Et quand une œuvre d’art vous donne le vertige, souvenez-vous que ce qui donne le mieux encore le vertige, c’est le vide. »

< p.92 >

Raymond RADIGUET / Œuvres / La Pochothèque LdP 2001

« Les auteurs qui se font obscurs pour forcer l’estime obtiennent ce qu’ils veulent et pas autre chose. »

< Art poétique (1922) p.188 >

« Le culte du vertige... mais n’oublions pas que le vertige se prend sur les hauteurs. »

< Art poétique (1922) p.192 >

Daniel C. DENNETT / La conscience expliquée / Editions Odile Jacob 1993

« Après tout, les mystères sont excitants, et ils contribuent à rendre la vie amusante. Personne n’apprécie le gâcheur qui donne la clef de l’énigme à ceux qui font la queue pour aller voir un film. À partir du moment où on a révélé le pot aux roses, on ne peut plus retrouver l’état délicieux de mystification qui nous avait d’abord envoûtés. Par conséquent, le lecteur doit être sur ses gardes. »

< p.36 >

330

ODEUR

ODEUR

SUÉTONE / Vies des Douze Césars / GF-Flammarion (553) 1990

L’argent n’a pas d’odeur.

« Son fils Titus l’ayant blâmé d’avoir établi un impôt jusque sur l’urine*, il lui mit sous le nez le premier argent de cet impôt, et lui demanda "s’il sentait mauvais". Titus ayant répondu que non, "il vient cependant de l’urine", lui dit Vespasien. »

< Vespasien, p.313 >

* À l’époque, l’urine était recueillie par les foulons pour dégraisser les étoffes de laine.

Michel de MONTAIGNE / Essais / Garnier 1962

« La douceur mesmes des halaines plus pures n’a rien de plus excellent que d’estre sans aucune odeur qui nous offense, comme sont celles des enfans bien sains. Voylà pourquoy, dict Plaute, Mulier tum benè olet, ubi nihil olet :

la plus parfaicte senteur d’une femme, c’est ne sentir à rien, comme on dict que la meilleure odeur de ses actions c’est qu’elles soyent insensibles et sourdes. Et les bonnes senteurs estrangieres, on a raison de les tenir pour suspectes à ceux qui s’en servent, et d’estimer qu’elles soyent employées pour couvrir quelque defaut naturel de ce costé-là. »

< t.1 p.347 livre I chap.LV >

Edmond et Jules de GONCOURT / Journal (t.1) / Robert Laffont - Bouquins 1989

« Les croyants sont très reconnaissants à Dieu d’avoir donné aux organes génitaux de la femme vivante l’odeur qu’il ne donne à la crevette que huit jours après sa mort. »

< 5 juin 1863 p.971 >

Gustave FLAUBERT / Dictionnaire des idées reçues / Bouvard et Pécuchet / Garnier-Flammarion 1966

« HALEINE. - L’avoir forte donne l’air distingué. Éviter les allusions sur les mouches et affirmer que ça vient de l’estomac. »

< p.357 >

Jean de LA FONTAINE / Fables / La Pochothèque LdP 2000

« Ventre affamé n’a point d’oreilles. »

< Livre neuvième, XVIII Le milan et le rossignol p.574 > Alphonse ALLAIS / Œuvres posthumes / Robert Laffont - Bouquins 1990

« Ventre affamé n’a pas d’oreilles, mais il a un sacré nez. »

< Le Chat Noir, 30 juillet 1887 p.130 >

Jules RENARD / Journal / Robert Laffont - Bouquins 1990

« Les romanciers parlent souvent de l’odeur de la femme habillée qu’on approche d’un peu près. Il faudrait s’entendre : ou la femme se sert de parfums, et ce n’est pas elle qui fleure, ou cette odeur provient des aisselles et du bas ventre, et alors c’est qu’elle ne se lave pas. La femme saine et propre ne sent rien heureusement ! »

< 7 décembre 1889 p.40 >

« La pire odeur qu’on respire, c’est de se sentir mauvais. »

< 5 avril 1898 p.377 >

« Quelle haleine ! Il n’a jamais pu attraper une mouche vivante. »

< 12 octobre 1900 p.473 >

Philippe BOUVARD / Journal 1992-1996 / Le cherche midi éditeur 1997

« Je ne l’ai jamais aimé. Il peut crever. Mais pas la gueule ouverte : il a trop mauvaise haleine. »

< p.54 >

OPINION

331

OPINION

Baltasar GRACIÁN / Maximes / Paris, Rollin fils 1730

« Tous les sots sont des entêtés, et tous les entêtés sont des sots : plus leur opinion est erronée, plus leur opiniâtreté est grande. Lors même qu’on a pour soi l’évidence, il est honnête de céder ; les autres n’ignorent pas pourquoi on le fait, et que c’est par pure politesse. On perd plus par une opiniâtreté outrée que l’on ne gagne par un avantage remporté ; c’est pousser la rusticité à l’extrême, et non point défendre la vérité. »

< Maxime CLXXXIII N’avoir point une trop forte attache à son opinion, p.218 > CHAMFORT / Maximes et Pensées, Caractères et Anecdotes / Garnier-Flammarion 1968

« Il y a à parier que toute idée publique, toute convention reçue, est une sottise, car elle a convenu au plus grand nombre. »

< 130 p.78 >

Madame de LAMBERT / Avis d’une mère à sa fille / Œuvres complètes / Paris L.Collin 1808 [BnF]

« Ne soyez point précipitée dans vos jugements ; n’écoutez point les calomnies ; résistez même aux premières apparences, et ne vous empressez jamais de condamner. Songer qu’il y a des choses vraisemblables sans être vraies, comme il y en a de vraies qui ne sont pas vraisemblables. »

< p.92 >

Joseph JOUBERT / Carnets / nrf Gallimard 1938-1994

« Croyez que l’expérience de beaucoup d’opinions donne à l’esprit qui les a eues beaucoup de flexibilité et l’affermit en même temps dans celles qu’il croit les meilleures. »

< 21 janvier 1802 t.1 p.442 >

Jean-Benjamin de LABORDE / Pensées et Maximes (1791) / Paris, Lamy 1802 [BnF]

« Il est plus aisé de faire prendre une opinion nouvelle, que de détruire une opinion reçue. »

< 18, p.4 >

Georg Christoph LICHTENBERG / Aphorismes / Collection Corps 16 - Éditions Findakly 1996

« Règle d’or : ne pas juger les hommes d’après leurs opinions, mais d’après ce que leurs opinions font d’eux. »

< p.28 >

Georg Christoph LICHTENBERG / Le miroir de l’âme / Domaine romantique José Corti 1997

« Rien ne concourt davantage à la paix de l’âme que de n’avoir point d’opinion. »

< E 63 p.250 >

Charles-Maurice de TALLEYRAND-PÉRIGORD / La confession de Talleyrand [Ana] / Paris, L.Sauvaitre 1891 [BnF]

« Il n’y a qu’une seule chose que nous aimions à voir partager avec nous, quoiqu’elle nous soit bien chère, c’est notre opinion. »

< p.20 >

Victor HUGO / Choses vues / Histoire / Œuvres complètes / Robert Laffont - Bouquins 1987

« Tout homme comprend mal son intérêt.

Il faut être plus royaliste que le roi. »

< p.1333 >

332

OPINION

Charles-Augustin SAINTE-BEUVE / Portraits littéraires / Robert Laffont - Bouquins 1993

« De même qu’un arbre pousse inévitablement du côté d’où lui vient la lumière et développe ses branches dans ce sens, de même l’homme, qui a l’illusion de se croire libre, pousse et se porte du côté où il sent que sa faculté secrète peut trouver jour à se développer. Celui qui se sent le don de la parole se persuade que le gouvernement de tribune est le meilleur, et il y tend ; et ainsi de chacun. En un mot, l’homme est instinctivement conduit par sa faculté à se faire telle ou telle opinion, à porter tel ou tel jugement, et à désirer, à espérer, à agir en conséquence. »

< Pensées, p.1076 >

Alphonse KARR / Les Guêpes (troisième série) / Calmann Lévy 1888

« Beaucoup de gens s’empresse de se ranger à ce qu’on leur dit être l’opinion publique, — surtout quand elle est contraire au gouvernement ; parce que, tout en obéissant à leur instinct de moutons de Panurge, ils ont un certain air d’audace sans danger qui flatte le bourgeois. Ils seraient bien effrayés parfois s’ils savaient qu’ils sont à la tête de l’opinion dont ils croient suivre la queue, — et qu’ils seraient seuls de leur opinion publique — s’il n’y avait pas d’autres bourgeois pris dans le même piège. »

< Décembre 1841, p.177 >

Friedrich NIETZSCHE / Humain, trop humain. (1878-1879) / Œuvres I / Robert Laffont - Bouquins 1990

« Opinions propres. - La première opinion qui nous arrive quand on nous interroge à l’improviste sur une chose n’est d’ordinaire pas la nôtre, mais seulement l’opinion courante, qui tient à notre caste, notre situation, notre origine : les opinions propres flottent rarement à la surface. »

< 571 p.670 >

Oscar WILDE / Intentions / Œuvres / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1996

« Quand les gens sont d’accord avec moi, j’ai toujours le sentiment que je dois me tromper. »

< p.895 >

Henry MARET / Pensées et opinions / Paris, Flammarion 1903 [BnF]

« On ne peut pas être neutre. Le silence est une opinion. »

< p.253 >

Jules RENARD / Journal / Robert Laffont - Bouquins 1990

« L’horreur des bourgeois est bourgeoise. »

< 10 avril 1889 p.19 >

« C’est une question de propreté : il faut changer d’avis comme de chemise. »

< 9 octobre 1902 p.620 >

Émile DURKHEIM / Les formes élémentaires de la vie religieuse (1912) / Quadrige / PUF 1960

« L’opinion, chose sociale au premier chef, est [...] une source d’autorité et l’on peut même se demander si toute autorité n’est pas fille de l’opinion. On objectera que la science est souvent l’antagoniste de l’opinion dont elle combat et rectifie les erreurs. Mais elle ne peut réussir dans cette tâche que si elle a une suffisante autorité et elle ne peut tenir cette autorité que de l’opinion elle-même. Qu’un peuple n’ait pas foi dans la science, et toutes les démonstrations scientifiques seront sans influence sur les esprits. Même aujourd’hui, qu’il arrive à la science de résister à un courant très fort de l’opinion publique, et elle risquera d’y laisser son crédit. »

< p.298 >

Sacha GUITRY / Toutes réflexions faites / Cinquante ans d’occupations / Omnibus Presses de la Cité 1993

« Si ceux qui disent du mal de moi savaient exactement ce que je pense d’eux, ils en diraient bien davantage ! »

< p.69 >

OPINION

333

Paul VALÉRY / Mélange (1939) / Œuvres I / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1957

« Le mensonge et la crédulité s’accouplent et engendrent l’Opinion. »

< p.376 >

Paul VALÉRY / Tel Quel / Œuvres II / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1960

« Ce qui a été cru par tous, et toujours, et partout, a toutes les chances d’être faux. »

< p.539 >

Paul VALÉRY / Mauvaises pensées et autres / Œuvres II / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1960

« Il n’y a qu’une sorte d’opinion d’autrui qui doive préoccuper : celle de ceux qui mettent un intérêt passionné et spécial aux choses que l’on produit. L’opinion moyenne est sans intérêt. Elle ne peut que se tromper sur les facilités et les difficultés d’un travail. Si elle nous montre quelque chose, ce n’est qu’elle-même. »

< p.898 >

Paul VALÉRY / Cahiers I / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1973

« Vouloir qu’une opinion l’emporte, (vouloir avoir raison) c’est toujours lui souhaiter d’autres forces que les siennes, douter de celles-ci. Prédire le triomphe proche d’une doctrine c’est admettre que sa valeur consiste dans cette future puissance et que cette future puissance est de l’ordre même des résistances actuelles, dont elle viendra à bout. Vous adorerez ce que vous brûlez ; c’est dire que votre adoration ne signifie pas plus que vos brasiers.

Mais le point remarquable, le voici : Une philosophie, une théologie, une esthétique tournent toujours à la lutte. L’homme n’est jamais assez sûr de sa vérité pour jouir de l’éclat de l’ erreur adverse... »

< Ego p.77 >

Léon DAUDET / Souvenirs / Robert Laffont - Bouquins 1992

« C’est un tourment de conscience que la rencontre d’opinion ou de préférence avec un sot. Alors on est bloqué, puisqu’on ne peut plus se contredire, et il n’y a plus qu’à se taire en rageant. »

< p.415 >

Paul LÉAUTAUD / Journal littéraire / Mercure de France 1986

« Je pense qu’on ne connaît jamais personne, qu’on ne sait jamais ce qu’il y a, ce qui se passe au profond intime d’une créature humaine. Il peut y avoir des richesses de tendresse, de dévouement, de pitié qu’on ne soupçonne pas, qui ne se montrent que dans certaines circonstances rares. Juger autrui ! Ah ! on devrait toujours s’en garder. Est-ce qu’on sait, est-ce qu’on est sûr. Tel qui rit, qui est tout en boutades, en brusqueries, en indifférence, est peut-être le plus sensible secrètement. Tenez, si on pensait à tout cela, on n’oserait plus écrire, porter un jugement sur quelqu’un. »

< 15 avril 1914 I p.936 >

« Je l’ai toujours dit : il faut avoir des parti-pris, c’est une force. Cela n’empêche pas de voir parfaitement les autres côtés de la chose dont on parle et de sentir les contradictions qui s’élèvent à côté de l’opinion qu’on exprime. Écrire, c’est s’être décidé à choisir, à pencher d’un côté plutôt que l’un autre, c’est prendre parti si minimement que ce soit. Si on écoutait toutes ses contradictions, on ne toucherait plus une plume, on ne dirait plus un mot. »

< 26 septembre 1922 I p.1235 >

Sacha GUITRY / Toutes réflexions faites / Cinquante ans d’occupations / Omnibus Presses de la Cité 1993

« Pour son malheur - hélas ! - l’homme qui s’abstient d’avoir une opinion devient bientôt suspect à tous les partis. »

< p.80 >

334

OPINION

André GIDE / Journal 1889-1939 / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1951

« Toutes les opinions intéressées me sont suspectes. J’aime pouvoir penser librement et commence à craindre d’être refait dès qu’il me revient quelque avantage de l’opinion que je professe. C’est comme si j’acceptais un pot-de-vin. »

< 6 juin 1933 p.1174 >

« Lorsqu’on s’est fait de quelqu’un une idée fausse et que ce quelqu’un, par suite, se comporte et parle et écrive de manière qui contredise cette première idée fausse que l’on s’était faite de lui, on l’accusera d’hypocrisie bien plus volontiers que de reconnaître qu’on s’était trompé sur son compte. »

< 24 août 1937 p.1270 >

André GIDE / Journal 1939-1949 Souvenirs / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1954

« Une opinion commence à me gêner dès que j’y puis trouver avantage. Le jugement trouve sa liberté bien plus gravement compromise lorsque les circonstances le favorisent que lorsqu’elles le contrecarrent, et l’on doute de son impartialité bien moins dans la résistance que dans l’acquiescement. »

< 8 mai 1941 p.77 >

ALAIN / Mars ou la guerre jugée / Les Passions et la Sagesse / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1960

« Chacun a pu remarquer, au sujet des opinions communes, que chacun les subit et que personne ne les forme. Un citoyen, même avisé et énergique quand il n’a à conduire que son propre destin, en vient naturellement et par une espèce de sagesse à rechercher quelle est l’opinion dominante au sujet des affaires publiques. "Car, se dit-il, comme je n’ai ni la prétention ni le pouvoir de gouverner à moi tout seul, il faut que je m’attende à être conduit ; à faire ce qu’on fera, à penser ce qu’on pensera." Remarquez que tous raisonnent de même, et de bonne foi. Chacun a bien peut-être une opinion ; mais c’est à peine s’il se la formule à lui-même ; il rougit à la seule pensée qu’il pourrait être seul de son avis.

Le voilà donc qui honnêtement écoute les orateurs, lit les journaux, enfin se met à la recherche de cet être fantastique que l’on appelle l’opinion publique. "La question n’est pas de savoir si je veux ou non faire la guerre, mais si le pays veut ou non faire la guerre." Il interroge donc le pays. Et tous les citoyens interrogent le pays au lieu de s’interroger eux-mêmes.

Les gouvernants font de même, et tout aussi naïvement. Car, sentant qu’ils ne peuvent rien tout seul, ils veulent savoir où ce grand corps va les mener. Et il est vrai que ce grand corps regarde à son tour vers le gouvernement, afin de savoir ce qu’il faut penser et vouloir. Par ce jeu, il n’est point de folle conception qui ne puisse quelque jour s’imposer à tous sans que personne pourtant l’ait jamais formée en lui-même et par libre réflexion. Bref, les pensées mènent à tout, et personne ne pense. D’où il résulte qu’un État formé d’hommes raisonnables peut penser et agir comme un fou. Et ce mal vient originairement de ce que personne n’ose former son opinion par lui-même ni la maintenir énergiquement, en lui d’abord, et devant les autres aussi. »

< p.665 >

Georges BERNANOS / Journal de la guerre d’Espagne / Essais et écrits de combats I / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1971

« Il n’existe [...] pas de journaux d’opinion, il existe des journaux d’une opinion, ce qui ne semble pas absolument la même chose. Or la charité, d’accord avec le bon sens, ne nous permet pas de refuser aux imbéciles le droit d’avoir une opinion, sous peine de rejeter ces malheureux hors de l’humanité pensante. Et comme ils ne réussiront jamais à s’en former une à leur strict usage, force leur est bien d’emprunter celle des autres. Chaque journal se trouve donc ainsi tenu de compter avec eux, c’est-à-dire de ménager les imbéciles, dont il assume la charge, et Dieu sait si l’espèce est facile à scandaliser ! Scandaliser les imbéciles ne mène à rien de bon. Je crois, au contraire, que la stupide, l’effroyable monotonie de la vie moderne — dont les vertigineux manèges de chevaux de bois nous fournissent la parfaite image — incline les meilleurs esprits à des solutions médiocres, à des mensonges moyens, et que le seul scandale est capable de les remettre debout, face à l’inflexible vérité ! On ne peut raisonnablement demander au directeur d’un journal de risquer quotidiennement cent imbéciles dans l’espoir — souvent déçu — de réveiller un dormeur, de OPINION

335

lui réapprendre à penser. La faillite serait au bout d’une telle expérience. »

< p.1446 >

Robert MUSIL / L’homme sans qualités / Editions du Seuil - Points 1956

« Étant un homme efficace dans sa spécialité, il savait naturellement que l’on ne peut avoir de conviction sur laquelle miser soi-même en dehors du seul domaine où l’on est vraiment ferré ; l’extraordinaire extension des activités empêche qu’il s’en forme ailleurs. C’est pourquoi les hommes efficaces et travailleurs, en dehors du cercle fort étroit de leur spécialité, n’ont aucune conviction qu’ils ne soient prêts à renier pour peu qu’ils devinent sur elle quelque pression extérieure ; on pourrait carrément dire qu’ils se voient forcés par scrupule de conscience, d’agir autrement qu’ils ne pensent. »

< p.169 >

Alfred SAUVY / Mythologie de notre temps / Petite Bibliothèque Payot (191) 1971

« L’opinion collective n’aime pas avouer ses faux pas et y parvient avec une aisance parfois déconcertante.

C’est pourquoi la réputation d’un mythe, d’une parole, dépend essentiellement de la suite des événements.

Lorsque Pétain lance le fameux : "On les aura", en 1916, il choisit, avec habileté une formule qui a le double avantage d’être populaire, presque argotique, qui convient bien à l’Union Sacrée (les poilus, les gueules cassées, etc.).

Néanmoins, si la guerre avait été perdue, cette parole lui aurait été amèrement reprochée, comme le "Paris ne capitulera pas" de Trochu, "le dernier quart d’heure" de Lacoste. La formule du dernier quart d’heure a été employée par de nombreux chefs avant Lacoste et en particulier par Clémenceau en 1917 : "C’est nous qui aurons le dernier quart d’heure." Pourquoi a-t-elle si souvent servi à tourner Lacoste en dérision ? Non parce que sa cause était mauvaise, mais parce qu’elle a été perdue. Malheur aux vaincus. »

< p.54-55 >

Emil CIORAN / Aveux et anathèmes (1987) / Œuvres / Quarto Gallimard 1995

« Des opinions, oui ; des convictions, non. Tel est le point de départ de la fierté intellectuelle. »

< p.1709 >

Jean-François DENIAU / Ce que je crois / Grasset (LdP) 1992

« Vingt journalistes parisiens propriétaires de grandes rubriques ou émissions politiques font et défont les carrières. Avant chacune de ces émissions qui sont des super-examens de passage dans la classe politique supérieure, les personnalités répètent avec des professionnels comme on prend des répétitions particulières avant le baccalauréat. Il ne faut pas risquer de perdre quelques points à l’issue du débat. Seulement exprimer l’opinion que les spécialistes croient qu’il convient d’avoir. Tout est renvoyé à une analyse et une prévision des mouvements attendus de l’opinion publique. Une fois déterminée la vague de celle-ci, les spécialistes recommandent dans leur joli langage de "surfer sur sa crête". Le sondage a remplacé la conscience.

Et si l’opinion publique était imprévisible ? Ou, pire encore pour les professionnels, si l’opinion publique attendait des leaders et des élus non pas qu’ils la suivent mais qu’ils la guident? Et si, dans les périodes de crise ou d’incertitude, elle attendait des responsables qu’ils prennent d’abord leurs responsabilités? »

< p.62-63 >

André FROSSARD / Les Pensées / Le cherche midi éditeur 1994

« Bien poser les questions, c’est tout un art. Où tout dépend, bien sûr, de la réponse que l’on veut obtenir. »

< p.166 >

Jean-François REVEL / Mémoires / Plon 1997

« Ce qui distingue le généraliste du spécialiste, c’est que le généraliste reste cohérent à peu près partout, tandis que le spécialiste, beaucoup plus rigoureux que l’autre devant son objet spécifique, peut se muer en un agité confusionnel dès qu’il s’en éloigne. »

< p.179 >

336

OPTIMISME

OPTIMISME

Joseph JOUBERT / Carnets / nrf Gallimard 1938-1994

« Au lieu de se plaindre de ce que la rose a des épines il faut se féliciter de ce que l’épine est surmontée de roses et de ce que le buisson porte des fleurs. »

< 3 mai 1796 t.1 p.183 >

« Pensez aux maux dont vous êtes exempt. »

< 3 juin 1797 t.1 p.217 >

Ernest RENAN / L’Avenir de la science, Pensées de 1848 (1890) / GF 765 Flammarion 1995

« L’optimisme serait une erreur, si l’homme n’était point perfectible, s’il ne lui était donné d’améliorer par la science l’ordre établi. La formule : "Tout est pour le mieux" ne serait sans cela qu’une amère dérision.

Oui, tout est pour le mieux, grâce à la raison humaine, capable de réformer les imperfections nécessaires du premier établissement des choses. Disons plutôt : Tout sera pour le mieux quand l’homme, ayant accompli son œuvre légitime, aura rétabli l’harmonie dans le monde moral et se sera assujetti le monde physique. »

< p.101 >

Léon DAUDET / Souvenirs / Robert Laffont - Bouquins 1992

« Autant l’optimisme béat, c’est à dire inactif, est une sottise, autant l’optimisme, compagnon de l’effort, pour sortir des difficultés, des souffrances, des lésions fonctionnelles et organiques, est légitime. »

< p.254-255 >

André GIDE / Journal 1889-1939 / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1951

« Conquérir sa joie vaut mieux que de s’abandonner à la tristesse. »

< 12 mai 1927 p.841 >

« Ne te détourne pas, par lâcheté, du désespoir. Traverse-le. C’est par-delà qu’il sied de retrouver motif d’espérance. Va droit. Passe outre. De l’autre côté du tunnel tu retrouveras la lumière. »

< p.902 >

Paul-Jean TOULET / Les trois impostures / Œuvres complètes / Robert Laffont - Bouquins 1986

« Il y a des pluies de printemps délicieuses, où le ciel a l’air de pleurer de joie. »

< 50 p.168 >

Paul LÉAUTAUD / Propos d’un jour / Œuvres / Mercure de France 1988

« Les choses tristes, douloureuses, plus belles pour l’esprit, y trouvant plus de prolongements, que les choses gaies, heureuses. Le mot soir plus beau que le mot matin, le mot nuit que le mot jour, le mot automne que le mot été, le mot adieu que le mot bonjour, le malheur plus beau que le bonheur, la solitude plus belle que la famille, la société, le groupement, la mélancolie plus belle que la gaîté, la mort que la naissance. À

talent égal, l’échec plus beau que le succès. Le grand talent restant ignoré plus beau que l’auteur à grands tirages, adoré du public et célébré chaque jour. Un écrivain de grand talent mourant dans la pauvreté plus beau que l’écrivain mourant millionnaire. L’homme, la femme, qui ont aimé, ont été aimés, finissant leur vie dans une chambre au dernier étage, n’ayant pour fortune et pour compagnie que leurs souvenirs, plus beau que le grand-père entouré de ses petits-enfants et que la douairière encore fêtée dans son aisance.

D’où cela vient-il, qui se trouve chez chacun de nous à des degrés différents ? Y a-t-il au fond de nous, plus ou moins, un désenchantement, une mélancolie qui se satisfont là, — et qu’il faut détester et rejeter comme un poison. »

< p.338 >

ALAIN / Mars ou la guerre jugée / Les Passions et la Sagesse / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1960

« On ne fait pas assez attention à ceci que le pessimisme est l’état naturel, dès qu’on s’abandonne, au lieu que l’optimisme est un fruit de volonté. Dont la raison profonde est que le gouvernement de soi, par sévère police des opinions improvisées, par serment à soi, par ordre et suite dans les actions, est la source ORDINATEUR

337

et condition de tout bonheur. L’homme ne sait pas assez quelle triste mécanique il est, dès qu’il tombe au mécanisme.

Une loi bien cachée, mais dont les effets sont assez et trop connus, c’est que le plus triste, le plus effrayant, le plus désespérant qu’on puisse attendre de soi est aussi ce qui persuade le plus aisément ; car l’émotion est toujours la meilleure preuve, comme la peur le fait bien voir. Et la peur de soi persuade ; le dégoût de soi, de même. C’est une erreur immense de doctrine, et liée à cette même erreur de pratique, que de croire qu’un homme pense volontiers du bien de lui-même. Ce n’est pas vrai ; il faut du courage pour être heureux de soi.

Ainsi ne pas se demander ce qu’on pense, mais penser, j’entends vouloir, diriger, ordonner, chercher, telle est la santé de n’importe quel homme. Et celui qui attend ses opinions et son bonheur comme il attend le soleil ou la pluie attendra longtemps. »

< p.666 >

Georges BERNANOS / Les Grands Cimetières sous la lune (1938) / Essais et écrits de combats I /

Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1971

« L’optimisme m’est toujours apparu comme l’alibi sournois des égoïstes, soucieux de dissimuler leur chronique satisfaction d’eux-mêmes. Ils sont optimistes pour se dispenser d’avoir pitié des hommes, de leur malheur. »

< p.371 >

Sacha GUITRY / Toutes réflexions faites / Cinquante ans d’occupations / Omnibus Presses de la Cité 1993

« Lorsque votre moral se trouve être au plus bas, remontez le moral d’un moins heureux que vous.

Vous trouverez pour lui des arguments auxquels vous n’aviez pas songé pour vous - et dont vous ferez votre profit. »

< p.87 >

Georges PERROS / En vue d’un éloge de la paresse - Lettre préface / Le Passeur 1995

« Le désespoir, c’est quand l’intelligence prend la souffrance à son compte. »

< p.25 >

Emil CIORAN / Carnets 1957-1972 / nrf Gallimard 1997

« Ce qu’on appelle "pessimisme" n’est rien d’autre que "l’art de vivre", l’art de goûter la saveur amère de tout ce qui est. »

< 19 septembre 1970, p.839 >

Michel POLAC / Journal (1980-1998) / PUF 2000

« Rien ne me paraît plus justifier le pessimisme de Schopenhauer que le regard du chien quand on le regarde chier. »

< mars 1996, p.465 >

Jean DUTOURD / Dutouriana / Plon 2002

« Dans les situations désespérées, la seule sagesse est l’optimisme aveugle. »

< p.88 >

ORDINATEUR

Blaise PASCAL / Pensées / Œuvres complètes / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1954

« La machine d’arithmétique fait des effets qui approchent plus de la pensée que tout ce que font les animaux ; mais elle ne fait rien qui puisse faire dire qu’elle a de la volonté, comme les animaux. »

< 262 p.1156 >

338

ORGUEIL

Umberto ECO / Comment voyager avec un saumon / Grasset 1997

« J’ai découvert l’autre jour que Franco Fortini, poète sévère et tourmenté, ennemi déclaré de la société du spectacle, est un adepte du Mac. Cela dit, il est légitime de se demander si à la longue, au fil du temps, l’emploi d’un système plutôt que d’un autre ne cause pas de profondes modifications intérieures. Peut-on vraiment être à la fois adepte du Dos et catholique traditionaliste ? Par ailleurs, Céline aurait-il écrit avec Word, WordPerfect ou Wordstar? Enfin, Descartes aurait-il programmé en Pascal? »

< p.138 >

ORDRE

Blaise PASCAL / Pensées / Œuvres complètes / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1954

« La dernière chose qu’on trouve en faisant un ouvrage, est de savoir celle qu’il faut mettre la première. »

< 63 p.1101 >

« Qu’on ne dise pas que je n’ai rien dit de nouveau : la disposition des matières est nouvelle ; quand on joue à la paume, c’est une même balle dont on joue l’un et l’autre, mais l’un la place mieux.

J’aimerais autant qu’on me dît que je me suis servi des mots anciens. Et comme si les mêmes pensées ne formaient pas un autre corps de discours, par une disposition différente, aussi bien que les mêmes mots forment d’autres pensées par leur différente disposition. »

< 65 p.1101 >

Jules RENARD / Journal / Robert Laffont - Bouquins 1990

« Par ordre de mérite alphabétique. »

< 22 janvier 1893 p.118 >

ORGUEIL

Diogène LAËRCE / Vies et doctrines des philosophes illustres / La Pochothèque LdP 1999

« Un jour qu’il marchait sur les tapis de Platon — ce dernier avait invité des amis qui venaient de chez Denys — Diogène dit "Je marche sur la vaine gloire de Platon". Mais Platon lui rétorqua : "Comme tu laisses transparaître ton orgueil, Diogène, tout en ayant l’air de n’être pas orgueilleux". D’autres affirment que Diogène a dit : "Je marche sur l’orgueil de Platon", et celui-ci aurait répondu : "Oui, Diogène, avec un autre orgueil". »

< VI 26 Diogène p.708 >

LA ROCHEFOUCAULD / Maximes / Garnier 1967

« Il semble que la nature, qui a si sagement disposé les organes de notre corps pour nous rendre heureux, nous ait aussi donné l’orgueil pour nous épargner la douleur de connaître nos imperfections. »

< M 36 p.14 >

MARIVAUX / L’Indigent philosophe (1727) / Journaux et Œuvres diverses / Classiques Garnier 1988

« J’ai connu dans ma vie un homme qui ne pouvait souffrir l’orgueil des grands seigneurs ; il n’y avait rien de plus beau que la morale qu’il débitait là-dessus : s’il faisait jamais fortune, ce serait le plus raisonnable de tous les hommes, disait-on. Cette fortune lui vint, il fut mis en place : je n’ai jamais rien vu de si sot et de si superbe que lui alors. Et d’où vient qu’il avait paru si différent ? C’est que quand un homme est dans une condition médiocre, il n’ose pas donner l’essor à son orgueil : il faut qu’il lui retienne la bride, il faut que notre homme file doux, en bon Français ; car s’il s’émancipe, on l’humilie ; et cela est mortifiant ; de sorte que par orgueil prudent il s’humilie lui-même, afin que personne ne s’en mêle. Après cela, vous le voyez bon, simple, accommodant, ne pouvant comprendre les grands airs de certaines gens, n’imaginant point comment on peut être orgueilleux, levant les épaules sur tous ceux qui le sont. Ah ! le bon apôtre !

Tenez, voici ce qu’il pense : puisque je ne saurais montrer mon orgueil, il faut que je m’en venge sur ceux qui ont la liberté de montrer le leur, et qui le montrent. Il faut que je dise qu’ils me font pitié, cela les rendra plus petits aux yeux des autres, et empêchera qu’on ne les voie si fort au-dessus de moi ; car ces gens-là, ORGUEIL

339

je ne saurais les souffrir, on ne paraît rien auprès d’eux, et je me soulage en les abaissant. Outre cela, c’est qu’en faisant profession de regarder l’orgueil comme une sottise, on croira que je n’en ai point, et que ce serait peine perdue d’en avoir avec moi, parce que je le mépriserais sans en être piqué, ou bien que je n’y prendrais pas garde. »

< p.308 >

Claude Adrien HELVÉTIUS / Pensées et réflexions / Œuvres complètes (tome 14) / Paris, Didot 1795

[BnF]

« On sacrifie souvent les plus grands plaisirs de la vie à l’orgueil de les sacrifier. »

< VI p.114 >

Antoine de RIVAROL / Esprit de Rivarol [œuvres diverses] / Paris 1808 [BnF cote Z-24383]

« L’orgueil est toujours plus près du suicide que du repentir. »

< Morale p.62 >

Louis-Ambroise de BONALD / Œuvres complètes t.3 / Paris, J-P Migne 1859

« Les orgueils blessés sont plus dangereux que les intérêts lésés, et surtout plus incommodes, car on ne peut les mettre ni à la demi-solde ni à la retraite. »

< Pensées, p.1291 >

« L’orgueil est une folie de l’esprit, et je crois qu’il peut être une cause de démence physique. Ce qui semble le prouver est que les fous rêvent presque toujours le pouvoir, et s’imaginent tous être de grands personnages, même rois ou papes. »

< Pensées, p.1368 >

« La hauteur des manières fait plus d’ennemis que l’élévation du rang ne fait de jaloux. L’homme, dans toutes les conditions, sent qu’un autre homme peut n’être pas son égal, mais qu’il est toujours son semblable, qu’il est au-dessus de lui et non autre que lui. »

< Pensées, p.1375 >

Johann Wolfgang von GOETHE / Maximes et réflexions / Paris, Brokhauss et Avenarius 1842 [BnF]

« C’est une grande faute de se croire plus que l’on est, et de s’estimer moins qu’on ne vaut. »

< p.6 >

« On prend chacun dans le monde pour ce qu’il se donne ; mais il faut se donner pour quelque chose. On supporte plus volontiers les gens incommodes que les hommes insignifiants. »

< p.95 >

JEAN-PAUL / Pensées de Jean-Paul / Paris, Firmin Didot 1829 [BnF]

« Il y a un certain orgueil qui fait encore mieux ressortir le mérite que la modestie. »

< p.103 >

Arthur SCHOPENHAUER / Aphorismes sur la sagesse dans la vie (1851) / Collection Quadrige / PUF

1943

« Quoique l’orgueil soit généralement blâmé et décrié, je suis néanmoins tenté de croire que cela vient principalement de ceux qui n’ont rien dont ils puissent s’enorgueillir. Vu l’impudence et la stupide arrogance de la plupart des hommes, tout être qui possède des mérites quelconques fera très bien de ne pas les perdre de vue lui-même, afin de ne pas les laisser tomber dans un oubli complet ; car celui qui, gentiment, ne cherche pas à s’en prévaloir et se conduit avec les gens comme s’il était en tout leur semblable, ne tardera pas à être en toute naïveté considéré par eux comme tel. »

< p.45 >

340

ORIGINALITÉ

Alphonse KARR / Sous les orangers / M. Lévy frères 1859

« Il est permis de se moquer un peu de l’orgueil, mais ce serait un grand malheur de décourager les orgueilleux. Ce sont des gens qui se chargent volontairement de presque toutes les corvées sociales, et qui se contentent pour récompense de l’approbation de ceux au-dessus desquels ils se croient si prodigieusement élevés. »

< p.102 >

Victor HUGO / Moi, l’amour, la femme / Océan / Œuvres complètes / Robert Laffont - Bouquins 1989

« L’orgueil a cela de bon qu’il préserve de l’envie. »

< 1868 p.286 >

Edmond et Jules de GONCOURT / Journal (t.1) / Robert Laffont - Bouquins 1989

« On pourrait définir l’orgueil : cette vanité qui empêche de faire des choses basses. »

< 25 octobre 1858 p.414 >

Eugène MARBEAU / Remarques et pensées / Paris Ollendorf 1901 [BnF]

« La vanité rend l’homme content de soi ; l’orgueil le rend difficile à contenter. »

< p.141 >

Auguste DETŒUF / Propos de O. L. Barenton, confiseur (1938) / Éditions d’Organisation 1982

« Tout est bon à la vanité : elle accepte la moindre aumône. Rien ne suffit à l’orgueil. »

< p.80 >

André GIDE / Journal 1889-1939 / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1951

« La hauteur de l’orgueil se mesure à la profondeur du mépris. »

< 16 juin 1907 p.248 >

Paul VALÉRY / Mélange (1939) / Œuvres I / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1957

« Plaire à soi est orgueil ; aux autres, vanité. »

< p.390 >

Emil CIORAN / Le livre des leurres (1936) / Œuvres / Quarto Gallimard 1995

« Les religions se sont fait un titre de gloire d’avoir prescrit de bannir l’orgueil sans se demander si, sans lui, l’homme avait encore un but quelconque dans la vie. Sans orgueil, il n’y a pas d’action, parce qu’il n’y a pas d’individualité. Qui est contre l’orgueil se déclare ennemi mortel de la vie. »

< p.255 >

Emil CIORAN / Aveux et anathèmes (1987) / Œuvres / Quarto Gallimard 1995

« Que nous puissions être blessés par ceux-là mêmes que nous méprisons discrédite l’orgueil. »

< p.1713 >

Emil CIORAN / Carnets 1957-1972 / nrf Gallimard 1997

« Supporter un rôle subalterne sans aigreur est beaucoup plus difficile que d’être un exclu, un réprouvé.

Cette dernière condition comporte de grandes satisfactions d’orgueil. Elle est une réussite à rebours. »

< 5 avril 1967 p.493 >

ORIGINALITÉ

Johann Wolfgang von GOETHE / Maximes et réflexions / Paris, Brokhauss et Avenarius 1842 [BnF]

« [...] la plus belle preuve d’originalité consiste à savoir donner à la pensée d’autrui de si riches développements qu’il n’eût été facile à personne de voir combien elle était féconde. »

< p.145 >

PARADOXE

341

Jean COCTEAU / Opium / Romans, Poésies, Œuvres diverses / La Pochothèque LdP 1995

« Je déteste l’originalité. Je l’évite le plus possible. Il faut employer une idée originale avec les plus grandes précautions pour n’avoir pas l’air de mettre un costume neuf. »

< p.648 >

Emil CIORAN / Carnets 1957-1972 / nrf Gallimard 1997

« Par peur d’être quelconque, j’ai fini par n’être rien. »

< p.113 >

« On n’imagine pas un Pascal voulant être "original".

La recherche de l’originalité est presque toujours la marque d’un esprit de second ordre. »

< p.138 >

PARADOXE

Diogène LAËRCE / Vies et doctrines des philosophes illustres / La Pochothèque LdP 1999

Thalès de Milet.

« À celui qui demandait qu’est-ce qui était venu en premier, la nuit ou le jour, [Thalès] dit : "La nuit, car elle est antérieure d’un jour". »

< I 36 Thalès p.89 >

Charles-Maurice de TALLEYRAND-PÉRIGORD / Album perdu [Ana] / Paris,? 1829 [BnF]

« En réfutant M. de T... [Talleyrand] dans la Convention, Mirabeau s’avisa de lui dire : "Je vais vous enfermer dans un cercle vicieux. — Comment, dit vivement celui-là, est-ce que vous auriez envie de m’embrasser?" »

< p.26 >

Friedrich NIETZSCHE / Humain, trop humain. (1878-1879) / Œuvres I / Robert Laffont - Bouquins 1990

« Quand les paradoxes sont à leur place.

Pour gagner des gens d’esprit à une proposition, il suffit parfois de la présenter sous la forme d’un paradoxe monstrueux. »

< 307 p.599 >

Rémy de GOURMONT / Épilogues (6) / Mercure de France 1921

« Il faut loger dans l’hôtellerie de son cerveau des idées contradictoires, et posséder assez d’intelligence désintéressée, assez de force ironique pour leur imposer la paix. Pourquoi un être ne serait-il pas à la fois raisonnable et sentimental, religieux et antireligieux, moral et antimoral? Il y a contradiction dans les mots, non dans les états, et les mots ne sont que des qualificatifs indigents, mais légers et commodes. »

< janvier 1911 p.245 >

Emil CIORAN / Le crépuscule des pensées (1940) / Œuvres / Quarto Gallimard 1995

« On ne peut expliquer un paradoxe, non plus qu’un éternuement. D’ailleurs, le paradoxe n’est-il pas un éternuement de l’esprit? »

< p.415 >

PARAPSYCHOLOGIE

CHAMFORT / Maximes et Pensées, Caractères et Anecdotes / Garnier-Flammarion 1968

« On disait à Delon, médecin mesmériste : Eh bien ! M. de B... est mort, malgré la promesse que vous aviez faite de le guérir. - Vous avez, dit-il, été absent, vous n’avez pas suivi les progrès de la cure : il est mort guéri." »

< 1119 p.299 >

342

PARESSE

Jules RENARD / Journal / Robert Laffont - Bouquins 1990

« Chiromancie. Quand on a l’index plus court que l’annulaire, on préfère la gloire à l’argent ; mais si l’on se suce l’index de façon à l’allonger, on a tout de même des chances de devenir riche. Un doigt effilé est signe d’imagination ; sucer donc votre doigt avec opiniâtreté. Un doigt carré est signe de raison : écrasez-vous donc le pouce, et nul n’osera vous contredire, etc., etc.

Graphologie : mettez les points sur les i, et votre esprit deviendra net. Paraphez en coup de sabre, et vous n’aurez plus peur. »

< 20 mars 1894 p.166 >

Léon DAUDET / Souvenirs / Robert Laffont - Bouquins 1992

« Le spiritisme m’est toujours apparu comme un état d’aberration, ou, si vous préférez, de semi-aberration en commun, ou il entre un tiers d’aveuglement spontané ou provoqué, un tiers de ruse et un tiers de sexualité confuse. C’est, à mon avis, un chapitre de la psychopathie et c’est aussi un jeu très dangereux, où le diable trouve son compte ; car il mène aisément soit à la folie déclarée, soit aux détraquements de tous genres.

Il y aurait un volume exact et pathétique à écrire sur les méfaits des tables tournantes chez ceux qui s’y adonnent. »

< p.131 >

Ambrose BIERCE / Le Dictionnaire du Diable (1911) / Éditions Rivages 1989

« Radiesthésiste n. Personne qui utilise une baguette divinatoire pour prospecter le métal précieux dans la poche d’un imbécile. »

< p.233 >

PARESSE

LA ROCHEFOUCAULD / Maximes / Garnier 1967

« C’est se tromper que de croire qu’il n’y ait que les violentes passions, comme l’ambition et l’amour, qui puissent triompher des autres. La paresse, toute languissante qu’elle est, ne laisse pas d’en être souvent la maîtresse ; elle usurpe sur tous les desseins et sur toutes les actions de la vie ; elle y détruit et y consume insensiblement les passions et les vertus. »

< M 266 p.68 >

« L’esprit s’attache par paresse et par constance à ce qui lui est facile ou agréable ; cette habitude met toujours des bornes à nos connaissances, et jamais personne ne s’est donné la peine d’étendre et de conduire son esprit aussi loin qu’il pourrait aller. »

< M 482 p.109 >

« De toutes les passions celle qui est la plus inconnue à nous-mêmes, c’est la paresse ; elle est la plus ardente et la plus maligne de toutes, quoique sa violence soit insensible, et que les dommages qu’elle cause soient très cachés ; si nous considérons attentivement son pouvoir, nous verrons qu’elle se rend en toutes rencontres maîtresse de nos sentiments, de nos intérêts et de nos plaisirs ; c’est la rémore qui a la force d’arrêter les plus grands vaisseaux, c’est une bonace plus dangereuse aux plus importantes affaires que les écueils, et que les plus grandes tempêtes ; le repos de la paresse est un charme secret de l’âme qui suspend soudainement les plus ardentes poursuites et les plus opiniâtres résolutions ; pour donner enfin la véritable idée de cette passion, il faut dire que la paresse est comme une béatitude de l’âme, qui console de toutes ses pertes, et qui lui tient lieu de tous les biens. »

< MS 54 p.147 >

MARIVAUX / Lettre sur la paresse (1740) / Journaux et Œuvres diverses / Classiques Garnier 1988

« Ah ! sainte paresse ! salutaire indolence ! si vous étiez restées mes gouvernantes, je n’aurais pas vraisemblablement écrit tant de néants plus ou moins spirituels, mais j’aurais eu plus de jours heureux que je n’ai eu d’instants supportables. Mon ami, le repos ne vous rend pas plus riche que vous ne l’êtes ; mais il ne vous rend pas plus pauvre : avec lui vous conservez ce que vous n’augmentez pas, encore ne sais-je pas si l’augmentation ne vient pas quelquefois récompenser la vertueuse insensibilité pour la fortune. »

< p.443 >

PARESSE

343

Eugène DELACROIX / Journal 1822-1863 / Plon 1980

« Chez la plupart des hommes, l’intelligence est un terrain qui demeure en friche presque toute la vie.

On a droit de s’étonner, en voyant la multitude de gens stupides ou au moins médiocres, qui ne semblent vivre que pour végéter, que Dieu ait donné à ses créatures la raison, la faculté d’imaginer, de comparer, de combiner, etc., pour produire si peu de fruits. La paresse, l’ignorance, la situation où le hasard les jette, changent presque tous les hommes en instruments passifs des circonstances. Nous ne connaissons jamais ce que nous pouvons obtenir de nous-mêmes. La paresse est sans doute le plus grand ennemi du développement de nos facultés. Le Connais-toi toi-même serait donc l’axiome fondamental de toute société, où chacun de ses membres ferait exactement son rôle et le remplirait dans toute son étendue. »

< 9 juin 1847 p.158 >

Roger ALEXANDRE / Le Musée de la Conversation / Paris, Émile Bouillon 1897 [BnF]

«

"Ah ! qu’il est doux

De ne rien faire,

Quand tout s’agite autour de nous !"

Galathée, opéra-comique en deux actes de MM. Jules Barbier et Michel Carré, musique de Victor Massé.

— Opéra-Comique, 14 avril 1852.

Refrain des couplets chantés au deuxième acte, scène Iere , par Ganymède, le nonchalant serviteur de Pyg-malion. »

< p.148 >

Friedrich NIETZSCHE / Humain, trop humain. (1878-1879) / Œuvres I / Robert Laffont - Bouquins 1990

« Ne pas faire valoir son droit. - Exercer la puissance coûte bien des peines et beaucoup de courage y est nécessaire. C’est pourquoi tant de gens ne font pas valoir leur bon droit, parce que ce droit est une sorte de puissance et qu’ils sont trop paresseux ou trop lâches pour l’exercer. Mansuétude et patience, ainsi nomme-t-on les vertus qui couvrent ce défaut. »

< 251 p.922 >

Jules RENARD / Journal / Robert Laffont - Bouquins 1990

« Le travail pense, la paresse songe. »

< 27 décembre 1887 p.12 >

« Pour nous punir de notre paresse, il y a, outre nos insuccès, les succès des autres. »

< 2 janvier 1898 p.359 >

« Il faut tout dire : le travail donne une satisfaction un peu béate. Il y a dans la paresse un état d’inquiétude qui n’est pas vulgaire, et auquel l’esprit doit peut-être ses plus fines trouvailles. »

< 1 octobre 1898 p.398 >

« La paresse a cela de mortel que, dès qu’on en triomphe, on la sent qui renaît. »

< 20 juin 1900 p.464 >

« Ecrire. Le plus difficile, c’est de prendre la plume, de la tremper dans l’encre et de la tenir ferme au-dessus du papier. »

< 17 novembre 1900 p.480 >

« Je connais bien ma paresse. Je pourrais écrire un traité sur elle, si ce n’était un si long travail. »

< 21 juillet 1902 p.605 >

« Paresse : habitude prise de se reposer avant la fatigue. »

< 22 mai 1906 p.831 >

344

PASCAL

ALAIN / Les idées et les âges / Les Passions et la Sagesse / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1960

« Le paresseux, à ce que je crois, n’est qu’un homme qui n’a point encore de poste, ou qui croit n’en pas avoir. Chose remarquable, c’est toujours parce qu’il sait ou croit qu’on ne compte point sur lui, qu’il ne se presse point. Supposez au contraire dans cet homme l’idée, vraie ou fausse, que nul ne saura le remplacer, vous le verrez aller. C’est donc trop peu dire que de dire que l’homme aime son travail. La prise du travail est bien plus sûre. Comme ces courroies et engrenages, qui vous happent par la manche, ainsi la grande machine ne demande point permission. C’est un fait remarquable, et que je crois sans exception, que l’homme qui règle lui-même son travail est celui qui travaille le plus, pourvu qu’il coopère, et que d’autres lui poussent sans cesse des pièces à finir. Aussi je crois que sous les noms de cupidité, d’avarice, ou d’ambition, on décrit souvent assez mal un sentiment vif d’un travail à continuer, d’une réputation à soutenir, enfin d’une certaine action que les autres ne feront pas aussi bien. Il est clair que l’écolier ne trouve pas de ces raisons d’agir ; pour une version mal faite rien ne manquera au monde. Voilà sans doute pourquoi c’est dans la partie la plus active, la plus remuante, la plus infatigable, qui est l’enfance, que l’on trouve le plus de paresseux. »

< p.104 >

Sacha GUITRY / Théâtre, je t’adore / Omnibus 1996

« [...] je me suis rendu compte que si je travaillais tout le temps comme je le fais, du matin au soir, souvent du soir au matin, et d’un bout de l’année à l’autre, c’était par paresse. Oui, je fais tout le temps quelque chose, parce que j’ai remarqué que, lorsqu’on faisait quelque chose, on ne faisait qu’une chose, ce qui n’est pas fatigant, tandis que, lorsqu’on ne fait rien pendant une minute ou deux, on pense alors à tout ce qu’on a à faire et qu’on ne fait pas — et ça, c’est éreintant ! »

< p.21 >

Emil CIORAN / Le crépuscule des pensées (1940) / Œuvres / Quarto Gallimard 1995

« La paresse est un scepticisme de la chair. »

< p.425 >

Emil CIORAN / Carnets 1957-1972 / nrf Gallimard 1997

« Tout ce que j’ai de bon vient de ma paresse ; sans elle, qui m’aurait empêché de mettre en application mes mauvais desseins? Elle m’a heureusement contenu dans les limites de la "vertu".

Tous nos vices viennent de l’excès d’activité, de cette propension à nous réaliser, à donner une apparence honorable à nos travers. »

< janvier 1960 p.48 >

Jacques DUTRONC / Pensées et répliques / Le cherche midi éditeur 2000

« L’avantage qu’il y a à entretenir une réputation de feignant, c’est que ça évite même la peine de faire semblant de travailler. »

< p.29 >

PASCAL

Rémy de GOURMONT / Promenades philosophiques (1) / Mercure de France 1931

« L’humilité de Pascal est orgueilleuse. N’avoir point d’orgueil, quand on a du génie, ce serait manquer de jugement, c’est-à-dire n’avoir pas de génie, ce qui est impossible. »

< p.118 >

Blaise PASCAL / Pensées / Œuvres complètes / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1954

« Les rivières sont des chemins qui marchent, et qui portent où l’on veut aller. »

< 45 p.1099 >

PASSION

345

Paul LÉAUTAUD / Journal littéraire / Mercure de France 1986

« Nous ne parlons guère de Pascal que pour nous gausser de la sottise de ses annotateurs. Par exemple, Ernest Havet sur : Les rivières sont des chemins qui marchent. "Oui, mais à condition qu’ils aillent où l’on veut aller.". »

< 8 mars 1902 I p.43 >

Rémy de GOURMONT / Épilogues (1) / Mercure de France 1921

« Si Pascal a laissé dans ses notes une pensée inachevée et, partant, obscure et même absurde, c’est celle-là que l’on choisira entre toutes et que l’on répétera jusqu’à satiété : "Les rivières sont des chemins qui marchent et qui portent où l’on veut aller". Il suffit de vouloir aller du Louvre à 1’Hôtel de Ville pour se convaincre que cette phrase est une sottise — que Pascal n’a jamais pensée ; elle faisait sans doute partie d’une période métaphorique qui alléguait les chemins de la grâce, — ou quelque vérité spirituelle. »

< 127 - décembre 1898 p.323 >

Emil CIORAN / Carnets 1957-1972 / nrf Gallimard 1997

« Ce qui fait l’intérêt des Pensées, c’est l’incompatibilité qui s’y exprime. Pascal était né pour dissoudre des vérités ; il s’employa à les consolider. Il n’intéresse plus que par ses contradictions, et par l’insoluble qui est au fond de sa foi, une foi qu’il s’est épuisé, tué à sauver. »

< 5 janvier 1971, p.896 >

PASSION

ÉRASME / Éloge de la Folie / Robert Laffont - Bouquins 1992

« D’abord, il est admis que toutes les passions relèvent de la folie. On distingue le fou du sage à ce signe que l’un est guidé par la passion, l’autre par la raison. Aussi les Stoïciens écartent-ils du sage toutes les passions comme autant de maladies ; pourtant ces passions non seulement servent de pilotes à ceux qui se pressent pour atteindre le port de sagesse, mais elles sont aussi là, dans la pratique de la vertu, comme des éperons, des aiguillons, pour encourager à faire le bien. Sénèque, deux fois stoïcien, va protester avec véhémence lui qui défend absolument au sage toute passion. Mais ce faisant, ce n’est plus un homme qu’il laisse subsister, il crée plutôt une espèce de dieu d’un genre nouveau, qui n’a jamais existé nulle part, et jamais n’existera. Pour parler plus clairement, il a fabriqué une statue de marbre à l’image de l’homme, stupide et parfaitement étrangère à tout sentiment humain. »

< p.35 >

Blaise PASCAL / Pensées / Œuvres complètes / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1954

« Quand notre passion nous porte à faire quelque chose, nous oublions notre devoir : comme on aime un livre, on le lit, lorsqu’on devrait faire autre chose. Mais, pour s’en souvenir, il faut se proposer de faire quelque chose qu’on hait ; et lors on s’excuse sur ce qu’on a autre chose à faire et on se souvient de son devoir par ce moyen. »

< 183 p.1134 >

Madame de la SABLIÈRE / Maximes chrétiennes / Moralistes du XVIIe siècle / Robert Laffont - Bouquins 1992

« Il est difficile de vaincre ses passions, mais il est impossible de les satisfaire. »

< 35 p.67 >

Charles de SAINT-ÉVREMOND / Œuvres mêlées (12) / Paris, C.Barbin 1693

« Tyrannie heureuse que celle des passions, qui font les plaisirs de notre vie ; fâcheux empire que celui de la raison, s’il nous ôte les sentiments agréables. »

< Maximes, XII, p.226 >

346

PASSION

Denis DIDEROT / Pensées philosophiques / Œuvres / t.I Philosophie / Robert Laffont - Bouquins 1994

« C’est le comble de la folie que de se proposer la ruine des passions. Le beau projet que celui d’un dévot qui se tourmente comme un forcené pour ne rien désirer, ne rien aimer, ne rien sentir, et qui finirait par devenir un vrai monstre, s’il réussissait ! »

< 5 p.20 >

CHAMFORT / Maximes et Pensées, Caractères et Anecdotes / Garnier-Flammarion 1968

« Le philosophe qui veut éteindre ses passions ressemble au chimiste qui voudrait éteindre son feu. »

< 73 p.65 >

« Le grand malheur des passions n’est pas dans les tourments qu’elles causent, mais dans les fautes, dans les turpitudes qu’elles font commettre, et qui dégradent l’homme. Sans ces inconvénients, elles auraient trop d’avantages sur la froide raison, qui ne rend point heureux. Les passions font vivre l’homme, la sagesse le fait seulement durer. »

< 118 p.76 >

Joseph JOUBERT / Carnets / nrf Gallimard 1938-1994

« Le talent a-t-il donc besoin de passions? Oui, il a besoin de beaucoup de passions réprimées. »

< 4 décembre 1801 t.1 p.432 >

« Les petits ont peu de passions, ils n’ont guères que des besoins. »

< 7 mars 1807 t.2 p.184 >

« La tendresse est le repos de la passion. »

< 30 décembre 1808 t.2 p.285 >

« La vue est enthousiaste. Les aveugles n’admirent rien. »

< 4 juin 1810 t.2 p.315 >

Emil CIORAN / De l’inconvénient d’être né (1973) / Œuvres / Quarto Gallimard 1995

« "Le talent a-t-il donc besoin de passions? Oui, de beaucoup de passions réprimées." (Joubert.) Il n’est pas un seul moraliste qu’on ne puisse convertir en précurseur de Freud. »

< p.1325 >

Johann Wolfgang von GOETHE / Maximes et réflexions / Paris, Brokhauss et Avenarius 1842 [BnF]

« Tout ce qui affranchit notre esprit sans nous donner les moyens de maîtriser nos passions est pernicieux. »

< p.17 >

Gustave FLAUBERT / Correspondance I / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1973

« La contemplation d’une existence rendue misérable par une passion violente, de quelque nature qu’elle soit, est toujours quelque chose d’instructif et de hautement moral. Ça rabaisse avec une ironie hurlante tant de passions banales et de manies vulgaires que l’on est satisfait en songeant que l’instrument humain peut vibrer jusque-là et monter à des tons si aigus. »

< À Louise Colet, 14 juillet 1847 p.462 >

Alphonse KARR / Sous les orangers / M. Lévy frères 1859

« J’en suis fâché pour les moralistes, mais on ne triomphe que des passions qu’on n’a pas ou de celles qu’on n’a plus. »

< p.103 >

Victor HUGO / Choses vues / Histoire / Œuvres complètes / Robert Laffont - Bouquins 1987

« Les verres d’eau ont les mêmes passions que les océans. »

< p.1260 >

PASSION

347

Émile BERGERAT / Les soirées de Calibangrève / Flammarion 1892 [BnF cote 8-Z-13067]

« Le vent qui éteint l’allumette déchaîne le brasier. »

< Cinquante pensées noires, p.111 >

Friedrich NIETZSCHE / Humain, trop humain. (1878-1879) / Œuvres I / Robert Laffont - Bouquins 1990

« La volonté a honte de l’intellect. - Nous faisons froidement les plans les plus raisonnables contre nos passions : mais nous commettons ensuite les plus graves fautes, parce que, souvent, au moment où le projet devrait être exécuté, nous avons honte de la froideur et de la circonspection que nous avons mises à le concevoir. On fait alors justement ce qui est déraisonnable, à cause de cette sorte de générosité bravache que toute passion amène avec elle. »

< 70 p.727 >

Anatole FRANCE / Le jardin d’Épicure (1894) / Calmann Lévy, Paris 1895 [BnF]

« L’attrait du danger est au fond de toutes les grandes passions. Il n’y a pas de volupté sans vertige. Le plaisir mêlé de peur enivre. »

< p.23 >

André GIDE / Journal 1889-1939 / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1951

« Le plaisir de corrompre est un de ceux qu’on a le moins étudié ; il en va de même de tout ce qu’on prend d’abord soin de flétrir. »

< 1 mai 1917 p.625 >

« Les jeunes gens que j’ai connus les plus fanatiques d’automobile étaient auparavant les moins curieux de voyages. Le plaisir n’est plus ici de voir du pays, ni même d’arriver vite dans tel lieu, où du reste plus rien n’attire ; mais bien précisément d’aller vite. Et que l’on goûte là des sensations aussi profondément inartistiques, anti-artistiques, que celles de l’alpinisme, il faut bien accorder qu’elles sont intenses et irréductibles ; l’époque qui les a connues en subira la conséquence ; c’est l’époque de l’impressionnisme, de la vision rapide et superficielle ; on devine quels seront ses dieux, ses autels ; à force d’irrespect, d’inconsidé-ration, d’inconséquence, elle y sacrifiera davantage encore, mais de manière inconsciente ou inavouée. »

< 1910 p.310 >

ALAIN / Mars ou la guerre jugée / Les Passions et la Sagesse / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1960

« Il faut que j’explique encore de plus près l’idée essentielle de ce livre, qui est que ce sont les passions, et non les intérêts, qui mènent le monde. Et je suis surtout disposé à y revenir lorsque je pense à ces descriptions si incomplètes de la nature humaine qui ont cours maintenant, d’après lesquelles toutes nos actions s’expliqueraient par un intérêt personnel plus ou moins dissimulé. Si l’on prend les choses ainsi, il y a un tel contraste entre l’homme de ces livres et l’homme des tranchées, que l’on veut imaginer quelque miracle surhumain, par où revient l’idée toujours si puissante de la guerre décrétée surhumainement, et par conséquent inévitable. C’est pourquoi je ne pourrais jamais expliquer trop longuement le mécanisme des passions et ses redoutables effets. Il faut d’abord que vous sachiez que le dernier secret de la chose est dans le Traité des Passions, de Descartes, et est assez caché, malgré l’apparence. »

< p.583 >

« Méditez sur ce mot d’un avocat : "Les intérêts transigent toujours ; les passions ne transigent jamais." On peut vivre en paix vingt ans et plus, dans ces conflits d’intérêts, comme l’expérience l’a fait voir ; on peut donc y vivre toujours ; tout se tasse ; tout s’arrange. Il ne faut pas espérer ici une espèce de code qui aurait tout prévu. Il y a des procès, et ruineux pour tous, non par l’insuffisance du code, mais par les passions ; et il y a d’heureux arrangements, plus avantageux que les procès, dès que les intérêts jouent seuls. Détournez donc votre regard de ce vain étalage juridique, dangereux surtout par la fausse sécurité qu’il vous donnerait.

Guettez les passions qui naissent, et que les tyrans conduisent si bien.

[...]

Pour moi j’ai toujours vu clair dans ces discours d’officiers et d’académiciens : "Cette jeunesse était lâche ; 348

PATIENCE

cette autre jeunesse vaut mieux." Songez aussi à cette littérature académicienne, qui, par des injures suivies à l’ennemi, allait à la même fin. Songez aux violences de la rue, et à ce chantage organisé par les royalistes.

Cette vague de guerre a passé sur vous, vous entraînant, vous portant vers la catastrophe. Et vous étiez toujours, vous en êtes peut-être encore à chercher quelque tribunal arbitral qui réglerait les différends entre nations. Mais comprenez donc que nul ne se battrait pour un différend entre nations, au lieu que n’importe quel homme se battra pour prouver qu’il n’est pas un lâche. »

< p.588-589 >

ALAIN / Propos I / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1956

« Les grands esprits ne s’occupent qu’à vaincre les difficultés qui leur sont propres, et qu’ils trouvent dans le pli de leur humeur. Et seuls, par cela même, ils sont de bon secours. J’ai à sauver une certaine manière d’aimer, de haïr, de désirer, tout à fait animale, et qui m’est aussi adhérente que la couleur de mes yeux. J’ai à la sauver, non pas à la tuer. Dans l’avarice, qui est la moins généreuse des passions, il y a l’esprit d’ordre, qui est universel ; il y a le respect du travail, qui est universel ; la haine des heures perdues et des folles prodigalités, qui est universelle. Ces pensées, car ce sont des pensées, sauveront très bien l’avare s’il ose seulement être lui-même, et savoir ce qu’il veut. Autant à dire de l’ambitieux, s’il est vraiment ambitieux ; car il voudra une louange qui vaille, et ainsi honorera l’esprit libre, les différences, les résistances. Et l’amour ne cesse de se sauver par aimer encore mieux ce qu’il aime. D’où Descartes disait qu’il n’y a point de passions dont on ne puisse faire bon usage. »

< 15 avril 1930 p.928 >

PATIENCE

Jean de LA FONTAINE / Fables / La Pochothèque LdP 2000

« Patience et longueur de temps

Font plus que force ni que rage. »

< Livre deuxième XI Le lion et le rat p.115 >

Jean de LA BRUYÈRE / Les Caractères / Œuvres / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1951

« Il n’y a point de chemin trop long à qui marche lentement et sans se presser ; il n’y a point d’avantages trop éloignés à qui s’y prépare par la patience. »

< p.377 XIII (108) >

Paul Henri Dietrich baron d’HOLBACH / La Morale universelle (I) / Amsterdam M.-M. Rey 1776

[BnF cote 1070]

« Celui qui est privé de patience, est un homme faible, dont le bien-être dépend de quiconque veut le tourmenter. »

< II xiii p.198 >

Joseph JOUBERT / Carnets / nrf Gallimard 1938-1994

« Souviens-toi de cuver ton encre. »

< 22 août 1797 t.1 p.226 >

Friedrich NIETZSCHE / Humain, trop humain. (1878-1879) / Œuvres I / Robert Laffont - Bouquins 1990

« La passion ne veut pas attendre ; le tragique dans la vie des grands hommes réside souvent non pas dans leur conflit avec leur époque et la bassesse de leurs contemporains, mais dans leur incapacité de remettre leur œuvre d’une année, de deux années ; ils ne savent pas attendre. »

< 61 p.480 >

Paul VALÉRY / Cahiers I / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1973

« Après quelques assauts infructueux, ne renonce pas, n’insiste non plus. Mais garde ce problème dans les caves de ton esprit où il s’améliore. Changez tous les deux. »

< Les Cahiers p.7 >

PATRIE

349

Pierre DAC / Les Pensées / Le cherche midi éditeur 1972

« Il faut une infinie patience pour attendre toujours ce qui n’arrive jamais. »

< p.35 >

« Tout vient à point à qui sait bien attendre ce qui l’attend au tournant et qui lui pend au nez sans savoir d’où ça vient. »

< p.155 >

Emil CIORAN / Carnets 1957-1972 / nrf Gallimard 1997

« S’armer de patience, combien l’expression est juste ! La patience est effectivement une arme, et qui s’en munit, rien ne saurait l’abattre. C’est la vertu qui me fait le plus défaut. Sans elle, on est automatiquement livré au caprice ou au désespoir. »

< p.206 >

PATRIE

Paul Henri Dietrich baron d’HOLBACH / La Morale universelle (II) / Amsterdam M.-M. Rey 1776

« Celui qui n’a rien que ses bras, n’a point à proprement parler de patrie, il est bien partout où il trouve les moyens de subsister ; au lieu que l’homme opulent peut être utile à bien des gens, est en état d’assister sa patrie, au destin de laquelle il se trouve intimement uni par ses possessions, dont la conservation dépend de celle de la société. Tandis qu’au siège de Corinthe les habitants s’empressaient à repousser l’ennemi par toutes sortes de moyens, Diogène, pour se moquer de leurs embarras, s’amusait follement à remuer son tonneau. »

< IV viii p.202 >

Victor HUGO / Choses vues / Histoire / Œuvres complètes / Robert Laffont - Bouquins 1987

« Ne soyons plus anglais ni français ni allemands. Soyons européens. Ne soyons plus européens, soyons hommes. — Soyons l’humanité.

Il nous reste à abdiquer un dernier égoïsme : la patrie. »

< p.1313 >

Gustave FLAUBERT / Correspondance I / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1973

« Je ne suis pas plus moderne qu’ancien, pas plus Français que Chinois, et l’idée de la patrie c’est-à-dire l’obligation où l’on est de vivre sur un coin de terre marqué en rouge ou en bleu sur la carte et de détester les autres coins en vert ou en noir m’a paru toujours étroite, bornée et d’une stupidité féroce. »

< À Louise Colet, 26 août 1946 p.314 >

Ernest RENAN / L’Avenir de la science, Pensées de 1848 (1890) / GF 765 Flammarion 1995

« La perfection de l’humanité ne sera pas l’extinction, mais l’harmonie des nationalités : les nationalités vont bien plutôt se fortifiant que s’affaiblissant ; détruire une nationalité, c’est détruire un son dans l’humanité. »

< p.340 >

« [...] l’homme du peuple est bien plus sensible à la gloire patriotique que l’homme plus réfléchi, qui a une individualité prononcée. Celui-ci peut se relever par lui-même, par ses talents, ses titres, ses richesses.

L’homme du peuple, au contraire, qui n’a rien de tout cela, s’attribue comme un patrimoine la gloire nationale et s’identifie avec la masse qui a fait ces grandes choses. C’est son bien, son titre de noblesse, à lui. Là est le secret de cette puissante adoption de Napoléon par le peuple. La gloire de Napoléon est la gloire de ceux qui n’en ont pas d’autres. »

< note 97 p.508 >

350

PENSÉES

Jules RENARD / Journal / Robert Laffont - Bouquins 1990

« Croire au village, c’est donner une limite à sa vie ; c’est lui croire un sens, et elle n’en a pas. C’est un peu sot de s’imaginer que nous avons une raison d’être là plutôt qu’ailleurs. Continuer nos pères, pour quoi faire? Ils ne savaient pas. La feuille a une attache qui lui suffit. Le cerveau est nomade. Pas de petite patrie.

Une fuite résignée. Être n’importe où, ne jamais consentir à se fixer comme si un point dans l’univers nous était réservé. N’ayons pas d’orgueil ! Au premier éclair de lucidité nous verrions que nous sommes dupes, et nous serions pleins de pitié pour nous mêmes.

Livrons-nous à l’universelle loi d’éparpillement.

Ne pas être un homme qui regarde son village avec une loupe.

Rappelons-nous que ce monde n’a aucun sens. »

< 3 novembre 1906 p.854 >

Paul LÉAUTAUD / Passe-temps / Œuvres / Mercure de France 1988

« Vous êtes nés dans ce pays et vous en êtes fier et vous lui êtes attaché. Vous seriez né dans un autre pays, vous en seriez tout aussi fier et vous lui seriez attaché de même. Mieux, même : né ici, on vous aurait aussitôt transporté dans un autre pays où vous auriez été élevé et auriez grandi ? Vous seriez de ce pays et c’est de lui que vous seriez fier et ce pays auquel vous seriez attaché. Supposez que les bruns se mettent à être fiers d’être bruns, avec une idée de prévalence, — et qui dit prévalence dit bientôt rivalité, — sur les blonds ou vice versa ? Vous voyez si vous êtes comique avec votre orgueil national et votre patriotisme : vous avez eu autant de part à être de ce pays plutôt que d’un autre, que les bruns à être bruns et les blonds à être blonds. »

< p.253-254 >

Ambrose BIERCE / Le Dictionnaire du Diable (1911) / Éditions Rivages 1989

« Patriotisme n. Matériau combustible susceptible de servir de torche à quiconque ambitionne d’illuminer son nom.

Dans le célèbre dictionnaire du Dr. Johnson, le patriotisme est défini comme le dernier recours du scélérat.

Avec tout le respect dû à un brillant quoique inférieur lexicographe, je me permets d’affirmer que c’est le premier. »

< p.207 >

Georges DARIEN / La Belle France (1900) / Voleurs ! / Omnibus Presses de la Cité 1994

« Le patriotisme n’est pas seulement le dernier refuge des coquins ; c’est aussi le premier piédestal des naïfs et le reposoir favori des imbéciles. »

< p.1178 >

Jean COCTEAU / Journal (1942-1945) / Gallimard 1989

« Une patrie c’est la rencontre d’hommes qui se trouvent instantanément au même niveau. »

< 12 mars 1942, p.31 >

Emil CIORAN / Écartèlement (1979) / Œuvres / Quarto Gallimard 1995

« Un homme qui se respecte n’a pas de patrie. Une patrie, c’est de la glu. »

< p.1456 >

Emil CIORAN / Aveux et anathèmes (1987) / Œuvres / Quarto Gallimard 1995

« On n’habite pas un pays, on habite une langue. Une patrie, c’est cela et rien d’autre. »

< p.1651 >

PENSÉES

Antoine de RIVAROL / Esprit de Rivarol [œuvres diverses] / Paris 1808 [BnF cote Z-24383]

« Le mérite des formes et la façon est si considérable, que l’abbé S.*** ayant dit à quelqu’un de ma connaissance : permettez que je vous dise ma façon de penser, celui-ci lui répondit fort à propos : dites-moi tout uniment votre pensée, et épargnez-moi la façon. »

< Anecdotes et bons mots p.157 >

PENSÉES

351

Charles-Maurice de TALLEYRAND-PÉRIGORD / La confession de Talleyrand [Ana] / Paris, L.Sauvaitre 1891 [BnF]

« La parole a été donnée à l’homme pour déguiser sa pensée. »

< p.18 >

Madame de LAMBERT / Avis d’une mère à son fils / Œuvres complètes / Paris L.Collin 1808 [BnF]

« S’il ne faut pas toujours dire ce que l’on pense, il faut toujours penser ce que l’on dit. »

< p.21 >

Joseph JOUBERT / Carnets / nrf Gallimard 1938-1994

« À les entendre, on croirait que rien n’est si aisé que de dire ce qu’on pense, et il n’est pas même aisé de le savoir au juste. »

< 3 septembre 1800 t.1 p.391 >

« Il y a, pour l’observateur et le connoisseur, des mots et des pensées remarquables partout, dans les conversations des sots, dans les écrits les plus médiocres, etc. Cela est en circulation comme les pièces d’or, dont tout le monde fait usage et dont personne ou presque personne ne remarque l’éclat, la valeur intrinsèque et la beauté.

On peut faire de ces monnoyes des bijoux ; mais qui saura le mettre en œuvre? »

< 11 mai 1812 t.2 p.352 >

Ernest RENAN / L’Avenir de la science, Pensées de 1848 (1890) / GF 765 Flammarion 1995

« La liberté de penser est imprescriptible : si vous barrez à l’homme les vastes horizons, il s’en vengera par la subtilité : si vous lui imposez un texte, il y échappera par le contresens. Le contresens, aux époques d’autorité, est la revanche que prend l’esprit humain sur la chaîne qu’on lui impose ; c’est la protestation contre le texte. Ce texte est infaillible ; à la bonne heure. Mais il est diversement interprétable, et là recommence la diversité, simulacre de liberté dont on se contente à défaut d’autre. Sous le régime d’Aristote, comme sous celui de la Bible, on a pu penser presque aussi librement que de nos jours, mais à la condition de prouver que telle pensée était réellement dans Aristote ou dans la Bible, ce qui ne faisait jamais grande difficulté.

Le Talmud, la Massore, la Cabale sont les produits étranges de ce que peut l’esprit humain enchaîné sur un texte. On en compte les lettres, les mots, les syllabes, on s’attache aux sons matériels bien plus qu’au sens, on multiplie à l’infini les subtilités exégétiques, les modes d’interprétation, comme l’affamé, qui, après avoir mangé son pain, en recueille les miettes. Tous les commentaires des livres sacrés se ressemblent, depuis ceux de Manou jusqu’à ceux de la Bible, jusqu’à ceux du Coran. Tous sont la protestation de l’esprit humain contre la lettre asservissante, un effort malheureux pour féconder un champ infécond. Quand l’esprit ne trouve pas un objet proportionné à son activité, il s’en crée un par mille tours de force. »

< p.124 >

Friedrich NIETZSCHE / Le Gai Savoir. (1882-1887) / Œuvres II / Robert Laffont - Bouquins 1990

« Danger dans la voix. — Avec une voix forte dans la gorge on est presque incapable de penser des choses subtiles. »

< 216 p.155 >

Léon BLOY / Exégèse des lieux communs / Mercure de France 1968

« Les pensées de derrière la tête.

On dit qu’un homme a des pensées de derrière la tête quand il ne dit pas tout ce qu’il pense ou tout ce qu’il veut. C’est un cas très ordinaire et rien d’exceptionnel n’est signifié par cette expression. Celui qui dirait tout ce qu’il pense et déclarerait toutes ses intentions n’aurait que des pensées de devant la tête, des pensées de façade, si on peut dire et serait une sorte de monstre. Sa tête ressemblerait à une maison impossible, sans hauteur ni profondeur, sans toit, sans cave, sans escalier, sans propriétaire, où on ne pourrait s’étendre pour dormir qu’en mettant ses pieds et même ses jambes hors de la fenêtre, au scandale des personnes élégantes ou raisonnables qui passeraient dans la rue. On ne peut imaginer rien de plus absurde. En supposant qu’une telle demeure parût habitable à des malheureux accoutumés à l’étalage de leur misère, comment des gens dignes d’estime, n’ayant rien à se reprocher, pourraient-ils supporter de s’offrir en spectacle à tous ceux 352

PENSÉES

qui seraient tentés de regarder dans leur intérieur?

Un homme qui a des pensées de derrière la tête, au contraire, est simplement un individu sensé, habitant une maison bien aménagée, pourvue, par conséquent, d’un endroit retiré où il lui soit loisible de penser en sécurité, et d’un autre endroit, peu éloigné du premier, où il puisse obéir à certains appels de la nature, sans que personne en soit informé. L’idéal serait qu’il n’y eût qu’un seul endroit pour les deux fonctions qui paraissent avoir, dans ce cas, une mystérieuse et profonde conformité. Les spéculateurs et les sociologues me comprendront ! »

< p.230-231 >

Paul VALÉRY / Mélange (1939) / Œuvres I / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1957

« Parler avec soi-même...

Ce n’est pas toujours amusant :

Rendre la conversation amusante,

intéressante, instructive, imprévue,

avec soi-même,

c’est se faire — penseur... »

< p.310 >

Paul VALÉRY / Cahiers I / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1973

« Savoir penser, c’est savoir tirer du hasard les ressources qu’il implique en nous. »

< Gladiator p.351 >

ALAIN / Propos I / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1956

« Les grandes pensées ont quelque chose d’enfantin, qui fait que les beaux esprits passeront toujours à côté sans les voir. »

< 20 mai 1922 p.405 >

« Rien n’étonne plus qu’une objection ; dès qu’on ne l’a pas prévue, on se trouve sot. Il faudrait oser beaucoup, mais sans aucune prétention ; c’est difficile ; car la modestie ne commence rien. Qui n’est pas un petit Descartes, qui ne compte pas sur ses propres lumières, est un penseur faible ; mais qui se lance d’après ses propres lumières est bientôt un penseur ridicule. »

< 10 février 1931 p.991 >

André GIDE / Journal 1889-1939 / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1951

« Le nombre augmente... des choses que je me permets de penser, que je me permets un peu moins de dire, et que je ne permets aux autres de dire pas du tout. Par exemple : que le commencement de Madame Bovary est fort mal écrit. »

< 15 avril 1906 p.208 >

« Ne pas se forcer à penser ; mais noter aussitôt chaque pensée qui se propose. »

< 5 novembre 1928 p.892 >

Rémy de GOURMONT / Promenades philosophiques (1) / Mercure de France 1931

« On ne pense pas sans mots, et cependant les mots trahissent la pensée. Toute expression verbale d’un fait concret devient de la métaphysique. »

< p.169 >

Emil CIORAN / Carnets 1957-1972 / nrf Gallimard 1997

« Les penseurs de première main méditent sur des choses ; les autres, sur des problèmes. Il faut vivre face à l’être, non à l’esprit. »

< 1 juillet 1962 p.96 >

Georges PERROS / En vue d’un éloge de la paresse - Lettre préface / Le Passeur 1995

« L’homme pense seul et ne trouve de raisons de penser que par les autres. »

< p.19 >

PERCEPTION

353

« Prêter aux autres des pensées de l’arrière, pensées qu’ils feront connaître à tous, sauf au principal intéressé, les éléments qui les composent le concernant, et, avoir la bêtise ou le courage de leur dévoiler ce qu’ils croyaient si bien caché, s’attirant un : "Tu es fou. Qu’est-ce que tu vas chercher. Quel compliqué tu fais !", ce courage ou cette bêtise les déçoit cruellement sur notre compte. On leur retire "l’inconnaissable absolu", et ils ne vous pardonneront pas de leur avoir ôté le droit et le plaisir de nous croire leur ami. »

< p.54 >

André FROSSARD / Les Pensées / Le cherche midi éditeur 1994

« Qu’est-ce qu’un penseur ? Un homme qui se pose encore des questions quand les autres ne s’en posent plus. »

< p.154 >

Claude Michel CLUNY / Le silence de Delphes - journal littéraire 1948-1962 / SNELA La Différence 2002

« Penser : la meilleure manière de ce taire. »

< 1960 p.170 >

PERCEPTION

François JACOB / Le jeu des possibles / Fayard 1981

« Pour chaque espèce, le monde extérieur tel qu’il est perçu dépend à la fois des organes des sens et de la manière dont le cerveau intègre événements sensoriels et moteurs. Même lorsque des espèces différentes perçoivent une même gamme de stimulus, leur cerveau peut être organisé pour sélectionner des particula-rités différentes. L’environnement tel qu’il est perçu par des espèces différentes peut, selon la manière dont est traitée l’information, diverger aussi radicalement que si les stimulus reçus venaient de mondes différents. Nous-mêmes, nous sommes si étroitement enfermés dans la représentation du monde imposée par notre équipement sensoriel et nerveux, qu’il nous est difficile de concevoir la possibilité de voir ce monde de manière différente. Nous imaginons mal le monde d’une mouche, d’un ver de terre ou d’une mouette.

Quelle que soit la manière dont un organisme explore son milieu, la perception qu’il en tire doit nécessairement refléter la "réalité" ou, plus spécifiquement, les aspects de la réalité qui sont directement liés à son comportement. Si l’image que se forme un oiseau des insectes qu’il doit apporter en nourriture à ses petits ne reflétait pas certains aspects au moins de la réalité, il n’y aurait plus de petits. Si la représentation que se fait le singe de la branche sur laquelle il veut sauter n’avait rien à voir avec la réalité, il n’y aurait plus de singe. Et s’il n’en était pas de même pour nous, nous ne serions pas ici pour en discuter. Percevoir certains aspects de la réalité est une exigence biologique. »

< p.109-110 >

PERFECTION

LA BEAUMELLE / Mes pensées ou Le qu’en dira-t-on (1752) / Droz 1997

« Les politiques, les moralistes, les théologiens ont ceci de commun, qu’ils se proposent de conduire l’homme à la perfection, et qu’ils seraient bien fâchés qu’il y arrivât. »

< CCI p.115 >

Joseph JOUBERT / Carnets / nrf Gallimard 1938-1994

« La perfection se compose de minuties. Le ridicule est de les mettre hors de leur place et n’est pas de les employer. »

< 1 avril 1797 t.1 p.207 >

Eugène DELACROIX / Journal 1822-1863 / Plon 1980

« — Mais quand une chose t’ennuiera, ne la fais pas. Ne cours pas après une vaine perfection. Il est certains défauts pour le vulgaire qui donnent souvent la vie. »

< 7 mai 1824, p.77 >

354

PERSÉVÉRANCE

Gustave FLAUBERT / Correspondance I / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1973

« À mesure que j’avance, je perds en verve, en originalité ce que j’acquiers peut-être en critique et en goût.

J’arriverai, j’en ai peur, à ne plus oser écrire une ligne. La passion de la perfection vous fait détester même ce qui en approche. »

< À Louise Colet, 17 septembre 1846 p.346 >

Paul VALÉRY / Cahiers I / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1973

« La perfection. L’atteindre, c’est enfin connaître l’excellence par l’impuissance. »

< Ego p.229 >

Antoine de SAINT-EXUPÉRY / Terre des hommes / Œuvres / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1959

« Il semble que la perfection soit atteinte non quand il n’y a plus rien à ajouter, mais quand il n’y a plus rien à retrancher. »

< III p.170 >

Emil CIORAN / Carnets 1957-1972 / nrf Gallimard 1997

« Rien ne stérilise tant un écrivain que la poursuite de la perfection. Pour produire, il faut se laisser aller à sa nature, s’abandonner, écouter ses voix..., éliminer la censure de l’ironie ou du bon goût... »

< janvier 1960 p.48 >

PERSÉVÉRANCE

Jean de LA BRUYÈRE / Les Caractères / Œuvres / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1951

« La plupart des hommes, pour arriver à leurs fins, sont plus capables d’un grand effort que d’une longue persévérance : leur paresse ou leur inconstance leur fait perdre le fruit des meilleurs commencements ; ils se laissent souvent devancer par d’autres qui sont partis après eux et qui marchent lentement, mais constamment. »

< p.336 XII (137) >

CHAMFORT / Maximes et Pensées, Caractères et Anecdotes / Garnier-Flammarion 1968

« Une femme avait un procès au Parlement de Dijon. Elle vint à Paris, sollicita M. le garde des Sceaux (1784) de vouloir bien écrire, en sa faveur, un mot qui lui faisait gagner un procès très juste ; le garde des Sceaux la refusa. La comtesse de Talleyrand prenait intérêt à cette femme ; elle en parla au garde des Sceaux : nouveau refus. Mme de Talleyrand en fit parler par la reine : autre refus. Mme de Talleyrand se souvint que le garde des Sceaux caressait beaucoup l’abbé de Périgord, son fils. Elle fit écrire par lui : refus très bien tourné. Cette femme désespérée résolut de faire une tentative, et d’aller à Versailles. Le lendemain, elle part ; l’incommodité de la voiture publique l’engage à descendre à Sèvres et à faire le reste de la route à pied. Un homme lui offre de la mener par un chemin plus agréable et qui abrège. Elle accepte, et lui conte son histoire. Cet homme lui dit : "Vous aurez demain ce que vous demandez." Elle va chez le garde des Sceaux, est refusée encore, veut partir. L’homme l’engage à coucher à Versailles, et, le lendemain matin, lui apporte le papier qu’elle demandait. C’était un commis d’un commis, nommé M. Etienne. »

< 716 p.212 >

Joseph JOUBERT / Carnets / nrf Gallimard 1938-1994

« On est ferme par principes, on est têtu par caractère ou plutôt par tempérament. Le têtu est celui dont les organes, quand ils ont une fois pris un pli, n’en peuvent plus ou n’en peuvent de longtemps reprendre un autre. »

< 21 juin 1797 t.1 p.219 >

PET

355

Friedrich NIETZSCHE / Humain, trop humain. (1878-1879) / Œuvres I / Robert Laffont - Bouquins 1990

« Qu’est-ce "être obstiné" ? - Le chemin le plus court n’est pas le plus droit, mais celui sur lequel le vent le plus favorable gonfle notre voile : c’est ce qu’enseignent les règles de la navigation. Ne pas leur obéir, c’est être obstiné : la fermeté de caractère est ici gâtée par la bêtise. »

< 59 p.858 >

Edmond et Jules de GONCOURT / Journal (t.2) / Robert Laffont - Bouquins 1989

« Un mot qui court sur Paul Bert, le ministre de l’Instruction publique : "on dit que c’est un homme qui change à tout moment d’idée fixe." »

< 27 mai 1884 p.1078 >

Ambrose BIERCE / Le Dictionnaire du Diable (1911) / Éditions Rivages 1989

« Persévérance n. Humble vertu qui permet aux médiocres de parvenir à un succès peu glorieux. »

< p.209 >

Paul VALÉRY / Tel Quel / Œuvres II / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1960

« Une chose réussie est une transformation d’une chose manquée.

Donc une chose manquée n’est manquée que par abandon. »

< p.553 >

Paul WATZLAWICK / Faites vous-même votre malheur / Seuil 1984

« Cette formule apparemment toute bête : "il suffit d’insister", est l’une des recettes les plus assurément désastreuses mises au point sur notre planète sur des centaines de millions d’années. Elle a conduit des espèces entières à l’extinction. C’est une forme de jeu avec le passé que nos ancêtres les animaux connaissaient déjà avant le sixième jour de la création.

[...]

La nécessité vitale de l’adaptation fait apparaître des comportements spécifiques dont le but dans l’idéal, est de permettre la meilleure survie possible sans souffrance inutile. Pour des raisons encore mal élucidées, l’homme, comme les animaux, a tendance à considérer ces solutions comme définitives, valides à tout jamais. Cette naïveté sert seulement à nous aveugler sur le fait que ces solutions sont au contraire destinées à devenir de plus en plus anachroniques. Elle nous empêche de nous rendre compte qu’il existe - et qu’il a sans doute toujours existé - un certain nombre d’autres solutions possibles, envisageables, voire carrément préférables. Ce double aveuglement produit un double effet. D’abord, il rend la solution en vigueur de plus en plus inutile et par voie de conséquence la situation de plus en plus désespérée. Ensuite, l’inconfort croissant qui en résulte, joint à la certitude inébranlable qu’il n’existe nulle autre solution, ne peut conduire qu’à une conclusion et une seule : il faut insister. Ce faisant, on ne peut que s’enfoncer dans le malheur. »

< p.28-29 >

PET

Diogène LAËRCE / Vies et doctrines des philosophes illustres / La Pochothèque LdP 1999

« Métroclès, frère d’Hipparchia, qui avait été tout d’abord l’auditeur du Péripatéticien Théophraste, avait été si bien gâté qu’un jour où, au milieu d’un exercice oratoire, il avait lâché un pet, il resta enfermé chez lui, découragé, bien décidé à se laisser mourir de faim. Lorsqu’il appris la chose, Cratès, qu’on avait sollicité, se rendit chez lui et, après avoir à dessein mangé des lupins, le persuada, arguments à l’appui, qu’il n’avait rien fait de mal. C’eût été en effet un prodige que les gaz ne fussent pas eux aussi rejetés de façon naturelle.

Finalement Cratès se mit à lâcher des pets et réconforta Métroclès, en le consolant grâce à l’imitation de ses actes. De ce jour, Métroclès fut son auditeur et devint un homme apte à la philosophie. »

< VI 94 Métroclès p.759 >

356

PEUR

Michel de MONTAIGNE / Essais / Garnier 1962

« Et ce que, pour autorizer la toute puissance de nostre volonté, Sainct Augustin allegue avoir veu quelqu’un qui commandoit à son derriere autant de pets qu’il en vouloit, et que Vivès, son glossateur, encherit d’un autre exemple de son temps, de pets organisez suivant le ton des vers qu’on leur prononçoit, ne suppose non plus pure l’obeissance de ce membre ; car en est il ordinairement de plus indiscret et tumultuaire. Joint que j’en sçay un si turbulent et revesche, qu’il y a quarante ans qu’il tient son maistre à peter d’une haleine et d’une obligation constante et irremittente, et le menne ainsin à la mort. »

< t.1 p.106 livre I chap.XXI >

Lorédan LARCHEY / L’Esprit de tout le monde - Joueurs de mots (1891) / Berger-Levrault 1892

« Lorsque Henri IV fit donner un banquet à Paris au connétable de Castille et à sa suite, chaque Espagnol avait à table un Français en face de lui. Le vis-à-vis du maréchal de Roquelaure rotait constamment, et répétait chaque fois, par civilité : La sanita del cuerpo, señor mareschal.

Impatienté, Roquelaure prend son temps et, lui tournant le dos, riposte bruyamment du bas, avec ces mots : La sanita del culo, señor Español. »

< p.33 >

Jean COCTEAU / Journal (1942-1945) / Gallimard 1989

« L’autre soir à table Marie de Chambrun lâche un pet. Chambrun : "Vous parlez encore pour ne rien dire !" »

< Mercredi 1er avril 1942, p.65 >

PEUR

PLUTARQUE / Les Vies des hommes illustres I / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1951

« Ce néanmoins, c’est faute de bon sens et de bon cœur à un homme, de n’oser acquérir les choses qui sont nécessaires pour crainte de les perdre, parce qu’à ce compte il n’aurait cher ni l’honneur, ni les biens, ni la science, quand il les posséderait, de peur d’en être privé : car nous voyons que la vertu même, qui est la plus grande et la plus douce richesse que l’homme saurait acquérir, se perd bien quelquefois par maladie, ou par quelques médecines ou breuvages ; »

< Vie de Solon, X p.177 >

Michel de MONTAIGNE / Essais / Garnier 1962

« Cecy seulement. Pyrrho le Philosophe, se trouvant un jour de grande tourmente dans un batteau, montroit ceux qu’il voyoit les plus effrayez autour de luy, et les encourageoit par l’exemple d’un pourceau, qui y estoit, nullement soucieux de cet orage. Oserons-nous donc dire que cet avantage de la raison, dequoy nous faisons tant de feste, et pour le respect duquel nous nous tenons maistres et empereurs du reste des creatures, ait esté mis en nous pour nostre tourment ? A quoy faire la cognoissance des choses, si nous en perdons le repos et la tranquillité, où nous serions sans cela, et si elle nous rend de pire condition que le pourceau de Pyrrho ? L’intelligence qui nous a esté donnée pour nostre plus grand bien, l’employerons-nous à nostre ruine, combatans le dessein de nature, et l’universel ordre des choses, qui porte que chacun use de ses utils et moyens pour sa commodité? »

< t.1 p.51 livre I chap.XIV >

Pierre-Augustin Caron de BEAUMARCHAIS / Le Barbier de Séville (1775) / Œuvres complètes /

Firmin-Didot 1865

« Quand on cède à la peur du mal, on ressent déjà le mal de la peur. »

< Acte II scène ii p.84 >

Joseph JOUBERT / Carnets / nrf Gallimard 1938-1994

« La crainte est un sentiment. La prévoyance est une opération de l’esprit. Prévoir les maux, ce n’est pas craindre. »

< 31 décembre 1794 t.1 p.163 >

PEUR

357

JEAN-PAUL / Pensées de Jean-Paul / Paris, Firmin Didot 1829 [BnF]

« Le timide a peur avant le danger, le lâche au milieu du danger, le courageux après le danger. »

< p.25 >

Jules RENARD / Journal / Robert Laffont - Bouquins 1990

« Il y a le peureux qui regarde sous son lit, et le peureux qui n’ose même pas regarder sous son lit. »

< 31 août 1901 p.536 >

ALAIN / 81 chapitres sur l’esprit et les passions / Les Passions et la Sagesse / Bibliothèque de la Pléiade

/ nrf Gallimard 1960

« Il n’y a point d’autre peur, à bien regarder, que la peur de la peur. Chacun a pu remarquer que l’action dissipe la peur, et que la vue d’un danger bien clair la calme souvent ; au lieu qu’en l’absence de perceptions claires, la peur se nourrit d’elle-même, comme le font bien voir ces peurs sans mesure à l’approche d’un discours public ou d’un examen. »

< p.1210 >

« On a assez remarqué que la peur est plus grande de loin, et diminue quand on approche. Et ce n’est point parce qu’on imagine le danger plus redoutable qu’il n’est ; ce n’est pas pour cela, car à l’approche d’un danger véritable on se reprend encore. C’est proprement l’imagination qui fait peur, par l’instabilité des objets imaginaires, par les mouvements précipités et interrompus qui sont l’effet et en même temps la cause de ces apparences, enfin par une impuissance d’agir qui tient moins à la puissance de l’objet qu’aux faibles prises qu’il nous offre. Nul n’est brave contre les fantômes. Aussi le brave va-t-il à la chose réelle avec une sorte d’allégresse, non sans retour de peur, jusqu’au moment où l’action difficile, jointe à la perception exacte, le délivre tout à fait. On dit quelquefois qu’alors il donne sa vie ; mais il faut bien l’entendre ; il se donne non à la mort, mais à l’action. »

< p.1222 >

Emil CIORAN / Le livre des leurres (1936) / Œuvres / Quarto Gallimard 1995

« Avoir peur de Dieu, de la mort, de la maladie, de soi-même, n’explique en rien le phénomène de peur. La peur étant primordiale, elle peut être présente aussi sans ces "objets". Le néant est-il une cause d’angoisse?

Au contraire ; l’angoisse est plus vraisemblablement la cause du néant. L’angoisse est génératrice de ses objets, elle donne naissance à ses "causes". Aussi l’angoisse est-elle en soi sans mobile. »

< p.265 >

Emil CIORAN / De l’inconvénient d’être né (1973) / Œuvres / Quarto Gallimard 1995

« Dès que les animaux n’ont plus besoin d’avoir peur les uns des autres, ils tombent dans l’hébétude et prennent cet air accablé qu’on leur voit dans les jardins zoologiques. Les individus et les peuples offriraient le même spectacle, si un jour ils arrivaient à vivre en harmonie, à ne plus trembler ouvertement ou en cachette. »

< p.1353 >

Georges PERROS / En vue d’un éloge de la paresse - Lettre préface / Le Passeur 1995

« La peur d’être déçu rend méchant. »

< p.22 >

José ARTUR / Les Pensées / Le cherche midi éditeur 1993

« Celui qui vole avec de l’argent dans la poche se fait peur. Le fauché qui vole a peur. »

< p.18 >

Ambrose BIERCE / Le Dictionnaire du Diable (1911) / Éditions Rivages 1989

« Kleptomane n. Riche voleur. »

< p.160 >

358

PHILOSOPHIE

PHILOSOPHIE

Diogène LAËRCE / Vies et doctrines des philosophes illustres / La Pochothèque LdP 1999

« Denys lui ayant demandé pourquoi les philosophes viennent aux portes des riches, alors que les riches ne viennent pas à celles des philosophes, [Aristippe] dit : "Parce que les uns savent ce dont ils ont besoin, tandis que les autres ne le savent point". »

< II 69 Aristippe p.277 >

MARC-AURÈLE / Pensées / Les Stoïciens / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1962

« La durée de la vie humaine ? Un point. Sa substance ? Fuyante. La sensation ? Obscure. Le composé corporel dans son ensemble ? Prompt à pourrir. L’âme ? Un tourbillon. Le sort ? Difficile à deviner. La réputation ? Incertaine. Pour résumer, au total les choses du corps s’écoulent comme un fleuve ; les choses de l’âme ne sont que songe et fumée, la vie est une guerre et un séjour étranger ; la renommée qu’on laisse, un oubli. Qu’est-ce qui peut la faire supporter? Une seule chose, la philosophie. »

< II (17) p.1150 >

Blaise PASCAL / Pensées / Œuvres complètes / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1954

« Géométrie, finesse. - La vraie éloquence se moque de l’éloquence, la vraie morale se moque de la morale ; c’est à dire que la morale du jugement se moque de la morale de l’esprit, qui est sans règles.

Car le jugement est celui à qui appartient le sentiment, comme les sciences appartiennent à l’esprit. La finesse est la partie du jugement, la géométrie est celle de l’esprit.

Se moquer de la philosophie, c’est vraiment philosopher. »

< 24 p.1094 >

Jean de LA BRUYÈRE / Les Caractères / Œuvres / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1951

« Bien loin de s’effrayer ou de rougir même du nom de philosophe, il n’y a personne au monde qui ne dût avoir une forte teinture de philosophie ; elle convient à tout le monde ; la pratique en est utile à tous les âges, à tous les sexes et à toutes les conditions ; elle nous console du bonheur d’autrui, des indignes préférences, des mauvais succès, du déclin de nos forces ou de notre beauté ; elle nous arme contre la pauvreté, la vieillesse, la maladie et la mort, contre les sots et les mauvais railleurs ; elle nous fait vivre sans une femme, ou nous fait supporter celle avec qui nous vivons. »

< p.335 XII (132) >

MONTESQUIEU / Mes pensées / Œuvres complètes I / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1949

« On étoit autrefois philosophe à bon marché : il y avait si peu de vérités connues ; on raisonnoit sur des choses si vagues et si générales.

Tout rouloit sur trois ou quatre questions :

Quel étoit le souverain bien.

Quel étoit le principe des choses : ou le feu, ou l’eau, ou les nombres.

Si l’âme étoit immortelle.

Si les Dieux gouvernaient l’Univers.

Celui qui s’étoit déterminé sur quelqu’une de ces questions étoit d’abord philosophe, pour peu qu’il eût de barbe. »

< 587 p.1080 >

Jean-Benjamin de LABORDE / Pensées et Maximes (1791) / Paris, Lamy 1802 [BnF]

« Montesquieu disait à madame du Châtelet : Vous vous empêchez de dormir pour apprendre la philosophie ; il faudrait au contraire étudier la philosophie pour apprendre à dormir. »

< 262, p.44 >

Antoine de RIVAROL / Esprit de Rivarol [œuvres diverses] / Paris 1808 [BnF cote Z-24383]

« Puisque Hobbes a dit que le méchant est un grand enfant, il faut nécessairement que les enfants soient de petits philosophes. »

< Métaphysique p.17 >

PHILOSOPHIE

359

Paul Henri Dietrich baron d’HOLBACH / La Morale universelle (I) / Amsterdam M.-M. Rey 1776

[BnF cote 1070]

« Quelques sages de l’antiquité ont prétendu que la philosophie n’étoit que la méditation de la mort ; mais des idées plus conformes à nos intérêts, et moins lugubres, nous feront définir la philosophie, la méditation de la vie. L’art de mourir n’a pas besoin d’être appris ; l’art de bien vivre intéresse bien plus des êtres intelligents, et devroit occuper toutes leurs pensées en ce monde. »

< préface, p .xvii >

Joseph JOUBERT / Carnets / nrf Gallimard 1938-1994

« Toute belle poésie est semblable à celle d’Homère, et toute belle philosophie ressemble à celle de Platon. »

< 15 février 1810 t.2 p.309 >

CHAMFORT / Maximes et Pensées, Caractères et Anecdotes / Garnier-Flammarion 1968

« Qu’est-ce qu’un philosophe ? C’est un homme qui oppose la nature à la loi, la raison à l’usage, sa conscience à l’opinion, et son jugement à l’erreur. »

< 53 p.62 >

« Peu de philosophie mène à mépriser l’érudition ; beaucoup de philosophie mène à l’estimer. »

< 434 p.149 >

Johann Wolfgang von GOETHE / Maximes et réflexions / Paris, Brokhauss et Avenarius 1842 [BnF]

« Tout bien considéré, la philosophie n’est que le sens commun en langage amphigourique. »

< p.166 >

Georg Christoph LICHTENBERG / Aphorismes / Collection Corps 16 - Éditions Findakly 1996

« Il se livrait au trafic d’opinions : il était professeur de philosophie. »

< p.19 >

Charles-Augustin SAINTE-BEUVE / Portraits littéraires / Robert Laffont - Bouquins 1993

« Comme Salomon et comme Épicure, j’ai pénétré dans la philosophie par le plaisir. Cela vaut mieux que d’y arriver péniblement par la logique, comme Hegel ou comme Spinoza. »

< Pensées, p.1072 >

Sören KIERKEGAARD / Ou bien... Ou bien... (1843) / Tel 85 Gallimard 1943

« Ce que les philosophes disent de la réalité est souvent aussi décevant que l’affiche qu’on a pu voir chez un marchand de bric-à-brac : "ici on repasse". Apporte-t-on son linge à repasser, on est dupé : l’enseigne est à vendre. »

< Diapsalmata, p.29 >

Henry D. THOREAU / Walden ou la vie dans les bois (1854) / collection bilingue Aubier 1967

« Il existe de nos jours des professeurs de philosophie, mais de philosophes, point. Et pourtant n’est-il pas admirable de professer ce qu’il était autrefois admirable de vivre ? Être philosophe, ce n’est pas seulement avoir des pensées subtiles, ce n’est pas même fonder une école, c’est aimer assez la sagesse pour vivre selon ses arrêts, une vie de simplicité, d’indépendance, de générosité et de confiance. C’est résoudre quelqu’uns des problèmes de la vie, non seulement en théorie, mais en pratique. »

< p.89 >

Edmond et Jules de GONCOURT / Journal (t.1) / Robert Laffont - Bouquins 1989

« Pour moi, la philosophie est l’algèbre du pathos. »

< juin 1859 p.464 >

360

PHILOSOPHIE

Ernest RENAN / L’Avenir de la science, Pensées de 1848 (1890) / GF 765 Flammarion 1995

« Dans les beaux siècles de l’antiquité, on était philosophe ou poète, comme on est honnête homme dans toutes les positions de la vie. Nul intérêt pratique, nulle institution officielle n’étaient nécessaires pour exciter le zèle de la recherche ou la production poétique. La curiosité spontanée, l’instinct des belles choses y suffisaient. Ammonius Saccas, le fondateur de la plus haute et de la plus savante école philosophique de l’antiquité, était un portefaix. Imaginez donc un fort de la halle créant chez nous un ordre de spéculation analogue à la philosophie de Schelling ou de Hegel ! »

< p.346 >

Alphonse ALLAIS / Œuvres posthumes / Robert Laffont - Bouquins 1990

« Tout d’abord, le jeune Saphyr versa dans les philosophes tristes, qui lui apprirent à mépriser la gaîté comme basse et peu artiste (c’est ainsi que les culs-de-jatte mettent l’équitation au dernier rang des arts). »

< Le Journal, 9 août 1895 >

Emil CIORAN / Le livre des leurres (1936) / Œuvres / Quarto Gallimard 1995

« Les philosophes ont commencé de m’être indifférents du jour où je me suis rendu compte qu’on ne pouvait faire de philosophie qu’avec indifférence, c’est-à-dire en faisant preuve d’une indépendance inadmissible par rapport aux états d’âme. La neutralité psychique est le caractère essentiel du philosophe.

Que je sache, Kant n’a jamais été triste. Je ne peux pas aimer les hommes qui ne mêlent pas les regrets aux pensées. De même que les idées, les philosophes n’ont pas de destin. Comme il est commode d’être philosophe ! »

< p.230 >

Emil CIORAN / Le crépuscule des pensées (1940) / Œuvres / Quarto Gallimard 1995

« Souffrir signifie méditer sur une sensation de douleur ; philosopher, méditer sur cette méditation. »

< p.348 >

« Ce qui distingue les philosophes antiques des modernes — différence si frappante, et si défavorable aux derniers — vient de ce que ceux-ci ont philosophé à leur table de travail, au bureau, mais ceux-là dans des jardins, des marchés ou le long de je ne sais quel bord de mer. Et les antiques, plus paresseux, restaient longtemps allongés, car ils savaient que l’inspiration vient à l’horizontale : ils attendaient ainsi les pensées, que les modernes forcent et provoquent par la lecture, donnant l’impression de n’avoir jamais connu le plaisir de l’irresponsabilité méditative, mais d’avoir organisé leurs idées avec une application d’entrepreneurs. Des ingénieurs autour de Dieu. »

< p.360 >

Emil CIORAN / Carnets 1957-1972 / nrf Gallimard 1997

« Rien ne compromet davantage en philosophie que le besoin d’être applaudi. »

< 13 juillet 1968, p.595 >

ALAIN / 81 chapitres sur l’esprit et les passions / Les Passions et la Sagesse / Bibliothèque de la Pléiade

/ nrf Gallimard 1960

« Dans le fond le métier de penser est une lutte contre les séductions et apparences. Toute la philosophie se définit par là finalement. Il s’agit de se délivrer d’un univers merveilleux, qui accable comme un rêve, et enfin de vaincre cette fantasmagorie. Sûrement de chasser les faux dieux toujours, ce qui revient à réduire cette énorme nature au plus simple, par dénombrement exact. Art du sévère Descartes, mal compris, parce qu’on ne voit pas assez que les passions les plus folles, de prophètes et de visionnaires, qui multiplient les êtres à loisir, sont déjà vaincues par le froid dénombrement des forces. Évasion, sérieux travail. »

< p.1134 >

ALAIN / Les idées et les âges / Les Passions et la Sagesse / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1960

« Ce n’est pas peu de chose que de méditer sur un livre ; cela dépasse de bien loin la conversation la plus étudiée, où l’objet change aussitôt par la réflexion. Le livre ne change point, et ramène toujours. Il faut que PLAGIAT

361

la pensée creuse là. »

< p.155 >

Jean-François REVEL / Pourquoi des philosophes / Robert Laffont - Bouquins 1997

« ... un système philosophique n’est pas fait pour être compris : il est fait pour faire comprendre. »

< p.45 >

« Les systèmes philosophiques veulent être ce qu’il y a de plus proche du permanent, et ils sont ce qui tombe le plus vite en désuétude. »

< p.47 >

Jean-François REVEL / La cabale des dévots / Robert Laffont - Bouquins 1997

« C’est une tactique défensive classique de l’autisme des philosophes que d’affirmer, en présence d’une objection, qu’ils n’ont jamais dit exactement ce que réfute cette objection. Le philosophe a une doctrine quand on l’approuve, il n’en a plus du tout quand on la discute. C’est un être bimorphe, qui atteint sa dilatation maximale en présence des esprits compréhensifs et se contracte jusqu’à l’impalpabilité devant les esprits négatifs. »

< p.512 >

Robert MUSIL / L’homme sans qualités / Editions du Seuil - Points 1956

« Les philosophes sont des violents qui, faute d’armée à leur disposition, se soumettent le monde en l’en-fermant dans un système. Probablement est-ce aussi la raison pour laquelle les époques de tyrannie ont vu naître de grandes figures philosophiques, alors que les époques de démocratie et de civilisation avancée ne réussissent pas à produire une seule philosophie convaincante, du moins dans la mesure où l’on en peut juger par les regrets que l’on entend communément exprimer sur ce point. »

< t.1 p.319 >

André COMTE-SPONVILLE / Impromptus / PUF 1996

« Philosopher c’est apprendre à vivre, non à mourir. Pourquoi apprendrait-on à mourir, d’ailleurs, puisque on est sûr d’y arriver, puisque c’est le seul examen, comme disait un vieux professeur, que personne n’ait jamais raté? »

< p.83 >

Philippe BOUVARD / Journal 1992-1996 / Le cherche midi éditeur 1997

« À quoi sert la philosophie ? À nourrir ceux qui en font métier et à consoler les autres de ne pas en croquer. »

< p.39 >

PLAGIAT

Madame de SABLÉ / Maximes (1678) / Moralistes du XVIIe siècle / Robert Laffont - Bouquins 1992

« On aime beaucoup mieux ceux qui tendent à nous imiter que ceux qui tâchent à nous égaler. Car l’imitation est une marque d’estime et le désir d’être égal aux autres est une marque d’envie. »

< 52 p.252 >

Charles DUFRESNY / Amusements sérieux et comiques (1698) / Moralistes du XVIIe siècle / Robert Laffont - Bouquins 1992

« Celui qui peut imaginer vivement avec goût et justesse est original dans les choses mêmes qu’un autre a pensées avant lui ; par le tour naturel qu’il y donne, et par l’application nouvelle qu’il en fait, on juge qu’il les eût pensées avant les autres, si les autres ne fussent venus qu’après lui. »

< p.998 >

Antoine de RIVAROL / Esprit de Rivarol [œuvres diverses] / Paris 1808 [BnF cote Z-24383]

« Le génie égorge ceux qu’il pille. »

< Littérature p.89 >

362

PLAGIAT

Edmond et Jules de GONCOURT / Journal (t.2) / Robert Laffont - Bouquins 1989

« La critique littéraire à une tendance à louer le plagiat, quand il est commis par un homme de génie, par un Molière. C’est un peu comme si on disait qu’une canaillerie faite par un homme vertueux devient une bonne action. »

< 6 octobre 1883 p.1024 >

Georg Christoph LICHTENBERG / Le miroir de l’âme / Domaine romantique José Corti 1997

« Quelqu’un qui plagie une idée d’un auteur ancien pourrait s’excuser en invoquant la métempsycose et dire : "Prouvez-moi donc que je ne fus point déjà cet homme-là". »

< J 511 p.422 >

Joseph JOUBERT / Carnets / nrf Gallimard 1938-1994

« La plupart des pensées de Pascal (sur les lois, les usages, les couleurs) ne sont que les pensées de Montaigne qu’il a refaites. »

< 28 janvier 1808 t.2 p.243 >

Victor HUGO / Philosophie prose / Océan / Œuvres complètes / Robert Laffont - Bouquins 1989

« N’imitez rien ni personne. Un lion qui copie un lion devient un singe. »

< 1853 p.75 >

Paul VALÉRY / Tel Quel / Œuvres II / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1960

« Rien de plus original, rien de plus soi que de se nourrir des autres. Mais il faut les digérer. Le lion est fait mouton assimilé. »

< p.478 >

Isidore DUCASSE (LAUTRÉAMONT) / Poésies (1870) / GF 528 - Flammarion 1990

« Le plagiat est nécessaire. Le progrès l’implique. Il serre de près la phrase d’un auteur, se sert de ses expressions, efface une idée fausse, la remplace par l’idée juste. »

< II p.351 >

STENDHAL / Journal / Œuvres intimes II / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1982

« Outre une trentaine de grands peintres, il faut considérer que les médiocres ont copié.

De là le grand nombre de tableaux agréables à regarder. »

< 5 décembre 1830, p.137 >

Anatole FRANCE / Le jardin d’Épicure (1894) / Calmann Lévy, Paris 1895 [BnF]

« L’homme a le génie de l’imitation. Il n’invente guère. Il y a, en psychologie comme en physique, une loi qui nous attache au vieux sol. Théophile Gautier, qui était à sa façon un philosophe, avec quelque chose de turc dans sa sagesse, remarquait, non sans mélancolie, que les hommes n’étaient pas même parvenus à inventer un huitième péché capital. »

< p.113 >

Vladimir JANKÉLÉVITCH / Philosophie morale / Mille&UnePages Flammarion 1998

« Les grands créateurs, s’ils pouvaient se lever de leur tombe, nous diraient : "Ne faites pas ce que j’ai fait, ne m’imitez pas !" Pour être fidèle à l’esprit de ces grands modèles, il faut non pas recommencer ce qui est déjà écrit, mais être libre et audacieux, comme ils le furent par rapport à leur temps. C’est donc le moderne néoclassique qui est le véritable ennemi du classicisme, parce qu’au nom d’une tradition dont il se prétend l’héritier, il renie l’esprit révolutionnaire qui en était toute la raison d’être. »

< Le mal, p.370 >

Georges WOLINSKI / Les Pensées / Le cherche midi éditeur 1981

« Ce qui est inimitable n’a aucun intérêt. »

< p.44 >

POÉSIE

363

Jean-François REVEL / Mémoires / Plon 1997

« Quand on veut deviner aujourd’hui en France quels auteurs précédents ont le plus nourri un nouveau livre, il n’est que de regarder la bibliographie : ce sont ceux qui n’y figurent pas. Outre les plagiaires stricto sensu, qui ont prospéré au grand jour sans endurer de discrédit durable, on a vu proliférer dernièrement les pique-assiettes et les voleurs à la tire, servis par l’amnésie des médias. Un nouvel auteur se reconnaît volontiers des dettes à l’égard de prédécesseurs auxquels il ne doit rien, mais dont citer les noms l’ennoblit, et il n’avoue pas les emprunts effectifs qu’il a faits à d’autres écrivains, instigateurs de polémiques trop violentes, et dont il veut bien partager les idées, mais pas les ennemis. Certains ne craignent pas de dévaliser plus petits qu’eux-mêmes. Au royaume de la "création", on voit d’opulents conducteurs de Rolls Royce chiper leur vélo à des gamins. Les idées sont si rares... »

< p.588 >

POÉSIE

Lorédan LARCHEY / Gens Singuliers (1867) / Plein chant 1993

Malherbe

« Un jour, Bordier se plaignait chez Racan de l’insuffisance des encouragements donnés aux lettres. Il paraît qu’on n’a jamais négligé de se plaindre de ces choses-là.

"Sottise, monsieur ! — interrompt Malherbe, — peut-on faire métier de rimeur pour en espérer autre chose que son propre divertissement ! Un bon poète n’est pas plus utile à l’État qu’un bon joueur de quilles." »

< p.32 >