ennuie, car elle n’est pas née encore. »
< p.90 >
Paul VALÉRY / Regards sur le monde actuel / Œuvres II / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1960
« Il faut rappeler aux nations croissantes qu’il n’y a point d’arbre dans la nature qui, placé dans les meilleures conditions de lumière, de sol et de terrain, puisse grandir et s’élargir indéfiniment. »
< p.934 >
Alfred SAUVY / Mythologie de notre temps / Petite Bibliothèque Payot (191) 1971
« Les décisions politiques peuvent longtemps galoper, sans encourir la dure sanction des faits ; mais il n’en est pas de même pour l’économie. »
< p.53-54 >
Le chômage :
« L’opinion croit volontiers que le chômage est un phénomène moderne, propre aux pays industriels, et conséquence de la mécanisation. Ce qui est nouveau, ce n’est pas le chômage, c’est son enregistrement, sa rémunération, sa mise en statistiques et la publicité dont elle fait l’objet. C’est précisément parce qu’il est, dans notre économie moderne, considéré comme un mal, comme un fléau, qu’on en parle. »
< p.82 >
150
ÉCONOMIE
L’automatisation :
« La population active a partout fortement augmenté dans les pays qui ont eu recours à l’automatisation.
En outre, c’est plutôt dans les pays où la production par tête s’est le plus élevée que le nombre d’emplois a le plus augmenté. Enfin, nouveau mythe, l’opinion croit que l’électronique supprime les manœuvres, alors qu’il s’agit surtout des ouvriers qualifiés.
Bien entendu, les emplois ne se multiplient pas nécessairement dans la branche qui bénéficie du progrès. Un grand nombre d’emplois nouveaux naissent dans les branches nouvelles, par accroissement de la richesse. »
< p.87 >
« Les hommes libérés dans certaines branches par la machine retrouveront du travail tant qu’il y aura de nouveaux besoins à satisfaire. Si le chômage existe, c’est parce que les pays industriels ont du mal à assurer l’emboîtage des activités et des besoins, essentiels évidemment pour assurer le plein emploi. »
< p.89 >
Le besoin :
« Depuis la guerre, la stimulation permanente de la demande fait apparaître peu à peu des besoins qui n’étaient que potentiels, privés et publics.
Le besoin privé, objecte-t-on, ne peut-il pas être limité par le manque de temps pour consommer ? Non : vers 1800-1810, le voyageur en malle poste acquittait, en une heure de route, l’équivalent de 10 heures de travail (de manœuvre). Aujourd’hui, le voyageur en avion acquitte, en une heure de vol, environ 40 heures de travail et s’il avait des revenus plus élevés, il voyagerait en 1er classe et consommerait 60 heures. »
< p.90 >
La gratuité :
« Ce mot exerce une force attractive d’une rare intensité. La gratuité, c’est non seulement un avantage matériel, mais une détente, une rupture des contraintes.
Mais la gratuité n’est jamais gratuite.
En régime capitaliste, si une catégorie sociale obtient la gratuité ou la semi-gratuité de tel produit ou service, elle y trouve le plus souvent son compte, au détriment des autres. La revendication est donc, sinon légitime, du moins logique.
Si, par contre, il s’agit d’une gratuité générale, par exemple les produits pharmaceutiques, le métro, il faut voir où est la contrepartie. L’opération revient, en général, à faire payer le contribuable au lieu de l’usager. »
< p.78 >
La durée du travail :
« Le mythe prend deux formes :
a) La croyance selon laquelle la mesure sera gratuite, sans pertes, ni manque à gagner. Il serait certes possible aujourd’hui le ne travailler que 15 heures ou même moins, si nous nous contentions des consommations de 1900. Mais le même progrès technique ne se mange pas deux fois.
b) La croyance, plus répandue encore, selon laquelle la réduction de la durée du travail augmente à proportion le nombre des emplois. Cette idée résulte d’une opération arithmétique simple, qui suppose implicitement que rien n’est changé dans l’économie, en dehors de cette durée, comme si le travail total était une masse déterminée que l’on peut partager de diverses façons.
Ces sophismes sont si séduisants qu’il est difficile d’y résister. Ceux qui les dénoncent passent pour des attardés, ou pour les défenseurs du camp des propriétaires. »
< p.91 >
« L’opinion ignore le plus souvent ou sous-estime l’importance du commerce extérieur. Exporter, croit-elle volontiers, c ’est écouler au-dehors des excédents ; il faut exporter, car il est avantageux de vendre. Que la nation exporte pour pouvoir acquérir des produits indispensables, laine, coton, jute, cuivre, zinc, pétrole, caoutchouc, huile, pour ne parler que des matières premières, n’est pas bien présent à l’esprit. »
< p.104 >
Paul MORAND / Journal inutile 1968-1972 / nrf Gallimard 2001
« Les dévaluations sont aux démocraties ce que les banqueroutes étaient aux rois. »
< 20 juillet 1968, p.34 >
ÉDUCATION
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ÉDUCATION
Michel de MONTAIGNE / Essais / Garnier 1962
« A un enfant de maison qui recherche les lettres, non pour le gaing (car une fin si abjecte est indigne de la grace et faveur des Muses, et puis elle regarde et depend d’autrui), ny tant pour les commoditez externes que pour les sienes propres, et pour s’en enrichir et parer au dedans, ayant plustost envie d’en tirer un habil’homme qu’un homme sçavant, je voudrois aussi qu’on fut soigneux de luy choisir un conducteur qui eust plutost la teste bien faicte que bien pleine, et qu’on y requit tous les deux, mais plus les meurs et l’entendement que la science ; »
< t.1 p.160 livre I chap.XXVI >
Joseph JOUBERT / Carnets / nrf Gallimard 1938-1994
« Enseigner, c’est apprendre deux fois. »
< t.I p.143 >
« Peu d’esprits sont spacieux ; peu même ont une place vide et offrent quelque point vacant. Presque tous ont des capacités étroites et occupées par quelque savoir qui les bouche. Quel supplice de parler à des têtes pleines, et où rien d’extérieur ne peut entrer ! Il faut qu’un bon esprit, pour jouir de lui même et en laisser jouir les autres, se conserve toujours plus grand que ses propres pensées. Et pour cela il faut qu’il donne à celles-ci une forme ployante, aisée à resserrer et à étendre, propre enfin à en maintenir la flexibilité naturelle. »
< 25 mars 1807 t.2 p.192 >
« On parle de têtes bien faites et on ne parle pas de cœurs bien faits.
Les cœurs bien faits sont ceux où toutes les sortes d’affections sont bien casées et n’ont que leur juste étendue. »
< 3 novembre 1808 t.2 p.283 >
« Donnez leur la physique d’aujourd’hui, la littérature et la morale d’autrefois. »
< 26 novembre 1808 t.2 p.284 >
Benjamin FRANKLIN / Mélanges de Morale, d’Économie et de Politique (t.1) / Paris, J.Renouard 1826
[BnF]
« L’expérience tient une école où les leçons coûtent cher ; mais c’est la seule où les insensés puissent s’instruire, comme dit le bonhomme Richard. »
< La science du bonhomme Richard, 1757 p.148 >
Georg Christoph LICHTENBERG / Aphorismes / Collection Corps 16 - Éditions Findakly 1996
« Je crains que notre éducation trop soigneuse ne donne que des fruits nains. »
< p.46 >
Georg Christoph LICHTENBERG / Le miroir de l’âme / Domaine romantique José Corti 1997
« Un maître d’école ou un professeur n’éduque jamais que des espèces, point des individus. Voilà une pensée de valeur qui mérite d’être discutée. »
< J 73 p.394 >
Victor HUGO / Faits et croyances / Océan / Œuvres complètes / Robert Laffont - Bouquins 1989
« Les maîtres d’école sont des jardiniers en intelligences humaines. »
< 1840 p.130 >
Ernest RENAN / L’Avenir de la science, Pensées de 1848 (1890) / GF 765 Flammarion 1995
« L’école est la vraie concurrence du temple. »
< p.163 >
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ÉDUCATION
Charles-Augustin SAINTE-BEUVE / Mes Poisons / Collection Romantique / José Corti 1988
« Je veux de l’érudition, mais une érudition maîtrisée par le jugement et organisée par le goût. »
< p.135 >
Friedrich NIETZSCHE / Par-delà le bien et le mal (1886) / Œuvres II / Robert Laffont - Bouquins 1990
« Plus abstraite est la vérité que tu veux enseigner, plus tu dois en sa faveur séduire les sens. »
< 128 p.622 >
Henry MARET / Pensées et opinions / Paris, Flammarion 1903 [BnF]
« Toute instruction aboutit à la République comme toute ignorance mène à la monarchie. »
< p.164 >
Oscar WILDE / Intentions / Œuvres / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1996
« L’éducation est une chose admirable, mais il convient de se rappeler de temps à autre que rien de ce qui vaut d’être connu ne saurait s’enseigner. »
< p.838 >
Friedrich NIETZSCHE / Humain, trop humain. (1878-1879) / Œuvres I / Robert Laffont - Bouquins 1990
« La lecture des classiques - comme l’accordera tout esprit cultivé - est, telle qu’elle est pratiquée partout, un procédé monstrueux : elle se fait devant des jeunes gens qui, à aucun égard, ne sont mûrs pour elle, par des maîtres dont chaque parole, dont souvent l’aspect seul met une couche de poussière sur un bon auteur.
Mais voici où réside l’utilité que d’ordinaire on méconnaît - c’est que ces maîtres parlent la langue abstraite de la haute culture, lourde et difficile à comprendre, mais qui est une gymnastique supérieure du cerveau ; c’est que dans leur langage apparaissent continuellement des idées, des expressions, des méthodes, des allusions que les jeunes gens n’entendent presque jamais dans la conversation de leurs parents et dans la rue. Quand les écoliers ne feraient qu’entendre, leur intelligence subit bon gré mal gré une formation préalable à une manière scientifique de concevoir. »
< 266 p.584 >
« L’instruction publique. - L’instruction, dans les grands États, sera toujours tout au plus médiocre, par la même raison qui fait que, dans les grandes cuisines, on cuisine tout au plus médiocrement. »
< 467 p.645 >
Émile BERGERAT / Les soirées de Calibangrève / Flammarion 1892 [BnF cote 8-Z-13067]
« Nul pédagogue ne se dépouille de l’arrogance sotte du savoir. »
< Cinquante pensées noires, p.111 >
Georges DARIEN / La Belle France (1900) / Voleurs ! / Omnibus Presses de la Cité 1994
« Et puis l’école obligatoire, c’est très joli... Pourtant, ce n’est pas l’école qui forme l’esprit, l’intelligence et le cœur. C’est la nature ; c’est le contact avec la vie ; le commerce libre des deux sexes. L’école est un bâtiment. Tous les bâtiments sont des prisons. Ce n’est pas le maître d’école qui doit être le vrai éducateur et le guide du peuple. Le maître d’école est un maître. Tous les maîtres guident l’homme vers une seule direction : la servitude. Les éducateurs et les guides de l’enfance, ce sont tous les hommes qui vivent bien, c’est-à-dire librement ; et tous les morts qui ont bien vécu, c’est-à-dire qui ont librement vécu. »
< p.1316 >
Paul LÉAUTAUD / Passe-temps / Œuvres / Mercure de France 1988
« L’instruction apprise ne prouve rien, ne rime à rien, est complètement inutile, pour ne pas dire malfaisante, et ne fera jamais d’un imbécile un homme intelligent, d’un cerveau obtus un cerveau actif, et d’un être sans compréhension un être capable de jugement personnel. La seule instruction qui compte, et qui donne des fruits, c’est celle qu’on se donne soi-même car seule elle prouve chez un individu le désir de savoir et l’aptitude au savoir. Elle a de plus cet avantage qu’on s’instruit selon le sens de son esprit, en conformité avec lui, d’une manière appropriée à la nature de son être, à ses tendances et à ses goûts, ce qui ajoute encore ÉDUCATION
153
à l’efficacité de cette instruction. En réalité, l’enseignement pédagogique est fait pour les paresseux, pour les esprits sans curiosité, pour les individus qui resteraient complètement ignares si on ne leur apprenait pas quelque chose de force, pour ainsi dire. Il n’y a que l’élite qui compte, et l’élite ne se constitue pas avec des diplômes. Elle tient à la nature même de certains individus, supérieurs aux autres de naissance, et qui développent cette supériorité par eux-mêmes, sans avoir besoin de l’aide d’aucuns pédagogues, gens, le plus souvent, fort bornés et fort nuisibles. »
< p.268-269 >
Paul LÉAUTAUD / Propos d’un jour / Œuvres / Mercure de France 1988
« L’instruction gratuite et obligatoire. Pour mieux former des citoyens modèles, bien soumis aux règles du régime et bien crédules aux bourdes qu’on leur sert. Le bon sens détruit, remplacé par la prétention. Ânes à diplômes qui n’en restent pas moins des ânes, rien ne remplaçant l’intelligence et la curiosité d’esprit natives.
Disparition de l’esprit de fronde, de l’esprit satirique. Le gavroche loustic qui dégonflait les baudruches sociales d’un lazzi, n’existe plus. »
< p.351 >
Ambrose BIERCE / Le Dictionnaire du Diable (1911) / Éditions Rivages 1989
« Éducation n. Ce qui révèle, dans les manières et les façons d’un imbécile, son manque d’intelligence. »
< p.86 >
« Lycée n. 1/. École antique où l’on s’entretenait de morale et de philosophie. 2/. École moderne où l’on discute de football. »
< p.171 >
ALAIN / Propos II / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1970
« L’enseignement doit être résolument retardataire. Non pas rétrograde, tout au contraire. C’est pour marcher dans le sens direct qu’il prend du recul ; car, si l’on ne se place point dans le moment dépassé, comment le dépasser ? Ce serait une folle entreprise, même pour un homme dans toute la force, de prendre les connaissances en leur état dernier ; il n’aurait point d’élan, ni aucune espérance raisonnable. Ne voyant que l’insuffisance partout, il se trouverait, je le parie, dans l’immobilité pyrrhonienne, c’est-à-dire que, com-prenant tout, il n’affirmerait rien. Au contraire celui qui accourt des anciens âges est comme lancé selon le mouvement juste ; il sait vaincre ; cette expérience fait les esprits vigoureux. »
< 15 août 1924 p.637 >
Paul VALÉRY / Cahiers I / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1973
« Tu ne m’apprends rien si tu ne m’apprends à faire quelque chose. »
< Philosophie p.735 >
Frédéric DARD / Les pensées de San-Antonio / Le cherche midi éditeur 1996
« N’hésitez jamais à priver vos mômes de dessert, surtout s’il n’y en a pas beaucoup et que vous l’aimez ! »
< p.97 >
Jean-François REVEL / La cabale des dévots / Robert Laffont - Bouquins 1997
« Règle pédagogique fondamentale : la valeur et la fécondité d’un spécialiste, sont définies par le niveau d’instruction générale à partir duquel la spécialisation a commencé. »
< p.491 >
« C’est un phénomène classique, observable dans de nombreux pays, que la déchéance des études s’accompagne de l’inflation des diplômes et des titres. Rien ni personne ne peut plus empêcher cela en France. »
< p.530 >
Jean-François REVEL / Mémoires / Plon 1997
« Seuls les bons professeurs forment les bons autodidactes. »
< p.166 >
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ÉGALITÉ
ÉGALITÉ
VOLTAIRE / Dictionnaire philosophique / Garnier 1967.
« Tout homme naît avec un penchant assez violent pour la domination, la richesse et les plaisirs, et avec beaucoup de goût pour la paresse ; par conséquent tout homme voudrait avoir l’argent et les femmes ou les filles des autres, être leur maître, les assujettir à tous ses caprices, et ne rien faire, ou du moins ne faire que des choses très agréables. Vous voyez bien qu’avec ces belles dispositions il est aussi impossible que les hommes soient égaux qu’il est impossible que deux prédicateurs ou deux professeurs de théologie ne soient pas jaloux l’un de l’autre. »
< p.176-177 >
« Le genre humain, tel qu’il est, ne peut subsister, à moins qu’il n’y ait une infinité d’hommes utiles qui ne possèdent rien du tout ; car, certainement, un homme à son aise ne quittera pas sa terre pour venir labourer la vôtre ; et, si vous avez besoin d’une paire de souliers, ce ne sera pas un maître des requêtes qui vous la fera. L’égalité est donc à la fois la chose la plus naturelle et en même temps la plus chimérique. »
< p.177 >
Benjamin CONSTANT / De l’esprit de conquête et de l’usurpation (1814) / GF 456 Flammarion 1986
« La variété, c’est de l’organisation ; l’uniformité, c’est du mécanisme. La variété, c’est la vie ; l’uniformité, c’est la mort. »
< p.122 >
Alexis de TOCQUEVILLE / De la Démocratie en Amérique I (1835) / Robert Laffont - Bouquins 1986
« Il y a [...] une passion mâle et légitime pour l’égalité qui excite les hommes à vouloir être tous forts et estimés. Cette passion tend à élever les petits au rang des grands ; mais il se rencontre aussi dans le cœur humain un goût dépravé pour l’égalité, qui porte les faibles à vouloir attirer les forts à leur niveau, et qui réduit les hommes à préférer l’égalité dans la servitude à l’inégalité dans la liberté. Ce n’est pas que les peuples dont l’état social est démocratique méprisent naturellement la liberté ; ils ont au contraire un goût instinctif pour elle. Mais la liberté n’est pas l’objet principal et continu de leur désir ; ce qu’ils aiment d’un amour éternel, c’est l’égalité ; ils s’élancent vers la liberté par impulsion rapide et par efforts soudains, et, s’ils manquent le but, ils se résignent ; mais rien ne saurait les satisfaire sans l’égalité, et ils consentiraient plutôt à périr qu’à la perdre. »
< Partie I, Ch. 3, p.81 >
Alfred de VIGNY / Journal d’un poète / Paris, A. Lemerre 1885 [BnF]
« Les Français sont satisfaits à peu de frais, un peu de familiarité dans les manières leur semble de l’égalité. »
< 1840, p.166 >
Alphonse KARR / Les Guêpes (deuxième série) / Calmann Lévy 1898
« L’égalité, ce rêve d’envieux réalisé par des imbéciles au profit des culs-de-jatte intrigants. »
< Octobre 1840, p.67 >
Alphonse KARR / 300 pages - Mélanges philosophiques / M. Lévy frères 1858
« Qu’est-ce que l’égalité ? Tout le monde la veut avec son supérieur ; personne ne l’accepte avec ceux qui sont au-dessous de lui. »
< p.263 >
Maurice JOLY / Recherches sur l’art de parvenir / Paris Amyot 1868 [BnF Cote LB56-1958]
« Quand on regarde au fond du cœur humain, on n’y trouve guère que des instincts contraires à l’égalité ; et ces instincts sont les plus violents de tous puisqu’ils s’appellent l’orgueil, l’envie, l’égoïsme, l’intolérance, la passion de jouir et de dominer. Comment donc les hommes tiennent-ils tant à l’égalité ? La réponse ne sera pas sans intérêt. C’est simplement parce qu’ils voient dans l’égalité le premier titre de leurs prétentions, et le moyen direct de s’élever au-dessus des autres. Qu’on retourne bien cette proposition, on la trouvera ÉGALITÉ
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juste : et si elle froisse un peu certaines candeurs, elle jette un jour très-vif sur la politique et sur la vie sociale. »
< p.1 >
« La base du caractère humain est la force morale. Le degré de la volonté ou de l’énergie met entre les hommes la même distance que celle de la force physique entre les animaux. Sous ce rapport un homme peut être à un autre homme ce qu’un rat ou une belette est à un lion. Cette vérité est inébranlable ; elle est d’ailleurs assez sinistre, c’est pour cela qu’on ne la crie pas par-dessus les toits. Et maintenant bouleversez une société de fond en comble, nivelez tout ce qui a été construit à sa surface, faites-y passer la charrue et semez du sel, décrétez la loi agraire et l’égalité absolue, ramenez l’homme à l’état de larve, la société à l’état de peuplade primitive. Si ce niveau égalitaire était possible une minute, la minute d’après la force morale inégalement répartie entre les hommes, aurait refait de pied en cap la hiérarchie politique et les catégories sociales. »
< p.28 >
Friedrich NIETZSCHE / Humain, trop humain. (1878-1879) / Œuvres I / Robert Laffont - Bouquins 1990
« Esclaves et ouvriers. - Le fait que nous attachons plus de prix à la satisfaction de notre vanité qu’à tout autre avantage (sécurité, emploi, plaisirs de toute espèce) se montre à un degré ridicule en ceci, que chacun (abstraction faite de raisons politiques) souhaite l’abolition de l’esclavage et repousse avec horreur l’idée de mettre des hommes dans cet état : cependant que chacun doit se dire que les esclaves ont à tous égards une existence plus sûre et plus heureuse que l’ouvrier moderne, que le travail servile est peu de chose par rapport au travail de l’ouvrier. On proteste au nom de la "dignité humaine" : mais c’est, pour parler plus simplement, cette vanité chérie qui regarde comme le sort le plus dur de n’être pas sur un pied d’égalité, d’être publiquement compté pour inférieur. - Le cynique pense autrement à ce sujet, parce qu’il méprise l’honneur ; - et c’est ainsi que Diogène fut un temps esclave et précepteur domestique. »
< 457 p.641 >
« Chemin de l’égalité. - Une heure d’ascension dans les montagnes fait d’un gredin et d’un saint deux créatures à peu près semblables. La fatigue est le chemin le plus court vers l’ égalité et la fraternité - et durant le sommeil la liberté finit par s’y ajouter. »
< 263 p.925 >
Rémy de GOURMONT / Épilogues (3) / Mercure de France 1923
« Le désir de l’inégalité est violent parmi les hommes. Loin de se vouloir égaux, ils se veulent différents et supérieurs. Les imbéciles seuls ou les humbles sans espoir réclament l’égalité. Tout homme sain désire s’élever, dominer et briser ses frères. La volonté de puissance se découvre jusque dans les plus obscures familles. »
< avril 1904, p.281 >
Jules RENARD / Journal / Robert Laffont - Bouquins 1990
« Les hommes naissent égaux. Dès le lendemain, ils ne le sont plus. »
< 12 septembre 1907 p.891 >
Sigmund FREUD / Essais de psychanalyse / Petite Bibliothèque Payot (44) 1973
« La justice sociale signifie qu’on se refuse à soi-même beaucoup de choses, afin que les autres y renoncent à leur tour ou, ce qui revient au même, ne puissent pas les réclamer. C’est cette revendication d’égalité qui constitue la racine de la conscience sociale et du sentiment du devoir. »
< Psychologie collective et analyse du Moi, 1921 p.147 > ALAIN / Propos I / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1956
« La loterie plaît, parce qu’elle tire l’inégalité de l’égalité ; l’assurance déplait parce qu’elle fait justement le contraire. »
< 16 juillet 1912 p.137 >
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ÉGOÏSME
Paul VALÉRY / Regards sur le monde actuel / Œuvres II / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1960
« Dans une société d’égaux, l’individu agit contre l’égalité. Dans une société d’inégaux, le plus grand nombre travaille contre l’inégalité. »
< p.947 >
Pierre DAC / Les Pensées / Le cherche midi éditeur 1972
« Rien n’est plus semblable à l’identique que ce qui est pareil à la même chose. »
< p.31 >
Emil CIORAN / Carnets 1957-1972 / nrf Gallimard 1997
« Dès que quelqu’un me parle d’ élites, je sais que je me trouve en présence d’un crétin. »
< p.168 >
François JACOB / Le jeu des possibles / Fayard 1981
Confusion des ordres :
« Malgré certaines affirmations, ce n’est pas la science qui détermine la politique, mais la politique qui déforme la science et en mésuse pour y trouver justification et alibi. Par une singulière équivoque, on cherche à confondre deux notions pourtant bien distinctes : l’identité et l’égalité. L’une réfère aux qualités physiques ou mentales des individus ; l’autre à leurs droits sociaux et juridiques. La première relève de la biologie et de l’éducation ; la seconde de la morale et de la politique. L’égalité n’est pas un concept biologique. On ne dit pas que deux molécules ou deux cellules sont égales. Ni même deux animaux ; comme l’a rappelé George Orwell. C’est bien sûr l’aspect social et politique qui est l’enjeu de ce débat, soit qu’on veuille fonder l’égalité sur l’identité, soit que, préférant l’inégalité, on veuille la justifier par la diversité.
Comme si l’égalité n’avait pas été inventée précisément parce que les êtres humains ne sont pas identiques.
S’ils étaient tous aussi semblables que des jumeaux univitellins, la notion d’égalité n’aurait aucun intérêt.
Ce qui lui donne sa valeur et son importance, c’est la diversité des individus ; ce sont leurs différences dans les domaines les plus variés. La diversité est l’une des grandes règles du jeu biologique.
La diversité est une façon de parer au possible. Elle fonctionne comme une sorte d’assurance sur l’avenir. »
< p.127-128 >
ÉGOÏSME
Gustave FLAUBERT / Correspondance I / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1973
« L’égoïsme intellectuel est peut-être l’héroïsme de la pensée. »
< À Emmanuel Vasse de Saint-Ouen, 4 juin 1846 p.272 >
Jules RENARD / Journal / Robert Laffont - Bouquins 1990
« De voir les autres égoïstes, cela nous stupéfie, comme si nous seuls avions le droit de l’être et l’ardeur de vivre. »
< 3 novembre 1887 p.10 >
« Mais, enfin, pourquoi donc mépriser un homme qui a de l’égoïsme plutôt qu’un homme qui a du cœur? »
< 27 février 1890 p.44 >
« Il n’y a qu’une façon d’être un peu moins égoïste que les autres : c’est d’avouer son égoïsme. »
< 7 décembre 1891 p.83 >
« Quand vous me dites que je suis égoïste, c’est comme si vous me disiez que je suis bien "moi". »
< 28 mai 1897 p.325 >
« Le véritable égoïste accepte même que les autres soient heureux, s’ils le sont à cause de lui. »
< 5 juillet 1908 p.934 >
ENFANTS
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Pierre DAC / Les Pensées / Le cherche midi éditeur 1972
« Le véritable égoïste est celui qui ne pense qu’à lui quand il parle d’un autre. »
< p.46 >
Jean COCTEAU / Opium / Romans, Poésies, Œuvres diverses / La Pochothèque LdP 1995
« Nous sommes à une telle époque d’individualisme qu’on ne parle plus jamais de disciples ; on parle de voleurs. »
< p.597 >
ENFANTS
Jean de LA FONTAINE / Fables / La Pochothèque LdP 2000
« Le monde est vieux, dit-on, je le crois ; cependant
Il le faut amuser encor comme un enfant. »
< Livre huitième, IV Le pouvoir des fables p.446 > Denis DIDEROT / Les Bijoux indiscrets / Œuvres / t.II Contes / Robert Laffont - Bouquins 1994
« L’enfance des princes est la même que celle des autres hommes, à cela près qu’il est donné aux princes de dire une infinité de jolies choses avant que de savoir parler. »
< p.27 >
François René de CHATEAUBRIAND / Mémoires d’outre-tombe (t.1) / Flammarion 1982
« Après le malheur de naître, je n’en connais pas de plus grand que celui de donner le jour à un homme. »
< Première partie, livre deuxième, chap.5 p.78 > Edmond et Jules de GONCOURT / Journal (t.1) / Robert Laffont - Bouquins 1989
« J’ai vu deux enfants de quelques jours aujourd’hui. Ce sont vraiment des ébauches de créatures, que la mère devrait un peu plus longtemps nourrir dans son ventre. La guenille n’est pas assez formée, quand elle vient. C’est une pâte humaine, encore trop écrasée par la matrice et qui respire par tout le corps. Cela frémit et tressaute comme un petit cochon de lait. Comme venant et nous en allant, nous touchons à la bête ! Il semble que l’âme ne préexiste pas et que c’est une acquisition des années. »
< 31 octobre 1860, p.628 >
« Quand on n’aime pas les enfants et qu’on n’a pas de fortune, il faut acheter des singes. »
< 20 décembre 1962 p.908 >
« Le cœur est une chose qui ne naît pas avec l’homme. L’enfant ne sait pas ce que c’est. C’est un organe que l’homme doit à l’homme. L’enfant n’est que lui, ne voit que lui, n’aime que lui et ne souffre que de lui.
C’est le plus énorme et le plus innocent, le plus angélique des égoïstes. »
< 22 mars 1865 p.1149 >
Émile BERGERAT / Les soirées de Calibangrève / Flammarion 1892 [BnF cote 8-Z-13067]
« Ce qu’il y a de meilleur dans l’homme, c’est ce qui lui reste de l’enfant, et l’erreur est de croire que nous soyons créés pour les ivresses. Nous ne le sommes que pour les joies menues. »
< p.10 >
Paul LÉAUTAUD / Journal littéraire / Mercure de France 1986
« Mon voisin Biais, vieux campagnard tourangeau, 76 ans, peste constamment sur toutes les tuiles que nous vaut la guerre. Il me disait encore ce soir : "Toutes les misères du monde nous sont tombées dessus.
Tout ça, pour quelques individus qu’on aurait mieux fait d’ écheniller à leur naissance." Je lui ai répondu :
"Hé ! monsieur Biais, on ne pouvait pas savoir. On les trouvait mignons comme les autres. Ils disaient si gentiment papa, maman... Ce qui prouve qu’on ne doit pas faire risette aux nouveau-nés. On ne sait pas ce qu’ils deviendront." »
< 6 Juin 1942 III p.617 >
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ENFER
« Je n’ai pas eu d’enfants, dont j’ai toujours eu une horreur sans bornes, leur stupidité, leur cruauté, leur bruit. "Lorsque l’enfant paraît... ", je prends mon chapeau et je m’en vais. Être grand-père équivaut pour moi à une déchéance. Quand cela arrive à un de mes amis, je romps toutes relations. »
< 20 Avril 1949 III p.1775 >
Ambrose BIERCE / Le Dictionnaire du Diable (1911) / Éditions Rivages 1989
« Bébé n. Créature difforme à l’âge, au sexe et à la condition indéterminés, hautement remarquable par la violence des sympathies et des antipathies qu’elle provoque chez les autres, sans exprimer elle-même de sentiment ni d’émotion. »
< p.31 >
Georges COURTELINE / Philosophie / Œuvres / Robert Laffont - Bouquins 1990
« Un des plus clairs effets de la présence d’un enfant dans le ménage est de rendre complètement idiots de braves parents qui, sans lui, n’eussent peut-être été que de simples imbéciles. »
< p.805 >
Emil CIORAN / Écartèlement (1979) / Œuvres / Quarto Gallimard 1995
« Ce petit bonhomme aveugle, âgé de quelques jours, qui tourne la tête de tous côtés en cherchant on ne sait quoi, ce crâne nu, cette calvitie originelle, ce singe infime qui a séjourné des mois dans une latrine et qui bientôt, oubliant ses origines, crachera sur les galaxies... »
< p.1457 >
Roland TOPOR / Pense-bêtes / Le cherche midi éditeur 1992
« J’ai toujours été frappé par le comportement d’ivrogne des enfants en bas âge : ils bégaient, titubent, trébuchent, hurlent, passent sans transition du rire aux larmes et réciproquement, s’endorment d’un seul coup, se réveillent en sursaut, vomissent, se soulagent dans leurs vêtements ou leurs draps.
Qu’est-ce que ce serait si, en plus, ils buvaient de l’alcool ! »
< p.43 >
Philippe BOUVARD / Journal 1997-2000 / Le cherche midi éditeur 2000
« S’il se constitue un jour une association pour la dignité des enfants, elle devra protester en priorité contre les articulets qui croient utile, à propos de nombreuses naissances, de préciser le poids exact du nouveau-né comme s’il s’agissait d’un rôti livré par la boucherie du quartier. »
< p.95 >
Jean DUTOURD / Dutouriana / Plon 2002
« Pauvres enfants, à qui les grandes personnes ne cessent de faire des procès d’intention ! »
< p.72 >
ENFER
Georg Christoph LICHTENBERG / Le miroir de l’âme / Domaine romantique José Corti 1997
« Monsieur de Camper racontait qu’un missionnaire peignit l’enfer de si ardente façon à une communauté de Grœnlandais, et tant parla de sa chaleur, que ceux-ci commencèrent d’éprouver le désir d’y aller. »
< G 11 p.339 >
CHAMFORT / Maximes et Pensées, Caractères et Anecdotes / Garnier-Flammarion 1968
« La Fontaine, entendant plaindre le sort des damnés au milieu du feu de l’Enfer, dit : "Je me flatte qu’ils s’y accoutument, et qu’à la fin, ils sont là comme le poisson dans l’eau." »
< 780 p.226 >
ENNUI
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ENNUI
LA ROCHEFOUCAULD / Maximes / Garnier 1967
« L’extrême ennui sert à nous désennuyer. »
< MP 29 p.167 >
Blaise PASCAL / Pensées / Œuvres complètes / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1954
« Ennui. - Rien n’est si insupportable à l’homme que d’être dans un plein repos, sans passions, sans affaire, sans divertissement, sans application. Il sent alors son néant, son abandon, son insuffisance, sa dépendance, son impuissance, son vide. Incontinent il sortira du fond de son âme l’ennui, la noirceur, la tristesse, le chagrin, le dépit, le désespoir. »
< 201 p.1138 >
Jean de LA BRUYÈRE / Les Caractères / Œuvres / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1951
« L’ennui est entré dans le monde par la paresse, elle a beaucoup de part dans la recherche que font les hommes des plaisirs, du jeu, de la société ; celui qui aime le travail a assez de soi-même. »
< p.324 XII (101) >
Antoine HOUDAR DE LA MOTTE / Fables (1719) / Œuvres (t.9) / Paris, Prault l’aîné 1754 [BnF]
«
C’est un grand agrément que la diversité.
Nous sommes bien comme nous sommes.
Donnez le même esprit aux hommes ;
vous ôtez tout le sel de la société.
L’ennui naquit un jour de l’uniformité.
»
< Les amis trop d’accord, p.243 >
MONTESQUIEU / Mes pensées / Œuvres complètes I / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1949
« Il me semble que la Nature a travaillé pour des ingrats : nous sommes heureux, et nos discours sont tels qu’il semble que nous ne le soupçonnions pas. Cependant, nous trouvons partout des plaisirs : ils sont attachés à notre être, et les peines ne sont que des accidents. Les objets semblent partout préparés pour notre plaisir : lorsque le sommeil nous appelle, les ténèbres nous plaisent ; et lorsque nous nous éveillons, la lumière du jour nous ravit. La nature est parée de mille couleurs ; nos oreilles sont flattées par les sons ; les mets ont des goûts agréables ; et, comme si ce n’étoit pas assez du bonheur de l’existence, il faut encore que notre machine ait besoin d’être réparée sans cesse pour nos plaisirs. »
< 549 p.1061 >
MONTESQUIEU / Spicilège / Œuvres complètes II / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1951
« Les princes, dit l’abbé de Mongault, s’ennuient parce qu’on les élève pour ne s’ennuyer jamais. Toujours de nouveaux amusements. Il faut leur apprendre à s’ennuyer quelquefois, pour être gais dans la suite. »
< p.1372 >
Jean-Benjamin de LABORDE / Pensées et Maximes (1791) / Paris, Lamy 1802 [BnF]
« On ne s’ennuie jamais autant, qu’avec les personnes à qui on ne peut pas le dire. »
< 34, p.6 >
Alfred de VIGNY / Journal d’un poète / Paris, A. Lemerre 1885 [BnF]
« L’ennui est la maladie de la vie. On se fait des barrières pour les sauter. »
< 1833, p.80 >
160
ENNUI
« Tous les utopistes, sans exception, ont eu la vue trop basse et ont manqué d’esprit de prévision.
Après être arrivés à construire bien péniblement leur triste société d’utopie, de république, de communauté, et leur paradis terrestre organisé comme une mécanique dont chacun est un ressort, s’ils avaient fait un second tour d’imagination, ils auraient vu qu’en retranchant le désir et la lutte, il n’y a plus qu’ ennui dans la vie.
La torpeur mènerait infailliblement chacun de ces bienheureux au sommeil perpétuel des idiots ou des animaux, au suicide. »
< 1847, p.260 >
Alphonse KARR / Encore les femmes / M. Lévy frères 1858
« Le dédain est un masque qu’on met sur la tristesse. »
< p.101 >
Jules RENARD / Journal / Robert Laffont - Bouquins 1990
« La peur de l’ennui est la seule excuse du travail. »
< 10 septembre 1892 p.108 >
« Je ne m’embête nulle part, car je trouve que, de s’embêter, c’est s’insulter soi-même. »
< 5 septembre 1893 p.136 >
« Il voyait le moins possible de personnes qu’il pouvait afin de s’épargner le plus possible l’ennui des enterrements. »
< 18 avril 1894 p.172 >
« Il faut aussi se plaindre de son sort pour faire valoir celui des autres. »
< 24 novembre 1896 p.282 >
« La vie est courte, mais on s’ennuie quand même. »
< 24 mai 1902 p.594 >
« Il faut savoir s’embêter, pour que la vie ne paraisse pas trop courte. »
< 4 décembre 1909 p.989 >
Eugène MARBEAU / Remarques et pensées / Paris Ollendorf 1901 [BnF]
« Remède sûr contre l’ennui : un ennui. »
< p.33 >
André GIDE / Journal 1889-1939 / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1951
« Une grande habileté, c’est de se dire que ce qui vous ennuie vous éduque. »
< février 1902 p.130 >
Sacha GUITRY / Pensées / Cinquante ans d’occupations / Omnibus Presses de la Cité 1993
« Je m’amuse tout de même plus lorsque je m’ennuie que lorsque je ne m’ennuie pas - parce que lorsque je ne m’ennuie pas, je pense aux choses qui me sont imposées pour me distraire, tandis que lorsque je m’ennuie je pense aux choses que je choisis moi-même pour me désennuyer - et ça ne traîne pas. »
< p.49 >
ALAIN / 81 chapitres sur l’esprit et les passions / Les Passions et la Sagesse / Bibliothèque de la Pléiade
/ nrf Gallimard 1960
« J’avoue qu’il ne manque pas de malheurs réels, et que celui qui les attend ne tarde pas à avoir raison ; mais s’il y pense trop, il trouve de plus un mal certain et immédiat dans son corps inquiet ; et ce pressentiment aggrave la tristesse et ainsi se vérifie aussitôt ; c’est une porte d’enfer. Par bonheur la plupart en sont détournés par d’autres causes et n’y reviennent que dans la solitude oisive. Contre quoi ce n’est pas un petit remède de comprendre que l’on est toujours triste si l’on y consent. Par où l’on voit que l’appétit de mourir est au fond de toute tristesse et de toute passion, et que la crainte de mourir n’y est pas contraire. Il y a plus d’une manière de se tuer, dont la plus commune est de s’abandonner. La crainte de se tuer, jointe à l’idée ÉPICURISME
161
fataliste, est l’image grossie de toutes nos passions, et souvent leur dernier effet. Dès que l’on pense, il faut apprendre à ne pas mourir. »
< p.1209 >
Vladimir JANKÉLÉVITCH / L’ironie / Champs Flammarion 1964
« Les extrêmes se rejoignent ; et comme on désespère d’être pauvre et seul, on s’ennuie d’être trop riche ou trop heureux ; tout se change en or, et l’on crève d’indifférence, comme les hommes pauvres et seuls meurent d’indigence. Si tout est permis, rien n’est permis. Cette âme neurasthénique par trop grande liberté, trop grande virtuosité, trop grande oisiveté, ressemble à un navigateur qui meurt de soif au milieu de l’océan. Car l’abondance avilit : telle est la dérision de la concurrence. L’ennui est donc le désespoir renversé, le désespoir des millionnaires, des acrobates et des humoristes ; c’est la façon qu’ont les riches d’être pauvres. Quelle dérision ! »
< p.151 >
Emil CIORAN / Des larmes et des saints (1937) / Œuvres / Quarto Gallimard 1995
« Le seul argument contre l’immortalité est l’ennui. De là dérivent d’ailleurs toutes nos négations. »
< p.319 >
ÉPICURISME
ÉPICURE / Sentences vaticanes / Lettres, maximes, sentences / Livre de Poche (4628) 1994
« Il faut à la fois rire, vivre en philosophe, diriger sa propre maison, et encore nous servir de tout ce qui nous est propre, et ne jamais cesser de prononcer les formules issues de la droite philosophie. »
< 41 p.214 >
« Nul plaisir n’est en lui-même un mal ; mais les causes productrices de certains d’entre eux apportent de surcroît bien plus de perturbations que de plaisirs. »
< 50 p.216 >
Diogène LAËRCE / Vies et doctrines des philosophes illustres / La Pochothèque LdP 1999
« [Socrate] disait que les autres hommes vivent pour manger, tandis que lui mangeait pour vivre. »
< II 34 Socrate p.240 >
PLUTARQUE / Les Vies des hommes illustres I / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1951
Lucullus dîne chez Lucullus.
« Une autre fois qu’il [Lucullus] soupait tout seul, ses gens n’avaient apprêté qu’une table et moyennement à souper ; il s’en courrouça, et fit appeler celui de ses serviteurs qui avait charge de cela, lequel lui dit :
"Pour autant, seigneur, que tu n’as envoyé semondre [= inviter] personne, j’ai pensé qu’il ne fallait déjà faire grand appareil pour le souper. — Comment, lui répliqua-t-il, ne savais-tu pas que Lucullus devait aujourd’hui souper chez Lucullus?" »
< Vie de Lucullus p.1169 >
Charles de SAINT-ÉVREMOND / Œuvres mêlées (12) / Paris, C.Barbin 1693
« Nous avons plus d’intérêt à jouir du monde, qu’à le connaître. »
< Maximes, IX, p.225 >
Joseph JOUBERT / Carnets / nrf Gallimard 1938-1994
« Rien ne rapetisse l’homme comme les petits plaisirs. »
< 25 juillet 1819 t.2 p.588 >
Anthelme BRILLAT-SAVARIN / Physiologie du goût / Charpentier, Paris 1839 [BnF]
« Dis-moi ce que tu manges, je te dirai ce que tu es. »
< Aphorisme IV, p.11 >
162
ÉPICURISME
« Ceux qui s’indigèrent ou qui s’enivrent ne savent ni boire ni manger. »
< Aphorisme X, p.12 >
Charles-Augustin SAINTE-BEUVE / Mes Poisons / Collection Romantique / José Corti 1988
« Fête de 4000 francs, organisée par Musset aux Frères Provençaux.
Pour moi, le plus grand reproche que je fais à Musset, puisqu’il voulait se passer ce caprice d’imagination et s’accorder, une bonne fois, son idéal d’orgie, c’est d’y être venu déjà ivre et hors d’état de savourer la jouissance morale de son désir accompli. Il convient de faire même les choses grossières, en délicat. »
< p.112 >
« Les Anciens avaient remarqué que de toutes les écoles de philosophie on passait dans celle d’Épicure, mais qu’une fois dans celle-ci on y restait et qu’on ne passait point à d’autres. Cela est encore vrai, même des modernes ; les vrais épicuriens, ceux qui sont allés une fois au fond, m’ont bien l’air de vivre tels jusqu’au bout et de mourir tels, sauf les convenances. »
< p.141 >
Diogène LAËRCE / Vies et doctrines des philosophes illustres / La Pochothèque LdP 1999
« À qui lui demandait pourquoi on passait des autres écoles à celle d’Épicure et jamais de celle d’Épicure à une autre, [Arcésilas] répondit : "Quand on est un homme, on peut devenir eunuque, mais lorsqu’on est eunuque, on ne peut devenir un homme." »
< IV 43 Arcésilas p.522 >
Rémy de GOURMONT / Épilogues (3) / Mercure de France 1923
« L’ascétisme est une carrière qui peut paraître plus noble que la volupté ; mais des physiologies y répugnent qui ne sont pas pour cela méprisables. Si l’on permettait le mépris, il faudrait le permettre réciproque, car nous n’avons aucun moyen, je ne dis pas logique, mais probe, d’établir la gamme ascendante ou descen-dante, majeure ou chromatique, des goûts et des couleurs. Ce qui fait la supériorité de l’homme, c’est la variété de ses aptitudes. »
< octobre 1902, p.92 >
Georges COURTELINE / Philosophie / Œuvres / Robert Laffont - Bouquins 1990
« Ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement.
Ce qu’on mange avec goût se digère aisément. »
< p.815 >
« Passer pour un idiot aux yeux d’un imbécile est une volupté de fin gourmet. »
< p.831 >
Jean-Baptiste GRESSET / Le Méchant (1745) / Œuvres complètes (2) / Paris, Furne 1830 [BnF]
« Les sots sont ici-bas pour nos menus plaisirs. »
< Acte II scène i, p.154 >
Léon DAUDET / Souvenirs / Robert Laffont - Bouquins 1992
« La perfection du palais buccal est l’apanage des hommes d’esprit. »
< p.168 >
Emil CIORAN / Carnets 1957-1972 / nrf Gallimard 1997
« S’il est vrai qu’Épicure vomissait deux fois par jour, ce détail à lui seul nous fournit la clef de son ataraxie et nous dispense d’en chercher ailleurs les raisons. Quelle révolution dans l’organisme, dans "l’âme" même, quand on dégueule ! On comprend bien alors qu’on veuille paix, sérénité, et qu’on exècre toute sorte de trouble.
Il ne devrait y avoir biographie que de nos maux. »
< juin 1966 p.372 >
Frédéric DARD / Les pensées de San-Antonio / Le cherche midi éditeur 1996
« Rien n’est plus voluptueux pour un pas-con que d’être pris pour un con par un con. »
< p.103 >
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