Charles DUFRESNY / Amusements sérieux et comiques (1698) / Moralistes du XVIIe siècle / Robert Laffont - Bouquins 1992

« Selon l’ordre naturel, le père doit finir avant son fils. Si tous les enfants mouraient de douleur à la mort de leur père, le genre humain périrait bientôt. N’est-ce point pour prévenir ce malheur que la nature a pris soin d’endurcir le cœur des enfants? »

< p.1033 >

228

INGRATITUDE

Paul Henri Dietrich baron d’HOLBACH / La Morale universelle (I) / Amsterdam M.-M. Rey 1776

[BnF cote 1070]

« La bienfaisance de l’homme faible ne fait que des ingrats ; on se croit dispensé de lui savoir gré de ce qu’il n’a pas la force de refuser. L’homme bienfaisant, par faiblesse, mérite plus la pitié que l’estime des honnêtes gens, et devient la proie des fripons. »

< II ix p.164 >

Pierre-Augustin Caron de BEAUMARCHAIS / Le mariage de Figaro (1784) / Œuvres complètes /

Firmin-Didot 1865

« Sait-on gré du superflu, à qui nous prive du nécessaire? »

< Avte III scène V p.144 >

CHAMFORT / Maximes et Pensées, Caractères et Anecdotes / Garnier-Flammarion 1968

« Le sentiment qu’on a pour la plupart des bienfaiteurs, ressemble à la reconnaissance qu’on a pour les arracheurs de dents. On se dit qu’ils vous ont fait du bien, qu’ils vous ont délivrés d’un mal, mais on se rappelle la douleur qu’ils ont causée, et on ne les aime guère avec tendresse. »

< 297 p.120 >

« Je pressais M. de L... d’oublier les torts de M. de B... (qui l’avait autrefois obligé) ; il me répondit : "Dieu a recommandé le pardon des injures, il n’a point recommandé celui des bienfaits" »

< 1038 p.278 >

Louis-Ambroise de BONALD / Œuvres complètes t.3 / Paris, J-P Migne 1859

« Les faibles sont sensibles à l’ingratitude, et les forts à l’injustice. L’ingratitude blesse le cœur, mais elle flatte l’orgueil, et laisse au bienfaiteur toute sa supériorité. L’injustice humilie ; elle est aveu forcé de dépendance, et elle fait trop sentir à l’homme l’infériorité de sa position. »

< Pensées, p.1373 >

Johann Wolfgang von GOETHE / Maximes et réflexions / Paris, Brokhauss et Avenarius 1842 [BnF]

« Lorsque nous rencontrons quelqu’un qui nous doit de la reconnaissance, nous nous le rappelons sur-le-champ. Combien de fois rencontrons-nous des personnes à qui nous devons de la reconnaissance, sans y penser? »

< p.101 >

Victor HUGO / Philosophie prose / Océan / Œuvres complètes / Robert Laffont - Bouquins 1989

« On est toujours ingrat pour le don du nécessaire, jamais pour le don du superflu. On en veut à qui vous donne le pain quotidien, on est reconnaissant à qui vous donne une parure. »

< p.75 >

Victor HUGO / Faits et croyances / Océan / Œuvres complètes / Robert Laffont - Bouquins 1989

« Le gamin à qui on ne donne qu’un sou, empochant et mécontent : — c’est bien la peine d’être orphelin. »

< 1852-53 p.251 >

Friedrich NIETZSCHE / Humain, trop humain. (1878-1879) / Œuvres I / Robert Laffont - Bouquins 1990

« Reconnaissance et vengeance. - La raison pour laquelle un puissant montre de la reconnaissance est celle-ci. Son bienfaiteur a, par son bienfait, violé, pour ainsi dire, le domaine du puissant et s’y est introduit : à son tour, il viole en compensation le domaine du bienfaiteur par l’acte de reconnaissance. C’est une forme adoucie de la vengeance. S’il n’avait la satisfaction de la reconnaissance, le puissant se serait montré impuissant et désormais passerait pour tel. Voilà pourquoi toute société de bons, c’est-à-dire originairement de puissants, place la reconnaissance au nombre des premiers devoirs. - Swift a hasardé cette proposition, que les hommes sont reconnaissants dans la proportion où ils cultivent la vengeance. »

< 44 p.471 >

INJURE

229

« Prévoir l’ingratitude.

Celui qui donne quelque chose de grand ne trouve pas de reconnaissance ; car le donataire, rien qu’en le recevant, a déjà trop lourd à porter. »

< 323 p.602 >

Eugène MARBEAU / Remarques et pensées / Paris Ollendorf 1901 [BnF]

« Êtes-vous las d’entendre votre bienfaiteur vous rappeler trop souvent son bienfait ? Demandez-lui un nouveau service. »

< p.81 >

Oscar WILDE / L’Âme de l’homme sous le socialisme / Œuvres / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1996

« On nous dit souvent que les pauvres sont reconnaissants de la charité qui leur est faite. Certains le sont, sans nul doute, mais les meilleurs des pauvres ne sont jamais reconnaissants. Ils sont ingrats, insatisfaits, désobéissants et rebelles. Ils ont tout à fait raison de l’être. La charité est à leurs yeux une méthode ridiculement inadéquate de réparation partielle, ou une aumône humanitaire, accompagnée généralement chez l’humanitariste d’une tentative impertinente pour exercer une tyrannie sur leur vie privée. Pourquoi éprouveraient-ils de la gratitude devant les miettes qui tombent de la table du riche? »

< p.932 >

Jules RENARD / Journal / Robert Laffont - Bouquins 1990

« C’est la bienfaitrice du pays. Tout le monde se ferait un plaisir d’aller à son enterrement. »

< 8 octobre 1900 p.471 >

« Rien n’est éternel, pas même la reconnaissance. »

< 22 décembre 1904 p.745 >

Frédéric DARD / Les pensées de San-Antonio / Le cherche midi éditeur 1996

« L’ingratitude est un gain de temps. »

< p.85 >

INJURE

Victor HUGO / Moi, l’amour, la femme / Océan / Œuvres complètes / Robert Laffont - Bouquins 1989

« Cette longue lutte m’a valu quelques sympathies, quelques encouragements, et aussi, je dois le dire, quelques injures : je n’ai jamais répondu aux injures, les injures prouvent quelquefois contre ceux qui les disent, et jamais contre ceux à qui elles sont dites. Les injures sont les voies de fait de la parole. Un peu plus bas on jette une pierre, un peu plus haut on dit une injure. La pierre comme l’injure retombent, l’une dans la boue, l’autre dans le dédain. »

< 1850-51 p.272 >

Alphonse KARR / Les Guêpes (deuxième série) / Calmann Lévy 1898

« Les injures sont bien humiliantes pour celui qui les dit, quand elles ne réussissent pas à humilier celui qui les reçoit. »

< Septembre 1840, p.46 >

Jules RENARD / Journal / Robert Laffont - Bouquins 1990

« Réponse à une injure sanglante :

— Oh ! vous dites ça pour me taquiner. »

< 18 janvier 1896 p.248 >

230

INNÉ ET ACQUIS

ALAIN / Propos I / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1956

« Il est à supposer que les jurons, qui sont des exclamations entièrement dépourvues de sens, ont été inventés comme instinctivement pour donner une issue à la colère sans rien dire de blessant ni d’irréparable.

Et nos cochers, dans les encombrements, seraient donc philosophe sans le savoir. Mais il est bien plaisant de voir que parmi ces cartouches à blanc, quelquefois il y en a une qui blesse par hasard. On peut m’injurier en russe, je n’y entends rien. Mais si par hasard je savais le russe ? Réellement toute injure est charabia.

Comprendre bien cela, c’est comprendre qu’il n’y a rien à comprendre. »

< 17 novembre 1913 p.173 >

Michel AUDIARD / Audiard par Audiard / Ed. René Chateau 1995

« Conduire dans Paris c’est une question de vocabulaire. »

< Mannequins de Paris, p.102 >

Jean-François REVEL / Les plats de saison - Journal de l’année 2000 / Plon-Le Seuil 2001

« Un inconnu, publiant dans une maison d’édition inconnue, m’envoie son livre avec la dédicace suivante :

"À la merde absolue appelée Jean-François Revel." Flatté, malgré tout, d’atteindre l’absolu, fût-ce en tant que fumier, je me plonge avec avidité dans la lecture de l’ouvrage. Hélas ! quelle déconvenue ! Le zéro

"absolu" du talent le dispute à l’arriération mentale la plus irrémédiable. Je trouve que je n’ai pas les insulteurs que je mériterais. »

< 2 mars 2000, p.67 >

INNÉ ET ACQUIS

VOLTAIRE / Dictionnaire philosophique / Garnier 1967.

« Il n’y a point de connaissance innée, par la raison qu’il n’y a point d’arbre qui porte des feuilles et des fruits en sortant de la terre. Rien n’est ce qu’on appelle inné, c’est à dire né développé ; mais répétons le encore, Dieu nous fait naître avec des organes qui, à mesure qu’ils croissent, nous font sentir tout ce que notre espèce doit sentir pour la conservation de cette espèce. »

< p.269 >

Joseph JOUBERT / Carnets / nrf Gallimard 1938-1994

« Qu’importe en effet que les idées soient innées ou ne le soient pas, si nous les avons inévitablement et presque aussitôt que les premières notions (notions communes à tous) qui leur servent, dit-on, d’origine et de matériaux ? »

< 30 novembre 1801 t.1 p.430 >

François JACOB / Le jeu des possibles / Fayard 1981

« Pour la biologie moderne, aucun mécanisme moléculaire ne permet d’imprimer directement dans l’ADN, c’est-à-dire sans le détour de la sélection naturelle, des instructions venues du milieu. Non qu’un tel mécanisme soit théoriquement impossible. Simplement il n’existe pas. »

< p.38 >

« Tout enfant normal possède à la naissance la capacité de grandir dans n’importe quelle communauté, de parler n’importe quelle langue, d’adopter n’importe quelle religion, n’importe quelle convention sociale.

Ce qui paraît le plus vraisemblable, c’est que le programme génétique met en place ce qu’on pourrait appeler des structures d’accueil qui permettent à l’enfant de réagir aux stimulus venus de son milieu, de chercher et repérer des régularités, de les mémoriser puis de réassortir les éléments en combinaisons nouvelles. Avec l’apprentissage, s’affinent et s’élaborent peu à peu ces structures nerveuses. C’est par une interaction constante du biologique et du culturel pendant le développement de l’enfant que peuvent mûrir et s’organiser les structures nerveuses qui sous-tendent les performances mentales. Dans ces conditions, attribuer une fraction de l’organisation finale à l’hérédité et le reste au milieu n’a pas de sens. »

< p.126 >

INQUIÉTUDE

231

Frédéric DARD / Les pensées de San-Antonio / Le cherche midi éditeur 1996

« La plupart des gens doués ont appris à l’être. »

< p.86 >

INQUIÉTUDE

Blaise PASCAL / Pensées / Œuvres complètes / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1954

L’erreur préférable à l’inquiétude.

« Lorsqu’on ne sait pas la vérité d’une chose, il est bon qu’il y ait une erreur commune qui fixe l’esprit des hommes, comme, par exemple, la lune, à qui on attribue le changement des saisons, le progrès des maladies, etc. ; car la maladie principale de l’homme est la curiosité inquiète des choses qu’il ne peut savoir ; et il ne lui est pas si mauvais d’être dans l’erreur, que dans cette curiosité inutile. »

< 147 p.1128 >

ALAIN / Les idées et les âges / Les Passions et la Sagesse / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1960

« On sait que bâiller est une agréable chose, qui n’est point possible dans l’inquiétude. Bâiller est la solution de l’inquiétude. Mais il est clair aussi que par bâiller l’inférieur occupe toute l’âme, comme Pascal a dit de l’éternuement, solution d’un tout autre genre. Par bâiller on s’occupe un moment de vivre. C’est, dans le vrai, un énergique appel du diaphragme, qui aère les poumons profondément, et desserre le cœur, comme on dit si bien. Bâiller est pris comme le signe de l’ennui, mais bien à tort, et par celui qui n’arrive pas à nous plaire ; car c’est un genre d’ennui heureux, si l’on peut dire, où l’on est bien aise de ne point prendre intérêt à quelque apparence qui veut intérêt. Bâiller c’est se délivrer de penser par se délivrer d’agir ; c’est nier toute attitude, et l’attitude est préparation. Réellement bâiller et se détendre c’est la négation de défense et de guerre ; c’est s’offrir à être coupé ou percé ; c’est ne plus faire armure de soi. Par ce côté, c’est s’affirmer à soi-même sécurité pleine. »

< p.10 >

« Tous soucis renvoyés, tous projets ajournés, il reste une inquiétude par cette contraction terrestre ou pesanteur, qui nous tient toujours. Voilà notre ennemie de tout instant, voilà notre constante pensée. Il me suffirait pour le savoir d’observer cette sensibilité au tact, si remarquable sous les pieds du bipède humain.

Il ne cesse pas de palper en quelque sorte son propre équilibre et d’interroger son étroite base, afin de se garder de chute, soit dans le mouvement, soit dans le repos. C’est pourquoi vous n’aurez jamais toute l’attention d’un homme debout sur ses jambes. »

< p.11 >

André FROSSARD / Les Pensées / Le cherche midi éditeur 1994

« Il y a tout lieu de s’inquiéter quand la police est "sur les dents" : la position ne permet pas d’attraper grand-chose. »

< p.170 >

INTELLIGENCE

Edmond et Jules de GONCOURT / Journal (t.1) / Robert Laffont - Bouquins 1989

« La seule marque, qui ne trompe point, de l’intelligence de l’homme, c’est la personnalité de ses idées, c’est-à-dire l’antagonisme des idées reçues. »

< 7 juin 1860 p.570 >

Victor HUGO / Philosophie prose / Océan / Œuvres complètes / Robert Laffont - Bouquins 1989

« Quand on n’est pas intelligible, c’est qu’on n’est pas intelligent. »

< 1840-45 p.92 >

232

INTELLIGENCE

Friedrich NIETZSCHE / Par-delà le bien et le mal (1886) / Œuvres II / Robert Laffont - Bouquins 1990

« On commence à se méfier de certaines personnes très intelligentes quand on les voit embarrassées. »

< 88 p.617 >

Paul VALÉRY / Tel Quel / Œuvres II / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1960

« La supériorité comme cause de l’impuissance : être incapable d’une sottise qui peut être "avantageuse". »

< p.496 >

« L’imbécile est celui qui ne sait se servir, qui n’a pas l’idée de se servir, de ce qu’il possède. Tout le monde en est là. »

< p.695 >

Paul VALÉRY / Cahiers I / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1973

« L’intelligence — faculté de reconnaître sa sottise. »

< Psychologie p.998 >

Sacha GUITRY / Toutes réflexions faites / Cinquante ans d’occupations / Omnibus Presses de la Cité 1993

« Être assez intelligent, c’est n’être pas assez intelligent précisément.

Être à moitié quoi que ce soit d’ailleurs est inutile - car c’est toujours l’autre moitié qui fait défaut. »

< p.72 >

« L’intelligence incite à la réflexion - et la réflexion conduit au scepticisme.

Le scepticisme, lui, vous mène à l’ironie.

L’ironie, à son tour, vous présente à l’esprit - qui se trouve en apport direct avec l’humour - qui fait si bon ménage avec la fantaisie. »

< p.85 >

Paul LÉAUTAUD / Journal littéraire / Mercure de France 1986

« Je disais : être intelligent, c’est comprendre, c’est entendre. Ce n’est pas seulement comprendre les idées, les choses, les faits qui rentrent dans votre tempérament, dans vos habitudes d’esprit, etc., c’est comprendre également les idées, les choses, les faits qui vous sont différents, contraires, et les plus divers. Autrement, on n’a qu’une intelligence limitée, et qu’est-ce, qu’une intelligence limitée. C’est l’intelligence qui cesse tôt ou tard de fonctionner et qui se ferme sur un ensemble d’idées donné. On pourrait codifier : être intelligent, c’est, après connaître exactement sa propre façon de sentir et de penser, pouvoir encore se prêter à toutes les autres. »

< 11 février 1906 I p.268 >

Paul LÉAUTAUD / Le théâtre de Maurice Boissard / Œuvres / Mercure de France 1988

« L’intelligence ? une question de chimie organique, rien de plus. On n’est pas plus responsable d’être intelligent que d’être bête. Il n’y a pas plus à être fier de l’un qu’à rougir de l’autre. »

< p.984 >

ALAIN / Propos II / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1970

« Il faut modérer parfois l’intelligence aussi, et ne pas rougir d’être un bon animal, avant toute chose. J’aime mieux une petite lueur de bon sens portée par de bons muscles, qu’une grosse tête sur un petit corps. Sans les muscles, l’idée n’irait pas loin ; une pensée chargée de matière, une pensée aux larges pieds voilà ce qui mène le monde. »

< 5 novembre 1909 p.152 >

Georges PICARD / Petit traité à l’usage de ceux qui veulent toujours avoir raison / José Corti 1999

« Quelle candeur de croire que l’intelligence est la capacité de découvrir des vérités ! Si c’était le cas, la plupart des philosophes seraient des sots ! Un esprit vif et complexe s’intéresse moins aux résultats de ses cogitations qu’à leur intensité et à leur beauté intrinsèque. Jugés sur leurs conclusions, Platon ne serait INTUITION

233

qu’une sorte de poète et Hegel un mauvais scrutateur de l’universel. Malebranche ne vaudrait pas un clou, Freud ou Heidegger feraient rire ! »

< p.188 >

Pierre DAC / Arrière-pensées - Maximes inédites / Le cherche midi éditeur 1998

« Il faut se méfier des ennemis intelligents. Bien que ce ne soit pas très intelligent d’être votre ennemi. »

< p.118 >

Philippe BOUVARD / Journal 1997-2000 / Le cherche midi éditeur 2000

« La malignité : cette intelligence de ceux à qui on ne veut pas en reconnaître. »

< p.62 >

Jean DUTOURD / Dutouriana / Plon 2002

« Le crétin se reconnaît à son goût pour les exactitudes inutiles. »

< p.32 >

INTUITION

Sacha GUITRY / Les Femmes et l’Amour / Cinquante ans d’occupations / Omnibus Presses de la Cité 1993

« La femme devient la collaboratrice de l’homme, et son égale absolue, de ce fait même que l’homme a le cerveau bourré d’un tas de choses qui troublent son jugement - tandis que son cerveau, à elle, est complètement vide et pur - si bien que le conseil qu’elle donne, elle le donne avec son instinct qui est supérieur à celui de l’homme. »

< p.128 >

Paul LEVY / Quelques aspects de la pensée d’un mathématicien / Albert Blanchard 1970

« Je ne crois pas qu’une grande chose puisse être faite sans une certaine forme d’intuition. On ne construit pas une maison en entassant des pierres au hasard. De même on ne construit pas une théorie scientifique par une succession d’opérations logiques élémentaires choisies au hasard. Il faut bien qu’il y ait une idée directrice, un plan initial.

Mais certains savants cherchent à le cacher en présentant leurs travaux sous la forme d’une succession d’opérations purement logiques. Sans doute faut-il le faire pour persuader les sceptiques. Mais je regrette souvent que ces exposés trop parfaits ne soient pas précédés par une introduction mettant en évidence les grandes lignes du raisonnement, et négligeant d’abord les détails. Je crois que leur lecture en serait facilitée. »

< p.156 >

IRONIE

Charles-Augustin SAINTE-BEUVE / Mes Poisons / Collection Romantique / José Corti 1988

« Gardons-nous de l’ironie en jugeant. De toutes les dispositions de l’esprit, l’ironie est la moins intelligente. »

< p.129 >

Jules RENARD / Journal / Robert Laffont - Bouquins 1990

« L’ironie ne dessèche pas : elle ne brûle que les mauvaises herbes. »

< 26 décembre 1899 p.439 >

« L’ironie est un élément du bonheur. »

< 6 mars 1903 p.636 >

234

IRRÉSOLUTION

Sacha GUITRY / Toutes réflexions faites / Cinquante ans d’occupations / Omnibus Presses de la Cité 1993

« Redouter l’ironie, c’est craindre la raison. »

< p.70 >

Georges BERNANOS / Le Chemin de la Croix-des-Âmes (1948) / Essais et écrits de combats II / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1995

« Ah ! chers lecteurs, ce qui manque le plus au monde, c’est le sens de l’ironie. Si nous pouvions rire de nous, de notre sottise, comme aussi de ceux qui l’exploitent et qui en vivent, nous serions sauvés !

Refuserez-vous aujourd’hui, une fois de plus, le réconfort de ce rire libérateur? »

< février 1943, p.507 >

Emil CIORAN / Carnets 1957-1972 / nrf Gallimard 1997

« L’ironie est la mort de la métaphysique. »

< 5 novembre 1960 p.759 >

Vladimir JANKÉLÉVITCH / Philosophie morale / Mille&UnePages Flammarion 1998

« Trop de lucidité dessèche ; en sorte qu’une conscience délicate ne va jamais sans quelque aveuglement, sans l’ingénuité du cœur et la crédulité de l’esprit. C’est cette conscience que l’ironie des esprits forts impitoyablement pourchasse et neutralise. »

< La Mauvaise Conscience, p.68 >

Vladimir JANKÉLÉVITCH / L’ironie / Champs Flammarion 1964

« L’ironiste fait semblant de jouer le jeu de son ennemi, parle son langage, rit bruyamment de ses bons mots, surenchérit en toute occasion sur sa sagesse soufflée, ses ridicules et ses manies. Voilà décidément le grand art et la suprême liberté, la plus intelligente, la plus diabolique, la plus téméraire aussi. La conscience ironique dit non à son propre idéal, puis nie cette négation. Deux négations s’annulent, disent les grammaires : mais — ce que les grammaires ne nous disent pas — l’affirmation ainsi obtenue rend un tout autre son que celle qui s’installe du premier coup, sans passer par le purgatoire de l’antithèse. La ligne droite n’est pas si courte que cela et le temps perdu est quelquefois le mieux employé. »

< p.76 >

« L’ironie est la mauvaise conscience de l’hypocrisie. Comprenons bien que l’intérêt le plus évident du scandale est de rester camouflé et d’entretenir une équivoque dont il est le seul bénéficiaire : la guerre, par exemple, ne demande qu’à devenir juridique pour constituer, comme la paix, un certain ordre naturel ; et le plus mauvais tour qu’on puisse lui jouer, c’est de lui refuser, au contraire, cette légalité dérisoire dont elle s’accommoderait si bien, c’est de la vouloir inhumaine, absurde et anormale, comme elle doit être ; il ne faut pas que l’hypocrisie du "droit des gens", en la rendant supportable et presque sociable, nous crée un modus vivendi avec ce scandale. Qu’elle soit horrible, puisqu’elle est, et qu’elle s’extermine elle-même !

Heureusement la lucide ironie ne s’en laisse pas accroire ; et les bonnes âmes malfaisantes ne seront pas tranquilles tant qu’il y aura des ironistes pour crier à tue-tête leur vrai nom et pour dénoncer leurs nobles rôles, leurs postiches, leurs momeries et leur rhétorique en carton. Que l’ironie est donc indiscrète ! »

< p.122 >

IRRÉSOLUTION

Baltasar GRACIÁN / Maximes / Paris, Rollin fils 1730

« Un mauvais succès a des suites moins fâcheuses que l’irrésolution. Combien de choses se gâtent moins lorsqu’on s’en sert, que si l’on n’en faisait nul usage? »

< Maxime LXXII L’homme de résolution, p.81 >

CHAMFORT / Maximes et Pensées, Caractères et Anecdotes / Garnier-Flammarion 1968

« L’indécision, l’anxiété sont à l’esprit et à l’âme ce que la question est au corps. »

< 338 p.126 >

JEU

235

Auguste DETŒUF / Propos de O. L. Barenton, confiseur (1938) / Éditions d’Organisation 1982

« La décision qu’on prend est de peu d’importance : l’important c’est de s’y tenir. »

< p.163 >

ALAIN / Mars ou la guerre jugée / Les Passions et la Sagesse / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1960

« Descartes, moraliste trop peu lu, disait que l’irrésolution est le plus grand des maux humains. Toutes souffrances des passions, d’apparence impalpable, viennent sans doute de là ; mais on n’y fait point attention. L’homme d’esprit est continuellement occupé à justifier ses propres actes selon les raisonnements des sots. Quand l’idée vient à l’esprit d’une décision à prendre, redoutable et redoutée, les raisons aussitôt répondent aux raisons, et l’imagination travaille dans le corps, en mouvements contrariés qui font un beau tumulte ; cet état d’effervescence enchaînée est proprement la souffrance morale. Un mal bien certain nous délivre aussitôt, en proposant des actions réelles ; ou, pour dire autrement, le fait accompli a cela de bon qu’il est un appui solide ; on en peut partir ; au lieu que les décisions intérieures ont cela de remarquables qu’elles échappent, dès que l’on compte sur elles. De là un besoin de s’engager irrévocablement. »

< p.560 >

JEU

Charles DUFRESNY / Amusements sérieux et comiques (1698) / Moralistes du XVIIe siècle / Robert Laffont - Bouquins 1992

« Le jeu est une espèce de succession ouverte à tout le monde ; j’y vis l’autre jour deux Gascons hériter d’un Parisien, qui ne se serait jamais avisé de les mettre sur son testament. »

< p.1024 >

Friedrich NIETZSCHE / Humain, trop humain. (1878-1879) / Œuvres I / Robert Laffont - Bouquins 1990

« L’éternel enfant. - Nous croyons que les contes et les jeux appartiennent à l’enfance, myopes que nous sommes ! Comment pourrions-nous vivre, à n’importe quel âge de la vie, sans contes et sans jeux ! Il est vrai que nous donnons d’autres noms à tout cela et que nous l’envisageons autrement, mais c’est là précisément une preuve que c’est la même chose ! - car l’enfant, lui aussi, considère son jeu comme un travail et le conte comme la vérité. La brièveté de la vie devrait nous garder de la séparation pédante des âges - comme si chaque âge apportait quelque chose de nouveau -, et ce serait l’affaire d’un poète de nous montrer une fois l’homme qui, à deux cents ans d’âge, vivrait véritablement sans contes et sans jeux. »

< 270 p.793 >

Léon BLOY / Exégèse des lieux communs / Mercure de France 1968

« On n’est pas sur la terre pour s’amuser.

Pardon, voudriez-vous me dire pourquoi on y est, si ce n’est pas pour s’amuser. Serait-ce pour souffrir? »

< p.62 >

Sacha GUITRY /L’Esprit / Cinquante ans d’occupations / Omnibus Presses de la Cité 1993

« J’ai peut-être des défauts — qui n’en a pas ! — mais, il est une qualité qu’on ne peut pas me contester, c’est la fidélité. Depuis trente ans que je joue à la roulette, je joue toujours les mêmes numéros : le 35, le 3, le 26, le 0 et le 32.

On appelle cela "jouer les voisins du zéro".

Et je les joue pour deux raisons. Ou bien parce que l’un d’entre eux vient de sortir, ou bien parce qu’aucun d’eux ne vient de sortir.

Oui, ou bien je me dis : "Puisque l’un d’eux vient de sortir, c’est qu’ils sont en train de sortir. Profitons-en !" — ou bien, je me dis : "Ils ne sont pas encore sortis, donc cela va être à eux maintenant de sortir.

Profitons-en !"

Et voilà trente ans que je me tiens ce raisonnement stupide. Je dis qu’il est stupide parce que voilà trente ans que je perds au jeu avec une régularité pour ainsi dire méthodique. »

< p.273 >

236

JOURNAL

Sacha GUITRY / Mémoires d’un tricheur / Théâtre & Mémoires d’un tricheur / Omnibus Presses de la Cité 1991

« Ce que les gens qui ne jouent pas ne savent pas, ce qu’ils ignorent, ce sont les bienfaits du jeu. Ses inconvénients, je les connais comme eux. Certes, c’est un danger, mais qu’est-ce qui n’est pas un danger dans la vie !

Or, il ne faut pas contester l’influence excellente que le jeu peut avoir sur le moral. L’homme qui vient de gagner mille francs, ce n’est pas un billet de mille francs qu’il a gagné — c’est la possibilité d’en gagner cent fois plus.

Il n’a pas gagné mille francs — il a gagné !

Quand il perd mille francs, il n’a perdu que mille francs. Quand il les gagne, il a gagné les premiers mille francs d’une fortune incalculable. Tous les espoirs lui sont permis — et voyez cette confiance en lui qu’il a, c’est magnifique ! En amour, en affaires, pendant vingt-quatre heures, il va tout oser — et ce début d’une fortune, dû au hasard uniquement, peut le mener à la fortune véritable. »

< p.68 >

Philippe BOUVARD / Journal 1992-1996 / Le cherche midi éditeur 1997

« C’est la force des dirigeants modernes d’avoir compris que la religion ayant cessé d’être l’opium du peuple, la loterie, fille du rêve et de la démocratie, qui pour un investissement modique promet l’égalité des chances, pouvait constituer une drogue de substitution. »

< p.116 >

JOURNAL

Michel de MONTAIGNE / Essais / Garnier 1962

« En la police œconomique, mon pere avoit cet ordre, que je sçay loüer, mais nullement ensuivre : c’est qu’outre le registre des negoces du mesnage où se logent les menus comptes, paiements, marchés, qui ne requierent la main du notaire, lequel registre un receveur a en charge, il ordonnoit à celuy de ses gens qui lui servoit a escrire, un papier journal à inserer toutes les survenances de quelque remarque, et jour par jour les memoires de l’histoire de sa maison, très-plaisante à veoir quand le temps commence à en effacer la souvenance, et très à propos pour nous oster souvent de la peine : quand fut entamée telle besoigne ?

quand achevée ? quels trains y ont passé ? combien arresté ? noz voyages, noz absences, mariages, morts, la reception des heureuses ou malencontreuses nouvelles ; changement des serviteurs principaux ; telles matieres. Usage ancien, que je trouve bon à refreschir, chacun en sa chacuniere. Et me trouve un sot d’y avoir failly. »

< t.1 p.254 livre I chap.XXXV >

Joseph JOUBERT / Carnets / nrf Gallimard 1938-1994

« Ces sortes d’éphémérides écrites n’entreraient pas utilement dans la place d’une bonne vie, où l’oubli est aussi nécessaire que le souvenir. »

< 11 septembre 1805 t.2 p.62 >

Georges BERNANOS / Les Enfants humiliés (1940) / Essais et écrits de combats I / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1971

« Il n’y a rien de plus sot qu’un journal, du moins aussi longtemps que son auteur vit. Je n’ai jamais été découragé par la niaiserie, tout ce qu’on écrit de sincère est niais, toute vraie souffrance a ce fond de niaiserie, sinon la douleur des hommes n’aurait plus de poids, elle s’envolerait dans les astres. »

< p.787 >

Emil CIORAN / Le crépuscule des pensées (1940) / Œuvres / Quarto Gallimard 1995

« Le besoin de consigner toutes les réflexions amères, par l’étrange peur qu’on arriverait un jour à ne plus être triste... »

< p.483 >

JUSTICE

237

Philippe BOUVARD / Journal 1992-1996 / Le cherche midi éditeur 1997

« Je plains ceux qui, ne tenant pas un journal intime, n’ont aucune raison de noter ce qu’ils auraient intérêt à oublier. »

< p.235 >

François NOURISSIER / À défaut de génie / nrf Gallimard 2000

« Les deux tentations du mémorialiste sont la frime et la langueur. Frime : envol de duchesses, "le président me dit alors", chalet à Saint-Moritz, simplicité patriarcale de Claudel. Langueur : la mort prochaine, brièveté (ou désespérante lenteur) des jours, modestie de la tâche accomplie, vanitas vanitatum...

La frime est une manière de politesse. Barthes disait qu’entre la pose et la posture on trouve vite l’imposture. Oui, mais un peu de pose flatte le lecteur. On ne l’invite pas dans une gargote. On ne sollicite pas sa curiosité (ou sa compassion) pour un personnage minable. Mon ambassade à Londres. Gide au piano.

Entrez dans une confidence de grand risque, écoutez les chuchotements d’État, les allusions d’amour. Le mémorialiste, en se flattant, flatte son lecteur. »

< p.168 >

JUSTICE

MARC-AURÈLE / Pensées / Les Stoïciens / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1962

« On est souvent injuste en s’abstenant d’agir et non seulement en agissant. »

< IX (5) p.1214 >

Michel de MONTAIGNE / Essais / Garnier 1962

« Je ne sçay d’où je tiens ce conte, mais il rapporte exactement la conscience de nostre justice. Une femme de village accusoit devant un general d’armée, grand justicier, un soldat pour avoir arraché à ses petits enfans ce peu de bouillie qui luy restoit à les sustanter, cette armée ayant ravagé tous les villages à l’environ.

De preuve, il n’y en avoit point. Le general, après avoir sommé la femme de regarder bien à ce qu’elle disoit, d’autant qu’elle seroit coupable de son accusation si elle mentoit, et elle persistant, il fit ouvrir le ventre au soldat pour s’esclaircir de la verité du faict. Et la femme se trouva avoir raison. Condemnation instructive. »

< t.1 p.405 livre II chap.VI >

LA ROCHEFOUCAULD / Maximes / Garnier 1967

« La justice n’est qu’une vive appréhension qu’on ne nous ôte ce qui nous appartient ; de là vient cette considération et ce respect pour tous les intérêts du prochain, et cette scrupuleuse application à ne lui faire aucun préjudice ; cette crainte retient l’homme dans les bornes des biens que la naissance, ou la fortune, lui ont donnés, et sans cette crainte il ferait des courses continuelles sur les autres. »

< MS 14 p.138 >

Blaise PASCAL / Pensées / Œuvres complètes / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1954

« La justice est ce qui est établi ; et ainsi toutes nos lois établies seront nécessairement tenues pour justes sans être examinées, puisqu’elles sont établies. »

< 236 p.1152 >

Jean de LA BRUYÈRE / Les Caractères / Œuvres / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1951

« C’est par faiblesse que l’on hait un ennemi, et que l’on songe à se venger ; et c’est par paresse que l’on s’apaise, et qu’on ne se venge point. »

< p.143 IV (70) >

« S’il est périlleux de tremper dans une affaire suspecte, il l’est encore davantage de s’y trouver complice d’un grand : il s’en tire, et vous laisse payer doublement, pour lui et pour vous. »

< p.260 X (38) >

238

JUSTICE

MONTESQUIEU / Mes pensées / Œuvres complètes I / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1949

« Aristote dit que la vengeance est une chose juste, fondée sur ce principe qu’il faut rendre à chacun ce qui lui appartient.

Et c’est la seule façon que la Nature nous ait donnée pour arrêter les mauvaises inclinations des autres ; c’est la seule puissance coercitive que nous ayons dans cet état de nature : chacun y avoit une magistrature qu’il exerçoit par la vengeance.

Ainsi Aristote auroit bien raisonné s’il n’avoit pas parlé de l’état civil, dans lequel, comme il faut des mesures dans la vengeance, et qu’un cœur offensé, un homme dans la passion, n’est guère en état de voir au juste la peine que mérite celui qui offense, on a établi des hommes qui se sont chargés de toutes les passions des autres, et ont exercé leurs droits de sens froid.

Que si les magistrats ne vous vengent pas, vous ne devez pas pour cela vous venger, parce qu’il est présumé qu’ils pensent que vous ne devez pas vous venger.

Ainsi, quand la Religion chrétienne a défendu la vengeance, elle n’a fait que maintenir la puissance des tribunaux. Mais, s’il n’y avoit point de lois, la vengeance seroit permise ; non pas le sentiment qui fait que l’on aime faire du mal pour du mal, mais un exercice de justice et de punition. »

< 1944 p.1471 >

Insuffisance de la justice divine :

« La crainte des peines de l’autre vie n’est pas un motif si réprimant que la crainte des peines de celle-ci, parce que les hommes ne sont pas frappés des maux à proportion de leur grandeur, mais a proportion que le temps où ils arriveront est plus ou moins éloigné, de façon qu’un petit plaisir présent nous touche plus qu’une grande peine éloignée : témoin les femmes, qui ne font pas de cas des peines de l’enfantement, dans le moment qu’elles vont se les procurer, parce que l’enfantement est une chose éloignée : le plaisir agit de près ; la douleur affecte de loin ; de façon que c’est un grand bonheur de la nature qu’il faille tant de temps depuis la conception jusqu’à l’enfantement. Or ceux qui voient les maux aussi près que le plaisir, comme ceux qui craignent les maux vénériens, s’abstiennent du plaisir ordinairement. »

< 1945 p.1472 >

Jean-Benjamin de LABORDE / Pensées et Maximes (1791) / Paris, Lamy 1802 [BnF]

« On est vengé dès qu’on est maître de l’être. »

< 24, p.5 >

Georg Christoph LICHTENBERG / Le miroir de l’âme / Domaine romantique José Corti 1997

« Nous avons de nos jours plus d’hommes de droit que de droits hommes. »

< L 46 p.526 >

« En Angleterre, un homme qui était accusé de bigamie fut sauvé par son avocat qui fit la preuve que son client avait trois femmes. »

< L 681 p.556 >

Joseph JOUBERT / Carnets / nrf Gallimard 1938-1994

« À la question : est-il coupable? il faudrait en ajouter une autre : est-il incorrigible? »

< 20 juin 1804 t.1 p.630 >

« Tout accusé fut censé innocent ; bientôt tout accusateur fut censé vertueux. »

< 26 juin 1806 t.2 p.130 >

« Il est dans l’ordre qu’une peine inévitable suive une faute volontaire. »

< 7 décembre 1813 t.2 p.417 >

« Il y a des indulgences qui sont un déni de justice. »

< 14 novembre 1815 t.2 p.519 >

JUSTICE

239

Benjamin CONSTANT / De l’esprit de conquête et de l’usurpation (1814) / GF 456 Flammarion 1986

« On dit tous les jours que l’intérêt bien entendu de chacun l’invite à respecter les règles de la justice ; on fait néanmoins des lois contre ceux qui les violent ; tant il est constaté que les hommes s’écartent fréquemment de leur intérêt bien entendu ! »

< p.185 >

Alexis de TOCQUEVILLE / De la Démocratie en Amérique I (1835) / Robert Laffont - Bouquins 1986

« Il importe sans doute à la sécurité de chacun et à la liberté de tous que la puissance judiciaire soit séparée de toutes les autres ; mais il n’est pas moins nécessaire à l’existence nationale que les différents pouvoirs de l’État aient la même origine, suivent les mêmes principes, et agissent dans la même sphère, en un mot, qu’ils soient corrélatifs et homogènes. Personne, j’imagine, n’a jamais pensé à faire juger par des tribunaux étrangers les délits commis en France, afin d’être sûr de l’impartialité des magistrats. »

< Partie I, Ch. 8, p.150 >

Jules JANIN / Les catacombes (1) / Paris, Werdet 1839 [BnF]

« Au premier assassinat du marquis de Sade, six semaines de prison ; à son second assassinat, six mois de prison ; pendant que le malheureux Latude y est resté toute sa vie pour avoir insulté Mme de Pompadour.

C’est ainsi que les sociétés se perdent et se suicident elles-mêmes : dès qu’elles permettent d’emprisonner l’innocent, elles n’ont pas le droit de demander que l’on punisse le coupable. »

< Le marquis de Sade, p.181 >

Johann Wolfgang von GOETHE / Maximes et réflexions / Paris, Brokhauss et Avenarius 1842 [BnF]

« Si l’on pouvait abolir la mort, il n’y aurait rien à dire. Abolir la peine de mort serait difficile. Mais si cela arrivait, on serait bientôt forcé de la rétablir. »

< p.130 >

François VIDOCQ / Voleurs, physiologie de leurs mœurs et de leur langage / Paris, chez l’auteur 1837

« La peine de mort est une peine immorale, ou du moins inutile, parce qu’elle habitue le peuple au spectacle des supplices, et parce qu’elle ne répare rien ; car malheureusement la mort du meurtrier ne rend point la vie à la victime. »

< t.2 p.257 >

Victor HUGO / Choses vues / Histoire / Œuvres complètes / Robert Laffont - Bouquins 1987

« Dans la république d’Haïti, il vient de se passer ceci. Un sénateur nommé Courtois est condamné par le sénat pour un petit délit quelconque, à un mois de prison. Le président Soulouque, en vertu de la Constitution qui attribue au président de la république le droit de commuer les peines, commue la peine du sénateur Courtois, d’un mois de prison à la peine de mort. On a eu beaucoup de peine à l’en faire démordre. Il serait curieux que les républiques entendissent ainsi le droit de grâce. »

< 7 février 1848 p.665 >

Victor HUGO / Philosophie prose / Océan / Œuvres complètes / Robert Laffont - Bouquins 1989

« Les bons sont meilleurs que les justes. »

< 1846-48 p.67 >

Victor HUGO / Faits et croyances / Océan / Œuvres complètes / Robert Laffont - Bouquins 1989

« Les circonstances atténuantes sont une sourdine mise au code pénal. »

< p.126 >

Victor HUGO / Actes et paroles III / Politique / Œuvres complètes / Robert Laffont - Bouquins 1985

« Si l’on veut savoir de quel droit j’interviens dans cette douloureuse affaire, je réponds : de l’immense droit du premier venu. Le premier venu, c’est la conscience humaine. »

< XXII Pour un soldat, février 1875 p.891 >

240

JUSTICE

Edmond et Jules de GONCOURT / Journal (t.1) / Robert Laffont - Bouquins 1989

« Que parle-t-on de la difficulté de croire avec sa raison aux dogmes religieux ? Croyez donc avec l’expérience à tous les dogmes sociaux, au dogme de la justice ! Croyez qu’il y a des juges pour juger selon leur conscience et non selon leur carrière !... N’est-ce pas un beau mystère, qu’un homme, revêtu d’une robe, dépouille immédiatement toutes les passions et toutes les bassesses de l’homme? »

< 7 juin 1860 p.569 >

Friedrich NIETZSCHE / Aurore. (1881) / Œuvres I / Robert Laffont - Bouquins 1990

« Pensons-y ! — Celui que l’on punit n’est plus celui qui a commis l’action. Il est toujours le bouc émis-saire. »

< 252 p.1112 >

Friedrich NIETZSCHE / Le Gai Savoir. (1882-1887) / Œuvres II / Robert Laffont - Bouquins 1990

« But du châtiment. — Le châtiment a pour but de rendre meilleur celui qui châtie, — c’est là le dernier recours pour les défenseurs du châtiment. »

< 219 p.155 >

« Culpabilité. - Quoique les juges les plus sagaces des sorcières et même les sorcières elles-mêmes fussent persuadés de la culpabilité qu’il y avait à se livrer à la sorcellerie, cette culpabilité n’existait cependant pas.

Il en est ainsi de toute culpabilité. »

< 250 p.160 >

Thomas HOBBES / Léviathan (1651) / Dalloz 1999

« [...] pour ce qui est des sorcières, je ne pense pas que leur sorcellerie soit un pouvoir véritable ; mais je pense qu’elles sont châtiées justement, à cause de cette croyance fausse qu’elles ont d’être capables d’accomplir de tels méfaits, croyance jointe au dessein de les accomplir si elles le peuvent ; car leur profession se rapproche davantage d’une nouvelle religion que d’une technique artificieuse ou d’une science. »

< Partie I ch. ii, De l’imagination p.19 >

Alphonse KARR / Les Guêpes (quatrième série) / Calmann Lévy 1885

« Il n’y aurait pas besoin d’avocats pour défendre la veuve et l’orphelin, s’il n’y avait pas d’abord d’avocats qui les attaquent. »

< Juillet 1843, p.299 >

Alphonse KARR / Les Guêpes (cinquième série) / Calmann Lévy 1888

« Chaque fois qu’un avocat défend la bonne cause, il y a en face de lui un autre avocat qui défend la mauvaise. »

< juillet 1844 p.195 >

Alphonse KARR / 300 pages - Mélanges philosophiques / M. Lévy frères 1858

« S’il se trouvait par hasard un juge prévaricateur et qu’on lui reprochât le plus grand crime qu’il soit donné à l’homme de commettre : l’injustice de la justice, — crime pour lequel je professe une telle horreur, je dirai plus, une telle haine, que, moi qui suis en général pour la mansuétude, je ne trouve pas exagérée la peine qu’inflige Cambyse à un juge corrompu dont il fit clouer la peau sur le siège de son successeur ; —

si l’on reprochait à un pareil juge son iniquité, il ne manquerait pas de s’écrier que l’on attaque la justice en personne. »

< p.140 >

Alphonse KARR / En fumant / M. Lévy frères 1862

« Il ne faut pas plaisanter avec la liberté.— Pour moi, je mets dans l’ordre des peines l’emprisonnement au-dessus de la mort ; mais c’est peut-être un sentiment ou une sensation individuelle : — presque seul et peut-être seul en France, j’ai voté pour le maintien de la peine de mort. — Je me rappelle que j’ai formulé ainsi mon opinion : "Effaçons la peine de mort, je le veux bien ; mais que MM. les assassins commencent". »

< p.5 >

JUSTICE

241

Émile BERGERAT / Les soirées de Calibangrève / Flammarion 1892 [BnF cote 8-Z-13067]

« On n’est peut-être juste qu’en plein air, ô saint Louis ! »

< Cinquante pensées noires, p.109 >

Charles BAUDELAIRE / Mon cœur mis à nu / Œuvres complètes I / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1975

« La peine de Mort est le résultat d’une idée mystique, totalement incomprise aujourd’hui. La peine de Mort n’a pas pour but de sauver la société, matériellement du moins. Elle a pour but de sauver (spirituellement) la société et le coupable. Pour que le sacrifice soit parfait, il faut qu’il y ait assentiment et joie de la part de la victime. Donner du chloroforme a un condamné à mort serait une impiété, car ce serait lui enlever la conscience de sa grandeur comme victime et lui supprimer les chances de gagner le Paradis. »

< p.683 >

Félix LE DANTEC / L’athéisme / Flammarion 1907

« La bombe à rapproché le roi du voyou, depuis que le voyou peut aisément tuer le roi ; les gens qui croient à la justice doivent s’en féliciter. »

< p.97 >

Rémy de GOURMONT / Épilogues (1) / Mercure de France 1921

« Une justice infaillible et sûre, une justice qui lirait dans les consciences, une justice telle que le châtiment suivrait infailliblement la faute, y a-t-il un homme, un seul, qui la désire au fond de son cœur? »

< janvier 1898, p.190 >

Rémy de GOURMONT / Épilogues (6) / Mercure de France 1921

« De temps à autre, les journaux qui veulent faire rire aux dépens du passé, exhibent des recueils d’anecdotes, tel compte-rendu de procès criminels intentés jadis à des porcs, des chiens méchants, des chenilles.

C’est très drôle de juger un porc qui a dévoré un petit enfant ; est-ce beaucoup plus drôle que de voir juger un impulsif génétique qui a violé et étranglé une petite fille? Un temps viendra peut-être où les deux sortes d’anecdotes seront mises sur le même plan, si même le procès criminel contre un homme ne paraît pas plus barbare et plus fou. Peut-étre se mettra-t-on d’accord, dans la suite des siècles, pour décider qu’une maladie du cerveau doit être soignée par des thérapeutes analogues à ceux à qui on confie les maladies des reins ou celle du foie. »

< février 1911 p.256 >

Georges DARIEN / La Belle France (1900) / Voleurs ! / Omnibus Presses de la Cité 1994

« La Justice est représentée, au fronton des édifices où l’on en débite, par une femme masquée d’un bandeau, à la longue robe, qui tient dans sa main droite un glaive et dans sa main gauche une balance. Cette femme vous la connaissez. La Superstition religieuse protectrice du sabre soudard et de la balance du mer-canti, voilà le symbole de la Justice. »

< p.1264 >

Jules RENARD / Journal / Robert Laffont - Bouquins 1990

« Contrairement à ce qui est dit dans le Sermon sur la Montagne, si tu as soif de justice, tu auras toujours soif. »

< 14 juillet 1896 p.270 >

Léon DAUDET / Souvenirs / Robert Laffont - Bouquins 1992

« Le fou en liberté est une chose affreuse, par la contagion, par l’exemple, par le trouble apporté à la société saine. Je dirai, à la suite de Goethe, que je préfère l’internement injuste aux maux qu’entraîne la circulation d’un dément sans gardien, ni camisole. Tous les pères de famille me comprendront. »

< p.92 >

242

JUSTICE

Paul LÉAUTAUD / Journal littéraire / Mercure de France 1986

« J’expliquais hier à l’étude la nécessité de n’avoir point pour magistrats des hommes honnêtes. N’ayant aucune capacité criminelle, comment ceux-ci pourraient-ils juger des crimes ? On ne juge que ce qu’on connaît bien. »

< 24 août 1903 I p.80 >

Ambrose BIERCE / Le Dictionnaire du Diable (1911) / Éditions Rivages 1989

« Complice n. Individu associé à un autre individu dans un crime, avec assentiment et pleine conscience de ses actes, tel un avocat qui défend un criminel quand il sait que ce dernier n’est pas innocent. Ce point de vue sur la responsabilité de l’avocat n’a pas encore été reconnu par les hommes de la justice, personne ne leur ayant proposé de l’argent pour cela. »

< p.55 >

Diogène LAËRCE / Vies et doctrines des philosophes illustres / La Pochothèque LdP 1999

Une loi de Solon, l’un des sept sages de la Grèce antique :

« Si quelqu’un crève l’œil d’un borgne, qu’on lui crève les deux yeux. »

< I 57 Solon p.103 >

Georges BERNANOS / Journal de la guerre d’Espagne / Essais et écrits de combats I / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1971

« Œil pour œil, dent pour dent, soit. Le précepte n’a rien de neuf... Malheureusement il n’est pas sûr. Car j’admets volontiers que vous preniez un œil à l’adversaire qui vous a fait borgne. S’il vous crève l’autre, gros malin, comment ferez-vous ? Reste donc à lui prendre tout de suite les deux, le premier au nom du droit strict, et le second par précaution. C’est l’histoire du Traité de Versailles. »

< p.1447 >

Vladimir VOLKOFF / Petite histoire de la désinformation / Éditions du Rocher 1999

« À noter que la notion [...] d’agression est extrêmement floue. Si vous me faites un reproche un peu amer, si je vous insulte, si vous me giflez, si je vous donne un coup de poing, si vous tirez votre couteau, si je prends mon pistolet, qui a agressé qui?

L’Allemagne de la Deuxième Guerre mondiale nous apparaît comme l’agresseur des Alliés. Mais les clauses draconiennes et humiliantes du traité de Versailles lui donnaient le sentiment que c’était elle qui était agressée. On répliquera : le traité de Versailles n’a été si draconien que parce que l’Allemagne était déjà l’agresseur au moment de la Première Guerre mondiale. Et l’Allemagne répliquera que ce n’est pas elle qui a assassiné l’archiduc d’Autriche. Et les Serbes répliqueront que si l’Autriche n’avait pas colonisé la Serbie... »

< p.155 >

Pierre DAC / Les Pensées / Le cherche midi éditeur 1972

« La justice immanente est rarement imminente. »

< p.123 >

Emil CIORAN / De l’inconvénient d’être né (1973) / Œuvres / Quarto Gallimard 1995

« Il est impossible d’accepter d’être jugé par quelqu’un qui a moins souffert que nous. Et comme chacun se croit un Job méconnu... »

< p.1278 >

« "Ne juge personne avant de te mettre à sa place." Ce vieux proverbe rend tout jugement impossible, car nous ne jugeons quelqu’un que parce que justement nous ne pouvons nous mettre à sa place. »

< p.1316 >

Emil CIORAN / Carnets 1957-1972 / nrf Gallimard 1997

« Le problème de la responsabilité n’aurait de sens que si on nous avait consulté avant notre naissance et que nous eussions consenti à être celui que nous sommes précisément. »

< mai 1968 p.571 >

LA BRUYÈRE

243

André FROSSARD / Les Pensées / Le cherche midi éditeur 1994

« Les assassins de nos jours, ont toujours des circonstances atténuantes. Un seul mot de pitié pour les victimes suffit à faire perdre la considération des moralistes. Aujourd’hui le capitaine Dreyfus ne gagnerait la sympathie des intellectuels que s’il était coupable. »

< p.26 >

« C’est parce que la peine de mort n’est pas dissuasive qu’il faut la supprimer. Or l’un des derniers condamnés sortait de prison quand il a commis son crime. Il est clair que la prison n’est pas dissuasive. Donc il faut la supprimer. Il y a des tribunaux et cependant il se commet toujours des délits. Les tribunaux n’étant pas dissuasifs, il faut les supprimer ; on peut en dire autant de la gendarmerie et de la police en général.

Et des innocents. Si l’on continue à les tuer, c’est qu’ils ne sont pas dissuasifs. Supprimons-les. »

< p.140 >

LA BRUYÈRE

Lorédan LARCHEY / L’Esprit de tout le monde - Joueurs de mots (1891) / Berger-Levrault 1892

« L’élection de La Bruyère à 1’Académie française fit faire cet injuste quatrain, inspiré sans doute par la rancune d’un personnage qui s’était reconnu dans les Caractères : Quand La Bruyère se présente,

Pourquoi faut-il crier haro?

Pour faire un nombre de quarante

Ne fallait-il pas un zéro?

»

< p.270 >

Jules RENARD / Journal / Robert Laffont - Bouquins 1990

« La BRUYÈRE, le seul dont dix lignes lues au hasard ne déçoivent jamais. »

< 28 août 1908 p.941 >

LANGAGE

LIE-TSEU / Le Vrai Classique du vide parfait / Philosophes taoïstes / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1961

Prendre le nom pour la chose :

« Dans la région de l’Est, vivait un homme du nom de Yuan King-mou. Comme il se rendait en voyage, il faillit mourir de faim en cours de route. Un brigand de Hou-fou, du nom de K’ieou, le vit et lui apporta à boire et à manger pour le fortifier.

Yuan King-mou se fortifia trois fois, et, revenant à lui, il dit : "Qui êtes-vous ?" L’autre répondit : "Je suis de Hou-fou et je m’appelle K’ieou." Yuan King-mou dit : "N’es-tu pas un brigand ? Quoi ! Un dépravé m’aurait nourri? Mon sens de la justice m’interdit de manger de ta nourriture !" Alors, penché en avant, les deux mains au sol, il s’efforçait de tout vomir, mais il n’en sortait qu’un gargouillement. Sur quoi, on le vit s’affaisser et il mourut.

Il est vrai que l’homme de Hou-fou était un brigand, mais nourrir un voyageur n’est pas un acte de brigandage. Que le voyageur se soit refusé à assimiler ce que son bienfaiteur lui offrait en le considérant comme le fruit du brigandage, c’est là un malentendu entre le nom et la chose. »

< p.593 >

Alfred SAUVY / Mythologie de notre temps / Petite Bibliothèque Payot (191) 1971

« En 1944, au moment de la libération de Paris, de jeunes résistants se refusaient à prendre une voiture disponible dont ils avaient besoin, justifiant leur attitude par le fait qu’elle avait servi à la Gestapo. De ce fait, elle était à leurs yeux, souillée, maudite. Ils réprouvaient l’instrument à cause de l’usage qui en avait été fait. »

< p.174 >

244

LANGAGE

Nicolas BOILEAU-DESPRÉAUX / Œuvres / Art Poétique / Société des Belles Lettres 1939

«

Selon que nostre idée est plus ou moins obscure,

L’expression la suit, ou moins nette, ou plus pure.

Ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement,

Et les mots pour le dire arrivent aisément.

»

< Chant I v.150-153 p. 85 >

Paul VALÉRY / Tel Quel / Œuvres II / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1960

« A Boileau.

Il est très malaisé d’énoncer clairement ce que l’on conçoit plus nettement que ceux qui ont créé les formes et les mots du langage, — parmi lesquels ceux qui nous ont appris à parler. »

< p.680 >

Jean de LA BRUYÈRE / Les Caractères / Œuvres / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1951

« Les langues sont la clef ou l’entrée des sciences, et rien davantage ; le mépris des unes tombe sur les autres : il ne s’agit point si les langues sont anciennes ou nouvelles, mortes ou vivantes, mais si elles sont grossières ou polies, si les livres qu’elles ont formés sont d’un bon ou d’un mauvais goût. Supposons que notre langue pût un jour avoir le sort de la grecque et de la latine, serait-on pédant, quelques siècles après qu’on ne la parlerait plus, pour lire MOLIÈRE ou LA FONTAINE? »

< p.349 XIII (19) >

Thomas HOBBES / Léviathan (1651) / Dalloz 1999

« Les mots sont les jetons des sages, qui ne s’en servent que pour calculer, mais ils sont la monnaie des sots, qui les estiment en vertu de l’autorité d’un Aristote, d’un Cicéron, d’un saint Thomas, ou de quelque autre docteur, qui, en dehors du fait d’être un homme, n’est pas autrement qualifié. »

< Partie I ch. iv, De la parole p.32 >

Joseph JOUBERT / Carnets / nrf Gallimard 1938-1994

« Comment il se fait que ce n’est qu’en cherchant les mots qu’on trouve les pensées. »

< 28 février 1799 t.1 p.282 >

« Bannissez des mots toute équivoque, toute indétermination ; faites en, comme ils disent, des chiffres invariables : il n’y a plus de jeu dans la parole et dès lors plus d’éloquence et plus de poésie : tout ce qui est mobile et variable dans les affections de l’âme demeurera sans expression possible. Mais que disais-je, bannissez... Je dis plus. Bannissez des mots tout abus, il n’y a plus même d’axiomes. (Vid. d’Alembert, Discours sur l’Encyclopédie.) C’est l’équivoque, l’incertitude, c’est à dire la souplesse des mots qui est un de leurs grands avantages pour en faire un usage exact. »

< 9 novembre 1801 t.1 p.430 >

Georg Christoph LICHTENBERG / Aphorismes / Collection Corps 16 - Éditions Findakly 1996

« Il savait prononcer le mot "succulent" de telle manière qu’en l’entendant on avait l’impression de mordre dans une pêche mûre. »

< p.22 >

CHAMFORT / Maximes et Pensées, Caractères et Anecdotes / Garnier-Flammarion 1968

« Spéron-Spéroni explique très bien comment un auteur qui s’énonce très clairement pour lui-même est quelquefois obscur pour son lecteur : "C’est, dit-il, que l’auteur va de la pensée à l’expression et que le lecteur va de l’expression à la pensée." »

< 462 p.153 >

LANGAGE

245

Alphonse KARR / Les Guêpes (deuxième série) / Calmann Lévy 1898

« On peut en France ne jamais changer les choses, pourvu qu’on change les noms. — L’ odieuse conscrip-tion ne fait plus murmurer personne depuis qu’elle s’appelle recrutement. — La gendarmerie, si détestée, a le plus grand succès sous le nom de garde municipale. — Louis-Philippe, lui-même, n’est qu’un synonyme, — ou plutôt un changement de nom. — Les forts détachés ont fait pousser à la France entière un cri d’indignation ; l’ enceinte continue est fort approuvée. Si ce synonyme-là n’avait pas réussi, le roi en avait encore vingt en portefeuille, qu’il aurait essayés successivement ; — on peut gouverner la France avec des synonymes*. »

< Janvier 1841, p.144 >

* Sur ce point, rien n’a changé en France depuis 1841... sauf les synonymes.

Edmond et Jules de GONCOURT / Journal (t.1) / Robert Laffont - Bouquins 1989

« Didot, insolent comme les sots, nous demande, à propos de ce qu’il appelle nos bravades de style, si nous avons chez nous un dictionnaire de l’Académie française. Pour un peu, nous lui aurions répondu :

"Lequel ?" Car un dictionnaire est un almanach !... Malheureux, qui ne sait pas que tout homme qui ne féconde pas la langue n’est pas un homme de lettres ! »

< 18 juin 1858 p.365 >

Paul-Jean TOULET / Les trois impostures / Œuvres complètes / Robert Laffont - Bouquins 1986

« Dans le patois des Flandres, assure un explorateur, "épousailles" se dit "trouwplechtighied". Ce n’est pas un joli dialecte que le flamand. »

< 140 p.178 >

Ambrose BIERCE / Le Dictionnaire du Diable (1911) / Éditions Rivages 1989

« Whangdepootenawah n. Dans la langue Ojibwa, désastre. Affliction inattendue qui frappe très très fort. »

< p.292 >

Jules RENARD / Journal / Robert Laffont - Bouquins 1990

« En notre siècle de peu de foi, "sans doute" a le même sens que "peut-être". »

< 5 avril 1898 p.379 >

« Qu’est-ce que cette étoile? Et on lit son nom dans un livre, et on croit la connaître. »

< 18 juin 1900 p.462 >

« Celui qui me fera retenir des noms anglais n’est pas encore naturalisé. »

< 13 janvier 1903 p.630 >

Édouard LOCKROY / Au hasard de la vie / Paris Grasset 1913 [BnF]

« Je me promenais un jour avec lui [Victor Hugo] sur la falaise à Guernesey. Il me faisait une leçon admirable sur l’éloquence de la tribune. Comme je m’étonnais qu’un écrivain pût être en même temps un orateur, parce qu’en parlant ou en essayant de parler, il est obligé de se contenter du premier mot qui lui vient à l’esprit et qui n’est pas toujours le mot juste, Victor Hugo me répondit :

— Les mots justes sont des domestiques. On sonne, et ils viennent. »

< p.290 >

Rémy de GOURMONT / Épilogues (3) / Mercure de France 1923

« Le discours explicatif et apologétique est inutile. L’éloquence parlementaire est une survivance ou une régression, de même que l’éloquence judiciaire, l’éloquence universitaire. Un cours d’université, s’il n’est pas un service de laboratoire, une démonstration expérimentale, est une niaiserie. Habitude qui date des temps où les livres étaient rares et chers ! Éloquence parlementaire, système qui remonte au temps où, faute de moyens pour multiplier les documents, on se réunissait pour en écouter la lecture ! »

< mai 1902, p.56 >

246

LANGAGE

Paul VALÉRY / Tel Quel / Œuvres II / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1960

« CONSEIL À L’ÉCRIVAIN

Entre deux mots, il faut choisir le moindre.

(Mais que le philosophe entende aussi ce petit conseil.) »

< p.555 >

Paul VALÉRY / Cahiers I / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1973

« Ce qui obscurcit presque tout c’est le langage — parce qu’il oblige à fixer et qu’il généralise sans qu’on le veuille. »

< Langage p.382 >

« Excellent de ne pas trouver le mot juste — cela y peut prouver qu’on envisage bien un fait mental, et non une ombre du dictionnaire. »

< Langage p.385 >

ALAIN / Les idées et les âges / Les Passions et la Sagesse / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1960

« La langue est un instrument à penser. Les esprits que nous appelons paresseux, somnolents, inertes, sont vraisemblablement surtout incultes, et en se sens qu’ils n’ont qu’un petit nombre de mots et d’expressions ; et c’est un trait de vulgarité bien frappant que l’emploi d’un mot à tout faire. Cette pauvreté est encore bien riche, comme les bavardages et les querelles le font voir : toutefois la précipitation du débit et le retour des mêmes mots montrent bien que le mécanisme n’est nullement dominé. L’expression "ne pas savoir ce qu’on dit" prend alors tout son sens. On observera ce bavardage dans tous les genres d’ivresse et de délire.

Et je ne crois même point qu’il arrive à un homme de déraisonner par d’autres causes ; l’emportement dans le discours fait de la folie avec des lieux communs. Aussi est-il vrai que le premier éclair de pensée, en tout homme et en tout enfant, est de trouver un sens à ce qu’il dit. Si étrange que cela soit, nous sommes dominés par la nécessité de parler sans savoir ce que nous allons dire ; et cet état sibyllin est originaire en chacun ; l’enfant parle naturellement avant de penser, et il est compris des autres bien avant qu’il se comprenne lui-même. Penser c’est donc parler à soi. »

< p.319 >

Sacha GUITRY / Le petit carnet rouge / Cinquante ans d’occupations / Omnibus Presses de la Cité 1993

« C’est tout de même curieux de penser que les Marseillais trouvent que nous avons de l’accent ! »

< p.643 >

Georges PERROS / En vue d’un éloge de la paresse - Lettre préface / Le Passeur 1995

« Ce qui m’a le plus frappé, c’est la puissance des "mots". C’est le commerce, l’échange, rendu possible, grâce à un vocabulaire pour tous, pris au sérieux. Quand je pense qu’on peut séduire une femme, acquérir une situation, faire du mal, de la peine, du bien, du plaisir, avec des phrases bien assemblées, cela me confond. »

< p.52 >

François JACOB / Le jeu des possibles / Fayard 1981

« Ce qui donne au langage son caractère unique, c’est moins, semble-t-il, de servir à communiquer des di-rectives pour l’action que de permettre la symbolisation, l’évocation d’images cognitives. Nous façonnons notre "réalité" avec nos mots et nos phrases comme nous la façonnons avec notre vue et notre ouïe. Et la souplesse du langage humain en fait aussi un outil sans égal pour le développement de l’imagination. Il se prête à la combinatoire sans fin des symboles. Il permet la création mentale de mondes possibles. »

< p.114-115 >

Roland TOPOR / Pense-bêtes / Le cherche midi éditeur 1992

« Quand on prononce le mot "concupiscent" on dit aussi un peu caca. »

< p.86 >

LAPSUS

247

« En langue basque, AIZ signifie pierre, AIZKOLAR, hache, AIZKOLARIK, bûcheron. Voilà ce que j’appelle une langue ancienne. »

< p.160 >

Richard DAWKINS / Le gène égoïste / Editions Odile Jacob (Opus 33) 1996

« Le malheur des humains vient de ce que trop d’entre eux n’ont jamais compris que les mots ne sont que des outils à leur disposition, et que la seule présence d’un mot dans le dictionnaire (le mot "vivant" par exemple) ne signifie pas que ce mot se rapporte forcément à quelque chose de défini dans le monde réel. »

< p.38 >

LAPSUS

Victor HUGO / Choses vues / Histoire / Œuvres complètes / Robert Laffont - Bouquins 1987

« Faute d’impression dans une supplique distribuée à l’Académie pour le prix de vertu : Les quarante sages qui composent l’auguste aréopage

on a mis : les quarante singes. »

< p.1244 >

André GIDE / Journal 1889-1939 / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1951

« On raconte que Rosny, exaspéré par les erreurs typographiques que les protes faisaient ou laissaient passer, écrivit un article vengeur intitulé "Mes coquilles". Quand Rosny le lendemain ouvrit le journal, il lut avec stupeur, en gros caractères, cet étrange titre : "MES COUILLES". Un prote, négligent ou malicieux, avait laissé tomber le q... »

< 15 décembre 1937 p.1276 >

*** / Le Canard enchaîné - n°3861 - 26 octobre 1994

« Sarkoquin

Qui l’eût dit ? Sarko a eut le lapsus fleuri mercredi dernier, 19 octobre, au Pavillon Gabriel, en bas des Champs-Elysées, à la remise du prix Veuve-Clicquot de la " femme d’affaires de l’année" à Nicole Bru, pédégère des laboratoires Upsa (aspirine et compagnie). Devant une assistance où se bousculait du beau linge (Bernard Arnault, Christine Ockrent, Mme Vigouroux, etc.), la langue du super-ministre a fourché quand à l’instant d’entamer son laïus il a attaqué très fort : " Le prix de la Veuve-Clito"... Hilarité générale !

Un agenda aussi chargé, c’est à ses risques et pénis ! »

< >

*** / Le Canard enchaîné - n°3888 - 3 mai 1995

« Traître de mélodrame

Un joli lapsus de François Bayrou, le président du CDS, hier balladurien et aujourd’hui chiraquisé dans l’attente d’un portefeuille : " L’espace Balladur, a-t-il lâché lors du conseil politique de son parti le 29 avril, doit se pérenniser avec une structure rénovée. Je peux trahir... euh... traduire ma pensée... "

Bayrou est excusable : au CDS, la trahison a toujours été une seconde nature. »

< >

*** / Le Canard enchaîné - n°3894 - 21 juin 1995

« Les fantasmes de Charette

Était-ce l’air vif d’Halifax ou l’ambiance torride du G7 ? Hervé de Charette a commis un délicieux lapsus en rendant compte, le 16 juin, des travaux du Sommet. Le ministre des Affaires étrangères a déclaré : " Les ministres des Finances ont abordé les variations érotiques de monnaies, pardon, erratiques. "

À Halifax, Chirac avait dénoncé " la spéculation, ce sida de nos économies". Ça aura troublé l’esprit de ce pauvre Charette. »

< >

248

LA ROCHEFOUCAULD

*** / Le Canard enchaîné - n°4036 - 4 mars 1998

« Obscénité

Lapsus d’Edouard Balladur au cours d’un meeting électoral à Montgeron (Essonne), le 27 février :

" Elle [l’abstention] sera l’un de nos principaux obstacles. C’est donc par le bouche-à-bouche qu’il faudra convaincre les électeurs d’aller voter." Est-ce bien convenable, Edouard? »

< >

Georges FILLIOUD / Homo Politicus / filipacchi 1996

Jean Tibéri :

« Cette anecdote s’est déroulée lors d’une cérémonie organisée à l’occasion d’un anniversaire du théâtre de la Huchette, dans le Ve arrondissement : devant un aréopage de personnalités, je devais remettre, au nom du maire de Paris, la médaille de vermeil — qui est la plus haute distinction de la Ville — au dramaturge Eugène Ionesco.

Un discours avait été préparé pour l’occasion, et au moment de prononcer les paroles habituelles : "J’ai l’honneur de vous remettre la médaille de vermeil de la Ville", j’ai dit : "J’ai l’honneur de vous remettre la merdaille de merveille de la Ville... ". L’assistance a immédiatement éclaté de rire, et j’avoue avoir eu du mal à terminer mon discours. »

< p.265 >

LA ROCHEFOUCAULD

Charles-Augustin SAINTE-BEUVE / Mes Poisons / Collection Romantique / José Corti 1988

« La Rochefoucauld a contre lui tous les philosophes grandioses : il a osé mettre le doigt sur le grand ressort du joujou humain, et on ne le lui pardonne pas.

Il a aussi contre lui les hommes de gouvernement et d’action ; mais la seule objection de ces derniers se réduit à ceci : "Pourquoi, diantre ! aller mettre le doigt sur le ressort ? laissez-le plutôt jouer sans le dire, et surtout laissez-nous en jouer."

— Pour bien entendre La Rochefoucauld, il faut se dire que l’amour-propre, dans ses replis de protée et ses métamorphoses, prend parfois des formes sublimes. »

< p.191 >

Alphonse KARR / Les Guêpes (troisième série) / Calmann Lévy 1888

« Le livre de la Rochefoucauld me raconte l’histoire publique et secrète de tous les temps et de tous les siècles, — l’histoire du passé et l’histoire de l’avenir. — Loin de m’irriter contre l’homme en me le dévoilant, il me rend au contraire bon et indulgent.

Il m’apprend à ne pas demander à la vie plus qu’elle ne contient, à ne pas attendre de l’homme plus qu’il ne possède. Les Samoyèdes, j’en suis sûr, ne ressentent qu’un médiocre chagrin de ne pas manger d’ananas ;

— je n’ai plus sujet d’en vouloir aux hommes de ce qu’ils n’exercent pas à mon bénéfice une foule de noms de vertus qui, en réalité, ne mûrissent pas dans leur cœur ; — l’homme le plus laid du monde est au même point que la plus jolie fille du monde ; — il suffit de bien établir qu’un pommier est un pommier pour qu’on renonce à la fantaisie de cueillir dessus des pêches ; on s’arrange des pommes et on n’en veut pas au pommier. »

< Février 1842, p.230 >

André GIDE / Journal 1889-1939 / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1951

« Le jour où La Rochefoucauld s’avisa de ramener et réduire aux incitations de l’amour-propre les mouvements de notre cœur, je doute s’il fit tant preuve d’une perspicacité singulière, ou plutôt s’il n’arrêta pas l’effort d’une plus indiscrète investigation. Une fois la formule trouvée, l’on s’y tint et, durant deux siècles et plus, on vécut avec cette explication. Le psychologue parut le plus averti, qui se montrait le plus sceptique et qui, devant les gestes les plus nobles, les plus exténuants, savait le mieux dénoncer le ressort secret de l’égoïsme. Grâce à quoi tout ce qu’il y a de contradictoire dans l’âme humaine lui échappe. Et je ne lui reproche pas de dénoncer "l’amour-propre" ; je lui reproche parfois de s’en tenir là ; je lui reproche de croire qu’il a tout fait quand il a dénoncé l’amour-propre. Je reproche surtout à ceux qui l’ont suivi, de LECTURE

249

s’en être tenu là. »

< p.661 >

Vladimir JANKÉLÉVITCH / Philosophie morale / Mille&UnePages Flammarion 1998

« Ceux qui découragent la vertu, l’héroïsme, la charité et tout ce qui est pur ici-bas sont les mêmes qui rendent impossible, à force de dialectique, le mouvement et la liberté. La Rochefoucauld est, pour ainsi dire, le Zénon du monde moral : de même que Zénon décompose le mouvement en points stationnaires, de même le pointillisme des pointilleux, qui cherche des poux à la vertu et à la pureté, trouble ce qu’on peut appeler l’évidence du bon mouvement ; le "bon mouvement", c’est aussi le premier mouvement, l’impulsion inchoative et généreuse que les méfiants, les ironiques, les soupçonneux n’ont pas encore désagrégé en scrupules. Si la spontanéité charitable est le premier mouvement, le calcul intéressé ou ravisement est le second ; à l’intention toujours initiale de Donner succède l’intention de Reprendre ou Retenir, — car on ne

"se ravise" que pour refuser et pour dire non. Tout de même c’est pour un deuxième mouvement réflexif, pour un mouvement secondaire que la bonne intention prévenante et initiale se désagrège en rhapsodie de scrupules. La primarité et simplicité affirmatives du fiat — que ce soit sacrifice, décision héroïque ou offrande — devient suspecte après coup. Pas de cœur pur qui reste pur pour cet épluchage zénonien ! »

< La mauvaise conscience, p.180 >

Paul MORAND / Journal inutile 1968-1972 / nrf Gallimard 2001

« La Rochefoucauld : un goutteux qui fait des pointes. »

< 30 octobre 1968, p.80 >

LECTURE

Michel de MONTAIGNE / Essais / Garnier 1962

« Un suffisant lecteur descouvre souvant ès escrits d’autruy des perfections autres que celles que l’autheur y a mises et apperceües, et y preste des sens et des visages plus riches. »

< t.1 p.135 livre I chap.XXIV >

« Les livres sont plaisans ; mais, si de leur frequentation nous en perdons en fin la gayeté et la santé, nos meilleures pieces, quittons les. »

< t.1 p.277 livre I chap.XXXIX >

« Il y a plus affaire à interpreter les interpretations qu’à interpreter les choses, et plus de livres sur les livres que sur autre subject : nous ne faisons que nous entregloser. »

< t.2 p.520 livre III chap.XIII >

MONTESQUIEU / Mes pensées / Œuvres complètes I / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1949

« L’étude a été pour moi le souverain remède contre les dégoûts de la vie, n’ayant jamais eu de chagrin qu’une heure de lecture ne m’ait ôté. »

< 4 p.975 >

Jean de LA BRUYÈRE / Les Caractères / Œuvres / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1951

« Quand une lecture vous élève l’esprit, et qu’elle vous inspire des sentiments nobles et courageux, ne cherchez pas une autre règle pour juger l’ouvrage ; il est bon, et fait de main d’ouvrier. »

< p.74 I (31) >

« L’étude des textes ne peut jamais être assez recommandée ; c’est le chemin le plus court, le plus sûr et le plus agréable pour tout genre d’érudition ; ayez les choses de première main ; puisez à la source ; maniez, remaniez le texte ; apprenez-le de mémoire ; citez-le dans les occasions ; songez surtout à en pénétrer le sens dans toute son étendue et dans ses circonstances ; conciliez un auteur original, ajustez ses principes, tirez vous-même les conclusions ; les premiers commentateurs se sont trouvés dans le cas où je désire que vous soyez : n’empruntez leurs lumières, et ne suivez leurs vues, qu’où les vôtres seraient trop courtes ; leurs explications ne sont pas à vous, et peuvent aisément vous échapper ; vos observations au contraire naissent de votre esprit et y demeurent, vous les retrouverez plus ordinairement dans la conversation, dans 250

LECTURE

la consultation et dans la dispute. Ayez le plaisir de voir que vous n’êtes arrêté dans la lecture que par les difficultés qui sont invincibles, où les commentateurs et les scoliastes eux-mêmes demeurent courts, si fertiles d’ailleurs, si abondants et si chargés d’une vaine et fastueuse érudition dans les endroits clairs, et qui ne font de peine ni à eux ni aux autres. Achevez ainsi de vous convaincre par cette méthode d’étudier, que c’est la paresse des hommes qui a encouragé le pédantisme à grossir plutôt qu’à enrichir les bibliothèques, à faire périr le texte sous le poids des commentaires ; et qu’elle a en cela agi contre soi-même et contre ses plus chers intérêts, en multipliant les lectures, les recherches et le travail qu’elle cherchait à éviter. »

< p.430 XV (72) >

Charles de SAINT-ÉVREMOND / Œuvres mêlées (6) / Paris, C.Barbin 1684

« On ne saurait devenir habile ni agréable, si l’on n’aime la lecture ; sans cela le plus beau naturel est ordinairement sec et stérile. »

< Avis et pensées sur plusieurs sujets, p.42 >

Antoine de RIVAROL / Esprit de Rivarol [œuvres diverses] / Paris 1808 [BnF cote Z-24383]

« L’ imprimerie est l’artillerie de la pensée. »

< Politique p.44 >

Joseph JOUBERT / Carnets / nrf Gallimard 1938-1994

« La reliure recommande un livre. Il faut qu’un livre rappelle son lecteur, comme on dit que le bon vin rappelle son buveur. Il ne peut le rappeler que par l’agrément. Un certain agrément doit se trouver même dans les écrits les plus austères. »

< 1 avril 1797 t.1 p.205 >

« Il faut que l’esprit séjourne dans une lecture pour bien connaître un auteur. »

< 22 février 1799 t.1 p.279 >

« Vous dites que les livres sont bientôt lus, mais ils ne sont pas bientôt entendus. Les digérer etc. Pour bien entendre une belle et grande pensée, il faut peut-être autant de temps que pour l’avoir, la concevoir. S’en pénétrer ou la produire sont presque une même action. »

< 29 janvier 1802 t.1 p.443 >

« Ce qu’on cherche surtout dans les livres sans s’en apercevoir, ce sont des mots propres à exprimer nos diverses pensées. »

< 24 avril 1804 t.1 p.616 >

« On demande sans cesse de nouveaux livres, et il y a dans ceux que nous avons depuis longtemps, des trésors inestimables de science et d’agrément qui nous sont inconnus parce que nous négligeons d’y prendre garde. »

< 16 mars 1807 t.2 p.187 >

« De ceux à qui le monde ne suffit pas : les saints, les conquérants, les poètes et tous les amateurs des livres. »

< 26 octobre 1807 t.2 p.228 >

« Le papier est patient, mais le lecteur ne l’est pas. »

< 25 mai 1808 t.2 p.272 >

« Le grand inconvénient des livres nouveaux est de nous empêcher de lire les anciens. »

< 23 juin 1808 t.2 p.276 >

« Peu de livres peuvent plaire toute la vie. Il y en a dont on se dégoûte avec le temps et la sagesse ou le bon sens, comme des passions.

Les beaux ouvrages n’enivrent point, mais ils enchantent. »

< 5 mars 1813 t.2 p.380 >

LECTURE

251

CHAMFORT / Maximes et Pensées, Caractères et Anecdotes / Garnier-Flammarion 1968

« Jamais le monde n’est connu par les livres, on l’a dit autrefois, mais ce qu’on n’a pas dit, c’est la raison : la voici. C’est que cette connaissance est un résultat de mille observations fines dont l’amour-propre n’ose faire confidence à personne, pas même au meilleur ami. On craint de se montrer comme un homme occupé de petites choses, quoique ces petites choses soient très importantes au succès des plus grandes affaires. »

< 177 p.89 >

« La plupart des livres d’à présent ont l’air d’avoir été faits en un jour avec des livres lus la veille. »

< 425 p.147 >

Louis-Ambroise de BONALD / Œuvres complètes t.3 / Paris, J-P Migne 1859

« Il faut parcourir beaucoup de livres pour meubler sa mémoire ; mais quand on veut se former un goût sûr et un bon style, il faut en lire peu, et tous dans le genre de son talent. L’immense quantité de livres fait qu’on ne lit plus ; et dans la société des morts comme dans celle des vivants, les liaisons trop étendues ne laissent plus aux amitiés le temps de se former. »

< Pensées, p.1410 >

STENDHAL / Journal / Œuvres intimes II / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1982

« Dans l’excès du bonheur lire est bien difficile, cependant on s’ennuie à la longue si l’on ne lit pas. »

< 1 août 1830, p.131 >

Victor HUGO / Philosophie prose / Océan / Œuvres complètes / Robert Laffont - Bouquins 1989

« Qui a bu, boira. Qui a lu, lira. »

< 1846 p.102 >

Victor HUGO / Faits et croyances / Océan / Œuvres complètes / Robert Laffont - Bouquins 1989

« Lire, c’est boire et manger. L’esprit qui ne lit pas maigrit comme le corps qui ne mange pas. »

< 1840-42 p.151 >

Georg Christoph LICHTENBERG / Aphorismes / Collection Corps 16 - Éditions Findakly 1996

« Il est bon de relire encore les livres que d’autres ont lus cent fois : l’objet reste bien le même, mais c’est le sujet qui change. »

< p.17 >

« Il y a vraiment beaucoup de gens qui lisent pour avoir le loisir de ne pas penser. »

< p.46 >

Eugène DELACROIX / Journal 1822-1863 / Plon 1980

« Tel livre où on n’avait rien trouvé d’utile, lu avec les yeux d’une expérience plus avancée, portera leçon. »

< 8 octobre 1822 p.28 >

Alfred de VIGNY / Journal d’un poète / Paris, A. Lemerre 1885 [BnF]

« Je ne peux plus lire que les livres qui me font travailler. Sur les autres, ma pensée glisse comme sur du marbre. — J’aime à labourer. »

< 1834, p.93 >

Alphonse KARR / En fumant / M. Lévy frères 1862

« Oh ! les livres — les bons livres — les chers livres — qui vous emportent hors de vous-même et de la vie ! — comme il est plus doux de lire que de vivre ! »

< p.58 >

Edmond et Jules de GONCOURT / Journal (t.2) / Robert Laffont - Bouquins 1989

« À bord de l’ Hermus.

Sur ma couchette, après avoir lu du Joubert : des pensées si fines qu’elles ressemblent à des ailes d’insectes disséquées. En somme, le La Bruyère du filigrane. »

< 17 mai 1867 p.83 >

252

LECTURE

« Un enfant qu’on ne voit jamais lire est destiné par avance à une carrière seulement de mouvement et d’action. Il sera quoi? ...un soldat. »

< 11 septembre 1883 p.1020 >

Friedrich NIETZSCHE / Humain, trop humain. (1878-1879) / Œuvres I / Robert Laffont - Bouquins 1990

« Livres dangereux. - Quelqu’un dit : "Je le remarque sur moi-même : ce livre est dangereux." Mais qu’il attende un peu, et il s’avouera certainement un jour que ce livre lui a rendu un grand service, en mettant au jour la maladie cachée de son cœur, la rendant ainsi visible. - Les changements d’opinion ne changent pas le caractère d’un homme (ou du moins fort peu) ; ils éclairent cependant certains côtés de la configuration de sa personnalité qui, jusqu’à présent, avec une autre constellation d’opinions, étaient restés obscurs et méconnaissables. »

< 58 p.725 >

Jules RENARD / Journal / Robert Laffont - Bouquins 1990

« Ces heures où l’on a envie de lire quelque chose d’absolument beau. Le regard fait le tour de la bibliothèque, et il n’y a rien. Puis, on se décide à prendre n’importe quel livre, et c’est plein de belles choses. »

< 27 juin 1899 p.421 >

« Chacune de nos lectures laisse une graine qui germe. »

< 8 mai 1901 p.522 >

« Quand je pense à tous les livres qu’il me reste à lire, j’ai la certitude d’être encore heureux. »

< 23 juin 1902 p.601 >

« On a tout lu, mais ils ont lu un livre que vous devriez lire, qui leur donne une supériorité, et qui annule toutes vos lectures? »

< 27 novembre 1906 p.858 >

Antoine GARABY DE LA LUZERNE / Sentiments chrétiens, politiques et moraux (1641) / Moralistes du XVIIe siècle / Robert Laffont - Bouquins 1992

« Qui n’entend à demi-mot n’y entendra rien du tout. »

< Préface p.22 >

Léon BLOY / Exégèse des lieux communs / Mercure de France 1968

« On devrait fonder une chaire pour l’enseignement de la lecture entre les lignes. »

< p.232 >

Henry MARET / Pensées et opinions / Paris, Flammarion 1903 [BnF]

« Avez-vous remarqué que lorsqu’on dit d’un livre qu’il peut se mettre dans toutes les mains, il ne va jamais dans aucune ? Ce n’est pas que le lecteur soit vicieux ; mais je pense qu’il en est des auteurs, dont on dit qu’ils sont honnêtes, comme des femmes dont on dit qu’elles sont vertueuses ; c’est qu’on n’a rien de mieux à en dire. »

< p.230 >

ALAIN / Propos I / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1956

« Il y a, je crois, plus d’idées réelles dans les Confessions de Rousseau que dans son Émile ; et il est rare que l’on lise des Mémoires sans en tirer quelque chose. Si vous me demandiez ce qu’il faut lire pour connaître l’homme, je conseillerais plutôt de lire Balzac ou Stendhal, qui ont recueilli et enchâssé tant de paroles échappées, que La Rochefoucauld lui-même, qui s’étudie à répéter la même chanson. Encore va-t-il jusqu’au bout de son refrain ; mais ceux qui l’ont connu entendirent sans doute des chansons plus libres.

Faites attention à ceci que le vrai observateur semble toujours distrait ; c’est qu’il guette l’imprévisible chant du merle. »

< 21 juillet 1921 p.258 >

LECTURE

253

ALAIN / Propos II / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1970

« À l’heure où il vous plaît de penser, lisez quelque bon auteur, et relisez-le ; il est même bon de copier les plus difficiles, et encore plusieurs fois. Traduire d’une langue dans une autre est bon aussi, pourvu que l’on fasse plutôt attention au sens des mots et aux liaisons grammaticales qu’à l’idée cachée et profonde. Vous ne la saisirez, cette idée que par des travaux d’approche, et non point en vous jetant sur quelque formule où vous croyez qu’elle est enfermée. Si le travail de copier ou de traduire vous retarde et vous détourne de penser la tête en avant, à la manière des taureaux, ce sera toujours un grand profit. »

< 22 juillet 1922 p.492 >

Paul VALÉRY / Tel Quel / Œuvres II / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1960

« Un ouvrage est d’autant plus clair qu’il contient plus de choses que le lecteur eût formées lui-même sans peine et sans pensée. »

< p.559 >

« Il faut, un jour d’énergie, prendre le livre que l’on tient pour ennuyeux, lui ordonner d’être, essayer de reconstituer l’intérêt qu’y a pris l’auteur. »

< p.640 >

Paul VALÉRY / Mauvaises pensées et autres / Œuvres II / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1960

« La lecture des histoires et romans sert à tuer le temps de deuxième ou troisième qualité.

Le temps de première qualité n’a pas besoin qu’on le tue. C’est lui qui tue tous les livres. Il en engendre quelques-uns. »

< p.801 >

Edmond et Jules de GONCOURT / Journal (t.1) / Robert Laffont - Bouquins 1989

« Notre livre lu avec intérêt par les imbéciles — un grand symptôme. C’est le succès... »

< juillet 1858 p.370 >

Paul VALÉRY / Cahiers I / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1973

« J’aime mieux être lu plusieurs fois par un seul qu’une seule fois par plusieurs. »

< Ego scriptor p.252 >

Rémy de GOURMONT / Épilogues (6) / Mercure de France 1921

« Il faut que les meilleurs soient méconnus. Les meilleurs appartiennent aux meilleurs. »

< mars 1911 p.261 >

Paul LÉAUTAUD / Journal littéraire / Mercure de France 1986

« Les livres sont rares que j’ai pu achever de lire. »

< septembre 1900 I p.36 >

« Il y a bien des livres que j’ai lus, moins pour leur contenu, que pour les réflexions, sujet et style, que je savais qu’ils me feraient faire. »

< 11 août 1913 I p.879 >

« Il y a longtemps que je pense que si j’avais un fils et qu’il ait des dispositions littéraires ou même seulement pour les choses de l’esprit, j’ai beau ne pas aimer me mêler de diriger dans ce domaine, je lui enlèverais tous les poètes. Ces gens-là font perdre un temps considérable pour le développement de l’esprit. J’ai perdu au moins quinze années, pour ma part, à me laisser bercer par leurs fariboles. Et le roman ? Comment un homme, à cinquante ans, peut-il encore écrire des romans? Comment peut-on même encore, à cet âge, en lire? Poésie et roman, c’est certainement la partie inférieure de la littérature. »

< 4 mars 1927 I p.1919 >

254

LECTURE

« Avoir lu, connaître, les poètes, les prosateurs connus, célèbres : Vigny, Musset, Lamartine, Baudelaire, Flaubert, Balzac, aucun mérite. Rien d’assommant comme les gens qui font étalage, dans leur conversation, de lectures de ce genre, mais avoir lu, connaître les auteurs demeurés sans grande notoriété : voilà la vraie curiosité de l’esprit et du goût. Entre les premiers et les seconds, la même différence qu’entre les gens qui aiment la foule et ceux qui préfèrent la solitude, ceux qui se plaisent à sortir le dimanche et ceux, au contraire, qui, ce jour-là, restent chez eux, ceux qui ont besoin en tout d’un guide et d’un exemple et ceux qui vont d’eux-mêmes aux découvertes. »

< 24 octobre 1930 II p.635 >

« Dostoïewsky grand écrivain, si on veut, mais écrivain à ne pas lire, par hygiène intellectuelle. Tous ces détraqués, ces dégénérés, ces tarés, ces mystiques de la conscience et du remords, sombrant tous plus ou moins dans la folie et dans le crime. C’est de la littérature pathologique. »

< 30 décembre 1932 II p.1175 >

« Il n’y a que ce genre de lecture qui vaille : les Correspondances, les Souvenirs, les Journaux, les Confessions, les Autobiographies, les Biographies, d’un genre ou d’un autre. »

< 2 mai 1950 III p.1856 >

Paul LÉAUTAUD / Propos d’un jour / Œuvres / Mercure de France 1988

« Je vais passer pour un esprit léger (au jugement des esprits lourds) : un Dictionnaire d’anecdotes fait ma plus grande lecture. Tous les caractères sont là, peints en peu de mots. Pour les caractères en grand : les Correspondances. »

< p.368 >

Jean COCTEAU / Le Rappel à l’ordre / Romans, Poésies, Œuvres diverses / La Pochothèque LdP 1995

« Apprenez qu’un livre ne donne jamais ce qu’on en peut attendre. Il ne saurait être une réponse à votre attente. Il doit vous hérisser de points d’interrogation. »

< p.492 >

Jean COCTEAU / La difficulté d’être / Romans, Poésies, Œuvres diverses / La Pochothèque LdP 1995

« Ce que le lecteur veut, c’est se lire. En lisant ce qu’il approuve, il pense qu’il pourrait l’avoir écrit. Il peut même en vouloir au livre de prendre sa place, de dire ce qu’il n’a pas su dire, et que selon lui il dirait mieux. »

< p.899 >

André GIDE / Journal 1889-1939 / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1951

« On se demande, en voyant certains livres : Qui peut les lire? - En voyant certaines gens : Que peuvent-ils lire? - Puis ça finit par s’accrocher. »

< 30 juin 1931 p.1056 >

Emil CIORAN / Des larmes et des saints (1937) / Œuvres / Quarto Gallimard 1995

« Quel plaisir d’avoir sous la main un mystique allemand, un poète hindou ou un moraliste français, à l’usage de l’exil quotidien !

Lire jour et nuit, avaler des tomes, ces somnifères, car personne ne lit pour apprendre mais pour oublier, remonter jusqu’à la source du cafard en épuisant le devenir et ses marottes ! »

< p.329 >

Emil CIORAN / Syllogismes de l’amertume (1952) / Œuvres / Quarto Gallimard 1995

« Combien j’aime les esprits de second ordre (Joubert, entre tous) qui, par délicatesse, vécurent à l’ombre du génie des autres et, craignant d’en avoir, se refusèrent au leur ! »

< p.745 >

LECTURE

255

Emil CIORAN / De l’inconvénient d’être né (1973) / Œuvres / Quarto Gallimard 1995

« Si on veut connaître un pays, on doit pratiquer ses écrivains de second ordre, qui seuls en reflètent la vraie nature. Les autres dénoncent ou transfigurent la nullité de leurs compatriotes : ils ne veulent ni ne peuvent se mettre de plain-pied avec eux. Ce sont des témoins suspects. »

< p.1337 >

Emil CIORAN / Écartèlement (1979) / Œuvres / Quarto Gallimard 1995

« Malheur au livre qu’on peut lire sans s’interroger tout le temps sur l’auteur ! »

< p.1791 >

Emil CIORAN / Aveux et anathèmes (1987) / Œuvres / Quarto Gallimard 1995

« La critique est un contresens : il faut lire, non pour comprendre autrui mais pour se comprendre soi-même. »

< p.1655 >

Emil CIORAN / Carnets 1957-1972 / nrf Gallimard 1997

« Le lecteur vrai est celui qui n’écrit pas. Lui seul est capable de lire un livre naïvement, — unique manière de sentir un ouvrage. »

< 2 décembre 1964 p.246 >

« Il vaut mieux lire par goût un auteur dépassé que par snobisme un auteur dans le vent. Dans le premier cas, on s’enrichit avec la substance d’un autre, dans le second, on consomme sans profit. »

< 1 juin 1968 p.576 >

« Tout à l’heure, j’ai vu, sur le camion des Éditions du Seuil, écrit en très grosses lettres : Tout Baudelaire en un volume.

Si Baudelaire avait prévu une telle horreur, celle qu’il éprouvait pour le monde moderne aurait dégénéré en fureur convulsive. »

< 16 mai 1969 p.725 >

Jean-François REVEL / Pourquoi des philosophes / Robert Laffont - Bouquins 1997

« On entend souvent des lamentations au sujet du grand nombre de stupidités qui ont été écrites depuis qu’il y a des livres : or, j’avoue que ce qui me frappe, au contraire, c’est le très grand nombre de choses intelligentes, définitives, qui ont été écrites. Mais c’est chez les auteurs les plus classiques, et auxquels on recourt le moins, qu’il faut aller les trouver, et non dans quantité de publications pénibles et médiocres, qui se prétendent les plus actuelles sous prétexte qu’elles sont les dernières en date. »

< p.62 >

Jean-François REVEL / Contrecensures / Robert Laffont - Bouquins 1997

« La chose du monde la moins ressentie par les amateurs de littérature est le besoin d’explorer par eux-mêmes les compartiments délaissés, et surtout mal vus, de la culture. »

< p.598 >

Edmond et Jules de GONCOURT / Journal (t.1) / Robert Laffont - Bouquins 1989

« Quelle supériorité de la parole écrite, du livre sur la causerie ! Les plus mauvais livres, les plus légers, les plus vides, sont encore les cordes qui fixent le terrain, l’arène de la vérité. »

< septembre 1859 p.474 >

Henri LABORIT / Éloge de la fuite / Robert Laffont 1976 - Gallimard folio-essais 7

« Alors, le contact humain, la chaleur humaine qu’en faites-vous?

— Ce que les hommes ont à communiquer entre eux, la science et l’art, ils ont bien des moyens d’en faire l’échange. J’ai reçu d’eux plus de choses par le livre que par la poignée de main. Le livre m’a fait connaître le meilleur d’eux-mêmes, ce qui les prolonge à travers l’Histoire, la trace qu’ils laissent derrière eux. »

< p.29 >

256

LIBERTÉ

Antoine BLONDIN / Ma vie entre des lignes / Œuvres / Robert Laffont - Bouquins 1991

« Nous n’adhérons à nos lectures que pour autant qu’elles suscitent en nous ce petit choc à quoi l’on reconnaît une grande vérité humaine. »

< p.871 >

André COMTE-SPONVILLE / L’amour la solitude / Ed. Paroles d’Aube 1996

« Les livres n’ont pas d’importance : il n’y a que la vie qui importe, et seuls méritent d’être lus les livres qui se mettent à son service — seuls méritent d’être lus, en conséquence, les auteurs qui savent que les livres n’ont pas d’importance ! »

< p.85 >

Jean YANNE / Pensées, répliques, textes et anecdotes / Le cherche midi éditeur 1999

« Aucun livre de qui que ce soit ne m’a jamais aidé à supporter quoi que ce soit. Sauf, peut-être les longs voyages en chemin de fer. »

< p.26 >

Bernard PIVOT / Le métier de lire / folio Gallimard 2001

« Il est impossible que les habitudes contractées devant la télévision ne se retrouvent pas ailleurs. Comment lire placidement un journal quand on a dans l’œil l’impatience de l’ubiquiste ? Comment lire un livre dans sa longue continuité quand on est un zappeur invétéré? Je suis convaincu qu’une des raisons pour lesquelles les jeunes lisent de moins en moins, c’est l’inaptitude de l’écrit à se prêter aux pratiques du zapping. On en est conscient dans la presse lorsque l’on parle de ménager dans une enquête plusieurs "entrées", lorsqu’on s’efforce de déstructurer un article-fleuve en rivières et ruisseaux dont il sera plus tentant et plus facile d’emprunter le cours. Mais quel zapping pour Guerre et Paix ? »

< p.90 >

LIBERTÉ

ÉPICURE / Sentences vaticanes / Lettres, maximes, sentences / Livre de Poche (4628) 1994

« Il faut se dégager soi-même de la prison des affaires quotidiennes et publiques. »

< 58 p.217 >

Blaise PASCAL / Pensées / Œuvres complètes / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1954

« Je puis bien concevoir un homme sans mains, pieds, tête (car ce n’est que l’expérience qui nous apprend que la tête est plus nécessaire que les pieds). Mais je ne puis concevoir l’homme sans pensée : ce serait une pierre ou une brute. »

< 258 p.1156 >

MONTESQUIEU / Spicilège / Œuvres complètes II / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1951

« La liberté est en nous une imperfection : nous sommes libres et incertains, parce que nous ne savons pas certainement ce qui nous est le plus convenable. Il n’en est pas de même de Dieu : comme il est souverainement parfait, il ne peut jamais agir que de la manière la plus parfaite. »

< p.1310 >

VOLTAIRE / Dictionnaire philosophique / Garnier 1967.

« Je ne désespère pas qu’on ne condamne bientôt aux galères le premier qui aura l’insolence de dire qu’un homme ne penserait pas s’il était sans tête : "Car, lui dira un bachelier, l’âme est un esprit pur, la tête n’est que la matière ; Dieu peut placer l’âme dans le talon, aussi bien que dans le cerveau ; partant je vous dénonce comme un impie." »

< p.273 >

LIBERTÉ

257

Liberté et déterminisme :

« En quoi consiste donc votre liberté, si ce n’est dans le pouvoir que votre individu a exercé de faire ce que votre volonté exigeait d’une nécessité absolue? »

< p.275 >

Jean de LA BRUYÈRE / Les Caractères / Œuvres / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1951

« On ne vole point des mêmes ailes pour sa fortune que l’on fait pour des choses frivoles et de fantaisie.

Il y a un sentiment de liberté à suivre ses caprices, et tout au contraire de servitude à courir pour son établissement : il est naturel de le souhaiter beaucoup et d’y travailler peu, de se croire digne de le trouver sans l’avoir cherché. »

< p.142 IV (59) >

« La liberté n’est pas oisiveté ; c’est un usage libre du temps, c’est le choix du travail et de l’exercice : être libre en un mot n’est pas ne rien faire, c’est être seul arbitre de ce qu’on fait ou de ce qu’on ne fait point ; quel bien en ce sens que la liberté ! »

< p.376 XIII (104) >

Louis-Ambroise de BONALD / Œuvres complètes t.3 / Paris, J-P Migne 1859

« Ce ne sont pas les devoirs qui ôtent à un homme son indépendance, ce sont les engagements. »

< Pensées, p.1382 >

Emmanuel Joseph SIEYÈS / Préliminaire de la Constitution Française / Paris, Baudoin 1789

« Les limites de la liberté individuelle ne sont placées qu’au point où elle commencerait à nuire à la liberté d’autrui. C’est à la Loi à reconnaître ces limites et à les marquer. »

< p.28 >

Joseph JOUBERT / Carnets / nrf Gallimard 1938-1994

« Être libre n’est pas faire ce qu’on veut, mais ce qu’on a jugé meilleur et plus convenable. »

< 26 février 1814 t.2 p.430 >

NAPOLÉON Ier / Maximes de guerre et pensées / J. Dumaine Ed., Paris 1863

« La plus insupportable des tyrannies est la tyrannie des subalternes. »

< 401 p.300 >

Benjamin CONSTANT / De l’esprit de conquête et de l’usurpation (1814) / GF 456 Flammarion 1986

« Une des grandes erreurs de la nation française, c’est de n’avoir jamais attaché suffisamment d’importance à la liberté individuelle. On se plaint de l’arbitraire, quand on est frappé par lui, mais plutôt comme d’une erreur que comme d’une injustice ; et peu d’hommes, dans la longue série de nos oppressions diverses, se sont donnés le facile mérite de réclamer pour des individus d’un parti différent du leur. »

< p.190 >

Lorédan LARCHEY / L’Esprit de tout le monde - Riposteurs (1893) / Berger-Levrault 1893

« À la Révolution de 1830 comme à celle de 1848, la mode, — car les révolutions ont leurs modes, —

voulut que chacun portât dans la rue des rubans tricolores à la boutonnière. L’académicien Brifaut était sorti sans s’être conformé à l’étiquette. On l’apostrophe bientôt :

— Citoyen, pourquoi ne portes-tu pas l’insigne de la liberté?

— Parce que je suis libre, citoyen. »

< p.113 >

Sören KIERKEGAARD / Ou bien... Ou bien... (1843) / Tel 85 Gallimard 1943

« Que les gens sont absurdes ! Ils ne se servent jamais des libertés qu’ils possèdent, mais réclament celles qu’ils ne possèdent pas ; ils ont la liberté de pensée, ils exigent la liberté de parole. »

< Diapsalmata, p.17 >

258

LIBERTÉ

Victor HUGO / Océan prose / Océan / Œuvres complètes / Robert Laffont - Bouquins 1989

« La liberté commence où l’ignorance finit. »

< 1863-64 p.23 >

Friedrich NIETZSCHE / Humain, trop humain. (1878-1879) / Œuvres I / Robert Laffont - Bouquins 1990

« Ne pas sentir de nouvelles chaînes. - Tant que nous ne nous sentons pas dépendre de quelque chose, nous nous tenons pour indépendants : conclusion erronée qui montre quel est l’orgueil et la soif de domination de l’homme. Car il suppose ici qu’en toutes circonstances il remarquerait et reconnaîtrait sa dépendance, aussitôt qu’il la subirait, par suite de l’idée préconçue qu’à l’ordinaire il vit dans l’indépendance et que, s’il venait à la perdre exceptionnellement, il sentirait sur-le-champ un contraste d’impression. - Mais quoi?

si c’était le contraire qui fût vrai : qu’il vécût toujours dans une multiple dépendance, mais qu’il se tînt pour libre là où, par une longue accoutumance, il ne sent plus la pression des chaînes ? Seules les chaînes nouvelles le font souffrir encore : - "Libre arbitre" ne veut dire proprement autre chose que le fait de ne pas sentir de nouvelles chaînes. »

< 10 p.833 >

Henry BECQUE / Souvenirs d’un auteur dramatique / Bibliothèque artistique et littéraire 1895 [BnF]

« La liberté et la santé se ressemblent ; on n’en connaît le prix que lorsqu’elles vous manquent. »

< p.198 >

Henry MARET / Pensées et opinions / Paris, Flammarion 1903 [BnF]

« La pensée doit jouir d’une liberté illimitée, et tout entrave à cette liberté est indigne d’un pays républicain. »

< p.101 >

« Je ne crois pas que depuis le commencement du monde, on ait jamais vu une nation se payer de mots aussi aisément que la nôtre. C’est d’ailleurs la seule qui ait eu le front d’écrire LIBERTÉ sur ses prisons, ÉGALITÉ sur ses palais et FRATERNITÉ sur cette fabrique de haine qu’on appelle le Parlement. »

< p.116 >

Rémy de GOURMONT / Épilogues (1) / Mercure de France 1921

« Il n’y a pas de liberté là où le public n’est pas assez intelligent pour aimer les opinions contradictoires.

Un tel état d’esprit semble avoir existé en France vers le milieu du dix-huitième siècle : qui nous rendra ces temps sceptiques, ces temps bénis ! »

< mars 1898, p.226 >

Rémy de GOURMONT / Épilogues (2) / Mercure de France 1923

« L’homme est libre, sans doute, libre de faire ce qu’il fait, mais non libre de faire ce qu’il ne fait pas. En d’autres termes, sa liberté est aiguillée comme un train. Il est libre d’obéir à la tendance la plus forte parmi celles qui le sollicitent. Le choix, c’est l’obéissance. Il n’y eut jamais au monde qu’un être parfaitement libre : l’âne de Buridan. »

< juin 1901, p.268 >

Rémy de GOURMONT / Épilogues (3) / Mercure de France 1923

« Que l’on regarde le seul pays où existe vraiment la liberté religieuse, les États-Unis : c’est un amas de sectes dont le seul but semble la culture intensive de la bêtise humaine. De toutes les libertés inutiles au peuple, la plus inutile est la liberté religieuse, et c’est la plus dangereuse aussi. »

< novembre 1903, p.228 >

Georges DARIEN / La Belle France (1900) / Voleurs ! / Omnibus Presses de la Cité 1994

« L’homme a été tellement abruti par des siècles de despotisme et surtout par un siècle de fausse liberté, que l’idée seule qu’il lui faudra se passer de maître le terrifie. Dès qu’il s’est libéré des liens que lui impose un gredin couronné, le peuple s’empresse de s’asservir lui-même en s’intitulant Peuple souverain ; ce qui lui LIBERTÉ

259

permet, immédiatement, de déléguer sa souveraineté ; après quoi il s’accroupit sur son fumier, qu’il aime, et se met à gratter ses ulcères avec les tessons empoisonnés que lui passent ses délégués, et qui s’appellent des lois ; et rend grâces au Seigneur qu’il conçoit, mannequin sanguinolent tressé à son image, de l’avoir créé Peuple, et Souverain, et imbécile, et lâche. »

< p.1242 >

ALAIN / Propos I / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1956

« Il est remarquable que l’amour de la liberté suppose une haute idée de l’homme, et, en effet, l’argument le plus fort du despote est que les hommes font les fous dès qu’ils se sentent libres. C’est donc une chance rare pour vous, leur dit-on, d’être bien bâtonnés. Ce que j’admire, c’est qu’ils semblent quelquefois le croire.

Un ivrogne sait très bien prouver que les choses iront toutes de travers s’il n’y a point un tyran énergique.

Et tout homme arrive bien une fois par jour à se juger incapable de se conduire. Mais s’il tombe à genoux pour si peu, alors ce qu’il croyait devient vrai. »

< 12 octobre 1935 p.1285 >

Paul-Jean TOULET / Les trois impostures / Œuvres complètes / Robert Laffont - Bouquins 1986

« Pour les femmes et les enfants, la liberté c’est de contredire. »

< 28 p.165 >

Paul VALÉRY / Regards sur le monde actuel / Œuvres II / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1960

« Liberté : c’est un de ces détestables mots qui ont plus de valeur que de sens ; qui chantent plus qu’ils ne parlent ; qui demandent plus qu’ils ne répondent ; de ces mots qui ont fait tous les métiers, et desquels la mémoire est barbouillée de Théologie, de Métaphysique, de Morale et de Politique ; mots très bons pour la controverse, la dialectique, l’éloquence ; aussi propres aux analyses illusoires et aux subtilités infinies qu’aux fins de phrases qui déchaînent le tonnerre. »

< p.951 >

« Il faudra bientôt construire des cloîtres rigoureusement isolés, où ni les ondes, ni les feuilles n’entreront ; dans lesquels l’ignorance de toute politique sera préservée et cultivée. On y méprisera la vitesse, le nombre, les effets de masse, de surprise, de contraste, de répétition, de nouveauté et de crédulité. C’est là, qu’à certains jours on ira, à travers les grilles, considérer quelques spécimens d’ hommes libres. »

< p.969 >

Paul VALÉRY / Cahiers I / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1973

« Que de choses je n’aurais pas vues, si je n’avais été conduit à les voir par l’obligation de travaux imposés !

Ceci est contre la liberté du travail. Trop de liberté enchaîne à ce que l’on est, — ou que l’on aime. »

< Ego scriptor p.319 >

« Nous sommes faits pour ignorer que nous ne sommes pas libres. »

< Philosophie p.498 >

« L’homme se sent libre. Mais mon bras, fort souvent, ne se sent aucun poids. Il n’en pèse pas moins. »

< Philosophie p.754 >

André GIDE / Journal 1939-1949 Souvenirs / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1954

« Les lois et les censures compromettent la liberté de pensée bien moins que ne le fait la peur. Toute divergence d’opinion devient suspecte et seuls quelques très rares esprits ne se forcent pas à penser et juger

"comme il faut". »

< 28 octobre 1944 p.279 >

Georges BERNANOS / La France contre les robots (1946) / Essais et écrits de combats II / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1995

« L’idée qu’un citoyen, qui n’a jamais eu affaire à la justice de son pays, devrait rester parfaitement libre de dissimuler son identité à qui il lui plaît, pour des motifs dont il est seul juge, ou simplement pour son plaisir, que toute indiscrétion d’un policier sur ce chapitre ne saurait être tolérée sans les raisons les plus 260

LIBERTÉ

graves, cette idée ne vient plus à l’esprit de personne. Le jour n’est pas loin peut-être où il nous semblera aussi naturel de laisser notre clef dans la serrure, afin que la police puisse entrer chez nous nuit et jour, que d’ouvrir notre portefeuille à toute réquisition. Et lorsque l’État jugera plus pratique, afin d’épargner le temps de ses innombrables contrôleurs, de nous imposer une marque extérieure, pourquoi hésiterions-nous à nous laisser marquer au fer, à la joue ou à la fesse, comme le bétail ? L’épuration des Mal-Pensants, si chère aux régimes totalitaires, en serait grandement facilitée. »

< p.992 >

Henri LABORIT / Éloge de la fuite / Robert Laffont 1976 - Gallimard folio-essais 7

« La sensation fallacieuse de liberté s’explique du fait que ce qui conditionne notre action est généralement du domaine de l’inconscient, et que par contre le discours logique est, lui, du domaine du conscient. C’est ce discours qui nous permet de croire au libre choix. Mais comment un choix pourrait-il être libre alors que nous sommes inconscients des motifs de notre choix, et comment pourrions-nous croire à l’existence de l’inconscient puisque celui-ci est par définition inconscient? Comment prendre conscience de pulsions primitives transformées et contrôlées par des automatismes socio-culturels lorsque ceux-ci, purs jugements de valeur d’une société donnée à une certaine époque, sont élevés au rang d’éthique, de principes fondamen-taux, de lois universelles, alors que ce ne sont que les règlements de manœuvres utilisés par une structure sociale de dominance pour se perpétuer, se survivre? »

< p.72 >

« La sensation fallacieuse de liberté vient aussi du fait que le mécanisme de nos comportements sociaux n’est entré que depuis peu dans le domaine de la connaissance scientifique, expérimentale, et ces mécanismes sont d’une telle complexité, les facteurs qu’ils intègrent sont si nombreux dans l’histoire du système nerveux d’un être humain, que leur déterminisme semble inconcevable. Ainsi, le terme de "liberté" ne s’oppose pas à celui de "déterminisme" car le déterminisme auquel on pense est celui du principe de causalité linéaire, telle cause ayant tel effet. Les faits biologiques nous font heureusement pénétrer dans un monde où seule l’étude des systèmes, des niveaux d’organisation, des rétroactions, des servomécanismes, rend ce type de causalité désuet et sans valeur opérationnelle. Ce qui ne veut pas dire qu’un comportement soit libre. Les facteurs mis en cause sont simplement trop nombreux, les mécanismes mis en jeu trop complexes pour qu’il soit dans tous les cas prévisible. Mais les règles générales que nous avons précédemment sché-matisées permettent de comprendre qu’ils sont cependant entièrement programmés par la structure innée de notre système nerveux et par l’apprentissage socio-culturel »

< p.73 >

« La liberté commence où finit la connaissance (J. Sauvan). Avant, elle n’existe pas, car la connaissance des lois nous oblige à leur obéir. Après, elle n’existe que par l’ignorance des lois à venir et la croyance que nous avons de ne pas être commandés par elles puisque nous les ignorons. En réalité, ce que l’on peut appeler

"liberté", si vraiment nous tenons a conserver ce terme, c’est l’indépendance très relative que l’homme peut acquérir en découvrant, partiellement et progressivement, les lois du déterminisme universel. Il est alors capable, mais seulement alors, d’imaginer un moyen d’utiliser ces lois au mieux de sa survie, ce qui le fait pénétrer dans un autre déterminisme, d’un autre niveau d’organisation qu’il ignorait encore. Le rôle de la science est de pénétrer sans cesse dans un nouveau niveau d’organisation des lois universelles. »

< p.74 >

Emil CIORAN / Le livre des leurres (1936) / Œuvres / Quarto Gallimard 1995

« La liberté est un joug trop lourd pour la nuque de l’homme. Même pris d’une terreur sauvage, il est plus assuré que sur les chemins de la liberté. Bien qu’il la considère comme la valeur positive par excellence, la liberté n’a jamais cessé de lui présenter son revers négatif. La route infaillible de la débâcle est la liberté.

L’homme est trop faible et trop petit pour l’infini de la liberté, de sorte qu’elle devient un infini négatif. Face à l’absence de bornes, l’homme perd les siennes. La liberté est un principe éthique d’essence démoniaque.

Le paradoxe est insoluble.

La liberté est trop grande et nous sommes trop petits. Qui, parmi les hommes, l’a méritée ? L’homme aime la liberté, mais il la craint. »

< p.257 >

LIBERTÉ